UTILISATION DES ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES

EN AGRICULTURE ET DANS L’ALIMENTATION

 

Auditions publiques du mercredi 27 mai 1998
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.

1 –Présentation par le M. le Président

Table ronde I

Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

Table ronde II

Enjeux pour la recherche

Génomique, relations public/privé, poids de la protection intellectuelle, collaboration avec les pays en voie de développement.

 

M. Le Président - Je souhaite vous rappeler brièvement le contexte de ces auditions publiques ouvertes à la presse et la façon dont elles s'insèrent dans une étude générale sur les organismes génétiquement modifiés, menée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Dans l'ancienne législature, en 1997, l'Office avait été saisi d'une étude sur "De la connaissance des gènes à leur utilisation". Il y a eu ensuite la dissolution. Cette saisine a de nouveau été examinée par le Bureau de l'Assemblée nationale. Nous avons débuté cette étude vers le mois de novembre dernier, en nous spécialisant sur les aliments issus des plantes transgéniques dans l'agriculture et l'alimentation.

Cette étude est venue au moment où plusieurs décisions ont été prises par le gouvernement français :

- En février 1997, le gouvernement français autorise l'importation de maïs et de soja issus de plantes transgéniques ;

- Au même moment, alors qu'il y avait une demande, on n'autorise pas la culture du maïs d'été ;

- Le 27 novembre 1997, le gouvernement autorise la culture de ce maïs d'été, avec des conditions ; le Ministre de l'agriculture étant présent ce soir, il pourra répondre aux questions à ce sujet.

Pendant cette période, nous avons donc commencé l'étude, en nous disant qu’elle pouvait être au niveau du Parlement, concomitante avec des décisions gouvernementales.

Ce sujet est complexe. Avant l'intervention de Madame Lebranchu, j'aurai l'occasion de lire un petit courrier que j'ai eu sur le forum sur Internet, qui résume à mon avis très bien la situation du citoyen. On lui demande, en effet, de répondre de façon simple à des questions qui sont scientifiquement et technologiquement complexes, et qui résument assez bien la situation actuelle.

Pendant cette période, nous avons donc eu une étude qui m'a conduit à auditionner pratiquement tous les acteurs de cette filière. En même temps, dès novembre 1997, nous avons souhaité organiser une Conférence de Citoyens -ce sera une première en France- pour leur demander leur avis, à côté de l'avis des experts entendus en auditions privées et publiques.

Ces citoyens ne connaissent pas forcément les techniques  de génie génétique, puisqu'une enquête récemment publiée dans " Les  Echos " indique que seuls 54 % des Français ont entendu parler des plantes transgéniques actuellement. En même temps, nous aurons donc l'avis d'un panel de citoyens.

Certains ont dit que ce n'était pas représentatif de la population française. C'est évident, puisque cela ne concerne que quatorze personnes. Mais c'est néanmoins l'avis d'un groupe qui a été formé par différents intervenants, dont les noms ont été publiés. C'est l'avis d'un groupe qui a finalement pris connaissance d'un sujet et dont les membres ont discuté ensemble, de manière dynamique.

Ce groupe a choisi d'auditionner plusieurs personnes, les 20 et 21 juin, pendant un week-end, de manière publique.

C'était difficile ; c'était une première, mais je pense qu'elle a le mérite d'exister.

Pendant cette étude, je me suis entouré d'un comité de pilotage pour l'étude sur les plantes transgéniques de quatre personnes, et, pour la conférence de citoyens, s'y sont ajoutées trois autres personnes venant d'horizons différents.

Le comité de pilotage est composé de Mme Francine Casse, qui est à l'INRA en biologie moléculaire végétale, et M. Antoine Messean, qui est à l'INRA et au CETIOM.

Il y a également Mme Marie-Angèle Hermitte, professeur de droit à PARIS I, et M. Gérard Pascal, spécialiste de sécurité alimentaire.

