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N° 3282

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 septembre 2001.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 20 décembre 2000 (2),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Patrick DEVEDJIAN,

Député.

--

MM. AUGUSTIN BONREPAUX ET JEAN-PIERRE DELALANDE, Présidents
M.
DIDIER MIGAUD, Rapporteur général


sur
LES MOYENS DES SERVICES JUDICIAIRES

AUDITIONS

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Justice.

*

* *

La mission d'évaluation et de contrôle est composée de : MM. Augustin Bonrepaux, Jean-Pierre Delalande, présidents ; M. Didier Migaud, rapporteur général ; MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Mme Nicole Bricq, M. Alain Claeys, Yves Deniaud, Daniel Feurtet, Gilbert Gantier, Jean-Jacques Jégou, Marc Laffineur, Pierre Méhaignerie, Jean Rigal, Michel Suchod, membres titulaires ; MM. Jacques Barrot, Jérôme Cahuzac, Gilles Carrez, Christian Cuvilliez, Laurent Dominati, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, membres suppléants.

M. Jacques Floch, membre de la commission des Lois constitutionnelles, de la Législation et de l'administration générale de la République, a participé à ses travaux.

AUDITIONS

1.- 7 juin 2001 : M. Michel Zulberty, délégué général au programme pluriannuel d'équipement du ministère de la Justice 43

2.- 14 juin 2001 : M. André Gariazzo, directeur des services judiciaires ; M. Jean-Paul Colomp, directeur de l'Inspection générale des services judiciaires ; M. Flavien Errera, chef de la Mission pour la réforme de la carte judiciaire 54

3.- 28 juin 2001 : M. Thierry Roy, coordinateur du service administratif régional de Rennes ; M. Olivier Aimot, premier Président de la Cour d'appel de Rennes 72

4.- 4 juillet 2001 : M. Jean-Claude Magendie, président du Tribunal de grande instance de Paris, accompagné de Maître Francis Teitgen, bâtonnier de Paris ; M. Jean-René Farthouat, président du Conseil national du Barreau, accompagné de Mme Sylviane G. Baker, bâtonnière de Rennes, membre du Conseil national du Barreau ; M. Fabrice Vert, juge d'instance au Tribunal d'instance de Paris 18è 90

AUDITIONS

1.- AUDITION DE M. MICHEL ZULBERTY, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL AU PROGRAMME PLURIANNUEL D'ÉQUIPEMENT DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

(Extrait du procès-verbal de la séance du 7 juin 2001)

Présidence de MM. Augustin Bonrepaux et Jean-Pierre Delalande

M. Augustin Bonrepaux, président. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Michel Zulberty, délégué général au programme pluriannuel d'équipement du ministère de la justice. Je tiens à le remercier, ainsi que les membres de la Cour des comptes venus nous assister.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Avant de commencer, je veux excuser M. Floch qui n'a pu assister à cette audition.

Monsieur Zulberty, pouvez-vous nous rappeler vos responsabilités et vos fonctions, puis nous indiquer quels sont les moyens matériels et humains dont vous disposez dans l'accomplissement de votre mission.

M. Michel Zulberty. Je suis ingénieur en chef des Ponts et chaussées et responsable de la délégation générale au programme pluriannuel d'équipement du ministère de la justice, où j'ai succédé le 11 mars dernier à René Eladari.

La délégation générale au programme pluriannuel d'équipement (DGPPE) est une structure de mission, mise en place par décret en 1991. Elle a vocation à prendre en charge les grandes opérations de construction du ministère de la justice. Elle ne traite donc pas l'ensemble du problème des investissements du ministère : elle n'a en charge que les grandes opérations, celles qui méritent d'être classées en catégorie I et qui sont directement maîtrisées par l'administration centrale.

Elle a succédé à la délégation pour la réalisation des établissements pénitentiaires (DREP) mise en place en 1987 et qui a permis de construire 13 000 places de prison en 4 ans. Elle a été transformée en 1991, le garde des sceaux de l'époque, Henri Nallet, ayant demandé à René Eladari de prendre en charge également les problèmes judiciaires apparus en 1987 suite à la mise à disposition de l'Etat des bâtiments judiciaires du 1er degré en application de la loi n°83-8 sur la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat.

En 1991 et 1992, nous avons bâti des schémas directeurs, véritables plans patrimoniaux en matière judiciaire. Ils ont permis de déboucher sur une programmation pluriannuelle confortée en 1995 par une loi de programme. Ensuite, la délégation a pris en charge la réalisation des grands équipements. Un nouveau volet pénitentiaire devait également être traité : le « programme 4 000 ».

Nous sommes aujourd'hui quinze ingénieurs, issus pour la plupart de l'équipement. Nous sommes organisés en équipes de projets de deux personnes, un cadre A+ et un cadre A assisté par une secrétaire. Nos moyens sont donc très restreints. Cela ne nous a pourtant pas empêché de gérer en quatorze ans près de 12,5 milliards de francs d'autorisation de programme.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous ne disposer que d'une seule secrétaire ?

M. Michel Zulberty. Les sept équipes de projets disposent chacune d'une secrétaire. Au total, on compte 8 catégories C. et 2 B. Cela dit, nous puisons également sur les ressources des autres directions, notamment : pour la programmation des opérations, nous utilisons les bureaux concernés des services judiciaires, et de la direction de l'administration pénitentiaire.

Pour notre gestion courante, nous relevons de la direction de l'administration générale : les personnels et les moyens de fonctionnement sont gérés par la direction de l'administration générale.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Où êtes-vous installés ?

M. Michel Zulberty. Au 251 rue Saint-Honoré. Mais devant l'ampleur du travail qui reste à accomplir, devant l'ampleur des tâches qui nous attendent dans le domaine pénitentiaire, le Premier ministre a décidé de mettre en place au sein de la chancellerie un établissement public à caractère administratif dont le statut est calqué sur celui qui dépend du ministère de la culture. (EPMOTC)

Notre délégation servira ainsi de structure de base à la constitution de cet établissement public. Nous en avons d'ores et déjà esquissé le plan de charge pour les dix ans à venir. Nous avons évalué les besoins à près de 20 milliards de francs. Ce montant couvre le judiciaire et le pénitentiaire. Quant au personnel, en calquant le schéma d'organisation sur celui de la délégation existante, nous estimons que soixante-dix à quatre-vingt personnes seront nécessaires à son fonctionnement. Il s'agit de mettre en place une structure économique de moyens, en renforçant les équipes de projets, car reconnaissons-le, aujourd'hui, nos ingénieurs sont surchargés de travail.

Le décret constitutif de l'établissement public a été examiné la semaine dernière par le Conseil d'Etat. Il devrait donc être très bientôt publié. Quatre mois après sa publication, la délégation devrait disparaître et être remplacée par l'établissement public.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Si je comprends bien, votre mission ne concerne que les grands projets.

M. Michel Zulberty. Tout à fait !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Comment s'opère la répartition entre les grands projets et les autres ? Qui décide ? Selon quelle procédure ?

M. Michel Zulberty. Il faut distinguer le volet pénitentiaire du volet judiciaire.

S'agissant du judiciaire, nous avons réalisé un plan de patrimoine au cours des années 1991 et 1992. Nous devons aujourd'hui l'actualiser et le faire vivre. Nous avons transféré la méthodologie de planification au bureau concerné de la direction de l'administration générale afin qu'il prenne désormais cette tâche en charge.

A partir de ce plan de patrimoine, nous avons fixé les besoins et les prévisions d'investissement. Nous avons réparti les opérations en trois groupes :

Celles qui pouvaient être traitées dans le schéma de production courante, celui de la déconcentration sous la responsabilité du Préfet.

Celles, de moyenne ampleur, les opérations individualisées, qui nécessitent un contrôle particulier de la chancellerie. Elles sont suivies par le bureau des opérations de la direction de l'administration générale.

La troisième catégorie d'opérations : les grandes opérations, directement prises en main par la délégation générale au programme pluriannuel d'équipement, qui sont gérées en catégorie I.

Cette répartition avait été négociée entre toutes les parties prenantes, à l'issue des schémas directeurs. Depuis, nous vivons sur ce principe de répartition pour le volet judiciaire.

Bien évidemment, de nouveaux besoins sont apparus, en particulier dans les départements d'outre-mer - Antilles et Guyane, et aussi en matière de sécurité. Pour ces nouveaux besoins, notre stratégie a été adaptée au cas par cas. Mais le principe de répartition a été également modulée en fonction des compétences de nos interlocuteurs déconcentrés. Lorsque nous avons travaillé avec des DDE structurées et solides, nous avons déconcentré les opérations, (sauf celles de très grande taille), lorsque les DDE apparaissaient beaucoup plus fragiles en terme de compétence pour les constructions publiques, nous avons pris directement en main les opérations.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Donc, votre démarche est empirique.

M. Michel Zulberty. Non, notre méthode est adaptée à la situation.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Je n'aurai pas la cruauté de vous demander la différence entre les deux notions ! (Sourires)

M. Michel Zulberty. Au départ, nous avions estimé qu'un seuil de cent millions de francs permettrait d'identifier les grandes opérations.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Qui prend les décisions ?

M. Michel Zulberty. Elles sont prises collectivement par les directeurs concernés : le directeur de l'administration générale, le directeur des services judiciaires et la délégation. Parfois, les préfets souhaitent faire appel à la délégation.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Comment sont répartis les grands domaines ? Certains projets ont un caractère judiciaire ; d'autres, un caractère pénitentiaire, d'autres sont relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse. Comment se fait la répartition des moyens dans ces différents secteurs ?

M. Michel Zulberty. S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, nous n'avons pas encore été amenés à intervenir. Nous y serons peut-être conduits, mais leurs opérations sont en général de petites tailles, très faciles à appréhender par le réseau de déconcentration classique.

En revanche, le problème pénitentiaire est complexe. Des bouleversements sont apparus avec la loi du 15 juin 2000. De ce fait, un programme d'ampleur a été esquissé. Reste à le finaliser, le conforter et le structurer. L'administration pénitentiaire a décidé de le confier de manière préférentielle à l'établissement public en cours de création, mais se garde la possibilité de faire appel, au cas par cas, aux services classiques déconcentrés. Parallèlement, je sais que l'administration pénitentiaire a pris des contacts avec des opérateurs extérieurs en attendant la montée en charge de l'établissement public.

Quoi qu'il en soit, la chancellerie a affiché un principe de base : que l'établissement public soit prioritairement en charge des opérations.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. L'administration pénitentiaire prend donc en charge elle-même ces projets, n'est-ce pas ?

M. Michel Zulberty. Nous avions imaginé que l'établissement public pourrait fonctionner de la même manière que la délégation générale, c'est-à-dire assumer une maîtrise d'ouvrage pleine et entière. Or la loi de 1985 relative à la maîtrise d' ouvrages publique nous oblige à passer sous le régime du mandat. L'administration pénitentiaire sera ainsi obligée de définir ses programmes techniques de manière suffisamment détaillée et de gérer les mandats. Nous serons donc mandataires. Elle pourra également mandater des opérateurs extérieurs, tel le groupe de la caisse des dépôts. En attendant la montée en puissance de l'établissement public, elle envisage en effet de lui confier quelques mandats.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Comment s'organise la relation avec les SAR dans les opérations déconcentrées ? Interviennent-ils ou sont-ils totalement exclus du processus ?

M. Michel Zulberty. Les SAR ont été mis en place pour structurer les cours d'appel et sur le plan patrimonial et pour leur donner les moyens de mettre en oeuvre une meilleure approche des problèmes de gestion, surtout de la gestion courante. Les SAR sont systématiquement associés à nos démarches. Au départ, les magistrats délégués à l'équipement - ils existent encore pour partie - étaient chargés de ce travail, pour ce qui a trait aux investissements.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. C'est-à-dire ?

M. Michel Zulberty. Ce corps est appelé à disparaître au profit des SAR. Avant la mise en place des SAR, un magistrat était désigné pour prendre en charge les problèmes immobiliers.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Ces magistrats n'avaient pas de compétences techniques particulières, n'est-ce pas ?

M. Michel Zulberty. En effet, ils étaient magistrats de formation et n'étaient pas à priori préparés à affronter les problèmes immobiliers, sauf en termes de programmation. Aujourd'hui, ils continuent à formuler les besoins des juridictions dont ils ont la charge et les SAR sont appelés à se substituer à eux dans le suivi des opérations.

Ensuite, nous maîtrisons complètement la phase d'étude et de réalisation, jusqu'à la livraison des bâtiments. Nous allons même au delà en organisant l'entretien et l'exploitation. Nous proposons en effet tous les marchés correspondants, ils sont conclus par les préfets, et le SAR en assure le suivi.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Les SAR disposent-ils d'ingénieurs ?

M. Michel Zulberty. Non.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Pas même les plus grands, comme celui de Paris ?

M. Michel Zulberty. Ils se font assister par les antennes régionales de la direction de l'administration générale, qui, elles, disposent d'ingénieurs. Il existe une dizaine d'antennes rattachées à la sous-direction de l'action immobilière et de la logistique. Ces antennes sont en général dotées de trois ou quatre ingénieurs qui assistent les juridictions et bien sûr les services administratifs régionaux. Ils ont vocation à être des supports techniques. Les SAR peuvent ainsi disposer à la fois des DDE et des antennes pour l'accomplissement de leurs tâches.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Tout cela ne donne-t-il pas le sentiment que les opérations d'équipement sont très fragmentées dans l'organisation administrative ?

M. Michel Zulberty. Je vous ai décrit un schéma de fonctionnement. Je me garderai de porter des jugements.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Le dispositif fonctionne-t-il de manière satisfaisante ?

M. Michel Zulberty. Oui.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Autre question : Quelle est la durée moyenne entre la conception et la réalisation d'un projet ?

M. Michel Zulberty. Cet un point fondamental. Je passe mon temps à expliquer comment se déroule une opération immobilière. Il s'agit d'un processus lourd, qu'il est toujours dangereux d'interrompre, même si les choses ne sont pas encore « visibles ».

La première phase, celle des études préalables est plus complexe qu'on ne le pense. Elle débute par la définition du programme. Ainsi, pour une construction pénitentiaire, le programme dépendra de diagnostics menés sur le patrimoine existant : faut-il construire une maison d'arrêt ? Faut-il construire un quartier de centre de détention ? De quelle dimension ? Doivent-ils recevoir des jeunes, des femmes, des hommes ? Cet aspect du programme relève de la responsabilité de l'administration pénitentiaire, nous l'assistons dans son élaboration et pour la mise au point du programme technique détaillé. Il faut ensuite trouver les sites d'accueil, ce qui passe souvent par de difficiles négociations avec nos partenaires locaux - élus et administratifs.

Ces propos valent également pour les bâtiments judiciaires : les problèmes de programmation sont sous-tendus par les enjeux liés à la carte judiciaire ou à la carte pénitentiaire. On ne peut pas déconnecter le volet immobilier de la décision de réaliser le programme..

Cela explique pourquoi la période de préparation est longue et nécessite de nombreuses études préalables.

M. Augustin Bonrepaux, président. Ce travail, vous le faîtes sur le terrain ou à Paris ?

M. Michel Zulberty. Pour vous éclairer, je me propose de vous préciser la démarche que nous adoptons habituellement. La recherche foncière nous impose d'aller sur le terrain. Lorsque la décision de faire une opération est prise, il faut savoir où la faire. On ne peut rien engager si l'on ne connaît pas à l'avance le lieu où l'opération se concrétisera. Un programme s'inscrit toujours dans un contexte.

La recherche foncière se réalise, sous la responsabilité du Préfet. Nous lui demandons de procéder à des repérages En général, les DDE procèdent à un repérage technique. Ensuite nous présélectionnons les sites qui nous paraissent les mieux adaptés puis nous rencontrons tous les partenaires locaux : élus, administrations, etc, (nous demandons au Préfet d'organiser les réunions nécessaires), pour leur présenter les objectifs du programme avant d'effectuer le choix définitif du site au vu des études techniques de faisabilité.

Des modifications peuvent être apportées, et nous sommes quelquefois amenés à réfléchir à nouveau à notre programmation, comme cela se passe actuellement pour la prison de Lyon.

M. Augustin Bonrepaux, président. La même démarche est-elle mise en _uvre pour les tribunaux ?

M. Michel Zulberty. Oui, et l'on va même assez loin. Si je prends l'exemple d'Avesnes-sur-Helpe, de Bourgoin-Jallieu ou de Thonon-les-Bains, nous réalisons même des études d'urbanisme pour le compte des collectivités locales. Ainsi, à Avesnes, nous avons constaté que le site proposé par la commune ne pouvait pas convenir. Après une étude menée sur le plateau Chemerault d'Avesnes, nous avons proposé un schéma de référence au sein duquel l'emplacement et la forme du terrain réservé au bâtiment du palais de Justice amorcera la recomposition urbaine du quartier.

Donc non seulement, nous négocions avec les élus, mais nous réalisons des études pour leur compte afin de motiver le choix des sites. Il en a été de même pour Bourgoin-Jallieu Notamment dans le cas de Pontoise, le choix du site a été largement débattu avec la collectivité. Et nous avons décidé de rester au c_ur de Pontoise, à l'issue d'une études approfondie conduite en concertation et avec l'aide du maire de l'époque et du président du Conseil général.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Entre la phase de préparation et le début des travaux, estimez-vous que dix ans est un temps normal ?

M. Michel Zulberty. Non. En effet, Si l'on résume le déroulement d'une opération, on peut estimer la durée moyenne des études préalables à deux ans. Ensuite, il y a les études, dont la durée est également de deux ans.

Puis il faut compter de 8 mois à un an pour la consultation et la mise au point des marchés de travaux et enfin 2 ans pour la réalisation des travaux.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Quelle est la durée moyenne toute phase confondue.

M. Michel Zulberty. Six à sept ans.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. A Paris, avez-vous d'ores et déjà choisi le terrain ?

M. Michel Zulberty. Les études préalables sont parfois plus difficiles à conduire à certains endroits qu'à d'autres. Choisir un terrain à Paris pour réaliser une opération de 100 000 mètres carrés, ce n'est pas aussi anodin que de faire un tribunal à Avesnes-sur-Helpe.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Depuis combien de temps recherche-t-on un terrain à Paris ?

M. Michel Zulberty. Nous avons réalisé le schéma directeur du palais de justice de Paris en 1996. Ce schéma a été présenté et négocié en 1997. Un schéma directeur, je le rappelle, est un diagnostic de l'existant. sur l'aspect à la fois technique et fonctionnel C'est une mise en perspective des besoins à un horizon assez lointain car les travaux ne vont pas être engages tout de suite. Nous avions ainsi fixé pour le schéma directeur de Paris un horizon à 2010. Ensuite, c'est la mise au point de différents scénarios afin de déterminer comment satisfaire les besoins en partant de l'existant.

S'agissant de Paris, plusieurs hypothèses avaient été avancées, y compris fractionner les juridictions. Le scénario consistant à implanter un tribunal de grande instance sur un autre site a été retenu. Ce choix a été négocié avec tous les partenaires : chefs de juridictions, assemblées générales des juridictions, barreau, etc. Fin 1997, la cour d'appel s'est prononcée sur le scénario qui consistait à reconstruire le TGI dans Paris. La décision du garde des sceaux est intervenue en 1998. Depuis, nous avons travaillé à la recherche foncière. Nous avons approché la préfecture de région, la direction régionale de l'équipement, la ville de Paris, l'assistance publique hôpitaux de Paris, la SNCF, RFF, la FTRP etc.. Nous avons inventorié toutes les hypothèses possibles. Nous avons même examiné des terrains appartenant à l'armée, près de la place Ballard, vous imaginez bien que ce travail n'est pas facile et prend du temps.

Nous avons finalement retenu trois sites que nous avons d'ores et déjà expertisés. D'abord, la prison de la santé. Le terrain a été mis à notre disposition par le département de la Seine au milieu du XIXème siècle, sous réserve que l'on y fasse une activité pénitentiaire. Si l'on retient ce site, nous serons amenés à négocier avec le département de la Seine. Ensuite, nous avons examiné le site de l'hôpital Saint Vincent de Paul. Et enfin, on nous a proposé des emprises dans la ZAC Seine-rive gauche. Ces emprises se sont révélées trop exiguës et doivent être renégociées. De plus, il nous faut aujourd'hui prendre en considération de nouvelles contraintes, comme celles imposées par la conservation de la halle SERNAM qui est un élément caractéristique de l'architecture moderne. Peut-on l'utiliser pour y implanter partiellement le TGI ? Je ne peux répondre à cette question sans études approfondies.

Il faut donc engager un nouveau volet d'études. Il n'est donc pas possible de trancher sur une localisation foncière à ce jour. Nous sommes toujours dans une phase préparatoire, et beaucoup de travail reste à faire.

Tout cela pour vous dire que la phase préalable peut durer, surtout lorsque nous sommes confrontés à un cas aussi difficile que celui du TGI de Paris.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Vous trouvez que le cas de Pontoise était facile ?

M. Michel Zulberty. Non, le cas de Pontoise n'était guère plus facile que celui de Paris.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Comment passe-t-on de sept ans à dix ans ?

M. Michel Zulberty. Il faut bien faire la part des choses. Lorsque j'ai rappelé qu'il fallait compter six ou sept ans de délai, je ne prétendais pas que les travaux commençaient au début des études. Les travaux commencent après cinq ans d'études. On ne commence à consommer les crédits d'une manière significative que lorsque l'on engage les travaux.

A Pontoise, nous avons de plus été bloqués par plusieurs facteurs. D'abord, un appel d'offres infructueux qui nous conduit à reprendre notre projet. La concurrence n'a sans doute pas assez joué, et la reprise économique a eu pour conséquence une forte inflation dans le BTP. En fait le projet est terminé depuis presque deux ans, mais les aléas techniques de l'appel d'offres nous ont retardés. Par ailleurs, Pontoise est une opération « tiroir » qui, par définition, doit durer plus longtemps que six ans. Six à sept ans est une durée raisonnable pour un projet qui se déroule de façon linéaire et lorsque l'on construit du neuf.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Six ans est donc une durée minimum.

M. Michel Zulberty. En effet !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Ce n'est donc pas une durée moyenne.

M. Michel Zulberty. La durée moyenne se situe plutôt autour de sept ou huit ans. Reste que certaines opérations sont toujours plus difficiles que d'autres. A Toulouse comme à Pontoise, nous sommes confrontés à des opérations « tiroirs » : nous sommes obligés de démolir un tribunal de commerce pour débuter une première phase de travaux, reloger provisoirement les juridictions, etc.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. A Paris, entre la prise de décision de construire un nouveau tribunal, et le moment où le garde des sceaux viendra couper le ruban, combien de temps faut-il compter ?

M. Michel Zulberty. Je peux difficilement répondre à cette question. D'abord, le choix du site est fondamental dans cette affaire. Si l'on décide de construire un bâtiment au-dessus de voies ferrées, ce n'est pas le même chose que de le bâtir sur un terrain plat. Les exigences ne sont pas les mêmes. Nous devons tenir compte des contraintes extérieures.

Si le problème foncier est fondamental à Paris, la définition du programme lui-même l'est tout autant. Le palais de justice du troisième millénaire reste encore à inventer, et pour ma part, je n'en ai pas encore une vision très claire.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Quand a été prise la décision de construire un nouveau tribunal ?

M. Michel Zulberty. En 1998.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous nous aviez parlé de 1996.

M. Michel Zulberty. En 1996, nous avons réalisé le schéma directeur.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Le schéma directeur est-il lui-même précédé par la prise de décision de lancer un programme ?

M. Michel Zulberty. Non, le schéma directeur est le constat que les choses ne vont pas, et l'esquisse des principes d'action pour solutionner les problèmes.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Un schéma directeur, n'est-ce que cela ?

M. Michel Zulberty. Un schéma directeur nous permet de savoir pourquoi une structure n'est plus adaptée et de chiffrer les choses. Il permet de mesurer l'ampleur du problème. Pour Paris, le schéma directeur nous a permis de comprendre qu'il manquait 100 000 mètres carrés hors _uvre au programme global des juridictions concernées. Encore une fois, nous n'avons pris conscience de cette réalité que lorsque le schéma directeur a été dressé, c'est-à-dire lorsque les besoins ont été quantifiés.

Ensuite, il fallait choisir entre les scénarios que j'ai rappelés. C'est à la fin 1997 que les juridictions, en particulier la cour d'appel, ont retenu un scénario. Ce n'est que début 1998 que la garde des sceaux a pu prendre une décision.

Depuis, nous recherchons un terrain à Paris. Ce n'est pas facile, de même qu'il est difficile de définir un programme pour Paris.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Comment expliquez-vous que vous ayez des difficultés à utiliser des crédits votés par le Parlement en matière d'équipement ?

M. Michel Zulberty. Je vous ai brossé un tableau qui fait apparaître que les opérations de construction sont pluriannuelles. Une très longue durée de préparation est nécessaire avant la consommation des crédits. On ne consomme qu'à partir du moment où l'on engage les travaux, c'est-à-dire dans les deux dernières années. Toute la période antérieure est consacrée à la définition, à la prise de décision et aux études. Tout cela ne consomme pas beaucoup de crédits. Une phase d'étude, au pire, s'élève à 10 ou 15 % du coût total.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Donc, nous votons les crédits trop tôt !

M. Michel Zulberty. Absolument pas ! Car si l'on ne dispose pas de crédits pour engager les opérations, commencer à les étudier, avoir des perspectives, on ne peut rien faire. Voter des crédits d'études mais ne pas voter des crédits pour les travaux n'aurait guère de sens.

(M. Jégou remplace MM. Bonrepaux au fauteuil de la présidence)

M. Jean-Jacques Jégou. M. le rapporteur spécial souligne que nous votons les crédits trop tôt. Vous répondez par la négative, au motif que vous ne pourriez pas travailler sans la totalité des crédits. Pourriez-vous apporter des explications à la mission d'évaluation et de contrôle ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous êtes libre de vos déclarations, monsieur Zulberty.

M. Jean-Jacques Jégou. Nous sommes ici dans le temple de la démocratie.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Un exemple : les crédits d'équipement pénitentiaires, non consommés au budget précédent s'élevaient à 800 millions. En début d'année, au moment de la discussion budgétaire, le Premier ministre à la suite de l'émotion provoquée par l'état de nos prisons, annonce qu'il apporte 1 milliard supplémentaire aux crédits d'équipement pénitentiaire. Ces 800 millions non consommés et ce milliard supplémentaire annoncé par le Premier ministre serviront-ils à quelque chose ?

M. Michel Zulberty. Je l'espère bien !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Seront-ils utilisés cette année ?

M. Michel Zulberty. Ces sommes nous permettent de fiabiliser les opérations et de nous mobiliser efficacement.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Le milliard supplémentaire du Premier ministre, voté par amendement, sera-t-il utilisé cette année ?

M. Michel Zulberty. Je ne peux affirmer qu'il sera affecté cette année, cela va de soi. Je vous ai fait la démonstration que pendant une période d'environ quatre ans, les crédits ne portent que sur des études.

