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N° 3282

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 septembre 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 20 décembre 2000 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Patrick DEVEDJIAN,

Député.

--

MM. AUGUSTIN BONREPAUX ET JEAN-PIERRE DELALANDE, Présidents
M.
DIDIER MIGAUD, Rapporteur général


sur
LES MOYENS DES SERVICES JUDICIAIRES

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Justice.

La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan est composée de : M. Henri Emmanuelli, président ; M. Michel Bouvard, M. Jean-Pierre Brard, M. Yves Tavernier, vice-présidents ; M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Jacques Jégou, M. Michel Suchod, secrétaires ; M. Didier Migaud, Rapporteur Général ; M. Maurice Adevah-Poeuf, M. Philippe Auberger, M. François d'Aubert, M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Gérard Bapt, M. François Baroin, M. Alain Barrau, M. Jacques Barrot, M. Christian Bergelin, M. Éric Besson, M. Alain Bocquet, M. Augustin Bonrepaux, M. Jean-Michel Boucheron, Mme Nicole Bricq, M. Christian Cabal, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Gilles Carrez, M. Henry Chabert, M. Jean-Pierre Chevènement, M. Didier Chouat, M. Alain Claeys, M. Charles de Courson, M. Christian Cuvilliez, M. Arthur Dehaine, M. Jean-Pierre Delalande, M. Yves Deniaud, M. Michel Destot, M. Patrick Devedjian, M. Laurent Dominati, M. Julien Dray, M. Tony Dreyfus, M. Jean-Louis Dumont, M. Daniel Feurtet, M. Pierre Forgues, M. Gérard Fuchs, M. Gilbert Gantier, M. Jean de Gaulle, M. Hervé Gaymard, M. Jacques Guyard, M. Edmond Hervé, M. Pierre Hériaud, M. Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, M. Michel Inchauspé, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Marc Laffineur, M. Jean-Marie Le Guen, M. Maurice Ligot, M. François Loos, M. Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, M. Louis Mexandeau, M. Gilbert Mitterrand, M. Pierre Méhaignerie, M. Jean Rigal, M. Gilles de Robien, M. Alain Rodet, M. José Rossi, M. Nicolas Sarkozy, M. Gérard Saumade, M. Philippe Séguin, M. Georges Tron, M. Jean Vila.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle est composée de : MM. Augustin Bonrepaux, Jean-Pierre Delalande, présidents ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Mme Nicole Bricq, M. Alain Claeys, Yves Deniaud, Daniel Feurtet, Gilbert Gantier, Jean-Jacques Jégou, Marc Laffineur, Pierre Méhaignerie, Jean Rigal, Michel Suchod, membres titulaires ; MM. Jacques Barrot, Jérôme Cahuzac, Gilles Carrez, Christian Cuvilliez, Laurent Dominati, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, membres suppléants.

M. Jacques Floch, membre de la commission des Lois constitutionnelles, de la Législation et de l'administration générale de la République, a participé à ses travaux.

INTRODUCTION 7

I.- UN PRÉALABLE : POURSUIVRE LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE 9

A.- UNE QUESTION ANCIENNE ET LANCINANTE 9

B.- UN NOUVEAU DÉPART : LA MISSION POUR LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE 10

C.- LES PERSPECTIVES 12

D.- DES INITIATIVES LOCALES 12

E.- LA NÉCESSITÉ D'UNE SPÉCIALISATION DES JURIDICTIONS 13

II.- MODERNISER L'ÉQUIPEMENT JUDICIAIRE 15

A.- LA CONSTRUCTION D'UN PALAIS DE JUSTICE : UN PROCESSUS COMPLEXE 15

B.- DES CRÉDITS EN AUGMENTATION MAIS SOUS-CONSOMMÉS 17

C.- LES EXPLICATIONS DE LA CHANCELLERIE 18

D.- UNE URGENCE : LA CONSTRUCTION DU NOUVEAU TGI DE PARIS 19

E.- LES AMÉLIORATIONS SOUHAITABLES DE LA POLITIQUE D'ÉQUIPEMENT DU MINISTÈRE 23

1.- Renforcer les antennes de l'équipement 23

2.- La création de l' « Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice » 23

3.- Distinguer crédits d'études et crédits de réalisation 23

III.- POURSUIVRE LA RÉFORME DE LA GESTION : RENFORCER LES SAR 25

A.- LA CRÉATION DES SERVICES ADMINISTRATIFS RÉGIONAUX 25

B.- DES PROGRÈS SONT NÉCESSAIRES. 26

1.- Renforcer les moyens des SAR 26

2.- Préserver l'échelon départemental 27

3.- A court terme : la nécessité d'un statut pour les SAR 27

4.- A moyen terme, élargir les compétences du SAR 29

IV.- L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES 31

A.- HISTOIRE ET STATUT 31

B.- PERSPECTIVES DE RÉFORME 32

1.- Rééquilibrer les missions de l'inspection et poursuivre le renforcement en effectifs 32

2.- Le développement d'une plus grande synergie entre les inspections du ministère 33

3.- La création d'un corps d'inspection ? 34

RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS DE LA MISSION 35

EXAMEN EN COMMISSION 37

AUDITIONS

INTRODUCTION

En 2001, les services judiciaires bénéficient de 12.2 milliards de francs, soit 43.4% du budget de la justice ; les effectifs atteignent 26 803 postes budgétaires, soit une création nette de 513 postes. Ces personnels travaillent dans près de 1157 juridictions : Cour de cassation, 35 cours d'appel, 1121 juridictions du premier degré, dont 186 tribunaux de grande instance, 473 tribunaux d'instance, 191 tribunaux de commerce et 271 conseils de prud'hommes, tribunaux des affaires de sécurité sociale, tribunaux paritaires des baux ruraux.

Le projet de loi de finances pour 2002 s'inscrit dans cette tendance de long terme, en augmentant encore les effort consacrés par l'État à sa justice, fonction régalienne si il en est. Si on ne peut que se féliciter de cette augmentation des moyens des services judiciaires, il appartient également au Parlement, qui vote ces crédits, de s'assurer de leur bonne utilisation. Aussi la Mission d'évaluation et de contrôle a-t-elle décidé de se pencher sur ce problème : les crédits ne pourront pas augmenter indéfiniment et il est donc nécessaire d'en optimiser l'utilisation.

En effet le mécontentement tant des justiciables que des professionnels (magistrats, greffiers, avocats...) atteste que ces progrès importants des dotations budgétaires ne suffisent pas à dissiper le malaise qui traverse la justice. De manière générale, on peut constater que les résultats obtenus en matière d'augmentation des effectifs ne s'accompagnent pas d'une amélioration réelle du fonctionnement quotidien des juridictions et ce à cause d'une augmentation des moyens de fonctionnement qui ne suit pas le renforcement des ressources humaines. L'augmentation des crédits n'est rien sans une organisation plus efficace et plus rationnelle.

Vu l'ampleur du sujet et l'exigence d'effectivité inhérente aux travaux de la MEC, votre Rapporteur a proposé de se concentrer sur quatre sujets qui lui ont semblé particulièrement importants.

La réforme de la carte judiciaire, d'abord, est aujourd'hui plus que jamais un préalable indispensable : sans elle aucune progression des crédits, aussi importante soit elle, ne parviendra à améliorer le fonctionnement de notre justice. Or cette réforme, pourtant relancée avec la mission pour la réforme de la carte judiciaire, semble aujourd'hui s'enliser.

Ensuite, la politique d'équipement du ministère de la justice, qui dispose d'un patrimoine immobilier très important, a semblé à votre Rapporteur un point sensible vu l'importance des besoins et la difficulté du ministère à consommer des crédits qui ne cessent de progresser.

La MEC a également étudié le fonctionnement des services administratifs régionaux (SAR), véritable révolution dans l'univers judiciaire, qui ont aujourd'hui près de 5 ans et qui n'ont pourtant toujours aucune existence légale au sein du code de l'organisation judiciaire.

Enfin, l'inspection générale des services judiciaires doit retenir l'attention : celle-ci a vu ses moyens augmenter considérablement ce dont on ne peut que se féliciter, même s'il est nécessaire d'aller plus loin encore. Développer une culture de gestion au sein des juridictions passe par l'existence d'une inspection puissante qui puisse mener à bien des contrôles approfondis au sein des juridictions.

Ces quatre thèmes, et l'angle sous lequel votre Rapporteur a choisi de les aborder, répondent à une même préoccupation : ne pas se contenter d'une augmentation toujours plus grande des crédits qui permettrait d'éluder des réformes de structure pourtant indispensables.

I.- UN PRÉALABLE :
POURSUIVRE LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE

Comme le résume parfaitement Flavien Errera, sous-directeur de l'organisation judiciaire et de la programmation, anciennement chef de la mission pour la réforme de la carte judiciaire, « la carte judiciaire ne peut pas tout commander mais elle doit tout influencer ». C'est pourquoi la Mission d'évaluation et de contrôle a tenu à rappeler l'impérieuse nécessité d'une poursuite de la réforme de la carte judiciaire.

Or, il semble qu'il y ait un changement d'attitude de la chancellerie sur cette question. En réponse à une question de notre collègue Marcel Dehoux, la Garde des sceaux Marylise Lebranchu répondait le 17 avril 2001 que « si beaucoup d'acteurs de l'institution judiciaire demandent à ce que nous réfléchissions à nouveau sur la carte judiciaire, je pense qu'il faut changer de terminologie : au cours des « entretiens de Vendôme », j ai demandé à ce qu'on ne parle plus de carte judiciaire, c'est-à-dire de géographie de la justice, mais plutôt d'accessibilité de la justice. Il faut maintenant poser le problème ainsi ».

