Commission d'enquête sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique

Rapport n° 3138
Tome II
Auditions - volume 6

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l'ordre chronologique des séances tenues par la Commission
(la date de l'audition figure ci-dessous entre parenthèses)

M. Christian BABUSIAUX, ancien directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (de 1985 à 1997) (le 27 mars 2001) 4

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE, directrice générale de l'alimentation   
(le 28 mars 2001)
18

M. Jean-Marie AYNAUD, chargé de mission auprès de la direction scientifique « animal et produits animaux » de l'INRA (le 28 mars 2001) 41

M. Louis ORENGA, directeur du centre d'information des viandes (CIV)     
(le 3 avril 2001)
55

Mme Annick ALPÉROVITCH, directrice de l'unité 360 de l'INSERM « Recherches épidémiologiques en neurologie et psychopathologie »             
(le 3 avril 2001)
68

M. Henri NALLET, ancien ministre de l'Agriculture (1988-1990) (le 4 avril 2001) 77

M. Jean-Pierre SOISSON, ancien ministre de l'Agriculture (1992-1993)         
(le 4 avril 2001)
100

M. François GUILLAUME, ancien ministre de l'Agriculture (1988-1990)       
(le 4 avril 2001)
113

Suite des auditions (volume 7).
Sommaire des auditions.


Audition de M. Christian BABUSIAUX,
ancien directeur général de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes (de 1985 à 1997)

(extrait du procès-verbal de la séance du 27 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Christian Babusiaux est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Christian Babusiaux prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes conseiller-maître à la Cour des Comptes et vous avez exercé les fonctions de directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de 1985 à 1997.

Vous avez suivi l'affaire de la vache folle sous l'angle du respect de la réglementation destinée à protéger le consommateur et sous l'angle de la répression des fraudes. On pense, en particulier, à l'élaboration et à l'application des mesures prises en 1989 et 1990 à l'encontre des produits britanniques, aux mesures de précaution édictées à plusieurs reprises au cours de la période 1990-1997 ; enfin, à la gestion de la crise de 1996.

Vous allez pouvoir nous éclairer sur la manière dont le ministère des Finances et votre direction ont pris les mesures nécessaires et en ont fait assurer le respect, avec les moyens dont vous disposiez. Vous savez que le rapport Villain, de septembre 1996, regrette que la coordination entre les directions du ministère des Finances - Douanes et DGCCRF - ait été « insuffisante » et que la coordination entre les directions du ministère des Finances et le ministère de l'Agriculture ait été « inexistante ».

M. Christian BABUSIAUX : Vous avez rappelé que j'ai été directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Cette direction générale a été créée à la fin de 1985 par fusion entre la Direction générale de la concurrence et de la consommation avec l'ancienne direction de la consommation et de la répression des fraudes. L'objectif consistait à bâtir un outil plus efficace de contrôle. Ce souci participait de l'idée émergente que la sécurité des consommateurs était un enjeu toujours plus difficile et important. Pour les mêmes raisons, avait été adoptée la loi sur la sécurité des consommateurs, de juillet 1983. Nous devions faire face à des obligations nouvelles. Je le rappelle pour camper le décor de nos préoccupations : pendant toute cette période, nous fûmes préoccupés par ces questions de sécurité des consommateurs.

Cela dit, dans le domaine des denrées animales et des denrées d'origine animale, il existe une exception vétérinaire : compte tenu de la technicité particulière des hommes de l'art, la DGCCRF, contrairement à tous les autres domaines de l'alimentation et de la vie économique, n'a pas le pouvoir principal de contrôle. Le contrôle des denrées animales et d'origine animale relève des vétérinaires. A telle enseigne que la loi de 1983 sur la sécurité des consommateurs précise que, dans les domaines visés par des textes spécifiques - notamment la loi de 1965 - on ne peut prendre des mesures d'urgence sur la base du code de la consommation. Dans ces domaines, compte tenu de leur technicité particulière, les vétérinaires sont dotés de pouvoirs d'intervention et de saisie de la marchandise, dont est dépourvue la DGCCRF, qui est plus encadrée par des procédures de type pénal.

Nous n'étions donc, dans cette affaire de l'ESB, qu'en deuxième ou troisième ligne. Je ne veux, en conséquence, pas m'élever au-dessus de ce qui était notre tâche, notre compétence. Tous ces problèmes d'ESB et de farines ont trait à des animaux ou à des produits d'origine animale et à leur importation. C'est la douane qui, dotée de pouvoirs particuliers, se situe en première ligne. Ensuite, l'ESB est devenue un problème de santé publique et c'est donc le ministère de la Santé qui exerçait pleine légitimité en ce domaine. La DGCCRF intervenait en troisième ligne selon que l'on envisage la question de la réglementation (après la Santé et les vétérinaires) ou celle des contrôles (après la douane et les vétérinaires), sauf dans des domaines très particuliers où s'appliquaient des textes spécifiques ou qui se situaient très loin du domaine de l'origine animale. Par exemple, pour les cosmétiques utilisant des denrées d'origine animale, le ministère de la Santé et la DGCCRF sont compétents pour intervenir.

Dans ce cadre modeste, je veux cependant formuler quelques remarques et quelques conclusions générales issues de mon expérience à la fois de directeur général et de président, depuis quelques mois, du Conseil national de l'alimentation, instance consultative placée auprès des ministres en charge de la Santé, de la Consommation et de l'Agriculture.

Avec le sujet de la vache folle, les administrations, dans leur ensemble, furent confrontées à des problèmes complexes, multiples, aux ramifications nombreuses. Je crois qu'elles y sont encore confrontées, même si l'incertitude était considérablement plus grande au cours des années passées ; la complexité même du problème était particulièrement importante. Prévalaient alors les incertitudes de la connaissance, même si aujourd'hui l'on peut dire « qu'un scientifique à tel endroit disait que tel danger existait ! ». Il n'empêche, la quasi-unanimité de la communauté scientifique partageait un même avis. Au surplus, les avis des instances scientifiques et des scientifiques variaient dans le temps. Il suffirait de reprendre les positions des uns et des autres pour le constater. Ce n'est pas un reproche, mais le constat d'un phénomène qui, pour nous, constituait un premier facteur de complexité.

Par exemple, nous avons été grandement critiqués sur l'interdiction, en 1992, de l'utilisation des déchets d'animaux dans les engrais et supports de culture, qui relevait de notre responsabilité réglementaire. Je persiste à penser que nous avons eu raison. Nous pouvions en décider, parce qu'il s'agissait de produits industriels. Nous craignions alors que les sols contaminent les animaux. La commission des toxiques, instance scientifique compétente du ministère de l'Agriculture, a changé de position, elle a suivi sur la voie de l'interdiction, puis certains de ses membres hésitèrent. Finalement, la majorité s'est ralliée à l'interdiction, sans d'ailleurs que cela mette fin à la critique qui nous était alors adressée d'aller trop loin dans la précaution. C'est une illustration de la complexité de cette affaire.

Un autre facteur de complexité tient à l'extrême diversité des produits, au très grand nombre d'utilisations comme au très grand nombre d'utilisateurs. Quelque chose qui se répand de proche en proche dans un très grand nombre de produits alimentaires transformés, mais aussi d'autres types - cosmétiques ou médicaments - pose un problème complexe. On s'est focalisé sur la question des farines animales, mais il ne faut pas oublier bien d'autres produits et une multitude de problèmes. D'où, rapidement, notre conviction sur la nécessité d'une interdiction totale des farines à l'échelle européenne. En effet, les circuits sont si nombreux et complexes que, s'il existe un vecteur potentiel de l'épidémie, il est extrêmement difficile de maîtriser sa dissémination.

La complexité tient aussi au fait que l'on parle des cas d'ESB venant de farines britanniques, mais nous savons aussi désormais qu'en Bavière, les règles de fabrication des farines ne semblent pas avoir toujours été respectées. Des scientifiques avançaient à l'époque, et répètent aujourd'hui, qu'il est vraisemblable que des cas sporadiques aient émergé et qu'il y en a vraisemblablement toujours eu, car la littérature scientifique décrit déjà des cas similaires à la fin du XIXe siècle. Il n'est pas exclu qu'il y ait eu, en France, d'autres sources occasionnelles que la seule filière des farines britanniques.

Aucune certitude n'existe sur la sécurité réelle des modes de traitement aujourd'hui consacrés. On peut penser qu'ils assurent l'innocuité, mais ce n'est pas une certitude.

En raison de la complexité du sujet, l'administration était confrontée à un ensemble de problèmes d'une diversité et d'une complication exceptionnelle. Dans ce contexte, nous avons agi avec une extrême rigueur et c'est parfois notre excès de rigueur qui nous a été reproché, mais je ne regrette pas une seule seconde d'avoir exercé cette extrême rigueur, qui se trouve rétroactivement justifiée. Nous l'avons exercée en essayant de consulter les instances scientifiques aussi nombreuses que possible. J'ai reçu les plus qualifiés d'experts scientifiques, même si la DGCCRF n'était pas en première ligne, pour leur demander de m'éclairer directement. Daniel Hulaud, le chef de bureau compétent, les a également reçus, notamment lors d'une réunion du 8 décembre 1992 extrêmement précise et détaillée. Ils affirmaient l'existence d'une barrière inter-espèces et le caractère suffisant des mesures prises. Nous avons saisi la commission interministérielle de l'alimentation animale en 1990. Nous avons saisi, fin 1991, la commission scientifique qui nous était la plus proche, la commission d'étude de l'alimentation particulière et des produits diététiques, qui s'est prononcée courant 1992. Sur cette base, a été saisi le Conseil supérieur d'hygiène, qui ne s'est prononcé que dans les derniers mois de 1992. Avant cette date, il n'y avait pas d'avis des instances scientifiques françaises. Nous étions, à tort ou à raison, favorables à l'interdiction totale des farines, parce qu'il nous semblait que les risques de contaminations croisées étaient trop importants. L'examen des modalités de fabrication en usine montrait que, parmi les 315 usines d'alimentation animale, un nombre limité était doté de circuits distincts de fabrication destinés respectivement aux aliments pour bovins et aux autres animaux. En principe, les entreprises ménageaient des espaces de vide lors du changement de fabrication à l'intérieur d'une installation unique, mais il est évidemment difficile de penser que le nettoyage des installations puisse être à chaque occasion complet.

M. le Président : Depuis quand étiez-vous partisan d'une interdiction totale liée au risque des contaminations croisées ?

M. Christian BABUSIAUX : Je pense que nous avons écrit à ce sujet en 1993, mais je ne peux pas être sûr de la date. Ce sont des thèmes qui ont fait l'objet de nombreux débats. Beaucoup de réunions périodiques se tenaient à l'époque - depuis 1988, pour un ensemble d'autres raisons - entre le directeur de l'alimentation, celui de la santé et moi-même. Cela m'était apparu indispensable et ils avaient bien voulu accepter le principe d'une réunion mensuelle, qui n'a pas toujours respecté cette périodicité, mais les réunions furent fréquentes. Au surplus, nous organisions souvent des réunions bilatérales DGCCRF-DGAL et DGCCRF-DGS. En moyenne, je rencontrais mes interlocuteurs tous les quinze jours. L'ESB n'était pas le seul sujet, nous parlions également de listériose ou de salmonellose, par exemple.

M. le Président : M. Villain a eu une autre approche : il n'a pas considéré que ces réunions mensuelles constituaient des éléments de coordination suffisamment efficaces pour aboutir à des décisions.

M. Christian BABUSIAUX : Si mon souvenir est exact, il n'a pas parlé de ces réunions mensuelles ; j'ignore s'il s'était procuré le renseignement. À propos de la note de M. Villain, je souligne qu'était intervenu avant ma prise de fonctions un protocole de coordination entre les douanes et l'ex-direction de la consommation et de la répression des fraudes. Une habitude de coopération était instaurée. D'ailleurs, lors de l'arrivée de certains bateaux dans les ports, la douane prévenait les services de la DGCCRF. Vous retrouverez trace de ces contacts. Un agent de la DGCCRF allait visiter une proportion élevée de bateaux signalés par les douanes en matière d'alimentation animale. Cette habitude de travail en commun existait ; elle est d'autant plus normale que les douanes exercent les pouvoirs donnés par le code de la consommation, notamment en matière de répression des fraudes. La loi de 1905 sur la répression des fraudes n'est pas spécifique à la DGCCRF. C'est un outil à la disposition des douaniers, des vétérinaires, des policiers, des gendarmes et des agents du service des instruments de mesure. Dans sa sagesse, le législateur avait prévu que, si les douanes intervenaient sur ce fondement, ils devaient en informer le préfet qui tient, par le moyen des services de la répression des fraudes, un registre à cet effet.

Pour cet ensemble de raisons historiques, il existait beaucoup de contacts au plan local - certainement inégaux selon les endroits - dans ces domaines de la répression des fraudes. Je rappelle qu'existait à l'administration centrale, depuis 1994 ou 1995, une cellule d'analyse conjointe et de programmation entre la douane et la DGCCRF, comprenant deux agents de chaque administration. Avec les vétérinaires, les contacts étaient extrêmement nombreux, de même que les débats sur ce sujet, dans le respect de la prééminence des vétérinaires. Vous pouvez le vérifier : les directeurs généraux se rencontraient souvent.

J'ai eu un débat avec M. Villain, car ma conviction personnelle me portait à croire qu'il était extrêmement difficile de procéder au contrôle dès lors que les farines étaient fabriquées en France ou dans des pays de l'Union et qu'elles étaient mises en circulation. Selon le rapport Villain, la DGCCRF aurait pu agir davantage si la douane l'avait davantage informée. C'est sans doute vrai. Dans le même temps, regardons les choses en face : dès lors qu'il n'existait pas de mesures communautaires ni de mesures généralisées d'interdiction des farines, le contrôle s'avérait extrêmement difficile, car, vous le mesurez bien, l'on sait contrôler des points fixes, mais contrôler des mouvements dans une Communauté où les routes sont nombreuses et où les camions sont de plus en plus volumineux, est sans doute matériellement impossible. Non seulement nous n'avons pas le pouvoir d'arrêter les camions sans la douane, la police ou la gendarmerie, mais même elles n'ont pas la possibilité d'arrêter et de vider tous les camions. Si M. Villain a raison de dire que la douane aurait pu nous informer davantage, en revanche, il serait totalement inexact de prétendre qu'une information instantanée aurait permis d'arrêter toutes les farines.

Le problème était complexe, mais nous avons fait preuve d'esprit de rigueur. Nous avons pris des mesures que l'on nous a reprochées à l'époque pour excès de rigueur, que ce soit sur les engrais et supports de culture, les cosmétiques ou les compléments alimentaires et les petits pots pour bébé. Quand je lis les écrits sur les risques de contamination en Grande-Bretagne par des petits pots pour bébé, je me réjouis que notre attitude ait été rigoureuse.

Nous nous sommes heurtés également à des difficultés. L'aspect européen a joué un rôle extrêmement important. L'alimentation animale est un domaine harmonisé. C'est dire que, de très longue date, la compétence n'est plus nationale, mais communautaire. À chaque fois que des mesures ont été prises en France par les vétérinaires ou éventuellement par la DGCCRF, nous étions soumis à critique très forte de la part de Bruxelles. Quand nous avons agi sur les petits pots pour bébé, Bruxelles nous a envoyé un avis motivé. Quand nous avons agi sur les cosmétiques, nous avons également reçu de Bruxelles des procédures d'avis motivé dans les termes les plus nets et les plus véhéments. Non seulement Bruxelles n'a pas suivi toutes les demandes présentées par la France, mais encore la Commission a été un obstacle constant à la prise des mesures qui s'imposaient. Il est extrêmement important de croiser cela et mes propos antérieurs. Dans cet univers si compliqué et si ramifié des produits animaux et d'origine animale, sans mesures communautaires, l'efficacité du contrôle est nécessairement compromise. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas contrôler, mais il ne faut pas s'en cacher les limites inévitables.

Je voudrais souligner un autre élément de difficulté, qui demeure : le problème de la sanction. Les procédures du code de la consommation sont de nature pénale. Parmi les dossiers transmis à la justice, l'un, au sujet duquel nous avions vraiment trouvé une fraude en 1991, a été classé par la justice. La procédure n'a pas abouti au motif que le chef d'entreprise était mort ; le procès verbal n'était plus libellé au nom de la bonne personne et le parquet a ordonné la restitution des farines que nous avions saisies ! Les procédures engagées devant la justice du temps déjà lointain où j'étais directeur général n'ont pas encore abouti. Il est clair pourtant que l'exemplarité de la sanction est importante. La durée de conservation des documents, des factures notamment, imposée par la loi est très inférieure à la durée d'incubation de la maladie chez les vaches et, a fortiori, à la durée d'incubation chez l'homme. Ainsi, la traçabilité, à laquelle je tiens et pour laquelle nous avons beaucoup _uvré et qu'il faut améliorer, risque d'être rendue vaine par la durée de conservation des documents qui n'est que de trois ou cinq ans. L'on rencontrera de grandes difficultés à retrouver, de manière incontestable, les raisons si un cas se révélait. Les opérateurs le savent, d'où de fortes limites au caractère dissuasif des enquêtes du fait de l'encombrement des tribunaux et de cette question de décalage dans le temps.

Voilà des difficultés - l'état des connaissances scientifiques, l'aspect européen, les procédures judiciaires - auxquels nous avons été confrontés dans notre action quotidienne. Restent, dans la liste des difficultés, les débats sur le principe de précaution. La nécessité de la précaution figure, dès 1990, dans les motivations de mes propres écrits adressés aux industriels. En matière d'alimentation, le principe de précaution n'était pas et n'est toujours pas prévu par les textes et ne pouvait donc pas vraiment servir de fondement juridique. Or, jusqu'en 1996, nous ne nous situions pas encore au stade de la prévention, mais de la précaution, faute de la démonstration du passage à l'homme. La plupart des scientifiques considérait alors l'existence d'une barrière d'espèces. Le cas du chat anglais de 1991, même s'il nous avait alertés, était un cas dont les scientifiques soulignaient qu'il avait été obtenu dans des conditions expérimentales tout à fait exceptionnelles. Le principe de précaution n'existait pas en matière alimentaire dans le droit français, il n'existe pas dans le droit communautaire. A telle enseigne que l'on est en train de l'introduire dans un règlement européen et encore s'agit-il d'une possibilité laissée aux États et non d'un devoir. Il existe encore moins au niveau des instances internationales, y compris du codex alimentarius. Nous rencontrions des problèmes scientifiques, mais aussi de légitimité juridique dans nos interventions. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs annulé l'un de nos textes comme insuffisamment fondé, alors même que nous avions visé l'avis d'une instance scientifique.

Cette affaire a montré la nécessité, en cas de crise, de frapper vite et fort. Les industriels et le monde agricole voulaient des preuves, ils souhaitaient connaître au nom de quoi l'on prendrait des mesures par simple précaution. Mais mieux vaut frapper vite et fort que de voir une crise s'éterniser.

Dans la crise de la vache folle, la seule optique possible est celle de l'éradication, ce que le Conseil national de l'alimentation a inscrit dans un « relevé de conclusions » qu'il a adopté à l'unanimité en octobre dernier. On ne peut se situer dans l'optique d'une simple maîtrise de l'épidémie. Compte tenu de la multiplicité des canaux, la seule optique possible est la recherche de l'éradication.

Cette affaire montre aussi l'importance de la recherche et de l'expertise, renforcée fort heureusement par la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), mais qui, dans le domaine alimentaire, demeure insuffisante dans notre pays.

Cette affaire montre également qu'il faut assurer les fondements juridiques du contrôle, qu'il s'agisse du principe de précaution ou de la durée de conservation des documents.

Il faudra tirer de cette affaire bien des enseignements pour l'avenir.

M. le Rapporteur : Avant 1993 et le Marché unique, il n'y avait pas de difficulté pour procéder à des contrôles aux frontières d'où venaient les difficultés.

Je souhaiterais revenir sur la période 1988-1990, dont vous n'avez pas parlé. Vous aviez alors, je suppose, des informations sur ce qui se passait en Grande-Bretagne. On s'aperçoit que des dispositions n'ont pas été immédiatement prises en France. Quelles indications avez-vous donné aux autres ministères ? Peut-être est-ce compliqué entre administrations et peut-être faut-il, pour l'avenir, en tirer un certain nombre de leçons.

M. Christian BABUSIAUX : Avant 1993, sur le plan des principes, vous avez raison de dire que la Douane pouvait procéder à des contrôles aux frontières. Cela dit, sans me substituer au directeur général des douanes, plus compétent pour répondre, je pense qu'il était matériellement impossible de contrôler l'ensemble des importations compte tenu de l'ampleur des flux d'importation des produits et de la diversité des points d'entrée possible. Le taux de contrôles réels était peut-être de 5 % ou 10 %. Quand quelqu'un veut importer un produit dangereux ou illicite, il ne va pas le déclarer à la douane. C'est pourquoi, on ne peut se fier sur ce type de sujet aux statistiques douanières. Nous avons vérifié les déclarations douanières de 1996 sur les farines animales britanniques ; nous avons toujours trouvé, pour ces importations ayant fait l'objet de déclarations douanières, des certificats vétérinaires d'Angleterre, d'Irlande, et des documents de connaissement des navires qui démontraient que nous n'avions pas à faire à des farines anglaises. L'inscription de farines dans les statistiques ne montre pas que ce soit nécessairement celles-là seulement qui soient entrées ! Un trafiquant de drogue ne fait pas figurer la drogue dans les statistiques douanières.

Dans les statistiques de farines importées, nous avons trouvé des farines de plumes, qui n'avaient aucun rapport avec le sujet. Les statistiques ne constituent pas une base et, dans ces types de circuit, si importations frauduleuses il y a eu, sans doute furent-elles clandestines. Dans les modes actuels de circulation des produits, par bateau ou par route, il est extrêmement difficile pour la douane, y compris avant 1993, de repérer les circuits frauduleux. C'est le cas pour les farines, ce l'est tout autant pour les produits bovins dérivés. L'année 1993 marque une évolution ; mais il ne serait pas exact d'en faire un clivage majeur pour l'aspect épidémiologique. Il est vraisemblable que beaucoup de vaches atteintes d'ESB avaient mangé des farines dans la période antérieure à 1993.

M. le Rapporteur : Un élément reste obscur. L'on savait déjà ce qui se passait en Grande-Bretagne, d'où ma question sur les faits intervenus entre 1988 et 1990. Pour vous, le problème de l'ESB ne constituait pas encore un problème de santé publique. Avant l'affirmation de la transmission possible à l'homme et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, n'a-t-on pas considéré que ce devait être « le marché avant tout », que ce n'était donc pas un problème de santé publique, qu'il ne revêtait guère d'importance ?

M. Christian BABUSIAUX : Je ne pense pas du tout que la préoccupation dominante ait été celle de l'échange des produits sur le marché. Tout, dans ce que nous avons dit et écrit, montre le contraire.

M. le Rapporteur : La question n'est pas pour vous. Je vous interroge sur un sentiment général.

M. Christian BABUSIAUX : Vous avez dit tout à l'heure que vous supposiez que nous avions des informations sur ce qui se passait en Grande-Bretagne. En fait, nous n'avions aucune source d'information particulière. Nous ne participions pas aux réunions internationales entre vétérinaires. Je ne peux témoigner des propos qui s'y échangeaient. Les instances vétérinaires sont des instances spécifiques, que ce soit à Bruxelles ou dans l'office international des épizooties. Nous n'avions pas de contacts directs - et nous n'avions pas vocation à jouer la mouche du coche - avec les vétérinaires des autres pays, qui n'étaient pas nos homologues.

M. le Rapporteur : Certes, mais vous nous dites que très tôt, dès 1993, vous prônez l'interdiction des farines. Vous évoquez dans le même temps les risques de contaminations croisées ; vous alertez les autorités et, ce faisant, vous motivez votre proposition.

M. Christian BABUSIAUX : Pour nous, l'élément de clivage a été la publication de l'expérience réalisée sur le chat anglais, dans le Lancet qui évoque cette inoculation de l'agent infectieux dans la cervelle du chat, qui contracte une maladie neurodégénérative. Cet article, je ne l'ai pas lu tout de suite puisque la DGCCR n'a pas de rôle de veille scientifique en matière de santé ; cela dit, nous en avons eu connaissance avec un décalage limité. À partir de ce moment-là, nous avons commencé à réfléchir davantage. Pour nous, c'est le tournant à partir duquel nous avons estimé qu'il y avait motif à étudier la question de manière plus approfondie. Cela dit, il faut rappeler l'avis de 1989 de la douane et des vétérinaires interdisant les importations de farines anglaises, le texte de 1990 interdisant l'utilisation des farines dans l'alimentation des bovins, etc. Mais ce qui marque vraiment le tournant c'est le chat anglais. Des contacts furent alors pris avec des scientifiques français et, progressivement, de la réflexion est venue la saisine d'instances scientifiques, et ainsi de suite. Dès le début 1992 - il faudrait rechercher la date exacte - les mesures prises en divers domaines, y compris pour les engrais et les cosmétiques, montrent que nous cherchions vraiment à prendre et à faire prendre les mesures les plus larges possibles, au-delà même de la question des farines.

M. le Rapporteur : Vos propos « nous cherchions vraiment à prendre et à faire prendre des mesures » constituent pour moi une interrogation. À qui vous adressiez-vous et quel était le retour ?

M. Christian BABUSIAUX : Nombre de débats ont eu lieu, beaucoup d'éléments sont demeurés verbaux à l'issue d'un ensemble de réunions. Mais des courriers furent également adressés à des syndicats professionnels ou à d'autres administrations ; sont intervenus des débats prolongés et approfondis, des sujets sont revenus ainsi quinze ou trente fois. Bien sûr, nous ne nous contentions pas de signaler les choses une seule fois.

M. Pierre HELLIER : On entend très souvent le discours suivant : « C'est la faute à l'Europe, on ne pouvait pas facilement mettre en place un certain nombre de mesures. ». C'est certainement vrai, c'est difficile. Mais vous avez évoqué les petits pots pour bébé, à l'égard desquels vous aviez pris des mesures très judicieuses. A cette époque, les farines étaient interdites en Angleterre alors qu'elles continuaient à être importées. Les réunions que vous évoquiez faisaient l'objet de comptes rendus. N'auriez-vous pas pu jouer davantage le rôle de la mouche du coche ?

Vous vous plaignez que les sanctions sont difficiles à appliquer et sans doute inadaptées. En cas de fraudes intentionnelles et caractérisées, aux conséquences « criminelles », quel type de sanctions imaginez-vous ? Faut-il modifier notre législation ?

M. Christian BABUSIAUX : Je rappelle que c'est dès 1989 que l'importation de farines anglaises est interdite par un avis de la douane et des vétérinaires. Ce n'est qu'en 1991 qu'apparaît le premier cas déclaré d'ESB en France. Il faut le rappeler ; vous trouverez des comptes rendus de réunions, y compris plus tardifs, où les meilleurs esprits font remarquer qu'il s'agit d'un problème britannique. La démonstration n'est pas encore faite alors que le problème a été exporté.

M. le Président : Vous me permettrez d'exprimer une interrogation : comment pouvait-on considérer ce problème comme exclusivement anglais, alors que nous étions un très gros importateur de bovins britanniques ? C'est vraiment surprenant !

Je vous écoute avec attention. Vous rappelez que vous vous voyiez souvent, que vous en discutiez entre vous... Mais alors, pourquoi ce décalage entre la découverte de la liaison ESB-farines animales, identifiée clairement en Angleterre, à la une des journaux et signalée dans une note transmise par notre ambassade, et les premières mesures. Certes, les délais de réaction des autorités communautaires sont encore bien plus longs. Nous comprenons bien tout cela. Il n'en reste pas moins que les délais de réponse posent question. Et quand j'entends d'une autorité chargée du contrôle et de la répression des fraudes que les contrôles sont impossibles, mon interrogation est plus vive encore ! Je suis tenté de vous demander ce que vous saviez exactement à la DGCCRF. À qui avez-vous transmis les notes ? Qui avez-vous alerté ? Le cabinet du ministre de l'Économie et des Finances, le cabinet du ministre de l'Agriculture ? Pendant les périodes sensibles en 1988, 1990, 1993, 1996 quel était l'état de vos connaissances ? Comment avez-vous réagi et à qui avez-vous transmis les informations ? Nous sommes dans une commission d'enquête et nous ne pouvons nous satisfaire d'entendre que les directeurs généraux se rencontraient.

M. Christian BABUSIAUX : La compétence centrale est celle des vétérinaires. Les informations circulaient entre les vétérinaires. Nous n'avions pas de sources d'informations particulières. Notre direction ne bénéficiait pas de sources de renseignements autres. Seuls les responsables des services vétérinaires de l'époque sont à même de répondre à ces questions. Je vous rappelle aussi que l'avis aux importateurs de 1989 était une mesure douanière et vétérinaire.

Quant aux contrôles, je n'ai pas dit que des contrôles étaient impossibles. Ce que je vous ai montré, c'est que, dès lors que des produits de ce type pouvaient circuler légalement dans de nombreux pays européens, il était impossible que la douane et les vétérinaires, qui étaient en première ligne, ou la DGCCRF qui était en troisième ligne assurent en toute certitude un verrouillage total du territoire national. C'est d'ailleurs pourquoi la compétence réglementaire dans ces domaines appartenait de très longue date à Bruxelles.

M. le Président : N'aviez-vous donc pas reçu des services vétérinaires des éléments d'information dans le cadre de votre mission de contrôle et de répression des fraudes ?

M. Christian BABUSIAUX : Quels éléments d'information ? Cette question est très vaste. En tout cas, je ne me souviens pas que nous ayons reçu des informations indiquant telle ou telle possibilité de fraude.

Les vétérinaires vivaient avec l'idée qu'un problème d'ESB affectait la Grande-Bretagne, qu'un lien vraisemblable reliait les farines britanniques et la maladie de la vache folle en Grande-Bretagne. Ce lien établi, il s'est traduit par l'intervention de l'avis aux importateurs de 1989. À ce moment-là, les vétérinaires pensaient la mesure suffisante. Dans des comptes rendus de réunion, il apparaît que chacun s'accorde à juger les mesures suffisantes.

M. le Président : À partir du moment où il y a un avis aux importateurs, avez-vous immédiatement été saisi de cet avis ? En avez-vous été le destinataire ou le cosignataire ? Comment vos services, investis d'une mission de contrôle et de répression des fraudes a-t-il été informé ?

M. Christian BABUSIAUX : L'avis aux importateurs de 1989 a été publié au Journal Officiel ; tout le monde le connaissait. Nous n'en étions pas signataires et nous n'avions pas compétence pour l'appliquer, puisqu'il s'agissait d'un avis aux importateurs. La douane avait compétence, puisqu'il s'agissait d'un texte douanier relatif à des importations et de contrôle aux frontières.

Pour 1990, le problème est différent, puisqu'il s'agissait d'une interdiction générale. Nous étions cosignataires du texte de 1990, préparé par la DGAL, car cela relève de sa compétence, mais nous avions auparavant consulté la Commission interministérielle de l'alimentation animale, instance scientifique compétente en ce domaine ; bien évidemment, nous étions cosignataires de cette mesure. Nous entrons là dans un champ différent.

M. le Président : Qu'avez-vous mis en place pour assurer le contrôle dans le cadre de cette mesure et quels enseignements tirez-vous de l'absence de contrôle ? Vous avez déclaré être dans l'impossibilité d'assurer le contrôle de cette mesure d'interdiction de farines.

M. Christian BABUSIAUX : Je n'ai pas dit « absence de contrôle », bien au contraire ; des contrôles sont intervenus. Des agents sont allés dans les usines d'alimentation, dans les ports. Comme nous étions informés de l'arrivée des bateaux par les douanes, en règle générale un agent de la DGCCRF se déplaçait, procédait à des prélèvements dès lors que des problèmes de microbiologie étaient susceptibles de se poser, et vérifiait les documents d'accompagnement et de connaissement des navires. Il vérifiait à l'aide des documents car, à l'époque, il n'existait pas de méthode d'analyse. Des contrôles étaient également organisés dans les usines d'alimentation animale. Ces contrôles s'effectuaient avec des balances comptables, comparant l'entrée et la sortie des produits. Le contrôle ne pouvait être que comptable. Dans l'usine, les enquêteurs vérifiaient la présence des certificats d'origine et ceux de connaissement des navires ; ils procédaient aussi à une balance comptable comparant les entrées et sorties pour vérifier leur compatibilité

Les dérogations qui intervenaient à cette époque en vertu du texte même de 1990 étaient des dérogations vétérinaires dont le suivi et le contrôle étaient assurés par les services vétérinaires. Ce sont eux qui accordaient les dérogations.

Il faut mesurer ce qu'est le contrôle. Il est possible de contrôler une filière étroite. Prenons l'exemple du vin italien contenant du méthanol, premier problème de sécurité des consommateurs auquel j'ai été confronté juste après la fusion des deux anciennes directions (fraudes et concurrence) fin 1985. Nous connaissions les ports d'arrivée, les bateaux, les importateurs représentant 99 % des vins italiens ; nous avons pu, dès lors, repérer la présence de méthanol dans les vins, bloquer partout leur arrivée : à Sète, à Marseille, sur les voies de la SNCF, etc. C'était fait. Il en va différemment pour un problème mettant en cause des produits animaux et d'origine animale et un nombre beaucoup plus important d'opérateurs.

Je rappelle que l'on compte 315 usines, beaucoup d'utilisateurs directs, des dizaines de milliers d'utilisateurs et d'entreprises situées en aval. C'est vrai que la Douane, les vétérinaires et nous, avons mené des contrôles, mais il faut en comprendre les limites inévitables et en tirer les leçons. Face à un problème de ce type, il faut prendre une mesure extrêmement forte et générale. Sinon la possibilité de dissémination est telle qu'elle rend le contrôle très difficile.

M. le Président : Avez-vous le sentiment que si nous avions été plus vigoureux dans l'organisation des contrôles des farines en provenance d'Angleterre, nous aurions pu savoir ce qui se passait dans les mouvements de farines ?

M. Christian BABUSIAUX : L'efficacité des contrôles et de leur organisation suppose d'abord qu'ils soient fondés sur des textes adaptés et contrôlables. En l'espèce, il aurait notamment fallu des textes européens. Il y a d'autre part - et c'est en partie lié à la question précédente - le problème de la preuve. Nous pouvons penser qu'il y a eu des importations illicites, des fraudes, mais nous ne l'avons pas démontré. La DGCCRF - non seulement à l'époque, mais depuis - de même que la police, la gendarmerie et la douane n'ont pas établi à ce jour la véritable preuve de cette fraude. La question m'avait été posée par la mission d'information dont le rapporteur était M. Mattei. En mon âme et conscience, je ne pouvais prétendre qu'il y avait eu telle ou telle fraude. On touche là aux contraintes de la matière pénale. On peut penser que des importations illicites indirectes ont eu lieu en provenance de Grande-Bretagne, mais tant que la preuve formelle n'a pas été apportée, on ne peut pas alléguer sans preuve qu'il y a tel ou tel type de fraudes.

M. le Président : Un responsable administratif belge a trouvé 8 300 tonnes de farines en 1996 en phase de « transit et de ré-étiquetage », soit une année d'exportation de farines belges vers la France.

M. Christian BABUSIAUX : Qu'a-t-il fait de cette information ?

M. le Président : Il nous a dit avoir saisi des autorités françaises. Nous allons rechercher qui était saisi et comment. Avez-vous été saisi de cette question ?

M. Christian BABUSIAUX : Absolument pas. Un problème de ce type en 1996, je m'en souviendrais ! Excepté le cas de 1991, nous n'avons pas trouvé de preuve d'utilisation illicite. J'ajoute deux commentaires à ce que je disais tout à l'heure. D'abord, il ne faut pas commettre l'erreur de se référer aux statistiques douanières, car les importations illicites ne figurent évidement pas dans les statistiques douanières. Et on ne peut pas fonder la preuve de fraude, ou même un raisonnement général sur les fraudes, à partir des seules statistiques douanières. D'autre part, nous savons tous que les filières animales présentent un ensemble de problèmes : ne se posent pas uniquement celui des farines et de la vache folle. Nous travaillions aussi à l'époque sur le cas des hormones, au sujet desquelles nous avons trouvé des preuves de fraude. Nous avons saisi à plusieurs reprises les tribunaux contre plusieurs dizaines de vétérinaires libéraux, de fournisseurs de ces produits, d'éleveurs... Preuve que nous menions des contrôles sur la filière et que, dans certains domaines, nous avons trouvé. Dans le secteur des farines, nous n'avons pas trouvé sans doute parce que la preuve était encore plus difficile à apporter dans un contexte où des farines britanniques pouvaient circuler librement en Europe et ou des farines pouvaient continuer d'être utilisées légalement en France pour d'autres espèces que les bovins. Nous n'étions pas en première ligne et je suis d'autant plus à l'aise pour vous expliquer, en mon âme et conscience, les difficultés que la douane et les services vétérinaires ont pu rencontrer. Cinq ans après, alors que toutes les polices de France sont sur la piste des farines animales, à ce jour, elles n'ont pas encore apporté la preuve d'entrées illicites. En 1990 et 1991, c'était plus difficile encore.

M. le Président : La preuve est difficile à apporter, puisqu'il a fallu attendre 1997 pour disposer d'une méthode d'analyse chimique. Cela dit, après des mesures d'interdiction des farines pour les bovins en 1990, des cas d'ESB sont décelés.

M. Christian BABUSIAUX : Sur ce sujet, bien entendu il ne s'agit pas de nier le problème des farines anglaises. Mais l'expérience nous a appris à ne pas suivre directement les idées propagées par tout le monde ; la réalité est singulièrement plus complexe.

M. le Président : Pourtant, en Angleterre, la liaison est apparue évidente entre les farines animales et la propagation de l'ESB. Tous les scientifiques sont formels sur le sujet ; très peu d'autres hypothèses ont été évoquées. Si l'on réfère à une règle que vous vous êtes appliquée à vous-même - l'opinion majoritaire des scientifiques vaut d'être entendue - vous autoriserez notre commission à la suivre.

M. Christian BABUSIAUX : Le problème des farines est clair, mais vous avez pu lire dans la presse que les mesures de sécurité sur les farines n'ont pas été respectées par des usines en Bavière. Bien sûr, il y a le problème des farines anglaises, mais il n'est pas exclu qu'il y ait eu des problèmes dans les importations venant d'autres pays au cours de la même période. Il faut en être conscient. Il n'existe aucune preuve que les mesures de sécurité pour la cuisson des farines aient parfaitement été respectées par l'ensemble des usines, y compris hors du Royaume-Uni. Il ne s'agit pas de sous-estimer le problème posé par les farines, A propos de ce que vous avez dit, permettez-moi de rappeler ceci : nous ne nous sommes pas contentés, dans notre démarche, de l'avis majoritaire des instances scientifiques, c'est bien ce que montre le fait que nous ayons posé des questions. Nous avons saisi les instances scientifiques : ce ne sont pas elles qui se sont prononcées, nous leur avons soumis les projets de textes. Comme le révèle l'affaire des engrais, nous avons, au nom du souci de précaution, respecté l'avis minoritaire. Cela doit inciter à beaucoup de réflexions, dans la mesure où toute l'histoire de la période montre qu'il ne suffit pas d'écouter les scientifiques majoritaires. La vérité peut se trouver du côté de scientifiques très minoritaires.

M. Claude GATIGNOL : Dans le cadre des contrôles des importations et de la qualité des produits importés, avez-vous eu à examiner l'importation des abats importés d'Angleterre ? ils sont passés de 350 tonnes en 1986 à 8 500 tonnes quelques années plus tard. Avez-vous eu à contrôler ces matières destinées à la consommation humaine, puis, ultérieurement, leurs déchets recyclés ?

Avez-vous été amené à vérifier la traçabilité, la composition et l'origine des matières grasses animales incorporées dans l'aliment des jeunes bovins - le suif ou autres produits issus d'abattoirs ou de boucheries - qui pourraient être le vecteur de contamination.

M. Christian BABUSIAUX : Nous avons certainement contrôlé les abats, mais je ne puis vous garantir la date à partir de laquelle nous y avons procédé. En 1996, nous nous sommes interrogé sur les pierres à lécher. Nous avons recherché la présence de graisses animales provenant de Grande-Bretagne. Nous avons procédé à des recherches ; nous avons constaté que tel n'était pas le cas. Pour les abats je ne suis pas en mesure de vous répondre maintenant.

M. Claude GATIGNOL : Qu'en est-il pour les laits reconstitués et les granulés ?

M. Christian BABUSIAUX : Le problème des lactoremplaceurs a fait l'objet d'une interdiction postérieure.

M. Pierre HELLIER : L'avis majoritaire des scientifiques est souvent capital, mais il faut être modeste et se souvenir qu'à l'apparition du sida, certains ont défendu avec vigueur l'idée que le sang n'était pas contaminant.

M. Christian BABUSIAUX : L'un des problèmes de l'affaire de la vache folle réside dans l'incertitude, considérablement plus forte que dans l'affaire du sang contaminé. Aujourd'hui encore, on ignore la dose infectante. Ce problème est notamment important pour les produits transformés. Par exemple, les raviolis importés contiennent de la viande. Nous avons posé la question de la dose à partir de laquelle il pouvait y avoir infectiosité. Cette question est restée sans réponse.

M. le Rapporteur : À partir de 1988, quels étaient vos interlocuteurs directs sur la question des matériaux à risques ? Ont-ils évolué avec le temps ?

M. Christian BABUSIAUX : Nous avons connu des configurations ministérielles différentes. A certaines périodes il y a eu un secrétaire d'État chargé de la consommation auprès du ministre de l'Économie. De 1987 à juin 1988, ce fut Jean Arthuis ; l'époque n'est pas concernée. Ensuite, le secrétaire d'État à la consommation, Véronique Neiertz, fut l'interlocutrice des services. Bien entendu, Pierre Bérégovoy, ministre de l'Économie, avait autorité sur nous, mais, autant il suivait les problèmes de concurrence, autant les questions de consommations étaient, de par le décret de compétence, largement dévolues au secrétaire d'État. Nous étions, par ailleurs, à la disposition du ministre de l'Agriculture qui, parfois, nous demandait un certain nombre de contrôles, cela n'a pas été le cas en matière d'ESB mais en d'autres domaines. D'ailleurs, en 1988 et en 1989, le ministre de l'Agriculture me conviait aux réunions des directeurs du ministère. Mais je ne crois pas que le problème de la vache folle y ait été évoqué.

Nous étions toujours à la disposition du ministre de l'Agriculture. En revanche, du côté de l'Économie, c'est-à-dire de notre rattachement principal, en général il y a eu des secrétaires d'État ou des ministres délégués : Véronique Neiertz, François Doubin, à nouveau Véronique Neiertz jusqu'en 1993, puis Hervé Gaymard en 1995 et ensuite Yves Galland. Dans la période 1993-1995, il n'y a pas eu de secrétaire d'État. Edmond Alphandéry et son cabinet avaient autorité sur la direction générale.

Avec le temps, le problème prenait une acuité croissante et était de plus en plus porté à la connaissance des ministres. Yves Galland pourrait le confirmer : le premier problème dont je lui ai parlé fut l'ESB. Il l'a d'ailleurs rappelé lors de la réception donnée pour mon départ en mars 1997. Il a précisé que le problème lui avait paru étonnant. Voilà les interlocuteurs. Il est clair que le ministre de l'Économie a eu à se soucier en direct du problème surtout à partir de la crise de 1996.

Le ministre de l'Économie avait aussi autorité sur la Douane, sauf dans la période mi 92-mi 95 où les ministères de l'Économie et du Budget étaient distincts.

M. le Président : Vous dites que vous étiez conviés aux réunions de directeurs du ministère de l'Agriculture.

M. Christian BABUSIAUX : Je n'ai été invité aux réunions des directeurs que jusqu'en 1989. Ce n'était pas quelque chose qui allait de soi, puisque je n'étais pas sous l'autorité du ministère de l'Agriculture, mais à sa disposition, comme à celle du ministre de l'Industrie. Les fraudes avaient un caractère interministériel. Bien entendu, nous avions des contacts avec le cabinet du ministre de l'Agriculture, mais limités puisque les contacts se font toujours de cabinet à cabinet, et d'administration à administration.

Je n'ai pas de souvenir qu'avant 1996 le Cabinet de l'Agriculture nous ait demandé de participer à des réunions ou qu'il m'ait appelé sur le sujet de la vache folle, par exemple pour me demander des contrôles, ce qu'il a fait sur d'autres sujets.

Tout transitait par la Direction générale de l'alimentation (DGAL). En effet, la DGAL était en première ligne, notamment dans les comités vétérinaires à Bruxelles. Elle était, par définition, le truchement entre le ministère de l'Agriculture et la DGCCRF ; je puis dire qu'il en allait de même pour la direction générale de la santé et le ministre de la Santé.

La DGAL pilotait, parce que c'est elle qui a la charge des textes. De même, au niveau des contrôles, tout ce qui est animal ou d'origine animale relève de la DGAL. Nous avons pris une instruction conjointe en 1992 avec Jean-François Gutmann, qui était le directeur général de l'alimentation, pour montrer notre esprit commun. Nous avions écrit que nous prendrions notre charge du contrôle de l'alimentation animale. De la même manière, nous avons, avec le même Jean-François Gutmann, procédé à des réunions conjointes en province et avec Jean-François Girard, directeur général de la santé, pour inciter nos directeurs régionaux à travailler ensemble. Nous voulions montrer physiquement, par la présence des trois directeurs généraux, que nous travaillions de concert sur un ensemble de sujets.

M Pierre HELLIER : Quand ont eu lieu les premières procédures d'alerte sur l'ESB ? Quand avez-vous fait remonter les impressions acquises sur le terrain ?