M. Jean-Jacques Jégou. Nous ne cherchons pas à vous mettre en difficulté, mais nous voulons savoir si, lors du vote de la loi de finances, il n'y a pas d'effets d'affichage qui ne correspondent pas à la réalité.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Les crédits ne sont pas consommés.

M. Jean-Jacques Jégou. Il n'y a plus de cohérence budgétaire. Les 800 millions et le milliard de crédits pourraient servir à autre chose. Nous sommes dans une période de déficit budgétaire très important, ne l'oublions pas.

M. Michel Zulberty. Il m'apparaît pour ma part tout à fait pertinent que ces sommes soient affectées aux prisons qui constituent une réelle priorité.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Certes, mais ces sommes ne sont pas utilisées puisque vous ne les consommez pas.

M. Michel Zulberty. Elles le seront.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Mais alors, pourquoi ne pas voter les crédits lorsqu'ils seront bel et bien utilisés ?

M. Michel Zulberty. Pour ma part, je pense qu'il est indispensable de fiabiliser les opérations.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Pour les fiabiliser, il vous paraît indispensable de geler plusieurs années auparavant des sommes aussi considérables qui affectent le déficit budgétaire de l'Etat.

M. Michel Zulberty. Vous êtes plus averti que moi de la technique budgétaire.

M. Jean-Jacques Jégou. Pourquoi ce milliard vous rassure-t-il ? Parce qu'il fiabilise les opérations ? Vous savez pourtant que la somme ne sera pas consommée. Pourquoi ne demandez-vous pas les sommes nécessaires à votre hiérarchie une fois les projets mis au point ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Avez-vous été demandeur de ce milliard ?

M. Michel Zulberty. Ma direction non

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous n'avez donc pas été demandeur du milliard supplémentaire qui ne sera pas consommé cette année...

M. Michel Zulberty. En 1995, le ministère de la justice avait considéré qu'un programme d'ampleur devait être mis en chantier. Une loi de programmation annuelle avait été votée. Pourquoi ne pas retenir ce dispositif aujourd'hui ? Il ne m'appartient pas d'en juger.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Il s'agit de crédits annuels, ce ne sont pas des engagements. Cependant, j'ai le sentiment que l'administration n'est pas nécessairement responsable. Tous les gouvernement, qu'ils soient de gauche ou de droite, aiment faire de l'affichage. Ils inscrivent des crédits de paiement qui ne seront de toute évidence pas consommés. Mais ils oublient que cela affectera l'équilibre budgétaire.

M. Laurent Dominati. Ne serait-il pas temps, au regard du patrimoine pénitentiaire et de la justice, de mettre au point une loi de programmation pluriannuelle ?

Par ailleurs, je n'ai pas très bien compris l'intérêt de créer l'établissement public qui remplacerait votre délégation générale. Pourriez-vous m'éclairer ?

M. Michel Zulberty. Premier intérêt évident : disposer d'une autonomie de gestion et isoler un pôle de compétences. Pour répondre à un problème particulier, on met en place un outil adapté - un établissement public - aux possibilités de fonctionnement accrues.

Pour l'instant notre délégation est tributaire des moyens qui nous sont octroyés par les autres directions. A l'avenir nous disposerons d'une autonomie de gestion.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous parlez de parcellisation des tâches.

M. Michel Zulberty. Il me paraît plus efficace de regrouper tous les moyens d'action au sein d'une même entité

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Disposer d'un outil plus performant ne va-t-il pas vous conduire à recentraliser les opérations déconcentrées ? Car votre outil, il faudra le faire vivre.

M. Michel Zulberty. Vous avez évoqué le problème de la consommation des crédits. Lorsqu'on examine les opérations centralisées et les opérations déconcentrées, on s'aperçoit que c'est surtout dans les réseaux déconcentrés que l'on a du mal à consommer.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Disposez-vous d'éléments chiffrés ?

M. Michel Zulberty. Pas ici, mais une telle structuration est logique. La procédure est beaucoup plus lourde et incertaine dans un cas que dans l'autre.

M. Laurent Dominati. Quels sont les autres ministères qui disposent d'un établissement public analogue au vôtre.

M. Michel Zulberty. L'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels - l'EPMOTC - qui dépend du ministère de la culture. Ce ministère s'est distingué en créant un établissement public pour chaque problème qu'il avait à traiter. Je pense notamment au Grand Louvre. Je vous rappelle également qu'il a créé un service national des travaux. Il a donc éprouvé le besoin de regrouper ses moyens au sein d'un pôle de compétence.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Ne peut-on pas imaginer qu'un tel instrument soit interministériel ?

M. Michel Zulberty. On peut toujours concentrer, mais on s'aperçoit vite que la concentration nuit à l'efficacité. Pour ma part, je crois que l'on a intérêt à disposer de plusieurs outils compte tenu de l'importance des problèmes à traiter.

M. Jean-Jacques Jégou. Comment allez-vous recruter le personnel de l'établissement public ? Allez-vous procéder par redéploiements ? Le rapporteur spécial va-t-il voir apparaître une proposition de cinquante emplois nouveaux ?

M. Michel Zulberty. Oui ! Il s'agit d'un programme nouveau ; donc, des emplois et des moyens nouveaux doivent y être attachés.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. On en peut pas se plaindre des retards dans l'équipement - ce qui est le cas, en matière pénitentiaire et judiciaire - et ne pas souhaiter prendre les dispositions nécessaires. La question est celle de l'efficacité. Moi, j'ai le sentiment que l'administration de construction est assez parcellisée, insuffisante et petite. L'idée d'une montée en puissance ne me choque pas. Elle me paraît même raisonnable.

Le fait que vous soyez fonctionnaire de l'équipement pose-t-il des problèmes du point de vue administratif ?

M. Michel Zulberty. Actuellement, je suis mis à disposition par mon ministère d'origine pour une durée indéterminée.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Le statut des personnels de l'équipement en disponibilité auprès de la chancellerie ne constitue-t-il pas une difficulté ?

M. Michel Zulberty. Pour la chancellerie, cela a été vécu comme un apport de spécialistes. Sur le plan pratique, il n'y a pas de problèmes pour le moment.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Comment sont choisis l'ensemble des ingénieurs ? Par la Chancellerie ou par l'Equipement ?

M. Michel Zulberty. Par le délégué général. C'est l'équipement qui met à disposition et qui rédige l'arrêté d'affectation.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. La Chancellerie « fait son marché » à l'Equipement ?

M. Michel Zulberty. Oui.

Mme Nicole Bricq. Vous n'êtes responsable que des programmations des nouveaux établissements ? Avez-vous également la responsabilité des travaux de rénovation ?

M. Michel Zulberty. Nous rénovons actuellement le palais de justice de Toulouse, de Besançon et de Rouen. Nous sommes donc engagés dans de nombreux programmes de rénovation.

Les opérations neuves sont souvent plus rapides à monter. Les opérations de réhabilitation ou de restructuration sont bien plus longues.

Mme Nicole Bricq. J'ai participé à la commission d'enquête sur les prisons et formulé plusieurs propositions. La construction de nouveaux établissement me pose des problèmes, car souvent, les petits établissements anciens sont plus adaptés à la mission de réinsertion des prisons que les gros établissements qui, du fait de la mobilité des peines, se révèlent inadaptés à la population carcérale.

Pour cette raison, je m'interroge sur le programme de construction des établissements. On construit à peu près trois établissements pénitentiaires par an, au coût de 300 millions pour chaque établissement. C'est long, et entre temps, quoi qu'en dise en séance de questions d'actualité certains députés, les peines s'allongent.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. La durée moyenne de la peine s'allonge.

Mme Nicole Bricq. Souvent, les solutions retenues pour les bâtiments se révèlent inadaptées.

M. Michel Zulberty. On rencontre deux problèmes dans le domaine pénitentiaire. D'abord, un problème de carte. Ensuite, un problème de définition. Que veut-on faire des détenus ? Que doit-on réaliser ? Quel programme retenir ? On s'interroge sur cette question depuis la fin du XVIIIè siècle.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vos schémas de construction des nouveaux projets comprennent-ils une relation avec la mission de la réforme de la  carte judiciaire ?

M. Michel Zulberty. Bien sûr !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous ne construirez donc pas un nouveau tribunal à un endroit que la mission de la réforme de la carte judiciaire a considéré peu opportun, un tribunal qui serait appelé un jour ou l'autre à être fermé. Cela n'arrive pas, n'est-ce pas ?

M. Michel Zulberty. Pas pour les grandes opérations, elles sont par ailleurs incontournables et incontestables. Peut-on imaginer des villes comme Toulouse ou à Grenoble sans cours d'appel ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. On peut se poser la question à Chambéry.

M. Michel Zulberty. Chambéry n'a pas été retenu. Par contre nous allons intervenir pour Thonon-les-Bains.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Votre mission a-t-elle été consultée pour Thonon-les-Bains?

M. Michel Zulberty. Bien sûr ! A ce propos, j'ai oublié d'indiquer que notre programme a été interrompu par les réflexions de la mission sur la carte judiciaire ce qui nous a obligé à interrompre nos travaux sur un certain nombre de palais de justice. Ces mouvements de va-et-vient ne sont pas sans dommage sur le bon déroulement des opérations.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Il est donc tenu compte des réflexions de la mission de la réforme de la carte judiciaire  pour l'établissement de la programmation.

M. Michel Zulberty. Oui, je vous laisse un exemple de tableaux de bord. Vous constaterez que nous avons des étapes clés pour la réalisation des opérations, étapes au cours desquelles tous les problèmes sont positionnés. Puis vient la validation du cabinet du garde des sceaux. Des opérations ont ainsi été ralenties, voire arrêtées, comme à Avesnes-sur-Helpe.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Il était scandaleux de construire un tribunal à Avesnes-sur-Helpe.

M. Michel Zulberty. Non, et nous allons d'ailleurs en construire un.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. C'est honteux !

M. Michel Zulberty. Pourquoi ?

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Parce que ce tribunal n'a aucun avenir.

M. Michel Zulberty. Le canton compte 250 000 habitants.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Vous avez l'air d'ignorer la densité de tribunaux dans cette région !

M. Michel Zulberty. La région Nord compte sept tribunaux de grande instance, certes, mais les 250 000 habitants du canton d'Avesnes justifient la construction d'un TGI.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Votre théorie de la justice de proximité est une folie !

M. Michel Zulberty. Cela dit, je ne suis pas responsable de la carte judiciaire. Vous aurez l'occasion d'en discuter avec Flavien Errera.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Est-il tenu compte des réflexions de la mission pour la réforme de la carte judiciaire dans les opérations déconcentrées ?

M. Michel Zulberty. Bien sûr ! C'est même plus important dans les opérations qui sont plus petites que les nôtres.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial. Que peut-on faire pour que les choses aillent plus vite ?

M. Michel Zulberty. L'établissement public ! (Sourires)

M. Jean-Jacques Jégou. Y a-t-il d'autres observations ?

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

(La séance est levée à 12 heures 30)

2.-  AUDITION DE M. ANDRÉ GARIAZZO, DIRECTEUR DES SERVICES JUDICIAIRES ; M. JEAN-PAUL COLOMP, DIRECTEUR DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES ; M. FLAVIEN ERRERA, CHEF DE LA MISSION POUR LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE

a) Audition de M. André GARIAZZO, directeur des Services judiciaires.

Présidence de MM. Augustin BONREPAUX et Jean-Pierre DELALANDE

M. Augustin Bonrepaux, Président. Mes chers collègues, nous accueillons M. André Gariazzo, directeur des Services judiciaires. Je tiens à le remercier, ainsi que les membres de la Cour des comptes venus nous assister.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Monsieur Gariazzo, pouvez-vous nous rappeler vos responsabilités et vos fonctions, puis nous indiquer quels sont les moyens matériels et humains dont vous disposez dans l'accomplissement de votre mission. Quel est précisément le champ de vos compétences ?

M. André Gariazzo. Le directeur des services judiciaires est un des directeurs d'administration centrale du ministère de la justice. En sa qualité de directeur des services judiciaires, il a des missions multiples qui ont la particularité d'être à l'interface de missions bien spécifiques. Il a en charge l'organisation judiciaire du pays ainsi que la gestion des emplois de magistrats et de fonctionnaires. Il est à l'interface : il est à la fois un expert juridique et technique à disposition du Garde des sceaux, mais est aussi chargé de la gestion directe de l'ensemble des juridictions - bâtiments judiciaires, emplois, ressources humaines et matérielles.

La tâche est donc immense. Trois sous-directions m'épaulent dans mon travail : la sous-direction de l'organisation judiciaire ; la sous-direction de la magistrature et la sous-direction des greffes. La mission de modernisation est également rattachée à ma direction.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il s'agit de la mission de la réforme de la carte judiciaire ?

M. André Gariazzo. Non. J'ai également directement sous ma coupe l'école nationale des greffes. Au nom du Garde des sceaux, j'ai la tutelle de l'École nationale de la magistrature.

Telle est l'organisation de ma direction.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Votre direction comprend combien de personnes ?

M. André Gariazzo. Vingt-trois magistrats et près de 250 fonctionnaires, toutes catégories confondues. Il faut également savoir que la direction des services judiciaires gère directement au sein du ministère près de 25 000 fonctionnaires.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La semaine dernière, M. Michel Zulberty nous a décrit le schéma des constructions. Quelle est votre relation avec son service ?

M. André Gariazzo. Nous sommes en relation très étroite. Il nous incombe de donner aux juridictions les moyens de fonctionner. C'est donc dans ma direction qu'existent les études concernant les bâtiments et le patrimoine judiciaire.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comment intervenez-vous sur la programmation ?

M. André Gariazzo. Nous assurons le suivi de l'immobilier. Lorsqu'il est décidé de créer un bâtiment, nous fournissons les études relatives aux besoins, par exemple, à l'horizon 2010, une projection des besoins de telle juridiction en personnels et en surface.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. M. Zulberty nous a pourtant dit que c'était son service qui en était chargé.

M. André Gariazzo. M. Zulberty est maître d'_uvre.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Nous essayons de comprendre l'articulation entre vos deux services. Par exemple, à Paris, qui a déterminé les besoins ? Qui a procédé à l'étude des besoins qui ont déterminé la construction d'un nouveau tribunal ? Comment êtes-vous intervenu ? Qui est leader ?

M. André Gariazzo. Tout dépend des moments. Le dispositif est assez transversal.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Qui a été leader pour Paris ?

M. André Gariazzo. Je ne sais pas. Je peux simplement vous dire que nous sommes en mesure de fournir les besoins en effectifs et en surface d'une juridiction à un horizon donné.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Il n'existe pas un organigramme général précisant les missions et les fonctions de chacun ?

M. André Gariazzo. Nous avons un rôle de programmation. Nous avons une sous-direction de l'organisation judiciaire. M. Zulberty intervient au moment où l'on a décidé de construire un nouveau palais, de restructurer une cour d'appel. La direction générale au programme pluriannuel d'équipement devient alors le maître d'_uvre.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Qui décide de construire un palais de justice ?

M. André Gariazzo. Nous faisons des propositions, puis le cabinet du Garde des sceaux décide. Nous avons dans nos cartons des propositions sur plusieurs juridictions. La décision finale est évidemment politique.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La programmation est-elle arrêtée politiquement ?

M. André Gariazzo. Bien évidemment, mais à partir de nos propositions.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Qui procède à l'inventaire des besoins ?

M. André Gariazzo. La sous-direction de l'organisation judiciaire, en liaison avec la sous-direction de la magistrature et des greffes, dresse l'inventaire des besoins tant matériels qu'humains. Nous allons sur le terrain, et les chefs de cours nous font régulièrement remonter leurs besoins.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Les besoins sont considérables. Comment les hiérarchisez-vous ? Qui les hiérarchise ?

M. André Gariazzo. Nous faisons des propositions.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Mais il arrive que le ministre les change... Nous savons comment le système fonctionne.

M. André Gariazzo. Encore une fois, la décision finale est politique.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Est-ce qu'il arrive qu'un ministre change l'ordre de vos propositions ?

M. André Gariazzo. Oui. Les propositions sont toutes prioritaires. Il faut bien faire des choix. Ceux-ci appartiennent au Garde des sceaux.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. M. Zulberty nous a annoncé un projet d'établissement public de construction. Comment se fera l'articulation avec vos services ?

M. André Gariazzo. Il s'agit d'un projet. A mes yeux, il n'y aura pas de changement. Seul le statut juridique et son mode de fonctionnement seront modifiés. Par ailleurs, le personnel sera propre à l'établissement public.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Vous avez une direction extrêmement importante sous vos ordres. Vous avez cité trois sous-directions, et vous êtes pratiquement le directeur des ressources humaines du ministère de la justice. Vos sous-directeurs sont-ils tous issus de la magistrature du corps judiciaire ?

M. André Gariazzo. Non.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Le mélange entre magistrats et fonctionnaires est-il harmonieux ?

M. André Gariazzo. Oui. Le sous-directeur de la magistrature est un magistrat, comme celui des greffes. Le sous-directeur de l'organisation judiciaire est désormais un administrateur civil. Il s'agit de M. Flavien Errera que vous allez bientôt auditionner. Enfin, un administrateur civil est à la tête de la mission modernisation. Je trouve que ce mélange est une bonne chose.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Trois gros problèmes remontent au Parlement lorsque l'on prépare les décisions budgétaires. Les effectifs, d'abord. Chaque année se pose le problème du manque de magistrats et de personnel. Qui décide qu'il faut des magistrats et du personnel supplémentaire ? Ensuite, les locaux. Qui décide des mètres carrés supplémentaires ? Qui décide qu'il y a trop de mètres carrés ? Enfin, qui assure et distribue les crédits qui vous sont affectés ?

M. André Gariazzo. Tous les éléments que vous avez évoqués dépendent de ma direction. Je suis à la fois l'expert juridique et l'expert technique qui analyse les besoins des juridictions et qui fait les propositions au Garde des sceaux.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous faites également les propositions de répartition ?

M. André Gariazzo. Absolument. Nous avons mis en place plusieurs outils qui nous permettent de connaître l'état d'une juridiction. Nous devons nous assurer de la réalité des besoins des juridictions. Notre outil statistique nous permet de procéder à des vérifications, et nous disposons également de nos propres ratios. Nous suivons de très près l'état de la population, les saisines des juridictions au pénal et au civil. Nos analyses nous permettent de disposer d'un plan de charge de création d'emplois. La ressource humaine aussi bien de fonctionnaires que de magistrats est suivi au jour le jour.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Vos analyses font-elles l'objet d'un rapport annuel ?

M. André Gariazzo. Chaque année, nous localisons les emplois. Cela fait l'objet d'une circulaire de localisation des emplois.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La Cour des comptes a relevé que les crédits de paiement étaient très mal consommés. Ils ont été consommés à hauteur de 79,5 % en 1997, de 65,2 en 1998 et de 48,8 % en 1999. Donc, les crédits de paiement de la justice, tout secteur confondu, baissent. Sur le plan pénitentiaire, je vous rappelle que 800 millions n'ont pas été consommés l'année dernière. Et le Premier ministre a rajouté 1 milliard. Nous cherchons à comprendre, et nous avons le sentiment d'une absence de clarté, d'une prise de décision éclatée. Tout cela n'est-il pas la cause principale d'un manque de coordination qui conduit à une forte non-consommation des crédits de paiement, dans le secteur pénitentiaire, mais aussi dans le secteur des constructions. Le milliard supplémentaire ajouté par voie d'amendement pour l'équipement pénitentiaire ne sera pas consommé cette année. Il augmentera l'impasse budgétaire mais ne fera pas construire un mètre carré supplémentaire.

M. André Gariazzo. Je ne peux qu'abonder dans votre sens, mais je me garderai bien de répondre sur le terrain pénitentiaire qui ne fait pas partie de mes attributions. Nous rencontrons les difficultés que vous avez évoquées, c'est vrai.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comment expliquez-vous cette situation ?

M. André Gariazzo. Nous savons qu'il existe des décalages. En interne, nous procédons à des arbitrages. Je ne suis pas responsable du secteur pénitentiaire mais chez nous, le décalage ne provient pas de notre fonctionnement, ni du paiement des personnels, d'informatique ou de fonctionnement courant. Le décalage s'observe essentiellement en matière d'investissement et d'équipement. Des raisons multiples expliquent les décalages. Certaines opérations prennent du retard, et très souvent, les difficultés que l'on rencontre sont liées aux marchés publics, à des marchés infructueux, des concours d'architecte qu'il faut recommencer, etc. Les règles du marché public sont à mes yeux la source essentielle des retards de programmations. Ce n'est pas la seule.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il est apparu que les travaux de la mission de la carte judiciaire étaient assez modernes et représentaient plutôt un progrès pour une vision de l'avenir du ministère de la justice. S'agissant de l'emploi des moyens, nous avions le sentiment que les travaux de cette mission allaient plus loin que le rapport de Jean-François Carrez. Or nous constatons, comme la Cour des comptes, qu'il n'y a eu aucune suite aux travaux de cette mission. Certes, trente-six tribunaux de commerce ont été supprimés, mais ils ne concernent pas la carte judiciaire.

M. André Gariazzo. Si !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Aucun tribunal de grande instance n'a été supprimé depuis longtemps. On nous annonçait une deuxième vague pour les tribunaux de commerce, mais je constate qu'elle n'a toujours pas eu lieu.

M. André Gariazzo. Elle devrait avoir lieu.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Les travaux de la mission de la carte judiciaire avaient pour objet un meilleur emploi des moyens. La Cour des comptes relève d'ailleurs que les petites juridictions sont souvent inefficaces et très coûteuses, notamment dans le domaine des conseils de prud'hommes. Pourquoi ces travaux n'ont-ils pas eu de suite ?

M. André Gariazzo. Vous me permettrez de nuancer vos propos. Je relève, comme vous, que ce travail a été intéressant, tant dans la manière dont il a été conduit que par les moyens que le ministère de la justice s'est donné pour conduire ses travaux : de nombreuses auditions, du travail sur le terrain, des enquêtes auprès des utilisateurs, des partenaires de la justice et des élus concernés. Ce travail a abouti à la suppression de trente-six tribunaux de commerce qui sont bel et bien des juridictions. Pour votre information, nous avons la charge de leur moyen matériel et logistique. J'ajoute que le travail de la mission de la carte judiciaire a fait état de la suppression possible d'une dizaine de tribunaux de commerce.

La mission de la carte judiciaire n'existe plus en tant que telle. Cela ne veut pas dire que la réflexion qu'elle a menée sur l'organisation judiciaire ne demeure pas de notre responsabilité. S'il y a bien un domaine qui relève d'une décision politique, c'est bien celui-là. Cela n'empêche pas ma direction, organe technique, de continuer à réfléchir, à travailler et à faire des propositions.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous le sentiment d'une rivalité entre la mission de la carte judiciaire et votre propre direction ?

M. André Gariazzo. Pas du tout.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Considérez-vous que l'évolution de l'organisation judiciaire va vers davantage de spécialisation, comme les pôles économiques semblent l'annoncer ?

M. André Gariazzo. Non. Bien identifier les choses, avec des moyens spécifiques était peut-être un affichage politique.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous ne pensez pas que l'on se dirige vers une spécialisation des juridictions ? Pensez-vous que les perspectives d'avenir vont inévitablement vers la spécialisation de plus en plus poussée de l'organisation ? Pensez-vous que l'on se dirige vers une augmentation de la compétence territoriale ratione loci et une réduction de la compétence ratione materiae ?

M. André Gariazzo. C'est une piste de réflexion, mais je ne peux pas vous dire aujourd'hui que c'est celle-là qui sera privilégiée.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Mais enfin, cela fait combien de temps qu'on réfléchit à cette histoire ?

M. André Gariazzo. Eh oui !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Donc, le travail de la mission de la carte judiciaire n'a pas abouti à des conclusions, et la réflexion continue.

M. André Gariazzo. Voilà. J'ai le sentiment, depuis ma prise de fonction, d'évoluer dans un cadre où énormément de choses sont à construire. Plus que la carte judiciaire, c'est toute l'organisation judiciaire qui doit être prise en compte.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En effet, tout est à remettre à plat. Quelles sont donc vos orientations ?

M. André Gariazzo. Elles ne sont pas abouties. Encore une fois, nous sommes un organe de proposition. C'est la décision du Garde des sceaux qui compte.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Tout de même, votre administration est porteuse d'un projet ! Les politiques le confirment ou le valident, c'est leur rôle. Mais il n'est pas d'administration qui n'ait une propre idée de son avenir.

M. André Gariazzo. L'avenir passe de plus en plus par une mutualisation des moyens. L'objectif de proximité ne veut pas dire que la justice doit être à la porte du citoyen. Nous nous orientons donc vers la mutualisation, la rationalisation et la spécialisation. De ce point de vue, l'outil informatique et essentiel.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Que de retards, pourtant ! En ce qui concerne l'informatique, vous avez connu des échecs retentissants ! 350 millions dilapidés ! En a-t-on tiré les conséquences ?

M. André Gariazzo. Nous devons nous employer à rattraper notre retard dans le domaine informatique.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. On entend constamment dire que la justice est sous-administrée. Vous venez de nous faire la démonstration qu'il y a un énorme travail à faire pour aboutir à des propositions.

S'agissant de la carte judiciaire, au moment même où l'on nous dit que la justice manque de moyens financiers et humains, on s'aperçoit qu'il y a sous-consommation des crédits en matière d'équipement. En matière de fonctionnement, vous consommez vos crédits à hauteur de 90 %. Quant aux moyens humains, vous réclamez des postes de magistrats et de fonctionnaires, indispensables au bon fonctionnement de la justice.

Le problème, c'est qu'il m'est impossible de déterminer la réalité de vos besoins. Sur quoi s'appuie l'administration pour justifier les postes et les bâtiments dont elle a besoin ? Vous avez parlé d'une circulaire de localisation des emplois, mais y a t-il une prospective ? Il faudra bien un jour en finir avec le discours sur le manque de moyens !

M. Gilbert Mitterrand. Monsieur le directeur, vous avez dit que la réflexion sur la justice devait être globale. Pourquoi ne serait-elle pas cohérente ? Vous avez parlé de critères pour l'action. Mais au-delà de la connaissance de ces critères, il y a la transparence.

Dispose-t-on de comparaisons ? Pourquoi telle juridiction sera-t-elle privilégiée plutôt que telle autre ? Comment se fait le choix ? Au-delà des critères, quels objectifs se fixe-t-on ? Pour ma part, je n'ai toujours pas compris quels étaient les objectifs. S'agit-il d'améliorer les délais des décisions ? Si oui, il est évident qu'il faut tendre à créer des postes de magistrats là où l'on enregistre les plus grands retards, au grand dam des juridictions qui marchent bien. Ou alors, s'agit-il d'accompagner les politiques voulues par les élus ? Je pense en particulier à l'objectif de justice de proximité et à la loi sur la présomption d'innocence. Il est évident que le nombre de magistrats des plus petites juridictions est insuffisant pour la mettre en _uvre. Sept magistrats par petite juridiction - celle à une chambre - me paraît un nombre raisonnable. Mais est-ce pour vous un objectif à atteindre ? Est-ce, oui ou non, un objectif prioritaire ?