Pour la conférence de citoyens, les trois personnes supplémentaires sont M. Philippe Roqueplo, sociologue, présent dans cette salle, ainsi que M. Daniel Boy de Paris I et Mme Dominique Donet-Kamel de l'INSERM, qui avaient déjà commencé à travailler sur le processus de conférence de citoyens pour l'ancien Secrétaire d'état aux universités, M. François d’Aubert.

Ces trois sociologues, ce juriste et ces trois scientifiques ont donc formé le Comité de pilotage et ont pris collectivement certaines décisions concernant la Conférence de citoyens.

L'intérêt de tout ce processus, est de débattre, au travers des auditions publiques d'aujourd'hui, ouvertes à la presse, avec des experts qui n'ont pas le même avis sur ce sujet, sur six thèmes :

1. Les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

2. Les enjeux pour la recherche

3. Les enjeux réglementaires, comment organiser l'expertise, comment l'articuler avec la décision publique

4. L'information du consommateur, problème d'actualité, y compris cette semaine, avec les problèmes de l'étiquetage, de la traçabilité et de la sécurité alimentaire

5. Les avantages et les risques des organismes génétiquement modifiés en matière d'environnement

6. Les avantages et les risques en termes de santé.

Au travers de ces tables rondes et de la Conférence des citoyens, rassemblant d'un côté des experts, de l'autre des profanes, il est intéressant de confronter des avis, même si ceux-ci ne représentent qu'une partie  de la population, mais également de lancer un débat.

Ce débat n'a pas eu lieu alors que certaines décisions ont déjà été prises. Cela a été reproché. Lorsqu'une moitié des Français ne sait pas ce qu'est une plante transformée par ingéniérie génétique, cela montre bien le décalage qui existe entre la réalité vécue par le consommateur et le progrès des sciences et des technologies.

Un travail a été mené par le Sénateur Bizet, plus spécialement sur la  partie économique, c'est-à-dire les enjeux économiques pour l'agriculture des plantes transgéniques.

Au travers de tout cela, le Parlement a souhaité que l'on puisse lancer le débat, que des avis puissent être confrontés, que des agriculteurs, des industriels, des chercheurs, des consommateurs, des associations de protection de l'environnement puissent donner leurs avis et les confronter.

Ce n'est pas un débat à la Guillaume Durand. Cela ne doit pas donner lieu à des empoignades mais, au contraire, cela doit être pour nous-mêmes, pour la presse et pour ceux qui relayeront le débat, l'occasion de réfléchir à des solutions éventuelles à apporter à des questions éminemment complexes.

Pour terminer cette présentation, on peut dire que nous avons eu de manière classique des auditions privées, cadre classique du travail parlementaire, des auditions publiques aujourd'hui, c'est-à-dire des expertises collectives et contradictoires, une conférence de citoyens, c'est-à-dire les avis du citoyen ou d'un panel de citoyens sur un sujet complexe. De plus, nous avons lancé un forum sur Internet, qui sera interactif.

Nous étions dans une situation relativement compliquée au niveau de l'Assemblée nationale, avec un traitement qui était relativement lent, et une apparition assez lente du forum sur le site Assemblée nationale. Je donne l'adresse du site : http://www.assemblee-nat.fr

Un débat sera interactif à partir du 1er juin, et il appellera des réponses. Il est déjà ouvert, mais il sera réellement interactif le 1er juin, avec des moteurs de recherche plus performants qui permettront d'arriver assez rapidement sur ce forum.

J'ai donné l'adresse du site pour la presse, parce que plus on relayera ce site, plus il y aura d'avis. Ce seront d'autres types d'avis, qui viendront à côté de ceux des associations et des experts, et de ceux d'un panel de citoyens. Les internautes nous donneront également leur avis sur ce sujet, et je pense que c'est opportun.

Nous allons maintenant aborder la Table ronde I.