M. Christian BABUSIAUX : Nous avons commencé à parler avec les vétérinaires de ce sujet certainement dès 1989, même si nous n'avons pas été associés à l'avis aux importateurs, ni à la préparation, ni à la sortie de ce texte. Je me souviens que, dès cette époque, il y eut des discussions. Dans l'état d'incertitude qui prévalait alors, beaucoup de contacts, y compris entre les collaborateurs des directeurs généraux, servaient à comprendre ce qui se passait. Un signal d'alerte est intervenu à partir de 1990 et surtout 1991, quand nous avons sollicité l'avis des instances scientifiques placées auprès de nous, comme la Cedap - la première consultée, car nous assurions son secrétariat. Nous n'avions pas le secrétariat du Conseil supérieur de l'hygiène, la direction générale de la santé l'assurant. Nous avons saisi le Cedap qui nous a conseillé l'interdiction des produits d'origine animale dans les petits pots pour bébé, les compléments alimentaires et les compléments diététiques. Nous avons transmis l'avis au ministère de la Santé afin qu'il saisisse le Conseil supérieur de l'hygiène. De la même manière, nous avons saisi la Commission des toxiques au ministère de l'Agriculture. Voilà des informations très précises dont vous trouverez trace dans les documents de l'époque.

M. le Rapporteur : Entreteniez-vous des relations avec le ministère de la Recherche ? En ce domaine encore, nous avons probablement perdu beaucoup de temps, notamment en matière de connaissance sur le prion.

M. Christian BABUSIAUX : À l'époque, il n'existait pas de ligne sur le budget recherche pour financer des recherches sur l'aliment. Nous avons tenu une réunion sur ce sujet avec Jean-François Gutmann, directeur général de l'alimentation, Jean-François Girard, directeur général de la santé et le directeur général de la recherche pour évoquer la question générale de l'insuffisance de la recherche et de l'expertise en matière d'alimentation, qui d'ailleurs subsiste aujourd'hui. Dans un relevé de conclusions adopté le 30 novembre 2000, le Conseil national de l'alimentation que je préside a signalé les points extrêmement importants qui demeuraient à engager en matière de recherche sur l'ESB, y compris sur l'épidémiologie. Il y a un sous-dimensionnement de la recherche, quels que soient les mérites des chercheurs.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE,
directrice générale de l'alimentation

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

Mme Catherine Geslain-Lanéelle est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Catherine Geslain-Lanéelle prête serment.

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à Mme Catherine Geslain-Lanéelle, directrice générale de l'alimentation (DGAL) depuis le 1er août 2000. Dans les fonctions que vous exercez aujourd'hui mais aussi dans celles que vous avez exercées, vous jouez un rôle capital pour édicter, pour faire respecter avec d'autres la réglementation relative à la santé animale et à l'hygiène des aliments ainsi que pour veiller à la loyauté des transactions commerciales à l'information des consommateurs. C'est également votre Direction qui assure la tutelle de l'AFSSA. Nous reviendrons probablement sur les conditions dans lesquelles l'AFSSA rend publics ses avis, ce qui concourt à la transparence, mais aussi à un certain affolement de l'opinion.

A la suite des auditions que nous avons eues précédemment, il nous est apparu que les éleveurs ne pouvaient pas toujours connaître la composition des aliments qu'ils donnaient à leurs animaux, faute parfois d'une réglementation adaptée et harmonisée. Il a pu se produire que des aliments contenant des farines animales aient été donnés aux bovins avant comme après l'interdiction de 1990, faute d'un étiquetage approprié. On abordera aussi les difficultés matérielles d'exercice des contrôles, dont il faudrait tirer les leçons. Il nous a semblé également que, pendant longtemps, la DGAL était seule à exercer des compétences dans le domaine de l'alimentation humaine. D'ailleurs, nous vous interrogerons sans doute aussi sur la coordination des services relevant de ministères différents et sur la manière dont les farines animales sont triées et traitées aujourd'hui dans le cadre de leur élimination. Nous avons déjà auditionné plusieurs personnes à ce sujet et nous souhaitons vraiment être éclairés sur ce point, de même que sur le rôle que vous avez joué dans la sélection du test de dépistage de l'ESB.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Je voulais vous indiquer brièvement quelle a été l'action de la direction générale de l'alimentation en matière de lutte et de protection de la santé des consommateurs à partir de l'année 2000 jusqu'à ce jour, ouvrir quelques perspectives et, au préalable, vous rappeler qu'en effet la direction générale de l'alimentation est une direction du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, chargée de veiller à la qualité et à la sécurité des denrées alimentaires. Elle est aussi chargée de veiller à la santé et à la protection des animaux, ainsi qu'à celles des végétaux.

Pour ce faire, elle dispose de deux échelons : un échelon central, la direction générale de l'alimentation, qui compte un peu moins de deux cents agents, et un ensemble d'échelons territoriaux, les services vétérinaires départementaux, un par département, et les services régionaux de la protection des végétaux, qui sont des services des directions régionales de l'Agriculture et de la Forêt.

Nous sommes bien évidemment chargés de mettre en _uvre, au côté des autres départements ministériels, la politique et la réglementation dans les domaines que je viens d'énumérer, ainsi que les contrôles qui permettent de s'assurer que cette réglementation est bien respectée.

Je vous exposerai dans un premier temps les principes qui guident l'action des pouvoirs publics, en particulier, ceux de la direction générale de l'alimentation dans le domaine de l'ESB. Comme vous le savez, l'ESB est une maladie animale qui est susceptible de se transmettre à l'homme. Deux principes guident donc notre action : d'une part, nous devons adapter en permanence la réglementation à l'évolution des connaissances scientifiques et à l'évaluation des risques faite par les organismes qui en ont la charge, en particulier l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) mais aussi le Comité interministériel Dormont créé en 1996 ; d'autre part, nous devons vérifier la bonne application de cette réglementation, nous assurer qu'elle est bien comprise par l'ensemble des acteurs professionnels et des services chargés de l'appliquer sur le terrain.

Nous devons la faire évoluer non simplement au regard de l'évolution des connaissances scientifiques, mais aussi au regard des conditions dans lesquelles elle est appliquée : lorsqu'elle est trop compliquée et mal comprise, il est de notre devoir de la faire évoluer. Pour remplir ces deux objectifs, nous avons une méthode de travail assez simple. Elle consiste à entretenir une relation fréquente et un dialogue très régulier avec l'AFSSA, qui procède à l'évaluation des risques en la matière et à développer un travail interministériel très important avec, en particulier, le ministère de l'Economie et des Finances (la DGCCRF), et celui de la Santé (la DGS). Ce dialogue et ce travail se font à tous les niveaux, avec mes collaborateurs au sein d'un comité de pilotage qui se réunit très régulièrement, mais aussi entre les trois directeurs généraux. En cas de désaccord, nous sommes amenés à saisir les services du Premier ministre pour que les arbitrages soient rendus.

Notre méthode de travail nous amène aussi à maintenir des contacts réguliers avec nos services sur le terrain pour nous assurer que la réglementation est contrôlée correctement. Au-delà des notes de services que nous leur adressons, nous faisons un point régulier avec eux soit au coup par coup, lorsqu'ils ont des difficultés soit, de façon plus générale, en organisant des séminaires et des réunions pour nous assurer que la réglementation ne rencontre pas de difficultés de mise en _uvre.

Enfin, nous essayons de travailler au mieux dans le cadre européen. L'harmonisation européenne a progressé lentement, sauf au cours des derniers mois où elle a marqué des progrès considérables, mais il est important de ne pas oublier que nous sommes dans un marché unique et que, autant que faire ce peut, il nous faut être en phase avec la réglementation européenne.

Au cours des dix à douze derniers mois, sur la base des principes et des objectifs que je viens d'exposer, nous avons engagé un certain nombre d'actions visant à renforcer la protection des consommateurs contre cette maladie. La première de ces initiatives date du mois de juin, où nous avons lancé un programme de recherches avec l'appui scientifique de l'AFSSA pour aider à la mise en _uvre de tests de diagnostics rapides sur des animaux qualifiés à risque, c'est-à-dire des animaux accidentés, des cadavres ou des animaux malades, et à une meilleure connaissance de la maladie, pour nous assurer que nous avions bien mis en _uvre les mesures nécessaires à la protection du consommateur. Il s'agit clairement d'un programme de recherches qui a un objectif de protection de la santé publique. Ce programme est en cours. Nous avons d'ores et déjà réalisé plus de 40 000 prélèvements sur ces animaux à risque. Nous en avons tiré des premières conclusions, notamment au moment du bilan intermédiaire réalisé au mois de novembre. Celui-ci nous a incités à retirer de la chaîne alimentaire les animaux accidentés, parce qu'ils présentaient une incidence plus élevée de la maladie que les autres catégories d'animaux, cette incidence s'élevant à 4 0/00, alors que les faits montrent aujourd'hui que, pour les animaux entrant à l'abattoir, cette incidence est très nettement inférieure. Ces animaux ont donc été retirés de la chaîne alimentaire, c'est-à-dire que leurs carcasses et tous les coproduits qui en sont issus n'entrent plus ni dans l'alimentation des hommes ni dans celle des animaux. Lorsque nous disposerons des résultats définitifs de ce programme de recherche, nous serons peut-être conduits à mettre en _uvre d'autres mesures. Je pense en particulier aux éléments d'information scientifique qui pourraient s'en dégager sur ce qu'on appelle la politique d'abattage sélectif ou d'abattage total des troupeaux. Vous le savez, la France a décidé depuis de nombreuses années de l'abattage total du troupeau dans lequel on a trouvé un cas d'ESB. Cette politique a été arrêtée sur la base des connaissances scientifiques de l'époque et le programme de recherches actuel pourra sans doute nous donner des éléments intéressants en la matière, parce qu'il a étudié ce qui se passait chez les animaux qui appartiennent à la même cohorte d'âge que l'animal atteint d'ESB. Nous devrions disposer de ces résultats au mois de juin de cette année.

Le deuxième type de mesures que nous avons été amenés à prendre depuis l'été dernier est la mise à jour de la liste des matériaux à risque spécifiés, c'est-à-dire ces tissus et ces organes susceptibles de transmettre la maladie en contenant du prion. Après avoir retiré de la chaîne alimentaire l'iléon, qui est une partie des intestins, il a été décidé de retirer également l'ensemble des intestins des bovins, quel que soit leur âge, parce qu'il nous est apparu que la mesure de sélection sur l'âge des animaux était une mesure difficile à vérifier et à contrôler. Nous avons également décidé de retirer de la chaîne alimentaire la rate et les thymus des animaux, quel que soit leur âge.

Enfin, à plusieurs reprises au cours des derniers mois, nous avons réaffirmé à nos services de contrôle l'importance de la mesure de retrait des matériaux à risque spécifiés. A cette fin, nous nous sommes adressés à eux à plusieurs reprises et avons eu un dialogue avec eux sur l'importance de la mise en _uvre de cette mesure dans les abattoirs. Comme vous le savez, nous sommes chargés d'une inspection permanente en abattoir et il est important que nos agents s'assurent en permanence que ce retrait des matériaux à risque spécifiés est bien effectué.

Enfin, je ne serais pas complète dans mon exposé si je n'indiquais pas que le dernier trimestre de l'année 2000 a été marqué par une crise de grande ampleur dont les opérateurs économiques subissent encore les conséquences ; une crise d'une ampleur comparable à celle de 1996 au moment où le gouvernement britannique avait annoncé la possibilité de transmission de la maladie à l'homme. Cette crise résulte de la conjonction de divers éléments. Il a eu, bien sûr, l'augmentation du nombre de cas d'ESB dans notre pays, en raison de la mise en _uvre du programme de recherches qui a permis de détecter la maladie chez des animaux qui étaient en phase de d'incubation, donc, quelques mois avant que les premiers signes cliniques apparaissent. Mais aussi notre système d'épidémiosurveillance dite clinique, c'est-à-dire la vigilance qui repose sur celle des éleveurs et des vétérinaires sur le terrain, a permis de détecter plus d'animaux en 2000 qu'elle ne l'avait fait en 1998 et 1999.

Cette crise a aussi été liée, me semble-t-il, à ce que l'on a appelé l'affaire SOVIBA, à la détection d'un animal à l'entrée d'un abattoir qui présentait les signes cliniques de la maladie. Il est apparu aux consommateurs que des animaux malades pouvaient entrer dans la chaîne alimentaire. Je voudrais cependant rappeler à cette occasion que notre dispositif n'a pas mal fonctionné puisque l'inspection ante mortem, c'est-à-dire avant l'abattage des animaux, a permis de détecter cet animal et d'éviter qu'il n'entre dans la chaîne alimentaire.

Enfin, la succession des nouvelles mesures, notamment le retrait des intestins, de la rate et du thymus, a contribué, c'est un constat, à renforcer l'inquiétude des consommateurs, qui n'a d'ailleurs pas totalement disparu, il n'est que de voir le niveau de la consommation de viande bovine dans notre pays aujourd'hui encore. Cette crise de confiance et cette chute drastique de la consommation a conduit le Gouvernement à prendre une mesure forte de suspension de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation de l'ensemble des animaux. C'est une mesure qui reposait certes sur des éléments de caractère sanitaire et, en particulier, sur la difficulté qu'il y a à s'assurer que les espèces pour lesquelles ces farines animales étaient interdites n'entraient plus par accident ou par négligence dans l'alimentation de ces animaux - c'est ce que l'on appelle les contaminations croisées. L'AFSSA a été saisie de ce sujet et sera amenée à rendre un avis qui devrait nous indiquer si elle confirme ou pas cette inquiétude du gestionnaire du risque.

Mais il faut convenir que cette mesure a été prise aussi pour des raisons liées à l'opinion publique, qui considère que ces farines animales ne devraient plus entrer dans l'alimentation des animaux et qu'un certain nombre d'animaux herbivores ont été rendus en quelque sorte carnivores contre leur gré.

J'indiquais tout à l'heure combien il était important d'essayer de travailler dans un cadre réglementaire européen, surtout pour nous qui avons la charge de veiller au respect de la réglementation, donc, au contrôle. Dans un marché unique, il est important de s'assurer que les mesures que nous prenons s'inscrivent dans un cadre communautaire. La crise que nous avons connue au cours des derniers mois a été une crise communautaire. Elle a dépassé nos frontières et a été accentuée par le fait que certains pays de l'Union européenne, je pense en particulier à l'Allemagne et à l'Espagne, ont détecté des cas d'ESB alors qu'ils se déclaraient depuis de nombreuses années indemnes de cette maladie. La crise européenne a permis à l'harmonisation de la réglementation européenne de progresser de manière considérable. Une position commune a été adoptée pour un règlement sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles, qui nous permet de disposer d'un texte regroupant l'ensemble des bases juridiques permettant de prendre, au plan communautaire, toutes les mesures à la fois de police sanitaire, de retrait des matériaux à risque spécifiés et de surveillance du cheptel permettant de lutter contre cette maladie.

Cette crise a aussi conduit à ce que la décision française de suspension de l'utilisation des farines animales soit une décision maintenant européenne, décision prise pour six mois. Elle a permis, faut-il le rappeler, alors que la liste des matériaux à risque spécifiés n'est entrée en vigueur qu'au mois d'octobre de l'année 2000 dans la plupart des pays de l'Union européenne, d'allonger cette liste et d'y ajouter, comme le souhaitait la France, les intestins. L'Union européenne n'est pas allée jusqu'à y ajouter la rate et le thymus, créant ainsi une différence entre les listes européenne et française qui pose des difficultés au regard du contrôle de l'utilisation de ces produits dans l'alimentation.

Sur le plan européen, nous avons, en quelque sorte, étendu la mesure française de surveillance des cheptels aux animaux à risque. Un programme de surveillance sur les cadavres et les animaux malades a été décidé. Il prendra effet dans l'ensemble des pays de l'Union européenne au cours des prochaines semaines et permettra de disposer d'informations très intéressantes sur la situation épidémiologique réelle d'un certain nombre de pays de l'Union européenne qui se déclaraient indemnes ou très faiblement touchés par cette maladie.

Enfin, comme vous l'avez évoqué tout à l'heure, M. le Président, a été prise la décision européenne de mettre en place à compter du 1er janvier 2001 un dépistage systématique au moyen des tests rapides des animaux entrant dans la chaîne alimentaire dès lors qu'ils ont plus de trente mois. Je fais référence aux tests rapides utilisés dans les abattoirs de notre pays et de certains autres pays de l'Union européenne. Nous aurons, peut-être, le temps de revenir sur ce sujet. Je terminerai en vous indiquant ce qui est en cours.

Je l'ai dit tout à l'heure nous prenons des mesures au fur et à mesure de l'évolution des connaissances. Nous en avons pris récemment et serons amenés à poursuivre ce travail dans les semaines qui viennent. Nous avons à travailler sur la question des os de la colonne vertébrale. Il existe, vous le savez, un avis des experts scientifiques du comité Dormont et plus récemment de l'AFSSA, qui indiquent que ces os peuvent présenter un risque. Il est important qu'ils n'arrivent pas jusqu'aux consommateurs et n'entrent pas dans la fabrication de produits destinés à l'alimentation.

Nous avons été amenés à interdire le T-bone steak à la fin de l'année ainsi que l'utilisation des os de la colonne vertébrale pour la fabrication de viandes séparées mécaniquement. C'était d'ailleurs une pratique qui ne se faisait plus mais nous avons confirmé son interdiction pour plus de sûreté par une réglementation. Et nous allons, dans les tout prochains jours, faire retirer de la fabrication des gélatines, qu'elles soient destinées à l'alimentation humaine ou animale, les os de la colonne vertébrale. Nous allons devoir organiser aussi un programme de collecte et de destruction de ces os, qui demandera quelques semaines car c'est un dispositif assez lourd à mettre en place. Ces os ont été reconnus matériaux à risque spécifiés par une décision communautaire et il nous appartient de veiller à ce qu'ils ne puissent pas se retrouver n'importe où en décharge. Il convient qu'ils soient incinérés et détruits de manière appropriée comme tout matériau à risque spécifié.

Enfin, nous prendrons de nouvelles mesures concernant les graisses de ruminants, non pas que nous ayons des inquiétudes à leur sujet, mais parce que ces graisses peuvent, à plusieurs étapes de leur production, être contaminées par des esquilles d'os soit au moment du processus d'abattage, soit au moment de la découpe. Nous allons imposer des conditions de tri, de filtration et de traitement de ces graisses pour l'alimentation humaine mais aussi animale, afin de réduire encore le risque d'exposition des populations à l'ESB.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais parler du test Prionics. Il serait bon que vous nous précisiez ce qui a motivé le choix de ce test. On parlait de plus grande sensibilité des uns, d'une réaction plus rapide des autres. Où en est-on ? Y a-t-il d'autres pistes ? J'ai lu récemment des articles qui parlent de tests ante mortem, notamment chez les Allemands. Pouvez-vous nous apporter des éléments concernant ces tests ?

Vous avez parlé du retrait des animaux accidentés. J'ai bien entendu votre explication, mais elle ne me convainc pas totalement, tout d'abord parce que l'indemnisation des animaux accidentés est nettement insuffisante et, ensuite, parce qu'il me semble que l'on pourrait peut-être distinguer plusieurs catégories d'animaux accidentés. J'aimerais que l'on m'explique pourquoi un animal blessé par un accident de vêlage est voué à la destruction. Je dois vous dire que les éleveurs ont du mal à le comprendre.

Nous nous posons également la question de savoir si l'abattage systématique du troupeau est réellement utile. Nous comprenons bien que le principe de précaution soit de rigueur aujourd'hui, puisque nous ne sortirons de cette crise qu'en retrouvant la confiance du consommateur. L'abattage systématique du troupeau a pu nous paraître à certains moments une hérésie, d'autant que d'autres pratiques sont suivies dans d'autres pays.

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire s'il existe aujourd'hui des farines animales autorisées ? Si oui, pour quels usages ? Enfin, quelle analyse faites-vous de certaines déclarations sur le passage possible de l'agent ESB aux ovins et aux caprins ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : S'agissant du choix du test, il est important de distinguer le choix qui avait été opéré au moment du programme de recherche de celui qui a été opéré au moment du programme de dépistage systématique sur les bovins de plus de trente mois. Lorsque le programme de recherches a été mis en _uvre, il y a eu une procédure d'appel d'offre et trois tests s'étaient présentés : le test Prionics, qui est suisse, le test Bio-Rad, qui résulte des travaux du CEA, et le test Enfer, qui est irlandais. Les trois tests ont été sélectionnés par un comité de pilotage qui réunissait les trois départements ministériels concernés - agriculture, économie et finances et santé - mais aussi des experts scientifiques, en particulier ceux de l'AFSSA.

Deux types de critères avaient été pris en compte dans la sélection : d'une part, les qualités intrinsèques du test : la fiabilité, la sensibilité, la spécificité du test, sur lesquelles de toute évidence les tests Bio-Rad et Prionics présentaient les qualités requises. D'autre part, une autre série de critères concernant des aspects pratiques liés à l'utilisation, notamment touchant à la mise en place d'un service après-vente correct, à l'assistance technique, à la facilité d'utilisation de ces tests car, je vous le rappelle, il s'agissait de les mettre en _uvre à une échelle relativement importante - plus de 40 000 tests. Il convenait donc que ces tests soient faciles d'usage. C'est sur cette deuxième série de critères que le test Prionics avait été retenu, et le test Bio-Rad avait été écarté.

En outre, lorsque nous avons mis en pratique le dépistage rapide en abattoir nous avons considéré que nous avions une expérience de terrain d'utilisation à grande échelle du test Prionics et qu'il nous semblait important de le retenir dans le cas du dépistage systématique. Néanmoins, il nous semblait également que, compte tenu des qualités relatives à la sensibilité du test Bio-Rad, il nous appartenait de ne pas l'exclure et de faire l'expérimentation à grande échelle avant même d'avoir eu une validation définitive de ce test dans le cadre de notre programme de recherches. Cette validation sera faite de toute façon, puisque nous allons démarrer en mai un protocole scientifique avec l'AFSSA, qui visera à comparer les tests Prionics et Bio-Rad avec les tests de référence.

Nous allons réaliser cette validation mais, sans attendre, nous avons jugé que ce qui nous était dit et les publications scientifiques qui faisaient état d'une grande sensibilité de ce test méritaient que nous ne l'écartions pas. C'est ainsi que nous avons agréé dès le mois de janvier un certain nombre de laboratoires pour le test Bio-Rad. L'expérience française avec le test Prionics nous a conduit à agréer plus de laboratoires Prionics que de laboratoires Bio-Rad, mais simplement parce que les laboratoires étaient plus habitués à travailler avec ce test. Cette situation est en train d'évoluer.

Je signale au passage qu'il est très important de veiller à ce que le dispositif que nous avons mis en place pour ce dépistage systématique inspire toute confiance. Il était important d'avoir une pleine confiance dans les tests retenus, mais aussi dans la capacité des laboratoires à travailler correctement. C'est la raison pour laquelle nous avons été amenés à agréer les laboratoires sur la base d'un certain nombre de critères techniques, d'assurances de qualité, donc, de qualifications et de compétences mais aussi d'indépendance de ces laboratoires vis-à-vis des outils d'abattage.

M. le Rapporteur : Le rythme des tests aujourd'hui est-il toujours le même ? Combien de tests sont réalisés par semaine ? Est-ce une bonne chose que nous n'entendions plus les médias nous annoncer de nouveaux cas d'ESB ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Les tests se poursuivent normalement. Nous comptons maintenant presque une cinquantaine de laboratoires agréés. Nous avons atteint à la mi-février 2001 près de 38 000 tests par semaine, ce qui représentait le niveau de la consommation de bovins de plus de trente mois en France. Ce niveau a baissé pour des raisons bien compréhensibles, liées à la situation de notre pays au regard de la fièvre aphteuse, puisque les mesures que nous avons prises ont restreint considérablement les mouvements d'animaux. Même si nous avons permis que les animaux puissent aller directement à l'abattoir, les systèmes de collecte et de négoce, l'organisation de rassemblement d'animaux ayant été perturbés, il y a moins d'animaux abattus. Aussi, la semaine dernière, n'ont été réalisés que 32 000 tests.

Vous avez évoqué le test ante mortem sur lequel existent des travaux de recherches. A ma connaissance, ce test, qui serait bien utile car il permettrait de renforcer encore notre capacité à surveiller le cheptel et de détecter le plus tôt possible les animaux en phase d'incubation de la maladie, ne devrait pas pouvoir être utilisé avant un an. Ce sont les informations dont je dispose. Bien évidemment, dès que ce test sera disponible et dès lors qu'il présentera les garanties nécessaires, nous y aurons recours. Il ne faut se priver d'aucun outil même si la mesure de protection du consommateur la plus importante en matière d'ESST est le retrait des matériaux à risque spécifiés, que ce soit pour l'ESB ou pour la tremblante ovine, même si nous n'avons pas à ce jour d'éléments tendant à prouver que cette tremblante ovine soit transmissible à l'homme. Les tests apportent un instrument supplémentaire dans la surveillance du cheptel et renforcent notre capacité à détecter les animaux malades ou en phase d'incubation le plus tôt possible.

Vous avez ensuite évoqué le retrait des animaux accidentés. Nous avons pris cette mesure dans l'urgence, lorsque nous avons pris connaissance des résultats intermédiaires du programme de recherches conduit avec l'aide de l'AFSSA. Les 15 000 premiers tests qui avaient été réalisés sur des bovins de plus de vingt-quatre mois montraient, en effet, une incidence de 4 0/00 dans cette population. Aujourd'hui, dans le cadre du dépistage en abattoir, nous avons détecté dix cas après avoir testé plus de 350 000 animaux. L'incidence est donc bien plus faible. Nous avons donc été amenés à prendre cette mesure dans l'urgence, au mois de novembre 2000, parce que nous étions dans une période particulièrement troublée et qu'il nous a semblé qu'il convenait de réagir immédiatement à cette nouvelle information scientifique. Je conviens que cette mesure a été prise pour l'ensemble des animaux quel que soit leur âge, alors que le résultat du programme de recherches ne portait que sur ces animaux âgés de plus de vingt-quatre mois.

Les éléments dont nous disposions montraient, et nous avons eu le temps de le vérifier, que ce ne sont pas les animaux atteints qui avaient connu un accident de vêlage, ce qui est assez fréquent pour les races allaitantes, qui présentaient une incidence plus élevée de la maladie, mais plutôt des animaux accidentés sur l'exploitation, au cours du transport ou en arrivant à l'abattoir. Ces accidents étant généralement dus au fait que ces animaux présentaient, en réalité, les tout premiers signes cliniques de la maladie ou, plus exactement, commenceraient à présenter des troubles de la locomotion, ce qui conduit à une fréquence plus élevée des accidents. Cette mesure a été très critiquée par les éleveurs qui ont considéré que l'on ne faisait aucune différence entre les accidents, qu'elle s'appliquait à l'ensemble des animaux quel que soit leur âge et que, de plus, la mesure d'indemnisation n'était pas suffisante. Nous allons réexaminer cette mesure à la lumière des résultats définitifs du programme de recherche, qui devrait apporter des informations plus fines sur l'âge des animaux et sur le type d'accidents. De plus, nous n'excluons pas de revaloriser le niveau de l'indemnisation pour rendre cette mesure plus acceptable par les éleveurs.

En revanche, il me paraît important de maintenir une mesure de retrait de la chaîne alimentaire pour certaines catégories d'animaux accidentés dont le programme de recherches a fait la preuve qu'ils étaient des animaux chez lesquels il y avait une incidence plus forte de l'ESB.

M. le Rapporteur : Vous n'envisagez pas que la viande puisse être auto-consommée par les producteurs eux-mêmes sous certaines conditions ? Ils disent que si elle ne peut entrer dans la chaîne alimentaire, ils pourraient peut-être l'utiliser pour leur propre consommation.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Je pense que nous ne pouvons pas, même si la viande ne porte pas le prion et est saine, prendre des mesures différentes pour un agriculteur et pour le reste de la population. Tous les consommateurs doivent être traités de la même manière.

Vous avez évoqué la question de l'abattage total. Je voudrais simplement indiquer que nous aurons au mois de juin les résultats d'un protocole très important, qui s'appelle le « protocole troupeau » que nous avons mis en _uvre dans le programme de recherches. Il a étudié les cohortes d'âge des animaux atteints d'ESB, c'est-à-dire les animaux nés dix-huit à vingt-quatre mois avant la date de naissance de l'animal malade. Grâce à ce protocole, nous allons disposer des informations nous permettant de savoir si ces animaux présentent un risque supérieur ou comparable à celui de l'animal atteint d'ESB et si, dans ces conditions et compte tenu de cet élément mais aussi de l'évolution de notre réglementation et, en particulier, de la mise en _uvre systématique d'un dépistage systématique en abattoir sur les bovins de plus de trente mois, il est possible de desserrer la contrainte.

Nous ne desserrerons la contrainte que si nous avons la certitude que cela n'affaiblit pas le niveau de protection du consommateur. C'est pourquoi il faut parvenir à faire comprendre que nous ne pouvons pas desserrer la contrainte si nous n'avons pas de garantie, fondée sur les informations scientifiques qui nous sont données, du fait que l'on n'affaiblit pas le niveau de protection du consommateur.

Vous m'avez demandé dans l'alimentation de quels animaux les farines animales continuaient d'être utilisées. Les farines animales ou, plus exactement, les farines de volailles et de porcs sont autorisées dans l'alimentation des animaux de compagnie, sous certaines conditions, puisque nous avons souhaité que les usines, le transport, les conteneurs soient dédiés.

Les farines de poissons sont autorisées dans l'alimentation des poissons. Dans le cadre communautaire, puisqu'il s'agit maintenant d'une réglementation communautaire, ces farines de poissons pourraient être autorisées dans l'alimentation d'animaux de compagnie. Ce sont les seules autorisations dans le cadre de l'alimentation des animaux.

Ensuite, il existe des utilisations dites techniques des farines animales qu'il ne m'appartient pas de commenter. Elles peuvent être utilisées à des fins non alimentaires. Il existe encore la possibilité d'utiliser les farines animales dans la composition de certaines matières fertilisantes. J'ai été amené à prendre une série de mesures sur le sujet. J'ai proposé que soit suspendue cette utilisation dans l'attente d'une évaluation des risques liés à l'environnement, car il semble que cette évaluation n'a pas encore été faite. Nous avons donc saisi le Comité Dormont sur cette question et, dans l'attente de cet avis scientifique, l'utilisation de ces produits devrait être suspendue dans les prochains jours par la voie d'un arrêté interministériel conjoint des ministres de l'Agriculture et de l'Economie et des Finances.

Enfin, vous avez évoqué la question du passage éventuel de l'ESB aux ovins qui ne sont, à ce jour et compte tenu des informations scientifiques dont on dispose, sujets qu'à la tremblante ovine qui est aussi une ESST mais qui n'est pas une ESB ovine. Depuis 1996, une série de mesures a été prise dans cette hypothèse, même si ce fait n'était avéré par aucun élément scientifique. Nous avons renforcé notre système d'épidémiosurveillance. Cela nous a permis de détecter plus de cas de tremblante qu'en 1996. Nous avons pris également des mesures de retrait de matériaux à risque spécifiés pour les espèces ovines et caprines : retrait du crâne y compris la cervelle et les yeux, pour les ovins et les caprins de plus de douze mois, ainsi que pour les ovins et les caprins nés ou élevés au Royaume-Uni quel que soit leur âge. Nous retirons aussi les amygdales pour les ovins et caprins de plus de douze mois, ainsi que la moelle épinière et la rate pour ces animaux sans distinction d'âge. Ces mesures concernent tous les animaux présentés à l'abattoir. Pour ceux qui sont atteints de tremblante ou qui sont marqués dans le dispositif de surveillance de la tremblante, nous retirons la tête entière, la moelle épinière, les viscères thoraciques et les viscères abdominaux. Telles sont les mesures actuelles.

Dès juillet de l'année dernière, nous avons été amenés à demander à nouveau à l'AFSSA de procéder à une réévaluation des MRS pour les ovins, car il convenait de tenir compte le cas échéant de nouveaux éléments scientifiques. L'avis rendu dans le courant du mois de février 2001 résulte de ce travail initié plusieurs mois auparavant. Cette recommandation de gestion du risque conduit à considérer que, même en l'absence de nouvelles données scientifiques sur la transmission de l'ESB aux ovins et aux caprins, il convient de prendre des mesures de précaution supplémentaire à la fois pour élargir les catégories d'animaux auxquelles s'applique le retrait d'un certain nombre de viscères lorsqu'un cas de tremblante est déclaré dans le troupeau, et retirer, pour tous les animaux présentés à l'abattoir à partir de six mois, un certain nombre de tissus et d'organes. Je pense en particulier aux intestins dont l'AFSSA recommande le retrait.

Nous avons étudié ces mesures et nous avons l'intention de saisir à nouveau l'AFSSA sur la question des intestins, car il nous semble qu'un certain nombre de données scientifiques et techniques n'ont pas été prises en compte par l'AFSSA dans son avis. Nous aimerions savoir si ces nouvelles données peuvent faire évoluer l'AFSSA dans son évaluation du risque. Nous envisageons de renforcer la surveillance de la tremblante ovine, de rallonger la liste des MRS, en particulier d'abaisser l'âge des animaux concernés par ce retrait des MRS et nous examinons, comme je viens de vous le dire, la question des intestins.

M. Germain GENGENWIN : Vous avez parlé de la réglementation européenne. Hier, nous avons auditionné l'ancien directeur de la DGCGRF, M. Babusiaux, qui nous disait que son service préconisait dès 1993 l'interdiction des farines animales. Quel est l'état des relations avec les autres ministères sur le plan de la recherche sur le prion ? Y met-on plus de sérieux aujourd'hui qu'en 1993 ou 1996 quand on ignorait peut-être l'impact sur la maladie humaine ?

Je souhaiterai savoir s'il est nécessaire aujourd'hui de continuer l'abattage systématique à la fois pour un cas d'ESB et pour un cas de fièvre aphteuse. Nous savons tous que la fête musulmane entraîne une forte consommation d'ovins le même jour et depuis longtemps ; le ministre répondant à une question posée au Gouvernement disait encore hier devant l'Assemblée que toutes les précautions n'avaient pas été prises. On sait les difficultés de nos amis anglais et nous ne savons pas d'où viennent tous les moutons pour cette période. Ma question plus générale est de savoir si les ministères prennent bien toutes les mesures au plan sanitaire et qu'à l'avenir toute cette période d'abattage de moutons - qui est une période très importante car, nous le savons, beaucoup d'éleveurs ne font leur élevage que pour ce jour-là - soit organisée avec un minimum d'organisation sanitaire.

M. le Président : Les propos de M. Gengenwin touchent au c_ur d'un sujet récurrent, que nous avons vu apparaître dès le début des travaux de notre commission d'enquête, qui est celui des moyens de contrôles des dispositions réglementaires prises en matière de sécurité sanitaire dans un pays. Vous avez évoqué avec un optimisme qui pourrait être discuté l'harmonisation qui s'est opérée entre les différents pays. C'est un sujet qui ne date pas d'aujourd'hui et qui reste une préoccupation constante. Vous avez rappelé d'ailleurs qu'il était encore compliqué par le fait que nous sommes sur un marché unique. Des responsables administratifs nous ont dit combien il était difficile, voire par certains aspects, impossible de contrôler. Cela pose une question essentielle, qui est de savoir comment un Etat peut restaurer la confiance des consommateurs en prenant des mesures légitimes et des avis sanitaires s'il ne peut assurer leur contrôle ?

De même, il est inacceptable pour les éleveurs, auxquels on impose des prescriptions sanitaires, de voir circuler des marchandises au sein d'un marché unique venant de pays dans lesquels ces prescriptions ne sont pas imposées. J'aimerais vraiment que, sur cette question qui prolonge celle de M. Gengenwin, vous nous répondiez précisément pour savoir quelles leçons ont été tirées de ces constatations.

Depuis 1990, nous avons pris des mesures de précaution parfois avec du retard. Nous sommes dans un marché unique économique mais nous avons le sentiment de ne pas être dans un marché unique de transmission d'informations. On se rend compte en 1988 qu'une maladie identifiée comme présentant un risque sanitaire clairement démontré faisait l'objet d'articles de presse, qu'il a fallu attendre pratiquement deux avant que des mesures de protection contre ce risque clairement identifié en Angleterre soient prises en France, et trois à quatre ans avant d'avoir des mesures harmonisées au plan européen. Il a fallu attendre fin 2000 pour que des pays informés depuis 1997 par la Commission européenne des risques d'ESB, puisqu'une classification du Comité scientifique européen transmise à la Commission, les classait comme pays à haut risque, prennent enfin des mesures.

Le contrôle et l'harmonisation sont les aspects essentiels du problème devant lequel nous sommes placés. Comment faire coïncider l'exigence de sécurité sanitaire avec l'exigence du marché unique quand tous les pays ne sont pas sur la même longueur d'onde ? Y aurait-il deux types de consommateurs ? Dernier point : comment s'assurer que ce qui entre chez nous a fait l'objet d'un contrôle de l'application des règles sanitaires ? Êtes-vous aujourd'hui en mesure de nous certifier que toutes les viandes de b_uf de plus de trente mois importées d'Etats membres de l'Union européenne ou de pays tiers sont testées ? Pouvez-vous nous l'affirmer devant cette commission d'enquête ? Cette une question nous est posée en permanence. Si oui, quels éléments vous permettent de l'affirmer ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Les questions sont lourdes et importantes. S'agissant des moyens de contrôle, on vous a dit qu'il était parfois impossible de contrôler. Il faut faire attention à ce que l'on dit, il n'est pas impossible de contrôler. Il faut veiller à ce que les réglementations que l'on édicte soient des réglementations aussi faciles à contrôler que possible, en rapport avec les moyens de contrôle dont on dispose. J'indiquais dans mon exposé liminaire qu'il est à la fois très important de faire évoluer la réglementation en fonction des connaissances scientifiques, mais aussi en fonction des retours d'informations dont nous disposons sur la manière dont les contrôles se passent et les résultats de ces contrôles, pour la simplifier afin de la rendre plus efficace. Pour revenir à la question précise de l'ESB, nous avons été amenés à prendre un certain nombre de nouvelles mesures. A cette occasion, nous avons bénéficié de moyens supplémentaires. Je me réfère en particulier à la mise en place de l'inspection ante mortem, pour laquelle nous avons bénéficié de près de 250 équivalents temps plein, puisque nous avions indiqué à l'époque qu'imposer cette obligation sans accorder de moyens supplémentaires était vain.

De même, le Premier ministre a annoncé à la fin de l'année dernière 300 emplois supplémentaires pour les services vétérinaires afin de renforcer les contrôles dans le domaine de l'ESB. Ces nouveaux agents arrivent sur le terrain dès 2001 et nous en aurons aussi en 2002. Je crois en effet qu'il est important, au fur et à mesure que l'on renforce les dispositifs de contrôle, de s'assurer que l'on a bien en face les moyens de contrôle adaptés.

S'agissant du volet européen, nous sommes dans un marché unique fondé sur la confiance réciproque entre les services de contrôle des états membres. La réglementation communautaire est la même pour tout le monde a priori. Ensuite, chaque service de contrôle a la responsabilité de faire en sorte que les produits qui sont mis sur son marché et qui peuvent circuler librement sur le marché communautaire soient bien conformes à la réglementation. La responsabilité est vis-à-vis de son propre marché mais aussi vis-à-vis des autres marchés des états membres.

Puisque vous m'y invitez, je prendrai l'exemple des viandes. Vous me demandez si je suis assurée que n'entrent en France que des viandes de bovins de plus de trente mois qui ont été testées. Il y a deux manières de s'en assurer. Il faut, bien sûr, que chaque Etat membre s'assure que cette réglementation communautaire qui impose le test sur les bovins de plus de trente mois soit bien appliquée sur son territoire. Mes services s'en assurent, quelle que soit la destination des viandes.

Mais la confiance ne signifie pas l'absence de la vigilance. La vigilance est l'inspection de deuxième niveau mise en _uvre par l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV), qui fait partie des services de la Commission, qui viennent contrôler les contrôleurs des Etats membres et s'assurer qu'ils mettent bien en _uvre la réglementation communautaire et que leurs contrôles sont de qualité. Dès la fin de l'année dernière et au début de cette année, des contrôles ont été diligentés par l'OAV pour vérifier que la réglementation en matière d'ESB, y compris les tests, était correctement mise en _uvre par les services de contrôle des Etats membres.

M. le Président : Pouvez-vous nous dire aujourd'hui, vous qui êtes en charge de la sécurité de l'alimentation, si oui ou non, vous avez la certitude que les viandes qui arrivent ici d'animaux de plus de trente mois sont testées ? Sinon, il nous faudra saisir les autorités de l'OAV pour connaître les moyens techniques de contrainte et de sanction dont elle dispose.

M. Marcel ROGEMONT : La question que pose M. le Président est tout à fait importante. Sans doute existe-t-il des moyens relativement simples de contrôle, comme celui de savoir, par exemple, le nombre de tests consommés en Grèce, Italie, Espagne ou autre. Vous nous indiquiez tout à l'heure qu'en France 32 000 tests étaient pratiqués par semaine, parce qu'en gros, 32 000 bêtes de plus de trente mois étaient abattues. Peut-être disposez-vous d'informations de ce type sur les différents pays, dès lors que vous voulez être sûre que les animaux qui entrent dans notre pays pour y être consommés ont été testés ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Je vais répondre précisément à cette question. Actuellement, lorsqu'un Etat membre n'a pas la capacité de tester l'ensemble de ses bovins de plus de trente mois, ceux qui ne sont pas testés font l'objet d'une mesure de retrait-destruction avec une indemnisation communautaire. Nous savons très bien que certains Etats membres n'ont pas la capacité aujourd'hui de tester tous leurs animaux : ceux qu'ils peuvent tester sont expédiés à la consommation sur leur territoire ou sur le nôtre ; les autres vont au retrait-destruction.

Ce n'est pas en inspectant la carcasse d'un animal de plus de trente mois que je peux savoir si elle a été testée ou pas. Il existe une relation de confiance entre les différents services des Etats membres mais, je l'ai dit, confiance ne veut pas dire absence de vigilance et c'est le travail de la Commission de s'assurer que la réglementation communautaire est bien mise en _uvre et que les services de contrôle, puisque ces tests sont mis sous leur responsabilité, ont bien effectué les vérifications qui leur incombent. Toujours sur le sujet européen, je pense en effet que, jusqu'en 1994, nous avons souffert d'une insuffisance d'harmonisation européenne en matière de lutte contre l'ESB.

M. le Président : J'aurais dû dire jusqu'en 2000, puisque les mesures de retrait des matériaux à risque, nous les avons prises en 1996, alors qu'elles n'ont été étendues à l'échelle communautaire qu'en novembre 2000. Ce qui est interdit chez nous peut-il entrer en provenance d'autres pays de l'Union européenne au nom du marché unique ? Il faudrait nous le préciser et nous expliquer comment y remédier. Le thymus, par exemple, qui est interdit chez nous, peut-il entrer sur notre territoire ? Nous sommes là au c_ur d'un problème majeur.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Sur le plan européen, je pense en effet que les premières mesures importantes de lutte contre l'ESB ont été prises à partir de 1994. Auparavant, le problème était perçu au plan européen comme étant plutôt circonscrit au Royaume-Uni. Progressivement, et en particulier à partir de 1994, des réglementations importantes ont été prises. Je fais référence notamment aux interdictions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des ruminants mais aussi à tout ce qui a été fait ensuite en matière de réglementation de l'utilisation des déchets animaux. Cette harmonisation européenne a progressé de manière considérable à partir de 1996, date à laquelle il a été indiqué par le Royaume-Uni que cette maladie était transmissible à l'homme. Il ne pouvait plus alors y avoir de doute sur la nécessité de lutter contre la maladie animale et de lutter contre la transmission de cette maladie à l'homme.

On peut regretter en effet, je l'ai dit tout à l'heure, que la liste des MRS n'ait pas été établie plus vite. Mais de nombreux pays de l'Union européenne se considéraient comme totalement indemnes de cette maladie et pensaient qu'il s'agissait d'un sujet pour les autres. Les derniers mois ont permis de constater que même ceux qui se croyaient indemnes - il ne s'agit d'instruire à charge ou de faire de polémique - ont pu constater que, malheureusement, ils n'étaient pas à l'abri. Je constate d'ailleurs que certains pays de l'Union européenne n'ont pas encore détecté dans le cadre du système de surveillance, c'est-à-dire vigilance des éleveurs et des vétérinaires, un seul cas d'ESB, alors que tous les cas qui sont détectés sont des animaux qui rentrent à l'abattoir. Il est bon de le signaler.

Sur les importations en provenance des pays tiers, à chaque fois que nous avons été amenés à prendre des mesures en particulier sur le retrait des MRS et, allais-je dire, en contradiction avec la réglementation communautaire, nous avons pris des mesures que nous qualifions de « mesures-miroirs », c'est-à-dire que nous avons interdit l'importation en provenance des pays tiers ou des autres pays de l'Union européenne des produits que nous interdisions sur notre territoire. Nous avions bien conscience que cela n'était pas simple pour nos services de contrôle et je ne prétendrai pas devant votre commission que nous avons l'assurance que jamais aucun de ces produits n'a pu entrer. Mais, à chaque fois, nous nous sommes efforcés de faire en sorte que ces mesures ne s'appliquent pas seulement à notre propre production mais s'adressent aussi aux produits importés.