Vous avez parlé de mutualisation. Mais la mutualisation territoriale n'est pas la même dans l'Aveyron et la Gironde.

Enfin, la réforme de la carte judiciaire fait désormais partie de vos missions. On dispose de tous les arguments pour refondre une carte judiciaire. Où en est votre réflexion ?

M. Jean-Pierre Delalande, Président. En huit ans, les crédits sont passés de 17 milliards à 29 milliards de francs. Or il n'y a pas d'amélioration. A quoi sert-il de voter des crédits qui ne seront pas utilisés ? Avant d'attribuer des crédits supplémentaires, il faudra remettre de l'ordre dans la maison « justice ». Comment se fait-il qu'avec une telle amélioration des crédits, il n'y ait pas d'amélioration sensible de la gestion du ministère de la justice ?

L'article 34 de la Constitution est consacré au domaine de la loi. Après avoir rappelé que la loi est votée par le Parlement et énuméré son domaine, il conclut « Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique. » On entend toujours dire à propos de la carte judiciaire qu'on ne peut pas y toucher parce que les élus s'y opposent.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est un peu vrai... (Sourires)

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Je voudrais faire une proposition et recueillir votre sentiment. Je propose de voter une loi organique tendant à ce que la carte judiciaire soit mise en _uvre par le Parlement. Comment réagissez-vous à cette proposition ? Y voyez-vous des avantages ou des inconvénients ? Est-ce réaliste ou pas ?

M. André Gariazzo. Pourquoi pas !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il y aura de nombreux amendements ! (Sourires)

M. André Gariazzo. La Chancellerie et la direction des services judiciaires pourront vous apporter leur concours et vous fournir tous les éléments techniques.

Quoi qu'il en soit, je vous trouve très sévère. Et je souhaiterais qu'on dépasse les lieux communs que l'on entend toujours sur le fonctionnement de la justice.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Nous essayons tout de même d'aller un peu plus loin !

M. André Gariazzo. Je ne peux pas admettre l'affirmation selon laquelle depuis vingt-cinq ans, la justice marcherait toujours aussi mal.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Et les délais ?

M. André Gariazzo. Je peux vous assurer que si la justice continuait à travailler avec les moyens d'il y a dix ans et avec la même méthode, nous n'aurions pas atteint les résultats auxquels nous sommes parvenus. En interne, il faut le reconnaître, il y a eu une révolution.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La demande de justice est sans cesse croissante, et cette évolution est loin d'être terminée. Nos concitoyens souhaitent une société qui soit de plus en plus un Etat de droit. En conséquence, l'organisation judiciaire devra fournir un plus gros travail. Or nous avons le sentiment, au sein de notre mission, que l'organisation judiciaire a beaucoup de mal à suivre et à s'adapter à l'évolution de la société.

M. André Gariazzo. Reconnaissons aussi les progrès ! L'outil informatique a été trop facilement brocardé. Sans informatique judiciaire, nous serions dans le marasme le plus complet. L'informatisation existe. Reste à la faire évoluer. L'outil informatique est très utilisé, et je vous mets au défi de trouver une juridiction qui ne l'utilise pas.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce qui m'angoisse, c'est que l'administration judiciaire est celle qui a le plus de retard.

M. André Gariazzo. Ces critiques ne sont pas récentes.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. La magistrature n'a pas été formée à la gestion. Au vu des difficultés que rencontre l'administration centrale de la justice, on a le sentiment que les techniques de management sont inconnues.

M. André Gariazzo. Tout est perfectible, bien entendu. Reste que la justice ne fonctionne en France pas aussi mal qu'on le dit. C'est pourquoi je maintiens qu'il faut défendre cet outil - la justice française - que bien des pays étrangers nous envient.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est le leitmotiv des fonctionnaires français !

M. André Gariazzo. Pour répondre à M. Mitterrand, nous disposons d'outils transparents et objectifs. Les critères sont les mêmes pour tous.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Pourtant, la Cour des comptes affirme que votre administration ne dispose pas d'appareil statistique fiable. Elle rappelle, en effet, que « les statistiques relatives à l'activité des juridictions sont médiocres et peu fiables ». Le texte d'où a été extrait cette phrase a quand même été signé par M. Joxe ! Et vous nous expliquez que tout va bien ! Comment peut-on gérer lorsque l'on dispose de statistiques « peu fiables » ?

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Monsieur le directeur, il faut vous rendre compte que vous avez en face de vous des parlementaires de bonne volonté qui travaillent au sein de la mission d'évaluation et de contrôle. Or nous constatons que les grands corps de l'administration sont souvent sous-administrés, et c'est un euphémisme. Vous avez été nommé à la tête de votre direction en raison de vos qualités personnelles. Des missions et des orientations vous ont été fixées. Vous nous avez dit que votre réflexion n'était pas encore finalisée. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Deuxièmement, nous avons déjà noté la sous-consommation des crédits, et je n'y reviendrai pas. Reste qu'il faut essayer de trouver le moyen d'être plus transparents. Nous avons la volonté d'équilibrer les comptes de la Nation, de rendre la dépense publique efficiente. C'est notre seul objectif. Majorité et opposition sont d'accord sur ce but. Les crédits attribués à la justice vous paraissent-ils insuffisants au regard du besoin de justice de notre pays qui est réel ? N'est-il pas temps de mettre à plat les choses ?

M. André Gariazzo. Je me suis fait mal comprendre. Ma réflexion est-elle aboutie ou non ? En réalité, ce n'est pas le problème. Vous n'aurez pas connaissance de la réflexion des services judiciaires bien que nous ayons une réflexion au sein de ma direction. Je vous ai rappelé que j'étais à l'interface entre les juridictions et le ministère. Bien évidemment, j'ai une réflexion personnelle, mais si elle n'est pas « labellisée », elle ne vaut pas.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comment ça ! Nous sommes le Parlement ! Nous vous demandons des informations ! Cela nous regarde ! Nous exerçons les droits du Parlement ! Votre réflexion n'a pas à être « labellisée », comme vous dîtes. Nous vous entendons dans le cadre du Parlement ! En tant que rapporteur spécial, et par les attributions que me donne l'ordonnance de 1959, je vous demande ce que fait l'administration  ! Je n'attends pas du tout un propos officiel !

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Nous sommes au c_ur d'un problème important de la haute administration française. Le temps où le Gouvernement se méfiait du Parlement, le temps de l'opacité complète où l'on réfléchit entre soi et où le Parlement doit se contenter de ratifier une décision déjà prise, ce temps est terminé. La preuve est faite. Les crédits de la justice sont extrêmement coûteux pour le pays. Nous n'entendons pas faire une mise en accusation, mais organiser un échange pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Nous devons pourvoir discuter des orientations.

Nous avons entendu vos propos. Ils sont le reflet d'une culture que nous récusons, que nous avons supporté pendant des années. Vous êtes en face de parlementaires qui ont des comptes à rendre à l'opinion publique et qui ont le sens de l'Etat. C'est la raison pour laquelle vous nous voyez prendre à c_ur ce débat. Une réflexion doit être engagée au sein des administrations. Elles doivent changer de culture.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Nous ne sommes pas là en tant qu'opposant.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. C'est tout un mouvement que nous lançons. Nous sommes en pleine révolution culturelle. Le contrôle ne faisait pas partie de notre culture, c'est évident. L'Assemblée nationale est restée sous-développée en la matière, et l'administration n'a pas l'habitude d'être interpellée par le pouvoir parlementaire. Une telle situation doit changer, et je partage les points de vue qui viennent d'être exprimés. Je comprends votre surprise, monsieur le directeur. Vous avez pu vous rendre compte à quel point nous avons été réactifs lorsque vous nous avez indiqué qu'avant de nous parler de l'état de vos réflexions, vous deviez préalablement en référer au ministre.

Or, le Parlement est dans son rôle lorsqu'il souhaite connaître la réflexion de l'administration : nous devons pouvoir prendre les décisions dans la transparence la plus totale. C'est pourquoi nous entendons exercer de plus en plus - et en permanence - notre fonction de contrôle. Du coup, ne nous étonnons pas de la vivacité des propos échangés. Il y a peu de temps encore, reconnaissons-le, les auditions que nous avions avec les responsables d'administration étaient particulièrement lénifiantes et se limitaient à la présentation d'un exposé magistral. Aujourd'hui, nous vous indiquons clairement pourquoi nous ne sommes pas satisfaits de vos réponses.

Je tenais à rappeler notre démarche, comme l'a fait le rapporteur spécial. Et jusqu'à présent, force est de constater que nous n'avons pas entendu vos réponses.

M. André Gariazzo. Je pense qu'il y a beaucoup d'incompréhension. Il existe des modes de fonctionnement ou des orientations qui ne vous conviennent pas, mais qui sont ceux d'une administration centrale. Que le fonctionnement d'une administration centrale ne vous convienne pas, soit, mais il existe. Ne me demandez pas quelle décision sera prise avant l'arbitrage de la Garde des sceaux. Cela n'empêche pas mon administration de réfléchir. Je pense notamment au statut de magistrat : le travail a été fait par ma direction et a été soumis au cabinet. Je pense également aux greffes.

Encore une fois, les juridictions disposent de moyens et fonctionnent. Vous avez parlé de gaspillage. Mais depuis dix ans, il y a eu une augmentation des moyens car le nombre de saisines des juridictions a progressé. De nouvelles tâches sont demandées aux juridictions. M. Mitterrand rappelait d'ailleurs les conséquences que cette situation avait sur les plus petites juridictions.

Une réflexion est en cours sur l'application de la loi du 15 juin 2000. On s'est souvent trop inquiété, mais sur le terrain, je suis personnellement très heureux d'observer qu'elle s'applique bel et bien.

Nos moyens ont été accrus, mais il y a toujours un effet « retard ». Lorsque l'on crée un emploi de magistrat, par exemple, il y a toujours un effet retard entre le moment où l'on fait passer le concours et le moment où le magistrat occupera son poste. Il y a toujours un décalage entre les besoins que l'on doit satisfaire et les moyens que l'on nous attribue.

Quoi qu'il en soit, l'administration judiciaire se donne les moyens d'administrer les juridictions.

M. Augustin Bonrepaux, Président. Y a-t-il d'autres observations ?

Monsieur Gariazzo, je vous remercie.

b) Audition de M. Jean-Paul Colomp, directeur de l'Inspection générale des services judiciaires

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. L'inspection judiciaire est une administration qui est montée en puissance depuis quelques années. Depuis trois ou quatre ans, elle s'est considérablement étoffée. De quels moyens dispose-t-elle ?

M. Jean-Pierre Colomp. L'inspection générale des services judiciaires est un service particulier dans le cadre de l'organisation du ministère de la justice : il s'agit d'un service placé directement auprès du ministre. Elle a une double fonction : une mission d'assistance, une mission générale d'inspection sur le fonctionnement de l'ensemble des services dépendant du Garde des sceaux.

L'inspection est une structure relativement récente : elle date de 1964. Une réforme avait alors été décidée visant à mettre un terme à une sorte de confusion sur une même personne, puisque le chef du service du personnel était également le chef de l'inspection. Le pouvoir réglementaire a voulu faire la séparation. Aujourd'hui, il y a un directeur des services judiciaires qui assure la gestion de l'ensemble des services judiciaires et une inspection générale.

L'inspection générale a pour mission de s'assurer du bon fonctionnement des juridictions. Elle dispose d'un pouvoir général d'inspection qui l'autorise à se rendre dans n'importe quelle juridiction, sauf la Cour de cassation.

D'autres missions - les missions d'audit - ont un caractère plus général. Il s'agit de missions que nous conduisons nous-mêmes ou pour lesquelles nous apportons notre assistance technique. Ainsi, dans quelques jours, nous allons publier un rapport concernant l'aménagement et la réduction du temps de travail pour les magistrats. L'audit a été confié à un cabinet de consultants, mais la Garde des sceaux a souhaité que l'inspection générale accompagne ce travail, compte tenu de la complexité de l'organisation judiciaire. De même, nous venons de rendre à la ministre un rapport concernant les trois premiers mois d'application de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence et le renforcement des droits des victimes.

Nous assurons également des missions thématiques. Cette année, il a ainsi été décidé que l'inspection couvrirait trois thèmes : la gestion des flux en matière pénale ; la communication et le dialogue social dans les juridictions ; la gestion des flux en matière sociale et en matière de droit de la famille dans les Cours d'appel.

Dernier point : le disciplinaire. Nous sommes régulièrement saisis par le Garde des sceaux de demandes d'enquête concernant des magistrats pour remplir un dossier à charge et à décharge.

Tout cela représente des activités importantes et un support de plus en plus utilisé par les ministres.

J'en viens aux effectifs.

En 1994, l'inspection était composée d'un inspecteur général, d'un inspecteur général adjoint et de neuf inspecteurs. Aujourd'hui, nous disposons d'un inspecteur général, deux inspecteurs généraux adjoints et vingt inspecteurs. Le nombre des inspecteurs a donc été multiplié par deux. Un des inspecteurs assure les fonctions de chef de l'inspection de l'administration pénitentiaire.

Pour être complet, quelles ont été nos dernières missions ? Nous avons assuré une mission d'application sur la loi du 15 juin 2000 ; une mission interministérielle sur les contrats locaux de sécurité ; une mission sur le comportement d'un magistrat chef de juridiction ; une mission sur un incident médical à la prison de Fresnes ; une mission sur les disparus de l'Yonne ; le diagnostic sur la RTT ; une mission annuelle d'évaluation du dispositif des agents de justice au sein du ministère de la justice ; une mission d'expertise sur le permis à points ; une mission d'inspection à la maison d'arrêt de Draguignan après l'assassinat par un détenu de son codétenu : une mission sur le triple évasion de Borgo, en Corse : une mission très importante que nous venons de terminer sur les problèmes de la santé et de la détention. Enfin, pour la fin de l'année, plusieurs missions nous seront confiées : une mission sur l'incarcération des mineurs (700 mineurs sont aujourd'hui incarcérés) ; une mission sur l'évaluation des services administratifs régionaux ; une mission sur les articles 35 bis et 35 quater de l'ordonnance de 1945 concernant la rétention administrative des étrangers ; une mission sur l'exécution des décisions de justice.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La Cour des comptes, dans un de ses référés administratifs écrit : « l'inspection générale des services judiciaires n'a que des effectifs réduits, et ses contrôles sont principalement orientés vers l'activité juridictionnelle et assez fréquemment entrepris quand des conflits de personne sont signalés dans une juridiction. Le contrôle approfondi qu'elle a mené sur le tribunal de grande instance de Marseille témoigne pourtant de son aptitude à traiter des questions de gestion. »

L'inspection est donc capable de traiter des questions de gestion. Or il semble qu'elle ne le fasse pas ou très peu. C'est pour cette raison que la cour des comptes ajoute : « Il serait utile que ce service d'inspection fut suffisamment renforcé pour que chaque juridiction soit contrôlée avec une périodicité suffisante ».

En un mot, on a le sentiment que vos missions comprennent peu d'évaluation du fonctionnement des juridictions. Par ailleurs, êtes-vous outillés pour conduire ce travail ? Dans la liste des missions que vous avez dressée, j'observe qu'il y a assez peu d'évaluation du travail juridictionnel et des éventuels dysfonctionnements auxquels il faudrait porter remède de manière administrative.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Comment mesurez-vous - le mot va peut-être choquer - la « productivité » des juridictions, celle des magistrats et des personnels ?

Les évolutions devraient être connues. L'affectation des magistrats devrait nous permettre de savoir comment on affecte à tel ou tel tribunal tel ou tel magistrat. Est-il opportun, en effet, d'affecter des personnels supplémentaires à des magistrats qui travaillent modérément ?

Même si le terme de « productivité » choque, c'est un mot que l'on emploie partout.

Par ailleurs, vous avez parlé de la cour de cassation. Comment est-elle contrôlée ?

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Elle se contrôle elle-même.

M. Jean-Paul Collomp. Elle procède en effet à son auto-évaluation.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. D'où des problèmes avec la cour européenne des droits de l'homme.

M. Jean-Paul Collomp. L'inspection n'a aucun droit d'auto-saisine. Nous ne pouvons donc effectuer des missions que dans la mesure où nous en sommes saisis et dans la limite de notre saisie.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. D'où vient cette disposition ?

M. Jean-Paul Collomp. Les décrets de 1964 et de 1965. Seul le Garde des sceaux peut nous saisir.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. L'inspection est donc une administration de cabinet en quelque sorte !

M. Jean-Paul Collomp. En dehors de l'inspection classique et systématique des juridictions, nous sommes à la discrétion du Garde des sceaux qui nous saisit par une lettre de mission qui cadre le champ de nos investigations. Ainsi, pour le rapport sur l'application de la loi du 15 juin, il était exclu de la lettre de mission l'évaluation du double degré de juridiction en matière criminelle.

S'agissant du fonctionnement général des juridictions, nous nous livrons à un travail de « dentellière ». Avant de nous rendre dans les juridictions, nous leur adressons un questionnaire extrêmement complet qui doit nous permettre de connaître les flux, l'organisation, les procédures les plus anciennes, ou la gestion des expertises. Ensuite, la direction des services judiciaire a ses propres statistiques. Avant de nous rendre dans une juridiction, nous pouvons croiser ces deux éléments pour voir s'ils disent la même chose ou non. Une fois dans la juridiction, service par service, magistrat par magistrat, fonctionnaire par fonctionnaire, nous faisons le tour de tous les services. Nous faisons ouvrir les armoires, et examinons les dernières audiences tenues et les dossiers. Et à ce propos, nous sommes attentifs à la gestion budgétaire. Notre attention porte sur le fonctionnement de la gestion budgétaire. Vous le savez, il s'agit d'un fonctionnement déconcentré, les tribunaux de grande instance abritent des cellules budgétaires d'arrondissement qui assurent la gestion pour l'ensemble des juridictions d'arrondissement. Nous sommes attentifs à la gestion budgétaire dans la mesure où la préparation budgétaire est le fait de la trilogie de la juridiction - le président, le procureur, le greffier en chef. Et à l'occasion de l'inspection d'une juridiction, nous avons relevé de graves dysfonctionnements, des dépassements de près de 800 000 à 1 million de francs, avec un report systématique d'une année à l'autre.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. De quelle juridiction s'agit-il ?

M. Jean-Pierre Colomp. De Nice.

Notre approche est donc extrêmement technique et précise. Et pour avoir moi-même vécu une inspection lorsque je travaillais en juridiction, je peux vous assurer que les inspecteurs ouvrent bel et bien les armoires.

M. Floch a parlé de productivité. Parler de la productivité de la justice ne me choque aucunement. Nous sommes en effet comptable d'une production judiciaire. Le citoyen est donc en droit de nous demander si nous sommes productifs et efficaces.

Je vous ai indiqué que nous disposions d'éléments statistiques de la juridiction et du ministère. Ils nous permettent de tirer des ratios. Il s'agit d'une approche quantitative qui, bien évidemment, a ses limites. Nous savons très bien qu'un dossier n'en égale pas un autre. Les dossiers de la construction et les dossiers de la première chambre n'ont pas le même sens qu'un dossier en matière de divorce sur requête conjointe. Nous devons donc faire une évaluation et ramener les choses à de justes proportions. C'est la raison pour laquelle le ministère de la justice, depuis quelques années, utilise un certain nombre de ratios lorsqu'il fait des choix pour l'affection de postes. Ces ratios sont rendus publics, ce qui permet aux juridictions de connaître la démarche objective du ministère pour parvenir à un résultat.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Quels sont les critères retenus ?

M. Jean-Pierre Colomp. Le nombre de dossiers par magistrat en matière pénale et en matière civile, ainsi que le ratio des stocks et l'évaluation en termes de délai.

La notion de longueur des procédures est un des critères très souvent utilisé en matière de productivité. Elle nous paraît très souvent poser problème. S'il est bon d'en disposer, il est nécessaire de la relativiser. En matière civile, ne l'oubliez pas, le juge n'est pas maître de la procédure. Il n'est pas rare que telle ou telle partie, voire les deux parties aient intérêt à retarder une procédure.

Nous sommes en train de réfléchir à une approche plus qualitative du travail judiciaire. Une mission a été confiée au président du tribunal de grande d'instance d'Evry à cette fin. Les propositions seront testées à titre expérimental dans plusieurs juridictions. Cette mission comprendra un aspect relatif à l'auto-évaluation réalisée par la juridiction elle-même.

Enfin, je crois qu'il y a des moments où la répartition des moyens doit savoir être inégalitaire. Certaines juridictions peuvent se trouver en situation de plus ou moins grandes difficultés, ou de plus ou moins grand « confort ». Notre administration doit alors être capable de mettre en place des dispositifs de remise à niveau pour permettre à une juridiction de sortir la tête de l'eau. Cela peut se faire sous la forme d'aides ponctuelles, comme les contrats de juridiction qui permettent de fixer des objectifs, de donner des moyens et de mesurer les résultats obtenus.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Notre débat pose le statut de l'inspection. Si l'on compare l'inspection du ministère de la justice à celle des autres ministères - l'inspection des finances ou celle des affaires sociales - le statut de votre service n'apparaît-il pas relativement inadapté ? On peut ainsi travailler dans votre inspection puis se retrouver, au terme de son mandat, dans une juridiction. Le système n'est-il pas un peu trop consanguin ? Cette situation ne pose-t-elle pas des conflits d'intérêt ?

M. Jean-Paul Collomp. Nous ne sommes pas un corps, contrairement à l'organisation d'autres ministères. Cette situation présente des avantages incontestables. Tous les inspecteurs - l'inspecteur général comme les inspecteurs généraux adjoints - viennent des juridictions. Ils ont donc une bonne connaissance du terrain. Les inspecteurs sont recrutés au niveau du premier grade de la hiérarchie judiciaire. Ils ont donc une expérience de la réalité judiciaire qui, nous le savons tous, est particulièrement complexe. C'est une situation d'autant plus vertueuse qu'on ne fait pas carrière à l'inspection. Les inspecteurs travaillent à l'inspection pendant trois à six ans.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Cela vous paraît un avantage ?

M. Jean-Paul Collomp. Oui, car la création d'un corps conduirait peut-être à une situation où des magistrats ayant un ou deux ans de juridiction soient affectés à l'inspection et y fassent toute leur carrière.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. On pourrait imaginer qu'ils aient dix ans d'expérience.

M. Jean-Paul Collomp. Mais vous savez très bien que lorsqu'on crée un corps, il y a un phénomène d'attirance extrêmement important. Au sein du ministère de la justice, on réfléchit à des réformes, mais on butte toujours sur ce préalable : créer ou ne pas créer un corps.

Une autre orientation pourrait être retenue. J'ai parlé de juridiction. Mais il ne faut pas oublier les autres services : l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Chacune de ses administrations a son propre corps d'inspection qui ne dépend pas de mon service. Nous sommes en train de réfléchir à la création d'une inspection générale du ministère de la justice qui permettrait d'officialiser notre travail d'inspections conjointes.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Finalement, il y a combien de services d'inspection ?

M. Jean-Paul Collomp. L'inspection des greffes, celle de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, celle de l'administration pénitentiaire et l'inspection générale des services judiciaires.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. L'organisation de l'inspection générale au sein du ministère de la justice est complexe. Vous avez fait état de votre réflexion. Mais force est de constater que le dispositif reste fermé. Dans mon rapport budgétaire, j'ai demandé pourquoi le service d'inspection n'était pas ouvert à d'autres fonctionnaires. Après tous, les services d'inspection qui ont un corps sont ouverts à d'autres fonctionnaires. Cela permettrait d'avoir un regard extérieur, qui ne serait pas un regard « maison ». On peut vous reprocher, par exemple, de poursuivre votre carrière dans une administration que vous aurez certainement contrôlée. C'est là un mélange des genres qui n'est bon ni pour vous ni pour l'administration.

Avez-vous entamé une réflexion sur une ouverture de votre service à des agents de l'Etat extérieurs à votre administration ?

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Comme le dit Jacques Floch, vous allez être amené à reprendre du service dans une juridiction. Quelle que soit votre honnêteté intellectuelle, n'y a-t-il pas un risque d'affadissement dans les décisions que vous prenez ? Pouvez-vous prendre le risque de dire des choses extrêmement désagréables à votre ministre qui vous renommera un jour ou l'autre dans une juridiction ? C'est un problème qui se pose pour l'ensemble des membres de l'inspection. Il y a un vrai problème de consanguinité, donc d'indépendance, et de risque d'enfermement culturel. Il est bon d'avoir la connaissance du terrain, mais également d'avoir un regard un peu distancié et pluridisciplinaire. Pourquoi ne pas vous adjoindre les compétences d'un inspecteur des finances, des affaires sociales ou de l'équipement ? Cela ne serait pas choquant.

Notre mission est un laboratoire d'idées, et nous recherchons l'efficacité de la dépense publique. Est-ce que dans une démocratie mature il serait choquant que des corps d'inspection soient rattachés au Parlement qui établirait des listes de sujets d'inspection, en envoyant des équipes bel et bien pluridisciplinaires ? Cette piste mérite d'être étudiée. Des évolutions sont possibles.

Que pensez-vous du risque de consanguinité ?

M. Jean-Paul Collomp. S'agissant de l'indépendance, je me sens aujourd'hui totalement indépendant de mon ministre. J'ai le sentiment que cela est partagé à la fois par le ministre et son entourage, mais aussi par l'ensemble des juridictions. L'indépendance de l'inspection générale est acquise et ne pose pas de difficultés.

S'agissant des réformes que vous avez évoquées, laissez-moi un peu de temps. J'ai pris mes fonctions voilà deux mois. Et je suis prêt à revenir auprès de votre mission pour réfléchir ensemble à des pistes. Quoi qu'il en soit, sur le principe de l'ouverture, vous ne trouverez pas chez moi un adversaire définitif. Pour autant, je pense que la question doit être posée pour l'ensemble des inspections.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Absolument !

M. Jean-Paul Collomp. Le débat pourrait être très intéressant.

Je peux vous donner un exemple relatif à l'indépendance et au sentiment que l'on peut ressentir lorsqu'on prend la tête d'une juridiction qui vient d'être inspectée. J'ai été nommé premier président de la cour d'appel de Douai en 1996, six mois après qu'une inspection a eu lieu, sur l'ensemble des soixante-quatre juridictions du ressort. Le rapport d'inspection a été ma bible de travail pendant un semestre. Il me donnait une photographie aussi exacte que possible de la réalité et faisait état des points positifs, des difficultés, des propositions de solution. Le rapport de l'inspection générale m'a beaucoup aidé dans ma tâche. Si demain, je dois prendre des fonctions dans une juridiction inspectée, je ne vois pas à quelles difficultés je pourrais être confronté. C'est une question que je ne me pose pas, parce que je crois qu'il va de soi de ne pas la poser.