On permettra à votre Rapporteur de ne pas partager l'analyse du Garde des sceaux à ce sujet tant il lui semble au contraire indispensable de poursuivre les travaux sur la carte judiciaire, sachant que cela n'est pas antinomique avec la promotion de l'accessibilité de la justice, si l'on veut bien considérer que le terme « d'accessibilité » ne renvoie pas qu'à des problèmes géographiques, mais également à des questions d'adéquation des compétences aux problèmes de nos concitoyens. Il serait d'autant plus malheureux de reculer alors que la Chancellerie dispose désormais de travaux et surtout de méthodes, issus de la mission « carte judiciaire », à même de faciliter les réformes.

A.- UNE QUESTION ANCIENNE ET LANCINANTE

Tout comme la carte diplomatique et consulaire, la carte judiciaire fait l'objet, de manière récurrente, de débats importants, sans pour autant jamais connaître de modifications substantielles. Tout le monde est favorable à une réforme de fond, chacun s'oppose de manière farouche à toute mesure concrète. La question de la carte judiciaire est plus complexe que l'énonciation d'un simple principe d'efficacité et d'accessibilité. Elle repose, en effet, sur la conciliation de deux objectifs : assurer à tous la même qualité de justice sur l'ensemble du territoire ; garantir une certaine proximité entre le juge et les réalités sociales et économiques locales, sous peine de désincarnation de la justice.

La carte judiciaire française résulte d'une stratification. La densité de juridictions se rapproche parfois encore du réseau des villes médiévales. Les plus fortes concentrations de juridictions correspondent à ces zones historiques, qui ont connu, de surcroît, une nouvelle strate avec le premier développement industriel, à l'exemple de la Normandie, des Flandres, de la Picardie ou de la Bourgogne. Une cour d'appel peut avoir un ressort qui ne dépasse pas 250.000 habitants, ou qui, au contraire, couvre plus de 7 millions d'habitants. Si l'on exclut les extrêmes, à savoir Bastia et Paris, l'écart reste de 1 à 6 en terme de population et de 1 à 10 en terme de volume d'affaires traitées, entre Agen et Aix-en-Provence. Un tribunal de grande instance peut avoir un ressort inférieur à 70.000 habitants, avec 6 magistrats, ou un ressort de 2,15 millions d'habitants, avec près de 500 magistrats. Le rapport démographique s'étend de 1 à 31 et le rapport en effectifs de magistrats de 1 à 75. Pour les tribunaux d'instance, l'écart peut aller de 1 à 90.

La densité géographique des juridictions apparaît extrêmement variable. En Saône-et-Loire, en 1998, on trouvait 21 juridictions, dont 2 tribunaux de grande instance, 7 tribunaux d'instance, 7 tribunaux de commerce et 5 conseils de prud'hommes, alors que l'Indre-et-Loire, pour la même population, compte 6 juridictions, à savoir un tribunal de grande instance, un tribunal de commerce, un conseil de prud'hommes et trois tribunaux d'instance. De la même façon, la cour d'appel de Caen comptait 52 juridictions pour 1,4 million d'habitants, tandis que le Rhône, pour une population légèrement supérieure, en compte 12.

En 1926, une première réforme avait été tentée sur le fondement d'une départementalisation. Mais, dès 1930, devant les obstacles qu'elle rencontrait, elle fut abrogée. La dernière tentative de modification à grande échelle de la carte judiciaire, et nous nous en tiendrons à celle-ci, date de 1991. A l'époque, le Garde des sceaux, M. Henri Nallet, avait présenté un projet de départementalisation. Il s'est heurté à un véritable mur d'oppositions. Les premiers présidents craignaient de voir diminuer leurs pouvoirs de gestion. Les présidents et les procureurs des plus petits tribunaux de grande instance y voyaient un obstacle à leur avancement : jamais ils ne deviendraient président ou procureur du tribunal départemental. Les vice-présidents et les procureurs adjoints de tous les tribunaux de grande instance, mais également les greffiers et leurs adjoints, s'y opposaient sur le même fondement. Tous les barreaux de province ont créé des comités de défense, auxquels ont adhéré tous les élus locaux des petits tribunaux de grande instance et des autres curiosités historiques de la carte. Les élus locaux ont entraîné les parlementaires. Dans ces conditions, l'expérience ne pouvait aller plus loin.

B.- UN NOUVEAU DÉPART : LA MISSION POUR LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE

Dans la ligne des orientations fixées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Garde des sceaux a fait connaître son intention de moderniser le fonctionnement du service public de la justice, dont l'évolution de la carte judiciaire constitue un élément essentiel.

Dans cet esprit, par circulaire en date du 1er juillet 1997, il a été demandé aux chefs de cour et aux préfets de poursuivre la consultation sur la carte judiciaire qui avait été initiée par le précédent Garde des sceaux puis suspendue pendant la période électorale, et d'ajouter aux interlocuteurs déjà rencontrés les représentants des associations directement concernées par le fonctionnement de la justice.

Afin de procéder à de véritables modifications géographiques, une « mission carte judiciaire », placée auprès du directeur des services judiciaires et chargée de conduire des réflexions sur la réorganisation du réseau des juridictions dans le cadre des orientations définies par le Garde des sceaux a été mise en place. Installée en avril 1998, cette mission, composée de sept fonctionnaires dirigés par un membre de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), a commencé à fonctionner pleinement à partir de septembre 1998. Elle a établi une méthodologie fondée sur des études de terrain et a mis en _uvre des outils cartographiques élaborés. Par ailleurs, un comité ministériel de la réforme de la carte judiciaire présidé par le Garde des sceaux, réunissant les directeurs et les chefs de service du ministère a été créé en septembre 1998.

Une priorité a été accordée à la carte des tribunaux de commerce, laissant de côté toute autre catégorie de juridictions. Les premières mesures ont porté sur plusieurs dizaines de sites dans les six cours d'appel qui comptent le plus de juridictions consulaires (Caen, Rouen, Dijon, Montpellier, Poitiers et Riom). Des consultations avec les élus des régions concernées ont été organisées. Les décisions reposent notamment sur la prise en compte des bassins d'emploi, du cadre de vie et de l'importance des réseaux de communications. 5 millions de francs avaient été provisionnés dans le budget 1999 pour financer les premières mesures.

Celles-ci sont intervenues avec le décret n° 99-659 du 30 juillet 1999 portant suppression de 36 tribunaux de commerce dans 8 cours d'appel et le décret n° 99-660 du 30 juillet 1999 modifiant le décret n° 91-692 du 18 juillet 1991 fixant le nombre des juges et le nombre des chambres des tribunaux de commerce, le nombre des assesseurs des chambres commerciales des tribunaux de grande instance du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et le nombre des juges élus des tribunaux mixtes de commerce des départements outre-mer. Ainsi, un tribunal a été supprimé dans la cour d'appel d'Amiens, un dans la cour d'appel de Bourges, 7 dans la cour d'appel de Caen, 7 dans la cour d'appel de Dijon, 6 dans la cour d'appel de Montpellier, 3 dans la cour d'appel de Poitiers, 5 dans la cour d'appel de Riom et 6 dans la cour d'appel de Rouen.

Aucun critère n'a été défini a priori. La mission s'est cependant fondée, pour faire ses propositions, sur plusieurs indices. Le premier est constitué par le volume d'activité. Aucune norme n'a été fixée. Certains tribunaux méritent, en effet, d'être maintenus pour des raisons d'aménagement du territoire. La proximité géographique entre deux tribunaux a aussi été prise en compte. Pas plus que le niveau d'activité, ce critère n'a pas été utilisé de manière dirimante.

Un second décret devait être pris dans le premier semestre 2000. De la même façon, il devait concerner uniquement les tribunaux de commerce. Or ce décret n'a pas encore été pris, ce qui apparaît très inquiétant pour le futur de la réforme.

C.- LES PERSPECTIVES

Il serait pourtant dommage d'abandonner la réforme en l'état ; le bilan est certes limité puisque la mission n'est intervenue que dans le cadre des tribunaux de commerce ; pour autant, il fallait bien commencer par un secteur alors que rien de concret n'avait été fait jusque là. La mission a permis d'établir non seulement une méthode, plus riche, moins statique, que celle issue du rapport de M. Jean-François Carrez mais aussi des cartes précises pouvant servir de point de départ à la discussion, discussion à laquelle le Parlement devra être partie prenante.

La chancellerie dispose ainsi d'un véritable pôle d'expertise au sein de la Direction des Services judiciaires. Deux évolutions contradictoires se profilent : d'un côté la mission a été intégrée au sein de la sous-direction de l'organisation judiciaire et de la programmation, sous-direction ayant M. Flavien Errera à sa tête. De l'autre, l'administration « n'a pas reçu de missions particulières pour continuer dans quelque direction que ce soit ».

Pour M. Errera, le bilan est néanmoins positif : « La mission de la carte judiciaire a été mise en place pour donner un coup d'accélérateur à un sujet devenu lancinant. Notre seul titre de gloire, c'est d'avoir prouvé que nous étions en mesure de faire des transformations alors que l'on considérait l'objectif impossible. Avec une bonne gestion du temps de la réforme, il est possible de changer les choses.

Nous souhaiterions désormais intégrer la réforme de la carte judiciaire à la réflexion quotidienne du ministère, notamment dans ses choix d'investissement. La mission devrait maintenant être rapprochée de l'action immobilière et de la prospective. Car nous avons besoin d'inscrire nos choix dans des perspectives à moyen et à long terme : des années sont nécessaires, ne l'oubliez pas, entre le moment de la décision et le moment où elle se réalise. Il faut savoir où l'on va pour ne pas créer des palais de justice trop étroits et pour les situer aux bons endroits ».