Je voudrais répondre à la question qui m'a été posée sur la recherche. Il est difficile pour moi de le faire car je n'exerce pas ces fonctions depuis très longtemps et je n'ai pas la responsabilité de la recherche en général. Mais, bien évidemment, nous sommes intéressés par la progression des travaux sur les tests. Il est difficile de répondre à votre question sur le point de savoir si la recherche a été suffisante. On peut cependant dire que la recherche en France sur les maladies à prions a été l'une des plus à la pointe et les plus importantes au plan mondial. Nos experts sont reconnus internationalement et il y a eu une accentuation de l'effort de recherche dès 1996. Récemment, un groupement d'intérêt scientifique (G.I.S.) a été créé pour fédérer les efforts de recherche sur le prion et un triplement du budget consacré par la recherche publique à ces maladies a été consenti par le Gouvernement.

Je vais naturellement répondre aux questions sur la fièvre aphteuse, même si ce n'est pas le centre de nos préoccupations d'aujourd'hui. Je rappellerai tout d'abord que l'ESB et la fièvre aphteuse n'ont rien en commun. La fièvre aphteuse est une maladie animale connue depuis longtemps, pour laquelle les moyens de lutte sont connus, qui n'est pas, ou très rarement transmissible à l'homme et qui est bénigne pour l'homme lorsqu'elle est transmise. L'Europe a fait en 1991 le choix d'une politique de non-vaccination. Mais il existe dans le monde des pays qui vaccinent. Ce choix reposait sur la situation sanitaire de l'Union européenne, qui ne connaissait plus cette maladie depuis le début des années 80, qui avait réussi à endiguer les quelques foyers subsistants grâce à des moyens d'isolement et d'abattage. Il faut considérer que cette politique a porté ses fruits, qu'elle a fait ses preuves. Les mesures que nous mettons en _uvre aujourd'hui sont à la fois des mesures d'abattage lorsque les animaux sont malades, ainsi que des mesures d'abattage préventif, qui ont concerné plus de 45 000 animaux, notamment des animaux arrivés sur notre territoire pour la fête du sacrifice.

Cet abattage est parfois mal vécu, notamment parce que les images de ces animaux morts et de ces bûchers sont mal perçues par l'opinion publique. Il ne m'appartient pas de polémiquer sur le sujet, mais même si ces images sont fortes, pour le moment ces mesures d'abattage préventif ont porté leur fruit et nous ont évité de nous trouver dans la situation du Royaume-Uni, qui a déjà dû abattre plus de 400 000 animaux. Il conviendra le moment venu, une fois sortis de cette situation de crise, de tirer les leçons et de voir si les aspects sanitaires et économiques, mais aussi ceux d'acceptabilité sociale nous conduisent à reconsidérer le choix politique que nous avons fait de ne pas vacciner. Pour l'instant, en tout cas, il nous faut nous en tenir à la ligne de conduite que nous avons arrêtée, qui, pour le moment ne nous a pas trop desservis.

S'agissant de la fête à laquelle vous faites référence, les conditions d'abattage des animaux peuvent parfois poser des problèmes sanitaires. Nous sommes très prudents quant à ces conditions au moment de l'organisation de cette fête. Nous essayons autant que possible de limiter le nombre de sites dits « dérogataires », puisque ces animaux ne sont pas toujours abattus dans des abattoirs.

J'indique que nous travaillons en relation très étroite avec le ministère de l'Intérieur à l'organisation de ces fêtes qui ne posent pas que des problèmes sanitaires. Il y a aussi la nécessité de respecter une tradition à laquelle sont attachés de nombreux musulmans et de faire en sorte que ces traditions se déroulent dans les meilleures conditions, notamment sanitaires, pour les populations qui vont ensuite consommer ces produits. Il est important, y compris lorsque ces abattages se produisent sur des sites « dérogataires », qu'il soit procédé au retrait des matériaux à risque spécifiés dans des conditions correctes.

Par ailleurs, j'indique qu'au plan européen, une initiative a été prise récemment, qui a conduit la Commission à proposer au Conseil de l'Union européenne la création d'une Autorité alimentaire européenne qui serait chargée de l'évaluation du risque. Sans dire que c'est la solution qui répondra à tous nos problèmes, je pense que cet organisme peut être une structure utile à une meilleure lisibilité de la politique européenne dans le domaine de l'alimentation et à un renforcement de la protection de la santé publique communautaire.

M. Patrick LEMASLE : Les discussions à l'heure actuelle me laissent l'impression que tous les moyens sont mobilisés sur la crise bovine ou ovine en raison de l'ESB ou de la fièvre aphteuse. Cela touche des filières souvent d'excellence, des filières d'élevage extensif. Mais je voudrais connaître les travaux que vous menez ou les surveillances que vous exercez par rapport aux problèmes que peuvent engendrer les animaux à vie courte, qui sont de plus en plus consommés et qui sont issus d'élevages plus intensifs de l'aviculture ou du porc, sachant que ces animaux sont forts consommateurs de farines. Ils subissent des traitements systématiques aux antibiotiques, par exemple. On nous explique que ces animaux présentaient peu de risque en ce qui concerne l'ESB, étant donné que leur durée de vie ne permettait pas l'incubation de la maladie, mais en est-on sûr ?

Concernant la santé publique, ne pensez-vous pas qu'il vaudrait mieux parler aujourd'hui de la recrudescence de la tuberculose, qui est plus préoccupante que la fièvre aphteuse ? Pouvez-vous nous faire le point sur la situation au niveau du territoire ? Ne pensez-vous pas que c'est là un véritable problème de santé publique ?

Les végétaux relèvent également de votre compétence. Ne doit-on pas s'interroger sur ces végétaux qui ont subi des épandages de matières fertilisantes issues de farines animales ? Disposez-vous de moyens de surveillance des végétaux ? Ne pensez-vous pas qu'il est un peu irrationnel de se focaliser sur certaines productions animales ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : S'agissant des porcs et des volailles, il n'a jamais été mis en évidence d'ESB ou de maladie à prions chez ces espèces. La mesure d'interdiction des farines animales dans l'alimentation de ces animaux était une mesure qui visait plutôt à éviter les contaminations croisées dans les élevages ou dans les filières d'alimentation animale et pas du tout à protéger les porcs ou les volailles de cette maladie à laquelle ils ne sont manifestement pas sensibles. Vous avez raison de dire qu'il faut être vigilant. Sur ce point, les travaux de recherche peuvent permettre d'exercer cette vigilance.

Vous évoquez ensuite un sujet délicat, celui de la nécessité de hiérarchiser les risques et de faire attention à ce que, trop préoccupés de l'ESB dans les filières bovines, on ne laisse de côté d'autres questions qui concernent la sécurité des aliments et peuvent parfois provoquer plus de dégâts que l'ESB elle-même dont la forme humaine a touché en France trois personnes. Vous avez évoqué quelques maladies animales. Il est en effet important de rester vigilants, sur la tuberculose par exemple. Nous continuons à procéder à des abattages totaux des cheptels qui sont touchés par cette maladie. En matière de tuberculose, la mise en place de notre système post mortem à l'entrée des abattoirs permet aussi de détecter les animaux malades et d'éviter qu'ils n'entrent dans la chaîne alimentaire. Vous avez que c'est une maladie transmissible à l'homme, il s'agit donc d'un risque réel.

Sur la question de l'inspection post mortem, puisque les signes en sont observés sur les carcasses et non pas sur les animaux vivants, il nous appartient, même si l'ESB présente un risque de transmission à l'homme, de continuer à maintenir notre vigilance sur les autres sujets que vous avez évoqués, pour ne pas passer à côté du risque sanitaire réel que sont toutes les contaminations microbiennes et les maladies animales, les zoonoses auxquelles vous faisiez référence, susceptibles d'être transmises à l'homme.

S'agissant des farines animales et des végétaux, je vous ai dit les travaux que nous avions engagés. Des mesures seront prises. Dans les jours qui viennent, un arrêté doit suspendre leur utilisation dans l'attente d'une évaluation du risque. Nous verrons alors si les conditions posées pour leur utilisation dans les matières fertilisantes sont suffisantes pour prévenir tout risque de contamination éventuel, notamment les conditions de traitement appliquées à ces farines animales.

M. Patrick LEMASLE : Je voudrais savoir quel est le temps consacré aux autres questions que celles de l'ESB et de la fièvre aphteuse à l'heure actuelle par vos services.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Je n'ai pas calculé ce temps, car nous sommes « sur le pont » depuis le mois d'octobre, d'abord pour l'ESB, puis pour la fièvre aphteuse. Mais je conviens que nos services sur le terrain et au niveau central sont extrêmement mobilisés sur ces deux problèmes et qu'en effet, notre inquiétude est de méconnaître d'autres sujets. J'ai personnellement cette inquiétude.

M. Marcel ROGEMONT : Je reviens sur les rapports entre l'Europe et la France pour être sûr de bien comprendre. Qui dit marché unique dit règle unique. S'il n'y a pas règle unique, il y a conflit entre deux règles. Laquelle l'emporte alors ? Au cours de plusieurs de nos auditions, nous avons eu l'impression, peut-être à tort, que, légitimement, en France, on appliquait les règles françaises parce qu'il y avait une crise. Mais légalement c'était le cas ?

Je pourrais prendre l'exemple des farines animales mais reprenons plutôt celui de la rate et du thymus dont vous parliez tout à l'heure. En France, nous en avons interdit l'utilisation, mais qu'est-ce qui empêcherait très concrètement un abatteur de prendre les rates et les thymus et d'aller les vendre en Allemagne où elles sont autorisées ? Si vous lui interdisez, le jeu de la libre concurrence est touché. C'est une entrave au commerce par des mesures de caractère sanitaire qui ne sont pas européennes mais franco-françaises. En fait, la question que je pose est de savoir où on en est dans tout cela ? Vous avez compris ma question : je voudrais savoir si on se trouve dans le légitime ou dans le légal quand on édicte des lois françaises qui sont applicables en France et pas en Europe. Au bout d'un moment, on ne comprend plus. Quand certains achetaient des farines et les faisaient circuler en France, ils disaient : « C'est le marché unique, on applique la règle unique ! »

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Vous avez soulevé un point important qui est la difficulté de cette harmonisation européenne. Celle-ci s'est faite progressivement et nous avons été amenés à prendre en France des mesures avant qu'elles ne soient prises au plan européen et en contradiction avec la réglementation européenne. Il ne s'agit pas de se vanter ou de critiquer qui que ce soit, mais de constater. Cela a conduit à des conflits, « pacifiques » bien entendu, puisque nous sommes dans un espace démocratique, de droit, et certains de ces conflits sont actuellement devant la Cour de justice des Communautés européennes. Je pense en particulier à la levée de l'embargo britannique.

Récemment encore, lorsque la liste des matériaux à risque ne contenait pas les intestins, les relations ont été très tendues avec la Commission européenne, qui considérait que la France n'avait pas à prendre cette mesure, puisque les experts scientifiques européens considéraient que les intestins ne présentaient pas de risque. Les faits nous ont donné raison sur ce point, mais nos listes de MRS diffèrent encore sur la rate et le thymus.

La situation est difficile et complexe. Vous dites que vous ne vous y retrouvez pas. Il nous est difficile de prendre ces réglementations que nous savons pertinemment être contraires au droit communautaire. Pour autant, cela doit-il nous interdire de les prendre ? Il y a là une évaluation à porter entre ce qui est le plus important au regard de la protection de la santé publique, qui nous a conduit parfois à nous mettre en situation de non-conformité avec le droit communautaire.

M. le Président : Quelles en sont les conséquences ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Les opérateurs peuvent nous attaquer en justice sur de telles mesures. Nous le savons, nos réglementations sont fragiles. Sur la question du thymus - la rate non, parce qu'il n'y a pas de véritable valorisation économique la concernant - notre position est fragile, puisque cet organe ne se retrouve pas dans la liste européenne. Dans d'autres pays de l'Union européenne, on peut consommer ces thymus. Or, nous les avons classés parmi les matériaux à risque spécifiés. Nous ne pouvons pas les exporter depuis la France, puisqu'ils entrent dans cette classification ; ils ne peuvent pas, de ce fait, sortir des abattoirs où nous effectuons une inspection permanente. Ils sont donc collectés avec l'ensemble des MRS, dénaturés puis envoyés à la destruction et à l'incinération dans un circuit spécial, dans le cadre de ce que l'on appelle le service public d'équarrissage. Il est donc impossible à un opérateur de valoriser cet abat, sauf situation éventuelle de fraude. Mais nos services de contrôle sont précisément là pour s'assurer du bon respect de cette règle. Nous avons pris une mesure qui interdit le thymus à l'exportation.

M. Marcel ROGEMONT : Je poursuis ma question. Vous dites que les mesures françaises fondées sur une réglementation européenne étaient des mesures prises en matière de politique de santé publique. Dois-je comprendre que c'est plus le discours que la réalité, c'est-à-dire qu'avec des mesures que l'on prend en France de façon singulière par rapport à l'Europe, on marque un décalage de caractère politique ? J'en reviens au thymus ; vous dites qu'il est interdit en France. Je me mets dans le cas, qui ne peut se produire en France puisque l'administration est suffisamment forte et puissante pour que ce cas ne se produise pas, d'un abatteur disposant de thymus : je les prends et je vais les vendre en Allemagne. Je suppose qu'un tas de choses vont entraver cette possibilité. Mais imaginons que l'abatteur que je suis va jusqu'au bout de la logique européenne : « Il y a des règles françaises mais je vais jusqu'au bout des règles européennes ». Que se passe-t-il ?

On applique les réglementations françaises parce que l'on est conscient collectivement des problèmes, mais notre réglementation a-t-elle une réalité objective ou n'a-t-elle qu'une durée de vie qui s'étend jusqu'à ce que la Cour de justice des communautés européennes ait statué ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Pour conserver l'exemple du thymus, qui est classé MRS en France mais pas dans la liste de l'Union européenne, il est clair que nous avons mis en place un dispositif pour nous assurer du respect de cette mesure. Bien évidemment, cette mesure peut faire l'objet d'un recours. Je n'ai pas caché la fragilité juridique de notre dispositif. Par ailleurs, nous nous sommes dotés des moyens de contrôle pour nous assurer de la mise en _uvre de cette réglementation. Cependant, nous ne pouvons pas exclure qu'à l'importation de certains produits, il soit difficile de contrôler qu'ils ne contiennent pas de thymus. Je ne vais donc pas vous dire que ce dispositif est systématiquement bien appliqué à 100 %, compte tenu du fait qu'à nos portes, un certain nombre de pays n'ont pas considéré que les thymus étaient des matériaux à risque spécifiés. La réponse n'est pas totalement satisfaisante. Pour autant, cela doit-il nous conduire à ne pas classer le thymus dans les MRS ?

M. Roger LESTAS : Puisque vous avez bien voulu déborder sur la fièvre aphteuse, j'en profite pour lui poser une question à ce propos. Le premier cas détecté était sur ma circonscription. J'étais un partisan de la vaccination contre la fièvre aphteuse, puisque j'avais repris en 1955 une exploitation qui avait eu la fièvre aphteuse en 1952. En 1953, mon prédécesseur avait vacciné tout son troupeau et, en 1956, pendant une nouvelle épidémie de fièvre aphteuse, j'avais pu constater que les animaux vaccinés en 1953 avaient échappé à la fièvre aphteuse. Après cela, je suis devenu un militant de la vaccination obligatoire et j'avais réussi à faire passer cela dans ma commune. Puis, j'ai présidé pendant vingt ans aux destinées du groupement sanitaire de la Mayenne et j'ai été fort surpris d'apprendre en 1990 que l'on nous demandait d'arrêter. Bien que chaud partisan du maintien de la vaccination, je me suis plié aux directives européennes qui nous demandaient de l'arrêter. Nous avons passé une quarantaine d'années sans voir réapparaître cette maladie, si ce n'est en 1974 sur des porcs.

Avons-nous vécu depuis une dizaine d'année sur l'immunité vaccinale ? Des scientifiques se sont-ils penchés sur la possibilité de soigner cette maladie par des médicaments ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Il existe en effet deux types de lutte contre la fièvre aphteuse. L'une est une politique de vaccination préventive à laquelle vous faites référence, qui avait été mise en _uvre en France mais ne concernait que les bovins. Les animaux des autres espèces sensibles, ovins et porcins, ne faisaient pas l'objet de cette vaccination et n'étaient pas protégés contre cette maladie. L'autre type de lutte, ce sont les mesures que je rappelais tout à l'heure : détection de signes cliniques, abattage des animaux malades, isolement des exploitations, réduction des mouvements et, naturellement, abattage préventif. Ces deux types de stratégie présentent leurs inconvénients et leurs avantages.

Pour être efficace, il me semble que la politique de vaccination préventive nécessite qu'on la mette en _uvre de manière généralisée, sur l'ensemble des animaux puisque, si certains animaux sont protégés et d'autres non, je n'en vois pas bien l'intérêt. On peut alors se retrouver dans une situation comparable à celle que connaît aujourd'hui le Royaume-Uni. Elle doit également être renouvelée, répétée, puisque l'immunité diminue assez rapidement et oblige à une revaccination tous les quatre à six mois. C'est donc une action lourde et coûteuse. Enfin, elle ne protège pas totalement, puisqu'il convient d'être vacciné contre la bonne souche, même s'il existe maintenant des vaccins multisouches. En outre, en l'état actuel des connaissances scientifiques, les vaccins ne sont pas marqués et ne permettent pas de différencier un animal vacciné d'un animal qui aurait rencontré la maladie.

L'autre politique, celle que nous mettons en _uvre présente des inconvénients comme vous le disiez. Nous sommes en quelque sorte en « état de guerre » contre la maladie, puisqu'il faut aller plus vite que le virus. La vaccination d'urgence, je le précise, n'est pas un outil exclu dans le cadre de la politique de prévention et de lutte contre cette maladie. La politique européenne le prévoit et, si nous nous trouvions confrontés à une situation de développement des foyers, nous pourrions être amenés à mettre en _uvre dans certaines circonstances une vaccination dite d'urgence en anneau, qui permettrait de protéger les animaux extérieurs à cet anneau, lorsqu'on n'arrive plus à abattre suffisamment vite, pour éviter de se retrouver dans une situation identique à celle vécue en ce moment par le Royaume-Uni.

Il ne s'agit pas d'un dogme définitif. Les politiques doivent évoluer, mais pas forcément pendant les crises. Il faudra le moment venu tirer les leçons. Aujourd'hui, il faut « garder le cap », c'est-à-dire appliquer les décisions que nous avons prises au début des années 90 et poursuivre notre politique de prévention. Mais je crois aussi qu'après la crise, il faudra avoir le courage de réexaminer tout cela en fonction de la situation sanitaire que nous avons connue, des problèmes économiques mais aussi peut-être de l'acceptabilité sociale de ces abattages préventifs.

M. Joseph PARRENIN : Est-il exact que des farines animales à l'état pur ont pu être commercialisées dans les années 90 ? On me dit que, dans ma région, on a vu des agriculteurs se faire livrer de la farine animale pure, c'est-à-dire pas de la farine animale incorporée dans les aliments pour les bovins jusqu'en 1990 et pour les porcins et la volaille après, mais de la farine animale pure. A-t-on pu vérifier ce que les agriculteurs ont acheté en direct ?

Sur la fièvre aphteuse, je rejoins la position de notre collègue qui vient de s'exprimer. En consultant des historiens, on apprend beaucoup sur l'évolution de cette maladie. Je m'inquiète que l'on ait abandonné la vaccination. J'ai toujours été un peu hésitant sur ce choix mais je me demande tout de même, et je vous interroge à ce sujet, si à une époque où les animaux et les denrées circulent bien plus qu'il y a vingt ou trente ans, l'on ne court pas plus de risques en abandonnant les vaccinations que l'on en courait alors. J'ai consulté un vétérinaire dont la thèse portait sur la fièvre aphteuse. Est-il vrai que le virus a pu être transporté par des denrées alimentaires, c'est-à-dire par du mort, alors que ce vétérinaire m'affirme que le virus ne peut être véhiculé que par du vivant ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Concernant les farines animales, il existe en effet des agriculteurs qui fabriquent eux-mêmes leurs aliments partir d'un certain nombre d'ingrédients, parce qu'ils utilisent une partie des produits qu'ils ont sur l'exploitation et achètent à leur coopérative les ingrédients qui leur manquent pour fabriquer eux-mêmes leurs aliments composés. Lorsqu'elles étaient autorisées, les farines animales faisaient partie des ingrédients qui pouvaient être commercialisés pour que les agriculteurs fabriquent eux-mêmes leurs aliments composés.

S'agissant de la fièvre aphteuse, je ne reviendrais pas sur ce qui a été dit, les mouvements d'animaux sont très importants. Je crois que cela fait partie des éléments que nous devrons prendre en compte au moment venu, lorsque nous tirerons les leçons de cette crise.

Je voudrais vous confirmer que le virus de la fièvre aphteuse peut être transporté par des denrées d'origine animale, des produits laitiers ou des produits carnés. C'est la raison pour laquelle lorsqu'un pays est touché par cette maladie, les mesures qui sont prises à son égard concernent à la fois l'interdiction de mouvement des animaux des espèces sensibles, mais aussi tous les produits laitiers ou carnés qui n'ont pas fait l'objet d'un traitement permettant l'inactivation du virus de la fièvre aphteuse, non pas pour des raisons de santé publique mais parce que, par ces denrées, la maladie peut être transportée et transmise à d'autres animaux. La preuve en est que l'épizootie qui sévit au Royaume-Uni est probablement liée à cette origine-là, c'est-à-dire qu'il s'agirait d'aliments qui étaient contaminés en provenance d'un certain nombre de pays dans le monde, affectés de manière endémique par la fièvre aphteuse et qui auraient contaminé le cheptel britannique.

M. Marcel ROGEMONT : Pensez-vous que la Grande-Bretagne disposait à l'époque et dispose aujourd'hui d'un ensemble réglementaire satisfaisant sur le plan sanitaire pour lutter contre l'ESB.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Les événements et le rapport de la Commission Phillips ont montré qu'il y avait un certain nombre de défaillances, et d'absences de prises en compte d'un certain nombre de prescriptions qui auraient permis d'éviter la diffusion de cette maladie au cheptel bovin et sa transmission à l'homme. Je crois qu'aujourd'hui le, Royaume-Uni a tiré les leçons de cette situation. Tout d'abord, un certain nombre de mesures communautaires ont été prises à son encontre. Ont été incorporées dans sa réglementation toutes les mesures liées au retrait des MRS, à l'interdiction d'exporter certains produits, à l'abattage et à la destruction des animaux de plus de trente mois et conduisent à penser que, sur ce front, des progrès considérables ont été faits.

M. le Président : Je souhaiterais poursuivre la question que j'ai posée précédemment, à laquelle j'ai le sentiment de ne pas avoir obtenu une réponse suffisamment complète. Nous parlions du conflit que l'on avait pu observer entre les mesures édictées au plan national et celles qui sont prises dans un ensemble qui est un marché unique. Une exigence de sécurité alimentaire dans notre pays vous a amenée à prendre une série de mesures qui n'étaient pas prises ailleurs. Vous avez bien précisé le cadre de vos prérogatives : vous n'allez pas, vous-même, enquêter dans d'autres pays sur les conditions de contrôle. Pour autant, avez-vous saisi ou allez-vous saisir la Commission européenne pour lui demander quelle est l'application des mesures dans les Etats membres ?

C'est un sujet qui, légitimement, émeut l'opinion et sur lequel les agriculteurs s'interrogent ; les services de contrôle bénéficient d'ailleurs du concours spontané, apprécié ou non, dans le cadre de manifestations, puisque les agriculteurs s'invitent à aller eux-mêmes vérifier les origines, avec, parfois, quelques surprises. Je souhaiterais que vous nous disiez si vous avez saisi ou si vous avez l'intention de saisir la Commission sur ces sujets car il existe aussi une exigence de sécurité et de transparence.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Je ferai une réponse en deux parties. La première concerne le fait que nous procédons à des contrôles sur les produits importés qui ne sont pas des contrôles systématiques. Depuis le 1er janvier 1993, nous avons un marché unique dans lequel les denrées circulent librement ; le contrôle aux frontières entre les pays de l'Union européenne n'est plus systématique, mais nous procédons tout de même à des contrôles. La deuxième est que la Commission s'est déjà emparée du sujet de la réglementation de lutte contre l'ESB. Je n'ai donc pas à la saisir puisque, dès le mois de décembre, elle a organisé des inspections dans tous les pays de l'Union européenne visant à vérifier comment les Etats membres appliquaient la réglementation européenne en matière d'ESB, tant sur les aspects de surveillance des élevages que sur les aspects liés au retrait des MRS en abattoirs.

Ces rapports seront très prochainement rendus publics, la Commission ayant une tradition de transparence pour ce type de rapports. J'ai eu hier le projet de rapport concernant l'application de cette réglementation en France. Vous aurez là une source d'informations intéressante sur ce qui se passe à la fois en France et dans les autres pays de l'Union.

M. le Président : Concernant les contrôles dans les abattoirs, pour tout ce qui a trait à la découpe, qui est aussi un sujet très sensible eu égard aux matériaux à risque et au système nerveux, êtes-vous en mesure de nous assurer que les abattoirs sont en mesure d'appliquer totalement la réglementation en vigueur ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Comme vous le savez, il y a en abattoir une inspection permanente par des agents des services vétérinaires qui contrôlent et pratiquent l'inspection post mortem avant l'estampillage de la carcasse.

M. le Président : Et au moment de la découpe ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : C'est autre chose. Dans les ateliers de découpe, il n'y a pas d'inspection permanente. Mais pour les abattoirs il existe une inspection permanente des agents des services vétérinaires qui consiste à vérifier que la carcasse est propre à la consommation humaine et, en particulier, que le retrait des MRS a été correctement effectué. Ce n'est qu'à l'issue de cette vérification que la carcasse est estampillée. Nous sommes amenés à adresser régulièrement des notes de service et des instructions pour rappeler à nos services en abattoir l'importance de mesures telles que le retrait des MRS. Je veux aussi vous indiquer que, régulièrement, des carcasses sont saisies parce qu'elles ne sont pas reconnues propre à la consommation humaine.

M. Pierre HELLIER : L'aspiration de la moelle se pratique-t-elle partout ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Je vais répondre sur ce point, mais je voulais auparavant indiquer que nous sommes en train de réfléchir à la mise en place d'un dispositif d'inspection de deuxième niveau, qui ne serait pas une inspection communautaire, mais française, et qui permettrait de s'assurer des conditions correctes et homogènes dans lesquelles cette inspection en abattoir est réalisée sur l'ensemble du territoire. Il me semble que c'est un dispositif qui fait défaut dans notre système actuel et qui pourrait nous permettre à la fois d'être mieux tenus informés des mesures prises par nos agents qui sont en permanence dans les abattoirs et de nous assurer que la réglementation est appliquée de façon homogène sur l'ensemble du territoire.

Nous avons aussi pris une série de mesures s'agissant du retrait des MRS. Excusez-moi d'insister sur ce point, mais nous avons élaboré un guide à l'attention des professionnels, puisque ce retrait des MRS n'est pas effectué par des agents de l'Etat mais par ceux de l'abattoir sous le contrôle des services vétérinaires. Nous avons défini dans un guide la manière optimale dont le retrait devait être réalisé. Vous évoquiez la question du retrait de la moelle épinière, qui est opérée après la fente de la carcasse. Actuellement, elle est réalisée manuellement dans la plupart des cas ou à l'aide d'un système d'aspiration. L'aspirateur est alors utilisé le long de la moelle épinière.

Des travaux de recherches ont été conduits sur le sujet et ont abouti à mettre en place un système d'aspiration de la moelle épinière avant d'effectuer la fente ce qui permet de renforcer la sécurité de l'opération - car je vous rappelle que la moelle épinière est un MRS, et, de ce fait susceptible de porter du prion -, à la fois pour éviter aux agents qui pratiquent cette opération la manipulation de ce MRS, ainsi que les éventuelles erreurs qui pourraient intervenir au cours de ce retrait. Plusieurs abattoirs recourent maintenant en France à ce dispositif d'aspiration avant la fente de la carcasse. Mon collaborateur M. Kerveillant a eu l'occasion de se rendre sur le terrain pour le constater. Nous allons inciter les professionnels à généraliser cette opération, puisqu'il s'agit d'un système qui n'est pas trop coûteux et qui nous permettra de faire des progrès.

M. le Président : Inciter ou rendre obligatoire ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Dans un premier temps, nous pourrions les y inciter et, à partir d'une certaine date, rendre le dispositif obligatoire, dès lors que la disponibilité de cet équipement au plan industriel sera suffisante, car il faut veiller à ce qu'il soit possible pour les abattoirs de l'acheter avant de le rendre obligatoire.

M. Patrick LEMASLE : Le problème que l'on rencontre en abattoir, c'est que l'on utilise une tronçonneuse pour le découpage au niveau de la colonne vertébrale. Vous parlez d'aspiration de la moelle épinière mais, vous le disiez, tous les abattoirs n'ont pas cet équipement d'aspiration et même pour ceux qui l'ont, il y a toujours le risque d'éclaboussures lors du tronçonnage. N'y aurait-il pas intérêt à changer d'outil après chaque animal et désinfecter chaque outil parce que le risque, tous les professionnels le disent, c'est que le même outil étant utilisé pour plusieurs animaux, il suffit d'un seul animal à risque pour que tous les animaux découpés par cet appareil puissent être contaminés. N'y aurait-il pas intérêt à ce qu'il y ait un traitement des outils utilisés ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE : Nous avons traité de cette question dans une récente note de service et demandé qu'il y ait non pas une désinfection mais un nettoyage de la scie entre chaque fente de carcasse. C'est une procédure assez lourde à mettre en _uvre, mais nous avons pensé qu'il était important de le faire. Nous l'avons fait au moment de la mise en place des tests rapides en abattoir, parce que nous avons pensé qu'il y avait la connaissance du fait que certaines carcasses pouvaient- elles sont peu nombreuses, 10 sur 350 000 testées - provenir d'animaux malades. Le système d'aspiration constituera un progrès supplémentaire, dans la protection contre le risque de diffusion de morceaux de moelle épinière sur les carcasses.

M. le Président : Nous aurions pu évoquer bien d'autres sujets. L'un porte sur les communications de l'AFSSA, qui constituent un aspect de la gestion de la crise. Nous avons vu des communications successives, parfois dans le même mois, à un rythme rapide. Bien sûr, il faut de la transparence mais la communication régulière des scientifiques sans intervention de l'autorité publique responsable pose un problème. Il existe un délai de vingt-quatre heures entre la transmission d'un avis scientifique au ministre et sa publication. On peut comprendre l'exigence de transparence, mais l'on pourrait aussi utiliser ce laps de temps pour mettre sur pied une communication officielle, afin qu'une communication scientifique soit immédiatement assortie de l'annonce des mesures envisagées pour tenir compte des recommandations. À défaut, l'opinion est troublée.

La dernière affaire a été celle du résultat d'une recherche scientifique dont on avait eu connaissance quelques semaines plus tôt, à savoir l'injection d'un broyat de cerveau de bovin contaminé dans la cervelle d'un mouton. Nous avons vu les effets immédiats sur le marché d'une communication dont les contours, semble-t-il, auraient pu être mieux maîtrisés. Vous êtes l'autorité de tutelle ; avez-vous une réflexion sur ces problèmes de communication des scientifiques, qui, eux-mêmes disent qu'ils ne veulent pas jouer un rôle qui n'est pas le leur ?

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE. C'est un sujet très important. Il n'est bien évidemment pas question de revenir sur la transparence des avis scientifiques. L'opinion publique la souhaite. Il s'agit de mesures sur lesquelles on ne peut revenir. En revanche, il est possible d'améliorer la manière dont sont communiquées ces informations ou, plus exactement, il est important de pouvoir rapprocher autant que possible la recommandation ou l'avis scientifique de la décision de gestion du risque, afin d'éviter la confusion que l'on a pu observer au cours des derniers mois entre ce qui est un avis scientifique ou une recommandation de gestion du risque et la prise de décision d'une nouvelle mesure réglementaire. Il nous appartient de progresser sur le sujet. L'AFSSA est jeune, récente. Il convient de tirer les leçons de cette situation.

M. le Président : En tout cas, il y a un vide. La question est de savoir qui doit le combler.

Mme Catherine GESLAIN-LANEELLE. Ce sont des sujets difficiles et le gestionnaire du risque, dès lors qu'il est confronté à un avis scientifique qui ne lui dit pas qu'il y a un danger grave et immédiat, doit aussi pouvoir se donner le temps de la réflexion. Cela suppose sans doute aussi un travail pédagogique auprès de l'opinion publique, en expliquant qu'un avis scientifique évoquant un risque, sans que ce risque soit mesuré ou mesurable, nécessite un délai permettant à l'autorité publique de définir les mesures nécessaires. Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut veiller, autant que faire se peut, à ce que la décision de gestion du risque soit aussi proche que possible de l'avis scientifique.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Marie AYNAUD,
chargé de mission auprès de la direction scientifique
« animal et produits animaux » de l'INRA

(extrait du procès-verbal de la séance du 28 mars 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Jean-Marie Aynaud est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Marie Aynaud prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes chargé de mission auprès de la direction scientifique animale et produits animaux de l'INRA.

Durant la période 1988-1990, l'épizootie bovine en Grande-Bretagne était connue des pouvoirs publics et des chercheurs et des décisions en matière de recherche avaient été prises en Grande-Bretagne. Quel rôle avez-vous joué à cette époque ? Aviez-vous connaissance d'éléments pouvant intéresser notre commission puisque vous avez été, de 1987 à 1990, adjoint au chef de département de pathologie animale. Comment avez-vous encouragé et apprécié les recherches sur l'ESB au cours de ces deux périodes ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Je vais avoir l'honneur de vous parler d'une maladie, l'ESB, de la tremblante et également des maladies à prions connues dans l'espèce humaine, et vous dire en quoi l'INRA a été impliquée dans ces recherches. Je distinguerai deux périodes : avant et après 1996.

Avant 1996, les maladies à prions en France étaient un enjeu médical et de santé publique qui se posait essentiellement pour les maladies humaines avec le problème de l'hormone de croissance contaminée et les contaminations par les instruments de neurochirurgie. Par contre, en matière animale, l'ESB épargnait le bétail français contrairement au bétail anglais. Quelques vaches étaient diagnostiquées chaque année.

Pour ce qui est de la tremblante ovine en France, celle-ci était identifiée depuis longtemps. Les bergers connaissaient bien cette maladie qui n'était pas considérée comme un enjeu de santé publique, mais plutôt comme un problème de santé animale auquel on était confronté de façon permanente. Mais elle n'avait pas pris l'ampleur des nouveaux problèmes que l'on connaît et qui sont liés au risque de passage de la maladie bovine à la population ovine.

Le 20 mars 1996, soudainement, à la suite de l'annonce du ministre de la santé britannique, cette affaire est devenue un quadruple enjeu : un enjeu de santé publique, un enjeu agricole, un enjeu économique et un enjeu politique. C'est ainsi que l'INRA, à partir de l'été 1996 s'est trouvée rapidement mobilisé. Alors qu'avant 1996, une seule équipe était intéressée par ces maladies à l'INRA - en France, d'ailleurs, les équipes étaient peu nombreuses, puisque seules deux autres équipes travaillaient sur le sujet : celle de Dominique Dormont et celle de Jean-Louis Laplanche - on assiste alors à une mobilisation massive à la faveur, d'une part, de la prise de conscience par les chercheurs de la problématique extraordinairement passionnante qu'était celle du prion et, d'autre part, d'une demande sociale très forte.

Des incitations financières au niveau national et au niveau européen, de multiples appels d'offres donnent lieu à une mobilisation massive. Il n'est cependant pas facile de mobiliser des chercheurs à effectif constant. Cela signifie que, si l'on s'engage dans de nouvelles recherches en institut, il faut abandonner celles en cours. C'est ce que nous avons fait.

Actuellement, notre dispositif de recherche compte une vingtaine d'équipes avec vingt-huit chercheurs impliqués et plus dix enseignants-chercheurs dans les écoles vétérinaires appartenant aux unités mixtes de recherche associées à l'INRA.

Au sein du dispositif national français, comment se situe l'effort de l'INRA par rapport aux autres organismes ? Au total, on dénombre en France une soixantaine d'équipes : le CNRS en a quinze, l'INSERM seize, le reste se répartit entre l'AFSSA, le CEA, les universités et les milieux hospitaliers.

Avant d'aborder les questions que nous essayons de résoudre, je précise que le dispositif INRA est très décentralisé, dans ce sens que nous avons des spécialités en termes de centres de recherche de province qui sont centrées sur différentes questions. Par exemple, la mise au point d'outils pour étudier les maladies à prions et les caractéristiques fondamentales de la protéine prion est essentiellement le travail de Jouy-en-Josas avec l'Ecole vétérinaire d'Alfort, l'Institut biologique et physico-chimique de Paris et le centre INRA de Nantes ; les infections expérimentales sur animaux et l'étude des facteurs environnementaux, la « troisième voie » notamment, confirment la mission du centre INRA de Tours ; l'étude des infections naturelles et du rôle des acteurs génétiques relèvent des centres INRA de Toulouse en liaison avec l'Ecole vétérinaire de Toulouse ; l'épidémiologie des maladies à prions animales et la mise au point d'outils épidémiologiques sont dévolues au centre de Clermont-Ferrand et à l'Ecole vétérinaire de Lyon ; l'étude de la sociologie du risque des maladies à prions à travers l'évaluation des réseaux d'épidémiosurveillance est soumise aux chercheurs de l'INRA de Grenoble et à ceux d'une équipe associée à l'Ecole des Mines de Paris.

Voilà très brièvement exposée la façon dont le dispositif est réparti en France.

Nous avons mis au point de 1996 à l'an dernier - c'était une nécessité absolue - un certain nombre d'outils pour travailler sur ces maladies à prions. Ces outils n'existaient pas en France, il a fallu les créer. Ce sont essentiellement les anticorps monoclonaux, les lignées cellulaires, les souris transgéniques capables d'exprimer bien mieux que les souris sauvages ou les souris ordinaires de laboratoire, la protéine prion ovine ou bovine ; un troupeau ovin expérimental à Toulouse dans lequel nous avons observé l'évolution de la tremblante naturelle. Ce troupeau ovin a été géré par le département de génétique animale et chaque animal avait son génotype caractérisé, nous avons donc pu disposer d'un gisement exceptionnel de données et d'échantillons biologiques référencés. Enfin, la mise au point d'outils épidémiologiques.

Une fois ces outils mis au point, nous avons développé simultanément des recherches sur la tremblante et l'ESB, mais surtout sur la tremblante dans un premier temps, parce que nous disposions de facilités expérimentales et d'animaux sur lesquels travailler alors que, sur l'ESB, nous n'avions pas d'animaux en France. Nous avions envisagé d'aller chercher des animaux en Angleterre, parce qu'il est impossible de travailler sur un matériel qui n'existe pas. Pour la tremblante ovine, nous disposions de matériel.

C'est la raison pour laquelle pour la tremblante ovine, nous avons essayé de répondre aux questions suivantes. Tout d'abord, des questions concernant l'agent de la tremblante proprement dit, les caractéristiques de la protéine prion et les interactions avec les acides nucléiques et les capacités de cet agent à se multiplier en culture cellulaire. Ce sont des travaux qui sont en cours. Nous sommes capables, depuis quelques mois, de multiplier l'agent de la tremblante en culture cellulaire, ce qui est un résultat extrêmement original qui permettra d'étudier ses caractéristiques.

A partir de ces mêmes lignées cellulaires mises au point au centre INRA de Jouy, nous pourrons étudier la multiplication in vitro - et non plus sur l'animal - de l'agent de l'ESB.

Ensuite, des questions concernant la tremblante ovine naturelle. Quel diagnostic précoce ? Quels tests non invasifs faut-il mettre au point ? Il est évident qu'à l'avenir, on ne peut se limiter au diagnostic post mortem. Il faut absolument envisager un diagnostic ante mortem, non plus à partir du cerveau mais à partir du sang. C'est la voie de l'avenir. Que ce soit sur les bovins ou sur les moutons, un test sanguin facile à mettre en _uvre est impératif.

Nous travaillons donc sur ces pistes. L'Ecole vétérinaire de Toulouse a identifié des marqueurs intéressants suite aux perturbations se produisant au niveau de la neuro-hypophyse. D'autres pistes sont en cours d'étude au niveau sanguin mais, pour l'instant, il n'y a rien d'opérationnel en matière de valorisation de tests.

Une autre question nous préoccupe, c'est la diversité des souches de tremblante en France. Il faut faire l'inventaire, dresser l'état des lieux de la diversité des souches. Il s'agit de savoir quel facteur génétique favorise le développement de la maladie chez le mouton. Comment peut-on utiliser ces facteurs génétiques pour donner aux éleveurs de moutons des béliers qui résistent mieux à la maladie, du fait de leur génotype ? Ce sont des questions qui sont résolues actuellement, puisque nous en sommes à donner aux éleveurs de moutons de la région Midi-Pyrénées des béliers dont le génotype est caractérisé comme étant lié à une résistance à la tremblante.

Quel est le rôle de l'environnement - l'hypothèse de la « troisième voie ? » C'est un vaste projet européen animé par Lucas Gruner à l'INRA de Tours en relation avec les Islandais et les Espagnols sur le rôle de l'environnement : le sol, les acariens, les parasites, la microfaune sauvage. Y a-t-il un réservoir parmi la microfaune sauvage des petits rongeurs ? Les parasites de l'intestin, qui sont hématophages, peuvent-ils faciliter la pénétration de l'agent pathogène chez les moutons ? Les acariens peuvent-ils jouer un rôle ? Les tiques ? Ce sont des questions que nous essayons de résoudre.

Quels sont les tissus à risque, en dehors des tissus nerveux ? Nous voudrions également rechercher tout ce qui se passe autour de la mise bas pour fournir un éclairage sur la transmission verticale, en particulier ce qui se passe au niveau de la glande mammaire. Qu'en est-il du colostrum, qui est, dans les premières phases du fonctionnement de la glande mammaire, un lieu de passage d'éléments humoraux et cellulaires à partir du plasma ? Le lait, c'est autre chose, c'est une production locale de la glande mammaire ; dans le colostrum, il y aurait peut-être une source de contamination à explorer.

Par ailleurs, les femelles en lactation sont souvent en état de mammite, l'infection de la glande mammaire, par des bactéries ou des mycoplasmes, que ce soit chez la vache ou chez la brebis. Nous nous posons la question de savoir si un animal en début de mammite ou en état de mammite peut avoir des éléments du plasma contaminés par les prions puisque les travaux d'Aguzzi montraient qu'une certaine protéine du plasma se lie de façon très spécifique à la protéine prion. Quand la glande mammaire est enflammée, y a-t-il des passages possibles de ces agents pathogènes au niveau des sécrétions de la glande mammaire ? Telles sont les recherches en cours à l'INRA sur la tremblante ovine naturelle.

Nous nous posons également, bien sûr, des questions sur la tremblante murine expérimentale, chez la souris, pour le typage des isolats du terrain, pour faire l'inventaire des souches de tremblante et pour l'étude de molécules à potentiel thérapeutique. Inoculer les souris avec la tremblante dans des conditions bien standardisées permet de savoir si les molécules ont un effet thérapeutique en matière de prévention ou en matière de traitement.

A partir de ces recherches sur la tremblante, nous nous posons des questions également sur l'ESB mais, actuellement, la majorité des questions ne peuvent pas être développées. C'est en cours de projet, puisque nous n'avons pas les dispositifs en matière expérimentale confinés P3 permettant de manipuler des vaches inoculées expérimentalement avec l'agent de l'ESB. Quand on travaille sur des vaches laitières inoculées avec l'ESB, il faut travailler dans des étables complètement fermées, en confinement P3, disposant d'un abattoir, d'un incinérateur, d'une salle de traite, etc. Vous voyez l'énormité de cette installation, que l'INRA ne possède pas actuellement. Nous avons demandé justement que l'on accorde ce moyen expérimental au nouveau GIS qui vient d'être mis en place cette année, comme vous le savez.

Les questions que nous voulons aborder et essayer de résoudre sont les suivantes. Tout d'abord, cultiver l'agent de l'ESB in vitro pour étudier ses caractéristiques à partir des lignées cellulaires mises au point à l'INRA. Puis, l'ESB naturelle et un test précoce ante mortem par test sanguin nous paraît constituer une priorité absolue.

Procéder à une évaluation des réseaux de surveillance actuels en France et en Europe est un projet qui est en cours d'étude par des sociologues de Grenoble.

Étudier le rôle des facteurs génétiques est en projet. Nous voudrions étudier non pas le gène PrP, qui est déjà bien étudié, mais tous les autres gènes susceptibles d'intervenir dans la sensibilité d'un bovin à l'ESB. Pourquoi dans un troupeau, seule une vache est atteinte et pas les autres, alors que tous les animaux ont été soumis à la même pression d'infection ? Il y a bien une raison à cela. Des facteurs génétiques restent sans doute à déterminer.

Bien sûr, il faut étudier également les facteurs de l'environnement, la « troisième voie ». C'est à partir des résultats obtenus sur la tremblante que nous allons pouvoir mettre au point un modèle expérimental pour l'ESB. Mais c'est surtout au Royaume-Uni que ces questions pourront être abordées, parce qu'avec le faible nombre de vaches atteintes d'ESB en France, il est difficile d'étudier le rôle de l'environnement, si ce n'est en conservant des élevages contaminés et en observant ce qui se passe. Le CNEVA l'avait fait pendant deux ans au début des années 90 mais il ne s'est rien passé et le troupeau en question a été, me semble-t-il, éliminé.