Enfin, vous vous êtes demandés ce qu'il se passait après un rapport d'inspection. La question est réelle et nous sommes en train d'y réfléchir. Nous devons probablement mieux réfléchir aux éléments que l'on restitue aux juridictions après une inspection thématique. Nous devons également réfléchir aux rapports et à l'exploitation de nos informations par les instances de décision. Je pense notamment au conseil supérieur de la magistrature, mais aussi à la direction des services judiciaires.

Un exemple. A l'occasion d'une inspection menée il y a quelques mois, nous avons constaté des difficultés de fonctionnement qui, dans une très large mesure, étaient le fait du président. Celui-ci a été nommé dans d'autres fonctions. Il me semble très important que le conseil supérieur de la magistrature comme la direction des services judiciaires sachent que le nouveau président qu'il va nommer doit correspondre à une sorte de profil de poste, compte tenu de l'état des difficultés. Les deux instances de nomination doivent se mettre d'accord pour constituer une équipe.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Ce président a-t-il été promu ? A-t-il été renvoyé dans une juridiction du même type ? Nous avons maints exemples de cas analogues. Le ministère de l'éducation nationale ne sait pas prendre de sanctions et ne sait par régler le cas de personnes qui ne sont pas adaptées à leur fonction. Il se contente de les placer à des postes équivalents en espérant que le «saint esprit » fera bien les choses. On ne sait pas gérer ce genre de questions. C'est pourquoi nous souhaiterions modifier ce climat culturel. Regardons les choses en face : dans le privé, une personne qui n'est pas adaptée à sa fonction se verra attribuer un poste où elle sera mieux dans sa peau. C'est une question de respect que l'on doit aux gens. Or dans la fonction publique, on ne dit jamais dans la vérité au nom du statut.

M. Jean-Paul Collomp. Je vous rejoins sur le fond du problème. Nous n'avons pas de savoir-faire pour l'ensemble de ces situations. N'entendez pas que le principe de Peters fonctionne en permanence chez nous et qu'il suffise d'être mauvais pour avancer ! (Sourires) Mais il est vrai que pour certaines situations difficiles, qui ne relèvent pas forcément du disciplinaire, nous commettons des maladresses en matière de gestion des ressources humaines. C'est un vrai problème qui se complique, notamment pour les magistrats du siège, par l'inamovibilité.

Le Parlement vient d'apporter un début de réponse avec la loi relative au statut des magistrats, en limitant le nombre d'années exercées en qualité de chef de cour ou de chef de juridiction ainsi que l'exercice de certaines fonctions spécialisées. Par ce biais-là, on peut considérer que nous aurons l'occasion, lorsque l'on arrivera en fin de mandat, de faire le point et d'éviter de nouvelles erreurs d'orientation.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Que pensez-vous de l'idée d'ouvrir votre corps à d'autres fonctionnaires que ceux du ministère de la justice ?

M. Jean-Paul Collomp. Je n'y vois pas d'obstacle majeur, à condition que ce soit vrai pour l'ensemble des inspections. Le regard pluriel me paraît très utile. Lorsque nous intervenons sur cette affaire de Draguignan ou de la triple évasion de Borgo, nous allons sur le terrain avec l'inspection de l'administration pénitentiaire. Un membre de l'inspection de l'administration pénitentiaire, ancien directeur d'établissement, nous apporte son savoir-faire. Il nous explique, par exemple, ce que sont des rondes bien effectuées la nuit.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Avez-vous travaillé avec l'inspection générale des affaires sociales sur l'affaire des disparus de l'Yonne ?

M. Jean-Paul Collomp. Il y a eu travail commun mais rapport distinct, car les commandes n'étaient pas du tout les mêmes. Nous avons enquêté sur les éventuels dysfonctionnements judiciaires, alors que la double inspection de l'IGASS a porté sur la gestion par le service de l'aide sociale à l'enfance des personnes prises en charge et sur une institution particulière qui posait problème.

Mme Nicole Bricq. La loi sur la présomption d'innocence qui a déjà été évoquée permet pour la première fois des inspections conjointes avec l'inspection générale de la police lorsqu'il y a des problèmes de procédure entre les deux administrations. Il y en a eu une dans le tribunal de mon ressort, et je voulais savoir ce que vous avez tiré de ces inspections conjointes. Pensez-vous qu'il s'agit d'une bonne mesure pour l'avenir ?

M. Jean-Paul Collomp. C'était la première inspection et la seule pour l'instant. Les dispositions de l'article 15-2 du code de procédure posent quelques questions relatives au dispositif prévu et à l'intervention systématique de l'inspection générale des services judiciaire à côté de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection de la gendarmerie, lorsqu'il y a des comportements d'enquêteurs de nature à poser question. Le caractère systématique risque de vider le dispositif de son sens. La pratique a conduit effectivement à ce que cette procédure ne soit utilisée qu'une seule fois, à Meaux, sans que l'on ait pu en tirer des conséquences particulièrement intéressantes.

Nous sommes en train de réfléchir sur l'attitude à adopter, dans la mesure où nous sommes également gênés par une autre réalité : nous ne savons rien de la volonté du législateur sur cette disposition : les travaux parlementaires sont muets sur ce point. Nous ne savons pas comment interpréter l'amendement voté en séance. Ce silence nous met en difficulté. Nous sommes en train de rechercher des solutions réalistes et qui passent par un dispositif de signalement des difficultés. Les services de police, comme ceux de gendarmerie peuvent disposer d'informations qu'ils ne donneront pas forcément au procureur de la République ou au procureur général. Nous devons réfléchir à la remontée de l'information pour que l'on puisse apprécier s'il est véritablement nécessaire de mettre en place le dispositif ou non.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Une information complémentaire sur cette partie de la loi sur la présomption d'innocence. L'amendement adopté en séance visait à obliger les deux inspections à travailler ensemble, notamment sur le sujet que vous avez abordé, à savoir la rétention par des services d'informations qui ne pouvaient pas remonter jusqu'aux services judiciaires. Plusieurs cas nous avaient été signalés de rétentions, parfois justifiées par l'enquête en cours.

M. Jean-Paul Collomp. J'entends bien, mais nous n'avons que très peu progressé dans cette matière. Nous travaillons en interministériel, mais nous n'en sommes pas au point de nous orienter vers une circulaire interministérielle.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Une inspection spécifique pour les greffes est-elle justifiée ? Ne pourrait-elle pas se fondre avec l'inspection générale.

M. Jean-Paul Collomp. Oui, sans problème, d'autant plus que la décision relève du domaine réglementaire.

M. Augustin Bonrepaux, président. Y a-t-il d'autres observations ?

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

c) Audition de M. Flavien Errera, chef de la Mission pour la réforme de la carte judiciaire Sous-Directeur de l'Organisation judiciaire et de la Programmation

M. Augustin Bonrepaux, Président. Je souhaite d'abord la bienvenue à une délégation de fonctionnaires tchadiens.

Nous accueillons M. Flavien Errera, chef de la mission pour la réforme de la carte judiciaire. Je le remercie d'avoir répondu à notre invitation.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Monsieur Errera, vous avez été le créateur d'une mission très intéressante sur la carte judiciaire. Vous avez élaboré un outil très utile. Votre travail d'analyse de la carte judiciaire est aujourd'hui achevé. Quel a été ce travail ? Qu'est devenue votre mission ? Quelles en ont été les conséquences ? Votre travail est plus approfondi et plus intelligible que le rapport Carrez qui l'avait précédé.

Les résultats de votre travail sont-ils exploités  pour la programmation ? Est-ce que l'on tient compte des orientations que vous avez dégagées pour la construction ?

Enfin, vos travaux seront-ils publiés ?

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Ce serait une bonne chose !

M. Flavien Errera. Vous avez parlé du rapport Carrez. Il ne traitait que d'un aspect ponctuel des choses, aucune équipe n'ayant été constituée pour mener à bien les investigations sur le terrain. Alors que le rapport Carrez se fondait sur des analyses d'activités statistiques, nous, nous avons essayé de faire le lien entre le fonctionnement des juridictions et la taille des territoires.

La mission de la carte judiciaire a été mise en place au mois de mars 1998 par décision du Garde des sceaux de l'époque, Mme Elisabeth Guigou, qui avait le sentiment que la thématique de la carte judiciaire ne pouvait pas continuer à être appréhendée comme elle l'était jusque là. Le sujet était extrêmement polémique. Nous nous sommes d'abord engagés dans une démarche qui n'avait été initiée par personne : fabriquer matériellement la carte judiciaire. Car personne n'avait jamais vu la carte judiciaire auparavant.

Pour cela, nous nous sommes adjoints les compétences d'experts, notamment d'un cartographe qui nous a montré à quoi ressemblait le territoire judiciaire, juridiction par juridiction. Sa démarche nous a donné des pistes de travail. Regarder la carte judiciaire, en effet, c'est déjà s'étonner et observer que s'il existe beaucoup de juridictions à un endroit, il y en a moins dans une autre, ou encore que certaines juridictions sont très proches les unes des autres.

Dès lors, nous avons pu travailler et aboutir, à la suite d'un rapport d'enquête parlementaire, à une première étape : la réforme des tribunaux de commerce. Nous avions identifié six cours d'appel dont la densité de tribunaux était particulièrement forte. Après en avoir débattu avec les intéressés dans chaque département concerné, après avoir essayé de convaincre les uns et les autres, nous sommes parvenus au résultat que vous connaissez, la suppression de trente-six tribunaux de commerce. Il serait d'ailleurs préférable de parler de regroupement des tribunaux. Réformer la carte judiciaire, ce n'est pas « manier la hache » : c'est aussi renforcer certains sites. Le travail sur la carte judiciaire doit être un travail d'aménagement du territoire.

Voilà, en quelques mots, le bilan de notre travail. Celui-ci a été limité dans la mesure où nous ne sommes intervenus que dans le cadre des tribunaux de commerce : il fallait bien commencer par un bout alors que rien de concret n'avait été fait jusque là. Nous devions faire notre propre apprentissage. Nous avons à nouveau constaté à cette occasion que modifier l'équilibre des services publics signifiait également venir en aide aux territoires et aux hommes qui sont concernés par les réformes. Je pense notamment aux greffiers des tribunaux de commerce qui vivent de leur propre activité : lorsque l'on supprime un tribunal de commerce, on supprime également l'activité d'un homme et d'une équipe. Que doit-on faire ? Il n'existait pas de textes d'accompagnement. Nous les avons pris, en concertation avec la profession. Et si nous nous attaquions à d'autres juridictions, nous devrions également conforter nos outils d'accompagnement pour aider ceux qui sont concernés par la réforme. Il ne faut pas oublier les hommes qui travaillent et qui ont des droits légitimes à exercer leur activité.

Il appartient désormais à l'autorité politique de décider si nous devons continuer notre travail. Pour le moment, nous n'avons pas reçu de missions particulières pour continuer dans quelque direction que ce soit. La Garde des sceaux souhaite reposer les questions dans d'autres termes, en essayant, plus que par le passé, d'être à l'écoute des élus, à un moment où l'Etat n'est plus le seul décideur. Les élus sont concernés et doivent être pleinement associés à la démarche.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous travaillé sur le domaine judiciaire proprement dit ?

M. Flavien Errera. Nous n'avons pas reçu de mission.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Y avez-vous travaillé ?

M. Flavien Errera. Nous avons dressé des cartes.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Le document à partir duquel on pourrait élaborer des propositions existe, n'est-ce pas ?

M. Flavien Errera. Oui, nous disposons de cartes et de chiffres.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Votre travail induit des conséquences que reprend une fois de plus la Cour des comptes en soulignant, à la suite de vos travaux, des situations un peu particulières, notamment dans la région de Rouen qui comporte treize tribunaux de commerce pour deux départements, et la région d'Agen qui compte onze tribunaux d'instance pour trois départements de moins de 650 000 habitants.

Vous avez travaillé sur la carte judiciaire. Qu'il appartienne aux politiques de prendre les décisions, personne ne le conteste, c'est indiscutable, et personne ne vous demande de prendre des décisions dans ce domaine. Pour autant, vos travaux constituent une base pour la réflexion et conduisent à certaines orientations, à certaines conclusions et à certaines rationalisations.

Quelles conclusions avez-vous tirées de vos travaux ? Nous venons d'auditionner le directeur des services judiciaires qui nous a indiqué qu'il ne pouvait exprimer devant la commission que des opinions labellisées. Or, nous auditionnons l'administration pour connaître l'état de sa réflexion. L'administration réfléchit et les politiques prennent leur responsabilité.

Où en est votre réflexion ?

M. Flavien Errera. Bien évidemment, je constate un certain nombre de choses. Vous avez cité la Cour des comptes qui constate une densité plus forte de tribunaux dans certains territoires que dans d'autres. Quelles conclusions en tirer ? Pour ma part, je crois qu'il faut toujours ramener le nombre de juridictions à la population d'un ressort. On s'est beaucoup étonné de la densité des tribunaux dans le Nord. Mais il ne faut pas oublier que le Nord est le département le plus peuplé de France et que la situation économique d'une partie de ses habitants est particulièrement fragile. La notion de proximité doit être mise en avant, et être pensée en regard de la matière à juger : la notion de proximité n'a pas le même sens pour le juge des enfants et pour un tribunal de commerce. Tout ne peut être mesuré à la même aune. L'approche doit être qualitative, et pas seulement quantitative. Qu'un département économiquement très actif comme la Seine-Maritime ait trois tribunaux de grande instance ne me paraît pas particulièrement scandaleux. En revanche, dans d'autres départements, il y a des doublons. Exemple : le département de l'Allier a trois TGI. Il n'a pas le poids, ni économique, ni démographique, de la Seine-Maritime. Or, que montre la carte judiciaire ? Qu'il comporte bel et bien trois pôles économiques : une ville d'administration, Moulins, une ville tournée vers le tourisme, Vichy, un pôle industriel, Montluçon. Laquelle de ces trois villes doit attirer les activités judiciaires des deux autres ? La solution n'est pas facile à trouver, et les élus sont très partagés. Le maire de Moulins est RPR, celui de Montluçon est communiste, comme le président du Conseil régional, celui de Victhy est UDF. L'Etat n'a pas de prise face à une telle situation.

C'est pourquoi la mission de la carte judiciaire, si on souhaite la poursuivre, devra s'attacher à un travail d'analyse soucieux des réalités de terrain. Cette condition est essentielle pour poursuivre.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Que devient votre mission ?

M. Flavien Errera. La mission de la carte judiciaire a été mise en place pour donner un coup d'accélérateur à un sujet devenu lancinant. Notre seul titre de gloire, c'est d'avoir prouvé que nous étions en mesure de faire des transformations alors que l'on considérait l'objectif impossible. Avec une bonne gestion du temps de la réforme, il est possible de changer les choses.

Nous souhaiterions désormais intégrer la réforme de la carte judiciaire à la réflexion quotidienne du ministère, notamment dans ses choix d'investissement. La mission devrait maintenant être rapprochée de l'action immobilière et de la prospective. Car nous avons besoin d'inscrire nos choix dans des perspectives à moyen et à long terme : des années sont nécessaires, ne l'oubliez pas, entre le moment de la décision et le moment où elle se réalise. Il faut savoir où l'on va pour ne pas créer des palais de justice trop étroits et pour les situer aux bons endroits.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comment intervenez-vous dans la construction immobilière ?

M. Flavien Errera. Nous sommes ceux qui expriment la nature du besoin judiciaire, tant en hommes qu'en bâtiment. Comment faut-il dimensionner les salles d'audience ? Combien faut-il de salles d'audience ? Nous exprimons les besoins des usagers. Ensuite, une direction spécifique s'occupe des réalisations concrètes, des constructions.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. La ministre de la justice dispose donc de cartes et de synthèses intéressantes. Nous souhaitons, bien évidemment, que ces documents ne soient pas « la belle endormie » qui empêcherait que les décisions soient prises. Dans le cadre des fonctions que j'occupe et du rapport que je présenterai au mois d'octobre, je demanderai la communication de l'ensemble des documents à la commission. L'Assemblée nationale doit disposer de cet important travail et doit être informée des propositions qui ont été formulées.

Il nous faudra du temps pour avancer, je suis d'accord avec vous. Vous avez eu raison de parler de « transformation » des tribunaux de commerce, car comme vous l'avez bien dit, ils n'ont pas été supprimés. Le regroupement a permis de trouver des solutions auxquelles nous n'étions pas préparés. Nous rencontrerons le même type de difficultés avec les tribunaux de grande instance.

M. Gilbert Mitterrand. Je peux attester du formidable travail de terrain qui a été fait. La carte judiciaire existe sur le papier, mais elle a du mal à trouver son ancrage sur le terrain. On entend souvent dire qu'il y a beaucoup de résistance des élus, mais moi, sur le terrain, j'observe qu'il y a beaucoup de résistance du barreau.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En effet !

M. Gilbert Mitterrand. Etes-vous associé aux décisions et à quel degré ? Comment pesez-vous sur le choix du ministre ? Car un ministre n'a pas pour fonction de dire le contraire de choses qui sont bien pensées. Vous orientez donc les décisions. Quel est le chef d'orchestre ? Avant d'être labellisées, les propositions ont-elles été discutées avec les élus ? Comment organiser la transparence ? Comment organiser la concertation ?

M. Flavien Errera. Ce qui nous manque, c'est de la visibilité. Il y a plusieurs légitimités, celles des élus, celles des acteurs de terrain. Le dialogue doit être très constructif. Modifier la carte judiciaire est une chose, appliquer les réformes sur le terrain en est une autre. Comment procéder ? L'Isère, par exemple, est le département qui a connu la plus forte croissance démographique de ces dernières années. La ville de Grenoble a son ressort, comme celle de Vienne et de Bourgoin. Je suis allé à plusieurs reprises sur le terrain pour leur faire part de mes réflexions et tenter de trouver une solution où les intérêts de tous seraient pris en compte. Dans le Puy de Dôme, les tribunaux d'instance de Clermont-Ferrand et de Riom sont distants de 17 kilomètres ! Quelle est la valeur ajoutée d'un tribunal par rapport à l'autre ? Un travail de concertation local est à entreprendre pour éviter les doublons.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La cour des comptes souligne que le principe d'inamovibilité des magistrats pose problème au regard du regroupement des juridictions.

M. Flavien Errera. Certes, mais le statut de magistrat comporte d'autres dispositions. On ne peut pas empêcher la suppression d'un tribunal. En contrepartie, les magistrats doivent se voir offrir plusieurs possibilités de reclassement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Un simple arrêté suffit-il à supprimer une juridiction ?

M. Flavien Errera. Non, un décret en Conseil d'Etat est nécessaire.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Pour toutes les juridictions ?

M. Flavien Errera. Toutes, et après une concertation locale obligatoire, conformément au décret du 20 octobre 1998 qui rend obligatoire une étude d'impact.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Même chose pour les modifications de ressort ?

M. Flavien Errera. Même chose.

M. Jean-Jacques Jégou. Y a-t-il une concertation entre les services concernés par les propositions d'équipement ?

M. Flavien Errera. C'est un sujet différent qui porte sur la partie immobilière de l'activité judiciaire et qui est indépendant de la carte judiciaire. Vous avez auditionné M. Zulberty. Ma sous-direction comprend quatre bureaux dont un qui s'occupe des questions immobilières sous l'angle de l'expression des besoins, non de la construction elle-même. Nous ne traitons donc pas les opérations immobilières.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Monsieur Zulberty nous a annoncé la création d'un établissement public. La mission de la carte judiciaire y sera-telle associée ?

M. Flavien Errera. La délégation générale au programme pluriannuel d'équipement est une mission à grande échelle qui a besoin d'inscrire son activité dans une certaine autonomie. Le conseil d'administration de l'établissement public comprendra les directions concernées, notamment la direction des services judiciaire de même que l'administration des services pénitentiaires. L'établissement public est une étape dans la consolidation d'un fonctionnement un peu empirique, institué lorsque l'État s'est trouvé brutalement face à la nécessité de gérer lui-même un patrimoine immobilier de plus de 1.700.000 m², en application des lois de décentralisation.

M. Gilbert Mitterrand. La carte judiciaire peut-elle avoir un impact en termes de personnel et d'affectation ?

M. Flavien Errera. La direction des services judiciaires comporte trois sous-directions, dont deux sous-directions des personnels. La sous-direction dont j'ai la responsabilité s'occupe de l'organisation judiciaire. C'est le directeur des services judiciaires qui fait la synthèse entre les besoins des uns et des autres, sous le contrôle du cabinet de la ministre.

M. Gilbert Mitterrand. Vous ne participez donc pas aux consultations en matière de personnel ?

M. Flavien Errera. Je dis ce que j'ai à dire sur la carte judiciaire. La carte judiciaire ne peut pas tout commander, mais elle doit tout influencer.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est une bonne formule.

M. Augustin Bonrepaux, président. Y a-t-il d'autres observations ?

Monsieur Errera, je vous remercie.

3.- M. Thierry Roy, coordinateur du service administratif régional de Rennes ; M. Olivier Aimot, premier Président de la Cour d'appel de Rennes

Présidence de MM. Augustin BONREPAUX et Jean-Pierre DELALANDE

a)Audition de M. Thierry Roy, coordinateur du service administrati régional (SAR) de Rennes :

M. Augustin Bonrepaux, co-Président. : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Thierry Roy, coordinateur du service administratif régional de la Cour d'appel de Rennes. Je tiens à le remercier, ainsi que les membres de la Cour des comptes venus nous assister.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial : Dans un premier temps, je souhaiterais que vous décriviez l'organisation et l'importance du service administratif régional de Rennes. Quels effectifs ? Quel budget ? Quelles activités ? Quelles sont vos fonctions ?

M. Thierry Roy : Le SAR de Rennes a été créé en 1996 à la suite de la décision de la Chancellerie de mettre en place un centre régional d'administration pour les Cours d'appel. Il est composé d'un coordonnateur qui peut être un magistrat ou un greffier en chef pour les cinq cours les plus importantes - Rennes, Versailles, Aix-en-Provence, Douai et Paris - un greffier en chef pour les autres.

La Cour d'appel de Rennes et celle de Paris ont été les seules à choisir un magistrat pour assurer les fonctions de coordonnateur. Celui-ci est à la tête de quatre bureaux regroupant la gestion des ressources et celle des moyens.

Pour la gestion des ressources : le bureau de la gestion budgétaire et le bureau de la gestion de l'informatique ; pour la gestion des moyens : le bureau de la gestion des ressources humaines et celui de la formation régionale.

Vingt-deux personnes sont réparties dans les quatre bureaux du SAR de Rennes et sont installées à côté du Parlement de Bretagne.

La Cour d'appel regroupe cinq départements, soit soixante sites judiciaires. Le budget de fonctionnement s'élève à 64 millions de francs pour 2001 et se répartit en trois budgets régionaux - informatique, entretien immobilier et frais de déplacement - et les budgets de fonctionnement proprement dit des arrondissements judiciaires. La formation régionale est un budget à part puisqu'il arrive directement de la Chancellerie et n'est pas soumis à notre arbitrage.

Le budget de l'entretien immobilier ne concerne que les programmes de moins de 500 KF. Les programmes d'un montant supérieur relèvent du titre V. Ils sont arbitrés par la Chancellerie et gérés par l'antenne régionale de l'équipement qui dépend de la Direction de l'Administration Générale et de l'équipement à la Chancellerie.

Ces programmes de plus de 500 KF sont confiés à l'antenne régionale de l'équipement qui sous-traite avec les DDE locales, ou sont gérés directement par la DGPPE, un service de la Chancellerie qui s'occupe des gros programmes de construction des juridictions.

Au plan du titre V, le rôle du coordonateur consiste à suivre les arbitrages qui concernent les décisions de constructions ou de restructurations importantes. Il n'en n'a pas la maîtrise, mais il assure un suivi. De même, en coordination avec l'antenne régionale et les bureaux du SAR, il assure le suivi des programmes d'accompagnement qui achèveront un programme permettant aux juridictions de s'installer ou d'occuper les nouveaux locaux. Je pense en particulier aux installations informatiques, mobilières, aux opérations de déménagement, une fois la remise des clés ou l'opération immobilière terminée.

M. Didier Migaud, Rapporteur général : Pourriez-vous apporter des précisions sur le niveau de consommation de vos crédits ?

M. Thierry Roy : Sur les 64 millions, 25 % des crédits ont été consommés. Les engagements ont été réalisés à hauteur de 50 millions, mais les consommations sont de l'ordre de 14 à 15 millions. Le suivi des engagements comptables et juridiques s'effectue par l'intermédiaire du logiciel Gibus qui enregistre les données des cellules de gestion d'arrondissement - douze pour la Cour d'appel de Rennes, et treize lorsque l'on compte la Cour d'appel, considérée comme un arrondissement au sens budgétaire du terme. Chacun de ces arrondissements enregistre ses engagements et les adresse au SAR pour vérification, avant envoi aux préfectures pour mandatement. Les enregistrements sont consolidés par des transmissions, au fur et à mesure de leur arrivée.

M. Didier Migaud, Rapporteur général : Avez-vous une idée précise du niveau de consommation de votre budget de l'année dernière ? Y a-t-il a un décalage entre les autorisations et les dépenses effectives ?

M. Thierry Roy : Les reports se sont élevés à 3 millions de francs. Ils correspondent à des factures de fin de gestion, parvenues au moment ou après la clôture de l'exercice, ou à des contrats qui n'étaient pas correctement exécutés et qui ont entraîné des refus de facture. Il faut également prendre en compte l'opération de déménagement du tribunal de grande instance de Nantes, retardée d'un à deux mois à la suite du retard des travaux. Cela a provoqué des difficultés de gestion dans cette juridiction qui a reçu une délégation spécifique assez importante qu'elle n'a pas eu le temps de dépenser totalement une fois son occupation dans le nouveau palais de justice de Nantes.

Pour une grande part, la somme de 3 millions correspond à des dépenses de la fin de l'année 2000 qu'il était normal de reporter en début de gestion sur l'exercice 200. Quant à la situation de Nantes, elle ne devrait pas se reproduire cette année.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. : Il serait intéressant que notre rapporteur spécial et notre rapporteur pour avis puissent bénéficier d'un certain nombre d'informations sur le niveau de consommation des crédits.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial : Pouvez-vous distinguer entre fonctionnement et investissement ?

Vous venez de nous indiquer que trois millions n'avaient pas été engagés à la fin de l'année. C'est raisonnable, et je n'ai pas de critiques à formuler. Mais cette somme correspond-elle à de l'investissement ou du fonctionnement ?

M. Thierry Roy : Du fonctionnement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial : Qu'en est-il de l'investissement ?

M. Thierry Roy : Je n'ai pas la maîtrise du titre V : c'est l'antenne régionale de l'équipement qui le gère.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. : Si j'ai bien compris, vous avez la maîtrise des sommes inférieures à 500 000 francs.