D.- DES INITIATIVES LOCALES

On peut également noter qu'au niveau local des initiatives ont été prises pour rationaliser la carte judiciaire. Ainsi dans le ressort du TGI de Paris, un projet de réforme a été élaboré pour réformer l'instance de Paris, dans le souci d'une meilleure répartition des charges entre les tribunaux et d'une égalité de traitement entre les justiciables. Le projet le plus ambitieux propose l'élaboration d'une nouvelle carte judiciaire partageant Paris en quatre tribunaux d'instance, outre un service des nationalités autonomes. Ce projet, qui suppose le regroupement des locaux en quatre sites et par conséquent le délicat redéploiement géographique des fonctionnaires, apparaît en l'état très difficile à mettre en _uvre puisqu'il suppose l'accord des autorités compétentes (Chancellerie, mairie). Le second projet, plus modeste, se limite à un redéploiement des effectifs actuels des magistrats, en tenant compte de la population mais surtout de l'activité juridictionnelle de chacune des juridictions telle qu'elle ressort des données locales de l'activité judiciaire en 1999 publiées par le ministère de la justice.

La réponse de la Chancellerie à cet effort de rationalisation d'initiative locale sera une bonne indication de sa détermination à progresser dans la réforme de la carte judiciaire.

E.- LA NÉCESSITÉ D'UNE SPÉCIALISATION DES JURIDICTIONS

Plus fondamentalement, le regroupement proposé des tribunaux d'instance est révélateur de la direction que doit prendre la réflexion sur la carte judiciaire : on constate en effet une complexité croissante de notre droit, complexité qui remet en cause un principe fondateur de notre État de droit, à savoir que « nul n'est censé ignorer la loi ». Cette complexité implique également une spécialisation accrue des magistrats, quel que soit leur niveau d'intervention (premier ressort, appel...). Aussi doit-on se diriger vers des juridictions de plus en plus spécialisées, à l'image des pôles économiques et financiers mis en place par la circulaire du 19 février 1999. Il s'agit de revenir sur une tradition judiciaire qui a longtemps associé ressort matériel très vaste et ressort géographique réduit. C'est exactement l'inverse qu'il faut désormais pratiquer : un ressort géographique beaucoup plus vaste mais des compétences plus limitées, permettant une spécialisation accrue.

Or, comme l'a rappelé le sénateur Robert Badinter, lors de l'examen des crédits de la justice pour 2000, « des réflexions, des analyses sont en cours depuis des années, il est temps de passer aux actes. Ce ne sont pas les suppressions de quelques juridictions consulaires en état de survie artificielle - pour ne pas parler d'acharnement thérapeutique - qui suffiront. Je sais que la Garde des sceaux y songe, il est temps d'agir. »

La méthode choisie risque de perdre cette réforme, si nécessaire, dans les sables de l'institution judiciaire et des inerties locales, et de fédérer les conservatismes de tout bord. Si la première vague de suppressions de tribunaux de commerce a été rendue aisée par le caractère indiscutable des modifications engagées, en revanche, la deuxième phase semble prendre plus de temps, en raison même des plus grandes difficultés à imposer autant de changements dans un laps de temps aussi court. Devenue visible, la réforme globale des seuls tribunaux de commerce fait l'objet de plus nombreuses contestations.

Sans réforme véritable de la carte judiciaire, toute réforme entraînera une déperdition de moyens et d'énergie. Le débat sur la proximité emprunte de fausses routes. Le développement des communications, même dans les zones rurales, et des télé-procédures réduit l'enjeu de cette question.

Plus que de proximité, le citoyen justiciable est avide de qualité.

Comme en matière d'effectifs, l'injection de moyens, et le coût pour les finances publiques que cela représente, n'est légitime que si elle s'accompagne d'une réorganisation profonde des modes de fonctionnement des juridictions.

II.- MODERNISER L'ÉQUIPEMENT JUDICIAIRE

Ainsi, selon M. Errera, il appartient à la réforme de la carte judiciaire d'influencer toute la politique d'équipement du Ministère. Celle-ci connaît malheureusement de nombreuses difficultés qu'il est indispensable de résoudre.

La France compte en effet près de 1200 juridictions, réparties sur 900 sites qu'il convient d'équiper, d'entretenir, de restructurer en fonction des besoins qui ne manquent de surgir. Dans le cadre de la décentralisation, depuis 1987, la prise en charge de ces bâtiments appartient en totalité au ministère de la justice. Ce dernier doit ainsi gérer plus de 1,5 million de mètres carrés, auxquels s'ajoute le palais de justice de Paris. Il convient également de construire régulièrement de nouveaux palais. Dans ce domaine comme dans les autres, l'explosion des contentieux et la prégnance sociale des questions judiciaires nécessitent de lourds investissements.

Un effort sensible de construction et de rénovation a été lancé au début des années quatre-vingt-dix, avec le programme pluriannuel d'équipement. Pour ce faire, une délégation générale au programme pluriannuel d'équipement (DGPPE) a été créée, laissant à la direction de l'administration générale et de l'équipement (DAGE) le soin de mener les opérations déconcentrées de moindre ampleur.

Malgré ces efforts, le ministère de la justice semble avoir de grandes difficultés à consommer ses crédits d'équipement, ce qui provoque des reports d'année en année, reports rituellement dénoncés par la Cour des Comptes.

A.- LA CONSTRUCTION D'UN PALAIS DE JUSTICE : UN PROCESSUS COMPLEXE

Les opérations d'équipement sont réparties en trois groupes :

- celles pouvant être traitées dans le schéma de production courante, celui de la déconcentration, sous la responsabilité du préfet. Ce sont les programmes de moins de 500 mille francs ; ils relèvent de l'entretien immobilier ;

- les opérations individualisées, de moyenne ampleur, qui nécessitent un contrôle particulier de la chancellerie. Elles sont confiées aux antennes régionales de l'équipement (qui sous-traitent souvent avec les directions départementales de l'équipement (DDE) locales) et sont suivies par le bureau des opérations de la direction de l'administration générale ;

- enfin, les grandes opérations, directement prises en main par la délégation générale au programme pluriannuel d'équipement (DGPPE). La DGPPE a été créée en 1991 pour superviser l'achèvement du programme de construction pénitentiaire, et pour accompagner la réalisation du programme pluriannuel d'équipement judiciaire. Il s'agit d'une structure unique dans l'administration française, puisqu'elle prend donc en maîtrise d'ouvrage directe les opérations les plus lourdes (catégorie 1), celles qui engagent généralement plus de 50 millions de francs d'investissement. Dans la plupart des ministères, les préfets et les directeurs départementaux de l'équipement sont chargés de superviser les constructions.

Ce principe de répartition est globalement respecté depuis le début des années 90, même si des aménagements sont possibles en fonction des compétences des interlocuteurs déconcentrés. Lorsque les DDE apparaissent trop limitées en terme de compétences pour les constructions publiques, la DGPPE a pris directement les choses en main.

Le processus de construction proprement dit est long et complexe :

L'inventaire des besoins et la gestion du patrimoine immobilier sont du ressort de la Direction des services judiciaires, et plus précisément de la sous-direction de l'organisation judiciaire et de la Programmation. C'est elle qui exprime la nature du besoin judiciaire, tant en hommes qu'en bâtiments.

Une fois la décision prise de lancer une nouvelle construction, décision qui relève d'un arbitrage politique, la recherche foncière peut commencer. Elle se réalise sous la responsabilité du préfet, lequel procède à des repérages avec l'aide de la DDE. Ensuite les sites les mieux adaptés sont présélectionnés et des discussions s'engagent avec les élus locaux, les administrations... Il est parfois nécessaire de réaliser des études d'urbanisme complète pour le compte des collectivités locales.

La durée moyenne des études préalables est de deux ans. Ensuite, la phase de conception du projet dure également deux ans, puis il faut compter de huit mois à un an pour la consultation et la mise au point des marchés de travaux et enfin 2 ans pour la réalisation des travaux. Toutes phases confondues, la durée moyenne de réalisation d'un projet est donc de sept à huit ans.

Il apparaît essentiel d'avoir un utilisateur sur place lors de ces grandes opérations directement gérées par la DGPPE. Certains dysfonctionnements ont pu être constatés dans les nouveaux palais de justice qui s'expliquent par l'absence de relations suffisantes entre la DGPPE et l'utilisateur final. Ainsi pour le nouveau plais de justice de Nantes, aucune banque d'accueil n'était prévue, ce qui peut paraître curieux pour un programme moderne. Mais au moment du lancement de l'opération, on n'insistait pas sur ce service qui est aujourd'hui absolument incontournable.

Autre exemple, la répartition des services évolue très rapidement. La création des agents de justice, des assistants de justice font que l'ancienne répartition (un juge, un greffier, un juge et ses deux assesseurs et son greffe) est devenue en partie obsolète. Aujourd'hui, on fait des pôles de mise en état, on répartit les magistrats à proximité des greffes. La conception de l'architecture intérieure mérite d'être suivie au fur et à mesure du chantier pour être sur de se tromper le moins possible à l'arrivée et anticiper au mieux les évolutions les plus récentes. Ainsi, selon Thierry Roy, coordinateur du SAR de la Cour d'appel de Rennes, « les services du courrier sont en général très mal conçus par la DGPPE qui ne sait pas comment le système fonctionne concrètement ». Détail anodin, peut-être, mais qui révèle la nécessité de concilier expertise technique et connaissance du terrain et des besoins des futurs utilisateurs du bâtiment, à savoir les magistrats, greffiers et les justiciables... D'où la nécessité d'un interlocuteur local qui puisse suivre la réalisation des travaux.

B.- DES CRÉDITS EN AUGMENTATION MAIS SOUS-CONSOMMÉS

L'entretien et l'adaptation aux besoins du parc judiciaire ont nécessité d'engager plusieurs programmes : programme pluriannuel d'équipement des juridictions à partir de 1992, volet du plan de relance pour la ville en 1993, loi de programme en 1995, nouveau programme pluriannuel d'équipement pour 2000-2004.

L'équipement judiciaire fait ainsi l'objet de dotations budgétaires conséquentes, qui vont encore atteindre près de 756,4 millions de francs de crédits de paiement pour 2001, soit une progression de 29,19 % par rapport à 2000. Parallèlement les autorisations de programme baissent de 805 à 763 millions de francs, soit une réduction de 2,73 %.