Concernant l'ESB bovine expérimentale, je vous rappelle qu'une très grosse expérimentation est en cours depuis un ou deux ans au Royaume-Uni sur 200 ou 400 vaches. Nous avons partiellement les résultats, mais nous voudrions étudier sur des vaches expérimentalement inoculées avec l'agent de l'ESB, le portage en phase préclinique : que se passe-t-il avant que l'animal développe la maladie ? Où se trouve l'agent infectieux ? Est-il excrété dans des tissus à risque autre que ceux du système nerveux ? J'en reviens à la glande mammaire. Vous savez qu'une vache laitière à grand rendement fait l'objet de fréquentes mammites dues aux germes de l'environnement ou transportés par d'autres vecteurs (staphylocoques, streptocoques, mycoplasmes, etc.). A la faveur de ces mammites, qui sont fréquentes chez les vaches laitières à grand rendement, n'y a-t-il pas possibilités de passage de l'agent infectieux chez les vaches en phase préclinique ?

Pour ce qui est de l'ESB ovine naturelle, une grande question que nous abordons actuellement est de savoir si, parmi les troupeaux d'ovins actuellement atteints de tremblante en France, l'un d'entre eux serait-il atteint non de tremblante, mais véritablement de l'ESB, qui se dissimulerait sous une forme clinique ressemblant à la tremblante ? Par l'inventaire des souches de tremblante et l'identification de certaines souches qui pourraient avoir un profil identique à celui de l'ESB, nous pourrions répondre à cette question.

Enfin, dernière question sur l'ESB ovine expérimentale. Un premier passage a été effectué en France sur des ovins génétiquement sensibles avec l'agent de l'ESB. Ce passage a été fait et a obtenu des résultats intéressants à l'AFSSA Lyon. L'INRA, qui a participé à cette expérimentation voudrait refaire un deuxième passage pour voir comment l'agent de l'ESB s'adapte bien au mouton et ce qu'il en résulte en matière de maladie. Il s'agit aussi de voir si l'agent qui résulte du deuxième passage est pathogène pour le mouton, pour le bovin, pour l'homme également, à partir d'expérimentations que l'on pourrait faire avec les collègues du CEA, notamment avec Corinne Lasmezas, qui travaille sur macaques ou sur souris « humanisées ». C'est une interrogation fondamentale qu'il faudrait résoudre dans l'hypothèse où l'ESB aurait passé sur le mouton.

Pour l'instant, sur les deux cents souches de tremblante isolées en Grande-Bretagne qui ont été testées à partir du typage sur souris pour essayer de repérer une souche ESB, les résultats sont négatifs. Il n'y a pas d'arguments expérimentaux permettant de dire que l'ESB en Grande-Bretagne est passée sur les ovins. Mais le typage sur souris continue ; deux cents souches, ce n'est peut-être pas assez, et Moriera Bruce, lors du colloque de l'Académie des Sciences, nous a dit qu'elle poursuivait ses travaux pour approfondir cette question.

M. le Rapporteur : Vous avez beaucoup parlé de la recherche après 1996, ce qui est normal puisque c'est de cette date que la recherche s'est développée ; mais vous avez indiqué qu'auparavant, elle était nettement insuffisante. Mme Brugère-Picoux, que nous avons rencontrée, dit qu'elle avait attiré très tôt, dès 1989, l'attention sur la nécessité d'une recherche approfondie et qu'elle n'avait pas été écoutée. Selon vous, quelles sont les vraies raisons pour lesquelles on ne s'est réellement préoccupé de cette question qu'après 1996, malgré ce qui se passait en Grande-Bretagne ? Nous ne comprenons pas bien.

Nous venons seulement, dans la loi de finances de 2001, de voter les crédits pour une unité permettant de travailler sur des bovins. Cela nous semble tardif. Cela ne tient-il qu'au fait qu'il s'agissait d'une maladie animale et que la transmission à l'homme ne préoccupait personne ou s'agit-il de raisons plus économiques ? Quel est votre sentiment ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Vous avez en partie répondu. On considérait cela comme une maladie animale qui, de plus, existait en Angleterre mais pas en France. Nous n'avions que deux ou trois vaches malades par an, ce qui ne constituait pas une épidémie proprement dite. On avait tendance à considérer cette maladie comme spécifique au système anglais et épargnant le bétail français.

Par ailleurs, c'est seulement le 20 mars 1996 que nous avons pris conscience que cette maladie bovine pouvait se transmettre à l'homme et franchir la barrière d'espèces. Cela a changé totalement les données du problème.

La recherche en France sur la maladie animale n'a débuté qu'après 1996, car nous considérions peut-être à tort cette maladie comme une maladie ne sévissant qu'à l'étranger. Je parle de l'ESB. Il faut voir le contexte de l'époque.

De plus, pour travailler sur cette maladie, il faut des outils, que nous n'avions pas. Il faut des installations expérimentales, que nous n'avions pas. Et il faut des animaux, que nous n'avions pas. Comment voulez-vous travailler sur une maladie où il n'y a ni outil, ni installation expérimentale, ni animaux ? C'est impossible.

C'est pour cela que, dès 1996, nous avons envoyé nos chercheurs se former en Angleterre pour acquérir tous les outils et technologies nécessaires, que nous n'avions pas, et c'est à partir de là que les chercheurs ont pu se mobiliser et développer un grand nombre de projets.

Cela paraît étonnant qu'avant 1996, la recherche ne se soit pas mobilisée. Elle s'était mobilisée pour la maladie humaine, compte tenu des problèmes soulevés à la suite la première crise de 1992, à savoir les contaminations des enfants par l'hormone de croissance contaminée et les problèmes que posaient les neurochirurgiens avec leurs instruments, qu'ils avaient de la peine à stériliser. Ce problème persiste d'ailleurs.

M. le Rapporteur : Ce qui nous étonne, c'est que compte tenu de la proximité de la Grande-Bretagne, on n'ait pas davantage réagi aux premiers signaux d'alarme.

M. Jean-Marie AYNAUD : Nous avons eu des réunions en 1992 et entre 1992 et 1996 pour dresser l'état des lieux et voir ce que l'on pourrait faire, et surtout à partir de 1993, après la contamination massive d'un troupeau ovin expérimental par la tremblante. C'est ce qui a déclenché en 1993 l'attention des chercheurs. Ce troupeau expérimental a failli être éliminé mais, finalement, les chercheurs de l'INRA ont décidé de le conserver en se disant que cela pouvait être un outil pour l'avenir, si l'on voulait développer des recherches. Cette attitude a été extrêmement bénéfique, puisque nous avons disposé par la suite d'un outil expérimental tout à fait exceptionnel, que nous envient de nombreux pays étrangers.

Nous nous sommes réunis, nous avons discuté. Nous avons comparé le potentiel anglais en matière de recherche. A l'époque, en 1993-1994, nous avions évalué ce potentiel à soixante-quinze chercheurs à temps plein. En France, nous les comptions sur les doigts de la main. Les appels d'offres européens n'avaient pas encore été lancés, ils l'ont été massivement à la fin 1996 et au début 1997. Il n'y avait pas de recrutement spécifique sur ce thème.

Inciter les chercheurs à quitter les sujets qu'ils développaient était difficile. Nous n'avons pas été assez convaincants. Un exemple que j'ai connu est celui de la fièvre aphteuse. J'ai travaillé pendant deux ans sur cette maladie au début de ma carrière. L'INRA était fortement mobilisée de 1962 à 1975 sur la fièvre aphteuse dans son centre INRA de Thiverval-Grignon. Nous travaillions sur le virus et les vaccins nouvelle génération de la fièvre aphteuse.

Nous avons tout arrêté en 1975 pour passer à d'autres priorités, qui étaient la mortalité néonatale des veaux nouveau-nés, les entérites virales et bactériennes. Cela a donné des résultats tout à fait intéressants qui ont permis de maîtriser cette pathologie qui coûtait très cher.

En fait, nous avions abandonné la fièvre aphteuse parce qu'à l'époque, elle ne posait plus de problème, les vaccins inactivés étaient utilisés largement. La maladie était en voie de diminution, d'éradication. Le contrat était rempli. Les chercheurs avaient identifié les propriétés du virus, mis au point de nouvelles techniques de diagnostic, de nouvelles techniques de vaccination. Nous sommes donc passés à des sujets plus prioritaires, mais il y a eu une forte discussion avant d'abandonner la fièvre aphteuse et certains chercheurs le regrettent aujourd'hui.

M. le Rapporteur : Je voudrais que vous donniez quelques précisions lorsque vous dites que, pour vous, c'était un pays et un système ? Qu'entendez-vous par « système » ?

En Angleterre, les farines animales étaient interdites. Pour vous, y avait-il une relation entre une préparation défectueuse des farines - chauffage insuffisant, etc. - et l'ESB ? Ce rapport vous semblait-il évident ? Si tel est le cas, lorsque les farines sont interdites en Angleterre, pourquoi entrent-elles en France massivement ? Dans votre domaine de compétence, je sais bien que vous n'êtes pas les décideurs, mais avez-vous des moyens d'alerter ? Quel est le rôle d'un expert ? Estimez-vous que vous n'êtes pas assez entendus ? Je suppose que vous donnez des avis ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Entre 1990 et 1996, nous savions que les farines animales étaient interdites en Grande-Bretagne parce qu'elles étaient supposées contaminer les bovins par la présence d'agents mal inactivés, mais on pensait que c'était un problème spécifique à l'Angleterre et que les procédés français qui n'avaient pas été modifiés permettaient d'avoir des farines sécurisées.

Par ailleurs, pendant cette période, nous n'étions absolument pas au courant du niveau très élevé de fraudes. Nous ne l'avons su qu'après. Nous considérions donc que le système français était maîtrisé, ce qui était faux, parce que nous n'avions pas d'informations sur le niveau d'importations frauduleuses des farines animales anglaises qui, elles-mêmes, étaient interdites en Grande-Bretagne.

M. le Rapporteur : Il faut nous en dire un peu plus sur le sujet : quelles étaient vos informations sur ces fraudes ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Nous ne l'avons su qu'après.

M. le Rapporteur : De quelles informations avez-vous disposé ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Nous avons les mêmes sources que vous. Comme nous sommes des chercheurs qui nous intéressons aux maladies et pas à la décision en matière de gestion du risque, nous n'étions pas aux sources de l'information sur la façon dont ces farines étaient importées frauduleusement et sur ce qu'était le risque réel des farines françaises suite aux traitements français. Il n'y avait pas de réflexion approfondie sur ces questions à l'époque, parce que nous n'étions pas réellement mobilisés. Ce n'est qu'à partir de 1996 qu'il y a eu une prise de conscience très forte.

M. Germain GENGENWIN : Monsieur le directeur, ce que vous dites de l'Angleterre - « on imaginait que la maladie était une maladie anglaise » -me fait penser au nuage de Sandoz à Bâle quand une radio a dit que l'on avait fermé les frontières françaises. En Alsace, nous étions quand même tout près.

Vous dites que vous pensez trouver un dépistage par test sanguin. Ce serait parfait si l'on pouvait mettre au point un test sur animal vivant, mais cela veut-il dire que la viande que nous mangeons, qui est gorgée de sang, ne serait pas tout fait indemne ?

Deuxième aspect de ma question : comment se transmet la maladie ? Avez-vous gardé, dans les foyers que l'on a décelés, une sorte de troupeau de laboratoire ? Quand un test est positif aujourd'hui, on supprime tout le troupeau, avez-vous malgré tout conservé un troupeau de laboratoire, si je puis dire, pour surveiller l'évolution ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Pour ce qui est des tests sanguins auxquels j'ai fait allusion, il y a différentes pistes en cours d'étude en France et à l'étranger. Je ne pense pas que le test aboutisse à la mise en évidence de l'agent infectieux lui-même, parce que l'on sait que celui-ci sera présent au niveau des tissus nerveux et pas au niveau sanguin. Par contre, ce que l'on cherche à identifier, ce sont les perturbations que la maladie va provoquer sur différentes parties de l'organisme et, à partir de ces perturbations, nous cherchons à identifier un marqueur indirectement lié à la présence de l'agent pathogène dans le cerveau ou au développement de la maladie, mais qui n'est pas l'agent pathogène lui-même.

Pour citer un exemple, le test sur lequel nous travaillons actuellement à Toulouse est basé sur fait que l'hypophyse est perturbée chez une brebis à tremblante. Une hypophyse perturbée se traduit au niveau sanguin par un taux anormal, soit supérieur soit inférieur, de certaines hormones, en particulier un métabolite du cortisol. On sait maintenant que sur les brebis à tremblante, le niveau d'un métabolite du cortisol circulant est très accru.

C'est un test qui n'est pas spécifique car on ne détecte pas l'agent primaire proprement dit, mais c'est un test indirect qui permet, s'il se révèle opérationnel sur l'animal, de procéder à un premier tri. Il servira à distinguer les troupeaux suspects des troupeaux non suspects par un test rapide, un test Elisa, à partir d'une prise de sang. Puis, à partir d'un troupeau déclaré suspect, abattre les animaux qui nous paraissent encore plus suspects parce qu'ils ont une démarche ou un comportement anormal, et faire un test sur leur cerveau à la recherche du prion. Voilà comment fonctionne un test sanguin.

L'équipe de Clinton, un chercheur britannique à Londres, a annoncé il y a quinze jours qu'il avait mis au point un test sur les érythrocytes chez la souris et chez les animaux affectés expérimentalement. Cela part du même principe : une modification d'une enzyme au niveau des érythrocytes. On ne sait pas ce qui se passe entre la présence de l'agent et l'étape terminale qui est la perturbation de cette fonction au niveau d'un érythrocyte sanguin, toujours est-il qu'il a observé une modification à ce niveau qu'il compte exploiter dans un test sanguin.

A propos de votre deuxième question portant sur le troupeau de laboratoire, nous avons pensé également étudier un troupeau conservé après l'observation d'un premier cas, mais ce n'est pas évident parce que l'on ne contrôle pas l'ensemble des paramètres.

Je vous rappelle que le CNEVA, avant qu'il entre dans l'AFSSA, avait eu dans les années 1994-1995 cette idée et avait conservé un ou deux troupeaux entiers dans une ferme expérimentale près de Lyon. Tout le troupeau a été conservé et mis en observation pendant deux ans pour voir ce qui se passait. Or il ne s'est rien passé. C'est assez décevant comme résultat.

M. le Président : Cela nous rassure, cela ne nous déçoit pas.

M. Jean-Marie AYNAUD : Bien sûr, mais pour le chercheur qui essayait de voir l'évolution, c'est un peu frustrant parce que l'on s'attendait à ce que d'autres cas interviennent dans les mois qui suivent. Il ne s'est rien passé. Par ailleurs, le voisinage s'est ému et inquiété de la présence de ces troupeaux et il y a eu des pressions pour qu'ils ne soient pas conservés plus longtemps. Il vous faudrait interroger de façon spécifique le directeur de l'AFSSA sur ce problème ou Marc Savey, son directeur de la santé animale, qui a été à l'origine de cette opération.

M. Germain GENGENWIN : Alors, pourquoi abat-on tout le troupeau si la preuve est faite que la maladie ne se transmet pas aux autres animaux ?

M. Jean-Marie AYNAUD : En vertu du fameux principe de précaution.

M. François DOSÉ : Soixante à soixante-dix laboratoires, combien cela représente-t-il de chercheurs environ ? Pouvez-vous nous dire un mot des coopérations existant entre ces laboratoires ? Au fil de nos auditions nous sommes parfois surpris, du moins dans les pratiques passées, du manque de coopération entre eux. De l'extérieur, on croit qu'il existe une communauté scientifique, et quand on vous entend, les uns et les autres, on se dit qu'il a surtout « des » scientifiques et que, peut-être, cela a engendré un manque d'efficacité. La coopération est-elle aujourd'hui plus pertinente ?

Avez-vous pu tirer des leçons, avez-vous eu accès aux recherches qui avaient été faites dans les années 70-80 par le ministère de la Défense sur le prion car, au fond, il n'est exact pas que l'on découvre cette maladie en 1990. Des chercheurs avaient déjà travaillé et écrit sur le sujet. Là aussi, je ne comprends pas bien jusqu'où va la confidentialité. Quand la communauté scientifique s'approprie-t-elle les connaissances des uns et des autres pour pouvoir avancer plus vite ?

Sur le prion lui-même, des recherches fondamentales sont-elles faites ? Là aussi, nous avons entendu au cours des auditions des hypothèses assez surprenantes pour nous expliquer ce qu'est ce prion. Avez-vous des éléments à nous livrer ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Je n'ai pas parlé de soixante laboratoires mais de soixante équipes. C'est une notion différente. Un laboratoire de recherche peut être composé de plusieurs équipes s'attaquant à des projets variés. Une équipe est composée de un à cinq chercheurs, un laboratoire peut être bien plus important.

Pour ce qui est de la coopération entre les laboratoires, je vous remercie de poser cette question, parce que le programme interministériel qui s'est développé sur des recherches sur les maladies à prions depuis 1996, qui continue encore et va être relayé par le groupement d'intérêt scientifique « Infections à prion » (GIS) lancé il y a quelques semaines, est un bon exemple d'une grande efficacité en termes de coopération entre les équipes impliquées.

En effet, il y a eu des appels d'offres au niveau national et au niveau européen qui ont forcé les équipes à s'associer pour obtenir les crédits résultants de cette procédure. En matière de programme français, j'ai participé au programme interministériel animé par Dominique Dormont en tant que représentant de l'INRA au sein de la cellule de coordination inter-organismes, qui lançait et mettait en _uvre les appels d'offres avec la réception des projets et la mise en place des commissions d'évaluation pour classer ces projets en vue de leur financement.

Je puis vous assurer que les coopérations ont été facilitées par ce programme, qui était très structuré, en particulier au niveau des projets de recherche en réseau, qui ont été lancés par Dominique Dormont et ont permis à des équipes de travailler ensemble, d'échanger leurs réactifs, leurs informations, de discuter et d'aboutir. Je pense particulièrement aux anticorps monoclonaux, puisque le projet de recherche en réseau, qui s'appelait « Anticorps et protéines », a abouti au test Bio-Rad, test français mis au point par le CEA. C'est un des résultats de cette coopération. Les anticorps monoclonaux de ce test ont été mis au point par les équipes qui ont travaillé ensemble, en particulier l'équipe de Jacques Grassi au CEA, et différents composants du test, notamment la protéine standard témoin, qui est une protéine recombinante, ont été mises au point par des équipes de l'INRA.

Un autre projet de recherche en réseau porte sur les lignées cellulaires et les souris transgéniques surexprimant le gène PrP prion ovin ou bovin. Dans le cadre de ce projet, ont été mises au point une série de souris transgéniques qui ont permis d'avoir des systèmes qui répondent beaucoup mieux, après manipulation des souris pour titrer l'agent, ou rechercher l'agent. Auparavant, nous avions des souris qui répondaient en un ou deux ans, maintenant les « souris ovinisées » qui répondent en moins de trois mois, ce qui est un avantage exceptionnel. Les souris ovinisées sont des souris auxquelles on a retiré le gène prion murin pour le remplacer par un gène prion ovin, ce qui rend les souris plus réceptives à l'agent de la tremblante. Elles répondent beaucoup plus vite.

La même chose a été fait pour gène bovin de l'ESB et pour le gène humain et vous montre que les animaux génétiquement modifiés peuvent être d'une très grande utilité pour l'étude de certaines maladies.

Pour ce qui est de votre troisième question concernant le ministère de la Défense, je suis assez mal placé pour répondre à cette question. Vous devriez plutôt la poser à Dominique Dormont, qui faisait partie du noyau initial qui a été lancé sur l'étude des prions entre le CEA et le ministère de la Défense. C'est son équipe qui, depuis avant 1990, travaillait sur le prion, peut-être sur commande du ministère de la Défense. C'est tout ce que je peux en dire.

M. François DOSÉ : On nous a dit qu'il y avait eu le siècle du microbe, le siècle du virus et que nous arrivions au siècle du prion. Ensuite, chacun a décliné l'origine presque métaphysique du prion, à mutation rapide ; quand on était un peu antinucléaire, c'est tout juste si le prion n'arrivait pas juste après des expérimentations atomiques. Nous avons tout entendu au cours de la série d'auditions que vous avons faites. Où en est-on exactement ?

M. Jean-Marie AYNAUD : On ne connaît toujours pas l'agent exact de ces maladies. Le prion est un concept dérivant des travaux de Stanley Prusiner. Nous ne connaissons pas l'agent précis de la maladie. La protéine prion que l'on détecte dans le cerveau est un marqueur de la maladie. Est-ce l'agent lui-même ? C'est ce qu'affirme Stanley Prusiner dans ses hypothèses. Ou est-ce un virus qui n'a pas encore été découvert ? L'hypothèse virale est peu étudiée parce qu'elle n'est pas à la mode. C'est évident. Il doit y avoir une équipe à Berlin, celle du professeur Dilinger qui s'en occupe encore.

Je vous rappelle que la protéine prion se lie de façon très forte avec les acides nucléiques. Des travaux à l'INRA et à l'Ecole Normale supérieure de Lyon et également dans l'équipe de Dominique Dormont s'intéressent à ces aspects fondamentaux des propriétés de la protéine prion.

Toujours est-il qu'il reste une inconnue sur l'origine de cette maladie qui est absolument extraordinaire. Les chercheurs sont passionnés. En effet, dans le cas d'un virus, celui-ci entre dans un organisme et utilise l'organisme pour son propre compte : il se multiplie et ce qui ressort de l'organisme est identique au virus initial qui y a pénétré. Avec le prion, ce qui est extraordinaire, c'est que l'agent, en pénétrant dans l'organisme, incite celui-ci à transformer ses propres protéines en protéines pathogènes et celles-ci sont quasiment identiques aux protéines normales en termes de structure primaire. C'est une énigme qui a fasciné de nombreux chercheurs et les a incités à se mobiliser sur cette problématique absolument extraordinaire.

M. le Président : Puisque vous parliez de fascination par une énigme, je me permettrai de rebondir car je suis moi aussi fasciné par une autre énigme. La question a déjà été posée par le rapporteur mais j'ai le sentiment que vous l'avez esquivée en passant directement à 1996. Des chercheurs du ministère de la Défense ont conduit des recherches sur le prion. Ils ont apporté beaucoup à la recherche. Mais comment est-il possible que la communauté scientifique ne se saisisse pas d'un problème au motif qu'il serait limité à un pays, l'Angleterre, alors que nous importions beaucoup d'animaux et de viandes britanniques. M. le rapporteur, rappelant qu'une personnalité scientifique disait avoir demandé en 1989 la création d'un laboratoire INRA sur les pathologies immunogénétiques, pour conduire des recherches sur la pathologie de la tremblante.

On nous dit qu'en 1994, un congrès scientifique à Amsterdam avait à peine abordé la question de l'ESB. On s'aperçoit qu'il faut attendre 2001 pour avoir un outil comme un laboratoire P3 permettant de faire des recherches sur les bovins. Je suis étonné.

Comment une communauté scientifique comme l'est l'INRA ne se saisit-elle pas de tels sujets ? Avez-vous alerté les responsables politiques et ceux-ci vous ont-ils donné les moyens nécessaires ? A la lumière du passé, en tirez-vous des leçons ? Des chercheurs nous ont tout de même déclaré qu'on les avait empêchés de travailler en 1989 sur la tremblante et sur l'ESB.

M. François DOSÉ : Pour compléter, je rappelle que, lors d'une audition, on nous a bien dit qu'une délégation française de la Fédération nationale des groupements sanitaires s'était rendue en Angleterre et qu'à leur retour, ils avaient écrit aux autorités publiques compétentes. Nous avons constaté qu'ils n'avaient pas donné l'alerte au niveau départemental, mais au niveau national. Comment la chose ne bascule-t-elle pas ? Curieusement, nous ne faisons rien. Par nous, j'entends la communauté française.

M. Jean-Marie AYNAUD : En fait, dans les années 90, l'une des priorités demandée à l'INRA en matière de recherche était l'étude des contaminations alimentaires, tous les problèmes de sécurité alimentaire suite aux accidents dont vous avez entendu parler sur les intoxications collectives par les listéria, les salmonelles, etc. C'était la grande priorité de l'époque. L'INRA a donc investi dans des programmes de recherche, dans des financements importants, dans des recrutements au début des années 90 sur ces thèmes, qui étaient considérés comme absolument prioritaires. Nous avons donc créé des structures, des laboratoires entiers pour s'intéresser aux listéria et listérioses chez les ruminants.

M. le Rapporteur : A quelle époque ?

M. Jean-Marie AYNAUD : C'était au début des années 90. Nous avons recruté massivement de jeunes chercheurs sur ce sujet. Comment un bovin pouvait-il devenir porteur de salmonelle ou de listeria ? Comment une brebis pouvait-elle devenir porteuse de listeria et, sans être malade, excréter ses bactéries pathogènes au niveau de la glande mammaire ? Que devenaient les bactéries dans les salles de traite ? Où se colonisaient-elles ? Bref, toute l'épidémiologie. C'était un programme absolument prioritaire pour essayer de maîtriser ces contaminations qui faisaient la une de tous les médias.

Nous étions engagés dans des recherches qui commençaient à se mettre en place. Nous étions en train de mettre en place tous les outils en matière animale et de réactifs de laboratoire. Nous ne considérions pas comme prioritaire une pathologie qui ne présentait que deux ou trois cas par an en France. Par ailleurs, c'est une autre raison, nous avions des structures animales confinées P3 qui permettaient d'expérimenter sur de petits animaux, petits ruminants ou souris, mais qui ne permettaient pas d'héberger de gros bovins.

M. François DOSÉ : Vos collègues anglais vous donnaient-ils les publications de leurs recherches ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Oui, il y avait une prise de contact permanente. Des collègues faisaient fréquemment des missions en Grande-Bretagne pour suivre l'évolution de la situation et voir comment les chercheurs britanniques tentaient de maîtriser la situation en termes d'épidémiologie, d'étude de la maladie, des tests de diagnostic. Plusieurs missions s'y sont rendues à l'époque, des missions communes entre le CNEVA et l'INRA.

M. François DOSÉ : Vous avez pensé que c'était un phénomène intéressant intellectuellement mais qu'il resterait en Angleterre. Pouviez-vous imaginer que nous prendrions un jour ou l'autre cette vague sur la tête à travers les importations et la mondialisation des échanges ? Il n'y avait pas que l'intérêt intellectuel de connaître ces recherches entre confrères. Ne pouvait-on se demander si la déferlante n'arriverait pas chez nous ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Je comprends votre réaction. Il y avait un suivi, une veille scientifique de ces problématiques mais pas réellement un engagement. Dans tous les organismes français, cela s'est passé ainsi.

M. François DOSÉ : Il devait tout de même exister un attaché agricole à l'ambassade de France à Londres qui devait écouter la BBC et lire les journaux tous les jours !

M. le Président : Ce n'est pas une mise en cause de la communauté scientifique, mais c'est une interrogation profonde sur un problème qui revêt - dans un pays tout proche et avec lequel nous avons des échanges - une grande ampleur, qui est notoire !

M. François DOSÉ : L'ambassade de Suède à Londres a réagi très rapidement.

M. le Président : En Suède, il y a une réaction immédiate. Chez nous, nous avons le sentiment qu'il n'y a pas eu d'autosaisine. Vous, par exemple, avez-vous alerté un responsable public, politique ?

M. Jean-Marie AYNAUD : J'ai participé à des réunions à l'INRA où nous étions tous autour d'une table pour savoir si nous allions nous engager ou pas. Dominique Dormont y participait également. J'ai en tête une réunion en 1993, me semble-t-il, à Jouy-en-Josas, au cours de laquelle nous avons fait un tour de table pour savoir ce que nous pouvions faire, compte tenu de l'avance considérable des Anglais dans ce domaine.

Ce n'est qu'en 1996 que la situation a vraiment changé. Vous savez, inciter des chercheurs qui sont engagés dans un projet considéré comme prioritaire par les ministères, doté de moyens considérables, qu'était la sécurité alimentaire des produits d'origine animale, pour tout laisser tomber au bout de trois ans et partir sur un autre sujet, ce n'est pas facile. Quand on aborde un nouveau sujet de recherche, il faut deux ans pour arriver à maîtriser l'ensemble des connaissances, acquérir les outils quand ceux-ci ne sont pas disponibles, recruter du personnel et atteindre une vitesse de croisière pour que les résultats commencent à arriver. Donc, une fois que cela commence à être en place, il est regrettable de tout laisser tomber pour passer à un autre sujet. Les listeria et les salmonelles sont toujours un sujet prioritaire. On en parle moins parce qu'il y a d'autres priorités dans l'immédiat.

M. le Président : Donc, vous n'aviez pas alerté les pouvoirs publics, en leur demandant de dégager des moyens supplémentaires pour s'engager dans ces recherches-là ?

M. Jean-Marie AYNAUD : Personnellement, j'avais demandé à nos responsables de dégager des postes supplémentaires chaque année pour s'engager dans ces recherches. Il n'y a pas eu de postes supplémentaires.

M. le Président : C'est une réponse intéressante.

M. Jean-Marie AYNAUD : La mobilité thématique qui s'est opérée en 1996 s'est faite à effectif constant. Nous n'avons eu aucune création de poste. Les seules créations de poste à l'INRA sur le thème du prion ont eu lieu en l'an 2000 : deux postes.

M. le Président : Deux postes ?

M. Jean-Marie AYNAUD : C'est tout. Cela s'est fait à effectif constant. Je parle de personnel statutaire. Je ne parle pas des bourses de thèse. Le programme qui est lancé en 2001 avec le GIS bénéficiera des créations de poste qui ne sont pas des postes statutaires. Ce seront des CDD, des bourses post-doc ou pré-doc.

M. le Président : Voilà un aspect nouveau de la question. Ce qui nous intéressait également de savoir, c'est si vous aviez alerté les pouvoirs publics de la nécessité de conduire des programmes de recherche sur les prions. Si oui, à quelle époque ? A quelle époque, avez-vous la première fois tiré la sonnette d'alarme des dirigeants de l'INRA ?

M. Jean-Marie AYNAUD : A la suite de cette contamination massive du troupeau ovin expérimental de Toulouse par la tremblante, nous avons pris conscience qu'il y avait une maladie intéressante, d'autant que les généticiens ont identifié tout de suite des catégories d'animaux qui étaient résistants et d'autres sensibles.

M. le Président : En quelle année ?

M. Jean-Marie AYNAUD : En 1993.

M. le Président : Donc, dès 1993, vous avez sollicité des moyens de recherche supplémentaires que vous n'avez pas obtenus.

M. Jean-Marie AYNAUD : Que nous n'avons pas obtenus.

M. le Président : Très bien. Il nous reste à vous remercier de vos indications. Cela a permis d'éclairer notre commission d'enquête sur la réalité. Il ne s'agit pas de faire jouer aux chercheurs un rôle qui n'est pas le leur mais de savoir, en l'état des connaissances, comment les choses se sont passées.

Audition de M. Louis ORENGA,
directeur du centre d'information des viandes (CIV)

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 avril 2001)

Présidence de M. Michel Vergnier, rapporteur

M. Louis Orenga est introduit.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Rapporteur, M. Louis Orenga prête serment.

M. le Rapporteur : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes directeur du Centre d'information des viandes, association créée en 1987 à l'initiative de l'interprofession du bétail et des viandes, avec le concours de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL). Son objectif est de diffuser l'information au public, à la presse, aux associations de consommateurs, au secteur médical et aux enseignants. Si l'on en croit la presse, votre stand au Salon de l'Agriculture a connu une très grande affluence, ce qui témoigne du besoin d'information des visiteurs et de la qualité de votre organisation.

Comme nous sommes aujourd'hui en présence d'une crise dans laquelle l'information et la communication ont joué et jouent encore un rôle capital, nous avons souhaité vous entendre et voir avec vous comment il était possible de répondre de manière optimale à ce besoin d'information.

M. Louis ORENGA : Comme vous l'avez rappelé, le CIV a été une création conjointe de l'interprofession bovine-ovine et de l'OFIVAL, qui en assurent l'administration.

Il a été doté, dès sa création, d'un conseil scientifique composé de personnalités du monde scientifique, d'un conseil consommateurs réunissant des associations de consommateurs, et, plus récemment, d'un comité d'éthique, formé principalement d'associations de protection des animaux. Le CIV est une petite structure comprenant une dizaine de personnes. Sa vocation, dès l'origine, a été d'essayer de répondre aux questions de la société civile sur la filière et sur les produits.

Lorsque le président Bruel, qui était, à l'époque, président du conseil de direction de l'OFIVAL et de l'interprofession, a envisagé la création du CIV, il a considéré qu'il importait qu'il ne réunisse pas seulement des professionnels. L'interprofession, en tant que telle, aurait en effet pu jouer ce rôle. C'est pourquoi il lui a adjoint ces conseils qui sont amenés, en période de crise notamment, à se réunir assez souvent, puisque les informations diffusées par le CIV sont validées et vérifiées par le conseil scientifique.

Les informations diffusées à l'attention du grand public sont également discutées et entérinées par le conseil des associations de consommateurs qui réunit quatorze personnes, issues pour l'essentiel d'associations de consommateurs s'intéressant aux problèmes de l'alimentation - l'UFC Que Choisir ?, la CSCV, des mouvements familiaux et comprenant les sections consommateurs de certains syndicats.

Le CIV a donc une réelle représentativité, ce qui est très utile dans la mesure où il ne s'agit pas de créer l'information, mais d'expliquer les décisions qui sont prises, soit par les professionnels, soit par les pouvoirs publics.

Dans le domaine scientifique, on navigue entre deux écueils : soit l'on va trop loin dans l'explication et le public ne comprend plus, soit l'on ne va pas assez loin et cela peut être interprété comme une tentative pour occulter tel ou tel point pourtant important.

La vulgarisation de l'information scientifique, notamment dans le cadre de la crise de l'ESB, n'est pas très facile. Le CIV ne dispose pas d'outils pour créer l'information. Il doit la recueillir là où elle existe et s'efforcer de la rendre accessible.

Avant 1996, le CIV a été relativement peu interpellé sur la crise de l'ESB. La première fois que les scientifiques mais aussi les associations de consommateurs ont souhaité bénéficier d'informations, c'était en 1994. Cette première crise importante, dont les conséquences touchaient essentiellement l'Allemagne, a conduit à discuter d'épizootie animale au sein du CIV. Nous avons surtout eu une forte demande d'informations à partir de mars 1996. Nous avons alors essayé de répondre à la presse qui s'interrogeait sur l'ESB, et notamment sur la traçabilité en matière de viande bovine. Nous avions engagé, en collaboration avec les associations de consommateurs, une action de traçabilité, devenue aujourd'hui assez courante, en introduisant notamment les mentions d'origine.

Je souhaite revenir, à ce propos, sur certaines questions qui ont souvent fait l'objet de débats. Nous nous sommes heurtés tout d'abord en 1996 à la Commission européenne, qui considérait que l'information sur les mentions d'origine constituait une entrave aux échanges intracommunautaires.

Sur ce point, notre position a été excessivement claire, et continue de l'être. Nous pensons que l'information sur la mention d'origine est indispensable à la confiance dans la liberté des échanges. Cacher des informations crée des peurs qui entraînent, au contraire, la nationalisation des marchés. Nous ne pouvons que regretter que l'ensemble des pays n'aient pas été prêts à mettre en place cette information sur l'origine de la viande qui nécessitait, il est vrai, préalablement, la mise en place de structures qui n'existaient pas partout.

L'origine n'est pas en tant que telle une garantie sanitaire. C'est exact mais, lorsque vous donnez une information sur l'origine, vous êtes obligés de généraliser la traçabilité, ce qui permet d'en déceler tout défaut. Dans la crise actuelle sur la fièvre aphteuse, elle devient un outil qui aide à prendre les mesures sanitaires. Lorsque l'on décide de prendre une mesure pour des animaux de tel ou tel âge sans traçabilité, aussi performante que soit l'idée scientifique de retirer des matériels à risque, par exemple, elle n'est pas très facile à mettre en _uvre. La traçabilité en soi n'est pas une garantie sanitaire, mais elle aide à prendre des mesures à caractère sanitaire.

De même, par définition, la traçabilité, même si elle ne fait pas toujours plaisir à ceux à qui elle s'adresse, améliore notablement les contrôles publics. Elle aide également les contrôles qui sont conduits par des organismes tiers indépendants.

En conséquence, nous avons incité les professionnels à développer ces mesures, qui étaient complémentaires des mesures prises par les pouvoirs publics dans le domaine de la santé publique ou dans celui de l'épizootie sanitaire. Nous avons considéré que, s'il appartenait aux pouvoirs publics de prendre ces mesures, le CIV devait se faire le relais de cette attente tout à fait légitime des consommateurs auprès des professionnels.

Modestement, nous avons aussi entrepris une information du grand public, par voie de presse et par l'édition de documents d'information. Comme vous le rappeliez, nous avons également publié des documents d'information pour le secteur scientifique, pour le secteur médical, car nous avions reçu une avalanche de demandes de la part de médecins qui ne savaient plus quoi répondre à leurs patients. Nous avons été les premiers à diffuser un document scientifique sur le sujet. Ensuite, nous avons mis à la disposition des consommateurs des documents d'information, un téléphone vert, un site Internet, etc.

La crise actuelle n'a fait que s'amplifier en novembre et décembre. Je ne développerai pas ce que nous avons fait, ou pas fait. Je répondrai plutôt à vos questions sur le sujet car je préférerai, dans le temps qu'il me reste, vous livrer l'analyse que nous faisons de cette situation et de cette information.

L'information a-t-elle été globalement suffisante et correctement faite entre 1996 et 2001 ? La réponse est mitigée : les sources d'information existaient, la qualité de l'information existait, mais manifestement, elle n'a pas eu l'impact nécessaire pour informer, de manière claire, le consommateur. La preuve en est que les études que nous avons réalisées au mois de juin montraient que la plupart des consommateurs n'avaient pas bien perçu l'enchaînement des décisions prises. Pire : plus des décisions destinées à rassurer les consommateurs étaient prises, plus on passait par un enchaînement regrettable d'un principe de précaution à un principe de suspicion généralisée. On recherchait le dysfonctionnement d'une mesure, au lieu de s'interroger sur le manque de mesures prises par les autres. Aucune mesure n'étant efficace à cent pour cent, et le risque zéro n'existant pas, on finissait par s'attacher aux dysfonctionnements de 0,x % d'une mesure, plutôt que de se demander si tout le monde avait pris les mesures en même temps, comme il le fallait.

Le manque d'information a fait que les consommateurs n'ont pas très bien compris le fil des mesures prises, et notamment le retrait des « matériels à risque spécifiés », nom particulièrement barbare.

C'est la raison pour laquelle la mise en place, en novembre-décembre, du programme de dépistage des animaux à risque, sur laquelle je ne porte pas de jugement mais qui devait conduire, par définition, à recenser des animaux positifs, ne pouvait, sans information claire du consommateur, qu'accroître son incertitude vis-à-vis de cette maladie. Au lieu d'être une mesure perçue, a priori, comme allant dans le bon sens, elle a pu, à un moment donné, être considérée par le consommateur comme symbolique d'une augmentation du risque et non comme une mesure préparant une généralisation des tests à partir du moment où ceux-ci s'avéraient fiables.

Le premier bilan que je tirerai de ces cinq années, 1996 à 2001, est que toute décision, aussi légitime soit-elle, ne le devient réellement que si elle est comprise par ceux à qui elle s'adresse.

Toutes les études réalisées auprès des consommateurs montrent que s'ils étaient sensibilisés au problème de l'ESB, notamment par la presse, l'information ne leur permettait pas de se faire une opinion sur le sujet et d'opérer des choix par rapport au problème posé.

On accuse beaucoup la presse d'avoir mis de l'huile sur le feu à propos de l'ESB et actuellement de la fièvre aphteuse. Il faut être clair sur ce point : quatre-vingts pour cent des relations que nous avons avec la presse se passent bien ; le différend porte essentiellement sur les titres des journaux, assez rarement sur les articles de fond. A la télévision, les problèmes sont plus liés aux émissions spectacles et aux sociétés de production qui en ont la responsabilité qu'aux journalistes des chaînes. Qu'il y ait un problème global par rapport aux médias ne signifie pas qu'il y ait un problème avec la presse, même s'il faut faire quelques distinguos en la matière.

Quelle analyse peut-on tirer de ce constat ? A notre avis, si le niveau d'information du consommateur reste aussi faible et aussi flou, j'ai peur que nous ne connaissions une crise de la consommation comme c'est le cas, par exemple, pour la fièvre aphteuse qui, pourtant, n'a rien à voir avec l'ESB, ni dans son importance, ni dans ses effets, ni dans ses conséquences. La consommation ovine a connu une baisse de 50 % et la consommation bovine de 25 %. Ces chiffres montrent à l'évidence que nous subirons des crises à répétition, avec des conséquences économiques importantes, si nous n'améliorons pas l'information du citoyen consommateur.

Nous venons de vivre trente années au cours desquelles la communication reposait sur un système binaire basé, d'une part, sur le marketing des marques, qui expliquait aux consommateurs que tout allait bien, et, d'autre part, sur la presse, dont la raison d'être est de porter à la connaissance des citoyens des événements, des nouvelles. Malheureusement, ces nouvelles ne sont pas toujours bonnes.

Il est clair que cela ne permet pas au consommateur - nous le voyons bien dans les études que nous réalisons - de se forger une opinion sur la manière dont il peut se comporter par rapport à une crise.

Y a-t-il des solutions pour remédier à cette situation ? Je n'en ai pas. J'ai simplement quelques pistes de réflexion. Les citoyens-consommateurs ont totalement perdu leurs repères par rapport à la connaissance des produits. À force de parler de marques, ils ne savent plus ce que sont les produits. Ils savent encore moins comment on les produit.

Ils ne savent plus à qui se fier. Contrairement aux idées reçues, il est faux de dire qu'ils n'ont plus confiance ni dans les pouvoirs publics, ni dans les professionnels, ni dans la presse. Cependant, ils deviennent plus attentifs et souhaitent que la légitimité des uns et des autres dans la délivrance d'une information soit clarifiée.

En clair, si vous demandez au consommateur s'il est favorable au transfert des contrôles sanitaires à des organismes privés, vous recueillez un tollé général. Cela veut bien dire que les pouvoirs publics restent globalement crédités d'un très haut niveau de confiance. Je dis cela pour bien montrer que la critique générale des pouvoirs publics, des professionnels ou de la presse doit être regardée avec circonspection, parce que les choses sont plus compliquées qu'elles ne paraissent.

Il faut renforcer les structures susceptibles de donner des informations. Ces structures doivent faire l'objet de consensus et ne pas être limitées aux pouvoirs publics et aux professionnels. Il faut développer les relations avec les associations de consommateurs, avec tous ceux qui, légitimement, ont quelque chose à dire sur le problème de la sécurité alimentaire. Il faut arriver à mettre en place des outils d'information du grand public qui puissent aussi lui expliquer que dans de nombreux cas - et même dans la majorité des cas - il existe un consensus entre les professionnels, les pouvoirs publics, les associations de consommateurs, voire les associations de malades, celles de protection des animaux, etc.

Il faut sortir d'un système où le consommateur a perdu ses repères et a l'impression que tout dysfonctionne, alors que c'est loin d'être la réalité. Dans la crise de l'ESB, de nombreuses mesures ont été prises en accord avec les consommateurs, avec les pouvoirs publics, qui, globalement, ont bien fonctionné. Malheureusement, l'information n'est pas bien passée dans l'opinion publique. Cela a fragilisé la perception qu'elle en a eue et, lorsque un dysfonctionnement réel est intervenu, cela a été traduit comme une sorte de faillite, remettant en cause les bonnes mesures prises.

Voilà l'analyse que je pouvais vous présenter en dix minutes. Je revendique un bilan en demi-teintes, qui est le reflet de nos analyses ; par définition, nous essayons de ne pas nous mettre « la tête dans le sac », mais d'appréhender la réalité de ce qui se passe sur le terrain et d'y remédier dans la mesure de nos moyens.

M. le Rapporteur : Quand on analyse la crise actuelle, qui se traduit par une perte de confiance des consommateurs, alors que jamais autant d'efforts n'ont été entrepris pour la sécurité alimentaire, on a du mal à comprendre ce qui s'est passé entre 1996 et aujourd'hui.

Après la crise de 1996, la consommation de viande a repris, alors que nous étions confrontés aux mêmes problèmes. Quel a été, selon vous, l'élément déclencheur de la situation actuelle ? Qu'est-ce qui a généré d'un seul coup, en quelques semaines, cette perte de confiance ? La crise du mois de novembre a atteint des sommets qui mettent aujourd'hui certains producteurs et éleveurs dans des situations désespérées.

Que faudrait-il faire ? Ne pensez-vous pas - vous l'avez un peu dit - que toutes les mesures de précaution qui ont été prises pour les retraits des abats à risque, pour un meilleur étiquetage, pour une réelle traçabilité, ont amené les consommateurs à penser que, si l'on prenait toutes ces précautions, c'était parce que les produits n'étaient pas tellement sains ?

M. Louis ORENGA : Indépendamment de l'aspect purement technique et sanitaire, aucune décision n'est légitime si elle n'est pas comprise par ceux à qui elle s'adresse.

Je pourrais faire assez facilement la démonstration que toute décision peut être présentée de manière à affoler la population ou à la rassurer. L'important, c'est d'expliquer pourquoi elle est prise. Elle l'est, soit pour des raisons de santé publique, et il faut alors le dire, soit pour des raisons économiques, ce qui n'a a priori rien d'infamant, soit parce que le consommateur le demande sans que cela n'ait de contre-indication, ni en termes de santé publique, ni en termes économiques. Il faut seulement être clair lorsque la décision est prise. Lorsque le message n'est pas clair, le consommateur est très vite égaré. Il ne sait plus si la décision repose sur une raison de santé publique ou si un lobby économique est intervenu pour la susciter ; il ne sait pas si la décision n'a pas été prise pour répondre à un problème de santé publique et inversement, il peut penser qu'on l'a prise dans un objectif économique alors qu'on aurait dû la prendre pour un problème de santé publique. Tout cela contribue à la perte des repères.