 

 

Table ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

 

M. le Président - Pour cette première table ronde, j'ai à mes côtés :

- Monsieur Emmanuel Jolivet, économiste à l'INRA

- Monsieur Jean-Marie Pelt, botaniste bien connu, qui est à l'université de Metz

- Monsieur  Pierre Pagesse, Président de Limagrain

- Antoine Messean et Francine Casse, que j'ai déjà présentés

- Monsieur Marcel Cazalé, Président de l'Association générale des planteurs de maïs

- Monsieur René Riesel, Secrétaire national de la Confédération paysanne, chargé des OGM.

Dans les auditions privées, nous avons bien sûr vu pratiquement toutes les associations, sociétés ou entreprises qui sont à cette table.

De cette première table ronde "Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation", je dirai, à titre de brève présentation, qu'avec les organismes génétiquement modifiés, on assiste à l'entrée en force des sciences de la vie dans l'agriculture et dans l'alimentation.

Bien entendu, cette technique n'était pas absente de ces domaines avec le développement plurimillénaire des techniques de fermentation en alimentation et les méthodes de sélection et de croisement des plantes.

Mais les techniques de transgénèse apparaissent réellement comme devant révolutionner ces deux secteurs, notamment à cause de leur très grande efficacité, et à cause de leur rapidité à obtenir les résultats recherchés.

Les enjeux sont considérables, car celui qui détiendra le pouvoir de produire des aliments aura un pouvoir politique considérable. Cette situation doit s'apprécier compte tenu des projections démographiques, qui font entrevoir une forte croissance de la population mondiale au cours des vingt prochaines années, et aussi des problèmes d'environnement entraînés par l'intensification de l'agriculture.

Les rivalités entre les producteurs de matières premières alimentaires existent déjà, mais elles vont sans doute s'aviver dans le futur. Ma récente mission aux Etats-Unis me l'a confirmé, des contentieux existent déjà sur le point de savoir si l'Europe autorisera ou non la culture d'un certain nombre de plantes transgéniques.

Il est bien entendu que cette question se pose dans le cadre des règles de l'Organisation mondiale du commerce. Le problème sera donc de savoir notamment si l'Europe peut se désintéresser de ces techniques et laisser la part du lion du marché agroalimentaire mondial aux Etats-Unis. Nous en parlerons tout à l'heure avec des chiffres.

Nous avons donc un certain nombre d'enjeux en termes d'environnement, des enjeux en termes économiques, et je pense qu'autour de cette première table ronde, nous devons essayer de les cerner.

Je donne le chiffre que j'ai vu cette année et qui m'a impressionné : 16 millions d'hectares cultivés en plantes transgéniques en 1998 aux Etats-Unis ; 26 millions dans le monde. Ces 16 millions d'hectares sont à comparer aux 13 millions d'hectares de grandes cultures françaises. Ce sont 16 millions d'hectares en soja, en maïs, en coton, puis en tabac et une dizaine d'autres plantes, avec des superficies beaucoup plus faibles.

La règle du jeu est simple : vous commencez par une présentation de cinq minutes, qui sera suivie d'un débat. Ensuite, des questions seront posées par la salle. Si certains ont le temps, on peut les poser. Mais s'il y a beaucoup de questions, ce que je pense, transmettez-les et nous les poserons à nos intervenants. Des feuilles circuleront pour que vous puissiez le faire.

 

M. Cazalé - Monsieur le Président, vous avez débuté par une présentation des éléments extérieurs, qui font aussi partie des contraintes. Effectivement, il n'est pas inutile de savoir que largement plus que la sole des terres cultivables en France est cultivée aux seuls Etats-Unis en plantes transgéniques.

Mais cela se double d'une autre affaire : le taux de croissance a été très rapide. Cela implique une question : pourquoi y a-t-il un tel engouement dans ce pays ? Il faut bien que les acteurs économiques y trouvent leur compte. Sinon, il y aurait eu une évolution peut-être négative, en tout cas un retour en arrière, et non pas une croissance d'une telle rapidité.

Lorsque l'on se rend aux Etats-Unis, il nous est dit que, pour des questions incidentes, sanitaires en générales, on remarque, outre les défenses prévues dans les caractéristiques de la plante, une croissance des rendements telle que l'intérêt économique existe pour justifier les achats par les agriculteurs, puisque personne ne les obligera à le faire, de semences plus coûteuses que les semences non-OGM.