Ces crédits sont destinés à trois actions principales :

- les opérations d'intérêt national, qui ont intégré les réalisations prévues par la loi de programme relative à la justice du 06 janvier 1995 et qui comprennent les investissements financés par les crédits inscrits à l'article 30 du chapitre 57-60-Équipement, ainsi que les opérations menées au Palais de justice de Paris, financées sur l'article 20 de ce même chapitre ;

- le programme déconcentré, financé sur l'article 20 du chapitre 57-60 ;

- la construction d'un nouveau tribunal de grande instance de Paris.

Compte tenu de l'entrée en vigueur de la loi de programme en 1995, les autorisations de programme adoptées dans les lois de finances initiales ont augmenté fortement à partir de cette période, avant de décroître significativement en 1997 en raison de la décision d'étalement de l'application de la programmation sur une année supplémentaire. Puis elles ont connu un léger redressement jusqu'en 2000, avant de diminuer de nouveau en 2001. Les crédits de paiement ont suivi la même évolution, avec un certain décalage, qui s'explique à la fois par un retard dans la programmation, et par le mouvement naturel qui lie l'ouverture des autorisations de programme et inscription des sommes en crédits de paiement.

 

CRÉDITS D'ÉQUIPEMENT DES SERVICES JUDICIAIRES
(Chapitres 57-11 ancien et 57-60 nouveau, articles 20 et 30)
(1)

(en millions de francs)

 

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

A.Crédits de paiement initiaux

731,1

754

901,3

976

961

585,5

756,4

B.- Crédits de paiement ouverts

1.064

1.111

1.174,3

1.200

1.372

1.200

-

Écart (B-A)

332,9

357

273

224

411

614,5

-

C.- Autorisations de programme initiales

1.192

1.154

889

567

673

805

763

D.- Autorisations de programme ouvertes

1.307

1.059

1.119

664,5

1.144

1.382

-

Écart (D-C)

115

-95

230

97,5

471

577

-

 

(1) budget voté, sauf 2001 (projet de loi de finances).

Source : d'après ministère de la justice.

Il reste que les très importants reports de crédits d'un exercice sur l'autre conduisent à un gonflement significatif de l'enveloppe des crédits. Ainsi l'écart entre crédits initiaux et crédits ouverts apparaît très important. Il a connu un sommet en 1999 et 2000, compte tenu de l'ouverture, dans la loi de finances rectificative, de 350 millions de francs d'autorisations de programme et de 50 millions de francs de crédits de paiement destinés à financer la construction d'un nouveau tribunal de grande instance à Paris, montants qui ont été intégralement reportés d'un exercice à l'autre. Plus l'écart entre crédits votés et crédits ouverts en cours de gestion se creuse, plus l'autorisation parlementaire perd de sa valeur.

Selon la Cour des Comptes, « ce taux d'utilisation correspond à un choix délibéré du ministère de la justice consistant à inscrire de manière régulière, en loi de finances initiale comme en loi de finances rectificative, les autorisations de programme correspondant aux engagements gouvernementaux, quel que soit le degré de préparation, sinon d'étude des travaux »

La Cour estime que le la méthode de « lissage » ne permet pas au Parlement d'avoir une image réelle des programmes d'investissement, les montants affichés correspondant plus à des intentions globales qu'à des opérations évaluées avec un minimum de précision et des échéances claires.

C.- LES EXPLICATIONS DE LA CHANCELLERIE

A cette situation dont on ne saurait s'accommoder, la Chancellerie donne plusieurs explications : la difficulté de consommer les crédits ouverts par une « modification du contexte des opérations, de nouvelles contraintes, pesant sur les délais, étant venues s'ajouter aux aléas propres à toute opération d'équipement (intempéries, modifications du cahier des charges...). Ainsi, les appels d'offres infructueux se sont multipliés, le nombre des entreprises intéressées par la commande publique ayant régressé en raison de la reprise économique. De plus, le ministère de la justice se heurte souvent à la pénurie et au renchérissement des fonciers nécessaires aux constructions, ainsi que du parc locatif auquel il est fait recours pour le relogement provisoire des services. Enfin, s'ajoutent des contraintes techniques supplémentaires, comme le désamiantage, et un manque de ressources humaines pour la conduite d'opération, notamment au sein des directions départementales de l'équipement. »

Selon André Gariazzo, directeur des services judiciaires, «  des raisons multiples expliquent le décalage. Certaines opérations prennent du retard et, très souvent, les difficultés que l'on rencontre sont liées aux marchés publics, à des marchés infructueux, des concours d'architecte qu'il faut recommencer, etc. Les règles du marché public sont à mes yeux la source essentielle des retards de programmation. Ce n'est pas la seule ».

Ce n'est effectivement pas la seule et on peut même douter que ce soit la plus importante. Plus fondamentalement, c'est le processus même des constructions qui explique le décalage et doit être reconsidéré. Comme l'explique de façon limpide M. Michel Zulberty, délégué général au programme pluriannuel d'équipement, « les opérations de construction sont pluriannuelles. Une très longue durée de préparation est nécessaire avant la consommation des crédits. On ne consomme qu'à partir du moment où l'on engage les travaux, c'est-à-dire les deux dernières années. Toute la période antérieure est consacrée à la définition, à la prise de décision et aux études. Tout cela ne consomme pas beaucoup de crédits. Une phase d'étude, au pire, s'élève à 10 ou 15 % du coût total ». Le vote des crédits par anticipation lui semble néanmoins tout à fait indispensable afin de « fiabiliser les opérations ».

Une dernière explication peut être donnée : si la sous-utilisation des crédits est générale à l'ensemble du chapitre 57-60, elle est particulièrement importante pour l'article 20 qui concerne les opérations déconcentrées ; seulement 64,3 % des crédits de paiement inscrits ont été consommés en 1997, 53,6 % en 1998 et 41,5 % en 1999. Il semble ainsi que les antennes régionales de l'équipement aient particulièrement de mal à dépenser leurs crédits. Comme l'explique la Cour des Comptes, « la diversité des modes de gestion des crédits mis entre les mains des responsables de l'équipement, peu nombreux et confrontés à une multiplicité de tâches, peut expliquer, entre autres raisons, la difficulté rencontrée par le ministère à dépenser, dès lors qu'il ne s'agit plus d'effectuer une grosse opération immobilière mais d'en suivre plusieurs dizaines d'un montant modeste ».

D.- UNE URGENCE : LA CONSTRUCTION DU NOUVEAU TGI DE PARIS

Le cas du tribunal de grande instance de Paris est un exemple topique des difficultés en matière d'équipement du ministère de la Justice. Il nous a semblé légitime d'y consacrer une partie des travaux de la mission, car ici comme dans bien d'autres domaines, les dysfonctionnements risquent de s'aggraver au fil du temps.

Les juridictions parisiennes occupent une place particulière dans le système judiciaire français, puisqu'elles concentrent près du quart de l'activité juridictionnelle nationale. Un millier de magistrats y travaillent. Elles disposent, pour certaines matières telles que le terrorisme, d'une compétence nationale. Face à ces responsabilités et aux flots contentieux, elles connaissent des problèmes lourds d'infrastructures.

Le palais de justice de l'île de la Cité ne suffit pas à les accueillir de manière satisfaisante, ce qui les oblige à s'implanter en divers lieux. Cette dispersion nuit immanquablement à la qualité de la justice qu'elles rendent et entraîne des coûts importants. Les crédits correspondants pourraient être mieux employés, ce qui justifie la construction d'un nouveau tribunal à Paris.

Un audit réalisé par un organisme externe au ministère de la justice a conclu à l'existence d'une situation déplorable. Selon les estimations, il manque aujourd'hui près de 67.400 mètres carrés au palais de la Cité. Globalement, selon les conclusions du schéma directeur, on constate une insuffisance d'environ 10 % de surfaces utiles pour la Cour de cassation, de 78 % pour la cour d'appel, et de 71 % pour le tribunal de grande instance.

Le problème le plus criant est l'insuffisance de bureaux et de salles de réunion. Les salles d'audience sont en nombre insuffisant et souvent inadaptées en surface : trop petites au pénal et trop grandes au civil. En 1998, 223 agents, dont plus de 200 magistrats, étaient contraints, faute de bureaux, de travailler hors du palais. Les besoins de mise en sécurité et de restructuration du palais actuel sont estimés à près d'un milliard de francs. Aujourd'hui, le déficit de surface oblige à compléter le parc immobilier des juridictions par des locations coûteuses. Ainsi, 60 millions de francs sont nécessaires pour loger le conseil de prud'hommes, le tribunal de police, le service de l'application des peines, le service administratif régional et le pôle de lutte contre la délinquance financière.

Ainsi, en raison de la taille du bâtiment, de sa sur-occupation et de ses carences en matière de sécurité et de fonctionnalité, le palais de justice de Paris fait l'objet de constantes opérations d'équipement.

Le tribunal de grande instance de Paris se trouve dans une situation exceptionnelle. Il occupe 446 magistrats et 1.136 fonctionnaires. Il a rendu, en 1997, 134.000 jugements en matière civile, 27.111 jugements en matière correctionnels et le tribunal pour enfants a pris 6.947 décisions. Face à cette activité, la structure immobilière du tribunal et la dimension de l'organisation interdisent aujourd'hui toute évolution significative des modes de travail et toute réforme de procédure d'envergure. Cette structure implique la mobilisation de moyens en personnel importants, affectés au seul fonctionnement. Elle obère toute politique d'accueil des usagers. La juridiction ne sera pas capable de faire face aux réformes en cours.