Pour répondre à votre question, l'enchaînement des réactions est relativement simple. Je dis « hélas » parce qu'on aurait pu le prévoir. Toutes les enquêtes que nous faisions en 1999 et en 2000, tous nos baromètres sur l'inquiétude des Français face à l'ESB ne faisaient qu'augmenter. La théorie qui veut que l'on ne parle pas d'un problème avant, de peur de le créer, que l'on ne peut rien en dire pendant parce que ce n'est pas rationnel et qu'après, on ne dit plus rien de peur de le prolonger, est catastrophique. On ne construit pas l'information du public sur ces postulats.

Or, ce qui s'est passé, c'est qu'en 1996, nous avions eu une réponse collective à l'interrogation première des consommateurs. Cette réponse avait été d'opter pour plus de transparence dans la filière et plus de traçabilité, parce que cela faisait longtemps que le consommateur le demandait et qu'il ne l'avait pas. On avait bien « répondu », si je puis dire, grâce à la crise de l'ESB.

Mais cela ne diminuait en rien l'inquiétude des consommateurs quant à l'épizootie animale et aux risques éventuels de santé publique. Il aurait été important de renforcer l'information du consommateur, en continuant à lui expliquer que l'ESB était un vrai problème d'épizootie animale, mais que, malheureusement, tout laissait penser qu'un risque de santé publique avait pu, hélas, être pris. Il aurait fallu le dire clairement en expliquant les raisons qui faisaient penser que tel ou tel risque existait et en exposant les mesures prises. Cela n'a pas été suffisamment fait.

Que s'est-il passé alors ? Le nombre de malades humains atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en Angleterre a augmenté ; même si c'était limité par rapport à certains chiffres qui ont pu être avancés, il n'en reste pas moins qu'il y a eu une augmentation.

Parallèlement, la mise en place du programme de recherche sur les animaux à risque ne pouvait que mettre en évidence qu'il y avait des animaux atteints que l'on ne repérait pas auparavant.

Enfin, cette information qui n'est pas bien passée a permis d'accréditer une thèse, que je n'ai jamais pu vérifier à titre personnel. En effet, à un moment donné, un incident mettant en cause la SOVIBA et la société Carrefour a donné à penser que l'on avait sciemment laissé entrer dans la chaîne alimentaire les produits d'un animal qui présentait des signes cliniques de la maladie. Cette information a couru pendant près de quarante-huit heures. Il a été presque impossible de dire ensuite que ce n'était pas du tout ce qui s'était passé.

Qu'est-ce qui a été à l'origine de cette désinformation ? J'avoue que je n'ai pas pu le savoir. Cela a été le premier élément susceptible de déclencher la panique. Le second a été une émission de télévision. J'en reviens à ce que je disais en préambule : l'information, oui ; mais le voyeurisme pose problème. Lors de cette émission, on est allé au-delà du respect des hommes. Mais c'est un débat avant tout éthique et pas lié directement à l'ESB.

Pourquoi la crise a-t-elle été plus grave que celle que l'on avait connue en 1996 ?

Tout simplement parce que l'inquiétude du public persistait dans la mesure où les consommateurs n'avaient pas suffisamment été informés des termes du problèmes. Lorsqu'il y a eu ensuite une successions de deux, trois, quatre événements fortement relayés par les médias, perçus très négativement par les consommateurs, ceux-ci ont légitimement réagi face à ces événements qui leur donnaient à penser que tout ce qui avait été mis en _uvre n'était pas opérationnel, que tout n'était pas maîtrisé et que nous allions au-devant d'une véritable crise sanitaire, que nous avions été incapables de gérer.

D'autres facteurs entrent en jeu. Je ne vous en citerai que quelques uns. A la base, il faut faire le constat que l'information n'a pas été efficace. Lorsqu'une crise aussi grave a lieu, une information rationnelle est excessivement difficile à faire passer, quels que soient les moyens mis en _uvre et la bonne volonté affichée.

Les pouvoirs publics ont mis en place une campagne d'information que nous avons souhaité relayer. Nous estimions que ce n'était pas à nous de dire les choses au départ, que c'était une responsabilité en termes de santé publique relevant des pouvoirs publics, mais que notre rôle était ensuite de contribuer à mieux expliquer. A partir de la fin décembre, on a vu tout de suite s'améliorer à nouveau l'image de la filière et la consommation, ce qui prouve que les gens sont adultes et comprennent lorsqu'on explique clairement.

Lorsque nous avons fait des "études consommateurs" et que nous leur avons demandé comment ils analysaient leur comportement en novembre-décembre, ils ont donné une réponse excessivement simple : « Nous n'avons pas compris d'autant, que l'on ne nous disait rien. Pourquoi voulez-vous que nous adhérions à une filière et à un produit dès lors que nous ne sommes pas informés ? Si l'on ne dit rien, c'est que, vous-même, vous n'êtes pas sûrs. Si vous n'êtes pas sûrs, pourquoi voulez-vous que nous ayons confiance ? »

Autre élément important à prendre en compte : de nombreux consommateurs nous ont dit qu'ils n'avaient rien contre la viande, que l'arrêt total de consommation avait été le fruit d'une démarche citoyenne ayant pour but d'alerter les professionnels et les pouvoirs publics sur le fait qu'ils remettaient en cause, globalement, les systèmes de production et la non-information, et le fait qu'ils n'étaient que des « cobayes alimentaires » - ce ne sont pas les termes employés, mais c'était le sens général.

Cette crise reflète également une chose au moins aussi importante en termes de société, qui est une incompréhension de l'ensemble de l'opinion publique quant aux systèmes de production et aux produits. La crise a été d'autant plus forte que la viande bovine, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'est pas caractérisée par une productivité outrancière, a cristallisé ces interrogations. Tous ces facteurs concomitants ont rendu cette crise particulièrement dure.

M. le Rapporteur : Ne pensez-vous pas que l'on a quand même souffert, et cela semble s'être traduit dans l'opinion, d'un manque d'harmonisation européenne ? Les décisions prises en France ne sont pas appliquées dans tous les états membres, en tous les cas pas de la même façon, cela fait un peu « désordre » et ne donne pas confiance.

Par ailleurs, n'a-t-on pas mélangé sécurité et qualité ? J'ai mal ressenti le fait que l'on ne puisse pas dire que la viande était sûre et de voir confondues viande labellisée et sécurité alimentaire. C'est une erreur, sur laquelle j'ai souvent attiré l'attention : parlons de la sécurité, d'un côté, et de la qualité et des labels, de l'autre. Vouloir croire que seule la viande dite « label » est sûre sur le plan alimentaire est, selon moi, un non-sens.

M. Louis ORENGA : Je ne peux que partager votre analyse. J'ai tout essayé pour expliquer que l'origine en tant que telle était une information, présentant, certes, de nombreux avantages, mais n'était pas une mesure de sécurité sanitaire, et qu'il est catastrophique de laisser penser que les signes officiels de qualité - qui sont un atout et doivent être promus d'une manière générale - seraient une garantie de qualité sanitaire.

De deux choses l'une : ou c'est vrai, et nous avons devant nous un vrai problème sanitaire qui touche quatre-vingts pour cent de la consommation alimentaire ; ou c'est une tromperie du consommateur. Lorsque les études consommateurs faites par la presse ou par nous-mêmes montrent que les consommateurs demandent que l'on crée un label pour garantir la qualité sanitaire des produits commercialisés, nous touchons le fond.

La presse m'a demandé pourquoi j'étais contre cette mesure. J'ai répondu que c'était un problème de société, car c'est accepter que des gens riches susceptibles de payer des produits sûrs, seront bien portants, et que des populations qui connaissent, malheureusement, plus de difficultés financières, ne pourront pas avoir accès à ces produits. Cela signifie aussi qu'un produit qui n'aurait pas ce label de qualité ne devrait pas être sur le marché.

Le principe selon lequel les signes officiels de qualité garantiraient une qualité sanitaire - et auquel le CIV, en accord avec les associations de consommateurs, est totalement opposé - a une autre conséquence : le système des signes officiels de qualité est contrôlé, ce qui est normal, par des organismes tiers indépendants. C'est un choix de consommateurs, ce sont des produits qui apportent un plus et les pouvoirs publics ont suffisamment de choses à faire pour faire respecter la réglementation sans devoir aller contrôler au-delà de la publicité mensongère des cahiers des charges qui donnent telle ou telle chose en plus.

En revanche, si l'on confondait sécurité sanitaire et signe officiel de qualité, label, on aurait subrepticement un transfert des contrôles publics vers des organismes privés. Aussi indépendants soient-ils, cela ne me paraît pas légitime.

Comme je suis amené à faire quelques déclarations dans la presse, j'ai toujours essayé de ne pas faire d'opposition entre le secteur laitier et le secteur des races à viande, que l'on appelle le troupeau allaitant, terme que j'évite d'utiliser parce qu'il fait plutôt référence au secteur laitier. J'ai toujours dit que je pensais qu'il y aurait de l'ESB partout
- et cela a été le cas - au même titre que j'avais dit aussi que je pensais que nous aurions encore des cas d'ESB après 2000, parce que cela me paraissait une évidence.

L'origine d'un produit est importante mais elle ne peut constituer directement un outil sanitaire. Les signes officiels de qualité sont très utiles, mais l'on est en train de faire une confusion des genres et de créer des crises à terme parce que, à juste titre, la presse ou des associations de consommateurs diront que l'on est en train de tromper le consommateur. La faute sera de n'avoir pas réagi pour dissiper le malentendu.

M. Germain GENGENWIN : Pour revenir au début de la crise en octobre dernier, pensez-vous que le fait que la grande surface que vous avez citée ait inséré des pages entières dans la presse pour dire qu'elle retirait de la vente tous ces produits relevait de la publicité ou de l'information ?

M. Louis ORENGA : Quand je parlais de marketing de marque, ou d'enseigne, du rôle d'information des pouvoirs publics et d'un juste milieu entre les deux, je faisais, entre autres, référence à cela. On ne peut pas en vouloir à une enseigne de préserver son marché. Le problème, dans ce type de démarche, c'est que, face à une crise, qui s'apparente presque à une crise de société, il y a eu des effets pervers qui laissent supposer que le produit est à risque.

Il y a ensuite des considérations annexes sur lesquelles je ne porterait pas de jugement. Cependant, globalement, il ne faut pas oublier que la presse est la presse et le marketing, le marketing. Chacun fait ce qu'il pense devoir faire compte tenu de ses objectifs, et, si nous n'avons pas une alternative à ces deux approches, il y a des crises à répétition.

Il va falloir structurer une information différente, qui permettra à chacun de s'exprimer tout en apportant autre chose.

Lorsqu'une enseigne constate que le consommateur s'interroge fortement sur le muscle, qu'il n'a rien compris, elle a un réflexe de survie. Pour ne pas altérer son image, elle doit prendre cette décision. En fait, je ne sais si, économiquement, cela a été opérationnel, mais, collectivement, en terme d'information générale, le lendemain, tout le monde nous appelait en nous disant que le muscle était dangereux : « Voilà la preuve : non seulement, ils retirent la viande concernée, mais toute la viande de toute l'entreprise. Cela veut dire que, même dans l'entreprise, ils sont incapables de gérer. »

Cela montre bien que pour éviter de tels comportements - encore une fois, il ne s'agit pas de juger l'enseigne, mais un tel réflexe ne me paraît pas aberrant dans le domaine commercial - il faut une meilleure information. S'il avait existé une information plus générale, plus institutionnelle permettant au consommateur de disposer d'un peu plus de repères, nous aurions peut-être évité ce type d'annonces, ou du moins relativisé l'impact du comportement d'un opérateur commercial unique, pris dans un problème dont je ne nie pas qu'il n'a pas dû être simple à régler ; pas plus qu'il ne l'a été pour la SOVIBA.

M. Jean AUCLAIR : Je rebondis sur vos propos pour dire que vous avez deux cents fois raison. Ce n'est pas parce que de la viande est labellisée ou biologique que la sécurité sanitaire est absolument garantie. Nous sommes dans un monde un peu étonnant où l'on est obligé de vendre au consommateur ce qu'il veut, non pas manger, mais surtout entendre ! Vous avez abordé le problème sanitaire et qualitatif, mais je voudrais que vous traitiez aussi le problème des prix. On assiste à un phénomène assez particulier : une baisse de la consommation de viande, qui s'accompagne d'une hausse des prix à la consommation des morceaux à griller et d'une baisse des prix de la viande sur pied, ce que ni le consommateur ni le producteur ne comprennent. Pour ces professionnels, c'est facile à expliquer. Il faudrait que le CIV fasse passer le message.

Pensez-vous que si l'on arrive à faire baisser le prix de la viande à la consommation, notamment des morceaux à griller, ce qui est très facile à faire, on pourra faire repartir la consommation et l'activité commerciale ?

M. Germain GENGENWIN : C'est l'inverse qui s'est produit.

M. Jean AUCLAIR : Je suis persuadé qu'il existe des moyens économiques faciles à mettre en _uvre, notamment à l'égard de la Communauté, pour faire baisser le prix de la viande à la consommation. En fait, les Français ne consomment que 15 % de la carcasse d'un bovin.

M. Louis ORENGA : Lorsque le CIV délivre une information, il faut qu'elle soit objectivée à la base et facile à expliquer. S'agissant des prix, je vous dirai franchement que je sais décrire certains phénomènes mais qu'il en est d'autres pour lesquels je ne dispose pas des outils permettant de les comprendre, et je suis donc incapable de les décrypter.

Ce que je peux expliquer, c'est qu'effectivement - vous avez raison de le souligner - il n'est pas facile de commenter l'évolution du prix des viandes. J'ai travaillé longtemps dans le domaine des fruits et légumes, il est plus facile d'expliquer le phénomène pour les pommes. Le problème c'est que l'on paie à l'éleveur un animal de huit cents kilos dont on ne va, en fait, commercialiser que trois cent soixante. L'opérateur qui achète un animal répercute ensuite le prix sur les produits vendus. Lorsque certains produits à risque sont retirés ou lorsque certains produits ne se vendent plus, les opérateurs répercutent les prix sur les morceaux à griller qui continuent de se vendre.

En dehors de l'aspect sanitaire - je trouve à ce propos scandaleux que l'Union européenne n'ait pas imposé plus tôt le retrait des matériels à risque - s'est posé un problème économique majeur. En effet, ces produits ont une valeur économique. Aussi, les pays qui ne les retiraient pas de la vente, bénéficieraient d'une valorisation économique, car leur viande devenait moins chère relativement et ils pouvaient, en plus, les exporter en France à moindre prix puisqu'ils avaient une péréquation économique plus favorable.

Il est clair que, en France, plus vous retirez des produits pour des raisons tout à fait évidentes de santé publique, plus vous augmentez le prix des produits que vous continuez à vendre.

Il y a aussi des problèmes purement commerciaux. La viande hachée représente dans la grande distribution 20 % du total des viandes. Dans certaines collectivités, c'est encore plus. Dès lors que l'on enregistre des baisses de consommation de viande hachée de plus de 60 %, il est évident que les avants, qui sont la matière première des steaks hachés, ne se vendent plus, et que les gens reportent sur les morceaux à griller le coût des produits qu'ils ne vendent plus.

Enfin, entre en jeu un comportement consommateur. Ce dernier a le sentiment qu'un produit de moins en moins cher est un produit de plus en plus suspect, dont on essaie de se débarrasser. En début de crise, il n'est donc pas facile de jouer sur les prix pour faire repartir la consommation.

Cependant, à ce stade de la crise, une baisse des prix peut-elle contribuer à une relance du marché ? Ma réponse est oui, si cela va de pair avec le maintien de l'étiquetage. Je rappelle que nous avons là un léger conflit avec l'Union européenne ; nos opérateurs sont incapables d'appliquer dans le même temps une multitude de codes, qui ne servent d'ailleurs strictement en rien à l'information consommateur et qui pénalisent la traçabilité. La France a en effet fait la démonstration depuis cinq ans, avec tous les contrôles de la répression des fraudes et du ministère de l'Agriculture mis en place, que, globalement, la traçabilité à la française permettait de garantir beaucoup de choses, même si tout système est toujours perfectible. Il est certain aujourd'hui que mettre en place le système de traçabilité européen - qui a été décidé sous cette forme parce que certains pays n'avaient pas les outils dont nous disposions - nous place devant un choix : soit nous appliquons le système de traçabilité européen qui ne donne pas l'information consommateur, soit nous appliquons le système de traçabilité français qui, lui, donne cette information. Mais appliquer les deux en même temps paraît difficilement conciliable.

La baisse des prix paraît indispensable à la reprise de la consommation, pour autant qu'elle ne soit pas interprétée négativement par le consommateur.

De plus, il faut - c'est ce que nous allons faire en lançant une grande action d'information sur la viande hachée - un rééquilibrage de la consommation entre morceaux à griller et viande hachée, qui ne se fera qu'avec un redémarrage de la consommation de la viande hachée. Sinon, c'est totalement infaisable.

C'est la raison pour laquelle nous avons incité les professionnels, en collaboration avec les associations de consommateurs, à modifier leur code des usages sur la viande hachée, à passer en 100 % muscle, alors que nous étions à 99 %, à donner l'origine et à accepter, dans le cadre du nouveau code des usages, des contrôles par une tierce partie. C'est l'un des éléments de la stabilisation des prix.

Mme Monique DENISE : Vous disiez qu'une baisse des prix pourrait relancer la consommation. Dans cette perspective, l'exemple de l'Angleterre serait peut-être à méditer, même si les consommateurs n'ont pas les mêmes comportements en Angleterre et en France. En Angleterre, après la première crise de l'ESB, il me semble bien avoir lu dans la presse que les prix avaient baissé de façon considérable. Les consommateurs avaient « réappris » à manger de la viande, puis les prix avaient progressivement ré-augmenté et la consommation était restée la même.

M. Pierre HELLIER : Je voudrais que l'on revienne sur l'information parce qu'elle a joué un très grand rôle dans cette crise. Vous avez parlé de la nécessité de structurer une information différente. C'est effectivement votre rôle. En prévention, ce doit être possible. Mais, en urgence, je ne suis pas sûr que vous puissiez avoir la même réactivité que les médias et les hommes politiques et que vous puissiez contrer les excès de la dérive médiatique. C'est une question majeure.

M. Louis ORENGA : Pour répondre à votre question sur l'Angleterre, il faut savoir que les Britanniques ont effectivement redressé leur consommation, mais il y a eu un transfert de celle-ci sur d'autres produits. En Angleterre, plus de la moitié de la consommation de viande porte sur des produits transformés. Ils ont connu des difficultés sur les produits élaborés, d'autant plus qu'ils avaient un problème sanitaire important, leur réglementation permettant l'utilisation d'abats, notamment de cervelle, dans le steak haché. Ils ont donc eu un choc profond et ont revu leurs cahiers des charges sur les produits élaborés. Ils ont interdit la fabrication de produits élaborés avec des animaux de plus de trente mois et ils ont eu aussi une action sur les prix. C'est la raison pour laquelle je vous disais que l'action sur les prix ne peut être que concomitante avec un renforcement de l'image d'étiquetage, d'information et de qualité. Sans cela, elle est perçue - et elle l'aurait été aussi en Angleterre - comme une tentative de vendre un produit moins cher dont on n'est plus très sûr.

Mais vous avez tout à fait raison de dire aussi que nous avons eu un problème tout à fait différent en France, parce que la perception du consommateur en matière alimentaire ne se pose pas du tout dans les mêmes termes en France qu'en Angleterre. J'en prends deux exemples. J'étais lundi à Bruxelles où la Commission nous a demandé de faire une analyse du comportement des consommateurs dans tous les pays. Entre le comportement du consommateur anglais et du consommateur français, c'est vraiment le jour et la nuit. Le consommateur anglais n'a pas du tout le même attachement au produit. Il ne demande pas les mêmes outils de réassurance. Il a confiance dans le système industriel et dans les supermarchés. En France, au contraire, et nous l'avons testé plusieurs fois, le consommateur considère, par exemple, que la grande surface n'est pas très crédible pour garantir la qualité sanitaire des produits alimentaires. L'attachement des consommateurs anglais à leur alimentation est d'une nature tout à fait différente.

Sur l'information, vous avez tout à fait raison : Il est possible de réagir à une crise dans la presse, pratiquement en une demi-journée ; là où nous ne sommes pas de taille, c'est que, malheureusement, si je peux donner une information et indiquer rapidement ce que nous pensons de tel ou tel produit, je n'ai pas capacité de donner une information directe au consommateur qui soit de même nature, et de même puissance, que les trois journaux de vingt heures qui vont prendre les mêmes images et délivrer la même information. Le vingt heures de TF1, celui de France 2, plus le 19-20 de France 3 vont toucher 80% de la population. Moi, pour toucher ces 80 % de manière aussi efficace, il faudrait que je mobilise le budget du CIV pendant trois ans. Il est donc clair que je n'ai pas les moyens de cette politique.

Il va falloir que, dans notre pays, globalement et collectivement, on comprenne que lorsque l'on parle d'information sur les marchés, cela consiste aussi à dégager les moyens financiers pour donner cette information. Dire que l'on va mettre vingt millions de francs sur trois ou quatre ans pour informer le consommateur, c'est bien, mais c'est plus un effet d'annonce que des mesures opérationnelles. Si l'on songe que pour envoyer une lettre à soixante millions de Français, cela coûtera au CIV cent vingt millions de francs ! Les crises coûtent des milliards. On peut se demander tout de même si un peu d'information par anticipation n'aurait pas coûté moins cher en termes de mesures, n'aurait, en fin de compte, pas coûté quelques milliards de moins dans la mesure où on finit par être obligé de prendre certaines décisions parce que l'opinion publique les demande en raison de vice de forme au départ.

Si l'on n'y prend pas garde, si l'on ne met pas en place une bonne information sur la qualité sanitaire, on sera un jour amené à prendre une mesure légitime aux yeux de l'opinion publique qui coûtera beaucoup d'argent. Comme en matière d'assurances, on se dira alors qu'il aurait mieux valu informer les gens correctement avec un peu d'argent, plutôt que d'avoir à prendre ensuite une mesure qui coûtera peut-être des milliards. Je suis certes un peu juge et partie, mais je pense néanmoins qu'un peu d'information en amont permettrait bien des économies. Pendant la crise elle-même, ce n'est pas possible. Je reviens à ce que je disais en introduction : avant, on ne dit pas, parce que cela pourrait créer un problème ; pendant, on ne peut pas faire grand-chose ; et après, il ne faut plus en parler parce que cela prolonge le problème.

Si l'on communique suffisamment avant et après, on arrive toujours à relativiser le problème lors de la prochaine crise. Moins on le fait, plus les personnes s'interrogent, plus la crise suivante sera forte parce qu'elle se produira sur un terrain favorable. Au moment de la crise, il est vrai qu'il est difficile de rationaliser, on ne peut réagir que de manière défensive, dire que l'on aurait pu faire cela mais qu'on ne l'a pas fait. C'est forcément une communication événementielle négative. Je ne connais personne qui parvienne vraiment à gérer correctement une crise majeure pendant les trois ou quatre premiers jours.

Mais ce que nous pouvons faire dans une crise majeure de ce type, c'est éviter de l'alimenter par des décisions hasardeuses car non seulement vous ne réglez pas le problème mais, en plus, vous en sortez encore plus difficilement. Je ne crois pas que l'on puisse vraiment gérer une crise au moment où elle survient mais, selon ce que l'on dit et fait, on peut en limiter la durée et surtout en sortir mieux ou moins bien, en fonction de ce que l'on dit pendant la crise.

M. le Rapporteur : Nous avons bien compris vos difficultés. Les solutions ne sont pas faciles à apporter, mais il est certain que quelques moyens supplémentaires, notamment financiers, permettraient d'améliorer l'information.

M. Louis ORENGA : Il faut aussi veiller à la nature des messages, ne pas se baser sur une culture marketing, mais en revenir à une vraie culture informative.

M. le Rapporteur: Nous vous remercions.

Audition de Mme Annick ALPÉROVITCH,
directrice de l'unité 360 de l'INSERM
« Recherches épidémiologiques en neurologie et psychopathologie »

(extrait du procès-verbal de la séance du 3 avril 2001)

Présidence de M. Michel Vergnier, Rapporteur

Mme Annick Alpérovitch est introduite.

M. le Rapporteur lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Rapporteur, Mme Annick Alpérovitch prête serment.

M. le Rapporteur : Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes directrice de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, et directrice de l'unité 360, qui est consacrée aux recherches épidémiologiques en neurologie et psychopathologie. En outre, vous êtes membre du Comité interministériel sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles.

Lors de votre audition par la mission d'information dont notre collègue M. Mattei était le rapporteur, le 17 septembre 1996, vous aviez dressé un tableau épidémiologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Vous aviez également souligné les difficultés méthodologiques qui caractérisaient ce genre d'étude. Cinq ans après, cette nouvelle audition nous permettra de mesurer l'évolution de l'épidémiologie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en particulier de la nouvelle variante. Peut-être pourrons-nous aborder également la prospective, c'est-à-dire les méthodes de prédiction de cette maladie, ainsi que la question de la thérapeutique.

Mme Annick ALPEROVITCH : Je vais brièvement vous exposer ce qui a changé dans la surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob depuis 1996.

Cette surveillance a été modifiée par l'arrivée de deux tests importants. Le premier est utilisé devant toute suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il s'agit d'un test effectué sur du liquide céphalorachidien. Il n'est absolument pas spécifique de la maladie ; il donne une orientation diagnostique mais, en aucun cas, un diagnostic. Quand je dis qu'il n'est pas spécifique, c'est qu'il peut aussi être positif pendant la phase aiguë d'accidents vasculaires cérébraux, dans certaines encéphalopathies et dans certains tableaux de crises épileptiques ; donc, dans des tableaux cliniques très différents de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Mis au point en 1996-1997, il est actuellement très largement utilisé par tous les neurologues en France devant tout tableau neurologique qui n'a pas de diagnostic immédiat. En fait, il est plus souvent prescrit par les neurologues pour écarter une maladie de Creutzfeldt-Jakob que pour faire un diagnostic positif. Toutefois, lorsque ce test est positif, il rend très probable le diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Entre 1996 et aujourd'hui, on a observé une très large utilisation de ce test par la communauté neurologique en France. Je dis en France, parce que c'est assez particulier à la France. Dans les autres pays européens, ce test n'est pas aussi largement utilisé.

En 2000, il y a eu environ 1 000 prescriptions de ce test devant des tableaux neurologiques pour lesquels le diagnostic n'était pas immédiat. Très souvent, entre le moment où le test est prescrit et celui où son résultat est transmis au neurologue, un autre diagnostic que celui de maladie de Creutzfeldt-Jakob est déjà affirmé.

Un inconvénient de cette très large prescription est un très grand nombre de fausses suspicions de maladie de Creutzfeldt-Jakob qu'il faut gérer - je résumerai comment cela se fait -, mais cela présente aussi l'avantage d'offrir une assez forte probabilité que la surveillance soit relativement exhaustive.

Cela, c'est pour les formes classiques de la maladie. Ce test est pratiqué par quatre ou cinq laboratoires en France, dont celui de Lariboisière qui pratique plus de 80 % de ces tests. Chaque fois qu'une demande de test est adressée à l'un de ces laboratoires, ce dernier nous transmet les coordonnées du service qui a fait cette demande, ainsi que celles du malade concerné. Notre unité qui a en charge la coordination prend alors contact avec le service pour suivre l'évolution de ce cas et soit infirmer soit confirmer le diagnostic, dans la mesure du possible, jusqu'à l'autopsie.

L'autre test qui modifie la surveillance de la maladie, est plus récent et concerne le nouveau variant. Il a été montré par des équipes anglaises que, dans ce nouveau variant, contrairement à ce qui se passe dans la forme classique, on trouve de la protéine prion pathologique non seulement dans le cerveau mais aussi dans des organes périphériques, en particulier dans les amygdales et l'appendice. Nous disposons donc d'un moyen d'évoquer un diagnostic probable de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob du vivant du malade et, sur la base des travaux publiés par les équipes anglaises, il semble que ce test a une bonne valeur diagnostique en probabilité. Donc, à la fois le test 14.3.3., pour toutes les formes de la maladie, et le test sur l'amygdale, pour les suspicions de nouveau variant, ont modifié les conditions du diagnostic et, donc, de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob entre 1996 et aujourd'hui.

En ce qui concerne les suspicions de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, depuis 1996, il nous en est signalé en moyenne entre cinq et dix cas par an. En dehors de trois cas avérés, aucune de ces suspicions ne s'est confirmée puisque, vous le savez, il y a en France deux cas confirmés par examen neuropathologique et un probable sur la base des données cliniques, en particulier du test des amygdales.

Comme vous le savez, pour affirmer le diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob, et pour définir de quel type de maladie il s'agit, il est essentiel d'avoir un examen autopsique. Malgré tout, sur la base des critères utilisés dans l'ensemble des pays européens aujourd'hui, lorsqu'un diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob cliniquement probable est posé, c'est-à-dire avec un test 14.3.3. positif - car lorsque l'on parle de diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob, c'est que l'on a pu vérifier le cas par autopsie - la possibilité de se tromper est extrêmement faible. Donc, le diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob probable, même en l'absence d'autopsie, est un diagnostic qui a vraiment une bonne validité. C'est notamment grâce au test sur le liquide céphalorachidien et la protéine 14.3.3.

Il est important cependant d'avoir un examen du tissu cérébral pour pouvoir typer la maladie de Creutzfeldt-Jakob, pour savoir en particulier si le type de protéine prion est celui qui caractérise l'ESB et le nouveau variant de maladie de Creutzfeldt-Jakob ou des types de protéines prion associées aux autres formes de la maladie : sporadique, iatrogène ou génétique. Cela peut se faire sur du tissu cérébral et, éventuellement, sur du tissu d'amygdale pour le nouveau variant.

En France, depuis que nous surveillons la maladie de Creutzfeldt-Jakob - nous avons commencé en 1992 - le taux d'autopsie a connu des hauts et des bas fluctuant avec les modifications de la réglementation dans le domaine des précautions sanitaires à l'hôpital, fluctuant aussi avec la plus ou moins grande sensibilité à la fois du médecin et du public vis-à-vis de la maladie. Il est actuellement de 60 %, c'est-à-dire que l'on arrive à avoir un diagnostic de certitude pour 60 % des patients qui meurent avec un diagnostic de maladie de Creutzfeldt-Jakob probable.

Je pense que l'on peut encore améliorer ce pourcentage en faisant les efforts financiers nécessaires mais, bien sûr, il y a une limite. Il y a des familles qui refusent l'autopsie et pour lesquelles il est difficile de trouver des arguments pour les convaincre d'aller au-delà de ce refus ; et il y a une proportion non négligeable de patients qui meurent chez eux et l'on conçoit que, dans ce cas, l'autopsie pose problème. Je pense que l'on pourrait se fixer comme objectif d'aller jusqu'à 70 % d'autopsie. Nous aurons du mal à aller au-delà.

Depuis 1996 - c'était une tendance qui s'était amorcée entre 1992 et 1996 - le nombre de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob a augmenté en France puisque, sur une période de dix ans, l'incidence de la maladie sporadique classique a pratiquement doublé. Elle est actuellement de 1,4 cas par million et par an, alors qu'elle était de 0,7 cas par million et par an il y a une dizaine d'année. Cette tendance s'observe dans tous les pays qui ont mis en place une surveillance intensive de la maladie, que ces pays aient ou non été exposés à l'ESB. En fait, l'interprétation de cette tendance est qu'une meilleure surveillance, plus active, permet de détecter des cas qui, auparavant, passaient inaperçus.

Il y a aussi l'effet du test 14.3.3. qui fait que l'on a davantage de cas probables. Lorsqu'on regarde en détail comment cette augmentation peut varier en fonction de l'âge, on s'aperçoit effectivement que c'est parmi les patients les plus âgés que l'on observe l'augmentation la plus forte, alors que l'on n'en a pas chez les patients de moins de cinquante ans. Cela rejoint l'idée que lorsqu'on surveille de manière plus intensive, on détecte plus de cas, en particulier chez des patients âgés qui auraient peut-être été classés comme atteints d'une démence banale il y a une dizaine d'années.

Cette tendance se retrouve dans tous les pays européens. En ce qui concerne le nouveau variant, nous avons trois cas en France, à comparer avec les quatre-vingt-seize cas existants en Grande-Bretagne aujourd'hui, dont certains probables, et un cas en Irlande. Il n'existe aucun autre cas connu de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans aucun autre pays européen ou en dehors de l'Europe.

Est-il possible de prédire ce qui va se passer en termes de nombre de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob dans les années à venir ? Pour ce qui est de la maladie sporadique, nous devrions observer un plateau dans cette tendance à l'augmentation parce que la surveillance de la maladie est de bonne qualité. Elle ne pourra pas être sensiblement améliorée. Donc, ce fait de l'amélioration de la surveillance, qui avait pour résultat de mettre en évidence davantage de cas, ne devrait plus jouer et nous devrions observer une stabilisation de l'incidence de la maladie sporadique.

Pour ce qui est du nouveau variant, il est très difficile de faire des prédictions fines pour la France. Tout ce que nous pouvons essayer de faire, c'est de nous appuyer sur certaines prédictions qui ont été faites en Grande-Bretagne et de voir comment ces prédictions pourraient être adaptées à la France, compte tenu de la différence d'exposition des deux pays. En France, il y a trois sources d'exposition de la population à l'agent de l'ESB : les importations en provenance des Îles britanniques, l'ESB dans le cheptel français, et les séjours en Grande-Bretagne d'une partie de la population française.

Lorsqu'on essaie d'évaluer, de manière sommaire, l'exposition à l'ESB liée à l'une de ces sources, avec de grandes difficultés que vous pouvez imaginer, la conclusion que l'on peut en tirer, c'est que la population française a, malgré tout, été bien moins exposée à l'ESB que la population britannique, au minimum dix fois moins. Une autre façon d'évaluer de façon sommaire l'exposition des deux populations consiste simplement à faire le rapport du nombre de cas dans les deux pays à ce jour. Il est de quatre-vingt-seize en Grande-Bretagne et de trois en France. On pourrait penser que la population française a été vingt à trente fois moins exposée que la population britannique. Mais il serait imprudent de conclure si vite, parce que l'on peut penser que nos cas seront décalés par rapport aux cas anglais.

La Grande-Bretagne est aujourd'hui le seul pays en mesure de faire des prédictions basées sur des modèles de simulation. Ils vont probablement affiner leurs modèles en fonction de nouvelles observations. Dès lors, il est important d'essayer d'avoir en France des données solides sur l'exposition de la population pour pouvoir s'appuyer sur ces simulations britanniques pour évaluer ce qui pourrait se passer en France.

M. le Rapporteur : Voilà des données objectives qui justifient une attitude de précaution et relativisent tout alarmisme. Vous disiez que l'on qualifiait certaines maladies, il y a dix ans, de démence précoce. Pouvez-vous préciser ce point ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Il y a une vingtaine d'années, il était considéré qu'il n'y avait pas de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez des patients très âgés. On ne décrivait jamais de maladie de Creutzfeldt-Jakob à quatre-vingts ans. On formulait un diagnostic de démence sur ces cas. Mais depuis que l'on fait une surveillance attentive et que l'on n'écarte plus cette hypothèse face à toute démence d'évolution rapide chez une personne âgée et que l'on évoque et vérifie par autopsie ce diagnostic, on s'aperçoit qu'il y a d'authentiques maladies de Creutzfeldt-Jakob chez des personnes de plus de quatre-vingts ans.

M. Pierre HELLIER : Le diagnostic de certitude du nouveau variant est donné par l'autopsie. On se base pour un diagnostic de probabilité sur les signes cliniques, sur le test 14.3.3., sur l'examen histologique des tissus lymphoïdes ; ne pourrait-on pas imaginer, puisque l'autopsie est parfois difficile à mettre en _uvre, qu'un prélèvement relativement discret de matière cérébrale soit suffisant pour établir le diagnostic de certitude ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Je ne suis pas neuropathologiste, mais j'ai toujours entendu mes collègues neuropathologistes être très réservés vis-à-vis de cette procédure parce que la PrP (protéine prion) n'est pas répartie de manière homogène dans le cerveau. Donc, on risquerait de passer à côté et de faire un faux diagnostic négatif.

M. Germain GENGENWIN : Êtes-vous en relation avec les chercheurs britanniques ? Il existerait plusieurs cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob décelés provenant d'un même village. A-t-on décelé là les véritables causes ? Il doit bien y avoir des pistes précises dans ce cas concret. Par ailleurs, quelles sont les dernières données en matière de recherche sur le prion ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Nous sommes bien sûr en contact avec nos collègues britanniques au sein d'un réseau de surveillance européen, depuis 1993. Nous sommes en particulier en contact avec l'équipe du professeur Will, mais en Grande-Bretagne, plusieurs équipes sont amenées à travailler sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob et le nouveau variant.

Ce n'est pas l'équipe du professeur Will qui a fait l'étude du foyer où cinq cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob se sont développés, dont quatre dans le même comté, mais ce sont des épidémiologistes appartenant au système sanitaire anglais et non au système de recherche. J'ai eu entre les mains le rapport qui a été élaboré par cette équipe, qui laisse ouvertes de nombreuses questions. Cette équipe retient comme seule possibilité de lien entre ces cas le fait qu'ils aient été clients de petites boucheries, dans lesquelles les bouchers, parfois, abattaient eux-mêmes leurs bêtes, ou débitaient les bêtes abattues dans de petits abattoirs. Ils font donc l'hypothèse qu'il a pu y avoir à cette occasion une contamination de la viande par le système nerveux central. Ce rapport que j'ai eu entre les mains est la seule chose sur laquelle je peux m'appuyer et il ne donne pas les éléments qui permettent de comprendre exactement comment ils en sont arrivés à ce résultat. Je ne le mets pas en doute, mais je pense qu'ils vont publier leurs travaux sous forme de publication scientifique et que, tant qu'ils ne l'ont pas fait, ils donnent un minimum d'informations.

M. Marcel ROGEMONT : Où en est le suivi de cette maladie sur le plan de l'Union européenne ? Vous nous indiquiez à l'instant que trois cas avaient été décelés en France, quatre-vingt-seize en Grande-Bretagne et un en Irlande, mais des pays comme le Portugal ont eu une exposition au risque similaire à la nôtre ou à celle de l'Irlande. De quelles informations disposez-vous quant à la qualité, la densité et la fiabilité de ce suivi entre les différents pays ?

C'est une question que je vous poserai d'une autre manière, en vous demandant des éléments de comparaison entre la France et la Grande-Bretagne. Notre capacité à suivre l'évolution de la maladie est-elle comparable à celle de la Grande-Bretagne ou de l'Irlande, pour ne prendre que ces deux pays qui ont eu des cas de nouveau variant de la maladie ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Au niveau européen, il existe deux réseaux de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Le premier a été mis en place en 1993. C'est un réseau qui a pour finalité non seulement de surveiller l'incidence de la maladie, mais aussi d'en définir les facteurs de risque. C'est un réseau qui a un objectif principal de recherche sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il s'est mis en place en 1993, c'est-à-dire avant que ne soit identifié le premier cas de nouveau variant, justement parce que les équipes et les pays qui sont impliqués dans ce réseau pensaient que, si l'agent de l'ESB passait à l'homme, il était essentiel pour s'apercevoir le plus vite possible de ce passage, de disposer de données solides sur la fréquence de la maladie dans différents pays européens, des pays peu ou pas du tout exposés à l'ESB et des pays très exposés.

Dans ce réseau européen, se trouvent la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, l'Autriche, l'Espagne, l'Allemagne, la Suisse et, plus récemment, le Canada et l'Australie, qui sont des pays non exposés à l'ESB car il était important d'avoir aussi des données épidémiologiques sur ces pays.

Les pays qui appartiennent à ce réseau, appelé Euro-CJD, sont des pays qui utilisent vraiment les mêmes méthodes de surveillance et de diagnostic. Nous nous réunissons au moins deux fois par an. Entre les réunions, les échanges d'informations sont permanents. Je pense que ces pays surveillent les maladies de Creutzfeldt-Jakob de manière identique et que les données obtenues sont comparables.

Il existe un autre réseau qui, lui, a été organisé après l'apparition du nouveau variant en 1997, et qui réunit la plupart des autres pays européens, c'est-à-dire ceux qui n'appartiennent pas au premier réseau. Ce second réseau a simplement un objectif de surveillance. Le premier réseau fait aussi des enquêtes cas-témoins et a un certain nombre de projets de recherches associés à la surveillance. Le second n'a qu'un objectif de surveillance.

Je le consultais encore aujourd'hui en comparant les chiffres d'incidence de la maladie dans les pays du premier réseau et du second, qui sont différents. Le premier réseau a probablement encore des progrès à réaliser sur le plan de la surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en général. Malgré tout, pour ce qui est du nouveau variant dans des pays de niveau de développement comparable en Europe, compte tenu de la sensibilisation du public et des neurologues sur cette maladie, du fait que le nouveau variant touche des sujets jeunes, c'est-à-dire présente un tableau neurologique évoluant rapidement de manière très grave et aboutissant au décès, je pense que le risque de passer à côté d'un nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans ces pays est vraiment très faible.

M. Marcel ROGEMONT : La Suisse a-t-elle eu une exposition comparable à la France ? Que pensez-vous du nombre de cas relevé dans ce pays ?

Mme Annick ALPEROVITCH : En fait, il y a une source d'exposition qui nous différencie beaucoup de la Suisse, ce sont nos importations de produits britanniques. Sur la période précédant l'embargo de 1990, la France était un importateur de produits bovins d'origine britannique. Il me semble que pour ce qui est des carcasses et animaux vivants, c'était à peu près 50 %. Les autres pays très exposés, mais avec une moindre population, ce sont les Pays-Bas et l'Irlande. La Suisse n'a absolument pas connu cette exposition. La Suisse a seulement été exposée par l'ESB de son cheptel bovin qui est sans commune mesure avec l'épidémie britannique, bien sûr, même si l'on peut dire qu'elle est sous-estimée. Donc, l'explication la plus vraisemblable de la différence est celle-ci.

M. François GUILLAUME : Vous avez indiqué que l'on ne pouvait pas tirer de conclusion du rapport qui avait été fait sur ce village de Grande-Bretagne, où cinq personnes étaient atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Néanmoins, peut-on en tirer la conclusion d'une plus grande probabilité, voire d'une certitude, de la transmission de la maladie de l'ESB à l'homme au travers de ce nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?

Ma deuxième interrogation porte sur les tests sur les animaux. L'information nous a été donnée récemment selon laquelle les recherches auraient abouti et qu'on pourrait disposer d'un test in vivo, ce qui permettrait de procéder à une éradication des animaux atteints, comme on a procédé à l'éradication de certaines maladies, comme la brucellose, la tuberculose, la leucose, etc.

Mme Annick ALPEROVITCH : Pour votre première question, je crois que ce qui n'était en 1996 qu'une hypothèse basée sur des données épidémiologiques, à savoir que le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob était lié à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine n'en est plus une aujourd'hui, compte tenu des données scientifiques et expérimentales qui se sont accumulées depuis. Personne ne doute, dans la communauté scientifique, que le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob soit dû à l'agent de l'ESB. Il y a vraiment un consensus fondé sur des faits très solides.

A propos du cluster (foyer de cas) britannique, les données publiques actuellement disponibles ne permettent pas de comprendre vraiment par quel cheminement et sur quelles données les équipes qui ont fait ce travail en arrivent à ces conclusions. Probablement, disposerons-nous assez rapidement d'informations plus complètes. Concernant le test sur les animaux, c'est une rumeur que j'ai entendue mais, à ma connaissance, il n'existe aucun test in vivo qui soit prêt à être utilisé.

M. Pierre HELLIER : Même pas le test 14.3.3 ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Non, même pas celui-ci.

M. le Rapporteur : Je pense que mon collègue Guillaume a entendu comme moi parler d'un test allemand. J'ai lu cela aussi avec beaucoup d'attention.

Mme Annick ALPEROVITCH : Je l'ai lu comme vous, mais je n'ai pas plus d'informations.

M. Daniel VACHEZ : Qu'en est-il des possibles prédispositions de ceux qui ont été atteints par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ? En effet, il devrait y avoir bien plus de cas si l'on estime qu'il y a eu une forte exposition de la population. Que peut-on dire à ce sujet ? On a parlé de prédispositions génétiques. Y en a-t-il d'autres, par exemple les habitudes alimentaires ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Il y a certainement une susceptibilité génétique particulière des personnes atteintes par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, puisqu'à ce jour, toutes ces personnes ont une caractéristique génétique identique en ce qui concerne le gène de la protéine prion. Elles sont méthionine-méthionine. Dans la population générale, il y a environ 40 % de personnes qui ont ce génotype. Toutes les personnes atteintes, à ce jour, par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont ce génotype.

Mais il est encore un peu tôt pour pouvoir affirmer que seules les personnes de ce génotype sont susceptibles de développer la maladie car il y a une autre hypothèse, c'est que celles qui ont un autre génotype présentent des durées d'incubation plus longues, comme on l'a vu dans la forme iatrogène de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et dans le Kuru. Pour l'instant, on ne peut affirmer que seules les personnes méthionine-méthionine présentent un risque de développer la maladie.

L'autre élément qu'il est très difficile de comprendre aujourd'hui est l'âge de ces patients, puisque, comme vous le savez, le nouveau variant touche en grande majorité des sujets jeunes. L'âge moyen des malades est aujourd'hui inférieur à trente ans. Même s'il y a eu un cas de soixante-quatorze ans et deux cas de cinquante ans, tous les autres malades sont de jeunes adultes.