Cela concerne principalement deux cultures : le maïs et le soja, et nous, Européens, sommes concernés par les deux produits au titre de la consommation.

Pour le maïs, des conventions signées au moment de  l'adhésion de l'Espagne et du Portugal font l'obligation à la Communauté d'importer environ 2,5 millions de tonnes de maïs venant presque exclusivement des Etats-Unis. Après le retard pris par la Communauté, qui ne s'est pas pressée de remplir ses obligations, nous aurons l'obligation de le faire, avec des maïs importés qui contiendront une fraction d'OGM plus importante que l'année dernière.

Pour le soja, nous nous approvisionnons presque exclusivement aux Etats-Unis en tourteaux pour l'alimentation animale. Dès maintenant, dans l'aliment du bétail, des tourteaux de soja ayant pour origine des plantes transgéniques figurent dans des proportions assez conséquentes.

Nous n'avons pas rencontré de genre de problème en Europe, d'abord parce que l'origine de la technique est aux Etats-Unis, et que les firmes américaines ont engagé des sommes considérables et continuent à le faire de manière fabuleuse. C'est à couper le souffle de voir les engagements économiques qui sont pris par des personnes qui doivent tout de même avoir un peu de jugement...

En France, nous avons du retard parce qu'ils n'ont pas été autorisés, mais aussi parce que l'intérêt immédiat n'a pas paru évident chez les producteurs. Cela s’explique par le fait que les premières variétés qui ont fait l'objet de transgénèse sont un peu anciennes, s'appliquent à quelques zones et que, par ailleurs, les espaces cultivés qui sont victimes de l'agression des insectes comme la pyrale ne sont pas très larges dans notre pays. Les surfaces cultivées sont donc très petites.

Dans l'évolution du progrès, il faut constater que, dans les propositions qui nous étaient faites l'année dernière, certaines variétés, soit étaient résistantes aux insectes, soit supportaient des traitements insecticides nouveaux.

En l'espace d'un an, nous avons des variétés qui supportent à la fois les insecticides et les désherbants. Une telle réalisation montre l'évolution très rapide de la technologie et donne quelques indications sur ce à quoi nous pouvons nous attendre pour les années qui viennent.

Pour situer les OGM, je considère qu'il est un peu limitatif de parler d'OGM, parce qu'il ne s'agit finalement que d'une application d'une science nouvelle, et pas seulement d'une technique nouvelle, la transgénèse. Ses capacités sont très élevées, et, comme beaucoup de sciences et comme la langue d'Esope, peut être la meilleure et la pire des choses.

Nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas en surveiller les applications, mais il faut faire un tri entre les bonnes et les mauvaises applications.

Je pense donc qu'il est évident que nous nous trouvons là avec une perspective d'applications multiples et actuellement insoupçonnées d'une science nouvelle qui est la transgénèse.

Il faudra bien sûr, notamment sur un secteur dans lequel nous n'avons pas de compétence, celui de la qualité des produits élaborés, faire appel à des instances scientifiques. Celles-ci détermineront le caractère acceptable de ces plantes nouvelles en vérifiant qu’elles ne présentent pas de difficultés particulières par rapport aux plantes non transgéniques.

Je voudrais maintenant terminer par quelques mots sur les caractéristiques de la plante maïs, au regard des problèmes soulevés par l'admission, et en particulier par la diffusion.

Il se trouve que nous ne connaissons pas de plante sauvage fécondable par le maïs, ce qui n'est pas le cas de toutes les plantes. Si elle devait exister, elle serait en Amérique centrale. C'est donc une garantie qui n'est pas commune.