Les locaux offerts apparaissent insuffisants pour accueillir les services, malgré la délocalisation, d'une part sur le site de la rue Ferrus du tribunal des affaires de sécurité sociale, du tribunal de l'expropriation, du tribunal des pensions, du service de l'application des peines et du comité de probation, et d'autre part, au tribunal de commerce, du service de l'aide juridictionnelle. Ils sont éclatés, ce qui pose, notamment, des problèmes de liaisons. Ainsi, 81 agents de service ou appariteurs sont affectés aux échanges entre les diverses localisations. Cette dispersion entraîne des problèmes d'orientation des justiciables et du public et de cloisonnement des services, ce qui multiplie les mouvements, les cahiers de suivi de procédures et de dossiers. Le service administratif général est lui-même réparti sur trois implantations dans Paris.

Dans ces conditions, il s'avère impossible d'engager une animation sérieuse des personnels et un contrôle des services, ainsi qu'une réorganisation des procédures de travail. Aucune procédure de mise en état dynamique ne peut être établie. Chaque chambre civile et pénale est divisée en sections, qui se partagent les locaux sans pouvoir se rencontrer. En conclusion, les locaux actuels n'offrent pas de conditions de travail satisfaisantes, au regard notamment des normes légales de sécurité et d'hygiène.

Selon diverses estimations, la construction d'un nouveau palais permettrait de gagner entre 25 % et 30 % de productivité, qui s'ajouteront à ceux résultant de l'informatisation du travail judiciaire. Les coûts de construction d'une nouvelle cité judiciaire sont évalués à environ 2,4 milliards de francs.

La décision de construire un nouveau tribunal de grande instance a été annoncée par la Garde des sceaux. Le programme consiste en la réalisation de 100.000 mètres carrés et d'environ 600 places de stationnement.

L'acquisition de 100.000 mètres carrés engagerait une dépense d'environ 1 milliard de francs, La même somme devrait être consacrée à la construction des nouveaux locaux proprement dite. La juridiction de Paris qui constitue la plus importante juridiction européenne mériterait un tel investissement, et ce d'autant plus que la situation actuelle se caractérise par la multiplication des sites d'implantation, à l'exemple du pôle économique et financier ou du tribunal de police, dont il faut assurer les loyers. Une autorisation de programme de 350 millions de francs a été inscrite dans la loi de finances rectificative pour 1999.

Les études qui se sont déroulées dans le cadre du schéma lancé en 1994 permettent de constituer une base efficace de réflexion. Dans ce cadre, l'ensemble des juridictions de l'île de la Cité avaient été consultées et avaient plébiscité le scénario de construction d'un nouveau tribunal. Le projet doit tenir compte de contraintes lourdes. Le site doit être bien desservi par les transports collectifs. L'ensemble des professionnels exigent l'existence de liaisons faciles avec l'île de la Cité. L'environnement urbain devra être d'une qualité en rapport avec l'image du tribunal. Ces contraintes ont été transmises aux juridictions, la question a été évoquée avec le préfet de région, qui doit faire des propositions.

Plusieurs gisements avaient été repérés pour implanter le futur tribunal. Une zone était disponible dans la zone Seine-Rive-Gauche, près de la Bibliothèque nationale de France, tandis que plusieurs emprises publiques allaient être mises sur le marché, telles que des terrains de Réseau ferré de France, de l'Assistance publique-Hôpitaux publics (Boucicaut, Laennec, Broussais) ou du ministère de la défense (Balard). Le site de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, près de Denfert-Rochereau, n'était pas non plus sans intérêt.

La prise de décision devait intervenir au cours de l'été 2000 mais n'a malheureusement pas eu lieu. C'est un véritable gâchis car il semble aujourd'hui que certains sites soient d'ores et déjà écartés : celui de l'hôpital Saint Vincent de Paul comme celui de la Santé. Reste, essentiellement, la ZAC Seine Rive Gauche pour laquelle une nouvelle étude a été lancée. Une décision rapide est aujourd'hui indispensable tant les réserves foncières disponibles s'épuisent rapidement. On sait par ailleurs, qu'une fois le lieu choisi, il faudra au moins huit ans pour que le projet aboutisse.

Il n'est donc plus possible d'attendre.

E.- LES AMÉLIORATIONS SOUHAITABLES À LA POLITIQUE D'ÉQUIPEMENT  DU MINISTÈRE

1.- RENFORCER LES ANTENNES DE L'ÉQUIPEMENT

Un renforcement des structures chargées de mener à bien les opérations est indispensable. C'est, bien sûr, le cas des antennes de l'équipement dont le nombre de personnels est insuffisant pour mener à bien les tâches qui leur sont confiées. Par ailleurs, il conviendrait de réfléchir à un éventuel rattachement de ces antennes aux services administratifs régionaux (SAR) ce qui permettrait de surpasser leur double rattachement à la direction de l'administration générale (DAGE) et à la direction des services judiciaires (DSJ). Une telle réforme suppose néanmoins que soient préalablement repensées, ou plutôt enfin pensées, les missions du SAR.

2.- LA CRÉATION DE L'« AGENCE DE MAÎTRISE D'OUVRAGE DES TRAVAUX DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE »

Au niveau des opérations de catégorie I, devant l'ampleur des tâches à venir (surtout si l'on prend en compte le domaine pénitentiaire), le Premier ministre a décidé de mettre en place au sein de la Chancellerie un établissement public à caractère administratif dont le statut est calqué sue celui qui dépend du ministère de la culture. La DGPPE doit servir de structure de base à la constitution de cet établissement public. Un plan de charge a déjà été esquissé pour les dix ans à venir qui évalue les besoins à près de 20 milliards de francs, ce montant couvrant le judiciaire et le pénitentiaire. Quant au personnel, en calquant le schéma d'organisation sur celui de la délégation existante, il est estimé que soixante-dix à quatre-vingts personnes seront nécessaires au fonctionnement de l'agence. Il s'agit de mettre en place une structure économique de moyens, en renforçant les équipes de projets et en disposant de l'autonomie de gestion alors que, jusque là, la délégation était tributaire des moyens octroyés par les autres directions. Des moyens supplémentaires devraient être prévues dans la loi de finances pour 2002.

Le décret portant création de l'Agence vient de paraître au Journal Officiel (1). Son article 2 précise ses missions : il s'agit de « de la maîtrise d'ouvrage des opérations de constructions, d'aménagement, de maintenance, de réhabilitation, de restauration, de gros entretien, d'exploitation ou de réutilisation d'immeubles appartenant à l'État, y compris d'immeubles remis en dotation à des établissements publics de l'État, destinées aux services pénitentiaires, aux juridictions ainsi qu'aux établissements d'enseignement relevant du ministère de la justice ».

3.- DISTINGUER CRÉDITS D'ÉTUDES ET CRÉDITS DE RÉALISATION

Comment traiter des crédits pluriannuels ? Le problème est classique. Une loi de programme ne vaut pas automatiquement engagement des crédits correspondants. Pourtant, nous avons constaté au ministère de la justice une certaine tendance à assimiler les unes aux autres, donc à inscrire les autorisations de programme quand bien même les crédits ne seront pas consommés avant plusieurs années.

Peut-on, bel et bien, disjoindre les crédits d'études des crédits de réalisation ? Au fond, la pratique du ministère de la justice - c'est une façon de voir les choses - revient à appliquer une autorisation de programme à l'ensemble d'un programme, donc à ne pas faire de « saucissonnage » et à considérer que les études font partie insécable de l'ensemble de l'opération.

A cette pratique, on peut en opposer une autre, celle qui considère que la finalité des études est de définir la consistance de l'opération et de son coût. Or on ne connaît pas à l'avance le coût d'une opération, car la définition d'un programme est très complexe et dépend d'une quantité de facteurs.

Dès lors, il est permis de se demander s'il ne serait pas préférable de voter des crédits d'étude, et une fois que le périmètre de l'opération est défini et son coût estimé, dans le cadre d'une programmation annuelle qui n'est pas un engagement juridique, de voter alors les autorisations de programme et les crédits de paiement correspondants.

Votre Rapporteur estime que c'est cette manière de faire qui est la plus appropriée en l'espèce, car nous sommes vraiment face à une situation où les études doivent être séparées du programme compte tenu de la complexité et de la longueur des projets. En bonne gestion budgétaire, il vaudrait mieux séparer. Geler des autorisations de programme pendant une durée si longue n'est pas très satisfaisant.

III.- POURSUIVRE LA RÉFORME DE LA GESTION :
RENFORCER LES SAR

Il n'y a pas à proprement parler « d'administration de la justice », il n'y a que des « tribunaux ». La justice est le seul grand service public qui n'ait pas d'administration départementale. Cette situation soulève de véritables difficultés de coordination avec les autres services de l'État, voire avec les autres services du ministère de la justice, ceux de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire.

Les responsables administratifs sont les chefs de cour au niveau des cours d'appel, et les chefs de juridiction pour chaque tribunal. Or ceux-ci ne sont pas formés à ces responsabilités, qui les éloignent de leur mission première qui est de juger ?

Des progrès ont été accomplis depuis une dizaine d'années, progrès qui doivent se poursuivre pour aboutir à une véritable culture de gestion au sein des tribunaux.

Depuis Loi relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État du 07 janvier 1983, les chefs de cour d'appel ont progressivement assuré des missions administratives de plus en plus nombreuses et ont été délégataires de crédits relatifs au fonctionnement des juridictions et à l'équipement immobilier, à l'informatique d'initiative locale, au recrutement d'agents vacataires, à la formation du personnel et aux frais de déplacement.

Ils ont acquis un rôle d'arbitrage et de gestion des crédits de fonctionnement des juridictions de leur ressort et ont été chargés du suivi de la gestion administrative et financière des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires, de l'organisation du concours de recrutement régionalisé des agents des services judiciaires et de la conduite du dialogue social au niveau local.

La création, au sein des cours d'appel, des services administratifs régionaux (SAR) au milieu des années quatre-vingt-dix est venue, de manière salvatrice, en soutien de cette évolution. Le développement de l'informatique judiciaire devrait permettre, par ailleurs, d'accélérer le temps judiciaire et la qualité du traitement des affaires.