M. Thierry Roy : S'agissant de l'entretien immobilier, tous les crédits ont été consommés.

L'année dernière, il y a eu des tensions au niveau du choix des entrepreneurs sur certains projets. Cette situation a décalé dans le temps des engagements. Mais le détail du bilan 2000 pour l'entretien immobilier montre que l'intégralité du budget - 5,2 millions - a été consommé.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. On ne peut pas vous imputer ce qui relève de la responsabilité de la Chancellerie.

M. Thierry Roy : Nous ne suivons d'ailleurs pas le titre V.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Souhaiteriez-vous pouvoir le suivre ?

M. Thierry Roy. La création des antennes de l'équipement, à la suite de la décentralisation, est une bonne chose. Mais aujourd'hui, le double rattachement entre la DAJ et la DSJ pose un problème de coordination. Il serait souhaitable que les antennes de l'équipement soient rattachées aux SAR. Le problème se pose plus entre la DAGE et la DSJ qu'au niveau des Cours d'appel.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous aimeriez disposer au moins d'un ingénieur détaché de l'équipement.

M. Thierry Roy. Pendant longtemps, la Chancellerie a inscrit à son ordre du jour la proposition d'engager des techniciens en conseil immobilier, qui seraient détachés auprès des chefs de Cour. Mais le projet n'a pas encore abouti.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Exercez-vous également vos fonctions de président de chambre ?

M. Thierry Roy. Non, le détachement est complet.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous avez été choisi dans ces fonctions par le président de la Cour d'appel.

M. Thierry Roy. En effet, j'étais à l'époque son secrétaire général. Au moment de l'incendie du Parlement de Bretagne, en 1994, je me suis occupé d'installer la Cour d'appel dans des locaux provisoires, puis dans des locaux aménagés. Ensuite, j'ai suivi les travaux de restructuration du Parlement de Bretagne, en vue du retour de la Cour d'appel.

Cette double « casquette » - suivi de chantier et suivi du ressort en qualité de secrétaire général - est à l'origine de la relation de confiance qui s'est tissée avec la premier président. Celui-ci a souhaité que je prenne la responsabilité de coordonnateur du SAR au moment où la fonction a été mise en place.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Aviez-vous reçu une formation à la gestion, aux techniques immobilières ou aux techniques de financement ?

M. Thierry Roy. Comme procureur chargé des affaires financières, j'ai été en partie formé à la gestion et à la comptabilité. A la Cour d'appel de Paris où j'ai été secrétaire général au parquet général, j'ai suivi un certain nombre de dossiers de gestion. Par contre, je n'ai suivi aucune formation sur les financements immobiliers. Pour le Parlement de Bretagne, c'est la DGPPE qui passait les marchés publics. Mes fonctions antérieures m'ont également amené à passer des marchés publics en tant que responsable de la préparation des dossiers pour la signature du Préfet. La formation de juriste n'est donc pas négligeable.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous suivi une formation à la technique des marchés publics ?

M. Thierry Roy. Bien sûr ! Les formations aux marchés publics sont plus qu'indispensables.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Comment suivez-vous la consommation des crédits sur les 67 sites ?

M. Thierry Roy. Par le logiciel Gibus.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Uniquement ?

M. Thierry Roy. Oui.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Allez-vous sur le terrain ?

M. Thierry Roy. Bien sûr ! Les rendez-vous se font à plusieurs niveaux. La conférence régionale budgétaire vient de s'achever. Elle est en cours de formalisation par les arrondissements. J'y participe avec le responsable de la gestion budgétaire.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Qui participe à la conférence ?

M. Thierry Roy. Les présidents, les procureurs et les chefs de greffes de toutes les juridictions de l'arrondissement du tribunal de grande instance, de la cellule de gestion, des juridictions satellites : tribunaux d'instance, conseils de prud'hommes et tribunal de commerce. Tous ces gens ont une conférence d'arrondissement où ils préparent leur demande budgétaire. Le coordonnateur et le responsable de la gestion budgétaire assistent aux réunions pour prendre connaissance des priorités que développe chacun des chefs de juridiction. Ensuite, nous les laissons arbitrer et harmoniser leurs priorités au sein de l'arrondissement. A cette occasion, nous leur transmettons les directives des chefs de Cour en matière de politiques annuelles budgétaires - programmation, dépenses de fonctionnement.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. C'est à ce moment que vous recevrez votre lettre de mission de la Chancellerie qui vous informe du montant des crédits dont vous allez disposer.

M. Thierry Roy. Non, nous en sommes informés au début de l'année suivante. Lors de la préparation budgétaire, c'est la partie « rêve » de la demande.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. A quel moment prenez-vous connaissance du montant votre enveloppe budgétaire ?

M. Thierry Roy. Fin décembre.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Au moment du vote du budget.

M. Thierry Roy. Les dernières circulaires annoncent un raccourcissement de la période de notification de la dotation globale de fonctionnement. Le dispositif permettra d'anticiper la répartition de la dotation entre les arrondissements et les budgets régionaux et d'accélérer le circuit. Il faut reconnaître que le contrôle financier déconcentré a été une avancée en matière de responsabilisation de la gestion mais il est vrai aussi que le processus est assez lourd au sein de la Cour d'appel de Rennes qui est extrêmement étendue dans sa géographie. Il faut deux heures et demi pour se rendre à Brest. Le recollement des douze budgets d'arrondissement avec leurs fiches financières, leurs bilans de gestion, l'analyse des écarts et la demande de fiches financières, est une procédure lourde où l'échelon départemental fait un peu défaut.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous avez été secrétaire général de la Cour d'appel de Rennes. Le SAR est un instrument qui ne date que de 1996. Si vous deviez faire le bilan entre l'ancien et le système actuel, qu'est-ce que le SAR apporte ? Quels sont les inconvénients ? Qu'est-ce qui est positif ? Négatif ? En quoi le SAR est-il perfectible ?

M. Thierry Roy. Positif, le SAR l'est en ce qu'il est un outil de concentration de l'information assez performant. Il y a une remontée des informations vers la Cour, un regroupement des informations en provenance des arrondissements.

Le SAR est ensuite un prestataire technicien, de par sa spécialité régionale : en matière d'informatique, c'est évident. En matière budgétaire, il devrait le devenir davantage avec le développement des marchés publics. En matière de formation régionale et de gestion des ressources humaines, la décentralisation étant assez faible à ce niveau, il n'a pas une incidence majeure.

Qu'est-ce qui est négatif ? Nous sommes passés de l'échelon départemental à l'échelon régional en faisant table rase du département. C'est un peu gênant, car la cellule départementale est indispensable puisque les crédits demeurent gérés en préfecture. Il n'y a pas coïncidence entre notre découpage administratif, puisque la Cour d'appel de Rennes englobe la Loire-Atlantique : deux trésoriers payeurs généraux et cinq préfectures ne facilitent pas toujours les liaisons et les relations.

Du fait de sa technicité accrue, il faut éviter que le SAR ne prenne le pouvoir ou ne contrôle de façon trop stricte les juridictions en leur enlevant leur autonomie et leur responsabilisation de gestion. L'éloignement rend possible les instructions écrites et le non respect de l'autonomie de gestion qui reste souhaitable au plan de la gestion locale.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En quoi le dispositif vous paraît-il perfectible ?

M. Thierry Roy. Il l'est certainement au plan des marchés publics. Jusqu'à présent, la démarche restait totalement inconnue des arrondissements judiciaires et des juridictions. La perfection peut-être facilement atteinte, puisqu'on part de zéro pour aller vers un respect du code. Perfectible également au plan de la gestion et du contrôle de gestion. Le système actuel de collecte des statistiques par le centre statistique de Nantes remonte à la Chancellerie avant d'être répercuté sur les Cours d'appel un an après. Nous sommes donc obligés de mettre en place un outil statistique régional, personnel, alors qu'il existe un outil perfectionné à Nantes.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Comment expliquez-vous cette situation ?

M. Thierry Roy. Par une culture très centralisée. Les statistiques mensuelles doivent être validées avant d'être « moulinées » et répercutées sur les SAR.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. On n'a pas de confiance dans les statistiques régionales ?

M. Thierry Roy. Non, alors que, au bout du compte, les résultats statistiques sont tout à fait voisins.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce ne sont pas les mêmes ?

M. Thierry Roy. Si, l'analyse statistique n'est cependant pas assez poussée pour une optimisation des moyens et une meilleure utilisation des fonds.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Nous pourrions demander de décentraliser ce dispositif.

M. Thierry Roy. Ce serait utile. Il est toujours prévu d'adjoindre des modules statistiques, par exemple aux logiciels applicatifs « chaînes civils », mais ce projet est en cours de développement. Cela permettrait de gagner du temps plutôt que de tenir des tableaux qui restent en parallèle à des données déjà collectées.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Comme ancien statisticien, je me méfie toujours de la validation des statistiques. Parfois, il est préférable de disposer d'une série brute, plutôt que d'attendre un an.

M. Thierry Roy. Il faut surtout en disposer dans un temps plus proche afin de faire vraiment du contrôle de gestion. Nous avons nos propres statistiques régionales.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Parallèles ?

M. Thierry Roy. Oui.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il y a donc doublon.

M. Thierry Roy. En effet.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. L'implication du Préfet dans le dispositif financier ne vous semble-t-il pas constituer un archaïsme ?

M. Thierry Roy. En effet !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il intervient pour ordre.

M. Thierry Roy. Tout dépend des préfets. Certains examinent scrupuleusement les dossiers, d'autres laissent faire et donne leur visa d'approbation.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le processus  est-il alourdi ?

M. Thierry Roy. Non. Un magistrat délégué à l'équipement est chargé d'assister aux commissions administratives régionales.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre analyse ?

M. Thierry Roy. A partir du moment où la justice n'a pas fait la preuve de ses qualités de gestion, je conçois qu'on ne lui donne pas les rênes de l'ordonnancement secondaire.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. A ce propos, l'informatisation de la justice a été une expérience fâcheuse. On a le sentiment que de nombreuses juridictions sont très en retard. Le SAR vous paraît-il l'instrument pertinent pour réaliser l'information ?

M. Thierry Roy. Absolument ! Il me paraît d'ailleurs le seul qui soit en mesure de le faire. Tous les programmes nationaux sont très lourds. Les programmes régionaux, à partir du moment où ils sont encadrés, où il y a une homogénéisation des applicatifs permettent une réactivité tout à fait satisfaisante. Le problème est qu'on est débordé par le succès de l'informatique et qu'il y a actuellement un manque de techniciens informatiques ou d'un corps interministériel spécialisé dans la prise en charge du suivi informatique et de la maintenance informatique. Mais on ne rencontre plus de problèmes d'informatisation. Dans le ressort de la Cour de Rennes, tous les bâtiments sont câblés et l'intranet est à deux tiers de son déploiement total. Tous les grands services - pénal, civil, instruction - sont équipés.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Les personnels sont-ils formés ?

M. Thierry Roy. Bien sûr ! Les investissements réalisés depuis quatre ou cinq ans donnent des résultats, aussi bien au plan de l'achat de matériel que pour l'implantation de logiciels. Une politique régionale de correspondants locaux informatiques - à effectifs constants - a été mise en place dans les juridictions. Ils ont été formés comme technicien de premier niveau et « médecins » de première urgence. Pour un diagnostic, ils sont un relais utile pour les techniciens informatiques des SAR.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La maintenance est-elle assurée de manière satisfaisante.

M. Thierry Roy. Je crois que oui. Elle fait l'objet d'un contrat annuel passé entre la Chancellerie et une société de maintenance nationale - SMN - qui a des agences régionales.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce dispositif centralisé doit-il être maintenu ?

M. Thierry Roy. Il s'agit d'un marché public. Il est donc difficile de faire autrement, vu les montants en jeu. Le marché est renouvelé tous les trois ans.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Etes-vous satisfait de cette maintenance ?

M. Thierry Roy. Oui. Les problèmes que l'on rencontre sur des changements de disques durs sont marginaux.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Les délais d'intervention ne vous semblent pas trop longs ?

M. Thierry Roy. Non, car nous n'avons pas pioché dans la sous-traitance. Le SAR de Rennes a toujours considéré que le bureau de l'informatique devait avoir le contrôle total de toutes les applications, de tous les matériels et de tous les logiciels de la Cour. La maintenance se réduit aux disques durs cassés et à des changement de postes. Tout ce qui est logiciel ne relève pas de la société de maintenance.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Mais du SAR.

M. Thierry Roy. Pour les logiciels d'initiative locale, oui. Quant aux logiciels labellisés, une société intervient dans le cadre de son propre marché.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le SAR est-il en mesure de faire la maintenance des logiciels.

M. Thierry Roy. Oui, pour tout ce qui est serveur et paramétrage. Pour les logiciels applicatifs, c'est la société éditrice qui intervient.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Les collectivités locales, par exemple, rencontrent des problèmes de recrutement de personnel compétent en matière informatique parce que la législation ne nous permet de les payer à un niveau de rémunération concurrentiel avec le secteur privé. Rencontrez-vous ces problèmes ?

M. Thierry Roy. Jusqu'à maintenant, non. Les trois techniciens informatiques que nous avons recrutés ne posent aucune difficulté et donnent toute satisfaction.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Sont-ils payés à un salaire comparable à celui du marché ?

M. Thierry Roy. 13 000 francs par mois.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce n'est pas le prix du marché.

M. Thierry Roy. Non, mais la garantie d'emploi est un atout, tout comme la Bretagne qui exerce une forte attraction.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous pu mesurer la productivité gagnée par l'informatisation ?

M. Thierry Roy. Pas encore, parce que le degré de pénétration est assez lent. Nous sommes passés du néolithique à l'informatique. Il ne faut pas oublier que les résultats sont assez différents selon que l'on se trouve ou non en face d'un magistrat qui accepte de s'impliquer dans le fonctionnement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle degré de pénétration avez-vous atteint  ?

M. Thierry Roy. Pratiquement 90 % !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est pas mal !

M. Thierry Roy. En effet ! L'informatique de premier niveau a consisté à installer des postes et à assurer des formations sous DOS, et dans un second temps, des logiciels applicatifs plus perfectionnés, comme les chaînes civiles.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. 90 % des magistrats utilisent-ils un micro ?

M. Thierry Roy. Non, je n'irai pas jusque là pour les magistrats. Oui pour les fonctionnaires.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Donc, 100 % des fonctionnaires utilisent l'informatique, contre moins de 90 % de magistrats.

M. Thierry Roy. Dans les tribunaux d'instance, on a du mal à utiliser les postes mis à disposition. Le logiciel Pactic a été installé dans tous les tribunaux d'instance, mais il n'est pas toujours utilisé. Certains tribunaux où travaillent trois personnes peuvent disposer de six PC. C'est plutôt étrange.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Les gains de productivité se mesurent dans le cadre des jugements répétitifs - affaires de loyer et affaires matrimoniales, par exemple. Dans cette justice de masse, l'informatisation de la juridiction atteint-elle une pénétration satisfaisante ?

M. Thierry Roy. C'est évident ! Un tribunal comme celui de Lorient a pu diminuer son stock d'affaires civiles de 10 % en cinq ans grâce à l'informatique. A Brest, une des deux chambres de la famille a utilisé de façon beaucoup plus optimisée que l'autre les moyens informatiques mis à sa disposition. Au bout un an, on constate une différence de 50 % dans leur stock respectif de gestion d'affaires.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il existe donc des gisements considérables.

M. Thierry Roy. Oui, mais dans une certaine limite seulement. Il existe des gisements de gain de productivité au niveau de la gestion d'un certain nombre de contentieux. Le problème, c'est plutôt de trouver au sein d'une juridiction un ou plusieurs éléments motivants ou motivés qui mettent en musique la gestion du stock de leur chambre, en harmonie avec le greffe, de façon à optimiser le traitement des affaires. Pour certains dossiers, l'informatique n'est d'aucun secours et pour d'autres types de contentieux, elle est indispensable, au prix de la survie même de la chambre. Dans une même chambre, il peut exister deux stocks, l'un informatisé, l'autre pas. Tout l'art est d'apprendre à se servir des modules statistiques des logiciels pour faire l'inventaire des stocks et le gérer en fonction des éléments de connaissance apportés par le logiciel.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Quels freins rencontrez-vous  ?

M. Thierry Roy. Le temps ! Réorganiser un service, c'est prendre du temps sur le temps, c'est se réunir, se concerter. Ce sont les obstacles habituels que l'on rencontre dans tous les services. On travaille le nez dans le guidon, sans prendre le temps de prendre du temps. On trouve des gens débordés, des greffiers en chef qui ont de multiples tâches, qui sont d'accord avec le discours qu'on leur tient, mais qui ne trouvent pas le temps de le mettre en _uvre. On leur offre des formations de cadres axées sur la réorganisation d'un service, mais ils n'ont pas le temps d'y aller.

C'est un peu cela la politique que doit mener le SAR vis-à-vis de tous ces chefs de greffe ou de juridiction qui sont souvent débordés par des tâches de gestion et d'administration, d'archives, d'absentéisme, de gestion de juridiction, de suivi de la gestion. L'éclatement des cellules départementales a fait revenir sur les petits arrondissements la charge de la gestion de l' arrondissement, et les cellules de gestion n'ont pas été renforcées dans les petits tribunaux. Le greffier en chef de Saint-Malo, par exemple, a dû reprendre la gestion de tout l'arrondissement en plus de ses fonctions antérieures.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre appréciation sur l'influence et l'implication des greffes par rapport au SAR. Le SAR a-t-il plus d'efficacité sur les greffes que ne pouvait en avoir le secrétaire général ?

M. Thierry Roy. Tout s'est déroulé à un niveau différent. La culture judiciaire est une triarchie curieuse - président, procureur, greffier en chef. Le SAR, lui, opère de façon assez transversale. Dans une Cour comme celle de Rennes, le fait que je sois magistrat a beaucoup aidé, puisque j'ai un rapport d'égal à égal avec le président de Nantes par exemple. La situation est plus difficile dans un SAR où le coordonnateur est greffier. Il doit alors convaincre un président de juridiction d'un grade beaucoup plus élevé et qui a une conception de son autorité beaucoup plus forte. Pour un magistrat, il est plus facile de dire ce qu'on pense à un chef de juridiction qui néglige la gestion.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Et à un greffier en chef ?

M. Thierry Roy. Aussi. A partir du moment où le SAR ne se présente pas comme un contrôle a priori, mais comme un contrôle a posteriori, comme un prestataire de services et de conseils, le greffier en chef ne voit que des avantages à son intervention.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous un greffier en chef dans votre équipe ?

M. Thierry Roy. Nous en avons quatre. Tous les chefs de bureau sont des greffiers en chef.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre relation avec le Parquet ?

M. Thierry Roy. Très faible. Le pénal reste au niveau informatique suivi pas la Chancellerie, ce qui n'est pas une bonne chose. Les logiciels pénaux sont toujours en retard, mais les postes des magistrats du Parquet sont en revanche de la responsabilité du SAR.

J'ai parlé de l'évolution de l'informatique. Aujourd'hui, grâce aux messageries, on intervient de façon transversale sur tous les postes, qu'ils soient pénaux ou civils. Or, avec l'intranet et la messagerie, la plupart des interventions des équipes techniques se font aussi bien sur des postes pénaux que civils.

Le SAR a très peu de relations avec le Parquet, mis à part les rendez-vous dyarchiques lors des réunions des conférences budgétaires et la gestion des besoins informatiques des magistrats du Parquet qui font que les procureurs s'adressent au SAR.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Volontairement ou statutairement ?

M. Thierry Roy. Culturellement, les présidents de juridiction sont traditionnellement plutôt chargés de l'administration des juridictions. Ils sont chefs d'établissement la plupart du temps. Donc, ils sont plus sensibilisés aux problèmes de sécurité, de tout ce qui peut accompagner la mise en _uvre de la sécurité. Les Parquets, c'est par le biais de la sûreté. Ils interviennent auprès du SAR lorsqu'il y a des travaux qui intéressent une salle d'assise, un circuit de détenu, des implications immobilières qui mettent en jeu leur pré carré.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous n'intervenez pas dans l'immobilier du Parquet.

M. Thierry Roy. Ça ne veut pas dire grand chose. C'est l'ensemble de la juridiction qui est intéressée. La plupart du temps, on met sur le poste de l'accueil aussi bien la chaîne pénale que civile pour que les gens aient leur rendez-vous d'audience.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Et pour l'amélioration des locaux ?

M. Thierry Roy. Si on prend l'exemple de la mise en place d'un service de traitement direct des procédures pénales, c'est à la demande du procureur que l'antenne de l'équipement et les équipes du SAR interviennent.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le procureur n'est pas obligé de faire appel à vous pour rénover les bureaux de son substitut ? Le fait-il parce que c'est mieux ?

M. Thierry Roy. Non. D'abord, il est obligé de le faire, car s'il veut abattre des cloisons, construire des murs ou installer des portes, l'antenne de l'équipement doit donner un avis technique. Ensuite, budgétairement, il faut qu'il présente le programme qui n'est pas un programme « Parquet », mais un programme d'arrondissement comme un autre, qui doit être priorisé par l'arrondissement. Ensuite, ce programme n'est pas plus « Parquet » que « Siège », même s'il intéressera celui-là ponctuellement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Votre équipe comprend-elle un représentant du Parquet ?

M. Thierry Roy. Aucun, ce sont tous des greffiers.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Il n'y a pas de substituts qui sont mêlés à la gestion du SAR ?

M. Thierry Roy. Non, je suis le seul.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Vous avez eu deux chantiers importants dans votre ressort : la reconstruction de la Cour d'appel de Rennes et la construction du tribunal de Nantes. Quel a été votre rôle ?

M. Thierry Roy. S'agissant de la Cour d'appel de Rennes, il était essentiel d'avoir un utilisateur sur place. Tous les dysfonctionnements que j'ai pu enregistrer dans les nouveaux palais de justice s'expliquent pas l'absence de relations suffisantes entre la DGPPE - donc Paris - et l'utilisateur final. Les délais sont tellement longs entre le moment où l'on prend une décision politique de créer un nouveau site judiciaire et sa réalisation qu'il est bien rare que le plan d'origine corresponde bel et bien aux attentes d'une justice du XXIème siècle. Pour le nouveau palais de justice de Nantes, par exemple, aucune banque d'accueil n'était prévue, ce qui peut paraître curieux pour un programme moderne. Mais à l'époque, on n'insistait pas sur ce service qui aujourd'hui est absolument incontournable.

Quant à la répartition des services, elle évolue à une vitesse très rapide. La création des agents de justice, des assistants de justice font que l'ancienne répartition - un juge et ses deux assesseurs et son greffe - est devenue en partie obsolète. Aujourd'hui, on fait des pôles de mise en état, on répartit les magistrats à proximité des greffes. La conception de l'architecture intérieure mérite d'être suivie au fur et à mesure du chantier pour être sûr de se tromper le moins possible à l'arrivée et anticiper au mieux les évolutions les plus récentes.

La signalétique, également, relève d'une très bonne connaissance de la culture judiciaire pour éviter un système dépassé au moment où le bâtiment ouvre.

Les architectes ont souvent une conception monacale de la justice. Ils s'escriment à mettre dans les salles d'audience des lutrins. Il faut leur montrer qu'un dossier posé dessus ne tient pas debout pour qu'ils acceptent d'installer des tablettes droites. Ils ne savent pas que le ministère public parle debout, et ils installent des micros comme celui dans lequel je parle. Ce sont des détails que l'on découvre quand le chantier est fini.

De même, il y a des interventions multiples à tous les niveaux, pour les clés, pour le téléphone, la répartition des téléphones et les droits de sortie ; le déménagement, la répartition des meubles, bref tout un ensemble de points qui conditionnent la bonne ambiance d'une juridiction qui déménage et son implantation dans les nouveaux locaux. Les services du courrier sont en général très mal conçus par la DGPPE qui ne sait pas comment le système fonctionne concrètement.

Ce sont ces petits problèmes qui accompagnent le chantier en lui-même et qui conditionnent la réussite d'un tribunal. On l'a bien vu à Bordeaux où la succession trop rapide de présidents pendant la construction du bâtiment a abouti à un rejet du greffon lorsque la juridiction s'est installée dans des lieux qui sont un plaisir d'architecte, mais pas un bâtiment fonctionnel.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Portez-vous une appréciation sur la carte judiciaire de votre Cour d' appel ?

M. Thierry Roy. Bien sûr. A la demande de Flavien Errera, nous avions répondu à la réforme de la carte judiciaire. Mais il s'agit d'un serpent de mer qui a disparu une nouvelle fois dans les tréfonds des tiroirs de la Chancellerie. C'est un débat très compliqué. On peut se battre pour une justice très technocrate et décider de créer un seul tribunal de grande instance par département. C'est efficace, même si des polémiques vives ne manqueraient pas d'éclater. On peut aussi vouloir faire de la justice de proximité. Cela coûte cher, il faut maintenir en place des installations beaucoup trop grandes.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous avez évoqué les difficultés dans la relation avec les préfets dans le circuit financier.

M. Thierry Roy. L'organisation judiciaire leur paraît très compliquée. Il faut reconnaître que pour un préfet ou pour un trésorier payeur général, l'organisation des quatre directions de la Chancellerie - la PJJ, la pénitentiaire, la direction des services judiciaires et la DAGE - doit être mystérieuse, d'autant plus que les quatre directions ont chacune des implantations régionales ou départementales différentes.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous n'avez aucune relation avec la PJJ ou la pénitentiaire ?

M. Thierry Roy. Non, sinon que cette année, pour la première fois, nous avons eu un refus d'une facture au motif que la trésorerie générale a semble-t-il cumulé des factures d'achat de mobilier à partir d'un même fournisseur en constatant qu'il avait reçu plus de 300 000 francs cumulés de la part de la PJJ et d'une juridiction de la Cour d'appel de Rennes. Ce sont des budgets tout à fait différents pour lesquels je ne comprends pas que le cumul ait pu être fait au niveau de la préfecture.

Cela dit, je pense qu'il faut cumuler les budgets au plan de l'achat.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. On pourrait donc imaginer une extension des compétences des SAR ?

M. Thierry Roy. Je pense que les compétences des SAR devraient aller au-delà de la DSJ au niveau régional, c'est-à-dire regrouper la PJJ, la pénitentiaire afin de disposer de services informatiques commun, de services d'achat de mobilier et de fourniture communs. La pénitentiaire a ses spécificités, la PJJ a aussi des rayons d'action tout à fait différents. Elle gère des établissements qui sont en relation avec les conseils généraux. Ils ont donc des rayons d'action totalement indépendants du circuit de la DSJ. En revanche, pour certains achats - mobilier technique, mobilier de bureau - je ne vois pas ce qui empêcherait les budgets d'être fusionnés et confiés à un organisme commun, ce qui éviterait d'avoir autant de bureaux à la Chancellerie responsables de chacune des directions.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Et moins de procédures d'appel d'offres.