Cet élément est inexpliqué à ce jour. Différentes hypothèses sont avancées, l'une étant, comme vous l'avez évoqué, les habitudes alimentaires particulières de cette classe d'âge qui aurait eu plus tendance à consommer des viandes mélangées à d'autres tissus qui pouvaient être porteurs de l'agent de l'ESB.

En ce sens, ce qui est décrit pour le cluster anglais, si c'est exact, pose question parce que, dans ce cas, les patients sont jeunes aussi. Or, ce qui est en cause, ce n'est pas de la viande hachée mélangée à d'autres produits, mais de la viande achetée chez un boucher. Cela laisse penser qu'il y a peut-être une autre hypothèse pour l'âge de ces patients, c'est qu'il y ait une susceptibilité liée à l'âge et que, pour des raisons physiologiques, on puisse être infecté à une certaine période de la vie et que le risque d'être infecté par le prion soit peut-être beaucoup plus faible à un âge plus avancé. C'est un phénomène connu pour des agents conventionnels. Il n'est pas simple de l'imaginer pour un agent non conventionnel comme le prion, mais cela reste une hypothèse.

M. Pierre HELLIER : Le prion doit-il est considéré comme une cause ou une conséquence ?

Mme Annick ALPEROVITCH : C'est une question que l'on n'a pas résolue, puisque nous n'avons pas isolé l'agent de la maladie. Nous savons que l'infectivité est étroitement associée à la protéine prion, mais, comme vous le savez aussi, des recherches en France et dans d'autres pays explorent d'autres pistes que l'hypothèse de la protéine. Pour l'instant, les équipes qui travaillent sur d'autres hypothèses n'ont pas de résultats. Mais, à mon avis, il est important que l'on poursuive ce type de recherches et que l'on ne considère pas que le prion est la cause.

M. le Rapporteur : Je souhaiterais interroger Mme Alpérovitch sur les moyens qui sont mis à disposition de la recherche aujourd'hui. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous le sentiment que les choses avancent ? Les moyens mis à la disposition de la recherche, notamment du Groupement d'intérêt scientifique (GIS), dont fait partie l'INSERM, sont-ils suffisants ?

Mme Annick ALPEROVITCH : Les moyens sont importants, notamment ceux qui seront distribués dans le cadre de ce GIS, mais les moyens engagés sont loin d'être négligeables depuis 1996. On peut difficilement dire que la recherche a manqué de moyens. Comme toujours, ce qui est un peu compliqué, ce sont les règles et les contraintes dans l'utilisation de ces moyens, en particulier en termes de personnel, puisque, pour réaliser des travaux de recherche de ce type, nous avons besoin de jeunes chercheurs qui vont travailler sur le sujet pendant plusieurs années, alors que les règles de gestion de ces moyens ne rendent pas toujours cela très facile.

Je pense que nous ne manquons pas de moyens. Ceux qui sont annoncés sont encore plus importants mais, là encore, après la réalisation et la construction des équipements nécessaires, notamment en termes de grandes animaleries, il y aura besoin de personnel pour que tout fonctionne bien. C'est souvent là la faiblesse : des moyens arrivent, qui permettent de construire des bâtiments, d'acheter des équipements mais, ensuite, les équipes de recherche sont confrontées aux difficultés du fonctionnement quotidien de ces grandes installations faute de moyens humains à tous les niveaux, qu'il s'agisse de personnels techniques ou de chercheurs.

De ce point de vue, il est important qu'un suivi de ces actions soit assuré afin que l'argent dépensé dans ces équipements soit rentabilisé au maximum en recherche.

M. le Rapporteur : On s'est beaucoup interrogé sur la dose contaminante. A-t-on progressé dans la connaissance de celle-ci ?

Mme Annick ALPEROVITCH : C'est, en effet, une question très importante. Nous ne connaissons pas la dose minimale infectante en prise unique pour l'homme. On voit bien quelles sont les difficultés qui empêchent de répondre précisément à cette question, car la réponse est expérimentale ; mais nous ne savons pas non plus, chez l'animal, l'effet que pourrait avoir la répétition de doses qui ne sont pas individuellement infectantes.

Je ne sais s'il y a beaucoup de recherches en cours sur le sujet. Elles sont sûrement très difficiles et très longues parce que, déjà, on voit bien qu'en prise unique, le temps de l'expérimentation animale est de plusieurs mois avant d'obtenir le résultat, voire plusieurs années quand on travaille sur le primate. Si l'on envisage des protocoles expérimentaux visant à étudier l'effet de prises répétées à des doses peu infectantes, ce sont des études qui demanderont plusieurs années.

M. le Rapporteur : Nous vous remercions.

Audition de M. Henri NALLET,
ancien ministre de l'Agriculture (1988-1990)

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Henri Nallet est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Henri Nallet prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été ministre de l'Agriculture d'avril 1985 à mars 1986, puis, une deuxième fois, du 12 mai 1988 au 2 octobre 1990, date à partir de laquelle vous avez exercé les fonctions de ministre de la justice.

Vous étiez donc ministre de l'Agriculture à une période clé, où l'ESB est en Grande-Bretagne une maladie patente - 2 500 cas d'ESB en 1988, 7 200 cas en 1989 - et soumise à une déclaration obligatoire depuis juin 1988. C'est aussi l'époque où les Britanniques décident de suspendre dans leur propre pays l'utilisation des farines animales pour l'alimentation des ruminants, décision prise en juillet 1988.

On note également que c'est cette année-là, lors de la 56ème session générale de l'Office international des épizooties (OIE), qui se tient à Paris du 16 au 20 mai 1988, que les autorités britanniques annoncent officiellement l'apparition dans leur pays de la nouvelle maladie bovine. La France est alors le premier importateur de bovins britanniques. Les farines animales sont importées en grande quantité de Grande-Bretagne, pays où leur utilisation est interdite pour l'alimentation de tous les ruminants depuis juillet 1988.

Il a fallu attendre plus d'un an, de juillet 1988 à août 1989, pour que les autorités françaises édictent un avis aux importateurs interdisant, sauf dérogation, l'importation des farines britanniques. En réalité, selon nos informations, la dérogation a été accordée à tout importateur s'engageant à ne pas donner ces farines à des ruminants. De surcroît, alors que les Britanniques interdisent l'utilisation des abats de bovins le 13 juin 1989 et que leur consommation humaine est interdite en novembre 1989, la France n'interdit leur importation de Grande-Bretagne que le 12 février 1990.

S'agissant des farines, la France a interdit le 24 juillet 1990 leur distribution aux seuls bovins. Ce n'est qu'en 1994 qu'elle étendra cette interdiction à tous les ruminants, à la suite d'ailleurs d'une mesure communautaire.

La décision française d'interdire les importations de viande bovine et de bovins de Grande-Bretagne prise le 31 mai 1990 était une décision nécessaire et courageuse. Mais elle est de très courte durée, puisque l'embargo est levé le 6 juin de la même année. Les autorités communautaires et britanniques ont sans doute exercé de très fortes pressions sur les autorités françaises.

C'est vous dire si votre témoignage sur cette période et les mesures que vous avez prises est important pour notre commission.

M. Henri NALLET : J'aurai à c_ur de m'exprimer devant vous avec le plus de précision possible et aussi, du moins je le pense profondément, avec la meilleure volonté possible, car il est important de vous dire tout ce que l'on sait et d'essayer d'établir la vérité, autant qu'il est possible, sur une période qui a été, vous le rappeliez, cruciale pour la question que vous étudiez.

J'ai été ministre de l'Agriculture pour la deuxième fois de mai 1988 à octobre 1990. J'ai donc eu à faire face à ce que l'on peut appeler la première crise de la vache folle, voici onze ans de cela. Onze ans, c'est une période assez longue et j'ai déjà eu à en témoigner une première fois, en 1996, devant la mission d'information présidée par Mme Guilhem et dont le rapporteur était M. Mattei. Sur le fond, je ne vois pas aujourd'hui grand-chose à modifier à mon témoignage de l'époque.

D'entrée de jeu, je vous dirai qu'il y a, d'une part, ce dont j'ai gardé la mémoire onze ans après, et, d'autre part, ce que j'ai essayé de reconstituer depuis. Ayant déjà eu à m'expliquer sur le sujet, j'ai tenté de comprendre, de reconstituer, de lire, de m'informer sur ce qui s'était passé à l'époque. Aussi, j'essaierai, chaque fois que possible, de distinguer dans mes propos ce qui appartient à ma mémoire, telle que je l'ai conservée, de ce que j'ai reconstitué depuis.

Quand je mobilise ma mémoire, sans notes, sans aucun papier, que je me remémore ce que j'ai vécu en tant que ministre, il y a, pour moi, deux périodes très distinctes. La première s'étend jusqu'en mai 1990. Jusqu'à cette date, je n'ai pas de souvenir concernant l'ESB ou la « vache folle », ni à Bruxelles ni à Paris. Je ne crois pas que l'on m'en ait parlé avant avril-mai 1990. Si l'on m'en a parlé - ce qui est toujours possible - ce n'était pas dans des termes qui appelaient une décision de ma part, car je n'en ai pas souvenir.

En revanche, durant la seconde période, à partir de mai 1990, j'ai de nombreux souvenirs extrêmement précis d'échanges, de discussions, voire de batailles autour de la question de la vache folle. Je vous les rapporterai volontiers. Pourquoi, dans mon souvenir, une césure aussi forte entre ces deux périodes ? Tout simplement parce que, jusqu'en mai 1990, pour la conscience que j'ai du problème sur lequel vous travaillez, ce que l'on appelle aujourd'hui l'ESB et qu'en mai 1990 on appelait encore la « BSE », terme britannique, est une maladie confidentielle, qui ne concerne qu'un certain nombre d'animaux assez éloignés de l'espace français.

Je vous rappelle, à cet égard, le témoignage très intéressant de Mme Brugère-Picoux disant qu'un article lui est alors refusé dans une revue savante vétérinaire, sous prétexte qu'il ne s'agit que d'une curiosité scientifique. C'est donc une maladie limitée strictement aux animaux, qui concerne le troupeau bovin britannique. Ensuite, les autorités britanniques parlent peu de la situation de leur troupeau. Il faut attendre deux ans, entre 1986 et 1988, pour qu'elles en fassent état à l'extérieur.

Enfin, jusqu'en mai 1990, cette maladie est sous la responsabilité directe des vétérinaires. C'est une maladie animale qui dépend de leur pouvoir propre d'intervention, voire de décision. J'ai essayé de reconstituer et de vérifier les raisons que je vous donne et qui, dans mon esprit, expliquent que, jusqu'en mai 1990, je n'aie pas entendu parlé de cette situation.

Vous avez fait allusion, M. le Président, à la session de mai 1988 de l'Office international des épizooties (OIE). Au cours de cette cession, on en parle de la manière suivante : « Une nouvelle maladie, dénommée BSE, est observée en Grande-Bretagne. L'incubation est de longue durée. L'agent pathogène est encore mal connu. Des recherches sont en cours. Le programme d'éradication de la maladie d'Ojeski en Grande-Bretagne est en bonne voie. Un foyer de la maladie comportant cinq cas a été rapidement éliminé par abattage de la totalité du troupeau. Les épreuves sérologiques effectuées sur 27 000 échantillons prélevés à ce jour dans le cadre de l'enquête nationale n'ont pas mis en évidence de cas de cette maladie. ».

Voilà ce que disent les vétérinaires mondiaux réunis en assemblée générale en mai 1988. Plus intéressante encore, j'ai retrouvé la première note produite par les services vétérinaires français sur cette maladie, en date de juin 1988 : « Ce que l'on peut dire de cette maladie disséminée sur le territoire anglo-saxon, concerne des cas généralement isolés au sein d'un troupeau. Un lien de filiation aurait peut-être été mis en évidence entre certains animaux malades, mais ces données, ajoutées à la faible prévalence de la maladie, permettent de penser que des éléments comme des facteurs génétiques et l'environnement jouent un rôle important dans l'apparition de la maladie. Certains chercheurs anglo-saxons pensent que l'utilisation, à partir de 1981, de la farine comme nouvelle source de protéine pourrait être à l'origine l'apparition de la BSE. »

Les vétérinaires français ajoutent : « Dans l'attente de plus amples connaissances, les recommandations ont été faites aux éleveurs et vétérinaires anglo-saxons d'éliminer les bovins malades, de désinfecter les locaux, d'assurer la surveillances des animaux nés de vaches malades. » Il n'est pas question de farines dans cette première note. Évidemment, celle-ci n'est pas portée à la connaissance du ministre ; elle est destinée à l'ensemble des directeurs des services vétérinaires et adressée, pour information, aux préfets, aux contrôleurs généraux, aux directeurs régionaux de l'Agriculture et de la Forêt, ainsi qu'aux directeurs départementaux de l'Agriculture. Autrement dit, en 1988-1989, c'est bien une maladie animale, dont la transmission à l'homme n'est pas évoquée. Si elle l'est, c'est pour être immédiatement niée.

Je suis sûr que vous avez en main un document extrêmement intéressant, qui, je crois, marque le moment où la situation bascule : c'est la déclaration de l'OIE d'avril 1996, dans lequel l'ensemble des vétérinaires mondiaux déclare que rien ne permet d'affirmer qu'il puisse y avoir passage de la maladie de l'ESB de l'animal à l'homme.

Donc, pendant toute la période durant laquelle j'exerce ma responsabilité, le lien n'est pas établi. Et, quand il est évoqué, c'est pour être nié. Même après la crise de mai-juin 1990, dont je vais vous parler dans un instant, rares sont les responsables, de quelque nature que ce soit, qui se préoccupent de cette maladie animale.

Je ne résiste pas à la malignité de vous livrer les résultats d'une recherche que j'ai effectuée. J'ai regardé les questions qui m'ont été posées par votre Assemblée sur les maladies animales au cours du premier semestre 1990. Voici le résultat de ma recherche : au cours du premier semestre 1990, mai et juin compris, pas une seule question orale sur l'ESB, pas une seule sur la « vache folle », pas une seule sur toute autre maladie du bétail. Par contre, j'ai eu à répondre à trente-trois questions écrites sur des maladies animales concernant la brucellose, la dermatose nodulaire ou la leucose bovine. Aucune sur l'ESB. Pourtant, les parlementaires sont des gens informés, en contact avec des vétérinaires, parmi lesquels on compte un certain nombre d'agriculteurs, voire de professeurs de médecine.

Que s'est-il passé en 1990 pour que, brutalement, cette maladie animale qui, jusque là, était traitée, par exemple, comme la peste porcine aux Pays-Bas, vienne à ma connaissance et devienne un objet de préoccupation ?

En avril 1990, dans une famille britannique, deux chats siamois meurent en présentant des symptômes qui évoquent la maladie de la vache folle ; deux journaux populaires, d'abord, puis un journal scientifique au Royaume-Uni évoquent la possibilité du franchissement de la barrière des espèces. J'en ai un souvenir extrêmement précis, que j'ai évoqué lors de mon audition en 1996, et que je vous rappelle : je rentre d'un Conseil des ministres et trouve une partie de mon cabinet, celle composée des ingénieurs agronomes, plus nombreux que les énarques, qui me demande de participer à la réunion de cabinet. Ils m'expliquent, de manière grave et avec vigueur, qu'ils ont entre eux un débat parce que, s'il est établi que la maladie a été transmise à des chats, on peut alors imaginer qu'elle pourrait se transmettre à l'homme. Voilà l'information qui m'est donnée en avril 1990. J'ai donc été informé du risque éventuel de transmission de la maladie à l'homme par la presse populaire britannique, non pas par les autorités britanniques, ni par les autorités communautaires, ni par les spécialistes ou « sachants » français. J'insiste sur ce point.

Nous avons donc, à cette époque, un débat entre nous, vif, fort, pour savoir ce que nous devons faire face à ce risque. Quelles mesures doivent être prises pour tenir compte du fait que nous importons des animaux du Royaume-Uni ? Pendant quelques jours, nous allons en débattre avec mes collaborateurs, à plusieurs reprises, chaque jour. Il m'apparaît assez vite que je n'ai pas grand-chose à attendre de la part des sachants. J'interroge autour de moi et j'ai déjà évoqué cette réaction de l'un des responsables vétérinaires qui me dit : « Mais, M. le ministre, c'est une vieille histoire, archi-connue. Le modèle explicatif est la tremblante du moutonLa tremblante du mouton est une maladie que nous connaissons depuis plus d'un siècle, elle ne s'est jamais transmise à l'homme. » C'est, à l'époque, la position d'un grand nombre de vétérinaires du Comité vétérinaire européen.

Il m'apparaît aussi très vite que je n'ai aucun secours à attendre de la part des autorités du Royaume-Uni. Je voudrais faire, à cet égard, une petite parenthèse. A l'époque, mon collègue britannique ministre de l'Agriculture est une forte personnalité, avec lequel j'ai de bonnes relations personnelles. Il s'agit de John Gummer, ministre jeune, qui a fait un jour manger un hamburger à sa fille devant les télévisions. Je l'interroge et il me dit que « tout est sous contrôle ».

Mais je sais aussi que ses préoccupations à l'époque sont d'assurer la meilleure liberté possible des échanges et que tout ce qui peut apparaître comme une entrave aux échanges reçoit de sa part, dans les Conseils des ministres réguliers que nous tenons, des critiques, voire des sarcasmes. Il a, par exemple, beaucoup combattu la décision que j'ai fait prendre en Conseil des ministres de revenir sur l'autorisation des hormones naturelles. Au nom de la science !

Je sais également que ce responsable politique et tous ceux qui l'entourent sont à l'époque en plein délire thatchérien. Nous savions que le ministère de l'Agriculture britannique était en pleine désorganisation, parce qu'il fallait supprimer les contrôles d'Etat. Bien après, j'aurai l'occasion de m'apercevoir des conséquences de ces décisions.

Je constate donc, en mai 1990, que je n'ai pas grand-chose à attendre non plus - je le dis avec d'autant plus de certitude aujourd'hui que j'ai relu un certain nombre de documents - de la Commission européenne, en particulier du commissaire à l'Agriculture, qui est alors Ray Mac Sharry. C'est un Irlandais qui, comme tout responsable politique irlandais, est extrêmement attaché à la liberté des échanges dans le domaine de la viande bovine. C'est une des exportations principales de l'Irlande. Tout ce qui pourrait donc apparaître comme un frein aux échanges est très critiqué de sa part. Je lui demande par téléphone de convoquer un Conseil des ministres. Il refuse. « Tout est sous contrôle ; le Comité vétérinaire a fait son travail. Il n'y a aucune raison de convoquer un Conseil de ministres. », me dit-il.

Je réponds donc par avance à l'une de vos questions, M. le président : une fois que nous avons fait, avec mes collaborateurs, le tour des possibilités que nous avions à notre disposition pour traiter, à Bruxelles, cette question et prendre des mesures pour protéger les consommateurs à l'égard du risque potentiel indiqué par la maladie de ces deux chats, nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait, dans le domaine de la négociation et de la discussion habituelles, aucune possibilité d'obtenir une réunion du Conseil des ministres. J'ai alors proposé à Michel Rocard de fermer les frontières dans les dernières semaines du mois de mai 1990.

J'étais en effet convaincu qu'en fermant les frontières unilatéralement, c'est-à-dire en bloquant les exportations du Royaume-Uni vers la France, je provoquerais une crise et que se tiendrait enfin une réunion du Conseil des ministres. D'ailleurs, la réaction ne s'est pas fait attendre. Nous avions fait une bonne analyse et nous avons eu tout de suite un Conseil des ministres, très dur, dramatique, dès les premiers jours de juin, au cours duquel ont été prises les mesures que vous connaissez, qui correspondaient aux décisions qui nous paraissaient susceptibles d'assurer la maîtrise de cette maladie.

Par la suite, mais plus tard, lorsque je n'étais plus ministre, j'ai pu m'apercevoir qu'une partie des décisions qui avaient été prises lors de ce Conseil des ministres n'avaient pas été suivies d'effet suffisant, par manque de contrôle communautaire, mais aussi par manque de contrôle britannique.

Telles sont les quelques observations générales que je voulais faire d'entrée de jeu. Peut-être certaines répondent-elles déjà à vos préoccupations ? Quand je pense à cette période, je crois qu'il est toujours très important d'essayer, dans la mesure où nous le pouvons car c'est un exercice difficile, d'en reconstituer le climat et l'environnement. À l'époque, il s'agit d'une maladie animale, et sa prise en charge est laissée, tant en France qu'en Allemagne et à Bruxelles, à la responsabilité des ministres de l'Agriculture. On ne voit jamais apparaître l'administration ou un ministre de la Santé dans les questions qui nous sont posées.

Ensuite, il faut aussi essayer de distinguer le système de prise de décision et le système de contrôle. Sur le système de prise de décision, dans la mesure où j'y étais impliqué fortement, je n'ai aucun commentaire à faire. C'est à vous d'estimer si les mesures qui ont pu être prises alors l'ont été au bon moment ou pas.

En revanche, sur le système de contrôle qui a fonctionné à partir des décisions de 1990, j'aurais beaucoup à dire. J'estime, en effet, que le fait que les systèmes de contrôle existants en France aient été placés sous la responsabilité de différents ministères et agences, sans autorité indépendante, explique un certain retard et une certaine inefficacité.

J'ai lu avec grand intérêt le rapport sans doute un peu rapide, un peu brutal de Claude Villain sur le fonctionnement des systèmes de contrôle. J'ai beaucoup appris mais j'ai surtout constaté ce que l'on pouvait redouter, à savoir que ces systèmes de contrôle n'ont pas su empêcher les fraudes et les contaminations et il faudra attendre dix ans pour que soient purement et simplement interdites les farines. Le fait que l'on interdise l'utilisation de farines alors que l'on sait qu'elles sont totalement inoffensives pour certains animaux est bien la manifestation que le système de contrôle a mal fonctionné. L'interdiction est l'expression d'un échec.

M. le Rapporteur : Nous aimerions savoir quelles relations vous avez entretenues avec notre ambassade à Londres. Il nous a été dit que des informations avaient été transmises par le conseiller chargé des questions agricoles en 1989. Pouvez-vous nous dire si, à cette période, vous avez été destinataire de notes ou d'informations, vous aidant d'ailleurs à prendre des décisions, vous informant de l'évolution de l'épizootie en Grande-Bretagne. Ces relations étaient-elles suivies ?

M. Henri NALLET : Sur ce point, la réponse est assez simple. Je fais tout d'abord appel à ma mémoire, et je vous dirai le travail que j'ai fait ensuite. En m'interrogeant moi-même sur ce sujet, j'ai le souvenir que l'information qui met en émoi mon cabinet et mes collaborateurs en avril 1990 provient directement de l'attaché agricole à Londres. Directement. Elle n'est pas passée par les services. C'est lui qui envoie au cabinet la photocopie des articles du Sun et peut-être de The Observer et du Sunday Times. Pour me montrer qu'il se passe quelque chose de grave, on me montre ces photocopies. Voilà le souvenir que j'en ai. Je pense donc que cet attaché agricole a fait son travail. Il est en état de veille. Il prévient, non pas les services de la Direction de la production et des échanges (DPE) qui, normalement, chapeaute l'ensemble des attachés agricoles, mais directement le cabinet. La DPE est informée parallèlement, mais il y a eu un contact direct.

Puis, j'ai essayé de reconstituer et de voir si nous avions reçu des notes ou des télégrammes. La seule note que j'ai retrouvée, bien après, est un document intéressant qui mériterait d'être versé à votre recherche. Il s'agit d'un télégramme rédigé par l'attaché agricole, signé de l'ambassadeur - donc, un télégramme d'une certaine importance - daté du 1er mars 1990. Ce texte, intitulé « Note sur l'ESB » est intéressant parce qu'il est rédigé comme s'il n'y avait pas eu de note précédente. C'est un cours d'amphi. Il commence ainsi : « L'ESB est une maladie qui concerne les bovins, etc... » On la décrit et on indique les mesures qui ont été prises par le Royaume-Uni.

Je n'ai rien retrouvé avant. On peut sans doute faire d'autres recherches. Je n'ai pas d'autorité directe sur les services et je ne peux aller consulter aussi facilement que je pourrais le souhaiter. Je n'ai pas retrouvé d'autres textes. Mais il y a bien eu un travail de veille et d'information fait par l'attaché agricole en poste à Londres en 1990.

M. le Rapporteur : En avez-vous reçu d'organismes français, comme la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (FNGDS), qui dit avoir transmis des notes en 1989 ? En avez-vous le souvenir ?

M. Henri NALLET : Je n'ai pas le souvenir d'avoir reçu de notes. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas eu.

M. le Président : L'ancien président de la FNGDS affirme vous avoir rencontré en août ou septembre 1989 et vous en avoir parlé.

M. Henri NALLET : Je n'en ai pas le souvenir.

M. le Président : Il dit également vous avoir écrit et ne pas avoir eu de réponse.

M. Henri NALLET : Je n'ai pas le souvenir d'une note du président de la FNDGS ou d'une rencontre avec lui. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas eu. Je dis simplement que je n'en ai pas le souvenir. Je suis au courant de cette déclaration du président Blandin. Alors, je me suis renseigné. J'ai cherché et j'ai trouvé. J'ai trouvé la première grande réunion qui se tient au ministère de l'Agriculture le 26 septembre 1989 sur l'ESB. Je pense que vous avez ce document. Il est très intéressant.

M. le Président : Vous nous le transmettrez ?

M. Henri NALLET : Avec grand plaisir, parce que tout le monde est là, tous ceux qui expliquent aujourd'hui qu'ils avaient prévenu, qu'ils savaient tout et que si on les avait écoutés... Ils sont tous là. Il n'y en a qu'un qui manque, M. Blandin.

M. le Président : Il était peut-être représenté.

M. Henri NALLET : Je pense qu'il l'était.

M. le Président : Pour être très précis, la FNGDS était-elle présente ? S'est-elle exprimée sur le sujet ?

M. Henri NALLET : En effet, il y avait Mme Dufour, représentant la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail.

M. le Président : Ils étaient donc présents.

M. Henri NALLET : Ils ne disent pas grand-chose.

M. le Président : Que disent-ils ?

M. Henri NALLET : Celui qui en dit le plus, c'est le vétérinaire français en poste à Bruxelles, M. Roussel, qui décrit les différentes mesures qui ont été prises. Il parle assez peu des farines. J'aurai l'occasion d'y revenir.

Mme Dufour dit qu'« il y a l'aspect zoonose de la maladie, d'autant que les Britanniques ont pris des mesures de prévention. Il y a la protection du cheptel français... Il y a le problème autochtone. » C'est tout.

M. le Président : Mais elle parle de protection... à l'égard d'animaux vivants... »

M. Henri NALLET : En effet, elle parle de « la protection du cheptel français à l'égard d'animaux vivants ou de produits dérivés », c'est-à-dire tout ce qui concernait la moelle épinière, les thymus, etc. Mais elle ne dit rien de particulièrement inquiétant. Elle participe au travail des uns et des autres, et tout le monde, dans cette réunion, a l'air de considérer qu'il s'agit d'une maladie sérieuse, qu'il faut prendre au sérieux. Mais il n'y a aucune intervention particulière ni sur les farines ni sur les risques de zoonose. Dans cette réunion, il y a même Mme Brugère-Picoux.

Donc, cette réunion, qui se tient en septembre 1989 au ministère de l'Agriculture, et qui donne d'ailleurs lieu à un compte rendu assez détaillé, est très intéressante car elle montre quel était le degré d'information et d'échange qui pouvait, à cette époque, se réaliser entre l'ensemble des spécialistes de la question. Personne ne parle d'interdire les farines, personne n'évoque la nécessité de prévenir les autorités politiques. Là comme ailleurs, l'ESB est jugée « sous contrôle »...

Je remettrai volontiers ce compte rendu à votre disposition parce qu'il permet de constater l'état de la réflexion et les positions des uns et des autres en 1989 et pas en... 2001 !

M. Germain GENGENWIN : M. le ministre, je vous remercie tout d'abord de la grande franchise de vos propos. Je dirai pour l'anecdote que ce n'était pas toujours évident. Nous avons auditionné il n'y a pas longtemps une personne qui disait, sans sourire, qu'elle ignorait entièrement l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins.

Vous dites qu'en juin 1988, vous recevez une première note des services vétérinaires évoquant le faible impact de la maladie et soulignant que les farines pouvaient être un agent de transmission. Ma question est donc de savoir si quelqu'un s'est préoccupé de cette question. Des services ont-ils continué la recherche sur le sujet pour avoir une confirmation du danger que représentaient ces farines ?

Vous dites que vous avez regardé les questions orales qui vous avaient été posées à l'Assemblée, et que pas une seule question ne fut alors posée sur l'ESB. Il faut dire qu'à part quelques spécialistes, les autres députés, comme la grande majorité des Français, n'ont appris l'existence de cette maladie que lors du premier choc, en 1996. Avant, nous ignorions l'existence de cette maladie. Ma question plus précise est la suivante : en avril 1990, vous dites que le cabinet est informé de l'éventuelle possibilité de transmission à l'homme de cette maladie. Les services de santé ont-ils été alertés ? Se sont-ils préoccupés également de cette éventualité et de cette recherche ?

M. Henri NALLET : Oui, j'imagine. Je suppose qu'ils s'en sont préoccupés. Ce que je peux dire, c'est que, lorsque j'étais en responsabilité, les seuls services qui s'en sont occupés sont ceux du ministère de l'Agriculture. A cette époque, la maladie est considérée comme exclusivement animale, dans la mesure où il n'est pas du tout établi qu'elle puisse se transmettre à l'homme. Je n'ai aucun souvenir de réunions ou de rencontres avec mon collègue du ministère de la Santé.

J'imagine que les services du ministère de la Santé ont dû s'en préoccuper. Il faudrait vérifier. Peut-être y a-t-il eu une réunion interministérielle au niveau de tel ou tel service mais, en tout cas, je ne l'ai pas connue. Je vous confirme ce que je vous ai dit tout à l'heure : à cette époque, cette question est sous la responsabilité du seul ministre de l'Agriculture.

C'est bien pour cette raison qu'il me semble que nous avons fait des progrès
- les uns et les autres, mon commentaire n'a aucune couleur politique - en créant des agences indépendantes qui peuvent s'emparer de problèmes qui sont, nécessairement, transversaux.

M. Joseph PARRENIN : Je voudrais dépasser le débat technique et poser la question de l'information. J'ai été éleveur jusqu'en 1997 et un deuxième cas d'ESB est suspecté chez un de mes voisins. Or nous étions tous persuadés que, dans notre région, région AOC, soumise depuis bien longtemps aux recommandations du cahier des charges de ne pas utiliser les farines animales, cela ne pouvait se produire. Nous en sommes au cinquième cas d'ESB. Cela sème un trouble extraordinaire. J'ai discuté avec mes voisins. Ils me disent qu'ils n'ont pas vraiment été informés de l'interdiction des farines animales. J'aimerais que les travaux de notre commission d'enquête essaient de faire le point sur la communication qui a pu être faite, y compris par tous les journaux d'information agricole. J'ai entrepris de rechercher dans mon journal régional ce qui avait pu être écrit sur le sujet. Je peux vous dire que cela n'a pas fait les gros titres.

Cela met cependant en cause un élément fondamental : l'administration s'est toujours appuyée sur les organisations agricoles pour communiquer l'information. Or, quand l'information porte sur un plan d'aménagement ou un plan de développement, si un agriculteur est passé à côté, il va protester et ce sera tout. Mais quand elle touche à la santé publique, c'est plus sérieux. Quelles directives a-t-on données en la matière ? Lesquelles ont été appliquées ? Quels contrôles en ont été faits ? Il est certain que les animaux recensés dans la région sont tous nés entre 1994 et 1995 ; quant à la technique de fabrication des farines, les enquêtes sont en cours et nous en saurons peut-être plus dans quelques mois.

Je souhaiterais que nous fassions le point sur ces périodes cruciales. Quand vous prenez l'arrêté d'interdiction des farines animales pour les bovins, comment l'information est-elle communiquée à l'opinion publique et aux producteurs ? J'ai le sentiment, quand je discute avec ces éleveurs qui, à mon avis, sont de bonne foi, que, globalement, le monde de l'élevage n'a pas pris conscience des décisions qui avaient été prises, ni les fabricants d'aliments.

M. le Président : A cette question de l'information, on doit ajouter celle du contrôle. Le 24 juillet 1990, vous avez pris des dispositions interdisant les FVO pour l'alimentation des bovins. Comment vous êtes-vous posé la question de l'information et du contrôle de cette mesure ? Comment le Gouvernement, qui vient de prendre cette décision, a-t-il veillé à en assurer le contrôle ?

M. Henri NALLET : C'est une question que je me suis posée à plusieurs reprises. A l'époque, la première mesure concernant les restrictions d'importation des farines en provenance du Royaume-Uni prend la forme d'un avis aux importateurs. J'ai examiné le Journal officiel dans lequel il a été publié. Cet avis aux importateurs fait quatre lignes. Il n'est signé par aucune autorité ministérielle. Je ne l'ai pas signé, je ne l'ai pas connu, je n'en ai pas été informé. Il résulte d'une décision administrative ordinaire et on le trouve entre un avis aux importateurs d'abeilles et un avis concernant les rongeurs. C'est un avis aux importateurs parmi d'autres, suggéré par les services vétérinaires, parce qu'il fonctionne sous forme de dérogation et que celles-ci sont accordées par les services vétérinaires.

M. le Président : Vous n'en êtes pas informé ?

M. Henri NALLET : Pas du tout. Je n'ai pas à l'être. Le ministre n'a pas à être informé des avis aux importateurs. Cela fait partie du travail des différentes administrations. Celles-ci travaillent entre elles et lorsque tout le monde est d'accord sur une indication administrative à donner, c'est une simple démarche administrative. Mon directeur de cabinet de l'époque pourrait fort bien vous l'expliquer. C'est d'ailleurs lui qui me l'a rappelé : les avis aux importateurs sont relus par le directeur de cabinet du ministère concerné, qui donne un « bon à tirer », qui ne les signe même pas, car ils ne relèvent pas d'une délégation de pouvoir.

Des textes organisent ces avis aux importateurs, qui concernent les pratiques administratives ordinaires de contrôle des importations, en fonction de nombreuses et diverses motivations. En l'espèce, il s'agissait de mettre en application une décision proposée par les services vétérinaires, qui considéraient, avec un temps de retard par rapport au Royaume-Uni, qu'il convenait de faire savoir aux importateurs qu'il ne fallait pas acheter de farines animales en provenance du Royaume-Uni. Comment était mis en _uvre cet avis aux importateurs ? Tout d'abord, les importateurs en étaient informés. Ensuite, les services vétérinaires étaient chargés de la diffusion locale. Je me suis fait expliquer par mes collaborateurs de l'époque que les services vétérinaires avaient l'habitude d'organiser régulièrement des réunions d'information avec leurs correspondants, dans les différents domaines, pour les informer des problèmes de santé animale, des problèmes d'importation et des problèmes de risque de telle ou telle maladie. La décision qui est prise en août 1989 relève de cette pratique. Il est de la responsabilité des services vétérinaires dans les différents départements d'attirer l'attention de ceux qui fabriquent des aliments pour les animaux sur cette interdiction.

M. le Président : C'était un avis interdisant, sauf dérogation, l'importation de farines britanniques. Ce n'est pas un avis anodin.

M. Henri NALLET : Il été porté à la connaissance de mon directeur de cabinet, qui a donné son bon à tirer, ayant considéré qu'il s'agissait d'une proposition des services vétérinaires parfaitement justifiée techniquement. Le travail de réflexion avait été fait normalement et la décision prise normalement. Je ne minimise pas la décision ; je dis qu'elle fait partie de ces décisions administratives qui sont prises sans l'intervention directe de l'autorité politique. Toutefois, ces décisions sont prises sous sa responsabilité. Cet avis, je l'assume complètement. Simplement, on ne m'en a pas informé, je n'en ai pas été saisi. Je n'ai pas eu à le lire, parce que ce n'était pas nécessaire au déroulement normal d'une décision administrative qui paraissait, à l'époque, ordinaire.

Il y a, par exemple, des avis aux importateurs qui consistent à dire : « N'achetez surtout pas de porcs en provenance du Danemark, parce qu'ils ont la peste porcine. » On ne les achète pas. Alors, si des petits malins les achètent, cela amène la peste porcine en France. Je crois que c'est ce qui s'est passé pour les farines animales. Il y a eu des « petits malins » qu'il faudrait aujourd'hui identifier.

Je crois qu'à partir de 1989, il s'est passé quelque chose d'extrêmement simple : premièrement, les Britanniques n'ont pas joué le jeu de leur propre décision. Ils ont interdit la consommation des farines animales chez eux, mais ont fermé les yeux sur l'exportation, et je n'avais pas la possibilité de me substituer à mon collègue britannique pour faire respecter ses propres décisions. Je suis formel, cela ne peut pas s'être déroulé autrement : ils ont interdit la consommation au Royaume-Uni et ils ont laissé faire les exportations. Pour moi, c'est absolument clair.

M. le Président : En effet !

M. Henri NALLET : Et je vous signale qu'en 1989, à cette réunion dont je vous ai parlé, celui qui signale qu'il y a déjà des mouvements d'importation, ce n'est pas du tout Mme Dufour, mais le représentant du syndicat national des industries de récupération animale, qui se plaint, bien sûr, de la concurrence des farines en provenance de Grande-Bretagne. Il soutient que, depuis juillet 1988, ces importations ont progressé et que « les prix pratiqués par les industriels anglais favorisent cette tendance ».

Je pense aussi que les services de contrôle ont été défaillants. Je n'ai pas pour habitude de rejeter les responsabilités vers l'administration, mais je ne peux que renvoyer la commission d'enquête aux conclusions de Claude Villain sur le fonctionnement des services de contrôle dans les années qui vous préoccupent. Il dit tout.

M. le Président : Vous avez parlé de l'avis par lequel la France interdit la distribution des FVO aux seuls bovins, mais vous avez également interdit l'importation et l'utilisation des abats en provenance de Grande-Bretagne le 12 février 1990. C'est une décision politique forte. Comment vous êtes-vous assuré des moyens de contrôle nécessaires pour vous assurer que, face à un risque identifié en matière de santé animale, toutes les mesures de contrôle étaient bien mises en place ?

M. Henri NALLET : L'arrêté de juillet 1990 représente un cran supplémentaire dans la décision, pour éviter que les animaux ne consomment des farines animales pouvant être éventuellement dangereuses. Cette décision prend la forme d'un arrêté. C'est une décision plus forte, me semble-t-il, qu'un simple avis aux importateurs parce qu'il faut que cela s'adresse à tout le monde.

Les importateurs ne sont plus les seuls concernés, car l'arrêté concerne l'ensemble des fabricants, des acheteurs et des utilisateurs. Autant que je peux reconstituer les faits, nous avons pris cette décision dans la foulée des décisions du Conseil des ministres de juin 1990, parce que nous avions alors la confirmation du rôle des farines de viande dans la transmission de la maladie. Il était donc important d'interdire l'utilisation de tout ce qui aurait déjà pu être importé et, par mesure de précaution, d'interdire nos propres farines, même si l'on considérait que les nôtres avaient été fabriquées dans de bonnes conditions.

Autrement dit, l'arrêté de 1990 fait masse de tout ce que l'on a appris depuis août 1989, à savoir qu'il y a des importations, que les farines sont vraisemblablement l'agent transmetteur, ce dont nous n'étions pas du tout sûrs en 1989. Il faut donc prendre des mesures plus fortes. Les contrôles sont, quant à eux, confiés, comme il est normal, aux autorités de contrôle prévues à cet effet, c'est-à-dire la DGCCRF et les services vétérinaires.

J'ouvre ici une parenthèse. Je vous rappelle, car cela explique peut-être certaines difficultés, que, dans les années 80, la décision a été prise de transférer l'administration de la répression des fraudes du ministère de l'Agriculture vers le ministère des Finances. Après ce déplacement administratif, qui a été très compliqué, très difficile, qui a créé beaucoup de tensions, nécessitant des arbitrages interministériels, mais qui a permis la création de la DGCCRF, on peut se demander si la coopération entre les différents services a été, dans les années qui ont suivi, d'excellente qualité. Je ne me prononcerai pas.

M. le Président : Vous le pourriez.

M. Henri NALLET : Je ne me prononcerai pas. En tout cas, une fois pris l'arrêté de 1990, il me semble qu'il y a deux administrations qui sont chargées de la mise en _uvre du contrôle. Ce sont les services vétérinaires, d'une part, et la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, d'autre part.

M. Pierre HELLIER : On peut comprendre que la connaissance progressive de la maladie et de la gravité de la situation ait entraîné un certain retard dans les décisions. Permettez-moi tout de même d'en être étonné, du fait de l'alerte donnée par notre ambassade à Londres, que vous ne niez pas, qui vous avait fait savoir que les farines étaient interdites en Angleterre, alors qu'en France, elles restaient tolérées. Je m'étonne également de ce que la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (FNGDS) vous ait adressé une note qui n'obtienne pas de réponse. On connaît pourtant l'importance des groupements de défense sanitaire. Personnellement, je ne me vois pas, en tant que député, ne pas répondre au groupement de défense sanitaire de la Sarthe s'il m'alertait. Cela ne veut pas dire que j'aurais pris conscience de la gravité de leur demande mais, en tout cas, ils auraient eu une réponse.

En ce qui concerne l'avis aux importateurs, je m'aperçois ce matin que l'on peut bloquer les frontières sans l'avis du ministre. Cela me paraît étonnant compte tenu des conséquences politiques, européennes et internationales, qu'une telle décision peut avoir.

M. Henri NALLET : Ce n'est pas un blocage des frontières. C'est un avis aux importateurs qui dit : « On vous conseille de ne pas acheter ces farines. »

M. le Président : Je rejoins ce que dit mon collègue, car il s'agit tout de même d'une interdiction. Je lis : « Interdiction, sauf dérogation, de l'importation de farines britanniques. »

M. Henri NALLET : Ce n'est pas un blocage des frontières.

M. Pierre HELLIER : Ne parlons pas des conséquences humaines ou des conséquences de cette pathologie de l'ESB. Parlons simplement des conséquences politiques d'un tel avis recommandant de ne pas importer des farines britanniques. Je trouve étonnant que l'on puisse, dans le cadre de la Communauté européenne, prendre une simple décision administrative revêtant pareil effet.

On peut concevoir que les éleveurs n'avaient pas eu la connaissance de la composition des farines et du danger qu'elles présentaient, mais les fabricants avaient, eux, connaissance de l'interdiction d'utilisation des farines. Qu'en pensez-vous ? Ce sont quelques interrogations, mais il faut vraiment que, sur ces points, vous vous exprimiez, M. le ministre.

M. le Président : A ces questions précises, pouvez-vous essayer de répondre précisément, M. le ministre ?

M. Henri NALLET : Oui. Cette lettre de M. Blandin, dont on me parle souvent, que contient-elle de particulier ?

M. Pierre HELLIER : Elle porte directement sur ce problème. Elle aurait au moins mérité un accusé de réception.

M. Henri NALLET : Je ne suis pas certain qu'il n'y ait pas eu de réponse. On est en train de faire des recherches. On n'est pas certain. Mais que dit M. Blandin, qui n'aurait pas été dit ailleurs ?

M. le Président : Ce document vous alerte sérieusement, en insistant sur le phénomène qui est en train de se produire et qui prend des proportions inquiétantes en Angleterre. Des représentants de la FNGDS ont fait un voyage en Angleterre, dont ils sont revenus avec le souci d'alerter l'autorité publique. Ils disent qu'ils s'en étaient entretenus au mois de septembre 1989 avec vous.

M. Henri NALLET : Je voudrais que l'on soit précis, parce que je vois bien ce que l'on est en train de m'offrir comme cadeau. Je vous dis qu'à ma connaissance et d'après ce que j'ai reconstitué, toutes les personnes qui avaient quelque chose à dire au ministère de l'Agriculture sur l'ESB ont pu s'exprimer lors de la réunion qui s'est tenue le 26 septembre 1989, tous, y compris les représentants de M. Blandin. Donc, il n'y a pas eu d'autisme de la part du ministère de l'Agriculture. Les informations ont été données et recueillies au cours d'une réunion où tout le monde était là. Nous n'avons pas été fermés. Ensuite, il faut se demander quel travail a été fait pour en savoir davantage et pour pouvoir, à notre tour, mettre des chercheurs au travail sur cette maladie que nous ne connaissions pas. A cette époque, une seule équipe de vétérinaires à Lyon travaille sur les maladies à prions. Voilà ce que je peux répondre en ce qui concerne la lettre de M. Blandin.

De plus, je pense qu'elle a reçu une réponse, une réponse qui n'était sans doute pas signée du ministre mais d'un de ses collaborateurs, parce que quelques milliers de lettres sont adressées chaque jour au ministre de l'Agriculture. Il n'est donc pas possible qu'il réponde à toutes personnellement. Mais je crois que, dès lors que M. Blandin a exprimé son point de vue, il a pu le faire savoir à ceux qui étaient responsables de ces questions au ministère. Je vous signale, pour être totalement complet, que je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec lui récemment, mais que M. Blandin a déclaré publiquement qu'il considérait que les mesures qui avaient été prises en 1990 sous ma responsabilité étaient exactement celles qu'il fallait prendre. Je me dis donc que l'on n'a pas dû tellement passer à côté de ses souhaits ou de ses préoccupations.

Pour ce qui est de l'avis aux importateurs concernant les farines animales, je vous ai dit qu'un certain nombre de décisions avaient été prises jusqu'en avril 1990 non pas en dehors de ma responsabilité, mais de manière habituelle à l'intérieur des responsabilités qui sont confiées, déléguées, aux vétérinaires français.