A.- LA CRÉATION DES SERVICES ADMINISTRATIFS RÉGIONAUX

Engagée dès le 1er janvier 1987, date d'entrée en vigueur du transfert des charges des collectivités locales à l'État, la réforme de la gestion des moyens des services judiciaires a connu une phase expérimentale entre 1992 et 1994, avant de se stabiliser autour de l'échelon fonctionnel de la cour d'appel. En 1994, à la suite des recommandations du rapport de M. Jean-François Carrez, qui proposait de fédérer les éléments de gestion dans une structure homogène désignée sous le vocable « secrétariat général pour l'administration », des SAR ont été progressivement mis en place. Conformément aux recommandations du rapport annexé à la loi de programme n° 95-9 du 6 janvier 1995 relative à la justice, la circulaire du Garde des sceaux en date du 9 octobre 1995 a créé la fonction de coordonnateur auprès des chefs de cours d'appel. Dans le même mouvement, la circulaire du 8 juillet 1996 a donné une existence juridique aux services administratifs régionaux.

Le développement de l'échelon d'administration implanté dans les cours d'appel a été accompagné par les créations successives de fonctions spécialisées : délégué à la gestion budgétaire, délégué à la formation informatique, formateur régional, magistrat chargé de la formation ou délégué à l'équipement, relevant parfois auparavant d'autorités différentes ou concurrentes. L'accroissement des tâches d'administration, l'augmentation des volumes délégués, et le nombre de personnels à gérer nécessitent que les chefs de cour bénéficient de renforts en personnel et en moyens, et que soient réorganisées les diverses structures existantes.

Ce dispositif de gestion a été mis en place à partir de 1995. Les services de gestion chargés d'assister les chefs de cour d'appel ont été réorganisés, autour de la création d'un véritable pôle administratif, placé auprès et sous l'autorité du chef de cour, le SAR, dirigé par un coordonnateur. Le SAR intervient ainsi dans le domaine de la gestion des ressources humaines et de la gestion de moyens, qui regroupe la fonction budgétaire, la fonction informatique et, à Paris, le magistrat délégué à l'équipement.

A Paris, le coordonnateur est un magistrat. A Versailles, à Douai, à Aix-en-Provence, à Lyon et à Rennes, le coordonnateur peut être un magistrat ou un greffier en chef. Actuellement, outre Paris, seul le coordonnateur du SAR de Rennes est un magistrat. Dans toutes les autres cours de province, la fonction est occupée par un greffier en chef.

Les services administratifs ont vu leurs moyens matériels se renforcer progressivement. En 1999, ils bénéficiaient de 685 emplois budgétaires, dont 148 postes de greffiers en chef et 163 emplois de greffiers.

Ainsi, le coordinateur du SAR de Rennes est à la tête de quatre services, regroupant les moyens humains, la gestion des ressources et du personnel. Deux pour les personnels et la gestion des ressources humaines, deux autres pour la formation régionale et la gestion des ressources, l'informatique et le budget des juridictions. Vingt-deux personnes sont ainsi réparties dans les quatre services.

B.- DES PROGRÈS SONT NÉCESSAIRES

1.- RENFORCER LES MOYENS DES SAR

Les SAR sont une création récente (1996) qui n'a pas encore trouvé son point d'équilibre. Comme l'explique M. Olivier Aimot, premier président de la Cour d'appel de Rennes, les SAR « doivent trouver leur positionnement car à mon sens, leur mise en place ne me paraît pas achevée. Je m'interroge sur les conditions dans lesquelles les SAR sont entrés en fonction. Certes, il y a un apport de fonctionnaires extérieurs - 8 créations de postes pour le SAR de Rennes depuis 1996, le reste étant prélevé sur l'effectif du greffe de la Cour d'appel - il y a eu redistribution de certains des moyens de l'administration centrale. Mais je n'ai pas vu arriver beaucoup de moyens dans les juridictions. Je n'entends pas dresser un procès, mais les moyens d'accompagnement ont semble-t-il été mesurés à un niveau tel que les SAR n'ont pas la capacité de répondre à l'objectif qui leur est assigné : gérer de façon déconcentrée les crédits accordés aux services judiciaires ».

Il est donc indispensable de poursuivre le renforcement des effectifs des SAR pour que ceux-ci puissent faire face à la poursuite de la déconcentration des crédits.

2.- PRÉSERVER L'ÉCHELON DÉPARTEMENTAL

Un aspect négatif du développement des SAR doit être souligné : on est passé de l'échelon départemental à l'échelon régional, en faisant table rase du département. Or la cellule départementale est indispensable puisque les crédits demeurent gérés en préfecture. Il y a rarement coïncidence entre découpage judiciaire et administratif ; par exemple, pour la Cour d'appel de Rennes, qui englobe la Loire-Atlantique, deux trésoriers payeurs généraux et cinq préfectures sont concernées. Du fait de sa maîtrise technique accrue, il faut éviter que le SAR ne prenne le pouvoir ou ne contrôle de façon trop stricte les juridictions en leur enlevant leur autonomie et leur responsabilité de gestion. L'éloignement rend possible les instructions écrites et le non respect de l'autonomie de gestion qui reste souhaitable au plan de la gestion locale.

Ceci est particulièrement vrai dans des arrondissements très importants comme celui du TGI de Paris, où le Président peut légitimement se plaindre de son manque de marge de man_uvre (la marge est de 5 millions de francs sur un budget de l'ordre de 100 millions) alors que 28.000 décisions civiles y sont rendues chaque année.

3.- A COURT TERME : LA NÉCESSITÉ D'UN STATUT POUR LES SAR

La faiblesse de la culture de gestion au sein du ministère de la justice que votre Rapporteur a déjà eu l'occasion de regretter (2) a des conséquences pratiques fâcheuses. Comme l'explique M. Magendie, président du Tribunal de grande instance de Paris, « les primes des fonctionnaires qui exercent des fonctions administratives sont souvent inférieures à celles accordées pour l'exercice des fonctions juridictionnelles. Les fonctions d'administration et de gestion ne sont pas valorisées. C'est pourquoi l'on rencontre des difficultés à recruter des personnels compétents qui restent suffisamment longtemps à leur poste pour acquérir une compétence ».

Le problème se pose avec force pour les SAR qui n'apparaissent pour l'instant nulle part dans le code de l'organisation judiciaire et dont les coordonnateurs, dont le rôle est absolument essentiel, ne jouissent d'aucun statut particulier.

La création d'un statut d'emploi des chefs de SAR apparaît nécessaire, pour valoriser cette fonction, et permettre une ouverture des recrutements.

Un projet de décret, en cours de préparation, prévoit que le chef du SAR est placé sous l'autorité des chefs de cour. En fonction de la taille de la cour d'appel, les emplois sont classés en 3 groupes correspondant à des grilles indiciaires différentes. Les emplois seraient accessibles :

- pour 65%, à des greffiers en chef

- pour 35%, aux magistrats de l'ordre judiciaire, aux agents des corps recrutés par la voie de l'ENA ainsi qu'aux agents d'autres corps de fonctionnaires de catégorie A.

Ce projet a été soumis à une concertation interne. Les organisations syndicales de fonctionnaires et de magistrats ont été consultées. Les ministères de la fonction publique et du budget ont donné leur accord de principe.

Cette réforme bénéficie de moyens inscrits en LFI 2001 (création de 28 emplois de chef de SAR et transformation de 7 emplois de greffiers en chef du 3e grade).

Toutefois, la mise en _uvre de ce statut d'emploi nécessite l'élaboration d'un second projet de décret modifiant le code de l'organisation judiciaire afin de donner un ancrage juridique à cette nouvelle structure administrative. Ce second décret permettra également de préciser les responsabilités administratives des chefs de cour dans le cadre de la déconcentration et d'assurer une meilleure cohérence du code de l'organisation judiciaire dans ses dispositions relatives aux différents échelons de déconcentration. Les observations qui ont été formulées sur ce texte (qui a été soumis à l'avis des chefs de cour) appellent des modifications et devront faire l'objet d'une nouvelle concertation élargie avec les organisations syndicales de magistrats et de fonctionnaires qui débutera dès que la mise en _uvre de l'aménagement de la réduction du temps de travail sera achevée.

4.- À MOYEN TERME, ÉLARGIR LES COMPÉTENCES DU SAR

L'organisation des quatre directions de la Chancellerie est complexe, et doit paraître particulièrement mystérieuse, au niveau déconcentré, à certains trésoriers payeurs généraux. La protection judiciaire de la jeunesse (P.J.J.), la pénitentiaire, la direction des services judiciaires et la DAGE ont chacune des implantations régionales et départementales.

Il serait donc utile que les SAR deviennent interministériels au niveau régional, c'est-à-dire regrouper la P.J.J., la pénitentiaire et les antennes régionales de l'équipement afin de disposer de services informatiques communs, de services d'achat de mobiliers et de fourniture communs. L'administration pénitentiaire a ses spécificités, la protection de la jeunesse a aussi des rayons d'action tout à fait différents. Elle gère des établissements qui sont en relation avec les conseils régionaux. Ils ont donc des compétences géographiques totalement indépendantes de celles de la DSJ. En revanche pour certains achats - mobilier technique, mobilier de bureau, etc... - rien n'empêche que les budgets soient fusionnés et confiés à un organisme commun, ce qui éviterait d'avoir autant de bureaux à la Chancellerie responsables de chacune des directions et surtout moins d'appels d'offres.