M. Thierry Roy. Voilà, des procédures d'appel d'offres qui seraient rentabilisées au niveau de l'estimation des besoins et de la gestion.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Tout cela pose le problème du statut du SAR qui est aujourd'hui relativement indéfini. Il s'agit d'une création nouvelle. Avez-vous un souhait ? Une appréciation ? Certains pensent qu'il faudrait placer à la tête des SAR des fonctionnaires, des administrateurs civils. D'autres soutiennent qu'il est indispensable d'avoir des magistrats.

M. Thierry Roy. Il y a une frilosité de la Chancellerie sur ce point que je ne comprends pas. Je ne pense pas que les magistrats aient vocation à faire de la gestion. Ce n'est pas leur fonction naturelle. Ils ne sont pas formés pour cela. A terme, je pense que les administrateurs civils auraient beaucoup plus leur place au sein des SAR. Quelle serait leur relation avec les chefs de Cours et de juridictions ? C'est un problème mais à partir du moment où l'ampleur des problèmes d'administration et de gestion seront de plus en plus importants, je ne crois pas que l'on fera l'économie de cette transition.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. La transition pourrait se faire avec le regroupement des différents services au plan de la gestion. Vous, vous êtes une exception puisque vous avez cette double formation de gestionnaire et de magistrat. Vous êtes un magistrat, mais en même temps, un administrateur reconnu. 

M. Thierry Roy. En effet, c'est pour cela qu'il est difficile de me prendre comme exemple. Dans une « grosse boutique » comme Paris, il faut de l'autorité.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle forme juridique doit prendre le SAR ?

M. Thierry Roy. Actuellement, elle n'existe pas. Un statut est en gestation et fait l'objet d'âpres controverses mettant en jeu le corporatisme des greffiers en chef, des magistrats et une limitation du nombre d'administrateurs civils qui auraient vocation à entrer dans les SAR. C'est un débat un peu dépassé, à mon avis. Dans le code d'organisation judiciaire, il est utile de reconnaître le SAR. Il a sa raison d'être et son positionnement au plan régional est tout à fait légitime. Je souhaite même son extension aux autres directions de la Chancellerie sur certains points.

Un statut serait la solution, car si l'on créé un SAR interministériel, il sera détaché de la Cour d'appel qui ne représente que la direction des services judiciaires et qui n'a pas autorité ni sur l'administration pénitentiaire, ni sur la DAJ, ni sur la PJJ. C'est là encore un problème national.

M. Augustin Bonrepaux, Président. Y a-t-il d'autres observations ?

Monsieur Roy, je vous remercie.

b)Audition de M. Olivier Aimot, premier Président de la Cour d'appel de Rennes

M. Augustin Bonrepaux, co-Président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir M. Olivier Aimot, premier Président de la Cour d'appel de Rennes. Je tiens à le remercier, ainsi que les membres de la Cour des comptes venus nous assister.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. On entend souvent dire que le budget de la justice devrait être augmenté. Au Parlement, nous tenons les cordons de la bourse, et nous avons souvent l'impression que les crédits, même s'ils sont éventuellement insuffisants, ne sont pas utilisés au mieux. Dans le cadre de notre mission, nous essayons non pas de faire de la répression, mais de mettre en évidence ce qui peut être amélioré. Comment tendre vers une meilleure adéquation des crédits pour la justice ?

Vous êtes premier Président depuis 1998 et vous avez vécu la montée en puissance des SAR. Quelle est votre appréciation sur l'efficacité et les insuffisances de cet outil ?

M. Olivier Aimot. Je vous remercie d'abord de m'avoir invité. C'est pour nous, magistrats, une occasion de nous exprimer sans passion et aussi clairement que possible sur les projets qui nous préoccupent. Je suis premier Président de la Cour d'appel de Rennes depuis la fin 1998, mais magistrat depuis trente ans, et je dois avouer que je continue à me poser les questions que je me posais lorsque j'étais jeune magistrat. Pas mal de chemin reste donc à parcourir pour les uns et pour les autres.

J'en viens aux SAR. Ils doivent trouver leur positionnement car à mon sens, leur mise en place ne me paraît pas achevée. La structure présente des avantages. Je pense à la proximité des arrondissements judiciaires qui permet une remontée de l'exécution des budgets et de formuler les demandes, en adéquation avec cette exécution. Cette proximité est une chance.

En revanche, je m'interroge sur les conditions dans lesquelles les SAR sont entrées en fonction. Certes il y a un apport de fonctionnaires extérieurs - 8 créations de postes pour le SAR de Rennes depuis 1996, le reste étant prélevé sur l'effectif du greffe de la Cour d'appel - il y a eu redistribution de certains des moyens de l'administration centrale. Mais je n'ai pas vu arriver beaucoup de moyens dans les juridictions. Je n'entends pas dresser un procès, mais les moyens d'accompagnement ont semble-t-il été mesuré à un niveau tel que les SAR n'ont pas la capacité de répondre à l'objectif qui leur est assigné : gérer de façon déconcentrée les crédits accordés aux services judiciaires.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La « barre » de 500 000 francs pour l'immobilier vous paraît-elle justifiée ?

M. Olivier Aimot. Je n'ai pas d'observations particulières à formuler. L'essentiel est la clarté du dispositif. J'ai vécu des périodes où, selon les années et les directeurs, on nous demandait de faire passer en entretien immobilier ordinaire des factures de 20 000 à 40 000 francs pour une opération déterminée. D'autres estimaient que les dépenses supérieures à 6 000 francs relevaient de l'ancien article 35-10 , c'est-à-dire du budget d'entretien courant, sans rapport avec le titre V.

Aujourd'hui, on essaie de mettre en place une règle plus lisible, en séparant les grosses opérations des crédits de fonctionnement de l'article 37-92  et d'opérations qui peuvent être relativement lourdes, mais qui ne dépassent pas le chiffre que vous avez indiqués. En soi, ce n'est pas un handicap : l'essentiel est la cohérence et la clarté. Il faut disposer d'une programmation à long terme, lisible, avec des phasages qui ne soient pas remis en cause trop souvent Il faut donner une cohérence avec l'utilisation des crédits d'entretien immobilier de l'article 37-92.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quel est votre implication dans le SAR ?

M. Olivier Aimot. Je suis impliqué dans le dispositif avec le procureur général. Lorsque le SAR nous présente des projets définis en fonction des critères de la Chancellerie, sur les priorités de l'année à venir, des programmations sur les deux exercices budgétaires - celui de l'année et celui de l'année n+1 - nous devons définir les priorités de la Cour en fonction des demandes formulées et de la politique que nous entendons adopter en matière immobilière - fonctionnement, gestion des moyens. Il faut tendre à une utilisation aussi rationnelle que possible des moyens. Par exemple, pour le deuxième degré de juridiction, nous souhaitons répartir les affaires au sein de l'ensemble des Cours d'assise. Pour un ressort comme celui de Rennes, où près de 160 affaires sont jugées chaque année, le taux d'appel est sensiblement supérieur à la moyenne - 40 % au lieu de 28 % environ. Une telle disposition reviendrait donc à majorer de façon significative la charge des départements. Compte tenu de la circulaire imposant de ne pas dépasser six ou huit heures dans une même journée, les sessions seraient automatiquement allongées. Le problème des moyens mis à disposition - fonctionnaires et magistrats - est posé.

C'est pourquoi avec le procureur général, nous avons souhaité privilégier une Cour d'assise avec une salle d'audience dédiée qui permettrait d'utiliser des moyens complémentaires accordés par la Chancellerie.

Voilà le type de démarche que nous avons, nous, chefs de Cour, et que nous indiquons au SAR de façon à ce que la programmation tienne compte de nos demandes.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La relation entre le coordonnateur et vous-même est-elle satisfaisante ? La manière dont vous intervenez dans le fonctionnement du SAR fonctionne-t-elle de manière satisfaisante ?

M. Olivier Aimot. Honnêtement, il est difficile de répondre à votre question. Le paramètre personnel et humain me paraît extrêmement important. Selon la personnalité des chefs de Cour et du coordonnateur, le fonctionnement sera excellent ou très difficile. L'organisation du SAR est empirique et ne fait l'objet d'aucun texte.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous des idées pour un statut du SAR ?

M. Olivier Aimot. Que le coordinateur ne soit pas un magistrat ne me dérange pas, contrairement à beaucoup de magistrats. En revanche, il me paraît essentiel que le SAR ne soit pas un organe administratif qui fasse écran à la politique judiciaire que peuvent mener les chefs de juridiction, les chefs de Cour ou les magistrats. Si la mise en place des priorités budgétaires est effectuée par le SAR, sans définition préalable par les chefs de juridiction, l'instruction, par exemple, pourrait ne plus disposer des moyens de fonctionner correctement. Il est essentiel que les conditions de fonctionnement du SAR et son positionnement vis-à-vis des chefs de Cour soient clairs : le SAR doit être un moyen mis à la disposition des chefs de Cour.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quel est le moyen pour que les priorités définies par les chefs de Cour soient obligatoirement prises en compte par le SAR, et qu'ils n'obéissent pas à une logique technocratique interne  ou à une directive de la Chancellerie qui ignorait les réalités locales ? Comment faire pour que le SAR ne soit pas un instrument de recentralisation ?

M. Olivier Aimot. Comment procéder ? Je n'en sais rien, je l'avoue. La réflexion doit être élaborée au regard de la pratique.

Pour autant, il me paraît fondamental que la politique et les priorités définies soient arbitrées à un échelon judiciaire, et que le service administratif soit placé à un échelon chargé de la mise en _uvre de cette politique. D'un point de vue budgétaire, le chef de Cour ne doit pas s'entendre dire qu'il ne peut pas mettre en _uvre des projets qu'il a décidés. On nous demande de traiter des problèmes, des affaires civiles et pénales. Nous devons disposer des moyens nécessaires à cette fin.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Monsieur Floch rappelait que votre Cour d'appel a été le siège de travaux importants. Ces travaux se sont-ils bien passés ? Quel bilan dressez-vous ?

M. Olivier Aimot. J'ai participé à la pose de la première pierre du nouveau palais de justice de Clermont-Ferrand. Lorsque j'ai pris mes fonctions de président du Tribunal de Grande Instance, le projet définitif était déjà bouclé. J'ai suivi les travaux de gros _uvre et de première _uvre, puis j'ai été nommé premier Président de la Cour d'appel d'Agen avant la fin des travaux.

Quelle que soit la place du chef de juridiction et du chef de Cour, une opération de cette ampleur nécessite la présence d'un responsable permanent du début jusqu'à la fin des opérations. A Clermont-Ferrand, j'ai eu la chance de travailler avec une femme d'exception qui a suivi de bout en bout les travaux. Les choses ne se sont pas trop mal passées parce qu'elle a assisté à la totalité des réunions de chantier, mais les problèmes que nous rencontrons pourraient être évités avec une équipe comprenant toujours le même responsable à sa tête.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce responsable ne peut être un magistrat.

M. Olivier Aimot. Je n'en sais rien. Mais le président de la juridiction doit être impliqué dans ce projet.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Son déroulement de carrière sera alors bloqué pendant toute la durée du projet.

M. Olivier Aimot. Vous venez de voter une loi que le Conseil constitutionnel vient de valider. J'ai beaucoup bougé - une dizaine de déménagements. Mais de nombreux magistrats ne bougent pas à ce rythme. Passé cinq ou six ans dans une juridiction ne me paraît pas pénalisant pour le déroulement d'une carrière. De surcroît, ces années permettent de présenter un bilan et de ne pas diluer les responsabilités. Que le responsable soit un technicien du bâtiment, pourquoi pas ? A condition que l'équipe comprenne un magistrat, le même pour toute la durée des travaux, qui puisse valider les éléments techniques au regard des exigences judiciaires. Le dispositif permettrait d'éviter les difficultés.

Vous m'avez interrogé sur Rennes. Je me suis rapidement investi dans le chantier du Parlement de Rennes. La restauration a été somptueuse et magnifique. Nous avons également obtenu des moyens modernes d'action, y compris dans les salles d'audience historiques, que nous n'aurions probablement pas obtenu si la catastrophe n'était pas arrivée.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vos propos pourraient orienter l'enquête en cours ! (Rires)

M. Olivier Aimot. Les salles d'assises ou les salles historiques sont désormais câblées. Avec l'aide des services techniques, j'espère mettre en place un dispositif qui permettra aux avocats présents dans une salle d'attente de connaître le déroulement d'une affaire en cours en temps réel. Ce type de dispositif est utilisé dans un aéroport. Pourquoi serions-nous incapables de le mettre en place dans un palais de justice câblé ?

Par contre, je serai plus dubitatif sur des éléments de détail. Nous avons une configuration qui permet de séparer la partie dévolue à la Cour d'appel de celle des affaires culturelles. En dehors des périodes de travail, les portes sont « badgées », de telle sorte que l'accès en soit interdit au public, une convention ayant été signée avec l'office du tourisme pour les visites du Parlement. Or certaines portes historiques en bois ont fait l'objet, pour leur fermeture, d'un traitement par trois entreprises différentes : une a posé les câbles, une autre a posé les serrures, une autre encore est intervenue pour le système électronique de fermeture. Depuis le 15 octobre 1999, je n'ai pas connu de période où je puisse affirmer avec certitude que toutes mes portes ont été fermées.

Quant au nouveau Palais de justice de Nantes, si les Nantais sont globalement satisfaits de sa construction, nous rencontrons par exemple un problème très simple : il s'agit d'un bâtiment neuf qui comprend dans la salle d'assises une banque parfaitement rectiligne : le président ne peut ainsi pas voir tous les jurés. Le travail est rendu difficile et la présence de 12 jurés délicate, voire impossible à réaliser dans de bonnes conditions.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est un défaut de conception.

M. Olivier Aimot. Nous n'avons pas la possibilité de remédier à cette difficulté autrement qu'à coup de travaux lourds. Au quotidien, nous sommes obligés de bricoler et d'installer des chaises supplémentaires pour les jurés. Mais 10 heures d'affilé assis sur une chaîne cela finit par être très inconfortable. Voilà le type de détails auxquels nous sommes confrontés quotidiennement. C'est pourquoi, s'agissant du palais de justice de Nantes, ma satisfaction est nuancée.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Comment suivez-vous les demandes de moyens pour que fonctionnent les juridictions de votre ressort ? Comment en discutez-vous avec les responsables ? Quelles contributions personnelles apportez-vous à leurs demandes ?

M. Olivier Aimot. Premier aspect, technique, directement mené par le SAR : les réunions de préparation budgétaire d'arrondissement. Le coordonnateur intervient par délégation des chefs de Cour. Préalablement à cette réunion budgétaire, nous transmettons une lettre de cadrage sur les objectifs de la préparation du budget de l'année à venir. Ces objectifs sont pris en compte par les intéressés au moment de la réunion d'arrondissement et de la discussion avec le coordonnateur.

Ensuite, lorsque l'ensemble des réunions d'arrondissement est achevé, le coordonateur nous adresse une synthèse de la demande. Nous organisons alors avec les chefs de juridiction des arrondissements une réunion où l'on débat de la synthèse.

Le budget de 2001 s'élevait à 66 millions, et les demandes formulées par les juridictions à 72 millions. Elles ont été arbitrées à 72 millions par la direction des services judiciaires. L'arbitrage budgétaire définitif, après réunion de cabinet, a ramené la somme à 59 millions.

Nous sommes donc en dessous du budget exécuté en 2000. Des crédits supplémentaires seront certes apportés en cours d'année, mais seulement au mois d'octobre, ce qui rend la gestion difficile et entraîne des demandes de reports - 3 millions pour 2000. A ce sujet, nous avons d'ailleurs constaté que nous avions reçu une délégation du montant des crédits de report au mois d'avril dernier.

Une réunion d'arbitrage est organisée lorsque des demandes dépassent le cadre budgétaire fixé par la Chancellerie. Notre politique actuelle entend s'inscrire dans la ligne des opérations lourdes. Tous les éléments sont pris en compte pour définir les priorités d'un arrondissement.

Lorsque la dotation est annoncée, nous faisons la démarche inverse. Nous préparons des enveloppes attribuées à chaque arrondissement et organisons une réunion avec les chefs de juridiction des arrondissements judiciaires afin qu'ils puissent expliquer leurs observations et ajuster les dotations avant de transmettre à la Chancellerie les répartitions et que les délégations soient effectuées dans les préfectures.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quel est le degré de pénétration de l'outil informatique pour les arrêts et les jugements ? Y a-t-il un domaine où l'informatique n'a pas encore pénétré ?

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Y a-t-il des freins humains ?

M. Olivier Aimot. Il serait erroné de prétendre que le degré de pénétration est complet. Pour autant, il est très élevé. Les situations sont contrastées. Je pense par exemple au Tribunal de Grande Instance de Vannes qui vient de se doter d'Internet. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il n'était pas informatisé.

Globalement, la quasi-totalité des juridictions est informatisée. Les performances informatiques sont plus ou moins grandes. En matière pénale, l'informatisation est imposée par la Chancellerie. Pour le moment, elle n'est pas encore complète et ne répond pas parfaitement à nos besoins. En matière civile, une chaîne civile a été installée dans toutes les juridictions. Les Tribunaux de Grande Instance sont tous équipés de logiciels.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. S'agit-il de logiciels « d'assistance » ?

M. Olivier Aimot. Pas uniquement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Tout le monde dispose-t-il de l'accès informatique à la jurisprudence ?

M. Olivier Aimot. Non, toutes les juridictions ne sont pas encore raccordées à Internet. La Cour d'appel de Rennes devrait l'être fin 2001.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. L'accès aux banques de données sera donc généralisé fin 2201.

M. Olivier Aimot. Je l'espère, au plus tard début 2002.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Qu'en est-il de l'assistance à la rédaction des décisions de masse ?

M. Olivier Aimot. Elle existe partout, et depuis longtemps, mais avec des succès variables.

Pour ma part, je me suis mis à l'informatique en 1982, lorsque je travaillais au Tribunal de Grande Instance de Châteauroux. Avec l'aide d'un agent particulièrement motivé, j'ai pu mettre au point une « bible » de formules qui nous a permis de travailler rapidement. Mais pendant plus d'un an, j'ai dû convaincre la vice-présidente chargée des affaires familiales de l'utilité de cet outil.

Aujourd'hui, j'avoue que j'aurai dû mal à me former à certains logiciels que ma fille maîtrise parfaitement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Dans ce domaine, nous sommes dépassés par nos enfants ! (Sourires). L'aide à la rédaction des décisions représente quel pourcentage ?

M. Olivier Aimot. C'est difficile à mesurer. Les affaires familiales représentent 50 % des affaires civiles traitées par un TGI. Les trois-quarts sont traités grâce à l'informatique.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est bien !

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Considérez-vous que vous êtes en avance par rapport à d'autres Cours d'appel ?

M. Olivier Aimot. Nous sommes dans une moyenne haute. Nous sommes privilégiés au plan informatique, et nous sommes en train d'élaborer l'architecture d'un site Internet pour le ressort de la Cour d'appel de Rennes. Il sera ouvert sinon en fin d'année, du moins dès les premières semaines de 2002.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Quels supports ? Qu'est-ce que le site vous apportera ?

M. Olivier Aimot. Toute une série d'informations sur le ressort, les modalités d'accès, les heures d'ouverture, bref des éléments concrets pour l'usager. Le Parquet est en train de créer un intranet « action publique » avec l'aide d'un magistrat dont la culture informatique dépasse celle des techniciens informatiques.

Les moyens matériels sont donc, pour l'essentiel, à la disposition de cette ambition.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre analyse de la carte judiciaire de votre ressort ?

M. Olivier Aimot. C'est un des grands sujets sur lequel nous ne sommes pas tous d'accord. Personnellement, je pense que l'on n'aborde pas le problème « par le bon bout ». Selon moi, la carte judiciaire trouverait une solution qui serait acceptée par tous les intervenants, y compris les avocats, les huissiers et les notaires, si les problèmes étaient abordés sous l'angle de l'organisation judiciaire.

Revoir notre architecture et notre organisation nécessiterait de mettre en avant quelques idées fortes. Il serait ainsi essentiel de réfléchir à l'articulation des compétences. La France compte 182 TGI et 470 TI dont les compétences sont extrêmement...

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. ... Larges !

M. Olivier Aimot. Oui, mais très précises aussi. En matière de baux, je ne vous apprendrai pas que l'on errait entre le Tribunal de Grande Instance, le Tribunal d'Instance, voire le Tribunal de Commerce, dans des conditions qui font certainement les délices des avocats, mais pas des usagers. 

Il serait donc utile de rapprocher Tribunaux d'Instance et Tribunaux de Grande Instance avec - comme en outre-mer - des tribunaux de première instance. Autrement dit, il faudrait mettre en place une juridiction du premier degré.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En fusionnant Tribunaux d'Instance et Tribunaux de Grande Instance ?

M. Olivier Aimot. Oui. On pourrait même intégrer dans cette juridiction de première instance d'autres juridictions - sociales, commerciales, voire des chambres administratives, même s'il s'agit d'une ambition excessive.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. Quelle utilité ?

M. Olivier Aimot. Le dispositif éviterait le contentieux très irritant sur la compétence. Il ne retirerait rien à l'originalité de chacun et les modalités selon lesquelles chacun pourrait accéder à l'institution judiciaire élargie pourraient être revues. La compétence de l'ensemble « Instance-Grande Instance » serait donc réunie en une seule juridiction.

Dès lors, pourquoi changer la carte judiciaire ?

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La carte des Tribunaux de Grand Instance, vous voulez dire.

M. Olivier Aimot. Non, la carte des Tribunaux de Grande Instance et des Tribunaux d'Instance. On ne modifierait pas ainsi l'implantation d'un site judiciaire.

Le tribunal de Chateaubriand, par exemple, n'est pas un Tribunal d'Instance exceptionnel, mais il fonctionne. Au lieu de s'occuper des contraventions des cinq premières classes, il pourrait s'occuper des problèmes de mineurs, de garde d'enfants, de pension alimentaire. Son pôle de compétences serait ainsi suffisant pour justifier son existence.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Les effectifs affectés ne répondraient pas.

M. Olivier Aimot. Si, le tribunal de Chateaubriand est tellement peu utilisé que son président passe la moitié de son temps à Nantes. Il serait donc intéressant de conserver le site, de pouvoir éventuellement maintenir son activité dans un bâtiment plus petit, car certains bâtiments, en effet, sont disproportionnés et sont un gouffre financier. Il faudrait conserver un greffe et mettre en place des audiences sur place, comme en Nouvelle Calédonie.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En banlieue, les audiences sur place ne marchent pas très bien.

M. Jacques Floch, Rapporteur pour avis. En banlieue parisienne !

M. Olivier Aimot. Il faut adapter les dispositifs. Dans mon ressort, il serait adapté.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Votre dispositif ne pose-t-il pas de graves problèmes de procédure ? Il faut bien assigner quelqu'un à un endroit donné. Si la répartition des compétences entre le site du Tribunal d'Instance et des Tribunaux de Grande Instance est variable, en fonction des compétences des uns et des autres, les situations locales, la clarté procédurale deviennent difficiles.

M. Olivier Aimot. Pas sûr ! La complexité au niveau de l'assignation ne se retrouvera plus au plan des contentieux de la compétence.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le débat nous intéresse parce qu'on a le sentiment que les crédits de la justice sont éparpillés et qu'ils gagneraient à être renforcés.

Moi, je crois que le site géographique est trop étroit et le ressort ratione materie trop large. On a des petits ressorts géographiques qui embrassent toutes les affaires.

M. Olivier Aimot. Entièrement d'accord !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Donc, je crois qu'il faut des juridictions avec de très grands ressorts, mais avec des matières spécialisées.

M. Olivier Aimot. Tout à fait ! Cela n'est pas incompatible avec une justice de proximité.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La proximité est une idée à la mode sur tous les bancs de l'Assemblée nationale. Moi, je crois que la justice a besoin de solennité.

M. Olivier Aimot. Oui !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La justice souffre d'une image dégradée. Le substitut qui va sur le terrain faire l'arbitrage entre des bandes rivales ne contribue pas au prestige de la justice. Et pendant ce temps, les dossiers s'entassent au Parquet.

M. Olivier Aimot. Je partage complètement votre réflexion. La Cour de Rennes est une des premières grosses juridictions dans laquelle je travaille. Jusqu'alors, j'avais travaillé dans de petites juridictions, où l'on peut individuellement avoir une action immédiate. J'ai fait fonctionner un tribunal à une chambre, avec moins de la moitié de son effectif - trois ou quatre magistrats sur sept pendant un an et jamais plus de cinq pendant un an et demi. Le travail d'équipe a permis que la juridiction remplisse son office sans retard. Nous avons rarement de tels résultats dans une grosse juridiction.

La petite juridiction coûte cher, c'est évident. Pour autant, ne peut-on pas initier une démarche qui permettrait de trouver le point moyen d'équilibre entre la compétence centralisée et l'accès décentralisé. Cela ne signifie pas qu'il faille installer sur tout le territoire des maisons de justice. Mais on peut avoir un accès modulé, suffisamment présent sur le terrain pour répondre à tous les problèmes.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le débat est ouvert, et vos réflexions sont tout à fait intéressantes.

M. Augustin Bonrepaux, co-Président. Y a-t-il d'autres observations ?

Monsieur Aimot, nous vous remercions.

4.- M. Jean-Claude Magendie, président du Tribunal de grande instance de Paris, accompagné de Maître Francis Teitgen, bâtonnier de Paris ; M. Jean-René Farthouat, président du Conseil national du Barreau, accompagné de Mme Sylviane G. Baker, bâtonnière de Rennes, membre du Conseil national du Barreau ; M. Fabrice Vert, juge d'instance au Tribunal d'instance de Paris 18ème

Présidence de MM. Augustin BONREPAUX et Jean-Pierre DELALANDE

a) Audition de M. Jean-Claude Magendie, président du Tribunal de grande instance de Paris, accompagnée de Maître Francis Teitgen, bâtonnier de Paris :

M. Augustin Bonrepaux, Président. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Claude Magendie, président du Tribunal de grande instance de Paris et Maître Francis Teitgen, Bâtonnier de Paris. Je tiens à les remercier, ainsi que les membres de la Cour des comptes venus nous assister.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Un meilleur emploi des crédits de la justice, sans pour autant les augmenter : tel est l'objectif de notre mission. Nous voudrions aborder ce sujet avec vous dans le cadre de votre ressort, celui du tribunal de grande instance de Paris. Quel est votre budget annuel ? Quelles relations avez-vous avec le SAR ?

M. Jean-Claude Magendie. Je suis très heureux et honoré de « comparaître » devant votre mission. Le budget de fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris est de l'ordre 100 millions de francs. Il est à peu près constant depuis plusieurs années. J'aurai l'occasion de parler de certaines difficultés, notamment d'importants crédits de report, liés à la procédure de concertation propre au ministère de la justice.