Je voudrais émettre devant vous une hypothèse sur la façon dont l'administration française a réagi par rapport à la question des farines dans la totalité de la période. J'ai le sentiment que, dans un premier temps, entre 1988 et 1990 - et même entre 1987 et 1990, mais je n'ai pas retrouvé de note antérieure à juin 1988 - les vétérinaires français, aidés de leur représentant à Bruxelles, suivent, sont informés et savent à peu près ce qui se passe, mais s'interrogent. Ils s'interrogent comme tout le monde. Ils se demandent évidemment si cette maladie peut être transmissible, mais ont vite éliminé cette hypothèse en y répondant par la négative. Mais quel est le modèle explicatif : les farines, les gènes, l'environnement ?

Les Britanniques, eux, prennent un certain nombre de mesures en 1988, mais ils les prennent de manière assez désordonnée et pas sur la base d'une explication scientifique rationnelle qui aurait satisfait les vétérinaires. J'ai trouvé quelque chose d'extrêmement intéressant dans la bouche de notre vétérinaire en poste à Bruxelles, qui dit : « Je tiens de mes collègues britanniques que la décision de non-utilisation de certains abats dans la fabrication des aliments pour bébé (...) a été prise parce que les Britanniques cherchaient à résoudre un problème politique, et d'opinion publique mais qu'elle n'était pas étayée par des certitudes scientifiques. »

Autrement dit, mon hypothèse est que nombre de décisions britanniques sont prises en 1988 et 1989 pour des effets d'annonce. La preuve en est que la fameuse interdiction des abats du 13 novembre 1989 au Royaume-Uni n'est prise qu'au regard de l'Angleterre et du Pays de Galles ; la même décision n'est étendue que plusieurs mois après, en janvier 1990, pour l'Ecosse et l'Irlande du Nord. On tâtonne, on rajoute, on avance et, pendant ce temps-là, il est vrai, que, de 1988 à août 1989, nos vétérinaires s'interrogent.

En 1989, est prise une première décision. Puis, en 1990, on change de rythme ; les vétérinaires français sont à leur tour convaincus que les farines animales ont une part de responsabilité dans la maladie et je constate que le délai entre les décisions prises au Royaume-Uni et celles édictées en France s'est beaucoup resserré.

L'hypothèse que je formule devant vous, c'est que les vétérinaires français, dans leur travail de responsabilité à l'égard de la santé animale, ont eu un temps, non pas de retard, mais de latence et de réflexion, parce que le troupeau français n'était pas contaminé. Le premier cas date de 1991. Le troupeau français n'est pas contaminé. Ils ont vérifié que nos pratiques de fabrication des farines étaient correctes et que celles-ci étaient suffisamment chauffées. On s'interroge et, à partir d'un moment - faut-il le dater ? Y a-t-il eu une réunion ? Je n'en sais rien, je ne l'ai pas retrouvé. Je constate - il suffit pour cela de rapprocher les colonnes des décisions britanniques et françaises - que le délai se raccourcit et que nous sommes alors le seul pays, avec l'Allemagne, à prendre une série de décisions touchant en particulier l'interdiction des farines animales. La France est le premier Etat à les prendre, après le Royaume-Uni.

C'est l'hypothèse que je formule devant vous, avec beaucoup de prudence. C'est plutôt une construction intellectuelle, car je n'ai pas de preuve.

M. Pierre HELLIER : Que l'on ne se méprenne pas, je comprends bien qu'il y a eu une connaissance progressive de la maladie. Il est vrai qu'aujourd'hui, on a une connaissance plus importante de la maladie et que l'angoisse est née en Angleterre le jour où l'on a découvert les cas humains. C'est à partir de ce moment-là que tout s'est précipité. Je regrette simplement que les alertes qui ont été adressées au ministère n'aient pas eu un écho suffisant. Je modère mes propos, mais je ne les gomme pas.

M. Henri NALLET : Je veux revenir là-dessus, parce que je ne veux pas laisser dire cela. Les alertes sur cette maladie au Royaume-Uni à l'égard du ministère de l'Agriculture, non seulement ont existé - j'en ai fait état - mais elles ont été accueillies.

M. Pierre HELLIER : Sans réponse.

M. Henri NALLET : Non. Que l'on ait répondu ou pas à M. Blandin, c'est un problème secondaire. La question est de savoir si les autorités responsables ont été prévenues qu'il y avait une situation appelant des décisions. Je crois que les autorités responsables, en particulier les services vétérinaires français, ont fait à peu près leur travail, compte tenu, bien sûr, du niveau des connaissances de l'époque. Je vous en ai apporté des manifestations. J'ai également le sentiment que tous ceux qui pouvaient être concernés se sont exprimés et, à l'époque, je n'ai pas le souvenir d'une note émanant d'un service extérieur ou d'une ambassade destinée au cabinet du ministre, qui aurait signalé « Important. A faire lire au ministre », venue d'où que ce soit.

Lorsque j'étais ministre de l'Agriculture, certains d'entre vous le savent, ma porte était ouverte aux fonctionnaires. Je n'ai jamais eu un cabinet faisant écran entre les fonctionnaires et le ministre, pour la simple et bonne raison que je suis moi-même, à l'origine, fonctionnaire du ministère de l'Agriculture. Tous les hauts fonctionnaires du ministère de l'Agriculture étaient des gens que je connaissais, que j'avais rencontrés dans ma vie antérieure. Ils avaient accès à mon bureau et tout directeur d'administration centrale pouvait venir me dire : « M. le ministre, là, il y a quelque chose de grave dont il faut que vous soyez informé. » Ils pouvaient aussi le dire à mon directeur de cabinet qui était lui-même un fonctionnaire du ministère de l'Agriculture.

Moi, je n'avais pas d'énarques. J'en avais juste pour s'occuper du budget. Pour le reste, c'étaient des agronomes. On avait donc accès au bureau du ministre facilement. Je n'ai pas le souvenir, jusqu'au mois d'avril 1990, qu'une alerte rouge m'ait été présentée par un professionnel ou par un fonctionnaire.

M. Jean AUCLAIR : Jacques Rebillard, député de Saône-et-Loire et président du groupe d'études sur le bassin allaitant, avait invité il y a quelques mois un nommé David Barnes, conseiller en charge des affaires agricoles à l'ambassade du Royaume-Uni à Paris. Celui-ci ne nous a pas tout à fait dit les mêmes choses que vous. Il nous disait que, dès 1988, il y avait eu des cas de vache folle en Angleterre et que les Britanniques s'étaient aperçus que la maladie se transmettait par les farines de viande. Ils avaient donc pris la décision d'interdire, dans la fabrication des aliments pour bovins, l'introduction de ces farines animales. Ils se sont donc retrouvés avec des stocks considérables de farines et les importateurs européens, français notamment, se sont précipités chez eux pour les acheter à bas prix.

Pourquoi n'ont-ils pas interdit l'exportation de leurs farines ? Au nom de directives européennes qui préconisent la liberté de circulation ? Il a répondu catégoriquement que les autorités britanniques avaient alerté tous les gouvernements pour leur faire part du risque qu'il y avait à introduire ces farines animales anglaises dans la fabrication d'aliments pour les bovins. Je suis donc surpris de vous entendre dire le contraire, et que vous n'avez jamais été alerté par qui que ce soit.

M. le Président : La question est très précise. M. Barnes affirme que les autorités des Etats membres de l'Union européenne ont été alertées.

M. Henri NALLET : Tout dépend de ce que l'on entend par « alertées ». Pour ma part, je n'ai aucun souvenir d'avoir été alerté, ni formellement ni informellement. Formellement, c'est un télégramme, une déclaration dans une instance officielle, lors d'un Conseil des ministres, par exemple. Je n'ai pas ce souvenir. Pas davantage informellement, c'est-à-dire à l'occasion d'une rencontre avec le ministre de l'Agriculture britannique de l'époque, qui était John Mac Grégor en 1988, ni plus tard, à partir de décembre 1988, avec John Gummer. Je n'ai pas ce souvenir d'une information informelle. Peut-être celui que vous avez entendu a-t-il soutenu ce point de vue parce que, dans telle ou telle réunion, à Bruxelles ou ailleurs, un fonctionnaire britannique l'aurait indiqué. En tout cas, ce n'est pas remonté à ma connaissance. Je n'ai pas le souvenir d'une mise en garde.

Les relations entre les différents services vétérinaires à l'époque ne devaient pas bien fonctionner. J'en veux pour preuve que le Conseil des ministres de l'Agriculture a adopté, le 21 novembre 1989, à un moment où l'on sait déjà que quelque chose se passe au Royaume-Uni, la directive 89/608, relative à l'assistance mutuelle entre les autorités administratives des Etats membres et à la collaboration entre celles-ci et la Commission en vue d'assurer la bonne application des législations vétérinaires et zootechniques. Cela veut dire qu'avant, cela ne marchait pas très bien.

Je n'ai pas le souvenir, ni la trace, du fait que nous ayons été avertis par les autorités britanniques du risque attaché aux exportations de farines contaminées vers les autres Etats membres. Cependant, nous étions tellement peu sûrs de la coopération existant entre les pays qu'il a fallu que nous prenions une directive pour la favoriser.

Sur le fond de la position britannique, permettez-moi tout de même de vous dire que je trouve, au regard des règles de la Communauté et au regard de l'éthique publique, assez singulier que l'on puisse interdire l'utilisation d'un produit chez soi et considérer qu'il est assez bon pour les malheureux qui se trouvent de l'autre côté de la Manche ! C'est une pratique de bandit et je le dirai à n'importe quel responsable politique !

D'ailleurs, je vous signale que la commission d'enquête britannique en arrive aux mêmes conclusions que moi. Ils n'ont pas dit que c'était une pratique de voyous mais ce n'était pas loin.

M. le Président : Pour vous rassurer, sachez que nous partageons cet avis. Mais nous devons nous poser la question de savoir comment on s'assure des moyens de contrôle, pour éviter que n'entrent chez nous des produits interdits. On a pu constater que les contrôles étaient extrêmement difficiles. Mais nous avons la conviction profonde que des farines sont entrées illégalement sur notre territoire après la prise des mesures d'interdiction. La question vaut pour les Anglais. Et, en arrière-plan, la question est celle du fonctionnement de la Communauté européenne, des règles du marché unique et des règles de sécurité sanitaire.

M. Germain GENGENVIN : C'est inimaginable : la maladie s'est malgré tout développée après cela en Angleterre. Ont-il, eux, continué à utiliser ces farines ? C'est incroyable qu'ils aient pu les interdire chez eux et continuer à les exporter en toute connaissance de cause.

M. Pierre HELLIER : Je veux bien comprendre que les Anglais sont des bandits et je comprends bien votre position, mais n'avons-nous pas nous-mêmes été imprudents de laisser entrer et acheter ces farines ? Les farines sont interdites en Angleterre, on le sait, vous le savez, et on les laisse tout de même entrer.

M. Henri NALLET : On les laisse entrer, dites-vous. Mais ces farines sont déplacées dans des bateaux, lesquels se déplacent assez facilement, et on les déverse dans des ports spécialisés. Puis, on les transvase dans des camions de trente-cinq ou quarante tonnes, et elles circulent. Il faudrait s'intéresser aux mouvements des camions, si c'est possible, du côté de la frontière belge ou luxembourgeoise à l'époque. Beaucoup de ces farines ont transité par d'autres ports que des ports français et n'ont donc pas été contrôlées par les douanes françaises. Cela me paraît évident.

M. Pierre HELLIER : Vous avez recommandé, vous n'avez pas interdit, ou alors j'interprète mal vos propos. Autrement dit, les farines étaient interdites en Angleterre, vous le saviez, mais on ne les a pas interdites ; on a simplement « recommandé » de ne pas les utiliser.

M. Henri NALLET : Non. On a dit aux importateurs que l'achat de farines britanniques était interdit. Ce n'était pas une fermeture de frontière, c'était simplement une interdiction d'importer une marchandise...

M. Pierre HELLIER : Sans l'avis du ministre.

M. Henri NALLET : Bien sûr. Cela fait partie des décisions administratives qui, à cette époque, étaient considérées comme relevant de l'autorité des vétérinaires. Il n'y a pas d'irrégularité dans l'interdiction de 1989. Aucune irrégularité. Elle est administrativement parfaite.

En revanche, une fois que l'on a constaté que les contrôles ont été défaillants, il faut se demander comment ces importations ont été rendues possibles. La modeste connaissance que j'ai du secteur de la préparation des aliments du bétail m'incite à dire que ce sont des marchandises qui circulent facilement. Elles ne sont pas simplement arrivées par les ports de Roscoff ou de Brest.

M. le Président : Sur ce sujet, nous avons le même sentiment.

M. le Rapporteur : Dans cette discussion que nous avons sur l'interdiction ou l'avis aux importateurs, un élément important me semble entrer en jeu : les farines animales n'étaient pas interdites pour l'ensemble des animaux. Cela compliquait sérieusement la tâche de contrôle. On continuait à nourrir les ovins, les porcs et les volailles avec des farines animales. Ma question est donc de savoir si l'on s'est posé la question de la traçabilité. Avait-on des exigences de cette nature ?

S'agissant des contrôles, nous sommes persuadés - ce que vous nous avez dit a été confirmé au cours de notre enquête - qu'il y a eu des importations clandestines, frauduleuses. Quelques pistes ont été révélées. La question de la traçabilité se posait-elle ? Pouvait-on faire entrer des farines ? Les douanes nous disent que des farines sont classées de manière indistincte dans les nomenclatures douanières, qu'elles soient issues de ruminants, de poissons ou autres.

M. Henri NALLET : La question ne se posait pas dans ces termes. La simple manière dont avait été rédigé l'avis aux importateurs, et même l'arrêté de juillet 1990, montrait que les autorités administratives ou politiques qui ont pris ces décisions avaient pleinement confiance dans les systèmes de contrôle. Si l'on avait laissé libre l'utilisation de farines pour les monogastriques, c'est que l'on était persuadé que les contrôles étaient suffisants et aussi, peut-être, que les opérateurs seraient suffisamment loyaux ou responsables pour appliquer ces décisions. Or nous nous sommes rendu compte par la suite que les contrôles n'avaient pas fonctionné et qu'il y avait eu détournement de ces marchandises vers d'autres utilisations. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a fini par les interdire totalement.

M. Claude GATIGNOL : J'ai trois séries questions à vous poser. La première rejoint celle posée sur l'information par notre collègue Parrenin. Notre commission débouchera sur des conclusions, que le Gouvernement aura à prendre en considération. Je me pose la question de la pertinence et de l'efficacité de la veille scientifique et technologique, aussi bien à l'intérieur du ministère de l'Agriculture qu'au ministère des Affaires étrangères.

Je travaille sur un autre sujet au sein de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Là aussi, nous constatons combien est importante pour le Gouvernement cette remontée d'information. Vous nous avez dit que la perception du risque de zoonose était faible jusqu'à ce que certaines informations aient été connues. Il est vrai que l'année 1990, avec la fameuse maladie du chat Max, connue des vétérinaires anglais puis européens, a marqué le tournant en établissant la possibilité du franchissement de la barrière d'espèces. Comment peut-on améliorer, à votre sens, cette question d'efficacité de la veille scientifique et technologique, qui conditionne, me semble-t-il, une bonne part des décisions d'un gouvernement ?

La deuxième question a trait aux importations. Certes, il y a les FVO britanniques, mais vous nous dites qu'il y a eu des recommandations en août 1989 ; il y a eu ensuite l'arrêté d'interdiction en juillet 1990. Je souhaiterais savoir si vos recommandations et vos arrêtés sont intervenus à la suite de concertations avec ceux qui étaient les premiers concernés, à savoir les fabricants d'aliments du bétail. Ceux-ci savaient, par ouï-dire ou par leurs propres relations commerciales, que l'arrêt de distribution des farines carnées au cheptel reposait sur une perception d'un risque évident, car, si le premier cas a été décrit en 1984 par les vétérinaires anglais, l'ESB a connu une croissance exponentielle de 1984 à 1988 jusqu'à la décision britannique d'arrêt de consommation des farines carnées. Cet avis a-t-il été pris en liaison avec les industriels ?

Il y a les farines, mais il y a aussi les abats et lorsque l'on connaît la courbe de croissance des importations françaises d'abats en provenance du Royaume-Uni, passées de 350 tonnes en 1986 à 8 500 tonnes en 1996, on se pose des questions : quels étaient ces abats ? Le ministre de l'Agriculture avait-il connaissance de ces importations d'abats ? Tous ces abats d'origine britannique n'étaient pas destinés à la consommation, car ils étaient aussi recyclés et ont sans doute contribué ainsi à la contamination de nos propres farines animales. Aussi je me demande également si le ministre de l'Agriculture avait connaissance des contrôles de la fabrication des farines animales françaises.

Ayant parlé des importations de farines et d'abats, je poserai également la question des importations des animaux sur pied. Nous savons tous que des camions entiers franchissaient la Manche pour venir dans nos régions, dans les ateliers d'engraissement. C'étaient les veaux classiques. Que devenaient-ils ensuite ? Je sais qu'à une époque, le ministère a obligé à marquer d'un « O » à l'oreille tous les veaux d'origine anglaise présents sur le sol français. Bref, quelles mesures de suivi de toutes vos recommandations et de tous vos arrêtés ont pu être prises par le ministère ?

Ma troisième série de questions portera sur la concertation existant entre les ministres de l'Union européenne. On ne peut pas dire qu'il n'y avait pas de concertation sur la santé du cheptel car, sur un sujet aussi grave, qui menaçait le cheptel européen à travers les mouvements d'animaux vivants, il y avait un risque certain. Pour revenir à une actualité que nous vivons, c'est dans les années 1989, 1990 et 1991 que s'est négociée à Bruxelles, au sein du Conseil des ministres et avec la Commission, la décision de non-vaccination contre la fièvre aphteuse. Si le commissaire Mac Sharry  que vous évoquiez, avait des propensions libérales, il a aussi été le père de grandes contraintes au sein de l'Union européenne sur le cheptel vacciné et les produits issus de ce cheptel vacciné. On est en plein délire européen !

Sur ce sujet, pouvez-vous nous apporter des précisions. Y a-t-il eu, de votre part ou de la part d'autres ministres européens, une saisine du Conseil des ministres de l'Agriculture sur ces sujets ?

M. Henri NALLET : Je m'efforcerai de répondre brièvement à toutes ces questions qui pourraient, chacune, amener des réponses beaucoup plus complexes que celles que je peux vous donner ce matin. Pour ce qui est de la concertation avec les spécialistes des différents secteurs et filières, j'ai envie de vous dire qu'un ministre de l'Agriculture et tous ses collaborateurs ne font que cela du soir au matin et du matin au soir. Au ministère de l'Agriculture, des dizaines, des vingtaines de réunions se tiennent tous les jours, portant sur tous les secteurs et avec tout le monde.

Les services vétérinaires tenaient beaucoup à leur système de contact direct avec les opérateurs. C'est la raison pour laquelle j'ai compris qu'ils avaient souhaité que l'avis aux importateurs de 1989 fonctionne sous forme de dérogations, parce que c'était eux qui les délivraient.

Des réunions ont donc eu lieu. On peut penser que la première décision concernant l'importation de farines a été prise après concertation et que c'était le système qui paraissait aux uns et aux autres le mieux adapté. Je signale également que la réunion de septembre 1989, à laquelle j'ai fait allusion en introduction, comportait tous les opérateurs possibles et imaginables de la filière. De ce point de vue, non seulement on peut penser que les concertations ont été faites, mais permettez-moi de vous dire aussi que je me pose parfois la question de savoir s'il n'y en a pas eu un peu trop. Elles auraient pu continuer longtemps sans une autorité un peu plus forte pour dire à un moment qu'il fallait arrêter et prendre une décision. Aussi, je puis vous assurer que les concertations ont été menées, j'en ai retrouvé trace.

Deuxièmement, en ce qui concerne la consommation des matériels à risque spécifiés, c'est-à-dire des abats à risque, le souvenir que j'en ai est qu'au fur et à mesure que nous avons progressé dans la connaissance et dans les échanges avec les autorités britanniques sur les formes de la maladie, une fois la crise de 1990 résolue, les décisions ont été prises au fur et à mesure des progrès dans la connaissance du risque. J'ai le sentiment que toutes ces décisions ont été proposées après des confrontation et des discussions au sein du comité vétérinaire et des systèmes de veille que j'avais obtenu de constituer avec les Britanniques après la crise de juin 1990.

Après la crise de juin 90, nous avons en effet envoyé des vétérinaires travailler avec les vétérinaires britanniques. Il y a eu des échanges et des discussions. Mais avant cette date, je ne peux pas dire que nous ayons travaillé dans des conditions telles que nous ayons été parfaitement et immédiatement informés de l'ensemble des décisions prises par les Britanniques.

S'agissant des échanges et des discussions que nous avons eues sur les questions sanitaires au sein du Conseil des ministres de l'époque, il faut sans doute rappeler que nous étions en train de préparer le marché unique. Je crois que, dans l'enceinte du Conseil, s'exprimait déjà avec beaucoup de force la manifestation des intérêts nationaux. Je me rappelle combien la position française, qui n'était pas la mienne mais celle du Gouvernement en mai 1990, a été brutalement critiquée par la Commission et aussi par une partie du Conseil, au motif qu'elle n'aurait pas été dictée par des considérations de santé humaine, mais par des considérations de protection de notre marché intérieur.

Ce fut un affrontement extrêmement difficile et violent. La calme et froide discussion entre responsables politiques sur l'état de la science concernant la transmission de l'ESB n'a duré que quelques minutes. Le reste du temps, c'était : « Ne touche pas à mes intérêts ». Tel est l'obstacle que nous avons eu à franchir en avril 1990. Nous étions soupçonnés de n'agir que pour des raisons commerciales, alors que ce qui me préoccupait était ce risque de transmission subitement révélé.

Enfin, pour ce qui concerne la zone blanche, bien sûr, nous avons hésité et discuté. Mais je vous renvoie aux prises de position des professionnels et de leurs porte-parole habituels : il fallait faire vite, le plus vite possible, et être enfin ce que l'on appelait à l'époque une « zone blanche » pour pouvoir avoir notre juste place dans le marché international. Nous avons beaucoup discuté et avons hésité longtemps. La décision n'a été prise que sur l'avis des scientifiques.

Vous parliez de la veille. C'est le dernier point que je voudrais évoquer. Je pense en effet qu'elle est tout à fait nécessaire, à condition qu'elle soit menée par des autorités indépendantes et de grande qualité scientifique, c'est-à-dire qui soient en mesure d'entendre les différents points de vue. Car, en 1990, nous avons entendu l'avis des autorités scientifiques. Cela figure d'ailleurs dans le compte rendu du Conseil des ministres de la Communauté de fin juin 1990 ; les vétérinaires responsables des questions de santé animale en Europe, exprimant le point de vue du comité scientifique, disaient que les décisions que nous avions prises étaient allées au-delà des recommandations des scientifiques.

Autrement dit, à écouter les scientifiques en 1990, nous n'aurions pas fermé les frontières. Nous n'aurions pas provoqué la crise avec la Commission. Les scientifiques bruxellois, comme les scientifiques français, considéraient que nous en avions trop fait, que nos décisions n'étaient pas scientifiquement justifiées. C'est la raison pour laquelle je pense que, quel que soit le système de veille que nous mettrons en place - et il faut qu'il y en ait un, j'y suis personnellement tout à fait favorable, tout comme je suis tout à fait favorable à la création d'une Agence européenne totalement indépendante, dotée de vrais pouvoirs, mais j'ai cru comprendre que les autorités nationales n'en veulent pas beaucoup - cela ne dispensera jamais les responsables politiques de prendre leurs responsabilités et d'aller parfois plus loin.

Je veux vraiment témoigner devant vous qu'en 1990, lorsque j'interroge autour de moi les scientifiques compétents, l'information qui m'est donnée n'a pas du tout éclairé mes décisions. Si je les avais écoutés, j'aurais tourné en rond et hésité sans fin, en me disant que, peut-être, c'était une hypothèse à vérifier...

M. Claude GATIGNOL : Faites-vous une différence, dans vos décisions de fermeture de frontières, entre ce qui était des matériaux purement industriels et les carcasses proprement dites, qui ont été visées par l'embargo ?

M. Henri NALLET : Quand on ferme les frontières, ce sont toutes les importations qui sont concernées. Quand on les rouvre, c'est parce que l'on nous a donné des assurances que les décisions qui seront prises, en particulier par les Britanniques, utiliseront les techniques de traçabilité que nous avons commencé à imposer. Il fallait prouver que l'animal importé provenait d'un troupeau indemne d'ESB.

M. le Rapporteur : L'embargo de 1990 est donc décidé à la suite de l'annonce du franchissement de la barrière d'espèces, afin de faire réagir les instances communautaires et de provoquer la réunion du Conseil des ministres de l'Agriculture. Mais quelle est la motivation de la levée de cet embargo ? La pression européenne ou des certitudes ?

M. Henri NALLET : Je vais vous répondre très clairement. La décision de fermer les frontières, que j'assume totalement, est le crime absolu au regard de la Communauté européenne. C'est une décision que je propose au Premier ministre, Michel Rocard, à la fin du mois de mai, dans un esprit tactique. Il s'agit de contraindre les autorités communautaires, le commissaire européen, à réunir le Conseil des ministres, ce qu'il me refusait sur les sujets que nous proposions.

Nous obtenons donc la réunion du Conseil des ministres dont je tiens le compte rendu à votre disposition, les 6 et 7 juin 1990. Pendant ces deux jours, nous nous « tapons » dessus. Vraiment. Le débat est extrêmement dur. La France est accusée d'avoir pratiqué cet acte unilatéralement. Au sein Conseil des ministres, le commissaire menace la France d'un procès à la Cour de justice.

Je vous assure, et je voudrais le dire devant les responsables politiques dans un moment où l'on s'interroge, que notre position n'a pu être maintenue, puis sauvée, et enfin gagnante que grâce à l'appui, bougon ou silencieux, du ministre allemand de l'Agriculture. Sans l'Allemagne, nous étions liquidés, nous n'avions personne pour nous défendre. Je voudrais vraiment qu'on se le rappelle. Nous n'avions pas le soutien du commissaire, je dis bien du commissaire, pas forcément de la Commission.

Et, finalement, face à notre détermination, mais aussi grâce au fait que l'Allemagne nous ait rejoint, face au « camp des durs », comme souvent dans la Communauté, l'abcès se vide et on parle, même brutalement. Cela s'est fait rapidement. Nous avons obtenu assez vite un certain nombre de choses : entre autres, l'interdiction des abats, l'interdiction des matériaux à risque, l'importation d'animaux uniquement sous contrôle, soit toute une série de conditions qui m'apparaissaient alors suffisantes. Mais je pose tout de même la condition que le comité vétérinaire donne son accord à cette série de mesures. Le comité vétérinaire les examine, donne son accord, même s'il considère que nous allons au-delà de ce qui était nécessaire. Ce n'est que lorsque nous considérons, en France, que nous avons obtenu satisfaction, c'est-à-dire que nous avons pris les mesures qui, à l'époque, compte tenu du niveau de connaissances, nous permettaient de penser que la maladie allait être au Royaume-Uni sous contrôle que nous décidons de lever l'embargo.

Mais il n'y a pas eu de pressions. Bien sûr, il y avait une pression, tout le monde faisait pression pour que l'on aboutisse, mais je crois qu'à partir du moment où nous avons été assurés du soutien de l'Allemagne, nous étions prêts à tenir plus longtemps.

M. le Rapporteur : On a malgré tout la sensation qu'en une dizaine d'années, les choses ont beaucoup changé, pas seulement sur le plan de la connaissance. Bien entendu, il ne s'agit pas de refaire l'histoire et de juger l'époque avec les connaissances d'aujourd'hui, mais j'ai le sentiment, partagé par quelques membres de la commission, qu'avant 1990, on a privilégié le marché au détriment de la précaution. Peut-on dire cela ?

M. Henri NALLET : C'est sans doute plus compliqué. Avant le début des années 90, je crois que l'on a d'abord privilégié la production. Il s'agissait de produire. Dans les années 60, l'ensemble des autorités se tournait vers les paysans en leur demandant de « bosser », de produire encore et davantage.

Ensuite, dans les années 70, on a en effet privilégié le marché, c'est-à-dire que l'on s'est adressé à l'ensemble de la production agricole française, puis européenne, en disant : « Votre système protectionniste n'a qu'un temps ; il faut que vous vous mettiez maintenant non seulement à des niveaux de prix comparables mais aussi sur le marché mondial, parce que vous êtes les meilleurs. » On a alors privilégié formidablement le marché et l'on est devenu exportateur.

On n'a pas de « vocation exportatrice », cela n'existe pas. On exporte quand on est très bon sur un marché. On a exporté parce qu'on était très bon. Puis, on a insuffisamment contrôlé ce mouvement et la voiture a fini par verser dans le fossé. Il faudrait essayer de la sortir du fossé intelligemment. Je suis sûr que vous y contribuerez.

M. le Président : Nous sommes placés devant deux questions de fond. La première est de savoir comment se prémunir contre le cynisme de certains Etats, qui a continué d'ailleurs, et pas simplement en Angleterre, puisque l'on a vu que les dernières mesures de protection ont été prises seulement en novembre 2000 par certains Etats membres, y compris pour les retraits de matériaux à risque spécifiés qui avaient été interdits par d'autres depuis longtemps, en fonction de ces connaissances scientifiques. La seconde est de savoir comment faire coïncider l'exigence d'un marché ouvert avec celle de la sécurité sanitaire et alimentaire et celle de la protection du consommateur. Nous l'avons vu encore récemment avec les questions liées à la fièvre aphteuse. Nous devons creuser cette question. Dès lors qu'une mesure de précaution liée aux importations est prise, comment pouvons-nous nous assurer, dans un marché ouvert, des conditions dans lesquelles nous effectuons le contrôle ? Car il ne s'agit pas seulement de chercher à comprendre mais de tirer des leçons pour l'avenir. Si vous avez des suggestions à formuler, elles seront les bienvenues.

Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Pierre SOISSON,
ancien ministre de l'Agriculture (1992-1993)

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. Jean-Pierre Soisson est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Jean-Pierre Soisson prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été ministre de l'Agriculture du 2 octobre 1992 au 29 mars 1993. Cette période de six mois a été marquée par les difficiles négociations de Blair House entre l'Europe et les Etats-Unis, l'agriculture étant au c_ur de cette discussion. S'agissant de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), l'interdiction d'utiliser des farines animales pour l'alimentation des bovins est entrée en vigueur en France le 24 juillet 1990, soit deux  ans avant votre prise de fonctions. Il serait intéressant de voir comment vous avez veillé à l'application de cette mesure. Comment avez-vous sensibilisé vos services au respect de cette interdiction, qui était diversement appliquée ? Aviez-vous la possibilité de vérifier que les fabricants, les importateurs et les négociants de farines respectaient bien cette interdiction ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Tout en vous remettant une note reprenant mon intervention, je me réserve la possibilité de faire parvenir de documents complémentaires en fonction des questions que vous pourriez me poser au cours de cette audition.

J'ai été ministre de l'Agriculture du gouvernement de M. Pierre Bérégovoy d'octobre 1992 à mars 1993. Ce fut, de toutes les fonctions ministérielles que j'ai occupées, la plus exigeante, celle qui a nécessité l'étude technique la plus approfondie des dossiers. Ce fut aussi la plus « européenne », puisque pendant les six mois de mes fonctions ministérielles, j'ai passé chaque semaine trois, sinon quatre jours à Bruxelles. Les discussions avec la Commission européenne et les autres ministres de l'Agriculture, notamment sur le volet agricole du GATT, ont commencé dès ma prise de fonctions ; elles ont duré jusqu'aux élections législatives de mars 1993.

Dès ma nomination le vendredi 2 octobre 1992, j'ai affirmé une volonté : « S'il faut dire non à Bruxelles, je dirai non ». J'ai tenu parole. Je revenais au gouvernement dans un double contexte : national, après le résultat mitigé du référendum sur le Traité de Maastricht ; international, avant l'élection du président des Etats-Unis. George Bush voulait parvenir à un accord sur le GATT avant le 3 novembre, date de l'élection américaine. Mon objectif a été de m'opposer à un tel accord s'il devait remettre en cause la réforme de la PAC. Jour après jour, j'ai écrit mes carnets de route de ministre de l'Agriculture. Dans « Politique en jachères », je livre ces derniers à votre réflexion. Il relate notamment toutes les délibérations du Conseil des ministres de l'Agriculture à Bruxelles.

Durant mes fonctions, je n'ai pas eu à connaître du dossier de l'ESB. A l'automne 1992, la maladie dite de la « vache folle » est une maladie animale, traitée comme telle par les pays de l'Union européenne. Si on parle peu d'un tel dossier, c'est parce que des mesures ont été prises par mes prédécesseurs : interdiction d'importer des bovins vivants du Royaume-Uni en juillet 1989 ; interdiction d'introduire les farines de viandes du Royaume-Uni pour l'alimentation des ruminants en août 1989 ; interdiction de l'emploi des farines animales dans l'alimentation et la fabrication d'aliments destinés aux bovins en juillet 1990.

La mesure suivante la plus significative sera la décision, prise le 27 juin 1994 par la Communauté européenne d'interdire l'emploi des farines animales dans l'alimentation et la fabrication d'aliments destinés à tous les ruminants. En tout état de cause, les services vétérinaires du ministère de l'Agriculture ont veillé et, comme l'a rappelé votre rapporteur en séance publique le 13 décembre dernier, la crise sera relancée en 1996 par « la découverte de la possibilité de transmissibilité de l'agent pathologique de l'ESB à l'homme ».

Il résulte des recherches que j'ai effectuées auprès des membres de mon cabinet et au sein des services du ministère, que la seule mesure intervenue concernant le dossier des farines animales pendant la durée de mes fonctions est la publication, au Journal officiel du 17 mars 1993, quelques jours avant les élections, d'un « avis aux importateurs de farines de sang, de farines et poudres de viandes, d'abats et d'os et de cretons originaires de divers pays de la CEE ».

Pour cette audition, j'ai réuni les membres de mon ancien cabinet, ainsi que les directeurs du ministère qui étaient alors en fonction, et je me suis efforcé de retracer l'évolution de la crise pour essayer de vous expliquer les mesures qui ont été prises.

L'avis du 17 mars 1993, intervenu à la suite de recommandations des autorités sanitaires compétentes, a rétabli la possibilité pour la France d'importer des farines animales en provenance d'Irlande. Dans la première partie de mon intervention, je vous indiquerai les conditions dans lesquelles une telle décision a été prise. Plus largement, l'acceptation du volet agricole du GATT a eu pour effet d'augmenter les besoins de la France en farines animales, en protéines animales, compte tenu des exigences américaines de limiter la production européenne des oléoprotéagineux, source de protéines végétales : ce sera l'objet de ma seconde partie.

Tout d'abord, l'importation des farines animales en provenance d'Irlande. Par avis aux importateurs du 15 décembre 1989, les ministères des Finances et de l'Agriculture avaient suspendu la possibilité d'importer « des farines de sang, farines et poudres de viandes, abats, d'os et de cretons de la CEE » en provenance du Royaume-Uni et de la République d'Irlande. L'avis du 17 mars 1993 modifie cette situation en rétablissant la possibilité d'en importer depuis l'Irlande. En mars 1993, le Royaume-Uni demeure donc le seul pays dont on ne peut importer de farines animales.

Souvent, il a été mentionné que l'interdiction d'importer des farines animales d'Irlande n'a pas été prise sur le fondement d'une situation épidémiologique, mais sur la présomption d'un risque de contamination par la circulation de produits infectés d'origine britannique par le territoire irlandais. L'introduction de farines animales en provenance d'Irlande a d'ailleurs fait l'objet d'une étude détaillée dans le rapport de notre collègue Jean-François Mattei. Mais je voudrais apporter certaines précisions complémentaires et, peut-être, corriger certaines affirmations du rapport Mattei, qui n'évoque pas les conditions scientifiques, juridiques et techniques qui ont précédé la sortie de l'avis du 17 mars 1993. Depuis la publication de ce rapport en janvier 1997, l'intervention de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 a considérablement modifié le dispositif de contrôle des importations de produits agricoles.

Il me paraît donc important pour votre commission de rappeler l'état de la réglementation en 1992-1993, au moment où est intervenu l'avis de mars 1993. Dès le 24 juillet 1990, un arrêté du ministère de l'Agriculture a interdit sur le territoire français l'emploi de farines animales dans l'alimentation et la fabrication d'aliments destinés à l'espèce bovine. A partir de cette date, si des importations de farines animales ont eu lieu, elles ne pouvaient pas être destinées à l'alimentation des bovins. Votre rapporteur a jugé « injustes les critiques adressées au modèle français », rappelant que « nos races à viande sont d'une grande qualité (...), elles sont surtout nourries d'herbe et de céréales » et qu'« un procès en utilisation des farines animales ne peut décemment être intenté » aux éleveurs français : « Le recours aux farines animales proscrit pour les ruminants n'aura en fait correspondu qu'à une part minime de l'alimentation des vaches laitières avant 1990 ; il ne représente aujourd'hui qu'un pour cent de l'alimentation donnée aux porcs, trois pour cent de celle des volailles ».

En ma qualité de président du Conseil régional de Bourgogne, j'ai reçu du directeur régional de l'Agriculture et de la Forêt un courrier en date du 30 novembre 2000, par lequel il m'indique : « Sur l'utilisation des farines animales en Bourgogne, je tiens à vous préciser que la quasi-totalité des fabricants d'aliments de bétail bourguignons avaient retiré ce produit de leur formulation bien avant l'obligation réglementaire qui leur en a été faite dès 1990 pour les ruminants, sécurisation de ces farines pour les autres animaux d'élevage à partir de 1996, avant l'interdiction totale du 14 novembre. ».

Lorsque l'avis aux importateurs de 1993 est publié, nous sommes déjà sous l'empire de la triple interdiction d'introduire des bovins vivants du Royaume-Uni (juillet 1989), d'introduire des farines de viandes du Royaume-Uni pour l'alimentation des ruminants (août 1989) et d'utiliser, quelle que soit leur origine, des farines de viandes dans l'alimentation des bovins (juillet 1990). En conséquence, à supposer qu'un trafic illicite de farines animales anglaises par l'Irlande se soit mis en place, il se serait organisé dans la clandestinité en dépit des mesures sanitaires adéquates prises par le gouvernement.

Après l'état de la réglementation, j'en viens à l'état des connaissances scientifiques. Au début des années 90, l'ESB était considérée par les scientifiques comme une maladie exclusivement animale, sans que soit envisagé un quelconque risque pour l'homme : l'éventuelle transmission de cette maladie à l'homme n'était pas scientifiquement démontrée. Elle n'était même pas envisagée par les meilleurs spécialistes ; elle ne le sera qu'en 1996.

Jean-François Mattei a toutefois relevé dans son rapport la date charnière qu'a constitué l'année 1992 ; le ministre de la Recherche de l'époque, Hubert Curien, a confié en avril 1992 à Dominique Dormont, l'un des meilleurs spécialistes français en la matière, la charge de rédiger un rapport sur l'ESB. Par ailleurs, dès l'apparition de la maladie de l'ESB, l'Office internationale des épizooties (OIE) a procédé - comme il le fait pour d'autres maladies animales - à l'établissement d'un classement des pays permettant d'identifier une échelle des risques présentés par ceux-ci. A cette occasion, il convient de rappeler le rôle essentiel joué, dans toutes les décisions prises, par l'OIE, sorte d'« OMS animal », qui fixe les règles sanitaires des importations et des exportations d'animaux.

Dès l'origine, cet office s'est penché sur le problème de l'ESB et a opéré un classement des pays à « très haut risque » et à « faible risque ». Seuls trois pays ont été immédiatement classés dans la catégorie à faible risque parce qu'ils ont décidé, en précurseurs, de traiter le problème de la maladie : l'Irlande, la France et la Suisse.

Quelles conditions juridiques et techniques ont conduit à l'avis du 17 mars 1993 ? Si cet avis du 17 mars 1993 a été pris sans que j'aie été consulté, ce qui est d'ailleurs normal, il résulte néanmoins de prescriptions scientifiques favorables. Je développerai trois idées : il s'agit d'un avis de nature administrative, d'un avis résultant de prescriptions scientifiques favorables, et la France, comme Henri Nallet l'a souligné, est isolée au sein de l'Union européenne.

Tout d'abord, l'avis aux importateurs paru au Journal officiel le 17 mars 1993 est une mesure administrative : à ce titre, et comme tous les avis d'une manière générale, il n'est pas signé par le ministre. Je ne me souviens pas d'avoir été consulté avant que cette décision soit prise, la semaine qui a précédé le premier tour des élections législatives.

Mais j'étais le ministre responsable. J'assume donc totalement cet avis et il m'appartient de vous fournir les éléments en ma possession qui peuvent être utiles pour tirer les enseignements de cette crise.

Ensuite, c'est un avis résultant de prescriptions scientifiques favorables. D'un point de vue scientifique, parce que l'agriculture française venait de traverser, notamment, la crise de 1989-1990, il avait été décidé de réunir au ministère des équipes scientifiques de premier plan sur lesquelles nous pouvions nous appuyer. Pour chaque dossier relatif à la santé publique ou la sécurité alimentaire, nous faisions systématiquement appel à un panel de conseillers et suivions un processus décisionnel extraordinairement contraignant.

Nous avions notamment comme conseiller technique le Centre national des études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA, qui est devenu une composante essentielle de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Tous les avis, toutes les décisions, avant de sortir du ministère, étaient examinés par un comité consultatif de la santé et de la protection animale, où siégeaient des scientifiques, des administratifs, mais aussi des professionnels de la filière. Nos avis passaient en outre entre les mains du Conseil supérieur de l'hygiène publique de France, dont nous avons toujours suivi les recommandations. A ma connaissance, ce conseil a existé au moins jusqu'à la naissance de l'AFSSA et nous conseillait sur l'ensemble des questions touchant à l'hygiène alimentaire. Au fur et à mesure que les connaissances et la recherche scientifique avançaient, l'administration suivait les avis et recommandations rendus par les scientifiques, allant souvent au-delà de ce qui était préconisé par ces derniers. Chaque nouvelle évolution scientifique donnait lieu en parallèle à des mesures ministérielles.

Dans ces conditions, la décision de ne plus appliquer l'embargo des produits de farines animales en provenance d'Irlande, pour l'alimentation autre que celle des bovins, a été prise, premièrement, au regard de la situation épidémiologique de ce pays qui était considérée à l'époque à faible risque par l'Office international des épizooties ; deuxièmement, après un examen de projet de décision au sein de la Commission européenne et du comité vétérinaire permanent à Bruxelles ; troisièmement, après une réunion scientifique animée par Dominique Dormont en décembre 1992.

Je précise que le Comité Dormont, mis sur pied par François d'Aubert, secrétaire d'Etat à la recherche, n'a officiellement été créé que par une décision du 17 avril 1996, mais il s'est mis au travail dès la fin de l'année 1992 sous une forme officieuse. De fait, tous les avis de l'époque concordent, qu'ils émanent du CNEVA, des services vétérinaires, du Comité interministériel : rien n'empêchait l'importation de farines animales d'un pays tel que l'Irlande.

Il convient d'ajouter qu'il n'a jamais été mis en évidence de contamination ou de propagation de la maladie du fait d'importations provenant d'Irlande. En effet, les mesures sanitaires prises par l'Irlande, elle aussi victime, comme la France, des effets de la crise, étaient en tous points comparables à celles que nous avions prises. En 1993, l'Office international des épizooties classait l'Irlande et la France au même niveau de risque épidémiologique.

Dès le départ, c'est le Royaume-Uni, et lui seul, qui a été l'objet de mesures d'embargo sur les animaux vivants ou les produits animaux comme les farines, au motif que ces dernières n'étaient pas sécurisées. La preuve en est qu'il sera à nouveau possible pour le Royaume-Uni, à la suite de mesures de traitement adaptées, d'introduire des farines animales dans l'Union C'est la décision 94/974 CE du 27 juillet 1994 et la décision 95/287 CE du 18 juillet 1995.

Ma dernière observation sur ce sujet concerne l'isolement de la France au sein de l'Union européenne. Le seul souvenir précis que je garde du dossier de l'ESB, notamment à l'occasion de mes déplacements à Bruxelles, c'est que la France en 1992-1993 était sans aucun doute le pays le plus exigeant en matière de contrôle sanitaire. Nous étions totalement isolés au sein du Conseil des ministres quand nous évoquions les questions de santé et de sécurité alimentaire. Notre collègue Michel Vergnier a d'ailleurs souligné que « la France a su prendre des initiatives dont ses partenaires (européens) auraient eu souvent intérêt à s'inspirer. ».

A ce titre, notre position était tout à fait isolée au sein des pays de l'Union et même jugée, je reprends là un des termes utilisés par le commissaire européen Ray Mac Sharry, « frileuse ». Cet isolement a toujours résulté d'une position de fermeté de la France, une position radicale sur les mesures à prendre pour faire face à la crise de la « vache folle ». Dans « Politique en jachère », je me suis permis de décrire les relations orageuses qui existaient entre les ministres européens de l'Agriculture et le commissaire Mac Sharry, que j'ai même traité un jour de voyou. Nous nous sommes opposés de manière permanente durant les négociations du volet agricole du GATT.