IV.- L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES

Longtemps éludée par le principe d'indépendance de la justice, la question du contrôle de l'activité judiciaire et de la responsabilité des juges apparaît aujourd'hui comme une préoccupation croissante, non seulement des décideurs politiques, mais également des justiciables. En outre, l'augmentation massive des crédits consacrés à l'institution judiciaire rend indispensable une réflexion du ministère sur l'organisation de ses services, leur coût de fonctionnement et leur efficacité. En outre, la déconcentration des moyens de fonctionnement au niveau de chaque cour d'appel a conduit à une plus grande responsabilité de l'échelon local en matière de gestion. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il était logique que la Mission d'évaluation et de contrôle à s'intéresser au fonctionnement de l'inspection générale des services judiciaires.

A.- HISTOIRE ET STATUT

L'inspection est une structure relativement récente puisqu'elle date de 1964. Jusque là, le chef du service du personnel était également chef de l'inspection ; il a semblé judicieux de mettre un terme à cette confusion.

Conformément aux textes qui la régissent, l'inspection générale a vocation à procéder au contrôle de l'ensemble des services placés sous l'autorité du Garde des sceaux. Elle est également en charge de missions que le ministre, dont elle relève directement, lui confie aux fins de recueillir tous éléments utiles d'information et de réflexion sur un sujet donné.

En pratique, les missions du service se répartissent en trois catégories :

Les missions de contrôle de fonctionnement des juridictions : elles peuvent être « approfondies », et concerner alors une juridiction donnée, ou « de sectorisation », et couvrir un secteur géographique englobant généralement le ressort d'une cour d'appel. Ces missions sont la raison d'être de l'inspection générale et devraient occuper l'essentiel de ses moyens ce qui n'est pas encore le cas.

Les enquêtes administratives portent sur le comportement professionnel ou personnel d'un magistrat ainsi que sur des difficultés ponctuelles. Elles peuvent présenter un caractère pré-disciplinaire.

Les missions thématiques, enfin, portent sur un sujet dont le ministre décide de confier l'étude à l'inspection générale seule ou conjointement avec d'autres services de la chancellerie ou d'autres inspections générales.

De quels moyens l'inspection dispose-t-elle pour mener à bien ces missions ? En 1994, elle était composée d'un inspecteur général, d'un inspecteur général adjoint et de neuf inspecteurs. Ceci était manifestement insuffisant quand l'on sait que le contrôle du tribunal de grande instance de Nice en 1998/1999 a monopolisé cinq magistrats et trois greffiers pendant six mois. Il s'agit en effet, selon les termes du directeur de l'Inspection, d'un travail de dentellière : « Avant de nous rendre dans les juridictions, nous leur adressons un questionnaire extrêmement complet qui doit nous permettre de connaître les flux, l'organisation, les procédures les plus anciennes, ou la gestion des expertises. Ensuite, la direction des services judiciaires a ses propres statistiques. Avant de nous rendre dans une juridiction, nous pouvons croiser ces deux éléments pour voir s'ils disent la même chose ou non. Une fois dans la juridiction, service par service, magistrat par magistrat, fonctionnaire par fonctionnaire, nous faisons le tour de tous les services. Nous faisons ouvrir les armoires, et examinons les dernières audiences tenues et les dossiers ».

Il a donc paru indispensable de renforcer considérablement les effectifs de l'inspection pour que celle-ci puisse mener à bien ses missions : 5 postes ont été créés en 1999 et 4 nouveaux en 2000. Aujourd'hui, l'inspection dispose d'un inspecteur général, M. Jean-Paul Collomp nommé depuis le printemps 2001, de deux inspecteurs généraux adjoints et de vingt inspecteurs. Le nombre des inspecteurs a donc été multiplié par deux.

B.- PERSPECTIVES DE RÉFORME

1.- RÉÉQUILIBRER LES MISSIONS DE L'INSPECTION ET POURSUIVRE LE RENFORCEMENT DES EFFECTIFS

Il importe de recentrer les missions de l'inspection ; comme elle le reconnaît elle-même dans son dernier rapport d'activité : « on ne peut que souligner un certain déséquilibre dans la répartition des attributions fondamentales de l'inspection : il apparaît nettement que le contrôle du fonctionnement des juridictions n a pas trouvé, à ce jour, la place qui devait lui revenir ; les raisons en sont essentiellement la nécessité d'accomplir les autres missions, thématiques ou à caractère disciplinaire, dans un délai aussi satisfaisant que possible ».

Pour la seule année 2000, le programme des missions thématiques semble en effet très chargé : une mission d'application sur la loi du 15 juin 2000 ; une mission interministérielle sur les contrats locaux de sécurité ; une mission sur le comportement d'un magistrat chef de juridiction ; une mission sur un incident médical à la prison de Fresnes ; une mission sur les disparus de l'Yonne ; le diagnostic sur la réduction du temps de travail ; une mission annuelle d'évaluation du dispositif des agents de justice au sein du ministère de la justice ; une mission d'expertise sur le permis à points ; une mission d'inspection à la maison d'arrêt de Draguignan après l'assassinat par un détenu de son codétenu : une mission sur la triple évasion de Borgo, en Corse : une mission sur les problèmes de la santé et de la détention. Enfin, pour la fin de l'année : une mission sur l'incarcération des mineurs (700 mineurs sont aujourd'hui incarcérés) ; une mission sur l'évaluation des services administratifs régionaux ; une mission sur les articles 35 bis et 35 quater de l'ordonnance de 1945 concernant la rétention administrative des étrangers ; une mission sur l'exécution des décisions de justice.

Aussi reste-t-il peu de temps à consacrer au contrôle direct des juridictions. Comme l'écrit la Cour des comptes dans un de ses référés administratifs, certes rédigé avant le renforcement des effectifs intervenu depuis trois ans : « l'inspection générale des services judiciaires n'a que des effectifs réduits, et ses contrôles sont principalement orientés vers l'activité juridictionnelle et assez fréquemment entrepris quand des conflits de personne sont signalés dans une juridiction. Le contrôle approfondi qu'elle a mené sur le tribunal de grande instance de Marseille témoigne pourtant de son aptitude à traiter des questions de gestion. »

L'inspection est donc capable de traiter des questions de gestion. Or il semble qu'elle ne le fasse pas ou très peu. C'est pour cette raison que la Cour des comptes ajoute : « Il serait utile que ce service d'inspection fut suffisamment renforcé pour que chaque juridiction soit contrôlée avec une périodicité suffisante ».

L'augmentation des effectifs est encore très insuffisante par rapport aux 35 cours d'appel, aux 186 tribunaux de grande instance, aux 473 tribunaux d'instance, aux 271 conseils de prud'hommes et aux 191 tribunaux de commerce qu'ils peuvent être amenés à contrôler. Il est donc souhaitable que de nouveaux postes soient créés. Comme l'expliquait en janvier 2000 M. Nadal, ancien directeur de l'inspection, l'idéal serait de disposer d'au moins deux inspecteurs par cour d'appel, soit un effectif supérieur à 60 inspecteurs. On en est encore loin.

2.- DÉVELOPPER UNE PLUS GRANDE SYNERGIE ENTRE LES INSPECTIONS DU MINISTÈRE

La Chancellerie dispose à l'heure actuelle de plusieurs services d'inspection rattachés à certaines directions du ministère. Ainsi l'inspection de la protection judiciaire de la jeunesse est rattachée à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, l'inspection des greffes à la direction des services judiciaires et l'inspection de l'administration pénitentiaire (dont un des inspecteurs de l'inspection générale assure les fonctions de chef) à la direction de l'administration pénitentiaire.

Toutefois, dans la mesure où l'inspection générale des services judiciaires ne relève pas d'une direction particulière mais du seul Garde des sceaux, elle peut être sollicitée pour traiter de tout sujet et notamment de tout sujet « transversal » qui concerne plusieurs directions.

Une réflexion semble actuellement en cours quant à la création d'une inspection générale du ministère de la justice qui permettrait d'officialiser le travail existant d'inspections conjointes. Une telle mesure paraît hautement indiquée, d'autant qu'elle devrait aider à décloisonner les différents services du ministère.

3.- ENVISAGER LA CRÉATION D'UN CORPS D'INSPECTION

Contrairement aux inspections d'autres ministères (inspection des finances, inspection des affaires sociales), l'inspection générale des services judiciaires n'est pas un corps. On peut ainsi travailler au sein de l'inspection puis se trouver en poste dans une juridiction.

Cette situation présente des avantages incontestables. Tous les inspecteurs proviennent des juridictions et ont donc une bonne connaissance du terrain. Ils sont recrutés au niveau du premier grade de la hiérarchie judiciaire et ont donc une bonne expérience de la réalité judiciaire. En outre, on ne fait pas carrière à l'inspection, on y reste pendant trois à six ans.

Ces avantages peuvent cependant être également des défauts : risque de « consanguinité » et déficit d'indépendance. On peut ainsi reprocher à un magistrat, membre de l'inspection, de poursuivre sa carrière dans un tribunal ou une administration qu'il aura auparavant été amené à contrôler. Selon le directeur de l'inspection, « l'indépendance de l'inspection générale est acquise et ne pose pas de difficultés », ce sentiment étant partagé, tant par le ministre et son entourage que par les juridictions. Il faut reconnaître que l'indépendance est souvent plus affaire de mentalité que de statut ce qui semble être le cas ici.

Si la réflexion sur la création d'un corps autonome ne semble donc pas encore aboutie, il est par contre indispensable d'ouvrir le service à d'autres fonctionnaires. Le propre d'une inspection est de disposer d'un regard distancié et pluridisciplinaire. Il ne serait donc pas choquant que l'inspection s'adjoigne les compétences d'un inspecteur des finances, des affaires sociales ou de l'équipement. Dans son dernier rapport, l'inspection préconisait « l'élargissement du recrutement des membres de l'inspection à des fonctionnaires choisis selon des modalités restant à déterminer (le principe de l'ouverture à des fonctionnaires recrutés par la voie de l'ENA est d'ores et déjà acquis) ». Il ne semble pas que cette préconisation ait été concrétisée et le nouveau directeur de l'inspection conditionne cette ouverture à la réciprocité avec les autres inspections, ce qui semble pour le moins superflu à votre Rapporteur.

RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS DE LA MEC

I.- POURSUIVRE LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE

· Lancer sans délais la deuxième vague de réforme des tribunaux de commerce

· Appliquer la réforme des tribunaux d'instance élaborée au sein du TGI de Paris

· Donner des missions claires à la sous-direction de l'organisation judiciaire et de la programmation

· Favoriser le développement de juridictions très spécialisées avec des ressorts géographiques importants, par exemple en matière de droit de la presse, droit maritime ou droit de l'expropriation

II.- MODERNISER L'ÉQUIPEMENT JUDICIAIRE

· Choisir, d'ici la fin de l'année 2001, un emplacement pour un nouveau TGI à Paris

· Renforcer les antennes régionales de l'équipement

· Doter de moyens plus importants l'Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice

· Distinguer systématiquement crédits d'études et crédits de réalisation afin de limiter les reports de crédits, signes de mauvaise gestion budgétaire

III.-  RENFORCER LES SERVICES ADMINISTRATIFS RÉGIONAUX

· Renforcer les moyens des SAR

· Créer un statut pour les SAR, première étape d'une valorisation de la fonction de gestion au sein des juridictions

· Élargir, à moyen terme, les compétences du SAR aux autres directions du ministère et lui attribuer la qualité d'ordonnateur secondaire

IV.-  DÉVELOPPER L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES

· Rééquilibrer les missions de l'inspection au profit des contrôles de fonctionnement des juridictions

· Poursuivre le renforcement en effectifs de l'inspection

· Développer les synergies entre les différentes inspections du ministère

· Ouvrir l'inspection à d'autres corps de fonctionnaires, en attendant la création d'un véritable corps d'inspection analogue à l'Inspection des finances ou à l'Inspection générale des affaires sociales.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des finances a examiné, au cours de la séance du 26 septembre 2001 le présent rapport.

Votre Rapporteur spécial, a souligné le contraste flagrant existant entre l'effort budgétaire, très important ces dernières années - le budget de la justice dépassant 30 milliards de francs pour la première fois dans le projet de loi de finances pour 2002 - et l'augmentation des effectifs, d'une part, et la crise de la justice, d'autre part. Un sentiment d'asphyxie prédomine. Une analyse plus fine indique, qu'au-delà des insuffisances de crédits, des problèmes structurels existent au sein de la Chancellerie. Ces problèmes n'ont été traités par aucun gouvernement, le sujet ne se prête donc guère à la polémique.

Les réformes nécessaires sont, en effet, difficiles à mener et se heurtent à des conservatismes très importants. Or, la justice est aujourd'hui, du fait du développement de l'État de droit, un instrument de régulation sociale beaucoup plus important qu'auparavant, alors que l'architecture judiciaire est héritée du XIXème siècle.

La MEC a choisi de retenir quatre sujets pour aboutir à des propositions précises : la carte judiciaire, la modernisation de l'équipement, le développement des services administratifs régionaux (SAR) et la réforme de l'inspection générale des services judiciaires.

La carte judiciaire est totalement inadaptée à la réalité juridique, économique et démographique. A Paris, par exemple, l'existence de vingt tribunaux d'instance aux charges de travail très inégales, est tout à fait superflue alors que quatre suffiraient largement. Toute réforme se heurte néanmoins à trois conservatismes : celui des avocats, d'abord, qui refusent de voir disparaître leur barreau et la clientèle captive qui lui est liée, les magistrats ensuite, que le statut de notables dans une petite ville attire ; les élus locaux, enfin, qui, sous prétexte d'aménagement du territoire refusent toute modification de la carte hospitalière, militaire ou judiciaire. On arrive donc à une dilution des moyens de la justice, de nombreux tribunaux n'atteignant pas la taille critique nécessaire. Pour autant, l'idée d'un « grand soir » de la carte judiciaire est tout à fait illusoire ; la réforme doit se faire petit à petit, en concertation avec les élus locaux. Il eut été bon que le Gouvernement, par exemple, fusionne deux tribunaux de grande instance. Faut-il un tribunal de grande instance à Rochefort et un à La Rochelle ? A Douai, pour juger un conflit du travail, avec procédure d'appel, le délai est de six ans. Cette inadaptation croissante du droit ne peut qu'engendrer l'incivisme, voire constituer une véritable incitation à la délinquance.

Il faut adapter l'appareil judiciaire qui est confronté à une double problématique : une justice de masse, conséquence d'une plus grande judiciarisation des problèmes sociaux, et une complexité accrue du droit, ce qui demande une spécialisation croissante des juridictions. Il faut donc redéfinir la compétence matérielle des juridictions et en étendre le ressort géographique ; c'est évident pour des domaines tels que le droit maritime, le droit de la presse, de l'expropriation ou du contentieux médical. Des gains de productivité très importants pourraient ainsi être réalisés. En outre, les procédures applicables à la justice plus généraliste sont, elles aussi, obsolètes : qu'est-ce qui justifie une double comparution d'époux voulant divorcer d'un commun accord lorsqu'ils n'ont pas d'enfant ?

La politique de l'équipement du ministère est très inadaptée. Ici encore l'exemple de Paris est révélateur : en dix ans aucun gouvernement n'a été capable de trouver un terrain pour implanter le nouveau TGI de Paris. Comme pour le reste de l'équipement judiciaire et pénitentiaire, le gouvernement a certes dégagé des crédits importants, mais l'administration est incapable de les consommer, faute de structures adéquates. Le problème se pose en particulier pour les crédits déconcentrés. La création de l'Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice est une bonne initiative, mais les moyens qui lui sont alloués sont encore insuffisants.

La mise en place des SAR depuis 1996 est une réelle innovation qui a consisté à installer des cellules de gestion budgétaire au niveau des Cours d'appel. Ces structures souffrent encore néanmoins d'une insuffisance de moyens et d'un déficit de reconnaissance légale : elles ne figurent même pas dans le code de l'organisation judiciaire. A terme, c'est également le rôle d'ordonnateur secondaire des crédits de la justice qui doit être révisé : il appartient pour l'instant aux préfets, ce qui est une source de complexité, le découpage administratif ne coïncidant pas avec le découpage judiciaire. Il serait judicieux de transférer cette compétence au niveau des Cours d'appel.

L'inspection générale des services judicaires est récente, puisqu'elle date de 1964. Elle a bénéficié d'importantes créations de postes ces dernières années, ce dont on ne peut que se féliciter. Cette tendance doit être poursuivie ; la constitution d'un corps autonome, à l'instar des corps de l'inspection des finances ou des affaires sociales est également nécessaire, les risques de consanguinité étant importants ; enfin il est urgent de fusionner les quatre inspections du ministère de la justice, le morcellement des compétences étant actuellement un obstacle à l'efficacité du contrôle.

M. Pierre Drai, ancien premier Président de la Cour de cassation, a conclu sa carrière en disant : "la justice apporte des solutions mortes à des questions mortes". La gravité d'un tel constat, le fait que la délinquance trouve sa source dans le déni de justice, appellent, en effet, à des réformes précises.

M. Jean-Pierre Delalande a souligné la qualité, la justesse de ton et le caractère constructif et non polémique du rapport qui venait d'être présenté.

M. Alain Rodet s'est étonné de la déclaration du directeur des services judiciaires, citée dans le projet de rapport, selon laquelle « les règles des marchés publics constituaient le principal obstacle à la mise à niveau des équipements judiciaires ». Prenant l'exemple des collectivités locales, qui doivent respecter les mêmes règles, mais réalisent néanmoins des travaux importants, une telle constatation semble traduire un certain archaïsme de l'administration de la justice en France. Par ailleurs, sans méconnaître l'importance des problèmes de gestion de la justice en Ile-de-France, qui constituent l'un des thèmes principaux du projet de rapport, les difficultés des autres juridictions ne devraient pas être sous-estimées, notamment en raison des dépenses importantes liées à la reconstruction du Parlement de Bretagne qui ont mobilisé une proportion importante des crédits susceptibles d'être consommés. Enfin, face aux remarques parfois faites par les magistrats à l'égard des responsables politiques, notamment à l'occasion des discours de rentrée des cours d'appels, il y a lieu de regretter la sous-consommation chronique des crédits disponibles, dont une partie est, en conséquence, régulièrement annulée en collectif budgétaire.

M. Maurice Ligot a relevé une certaine contradiction entre le souhait, exprimé par le rapporteur, de supprimer certains tribunaux, et l'encombrement de la justice. La spécialisation des tribunaux ne constitue en l'espèce qu'une réponse à des problèmes circonscrits, et ne fera pas disparaître les retards de la justice en matière d'affaires courantes, telles que le droit de la famille. Parallèlement aux suppressions envisagées, il conviendrait donc également de créer de nouvelles juridictions.

Votre Rapporteur spécial s'est dit favorable, en ce domaine, au redéploiement ponctuel de moyens, mais a souligné d'une part, que les suppressions nécessaires lui paraissaient devoir être plus nombreuses que les créations, et, d'autre part, que celles-ci étaient subordonnées aux moyens susceptibles d'être dégagés par les suppressions. En complément à la remarque de M. Alain Rodet concernant les critiques de certains responsables judiciaires à l'encontre des élus, il a rappelé que l'instruction de l'affaire des marchés informatiques passés irrégulièrement, portant sur des centaines de millions de francs, impliquant plusieurs magistrats, demeure en cours, depuis son ouverture il y a douze ans. 

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La Commission a alors autorisé, à l'unanimité, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport.

3282 - Rapport d'information de M. Augustin Bonrepaux en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 20 décembre 2000, sur les moyens des services judiciaires(Commission des finances) -justice-

AUDITIONS

() Décret n° 2001-798 du 31 août 2001 portant création de l'Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice.

() Patrick Devedjian, Justice, autopsie d'une réforme, Assemblée nationale, XIème législature, document n° 2137, 3 février 2000.