Ce budget regroupe le budget de fonctionnement et les petites opérations d'entretien du palais de justice. Il est suffisant pour les dépenses courantes, mais insuffisant pour l'entretien du palais de justice : il manque près de 10 millions par an pour assurer une rotation complète des travaux de rénovation : compte tenu de la surface actuelle du palais, c'est tous les vingt ans qu'un service peut-être rénové avec les crédits qui nous sont alloués.

Quels sont nos rapports avec le SAR ? Notre budget est certainement suffisant, mais comme tous les crédits de la justice, la difficulté est de les utiliser de façon rationnelle. La concertation poussée que mène le ministère de la justice est extrêmement lourde. Elle fait intervenir plusieurs échelons : d'abord, les juridictions ; ensuite, une conférence d'arrondissement regroupant les vingt-cinq juridictions de Paris ; enfin, le niveau régional avec le SAR, placé auprès de chefs de Cours. Une fois les propositions formulées, on redescend de l'échelon régional à l'arrondissement budgétaire pour répartir les crédits entre les juridictions.

Cette procédure est extrêmement lente : le montant des crédits est porté à notre connaissance en février ; une délégation de 20 % des crédits nous est alors attribuée. Mais ce n'est qu'au mois de mai que le solde - 80 % des crédits - est délégué au tribunal. A la veille de l'été, nous devons donc dépenser des sommes trop importantes eu égard à la capacité des services : cette année, l'exercice budgétaire sera clos au 1er septembre, compte tenu du passage à l'euro : notre exercice budgétaire se déroulera ainsi sur cinq mois : c'est une opération impossible.

Les autres ministères ne rencontrent pas cette difficulté. L'ensemble des crédits - du moins 80 % - devrait nous être délégué dès le mois de janvier ou février. C'est une des raisons des 17 millions de crédits de reports constatés. C'est un paradoxe, car si nous disposons de crédits qui ne sont pas suffisants, notamment pour l'entretien, ils sont néanmoins difficilement utilisables puisqu'il faudrait arriver à absorber six millions de factures par mois.

Deuxième difficulté : l'absence de reconnaissance des administrateurs au sein des juridictions. Les primes des fonctionnaires qui exercent ce type de fonctions administratives sont souvent inférieures à celles accordées pour l'exercice des fonctions juridictionnelles. Les fonctions d'administration et de gestion ne sont donc pas valorisées. C'est pourquoi on rencontre des difficultés à recruter des personnels compétents, qui restent suffisamment longtemps à leur poste pour acquérir une compétence.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Qui s'occupe de l'administration du tribunal ?

M. Jean-Claude Magendie. Le président et le procureur. Paris est la seule juridiction où le Parquet a un budget propre. L'administration est supervisée par les Chefs de juridictions. Paris comprend également un service administratif commun au Parquet et au Siège dirigé par un premier vice-président et comprenant soixante personnes, dont vingt-cinq cadres A.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. S'agit-il de magistrats ?

M. Jean-Claude Magendie. Non, en dehors du président et d'un magistrat, l'ensemble du service est composé de fonctionnaires des différentes catégories.

Le problème n'est pas tant de savoir qui administre que de savoir ce que l'on administre. Le budget de fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris est composé de 55 % de loyers et 40% de dépenses obligatoires, incompressibles. En réalité, on administre 5 %. Nous avons donc une marge de man_uvre de 5 millions de francs. La somme est dérisoire, vous en conviendrez. C'est la seule somme sur laquelle on peut avoir une certaine latitude dans son affectation, donc sur la politique de la juridiction.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le reste, ce sont des dépenses obligatoires.

M. Jean-Claude Magendie. Oui. Il faut également savoir que Paris compte quarante-trois marchés publics. Cette situation alourdit considérablement la gestion.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. De quoi s'agit-il ?

M. Jean-Claude Magendie. Papier, achat de photocopieuses, entretien des locaux etc...

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Est-ce le tribunal qui passe les marchés publics ?

M. Jean-Claude Magendie. Hélas non ! C'est le SAR qui, comme ordonnateur secondaire a la maîtrise des marchés. C'est une des lacunes du dispositif. Nous devrions avoir la possibilité d'être ordonnateur secondaire. Cela faciliterait considérablement notre tâche et éviterait un facteur de lourdeur considérable.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vos crédits de fonctionnement comprennent donc près de 17 % de crédits qui ne sont pas consommés.

M. Jean-Claude Magendie. L'an dernier, 17 % des crédits n'ont pas été consommés. C'est considérable. Cette situation s'explique par des facteurs structurels : l'insuffisance des équipes administratives ; un turn-over important des personnels - dans le statut actuel de la fonction publique, les personnels administratifs ne travaillent à Paris que le temps minimum pour repartir ensuite en province - enfin, des facteurs conjoncturels, liés à des difficultés avec la paierie générale, et des difficultés dans la mise en _uvre de certains marchés.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Pourriez-vous nous faire parvenir le schéma de la chaîne de paiement ?

M. Jean-Claude Magendie. Volontiers.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre appréciation sur la carte judiciaire de votre ressort ? Les tribunaux d'instance vous paraissent-ils trop ou pas assez nombreux ?

M. Jean-Claude Magendie. Vous devez auditionner un collègue, juge d'instance. Il fait partie d'une commission de travail regroupant l'ensemble des juges d'instance du ressort de Paris. Depuis trois ou quatre ans, ils étudient la carte judiciaire de l'instance. Celle-ci est tout à fait inadaptée pour Paris, l'affectation des juges dans les Tribunaux d'Instance n'étant liée ni au travail effectif que demande un arrondissement ni à sa réalité sociologique. Ainsi, certains arrondissements de 130 000 habitants disposent du même nombre de juges - trois - qu'un arrondissement de 40 000 habitants.

Le critère d'affectation des juges ne correspond en rien à l'activité réelle d'un tribunal.

Ces analyses, menées en commun avec le barreau, révèlent un système inadapté. Le manque de personnel dans un arrondissement est compensé par des délégations permanentes et cette structure, extrêmement lourde, entraîne leur multiplication. Cette situation est anormale : un juge ne peut pas avoir dans le Tribunal d'Instance où il est délégué la même connaissance des dossiers que celle qu'il a dans sa propre juridiction. Comble du paradoxe : dans certaines juridictions, l'activité juridictionnelle n'est plus assurée que par des délégations. Rien de pire que de voir les juges se succéder dans un Tribunal d'Instance sans y avoir un point d'attache permanent.

C'est dire à quel point le système est peu crédible et source de difficultés. La commission a proposé plusieurs pistes pour remédier à cette situation : regrouper les tribunaux d'instance de Paris en quatre pôles ; à défaut, augmenter le nombre de juges dans les arrondissements où l'activité est importante.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comme je l'ai rappelé, nous souhaiterions trouver des solutions sans augmenter les effectifs.

M. Jean-Claude Magendie. Il ne s'agit pas d'augmenter les effectifs, mais de mieux répartir les juges d'instance, d'éviter les délégations incessantes pour rendre le système plus efficace. Le problème, c'est que le président d'un tribunal ne peut intervenir sur l'affectation des juges dans les Tribunaux d'Instance. Il ne peut également pas demander à un greffier d'aller renforcer un arrondissement.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le SAR, par contre, le pourrait.

M. Jean-Claude Magendie. Non, il peut certes déléguer un greffier, mais ce type de mesure reste limité. Il s'agit pourtant des moyens de la justice. Or le tribunal n'a pas son mot à dire, ni sur les hommes ni sur les équipements.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quel est le pourcentage du contentieux national assuré par le TGI de Paris ?

M. Jean-Claude Magendie. Il est difficile de répondre à cette question sans prendre en compte des aspects qualitatifs, essentiels à la justice. La justice, c'est d'abord une qualité, pas des chiffres. Près de 80 % des dossiers de propriété intellectuelle se plaident à Paris. Par ailleurs, la moitié des avocats est installée dans la capitale. Une telle situation n'est pas sans conséquence sur le contentieux traité dans cette juridiction. Ce sont près de 28 000 affaires civiles et 28 000 affaires pénales qui sont traitées à Paris chaque année.

Le cas parisien est donc très spécifique. Toutes les affaires de presse se plaident à Paris. Regardez les deux derniers procès dont la presse s'est fait l'écho : ils ont duré trois mois et ont mobilisé chacun quatre juges. Quant au procès Hue, il ne peut guère entrer dans les statistiques puisqu'il n'a donné lieu pour le moment à aucun jugement. Or c'est un procès qui a pris du temps.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre analyse de la carte judiciaire ? Quelle est votre appréciation ?

M. Francis Teitgen. Mon appréciation est extrêmement négative pour la carte judiciaire parisienne. Elle ne pose pas de problèmes majeurs pour les avocats. Par contre, elle pose un problème majeur pour les justiciables : le coût. D'une certaine manière, les dysfonctionnements de la justice sont payés par les justiciables. Un avocat qui est obligé de se rendre de la commission de recours des réfugiés au tribunal d'instance du deuxième arrondissement facturera son temps de transport au client.

C'est pourquoi la question du regroupement des tribunaux doit être posée. Avec le président du tribunal de grande instance de Paris, nous avons engagé une réflexion sur une rationalisation de la justice d'instance.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Que pensez-vous de l'idée de réduire le nombre de tribunaux d'instance à Paris à quatre ?

M. Francis Teitgen. Elle me convient parfaitement!

Je ne suis pas un fanatique de la justice de proximité. Certaines activités judiciaires sont des activités de proximité. Mis à part les affaires familiales qui représentent 40 % du contentieux national, la majorité de la population française ne se rend jamais dans un lieu de justice.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Généralement, on accuse les avocats d'être les plus conservateurs en matière judiciaire.

M. Francis Teitgen. En effet. Pour autant, je pense que la carte judiciaire sera modifiée avec le concours des avocats. On assiste à deux mouvement extrêmement forts. Premier mouvement : un regroupement des barreaux et des ordres. Aujourd'hui, on compte 35 000 avocats en France dont 16 000 à Paris, regroupés dans 180 barreaux, dont certains ne comprennent que quelques dizaines de membres. Le deuxième mouvement concerne les CARPA et leur regroupement.

M. Jean-Claude Magendie. La justice de proximité a été évoquée. Je crois qu'une erreur est entretenue sur son contenu. Aujourd'hui, les juges s'épuisent sur la question de l'accès au droit alors qu'ils ne sont pas capables d'assurer l'accès à la justice. L'accès au droit est certes un principe fondamental, et il n'est pas question de l'entraver. Pour autant, pour être comprise, la justice doit être appréhendée dans son essence : dire le droit. Pour l'essentiel, la justice de proximité, c'est un accueil, une information, bref, tout ce qui permet à nos concitoyens d'être jugés convenablement. L'informatique peut nous y aider.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quel est votre degré d'informatisation ?

M. Jean-Claude Magendie. Sans conteste, l'informatisation est un point positif. Elle a longtemps traîné, mais aujourd'hui, elle est convenablement réalisée. Presque tous les magistrats disposent d'un portable.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En demandent-ils tous ?

M. Jean-Claude Magendie. Oui, à tel point que tous les besoins ne peuvent être satisfaits. La demande a explosé.

Pour autant, il ne faut pas oublier que nous évoluons dans un système où l'informatique est au centre de nos démarches.

Seul bémol : tous les crédits informatiques sont gérés par le SAR et la Chancellerie « grignote » progressivement ses compétences.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Avez-vous le sentiment d'un mouvement de recentralisation ?

M. Jean-Claude Magendie. Oui. Il me paraît normal que l'échelon central ait son mot à dire sur le choix des matériels et la rationalisation des dispositifs. Mais il me paraît tout aussi normal que le TGI soit associé aux décisions. Or il ne peut rien : tous les choix sont faits par le SAR.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Monsieur le bâtonnier, quelle est votre appréciation sur les questions que nous venons d'évoquer ?

M. Francis Teitgen. Les jeunes avocats sont tous familiers de l'informatique. Il est d'ailleurs significatif que les cabinets embauchent de moins en moins de secrétaires, car les avocats deviennent de plus en plus autonomes.

S'agissant de la question plus générale de l'informatisation de la justice, j'ai été stupéfait de constater que la décision du transfert du TGI de Paris a été prise sans réflexion préalable sur l'informatique, alors que dans vingt ans, certaines audiences ne se dérouleront plus comme aujourd'hui.

Les affaires familiales ou pénales continueront à être plaidées avec un public - c'est une exigence démocratique - mais si votre commission se rendait cet après-midi dans certaines audiences, elle assisterait probablement à la scène suivante : un juge unique, ou un tribunal composé de trois magistrats, deux avocats et cinquante sièges vides. Car évidemment, le public ne se déplace pas pour des sujets techniques. Or à Paris, nombre d'affaires sont professionnelles, techniques, et ne concernent pas les citoyens.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le droit vit, le ministère demeure...

M. Francis Teitgen. C'est une autre question. J'ai récemment reçu une lettre de magistrats de Saint-Pierre-et-Miquelon qui me demandaient comment appliquer la loi du 15 juin 2000. Seule solution : disposer d'une salle de vidéo-conférence. C'est le seul moyen de relier Paris à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Ces aspects doivent être intégrés à la réflexion.

Dans la récente affaire dite du Sentier, chaque prévenu devait débourser 180 000 francs pour avoir accès à son dossier, une photocopie étant facturée à trois francs. Nous venons de demander la gratuité des copies pénales. Aujourd'hui, 50 000 copies pénales sont éditées chaque jour. Demain, avec la gratuité, la demande doublera probablement. Pourquoi ne pas utiliser le CD-Rom ?

La justice est en train de connaître une révolution culturelle. Il faut en prendre la mesure, au risque d'atteindre la paralysie. On a trop le sentiment d'une grande inertie, d'un appareil incapable de s'autogérer.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. L'informatique entraîne donc des progrès incontestables sur la rapidité de la justice.

M. Jean-Claude Magendie. La question de l'informatique touche un autre point fondamental du fonctionnement de la justice : la répartition des tâches. Au civil, 80 à 90 % des collègues dactylographient leurs décisions, alors qu'auparavant, cette tâche incombait au greffe.

Dès lors, comment doit se positionner le greffe ? C'est une des difficultés importantes auxquelles nous sommes confrontés. Elle est d'ailleurs liée à la réforme de l'Etat. Les greffiers rencontrent les mêmes difficultés que d'autres corps, mais leur positionnement pose problème. Leur rôle s'est considérablement transformé. On ne s'est plus très bien à quoi sert un greffier, sans compter que 15 % des postes sont à pourvoir à Paris. Pourquoi ? Sans doute parce que les magistrats assurent des tâches qu'ils ne faisaient pas auparavant.

Autre problème : les métiers du greffe. Le malaise est réel dans la profession. Les juges auraient besoin d'assistants à la décision. Or les greffiers ne se sont pas engagés dans cette voie. Cette tâche est réalisée par les assistants de justice, mais ce métier reste précaire.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est la cause des retards ?

M. Jean-Claude Magendie. Les vacances de postes nombreuses, sans doute, et un problème de définition de la fonction de greffier. A Paris, on rencontre un problème considérable de manipulation des dossiers. Personne ne veut les porter.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. Selon vous, malgré une informatisation réussie et son utilisation par les magistrats, l'informatique n'a pas eu de conséquences sur les délais en raison de problèmes structurels liés au statut de la fonction public ?

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comme en témoigne nos auditions, l'informatique a apporté de réels gains de productivité dans les petites structures. Les structures lourdes, elles, sont confrontées à des problèmes de hiérarchie.

M. Jean-Claude Magendie. Sans l'informatique, je peux difficilement imaginer quelle aurait été la situation de la justice à Paris. Encore une fois, 28 000 décisions civiles sont rendues dont 20 000 environ sont dactylographiées par les magistrats.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. Nous devons donc nous interroger sur le greffe et son fonctionnement.

M. Jean-Claude Magendie. L'informatique a en effet remis totalement en cause le fonctionnement du greffe.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Pourriez-vous nous dessiner le fonctionnement de la justice ? Je ne parle pas d'un fonctionnement idéal, mais d'un fonctionnement normal, conforme à vos souhaits ? Avec un budget de 100 millions de francs, que faut-il pour que la justice fonctionne bien ?

M. Jean-Jacques Jégou. Comment faire bouger les choses ? Comment rompre avec une justice coûteuse et peu efficace ?

M. Augustin Bonrepaux, Président. Qui décide ? Comment mieux gérer le système ?

M. Jean-Claude Magendie. Nos responsabilités en matière de gestion sont limitées, comme je me suis efforcé de le montrer. Ces limites sont réelles. La réflexion devrait être ciblée sur la responsabilité : quel est le niveau responsable ?

M. Jean-Jacques Jégou. C'est une question essentielle !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Accepteriez-vous qu'un gestionnaire professionnel remplisse les missions administratives du tribunal ?

M. Jean-Claude Magendie. Cela ne me gène pas à condition que l'on ne mette pas en place un système analogue à celui des universités.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Surtout pas !

M. Jean-Claude Magendie. Que des administrateurs civils s'occupent de l'administration de la justice ne me gène pas. Pour autant, nous ne devons pas oublier que nous travaillons dans un domaine particulier : celui de la justice. Dans plusieurs arrêts , le Conseil d'Etat a distingué organisation et fonctionnement judiciaire. Or en matière de justice, l'organisation et le fonctionnement sont étroitement liés. L'administration doit demeurer sous l'autorité d'un président, d'un magistrat.

Quel est le bon niveau de responsabilité ? On retombe sur un problème de la carte judiciaire. Quelles sont les responsabilités de chacun ?

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quel temps consacrez-vous à votre juridiction ?

M. Jean-Claude Magendie. Je fais partie des magistrats qui pensent que s'ils ne veulent pas être remplacés par un administrateur, ils doivent juger. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les fonctions administratives occupent les trois-quarts de mon temps.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous consacrez donc 25 % de votre temps à juger.

M. Jean-Claude Magendie. Oui, tout le reste est consacré au travail administratif.

J'en viens à la réforme que vous m'avez demandé de dessiner. Elle passe par l'allégement des structures car le système actuel est trop complexe.

Quelle est la finalité de la justice ? Aujourd'hui, on tourne en rond. On connaît tous l'énergie déployée par les juges des enfants sur la question des mineurs. Or elle ne débouche sur rien. Il faut donc recentrer la justice sur l'essentiel et viser l'efficacité. A quoi bon multiplier les juges, les audiences, les crédits, quelle est l'intérêt de tout le temps passé à mettre au point une décision pénale si elle n'est pas mise en application ?

Dans le cadre des entretiens de Vendôme, la juridiction parisienne a essayé de remettre le système à plat, de critiquer l'existant et de réfléchir à la justice de demain. Nous sommes à un carrefour. La justice sera rendue dans les années à venir de façon totalement différente. Dans un récent article du Monde, un avocat a indiqué que l'on demandait toujours plus de charbon pour faire fonctionner la locomotive justice alors qu'il faut changer la machine. C'est une réflexion de bon sens, et je crois que nous sommes à cet égard d'accord avec le bâtonnier Teitgen.

M. Francis Teitgen. Tout à fait !

M. Jean-Claude Magendie. Tant que l'on voudra faire fonctionner le système avec du charbon, on dépensera du charbon.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Quelle est votre analyse sur le nouveau tribunal de Paris, ce dragon des mers dont on parle depuis des années ?

M. Jean-Claude Magendie. Avec les chefs de la Cour de Cassation, de la Cour d'Appel et le procureur de la République, nous avons reçu à déjeuner la semaine dernière le maire de Paris. Celui-ci nous a expliqué que certains sites étaient d'ores et déjà écartés : celui de l'hôpital Saint Vincent de Paul comme celui de la Santé. Reste la ZAC Seine Rive Gauche pour laquelle une nouvelle étude a été commandée.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est la combientième ?

M. Jean-Claude Magendie. La première étude a été lancée en 1996.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En cinq ans, on n'a donc toujours pas choisi le terrain.

M. Jean-Claude Magendie. Non, on ne le connaîtra qu'en fin d'année, au terme de la nouvelle étude mise en _uvre dans le cadre d'un marché public.

Une fois que toutes les décisions auront été arrêtées, il faudra au moins huit ans pour que le nouveau palais soit construit.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. On a souvent reproché aux avocats de Paris d'être hostile à ce déménagement.

M. Francis Teitgen. Dans leur immense majorité, les avocats parisiens sont hostiles au déménagement. Mais je veux attirer votre attention sur un point majeur. A Rennes ou à Lyon, où l'on a séparé la cité judiciaire de la Cour, on peut constater que cette dernière est morte. Le jour où le tribunal ne sera plus dans le palais de justice de Paris, l'immeuble n'aura plus de raison d'être. Il sera totalement déserté par les citoyens.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous voudriez donc déménager le tribunal et la Cour.

M. Francis Teitgen. Je ne comprends d'ailleurs toujours pas pourquoi la Cour de cassation est implantée dans l'île de la Cité. Qu'elle soit à Paris, à Lyon, à Strasbourg ou à Créteil n'a aucune importance.

Une réflexion sur ce qu'est un lieu de justice doit être engagée. C'est un lieu qui recoupe nécessairement une unité. Séparer la première instance de la Cour n'a aucun sens. Nous sommes avocats à la Cour : on appartient à un barreau qui est lié à une Cour.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La rumeur n'est donc pas fausse.

M. Francis Teitgen. Non ! Enfin, je ne sais toujours pas ce que comprendra le nouveau lieu de justice de Paris. Le tribunal administratif y sera-t-il implanté ? Non. Le tribunal de commerce ? Non plus. Le conseil de prud'hommes ? Je n'en sais rien. Le tribunal des affaires de sécurité sociale ? Je n'en sais rien ? La commission de recours des réfugiés ? Je n'en sais rien. Si l'on entend créer un lieu de justice de première instance, mais avec un système éclaté, on fait un mauvais choix.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous pensez donc qu'il faut regrouper d'autres juridictions.

M. Francis Teitgen. Si l'on doit regrouper, regroupons vraiment, y compris la Cour d'appel. J'ai cru comprendre que la difficulté actuelle étaient due à la diminution des réserves foncières. Il n'y a plus beaucoup de choix pour un édifice de cette importance - 100 000 mètres carrés.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. A fortiori pour une cité judiciaire.

M. Francis Teitgen. La réflexion menée sur la réserve foncière a totalement occulté une réflexion prospective sur ce que sera un lieu de justice dans vingt ans.

M. Jean-Claude Magendie. C'est vrai.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. On s'est tout de même empressé de liquider les emprises possibles. Et aujourd'hui, on se retrouve dans une impasse. C'est la thrombose assurée.

Votre argument sur la vie du palais de justice ne nous a pas convaincus. Reste les touristes de la Sainte-Chapelle...

M. Francis Teitgen. Nous avons mis en place une maison du barreau à Paris. C'est un lieu qui vit parce qu'il est implanté à côté du tribunal. Le jour où le tribunal déménage, la maison du barreau risque de mourir.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. C'est un beau site qui vaut beaucoup d'argent.

M. Francis Teitgen. Je suis prêt à vendre le site si vous me trouvez à côté de la cité judiciaire un endroit où établir une maison pour le barreau. Les surfaces du nouveau palais de justice doivent intégrer des surfaces indispensables aux avocats. Pas de justice sans avocats.

Un de mes successeurs liquidera la maison du barreau et plusieurs immeubles que nous possédons place Dauphine. Nous serons riches, mais nous ne disposerons pas d'un mètre carré où installer nos services.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Je suis d'accord avec votre observation.

M. Francis Teitgen. Vos propos sont très significatifs. Cela fait quinze ans qu'on parle de ce serpent de mer. Or pendant cette période, le fonctionnement de la justice a profondément évolué. Dans vingt ans, la justice fonctionnera autrement, et l'on réfléchit toujours avec les mêmes donnes, avec le même nombre de mètres carrés. Monsieur le rapporteur, vous paraît-il justifié que la préfecture de police soit implantée là où elle est ?

M. Jean-Claude Magendie. Bonne question !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. En effet ! Cette implantation a l'avantage d'être proche du tribunal, de la Cour et du tribunal de commerce. Elle n'a que des avantages

M. Francis Teitgen. Si cette affaire n'est pas réglée, la thrombose est assurée.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. La menace est réelle.

M. Francis Teitgen. Nous dépensons 55 millions de francs par an en loyers. C'est absolument hallucinant.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Cette somme est-elle versée à la Marie de Paris ?

M. Jean-Claude Magendie. Non.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Le palais de l'île de la Cité n'a pas de loyer, n'est-ce pas ?

M. Jean-Claude Magendie. Non.

M. Francis Teitgen. Votre commission parlementaire doit exiger une réflexion intelligente et professionnelle sur les conséquences des nouveaux modes de communication dans un lieu de justice, sur la manière dont la justice se rend. Dans cinq ans, il n'y aura plus de papier. Or, le nombre de mètres carrés du palais de justice de Paris consacrés au stockage de papier est considérable.

Une telle réflexion n'a encore pas été menée. Je vous encourage très vivement à aller visiter la Cour suprême de Tel-Aviv  ou le nouveau palais de justice de Montréal : Ils sont absolument remarquables. Voilà une justice moderne qui a pris en compte les nécessités qu'exige une justice moderne. Au Canada, les décalages horaires entre Vancouver et Québec imposaient une réflexion inédite sur ce qu'est une audience. Comment on se parle ? Comment on plaide ? Comment transporte-t-on des documents ? Comment fabrique-t-on des jugements ? La réflexion reste à entreprendre en France.

M. Augustin Bonrepaux, président. Y a-t-il d'autres observations ?

Messieurs, je vous remercie.

b) Audition de M. Jean-René Fartouat, Président du Conseil national du Barreau
et de Mme Sylviane G.BAKER, Bâtonnière de Rennes, membre du Conseil national du Barreau

M. Augustin Bonrepaux, Président. Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. Jean-René Farthouat, président du Conseil national du Barreau. Il est accompagné de Mme Sylvianne G.Baker, bâtonnière de Rennes. Je les remercie d'avoir répondu à notre invitation.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Je précise également pour l'assemblée que le bâtonnier Farthouat est l'ancien bâtonnier de Paris. Monsieur Farthouat, vous avez souhaité être auditionné. Au sein de notre mission, nus interrogeons sur un meilleur emploi du budget disponible de la justice. Notre préoccupation n'est pas d'augmenter le budget, mais de vérifier, de suggérer les moyens qui permettraient de mieux employer l'argent disponible. Nous avons d'ores et déjà repéré plusieurs dysfonctionnements.

Au cours de nos auditions, nous nous sommes intéressés à la consommation des crédits votés. A Paris, par exemple, nous avons découvert qu'en 2000, les crédits de fonctionnement n'avaient pas été consommés pour 17 %. Nous nous interrogeons également sur la carte judiciaire, en tant que meilleur technique d'emploi des moyens. Comme président de la conférence nationale des bâtonniers, ...

M. Jean-René Farthouat. Du Conseil national des barreaux !

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. .. vous êtes concerné au premier chef.

Nous nous interrogeons également sur la construction du nouveau tribunal de Paris, cet espèce de serpent de mers dont la construction est sans cesse repoussée.

Nous vous écoutons avec plaisir.