Cette position d'isolement de la France a marqué le ministère de l'Agriculture. Tous les fonctionnaires auxquels j'ai fait appel pour préparer cette audition se souviennent de cette attitude de quasi-mépris - je pèse mes termes - à l'égard de la France, à laquelle nous nous heurtions chaque fois que nous voulions faire valoir la prudence. Je cite Henri Nallet qui, dans « L'Yonne républicaine », notre journal local, se rappelait le 20 novembre 2000 : « J'ai le sentiment, compte tenu de l'état de nos connaissances (...) que nous avons agi avec prudence. Nous étions à l'époque assez isolés. ». Mon sentiment est rigoureusement le même.

Le quatrième point que je voulais évoquer a trait au contrôle de la circulation des produits sur le territoire. Je voudrais sur ce point être également très précis. Votre Rapporteur a rappelé les « initiatives fortes » prises par la France en matière de veille sanitaire et les différences décisions prises pour lutter contre l'ESB.

La loi du 9 juillet 1999 a créé un important dispositif de « surveillance biologique du territoire », qui permet le contrôle, par des agents spécialisés du ministère de l'Agriculture, de la circulation des produits végétaux et animaux. Mais, jusqu'à cette date, comme cela est largement expliqué dans le rapport Mattei, le contrôle des importations des produits comme les farines animales n'incombait pas au ministère de l'Agriculture. Le contrôle des importations, y compris pour les produits agricoles, relevait de la direction générale des Douanes, c'est-à-dire du ministère de l'Economie et des Finances. Quant à la circulation sur notre territoire des produits destinés à l'alimentation des animaux, son contrôle incombait aux services de la Direction générale de la Consommation, c'est-à-dire au même ministère. Les services de ce dernier avaient, et ont toujours, la possibilité, quand ils ont intercepté des produits, de requérir l'intervention des services vétérinaires pour établir un diagnostic sur ces produits et fournir les arguments sanitaires permettant leur refoulement.

A la lumière des éléments que je viens de vous décrire, on peut s'interroger sur la pertinence des mesures d'interdiction ou d'autorisation d'importer des farines animales d'Irlande durant la période incriminée. En effet, compte tenu des éléments scientifiques mis en avant en 1993, on peut penser que l'Irlande n'avait pas perdu les conditions sanitaires relativement satisfaisantes qui lui permettaient d'exporter des farines vers les pays de l'Union.

Au moment où l'Europe traverse une nouvelle crise, celle de la fièvre aphteuse, où la France est frappée à nouveau par un embargo communautaire, nous connaissons les conséquences négatives que représentent de telles mesures pour l'agriculture et l'économie d'un pays quand ce dernier a la conviction de présenter une bonne situation sanitaire et d'avoir pris, depuis plusieurs années, des mesures appropriées de lutte contre la maladie.

Enfin, les discussions autour de la reprise d'importation de farines animales d'Irlande peuvent nous paraître illusoires aujourd'hui, alors que « à aucun moment, les farines de viandes en provenance d'autres pays de la Communauté européenne n'ont été interdites d'importation, y compris celles en provenance de Belgique, bien qu'il existe des interrogations quant à un éventuel « recyclage » de farines de viandes britanniques dans ce pays ».

Voilà donc les conditions dans lesquelles l'avis de mars 1993 a été pris.

Plus largement, je voudrais m'interroger sur les conséquences de la signature de l'accord de Blair House et sur le remplacement des protéines animales. En effet, l'interdiction des farines dans l'alimentation des animaux d'élevage, notamment les bovins, pose le problème de leur remplacement. En toute logique, j'ai été amené à évoquer ce dossier lors des négociations du volet agricole du GATT, dès novembre 1992.

L'interdiction des farines animales conduit à examiner le problème de leur remplacement dans l'alimentation animale. La solution, qui a été spontanément évoquée, serait notamment de leur substituer d'autres sources alimentaires riches en protéines d'origine végétale, c'est-à-dire les oléagineux ou protéagineux.

Or, depuis la signature de l'accord de Blair House en juin 1993, la France a été incapable de répondre à l'interdiction des farines animales pour l'alimentation des ruminants par une augmentation de sa production d'oléagineux. Au gré des crises successives, et avec l'interdiction totale des farines animales, nos besoins augmentent et, avec eux, nos difficultés d'approvisionnement.

Dès que les négociations du volet agricole du GATT se sont engagées et que nous avons connu l'objectif américain de réduction de la production européenne de produits de substitution aux céréales, les fameux PSC, j'ai posé, en novembre 1992, le problème de l'alimentation des bovins, en pensant que les farines animales, interdites dès 1990, devaient être remplacées par les PSC.

L'accord étant intervenu dans des conditions défavorables à la France, j'ai indiqué qu'il n'était pas acceptable et que le Gouvernement ne l'accepterait pas. Avec le soutien des organisations agricoles, nous avons pensé, Pierre Bérégovoy et moi, que nous devions refuser de sacrifier les oléagineux à l'accord général sur le GATT. L'objectif du gouvernement était de veiller à la cohérence des engagements pris par l'Union européenne avec la politique agricole commune. Le 19 février 1993, Pierre Bérégovoy a ainsi écrit à Jacques Delors, président de la Commission : « Mon gouvernement s'opposera par tous les moyens convenus entre les Etats membres à l'approbation d'un tel accord. ». Il opposait son veto.

Au moment où la France s'apprêtait à signer l'accord général sur le GATT après les élections de mars 1993, j'ai rappelé - les débats à l'Assemblée nationale en font foi - l'enjeu majeur que représentait la question des oléagineux, qui nous font aujourd'hui défaut pour remplacer les farines animales.

Les conséquences de l'accord de Blair House ont créé une situation paradoxale. Aux termes des accords ratifiés au titre du volet agricole, l'Union européenne a accepté la demande des Etats-Unis de limiter sa production de cultures oléagineuses à 5,1 millions d'hectares. Par ailleurs, une autre mesure a réduit la production industrielle de tourteaux de soja, pour l'ensemble des pays de l'Union, à un million de tonnes par an : or, à l'époque, la France consommait déjà, à elle seule, plus de trois millions de tonnes par an. Dès lors, il est clair que l'interdiction des farines animales nous obligeait à rechercher des produits de substitution. Il est tout aussi évident que, sans les limitations de productions d'oléagineux et de tourteaux de soja imposées par le GATT, l'utilisation de farines animales n'aurait sans doute jamais connu un tel essor en Europe.

En conclusion, l'Union européenne, en ratifiant les accords du GATT en 1993 et notamment son volet agricole, n'a donc pas fait le bon choix stratégique. Je m'y suis opposé et, avec le recul du temps, j'y suis encore plus défavorable sur le plan économique, compte tenu de la nécessité d'importer aujourd'hui à des coûts élevés des oléagineux que nous ne pouvons produire que de manière limitée.

L'Union européenne n'a pas fait le bon choix stratégique, d'un point de vue sanitaire. Les insuffisances de la Commission européenne dans la gestion de la crise de l'ESB, apparaissent de manière claire dans le rapport Mattei, même si j'ai dû, par souci de précision, corriger certaines formulations de ses conclusions. Dans un article du Figaro de décembre 2000, Baudoin Bollaert a évoqué « la longue dérive de l'Europe verte ». Ce sont des termes qui me paraissent juste et que je me permets de reprendre devant votre commission. Il ajoute : « Parce que l'Union européenne n'a jamais eu de vraie politique de la santé, c'est la logique du marché qui prime (...) pour preuve, cette note interne de la Commission du 12 octobre 1992 - officieuse, certes - dans laquelle sont rapportés ces mots du commissaire à l'Agriculture, l'Irlandais Ray Mac Sharry : « Il faut avoir une attitude froide pour ne pas provoquer de réactions défavorables sur le marché. Ne plus parler de l'ESB. »

Nous en sommes à l'étape suivante : la mise en échec de la politique agricole commune. La décision du Conseil des ministres de l'Agriculture du 27 février dernier d'abandonner aux Etats membres la charge d'indemniser les dégâts causés par la crise de la « vache folle », remet en cause, me semble-t-il, le fonctionnement de l'un des édifices majeurs de la construction européenne. Devant ce renoncement de l'Union qui fait figure d'aveu tardif, on comprend mieux le peu d'empressement dont elle a fait preuve pour remédier aux effets d'une crise qui dure depuis plus de quinze ans. Une carence qui a conduit le Gouvernement français à prendre des mesures d'aide à la filière bovine au niveau national. Jean Glavany évoquait récemment l'idée d'une « renationalisation » de la politique agricole.

Comme votre Rapporteur, j'appelle de mes v_ux « plutôt qu'une Europe d'abord soucieuse de libre concurrence, de libre marché, une Europe plus présente, avant tout préoccupée par les impératifs humains et de santé publique. »

M. le Président : M. le Rapporteur sera déjà d'accord avec vous sur ce point. Tout ce que vous avez dit ne manquera pas de faire l'objet de discussions, notamment sur les avis aux importateurs, pris sans que le ministre en soit informé !

M. le Rapporteur : Vous confirmez donc que les avis aux importateurs ne sont pas visés par le ministre et que, parfois même, il n'en est informé que lors de leur publication.

M. Jean-Pierre SOISSON : Avant 1999, les avis aux importateurs proviennent pour l'essentiel du ministère de l'Economie et des Finances. C'est la Direction générale des Douanes qui est compétente et qui se tourne seulement ensuite vers les services vétérinaires du ministère de l'Agriculture ; d'où le changement de pied opéré avec raison, me semble-t-il, par la loi d'orientation agricole.

M. le Rapporteur : Pendant l'année 1992, plusieurs arrêtés ont été pris et signés par la DGAL et DGCCRF interdisant certains produits bovins, dont les abats, dans les médicaments, les engrais, les préparations homéopathiques et les pots pour bébés. En étiez-vous informé ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Je n'en ai pas le souvenir. Il faudrait que vous interrogiez le directeur général de l'alimentation de l'époque, qui est actuellement un fonctionnaire du ministère des Finances.

M. le Rapporteur : Pendant cette courte mais importante période où vous avez été ministre, vous avez été à l'origine de la prime à l'herbe et je tiens à vous rendre hommage à ce sujet. Cela prouve bien que vous étiez déjà sensibilisé aux problèmes de substitution des aliments.

M. Jean-Pierre SOISSON : Je me suis vraiment battu pour la création de la prime à l'herbe et je remercie l'Assemblée nationale de l'avoir adoptée lors du vote du budget de 1993. Je décris dans mon livre les conditions dans lesquelles j'ai arraché l'arbitrage de Pierre Bérégovoy contre le ministre de l'Économie et des Finances. Ce fut l'une des mesures essentielles, avec la réduction des cotisations sociales, pour laquelle, pendant quarante-huit heures, j'ai remis ma démission. J'ai été totalement soutenu par Pierre Bérégovoy qui a été, pour le ministre de l'Agriculture que j'étais, un Premier ministre d'une proximité extraordinaire.

M. le Rapporteur : Vous nous avez confirmé que le problème de l'ESB, comme nous l'a dit M. Nallet, n'était pas « la » préoccupation du moment.

M. Jean-Pierre SOISSON : La date vraiment charnière est celle d'avril 1992, avant ma nomination. Hubert Curien prend alors la décision de confier à M. Dormont et aux plus grands spécialistes français l'étude de la crise et celle, plus précise, de la maladie de l'ESB. C'est ce qui a orienté, me semble-t-il, par la suite, toutes les décisions des ministères.

M. le Rapporteur : Nous aurons l'occasion d'auditionner les anciens ministres de la santé.

M. Jean-Pierre SOISSON : Sur la période concernée, il serait bon également que vous puissiez auditionner, s'ils en ont quelque souvenir, des ministres de l'Economie et des Finances.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous parler de vos relations avec votre collègue du Royaume-Uni ? Et avec notre ambassade à Londres ? Receviez-vous des notes ? Le nombre de cas d'ESB en Grande-Bretagne continuait à augmenter. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Quand j'ai été ministre de l'Agriculture, le ministre anglais est président en exercice du Conseil des ministres de l'Agriculture. Il s'agissait de John Gummer. Je suis allé le voir à Londres, il est venu à Paris. Son mandat s'achevait à la fin de l'année 1992, comme celui de Ray Mac Sharry. La présidence du Conseil Agriculture a ensuite été exercée par le Danemark, dont le ministre compétent était patron de pêche ; les problèmes de l'élevage et des farines animales lui étaient totalement étrangers. A cette époque, Auxerre a joué une Coupe d'Europe à Copenhague. Cela m'a permis de passer deux jours avec lui. Je décris dans mon livre le détail de nos rencontres.

Avec John Gummer, les relations étaient directes, mais de franche hostilité. Je livre quelques informations sur les conditions dans lesquelles ont été pris les accords de Blair House. Ils furent précédés de négociations où l'on voit les commissaires européens, avec, me semble-t-il, l'accord du Président en exercice du Conseil des ministres de l'Agriculture, partir pour Chicago au Mayfair Hotel. Le Secrétaire d'Etat américain à l'Agriculture était sénateur de l'Illinois et avait réuni les commissaires européens dans sa propre ville, afin de pouvoir aller voter le 3 novembre. Lorsque l'accord de Blair House a été connu le 20 novembre 1992, John Gummer était au courant et n'en a même pas informé le Conseil des ministres de l'Agriculture. Une réunion dramatique s'est alors tenue à Bruxelles, suivie d'une réunion du gouvernement français et la responsabilité du gouvernement a été mise en jeu devant l'Assemblée nationale.

Tout cela pour dire que le ministre anglais était totalement en accord avec Mac Sharry pour conduire une politique qui était très proche de la politique américaine et qui a conduit à la décision de Blair House.

M. Jacques LE NAY : Le document que vous nous avez remis fait référence à l'avis aux importateurs du 17 mars 1993 qui s'est appuyé sur deux décisions prises par vos prédécesseurs. La première, d'août 1989, interdit les farines de viandes du Royaume-Uni pour l'alimentation des ruminants, mais je suppose, par déduction, que leur libre circulation est autorisée si elles sont destinées à l'alimentation d'animaux autres que les ruminants. La seconde, de juillet 1990, est l'interdiction d'utiliser, quelle que soit leur origine, des farines de viandes dans l'alimentation des bovins. On ne parle plus de ruminants.

Cela m'amène à vous poser deux questions : entre ces deux dates, puis au-delà, n'y a-t-il eu une mauvaise maîtrise dans la traçabilité des fabrications d'aliments du bétail ? Et comment pouvait-on exercer un contrôle rigoureux - et par qui ? - dès lors qu'il était difficile aux douaniers de vérifier et de juger, a priori, que les farines en provenance du Royaume-Uni ne seraient pas destinées à la fabrication d'aliments pour ruminants ?

M. Jean-Pierre SOISSON : J'ai retracé toutes les décisions prises par mes prédécesseurs ; ce sont eux plus directement qu'il faut interroger à ce sujet. Elles m'ont paru répondre à la situation que j'ai pu découvrir. S'agissant des contrôles, je me suis permis de mettre l'accent sur les rapports difficiles existants entre le ministère de l'Économie et des Finances et celui de l'Agriculture - cela me paraît un élément tout à fait essentiel, qui a conduit à la loi d'orientation de juillet 1999 - et sur le rôle dominant de la DGCCRF. Cet aspect, qui est peu connu et rarement évoqué, joue un rôle dans un certain nombre de discussions et de décisions administratives, et l'on voit bien que, souvent, les divergences ont pu créer des situations tendues et rendre les contrôles plus aléatoires.

M. Pierre HELLIER : Je ne reprends pas les questions précédentes car vos réponses sont identiques à celles de M. Nallet. Néanmoins, je voudrais revenir sur le fait que l'Irlande avait été considérée comme un pays à faible risque. Indiscutablement, le risque était le transfert illicite entre Angleterre et Irlande, mais cela n'a pas été pris en compte. Vous portez également un jugement sévère sur le fonctionnement des instances communautaires et sur la politique agricole commune. Pouvez-vous approfondir ce point ? Que préconiseriez-vous pour que cette Europe puisse continuer à fonctionner mieux qu'elle ne fonctionne aujourd'hui, lors de crises comme celle que nous connaissons ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Sur le premier point de votre question, j'avais des raisons précises, qui sont des raisons scientifiques fondées sur l'avis des experts, pour prendre l'avis de mars 1993, sans que soient évoquées les présomptions de circulation de farines anglaises par d'autres pays, notamment la Belgique, qui ont sans doute existé.

Quant au fonctionnement de la Commission, je pense être l'un des responsables français à en connaître le mieux les rouages. J'avais présidé, dans une autre fonction, le Conseil des ministres des Affaires sociales en 1989, lors de l'élaboration de la Charte sociale européenne et, au cours de mes différentes fonctions ministérielles, j'ai passé plusieurs jours par semaine à Bruxelles. Les propos d'Henri Nallet qui, lui aussi, a bien connu la Commission européenne, me paraissent assez justes. Il faut bien voir que le tandem commissaire européen à l'Agriculture et président en exercice du Conseil des ministres est le tandem essentiel. Lorsque tous deux sont d'accord, ils font à peu près ce qu'ils veulent ; le fait que la France ait une très bonne et une très forte réputation dans le domaine agricole, conduisait plutôt l'ensemble des pays et des services de la Commission à vouloir nous isoler, en raison même de cette spécialisation qui nous était reconnue.

Je souhaite, pour ma part, une véritable évolution de la Commission et des pratiques européennes, qui sont rendues de plus en plus difficiles par l'élargissement. Par exemple, bien des décisions prises par la Commission à l'heure actuelle s'expliquent par l'origine autrichienne du Commissaire à l'Agriculture. Ce ne sont plus du tout les objectifs qui étaient les nôtres. Henri Nallet a parlé des rapports existant entre la France et l'Allemagne. Je confirme son analyse. Mais les conditions actuelles qui régissent le secteur de la santé publique et de la sécurité alimentaire ne me paraissent pas être de bonnes conditions de fonctionnement.

M. le Président : Notre étonnement reste entier sur le fonctionnement administratif des avis aux importateurs dans des domaines pourtant jugés sensibles. Alors que vous rappeliez vous-même que l'on savait ces contrôles extrêmement difficiles puisque, notamment, les codes douaniers d'Irlande du Nord et de Grande-Bretagne étaient les mêmes, cet avis lève une mesure d'interdiction et rétablit, par conséquent, la possibilité d'importer des farines d'Irlande sans même que le ministre en soit informé. Ma question ne concerne pas précisément l'exercice de votre ministère, mais s'insère dans une réflexion plus générale. On peut comprendre que la machine administrative fonctionne, et elle fonctionne d'ailleurs bien dans notre pays. Mais, qu'elle puisse produire des avis aussi importants motu proprio me paraît tout à fait surprenant. En avez-vous tiré des leçons ? Cela a-t-il été modifié ?

Je souhaiterais également vous entendre sur la question des contrôles. En 1993, l'ouverture du marché unique a créé un contexte radicalement nouveau en ce domaine. Si, depuis 1989, les premières mesures de contrôle, vous l'avez rappelé et M. Nallet aussi, avaient été extrêmement difficiles à mettre en _uvre et complexes car elles relevaient à la fois de la direction des douanes, de la DGCCRF mais aussi de la DSV et de la DGAL pour certains produits alimentaires et produits à risque, en 1993, la situation s'est encore singulièrement compliquée, puisque l'on nous a bien dit qu'il n'y avait plus réellement de contrôle aux frontières intracommunautaires.

Nous avons entendu récemment les directeurs généraux des Douanes, de la DGCCRF, de la DGAL et avons vu les difficultés de leur coordination. Avez-vous des suggestions à formuler à cet égard ? Si la loi d'orientation agricole a posé des principes, elle n'a pas réglé la question essentielle du contrôle. Elle n'en avait d'ailleurs pas la vocation.

Autre question récurrente : comment agir face au cynisme d'un certain nombre d'Etats ? On a vu encore récemment comment en Allemagne, pays classé dans les pays à risque, les mesures de retrait des MRS n'ont été prises qu'en novembre dernier ? Vous avez rappelé les conflits qui vous ont opposés à vos partenaires européens. Comment faire coïncider les exigences du marché avec celles des consommateurs, soucieux de sécurité sanitaire et alimentaire ? C'est la question de fond devant laquelle nous sommes placés aujourd'hui. Nous souhaitons en tirer toutes les leçons pour faire des propositions claires, y compris à l'attention des instances de l'Union européenne.

M. Jean-Pierre SOISSON : Je confirme que, du moins jusqu'en 1993, les avis aux importateurs sont considérés comme des actes administratifs. Ils sont pris, sans en référer directement au ministre concerné ni même à leur cabinet, par un accord entre les services du ministère de l'Economie et des Finances et de ceux de l'Agriculture.

M. le Président : Y a-t-il eu un changement depuis ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Je n'en sais rien. Pendant la durée de mes fonctions, un seul avis a été pris, je vous l'ai indiqué, dans les trois jours précédant le premier tour des élections législatives alors que j'étais sur le terrain pour d'autres combats. J'ai souhaité vous dire clairement comment l'avis avait pu être pris, en décrivant la totalité du processus. A cette fin et dans la perspective de cette audition, j'ai réuni le mois dernier les fonctionnaires responsables de mon époque, M. Chéreau, alors directeur de la production et des échanges, aujourd'hui ambassadeur auprès de la FAO, ainsi que l'ancien directeur des services vétérinaires et M. André Grammont, qui était mon directeur de cabinet, aujourd'hui vice-président du Conseil supérieur d'Agronomie. Nous avons travaillé plusieurs soirées ; je pensais que relater dans le détail comment étaient prises un certain nombre de décisions pouvait contribuer à l'information de votre commission. Les choses ont-elles changé ? Je ne le sais pas. Sur les contrôles, j'ai entendu les dernières observations d'Henri Nallet. Je partage son sentiment, ceux-ci ne me paraissent effectivement pas répondre à l'état de la situation. Si l'on veut aller vers plus d'Europe, ces contrôles doivent, à mon sens, relever d'une décision de l'Union européenne, sinon ils ne servent à rien.

Nous sommes sans doute, de tous les pays européens, celui dont les contrôles sont les plus importants. Si vous regardiez ce qui se passe en Belgique, vous seriez effarés. La plupart des contrôles y sont inexistants. Lorsque les responsables vétérinaires des divers pays en parlent entre eux à Bruxelles, ils sont assez d'accord sur ce diagnostic, mais vous renvoient à des problèmes de moyens et d'effectifs.

Mais c'est une vraie question. Je ne suis pas spécialiste des problèmes vétérinaires comme peuvent l'être certains d'entre vous ; j'ai connu, au cours de mes fonctions, plus d'aspects économiques et de discussions de portée générale sur la politique agricole commune et le volet agricole du GATT. Néanmoins, m'exprimant à titre personnel, en tant que député à l'Assemblé nationale, je pense que des suggestions, ou des recommandations, adressées à l'Union européenne et à la Commission seraient les bienvenues.

M. le Rapporteur : Je voudrais savoir, pour conclure cette audition, si à l'époque où vous étiez ministre, l'on constatait déjà une baisse de la consommation de viande en France ? Cette question était-elle évoquée au sein du ministère ?

M. Jean-Pierre SOISSON : Vous l'avez dit tout à l'heure, concernant l'élevage, j'ai pu conduire une amorce de réorientation, notamment en introduisant la prime à l'herbe et une agriculture plus extensive et plus respectueuse de l'environnement. Quand j'ai posé le problème des farines animales à Bruxelles en novembre 1992, dans le mois qui a suivi ma prise de fonctions, je me rappelle avoir créé un effet de stupéfaction générale. On se demandait manifestement quel problème je posais en évoquant les produits de substitution aux céréales (PSC). Ce sont des souvenirs très précis que j'ai des discussions européennes qui ont marqué l'essentiel du ministère qui a été le mien, ministère passionnant où je me suis souvent posé la question de savoir si j'avais bien fait d'accepter la proposition qui m'avait été faite en octobre 1992 et qui m'a d'ailleurs coûté la présidence du Conseil général de Bourgogne. Cela fut une vie épouvantable mais extraordinairement enrichissante, et je ne crois pas avoir mal défendu les intérêts de mon pays.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. François GUILLAUME,
ancien ministre de l'Agriculture (1988-1990)

(extrait du procès-verbal de la séance du 4 avril 2001)

Présidence de M. François Sauvadet, Président

M. François Guillaume est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. François Guillaume prête serment.

M. le Président : Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez été ministre de l'Agriculture du 20 mars 1986 au 10 mai 1988. C'est en novembre 1986 que le laboratoire central de Weybridge en Angleterre a identifié une nouvelle maladie, l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), suite à l'examen du cerveau de bovins atteints révélant des lésions caractéristiques de l'ESB. Le comité vétérinaire permanent de la communauté européenne avait informé les Etats membres de cette nouvelle maladie bovine. En décembre 1987, le résultat des études épidémiologiques menées en Grande-Bretagne avait suggéré un lien entre cette nouvelle maladie, à l'époque exclusivement bovine, et l'utilisation des farines de viande et d'os. En avril 1988, a été mis en place, en Grande-Bretagne, un comité, dirigé par le professeur Southwood, chargé d'instruire le dossier de la vache folle. Ces différents événements ont lieu pendant la période où vous exercez vos fonctions de ministre de l'Agriculture.

En remontant plus en arrière, nous pourrions rappeler qu'en 1979, une commission britannique, présidée par Lord Zuckerman, avait attiré l'attention en émettant une sorte d'avertissement qui, en substance, indiquait qu'en nourrissant le bétail avec des aliments contenant des déchets d'animaux, on risquait de transmettre des agents infectieux à d'autres animaux, puis à l'homme.

Nous souhaiterions savoir si, dans le cadre de vos responsabilités ministérielles ou de vos responsabilités syndicales, vous aviez eu connaissance de cette nouvelle maladie et de son lien avec les farines. Nous aimerions également savoir si vous aviez reçu des informations des autorités britanniques ou de notre attaché agricole à Londres, et si vous aviez eu connaissance de l'information délivrée par le comité vétérinaire permanent. Eu égard à ces différentes informations, quelles décisions ou réflexions avez-vous engagées face à l'émergence de cette nouvelle maladie bovine dans un pays voisin, dont nous importions à la fois des bovins, des viandes et des farines ?

M. François GUILLAUME : Mes responsabilités au ministère de l'Agriculture ont pris fin le 10 mai 1988, à l'issue de l'élection présidentielle. A l'époque, je n'avais aucune connaissance de l'ESB. Néanmoins, je dois préciser qu'en tant éleveur, j'étais sensible à la menace de toute épizootie. D'ailleurs, tout au long de ma responsabilité ministérielle, j'ai veillé à compléter, voire à mettre en _uvre, un certain nombre d'éradications de maladies animales transmissibles à l'homme (la brucellose) ou non (la leucose). Des programmes importants ont été réalisés à cette occasion, notamment en liaison avec la réduction de la production laitière. C'était une façon intelligente de réduire le potentiel laitier, tout en assainissant le cheptel.

Par ailleurs, il se trouve que le vétérinaire de mon exploitation, le docteur Amand Georges, de Nancy, était des plus informés puisqu'il était président de l'ordre national des vétérinaires.

Avec le recul, on constate qu'un certain nombre de personnes, en dehors des recherches effectuées, avaient peut-être découvert des anomalies mais nous sommes en présence d'une maladie animale inconnue, qui n'a été reconnue comme maladie que lorsqu'elle a eu une croissance exponentielle. S'agissant du diagnostic de l'ESB, les praticiens vétérinaires étaient susceptibles de faire des confusions avec d'autres maladies. La falling disease, maladie de la vache couchée, était déjà connue et résulte d'une carence très profonde en cuivre de l'animal. Les tétanies d'herbage, qui proviennent au printemps d'un excès de matière azotée dans l'herbe jeune, peuvent également prêter à confusion, car les signes cliniques sont exactement les mêmes, et sont suivis de la mort, en l'absence de traitement. Il y a aussi l'écartèlement des animaux, qui résulte d'un accident dont l'éleveur ne s'aperçoit pas toujours et dont les symptômes sont dans un premier temps comparables à ceux de l'ESB.

Il convient de rappeler la procédure suivie lorsque des animaux décèdent dans une exploitation, sans identification réelle de la cause. L'agriculteur peut demander de faire pratiquer une autopsie. Dans la plupart des cas, il n'en fera rien en raison du coût, à moins qu'il ne soupçonne une maladie susceptible de se transmettre à d'autres animaux.

L'autopsie était dans le passé effectuée par le vétérinaire praticien de l'exploitation. Or, compte tenu de l'éloignement des centres d'équarrissage, elle est maintenant effectuée par un vétérinaire sur place, et ce dernier ne connaît pas bien les antécédents de l'animal ; si les causes de la mort sont flagrantes, il établit un diagnostic. Sinon l'affaire en reste là. Les résultats de l'autopsie sont très aléatoires et peuvent conduire parfois à prendre des causes secondaires pour des causes principales.

La raison pour laquelle nous n'avons pas reçu plus tôt d'informations en provenance de Grande-Bretagne est liée, me semble-t-il, au fait que le réseau de surveillance vétérinaire en Grande-Bretagne est beaucoup moins fiable qu'en France. En France, nous avons des directions départementales des services vétérinaires, disposant de laboratoires qui procèdent à des analyses à la demande de professionnels. C'est l'administration qui organise ce service. En ce qui concerne les professionnels, chaque département comporte un comité technique vétérinaire, composé de praticiens qui comparent leurs expériences et font état de leurs incertitudes. A ma connaissance, ce dispositif n'existe pas en Grande-Bretagne.

De surcroît, en France, tous les éleveurs adhérent à des groupements de défense sanitaire. Ces groupements procèdent aux identifications, gèrent avec les vétérinaires et les services vétérinaires les prophylaxies et s'informent mutuellement de toutes les questions relatives à la santé animale. Enfin, les laboratoires sont en liaison étroite avec les vétérinaires et les éleveurs.

S'agissant de la communication des informations, il me semble qu'en Grande-Bretagne, il y a eu une volonté de minimiser le problème ou de l'occulter pour des raisons commerciales évidentes. Lorsqu'un pays déclare urbi et orbi qu'il connaît un problème de santé animale, immédiatement l'image de marque du pays est ternie. La vente de reproducteurs devient impossible, car les acheteurs étrangers de reproducteurs sont encore plus pointilleux sur les exigences sanitaires. Cette crainte est encore plus forte en Irlande, où le chiffre d'affaires dans le secteur de la viande représente une grande part de l'ensemble des exportations irlandaises. A cet égard, il serait bon d'interroger M. Mac Sharry, irlandais et commissaire européen à l'Agriculture de 1989 à 1994, c'est-à-dire tout au début de la crise et qui, à l'issue de son mandat, a été embauché dans une grande société irlandaise de l'agroalimentaire, me semble-t-il, mais c'est une information à vérifier.

Vous avez rappelé, à juste titre, que le premier avertissement des Britanniques, en la matière, intervient en avril 1988. C'est à ce moment qu'est constitué, en Angleterre, un groupe de travail dont les conclusions seront délivrées en février 1989. Elles font état de cas sporadiques d'une maladie animale jusqu'alors inconnue.

En mai 1988, les Anglais font une première communication à l'Office international des épizooties (OIE). Le 21 juin 1988, une information est donnée, selon laquelle 860 cas de cette nouvelle maladie animale sont confirmés. Ce nombre peut paraître déjà substantiel, mais le cheptel britannique compte 14 millions d'animaux répartis sur un vaste territoire.

Le 18 juillet 1988, l'interdiction de donner des farines de viande aux ruminants est décidée en Grande-Bretagne. Je signale au passage que les chercheurs britanniques ont toujours été extrêmement réticents pour communiquer leurs observations et résultats. Chacun sait qu'il existe une concurrence entre les laboratoires publics et/ou privés quant à l'utilisation que l'on peut faire des découvertes.

Le 18 août 1988, sont décidés l'abattage obligatoire et l'incinération des animaux atteints d'ESB en Grande-Bretagne. Toutefois, la maladie est encore considérée à cette époque comme sporadique, puisque la proportion est celle d'un animal malade pour soixante-quinze troupeaux. Elle connaîtra ensuite une croissance exponentielle.

Fin 1988, les statistiques publiées font état de 2 160 cas recensés en Grande-Bretagne sur 1 667 troupeaux ; le 30 juillet 1989, 5 375 cas recensés sur 4 080 troupeaux et le 27 novembre 1989, 8 100 cas sont recensés.

Enfin, le 13 novembre 1989, la Grande-Bretagne prend la décision d'interdire à la consommation humaine tous les abats d'animaux âgés de plus de six mois.

S'agissant de la France, le premier avertissement résumant les connaissances disponibles est la note n° 8114 du 21 juin 1988 adressée par les services vétérinaires à la direction générale de l'alimentation (DGAL). En août 1989, les farines animales en provenance de Grande-Bretagne et d'Irlande sont interdites aux ruminants. Sur le plan des autorités vétérinaires, les premières informations faisant état de la maladie sont publiées dans le bulletin de l'Académie vétérinaire du dernier trimestre 1989, qui fait le point sur l'ESB. Le 21 juin 1990, le bulletin de l'Académie vétérinaire de France préconise l'interdiction de toute farine animale aux bovins. Je vais vous donner lecture de sa communication :

« Avis sur le problème de l'ESB. Séance du 21 juin 1990. L'encéphalite spongiforme bovine, apparue depuis 1986 en Grande-Bretagne, est due à un agent pathogène non conventionnel et transmissible, considéré pour l'instant comme constitué principalement d'une catégorie particulière de protéines infectieuses, les prions, particulièrement résistantes aux agents chimiques désinfectants usuels et physiques, température et radiation ionisante. (...) Considérant qu'aucune étude ne permet pour l'instant d'affirmer que l'homme est insensible à l'agent transmissible et que la plupart des études d'inoculation de prions aux animaux de laboratoire, y compris les primates, se révèlent positives, l'Académie vétérinaire de France souhaite que le risque potentiel de zoonose soit examiné dans tous ses aspects et que la plus grande rigueur soit prise dans la surveillance des denrées d'origine bovine. En particulier, tant que dureront les importations, les tissus partiellement virulents (encéphale, moelle, nerfs, thymus, abats en général) devraient être retirés des consommations humaines et animales."

M. le Rapporteur : Pouvez-vous préciser qui a eu communication de la note que vous venez de lire ? Etait-elle réservée aux scientifiques et aux professionnels ?

M. François GUILLAUME : Selon la procédure normale, cette note était diffusée à tous ceux qui pouvaient détenir des informations, dont les professionnels, qui ont leur propre circuit. Il est vraisemblable que s'ils avaient été avertis d'un problème, cela aurait suscité des débats à l'ordre national des vétérinaires, dont le rôle ne se borne pas à sanctionner, mais consiste aussi à examiner l'ensemble des problèmes. Or, pendant mes fonctions, cela n'a pas été le cas. Le mandat de M. Armand Georges, président national de l'ordre des vétérinaires, s'est poursuivi après mon départ. Ce praticien avait une vision nationale des contacts avec l'ensemble des représentants des régions, et donc les ordres vétérinaires. J'en ai parlé avec lui, il n'a aucun souvenir d'une quelconque information avant qu'éclate le problème.

Par ailleurs, il existe, au ministère de l'Agriculture, une direction des services vétérinaires rattachée à la direction générale de l'alimentation (DGAL). J'ai interrogé M. Chavarot, qui était à l'époque le DGAL. Il est resté en fonction après mon départ, mais pour une brève période. Il n'avait eu aucune information sur la question. Je n'ai pas retrouvé M. Perpère, qui devait être le directeur des services vétérinaires à l'époque, succédant à un certain M. Adroit, dont je n'ai pas retrouvé trace. Selon M. Chavarot, ni l'un ni l'autre, semble-t-il, n'avaient eu d'informations.

Il convient de rappeler que les Britanniques, pour des raisons à la fois scientifiques et commerciales, et aussi parce que cela ne concernait qu'un problème de santé animale, n'étaient pas particulièrement enclins à communiquer les informations.

Si le problème avait eu des répercussions publiques en Grande-Bretagne, il est clair que l'attaché agricole de l'ambassade de France n'aurait pas manqué de prévenir les services concernés du ministère de l'Agriculture, qui eux-mêmes auraient alerté le ministre. Or, pour ce qui me concerne, cela n'a absolument pas été le cas. J'ai découvert le problème, comme tout un chacun, dans la presse quand il en a été fait état publiquement.

M. le Rapporteur : Je ferai maintenant appel à l'expérience du professionnel et de l'homme public. Quel regard portez-vous sur cette crise à répétition ? Quant aux autorités communautaires, considérez-vous qu'elles aient fait preuve de laxisme ou qu'elles aient cherché à protéger le marché ?

M. François GUILLAUME : Je m'exprime à la lumière des débats que nous avons eus dans le cadre de cette commission. J'ai découvert les raisons réelles du changement de traitement des animaux d'équarrissage. Initialement je pensais, comme beaucoup, qu'il était uniquement lié à des raisons d'économie et de coûts de fabrication des farines. En fait, il est dû à des raisons tendant à la qualité des protéines, dont certaines, particulièrement sensibles à la chaleur, disparaissent au-dessus de 70 degrés. Il me semble déplorable que, sur le plan communautaire, il n'y ait pas harmonisation d'un certain nombre de pratiques ayant des incidences sur le plan de la sécurité sanitaire. Il a fallu attendre très tard pour qu'il soit décidé de traiter les farines à 133 degrés, pendant vingt minutes et sous la pression de trois bars.

Par ailleurs, mais cela ne concerne pas la période que j'ai connue mais longtemps après, il me semble inquiétant, face à un problème rendu public, que Bruxelles ait été très réticente à prendre des dispositions de caractère général applicables à l'ensemble de la Communauté européenne. Si l'on prend l'exemple de l'épidémie actuelle de fièvre aphteuse, lorsque Bruxelles prétend éventuellement interdire, malgré notre souhait, la vaccination contre la fièvre aphteuse, alors que la menace est grave et que la Grande-Bretagne et la Hollande, plus touchées que nous, sont obligées d'aller quémander à Bruxelles l'autorisation de vacciner, je trouve cela excessif, inadapté et contraire à la subsidiarité.

Je n'émettrai aucune suspicion particulière à l'encontre du commissaire à l'agriculture de l'époque, l'Irlandais Mac Sharry, mais c'est un point à creuser. J'étais alors parlementaire européen et j'ai toujours senti M. Mac Sharry très crispé lorsqu'il s'agissait de productions animales, notamment de production de viande ovine, bovine, etc.

Je comprends qu'un commissaire ne soit pas totalement « déraciné », mais de là à s'interdire des décisions sous prétexte qu'elles peuvent gêner des intérêts nationaux, il y a quand même des limites, notamment si cela touche aux intérêts communautaires. Il serait intéressant de savoir quelles ont été les actions de la Commission de 1989 à 1994, lorsque M. Mac Sharry était chargé de l'agriculture.

M. le Président : Nous avons observé, tout au long de nos débats et de nos auditions, que l'une des questions récurrentes avait trait aux contrôles des mesures prises, et à l'harmonisation de ces mesures.

Fort de votre expérience de parlementaire européen et national, ministre, responsable national agricole et exploitant agricole, quelles suggestions souhaiteriez-vous formuler pour faire coïncider cette exigence nationale et internationale de sécurité sanitaire, qui correspond à l'attente des consommateurs, avec les problèmes éventuels que cela peut poser pour la production et au regard des divergences entre des Etats qui cherchent à protéger leurs intérêts économiques et agricoles ? Quelles sont vos recommandations dans l'organisation des services ? Vos successeurs au ministère de l'Agriculture ont parfois évoqué des difficultés dans le contrôle des mesures mises en place.

M. François GUILLAUME : Il est parfaitement clair que les décisions prises à Bruxelles pour harmoniser les pratiques, notamment sanitaires, entre les Etats membres, sont appliquées différemment selon les Etats membres. Il n'est pas besoin d'expliquer que ce que l'on fait correctement en France n'a rien à voir avec ce que l'on prétend faire correctement en Grèce, en Espagne ou dans d'autres pays. Par exemple, l'identification, qui est à la base de toute politique de sélection, mais aussi de mise en _uvre des disciplines sanitaires. Or nous avons changé plusieurs fois de pratique en France, sous la pression des autorités communautaires, en adoptant des systèmes plutôt moins bons que ceux dont nous disposions. Par ailleurs, on a pu constater qu'on avait, même en Allemagne, financé des aides à l'élevage qui n'étaient fondées sur aucune identification sérieuse des animaux, alors qu'en France, celle-ci est d'une rigueur exemplaire.

Je crois sincèrement qu'en France les services vétérinaires et les vétérinaires de terrain appliquent la réglementation d'une manière stricte. Quant à l'information qui remonte des élevages, compte tenu de l'organisation administrative et professionnelle existante, il ne me semble pas que l'on puisse faire beaucoup mieux. Tout le problème se pose au niveau communautaire. Il est incompréhensible qu'un certain nombre de dispositions de caractère sanitaire ne soient pas appliquées de manière uniforme sur l'ensemble de l'Union européenne, faute d'un système d'identification valable.

C'est une question à poser à ceux qui sont en charge à Bruxelles de l'évolution de la réglementation. A leur décharge, ne faut pas oublier le fait que l'ESB était au départ un problème de santé animale ; ce n'est qu'en 1996 que fut évoqué le risque de transmission à l'homme.

M. le Président : En 1996, les matériels à risque spécifiés ont fait l'objet de mesures de retrait en France et pas dans d'autres pays. Des farines apatrides, en provenance d'Angleterre ou d'ailleurs, circulaient en Europe. Dès lors qu'elles arrivaient sur le continent européen, elles rejoignaient un circuit difficilement contrôlable selon les services des douanes.

Il faudra attendre quatre ans pour que des décisions appliquées en France le soient par nos voisins au sein de l'Union européenne, alors que ceux-ci continuaient d'exporter des viandes en France.

M. François GUILLAUME : Depuis 1993, le marché unique européen est une réalisé ; il n'y a donc en principe pas plus de raison de contrôler les circuits de marchandise entre la Belgique et la France qu'entre la Champagne et la Lorraine. Il est heureux que ce problème se soit déclaré en Grande-Bretagne plutôt que sur le continent. Il est plus facile de contrôler des bateaux et des trains en provenance de Grande-Bretagne et d'Irlande que des flux commerciaux entre la Belgique et la France. Nous rencontrerons des problèmes considérables de ce type, le jour où les pays de l'Europe centrale et orientale seront intégrés dans l'Union européenne. Il est certain que lorsqu'on supprime les contrôles de police et les aubettes des douaniers, on ne peut plus suivre ensuite le circuit des marchandises.

M. le Rapporteur : Je voudrais en revenir au congrès de la FNSEA. Les orientations s'énonçaient ainsi : « produire moins, produire mieux et retisser des liens avec le consommateur ». Ce slogan « produire moins, produire mieux » me choque, à titre personnel. Cela veut-il dire qu'un jour les éleveurs ont mal produit ? Le « produire moins » relève d'une autre problématique.

Je me suis également interrogé sur la dernière partie « retisser des liens avec le consommateur ». Cela signifie-t-il qu'à une certaine époque, ces liens n'existaient pas et que demain, tous les producteurs d'aliments quels qu'ils soient devraient avoir une relation plus étroite avec le consommateur, ce qui permettrait d'éviter certaines crises de la consommation ? Ce qui est dramatique aujourd'hui pour les producteurs, ce n'est pas tant la crise de l'ESB que la crise de la consommation.

M. François GUILLAUME : Vaste débat. Le problème des relations avec le consommateur consiste à lui faire comprendre l'évolution de l'agriculture et des techniques. En effet, l'information donnée par la presse est souvent marquée d'une méconnaissance totale du sujet et caractérisée par une approche alarmiste dès qu'il est question d'alimentation.

Hier matin, j'ai lu un article dans un quotidien national, intitulé « Le productivisme et la fièvre aphteuse ». J'ai appellé le journaliste pour lui suggérer de s'informer auprès des scientifiques, des agriculteurs et des éleveurs, et de faire ensuite la synthèse de toutes les informations reçues pour rédiger son article. Productivisme et fièvre aphteuse n'ont en effet rien à voir. Quand j'étais enfant, avant guerre, nous avons connu des cas de fièvre aphteuse à la ferme. Les vaches ne produisaient que 2 500 litres, mais ont néanmoins été atteintes de fièvre aphteuse. Aujourd'hui, elles en produisent 10 000 et elles sont encore atteintes de fièvre aphteuse.

La réalité est que le consommateur veut payer le moins cher possible les produits alimentaires, contrairement à tout ce qui peut être dit, afin de pouvoir consacrer la plus grande partie de son budget à d'autres consommations. Par conséquent, il est nécessaire de rechercher des techniques améliorant la productivité. Je suppose que la FNSEA estime qu'il faut que les consommateurs soient mieux informés. Certes c'est un v_u, mais c'est un v_u pieux si l'on veut bien prendre en considération la complexité de la chaîne alimentaire.

Aux Etats-Unis, on ne se pose pas la question de savoir si les fermiers sont productivistes ou non, mais s'ils vont pouvoir arracher des parts supplémentaires du marché mondial, notamment au détriment de l'Europe. D'ailleurs, leur façon d'appréhender la sécurité alimentaire est totalement différente de la nôtre. Il suffit pour s'en rendre compte de visiter leurs abattoirs. Lorsque j'étais ministre, j'ai fait effectuer une enquête sur les abattoirs américains qui abattaient les chevaux et nous en exportaient la viande, car ils n'en consomment pas. La mission a été dans l'obligation d'en agréer quelques-uns, sinon cela aurait provoqué un problème diplomatique. Nous avons choisi les meilleurs, mais ils étaient loin d'apporter des garanties sanitaires que nous connaissons en France.

J'attire également votre attention sur la traçabilité. J'y suis favorable, mais sans oublier que nous sommes aussi exportateurs de produits agricoles. Si tous nos pays partenaires commencent à dire qu'ils ne s'approvisionneront que sur leur propre marché, que faisons-nous du reste ?

M. le Président : Nous vous remercions.

Nous vous remercions.


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