M. Jean-René Farthouat. Je n'ai pas beaucoup d'informations à apporter sur l'utilisation des crédits à Paris. Je serai donc muet sur ce point, d'autant que vous venez d'entendre le bâtonnier Teitgen, directement en charge de ce problème.

L'utilisation des moyens pose d'abord le problème de l'utilisation des hommes au sein de l'institution judiciaire. Je ne fais que redire ce que vous savez déjà et ce que l'on dit toutes les fois qu'on en parle : si les magistrats étaient utilisés pour juger et non pour des tâches pour lesquelles ils sont inutiles ou incompétents, l'institution judiciaire fonctionnerait bien mieux. Trop de magistrats s'occupent des bâtiments judiciaires. L'autre jour, à Toulouse, où je me suis rendu pour défendre un dossier, le conseiller de la chambre d'accusation m'expliquait qu'il était en charge de la gestion des bâtiments dans le ressort de la Cour d'appel de Toulouse. Je dois avouer que j'ai eu quelques doutes sur l'utilité d'un tel travail. Nous en connaissons même parfois les résultats désastreux : il suffit de se rendre au tribunal de Paris pour deviner que le dossier de l'installation du restaurant libre service situé dans les sous-sols du palais de justice a été traitée par des magistrats ; par contre, lorsqu'on monte l'escalier de la place Dauphine, nous savons tous ce que les magistrats et les fonctionnaires de justice dégusteront au déjeuner. C'est un exemple idiot, mais si le bâtiment était traité par des gens du bâtiment, le système fonctionnerait mieux.

A ma connaissance, plusieurs rapports ont déjà été publiés sur cette question. Redéployer les moyens humains au sein de l'institution judiciaire permettrait d'améliorer les choses.

Vous m'avez demandé de ne pas parler de l'augmentation du budget. Je serai donc un élève obéissant. Mais comment améliorer le système sans augmenter le budget ? L'aide juridictionnelle est en pleine crise, et nous savons que les conclusions du rapport de M. Paul Bouchet prévoient une augmentation de l'ordre de 4,5 milliards. Je n'ai aucune illusion quant à la mise en _uvre de cette somme que nous estimons pourtant insuffisante.

J'en viens à la carte judiciaire. Je suis président du Conseil national des barreaux et non pas président de la conférence des bâtonniers, comme le rapporteur spécial l'a indiqué. Ma fonction me donne un peu plus de liberté que le bâtonnier Bénichoux pour parler de la carte judiciaire. Sa réforme est indispensable, c'est évident. Elle a été engagée pour les tribunaux de commerce, mais de manière largement insuffisante. Le département de la Charente-Maritime compte encore quatre tribunaux de commerce parce que l'on a maintenu celui de Marennes en raison de la spécificité de l'huître qui suppose une législation que seule les élus du tribunal de commerce de cette ville connaissent. La situation est complètement absurde, tant sur le plan des moyens, que du recrutement des hommes. Ce département compte encore trois tribunaux de grande instance : Saintes, Rochefort et La Rochelle. Les villes de Rochefort et de La Rochelle sont distantes de seulement 25 kilomètres, et sont reliées par une rocade qui fonctionne à merveille. En respectant les limitations de vitesse, 15 minutes suffisent pour se rendre d'un tribunal à l'autre.

Il faut donc faire avancer les choses dans ce domaine. Personnellement, je trouve que la tentative de M. Nallet, de départementaliser les Tribunaux de grande instance était excellente : un tribunal avec un président dans chaque département. Je pense qu'il faut maintenir un tribunal par département. Une telle mesure divise déjà par deux le nombre de tribunaux puisque la France compte 183 Tribunaux de grande instance pour 97 départements. Par contre, là où les tribunaux sont appelés à disparaître, des chambres pourraient éventuellement être maintenues afin de maintenir un tissu.

La profession d'avocat a complètement changé. Lorsque j'ai commencé à exercer cette profession, on ne trouvait d'avocat qu'au siège des tribunaux. Lorsqu'on voulait s'installer comme avocat, on s'installait à Périgueux ou à Bergerac, mais personne n'aurait eu l'idée de s'installer à Dôme. Aujourd'hui, toutes les villes de plus de 5 000 habitants comportent un cabinet d'avocat autonome ou un cabinet secondaire d'avocat. La région parisienne est topique à cet égard : vous trouvez des avocats dans toutes les villes importantes de l'Essonne ou des Hauts-de-Seine, alors qu'il y a trente ans, personne n'aurait eu l'idée de s'installer à Anthony. Aujourd'hui, les avocats s'y installent car des bassins importants de clientèle existent.

Certains de mes confrères prétendent que supprimer un tribunal revient à supprimer leur cabinet. Ce n'est plus vrai. Car les avocats s'installent désormais en dehors du siège d'un tribunal. Ne conserver que 93 tribunaux de grande instance est une idée peut-être un peu drastique, mais la dernière réforme de la carte judiciaire remonte à 1958.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. Monsieur le bâtonnier, je veux réagir à votre postulat de départ : sans augmentation du budget, pas d'amélioration du fonctionnement de la justice. Je trouve votre raisonnement un peu court, pour ne pas dire un peu simpliste. Le budget de la justice fait partie des budgets prioritaires. Cela signifie-t-il qu'il doit systématiquement et automatiquement augmenter ?

Au sein de cette mission, nous souhaitons savoir si des améliorations ne peuvent pas être apportées dans le cadre de l'enveloppe actuelle. Le raisonnement qui consiste à demander toujours plus sans même engager une réflexion sur l'exécution du budget et la consommation des crédits finit pas tuer toute idée de réforme.

Quels sont les dysfonctionnements qui pourraient se traduire par des réformes en profondeur au plan du fonctionnement de la justice, sans faire appel à des crédits supplémentaires ? Pour autant, on peut vous rejoindre sur la nécessité d'attribuer des crédits supplémentaires pour certains domaines spécifiques, comme l'aide juridictionnelle.

J'ai été volontairement provoquant, mais vos propos l'étaient également.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. De 1992 à 2000, les crédits du ministère de la justice sont passés de 17,5 à 29 milliards de francs. Il s'agit d'une augmentation considérable. Or on s'aperçoit que certains crédits ne sont pas consommés. Mais surtout, à l'occasion d'auditions de directeurs d'administration centrale de la justice, du président du tribunal de grande instance et du bâtonnier de Paris, ou encore d'un juge d'instance du dix-huitième, on s'aperçoit - c'est leur sentiment - que rien ne bouge, qu'on arrive pas à faire bouger, et qu'on entasse rapports sur rapports.

C'est pourquoi nous devons prendre garde à ne pas accorder de crédits supplémentaires tant qu'on ne se sera pas interrogé sur soi-même, tant qu'on ne sera pas demandé comment améliorer la situation et le fonctionnement de la justice. A l'écoute de toutes ces personnes éminentes, les réponses arrivent. Dès qu'on travaille un peu, on trouve. Encore faut-il travailler et que l'organisation du ministère permette la mise en _uvre des réformes. Voilà ce qui nous intéresse. Nous sommes un certain nombre à être déterminés à ne pas continuer la dérive des crédits publics tant que les questions ne seront pas résolues.

M. Jean-René Farthouat. J'assume tout à fait le reproche de simplisme qui vient de m'être adressé, mais être simple est une assez bonne manière de se faire comprendre. On ne peut pas soutenir qu'il suffit de redéployer les moyens de la justice pour améliorer son fonctionnement. Je ne méconnais pas l'augmentation considérable du budget de la justice au cours de ces dernières années. Nous avons été un certain nombre à saluer cet effort et cette avancée très importante. Mais comparez les tâches qu'exerçaient les magistrats et celles qu'ils exercent aujourd'hui. Un constat s'impose : certains endroits n'ont pas assez de moyens.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Mais certains en ont peut-être trop...

M. Jean-René Farthouat. Non, je ne pense pas.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial.  Rochefort, par exemple... (Sourires)

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Ou le huitième arrondissement  de Paris ! (Sourires)

M. Jean-René Farthouat. C'est un autre problème. Je vais prendre un autre exemple : les avocats appellent de leurs v_ux une réforme depuis des années : installer les vingt tribunaux d'instance de Paris dans un immeuble commun. Je suis persuadé qu'une telle réforme permettrait un meilleur fonctionnement de la justice et de meilleurs résultats qualitatifs. Elle permettrait d'éviter des contrariétés de jurisprudence qui n'ont aucun sens. A Paris, vingt magistrats sont compétents en matière de loyers. Comparez la jurisprudence du tribunal d'instance du cinquième et celle du neuvième arrondissement, vous trouverez immédiatement des disparités importantes d'interprétation de la loi. En regroupant les chambres des loyers de Paris, vous éviterez des disparités jurisprudentielles qui entraînent des appels, par conséquent, un coût.

Voilà maintenant dix ans que l'on propose de regrouper ces tribunaux. Je ne connais pas la position du président Magendie sur la question, mais certains de ces prédécesseurs étaient partisans d'une réforme. Quant aux greffes, ils pourraient rester dans les arrondissements. L'existence d'un tribunal unique et des greffes dans chaque arrondissement permettrait une meilleure utilisation des crédits.

M. le rapporteur spécial m'a interrogé sur les locaux du tribunal de grande instance de Paris. Un constat s'impose : le palais de justice de Paris est incommode et ne répond plus à l'essentiel de ses missions. On est en train de le démanteler petit à petit. Moi, j'ai été très hostile au transfert du tribunal, mais il faut savoir évoluer. C'est pourquoi je pense qu'il y aurait intérêt à tout faire partir, pas seulement le tribunal, mais aussi la cour, et construire un nouveau palais de justice qui regrouperait le tribunal et la cour. Mes confrères de province me le disent : séparer le tribunal et la cour n'est pas satisfaisant. A Rennes, par exemple, la séparation est à l'origine d'une certaine incommodité et d'un certain coût. Mieux vaut concevoir des palais regroupant l'ensemble de l'institution judiciaire.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. S'agissant de la carte judiciaire, comment réagiriez-vous à la suppression d'une juridiction, donc d'un barreau ?

M. Jean-René Farthouat. Je vais être clair : dans leur forme actuelle, les barreaux ne sont plus viables, ni financièrement, ni disciplinairement. Nous venons de proposer au ministère de la justice une réforme de la procédure disciplinaire qui tend à sa régionalisation. Pourquoi ? Parce qu'un barreau de douze, quinze ou soixante membres ne présente pas des garanties au regard de la convention européenne des droits de l'homme.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Vous proposez une régionalisation de la procédure disciplinaire. Pourquoi ne pas réformer par Cour d'appel ?

M. Jean-René Farthouat. Moi, j'aurai préféré un tel système, mais il y a encore des résistances. Mais une telle réforme sera discutée au Parlement qui retiendra le système le plus adapté.

Autre exemple. Sur le plan financier, les caisses de règlement pécuniaire dans les petits barreaux ne présentent pas suffisamment de garanties au regard des exigences de sécurité que l'on est en droit d'attendre du maniement des fonds par les avocats. Il est certain que le barreau de Paris dont l'encourt à la CARPA s'élève à trois milliards et celui de Mande qui s'élève à quelques dizaines de millions ne parlent pas de la même manière à leurs banquiers. Regrouper les fonds des caisses de règlement pécuniaire permettrait de tenir un discours différent aux banquiers. La réforme est en marche. La conférence des bâtonniers évoque une régionalisation des barreaux. Dieu sait si j'aime mon métier, mais il faut reconnaître que 183 bâtonniers, c'est beaucoup.

M. Didier Migaud, Rapporteur général. Avez-vous d'autres des propositions de réformes ?

M. Jean-René Farthouat. L'évolution des formes de rendu de la justice - je pense notamment à l'importance de plus en plus grande que prendra la médiation - aura un coût Ces nouvelles manières de résoudre les conflits judiciaires sont susceptibles d'avoir des conséquences financières.

Mme Sylvianne G. Baker. Nous avons étudié l'expérience d'autres pays en matière de médiation. Pour bon nombre de pays, il s'agit d'une étape préalable avant l'accès à la justice. Elle permet de régler de façon satisfaisante des conflits qui ont une source plus psychologique que juridique. L'avantage sur le plan du coût de fonctionnement de la justice et pour les justiciables est certain. Au Canada, le système impose un recours obligatoire à la médiation avant la saisie de la juridiction. Peut-être en arriverons-nous là. Il faut encourager le recours à la médiation comme mode alternatif de règlement des différents.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Y a-t-il des questions que vous regrettez que l'on ne vous ait pas posé.

Mme Sylvianne G. Baker. Les 35 heures pour les juges ! (Sourires) Nous en avons discuté dans le cadre des entretiens de Vendôme avec le Premier président et le procureur général. Les juges sont inquiets. Ils sont en train d'organiser les audiences et sont confrontés à des problèmes très importants de gestion de flux de dossiers et de personnel. Une telle réforme nécessite des moyens financiers supplémentaires.

M. Augustin Bonrepaux, Président. Y a-t-il d'autres observations ?

Monsieur Farthouat et Madame Baker, nous vous remercions.

c) Audition de M. Fabrice Vert, Juge d'instance au Tribunal d'instance de Paris 18ème

M. Augustin Bonrepaux, président. Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. Fabrice Vert, juge d'instance au Tribunal d'instance de Paris. Je le remercie d'avoir répondu à notre invitation.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Monsieur le juge, vous avez conduit une réflexion sur l'organisation des tribunaux d'instance à Paris. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons vous entendre. Nous venons d'auditionner M. Jean-Claude Magendie qui nous a indiqué que l'organisation des tribunaux d'instance était inadaptée. Nous aimerions connaître les conclusions de votre étude.

M. Fabrice Vert. Cette étude a abouti à la conclusion que l'inspection judiciaire avait formulée voilà dix ans : un découpage judiciaire de Paris en quatre. Nous avons repris cette idée en l'actualisant au regard de l'activité juridictionnelle, de telle sorte que chaque secteur ait à traiter le même nombre d'affaires.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce découpage correspond-il à celui des arrondissements ?

M. Fabrice Vert. Oui. Le secteur nord, par exemple, comprend le premier, le deuxième, le dix-huitième et le dix-neuvième arrondissements qui ont à traiter 7 000 affaires nouvelles par an.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Comment avez-vous mené cette réflexion ?

M. Fabrice Vert. Au vu des données locales de l'activité judiciaire publiée par la Chancellerie. Mais comme chacun sait que les statistiques ne sont pas très fiables, nous les avons améliorées et redressées. Une étude de cinq mois a également été menée par un cabinet d'audit extérieur.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Pourrait-on disposer de cette étude ?

M. Fabrice Vert. Bien sûr ! Cette étude, consacrée aux greffes, comprend quelques approximations dues à l'utilisation de données brutes. A Paris, certains jugements de caisses de retraite donnent énormément de travail au greffe dans certains arrondissements, mais très peu au juge, puisqu'il s'agit de jugements types.

Cette étude, menée sur le greffe, a mis en évidence des inégalités hallucinantes dans les charges de travail - de un à vingt-quatre en matière de nationalité, par exemple.

L'étude qui a été menée par l'école des mines a conclu en ce qui concerne les fonctionnaires des greffes que de nombreux tribunaux d'instance parisien étaient en sur-effectif, d'autres en sous-effectif. Ainsi, si le premier arrondissement compte neuf fonctionnaires, l'étude a montré qu'il y en avait trois en trop. Quant au dix-huitième, il est déficitaire.

Mais depuis toutes ces années, malgré ces études, rien de bouge, rien n'évolue au plan des effectifs, tant sur le nombre de magistrats que de greffiers.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Cette étude a-t-elle été menée avec le concours de tous les juges d'instance de Paris ?

M. Fabrice Vert. L'étude a été menée sous la présidence du Premier vice-président du TGI de Paris qui s'occupe du service administratif de Paris. Il a décidé de mettre en place, au TGI, un secrétariat commun afin de coordonner tous les tribunaux d'instance. Les juges d'instance ont étudié les données locales de l'activité judiciaire et récolté des chiffres auprès des tribunaux. Moi, j'ai dressé une fiche relative à la charge de travail moyenne par juge. J'ai ainsi pu établir qu'il y avait 1 056 affaires nouvelles (hors jugements de caisse) par juge dans le dix-huitième, contre 482 dans le neuvième. Les charges de travail des magistrats varient donc du simple au double, voire du simple au triple.

Pourquoi avoir réalisé ce travail ? Auparavant, à Paris, l'instance était toujours pourvue par la Chancellerie. Même si certains tribunaux souffraient de sous-effectif, il n'y avait pas de difficultés majeures. La crise a émergé lorsque la Chancellerie a décidé de ne plus pourvoir tous les postes. Au lieu de cibler les arrondissements - le neuvième compte 38 000 habitants pour trois magistrats, le dix-huitième, trois magistrats pour 200 000 habitants - la Chancellerie n'a pas pris en compte les charges de travail effectives des juridictions pour affecter les postes.

Nous avons dénoncé cet état de fait. Mais aujourd'hui lorsque la Chancellerie affecte des postes de magistrats dans les tribunaux, elle ne tient toujours pas compte de la charge de travail. Il n'était peut-être pas opportun de pourvoir le treizième arrondissement en totalité. Par contre, il aurait été opportun d'attribuer trois postes dans le onzième arrondissement.

Tous les juges d'instance se sont donc mis au travail, et récemment, nous avons dressé un procès-verbal d'assemblée générale, sous la présidence de M. Magendie, où nous avons adopté un projet de redéploiement des effectifs de magistrats au TGI de Paris. Nous considérons ainsi que deux magistrats sont largement suffisants pour le huitième, alors que quatre ne sont pas de trop dans le dix-huitième. Ce projet a été adopté à une grande majorité, mais a créé des dissensions entre magistrats, car dire à certains collègues qu'ils travaillent beaucoup moins que d'autres ne plaît pas, même si c'est la vérité. Actuellement, l'ambiance n'est pas trop bonne. Nous avons été juges et parties de l'audit que nous avons réalisé. L'idéal serait de faire appel à un cabinet d'audit extérieur, comme pour l'étude sur le greffe.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Ce travail est terminé depuis quand ?

M. Fabrice Vert. Le procès-verbal a été adopté il y a un mois.

M. Patrick Devedjian, Rapporteur spécial. Votre président avait l'air d'attacher de l'importance à ce travail.

M. Fabrice Vert. Il y a deux discours du politique, l'un officiel, l'autre officieux. Discours officiel : la justice de proximité est une priorité. Or concrètement, on ne voit rien venir. Moi, je m'interroge toujours sur cette notion. Qu'est-ce que la justice de proximité ? Tout le monde en parle. On met en place de nouvelles structures, des maisons de justice et du droit, des points d'accès au droit, mais sans coordination ni concertation. Soit on supprime les tribunaux d'instance, soit on décide d'en faire la pierre angulaire, le vecteur de la justice de proximité. Le tribunal d'instance du dix-huitième, par exemple, rend 10 000 décisions par an. C'est pourquoi il faut le mettre au centre du dispositif. Je suis pour un partenariat avec les associations, davantage de contact avec les communes et les élus, chacun conservant sa sphère d'indépendance, mais qu'il y ait une véritable mise en réseau du système.

Un exemple concret : les troubles de voisinage dans le dix-huitième. Ils dépendent du pénal ou du civil. Plusieurs institutions pourraient traiter ce problème en partenariat. Nous, les juges d'instance, nous sommes systématiquement mis à l'écart : nous ne participons pas à la vie publique et sommes peu pris en considération par les élus. A La Châtre, les locaux appartenaient à la mairie. Celle-ci ne voulait rien payer. Certes, je comprends que les maires ne veuillent pas payer pour le service public de la justice qui relève d'abord de la compétence de l'Etat. Pour autant, les locaux appartiennent à la mairie. Aujourd'hui, je travaille dans des locaux qui appartiennent à la mairie de Paris. Je suis en train de lire un livre sur la justice de paix en 1920 à Paris, et je peux vous assurer que les choses n'ont pas beaucoup évolué depuis.

Le principal problème, c'est qu'on ne rapporte rien électoralement. Aux élus de sensibiliser les citoyens. Mais au citoyen de prendre en considération la justice. Je crois que les gens ont peur de nous. On préfère nous tenir à l'écart. C'est lorsqu'on a affaire à nous que l'on prend conscience des dysfonctionnements.

Les citoyens doivent être sensibilisés à la justice. Les choses évoluent trop lentement. Dans l'Indre, j'ai connu des dysfonctionnements hallucinants. A l'époque, ils n'intéressaient pas grand monde. Aujourd'hui, les citoyens portent plainte. On demande des comptes au juge. Pour autant, il ne faut pas mettre sur le même plan ce qui relève des dysfonctionnements et du manque du moyen et ce qui relève de notre faute individuelle. Quant à la justice d'instance, je n'ai pas l'impression qu'elle fasse l'objet de beaucoup de préoccupations. Il n'y a pas de réflexion sur sa finalité.

On veut un juge impartial. Mais lorsque vous êtes le seul juge d'instance dans un arrondissement, il vous arrive de juger des personnes que vous protégez. Donc, on ne peut plus juger.

C'est pourquoi il faut absolument regrouper et spécialiser les juges. Il y a des contentieux très importants notamment en matière d'élection professionnelle. Moi, dans le XVIIIe, j'ai des sociétés de nettoyage qui ont plus de 3 000 salariés. Elles sont constamment devant le tribunal. Or, je ne suis pas spécialisé dans cette matière et je n'ai pas suffisamment de temps à y consacrer.

M. Jean-Jacques Jégou. Votre franchise est rafraîchissante. Par contre, vos propos sur vos relations avec les élus locaux sont à la fois vrais et faux. Les élus locaux, eux aussi, ont soif de mieux connaître leur juge d'instance. Or on évolue dans une ambiance très particulière. On le voit bien, les juges n'ont pas de temps à nous consacrer.

Vous n'êtes pas contre la tendance actuelle de créer des maisons de justice et du droit. Ce dispositif serait-il un moyen qui permette d'améliorer les relations entre les élus et les juges ? A mon sens, c'est indispensable. Au vu des problèmes de société que nous connaissons, nous aimerions engager un partenariat plus développé avec les juges. Avez-vous une certaine autonomie pour enclencher des relations que vous regrettez de ne pas avoir ?

M. Fabrice Vert. Depuis Napoléon, la magistrature est très hiérarchisée et n'a pas beaucoup évolué. J'ai parlé de mon expérience. Je travaille dans le dix-huitième. Je participe à des journées de la citoyenneté. J'ai quelques contacts avec les élus locaux. Un point d'accès au droit doit être mis en place dans mon arrondissement. Mais c'est complètement par hasard que j'ai été invité à une réunion d'information. D'ailleurs, pour les maisons de la justice et du droit, le juges d'instance ont été à peine consultés. A Paris, j'aurais bien aimé être consulté pour l'implantation géographique. Pourquoi ne pas mettre en place une commission locale institutionnelle ?

M. Jean-Jacques Jégou. A l'initiative des élus ?

M. Fabrice Vert. Une commission de la justice de proximité devrait comprendre des élus, des associations, des juges et le Parquet. Actuellement, tout se passe de manière informelle. Je suis pour les maisons de la justice et du droit à condition que l'on soit vraiment intégré dans le système. La justice de proximité, ne l'oublions pas, c'est nous. Mon tribunal comprend des conciliateurs qui travaillent beaucoup. Mais ils sont éparpillés entre la maison de la justice et du droit, la mairie, le tribunal. Ils n'ont pas de statut, pas de bureau, pas de secrétariat. Le dispositif mérite d'être structuré. Que veut-on ? Que le juge s'enferme dans sa tour d'ivoire ? Qu'il ne s'immisce pas dans la vie locale ? Qu'il conserve son impartialité ? Qu'il mette en place un accès au droit indépendant ? C'est un débat qui mérite d'être engagé. Que veux-t-on vraiment faire de nous ? Aujourd'hui, rien ne va, et on ne sait pas où l'on va.

M. Jean-Pierre Delalande. Vous oubliez de dire que les juges n'ont pas envie de nous voir. Ils nous le disent ! On serait malsain, alors on se méfie de nous. Ils ne sont pas conscients des efforts considérables de prévention que nous faisons. Or comme l'a bien dit Jean-Jacques Jégou, nous sommes demandeurs. Comme lui, j'apprécie votre franchise, mais je suis malheureux de votre sentiment d'impuissance et de fatigue

Je veux vous faire une proposition. Le débat, en effet, doit être structuré entre les élus locaux et les professionnels de la justice. Moi, dans ma ville, j'avais pris une initiative préjudicaire, destinée à freiner la délinquance. J'ai eu beaucoup de mal à convaincre le procureur de jouer le jeu. L'idée était la suivante : faire intervenir une instance que j'avais mise en place dès que nous avions un faisceau d'indices concordant qu'un jeune allait avoir maille à partir avec la justice. Cette instance regroupait le procureur de la République, le commissaire de police, le chef d'établissement et le maire. Nous commencions par recevoir pendant une demi-heure les parents, puis le jeune. Nous voulions casser le phénomène de caïdat en montrant que les pouvoirs publics se connaissent. Dans un troisième temps, nous recevions les parents et les enfants. L'expérience que j'ai menée pendant deux ou trois ans a été positive : un tiers de rémissions complètes ; un tiers d'améliorations et d'amendements ; un tiers d'échecs.

Nous nous sommes donc efforcés de mettre en place un dispositif organisant, chacun restant dans ses compétences, une action préjudiciaire.

Comme vous, je pense que de telles actions doivent être institutionnalisées. Mais je pense aussi que votre corporation doit nous regarder d'un autre _il. Nous ne sommes ni des méchants  ni des vérolés. Nous nous efforçons de travailler pour la société du mieux possible.

M. Fabrice Vert. Vous faîtes référence à une culture judiciaire qui remonte à la nuit des temps où chacun reste isolé dans son palais. Moi, je n'ai jamais eu peur des élus, et je n'ai jamais été choqué de recevoir des courriers où l'on attire mon attention sur une situation délicate. L'indépendance de chacun ne doit pas empêcher le dialogue. Le problème, c'est qu'il n'existe pas de cadre institutionnel où l'on se rencontre. Un juge d'instance ne rencontre un élu que s'il est invité à un pot.

M. Jean-Pierre Delalande, Président. Vous pouvez rencontrer les élus sans perdre pour autant votre indépendance.

M. Fabrice Vert. Oui, mais il faut que le dispositif soit suffisamment structuré et que le rôle de chacun soit bien défini.

M. Jean-Jacques Jégou. Le problème, c'est que l'on ne sait pas comment vous rencontrer. Vous écrire, c'est déjà un problème.

M. Fabrice Vert. Un cadre institutionnel permettrait les rencontres et le dialogue.

M. Augustin Bonrepaux, président. Y a-t-il d'autres observations ?

Monsieur Vert, nous vous remercions.

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3282 - Auditions - Rapport dinformation de M. Augustin Bonrepaux en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle constituée le 20 décembre 2000, sur les moyens des services judiciaires(Commission des finances) -justice-