En second lieu, on pourrait dire que, depuis cinq cents ans que le maïs est cultivé en Europe, il a pu se fabriquer des plantes sauvages. Or, le maïs ne peut pas se multiplier sans l'intervention humaine. Si un épi tombe au sol, il pousse une touffe de plantes incapables de produire un grain. La main de l'homme doit donc arracher les grains de la rafle et les disperser pour que les plantes puissent être assez isolées pour produire elles-mêmes un épi.

Une autre caractéristique est de création relativement récente : les surfaces plantées le sont avec du maïs hybride. Cela présente la caractéristique d'exiger l'achat des semences chaque année. Cela signifie que si l'on éprouvait par hasard le besoin de faire marche arrière, on pourrait revenir en très peu de temps sur des autorisations que l'on aurait données.

Tels sont les propos que je pouvais tenir en guise d'introduction.

 

M. Le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Président.

 

M. Riesel - Comment s'empêcher de penser que cinq minutes est tellement court pour exposer des positions et, pour ce qui me concerne, des objections de la Confédération paysanne à la commercialisation et à la mise en culture d'organismes génétiquement modifiés, que l'on a peut-être escompté que personne ne gâcherait de précieuses secondes à le souligner.

Je le ferai pourtant d'emblée car, pour la Confédération paysanne, c'est notamment la démocratie, ses formes admises, ou les progrès qu'apporteraient ces formes génétiquement modifiées du type conférences de consensus, que pose et auxquels renvoit la façon dont on entend traiter la question des OGM en agriculture.

La Confédération paysanne s'élève donc contre un débat à grande vitesse, où l'innovation technologique souligne les contours d'une organisation sociale où le talk-show médiatique, le radio-crochet prétendent se substituer, une fois les décisions prises, au débat préalable.

C'est pour cette raison que la Confédération paysanne a choisi, en janvier de cette année, de refuser cette règle du jeu détestable en dénaturant un stock de semences de maïs transgénique Bt de Novartis dans le Lot-et-Garonne, afin d'imposer ainsi un procès et un véritable débat public sur les plantes transgéniques.

Nos objections sont globales ; elles portent sur les risques pour la santé publique, les risques pour l'environnement et la biodiversité, les risques économiques et sociaux et les risques pour la démocratie.

Je laisserai aux plus compétents que moi, parmi ceux qui ont consenti à participer à cette audition, le soin d'exposer les risques pour la santé humaine et animale, et singulièrement pour ce qui concerne la résistance à l'ampicilline du maïs Novartis déjà autorisé et les risques pour l'environnement et la biodiversité, que ce soit par transmission sexuelle ou par passage aux bactéries du sol.

Concernant les pollutions induites, j'insisterai seulement sur le fait que l'imposture joue à guichet ouvert lorsque les "obtenteurs" prétendent actuellement produire plus propre grâce aux OGM.

Si l'ensemble des grandes cultures devait être un jour OGM, c'est tout au plus une économie de 15 % des produits phytosanitaires actuellement utilisés qu'apporterait cette prétendue révolution technologique, en accroissant les risques de surdosage accidentel routinier, s'agissant de plantes résistantes.

Mais d'autres risques nous paraissent majeurs, au premier rang desquels l'aggravation de la dépendance des paysans par rapport aux firmes pharmaco-chimiques, leur intégration définitive dans un complexe agro-industriel déresponsabilisant pour eux.

Une telle perspective n'est pas seulement préjudiciable pour les paysans des pays développés. Elle concourrait à continuer à détruire les outils d'autosuffisance des agricultures vivrières des pays en voie de développement, dont nous avons la faiblesse de penser qu'ils peuvent avoir d'autres ambitions géopolitiques que d'être nourris par les "farmer's druck on belt" ou les chefs d'entreprises agricoles performants sur fonds publics des bassins céréaliers européens.

La Confédération paysanne dénonce, dans l'introduction précipitée des organismes génétiquement modifiés en agriculture, l'organisation délibérée d'une prise de risques de type industriel, au profit exclusif de l'agro-industrie et de l'agro-fourniture, qui ont seuls intérêt à la propagation de techniques dont ni les paysans ni les consommateurs ni la société n'ont besoin.

Prétendre de façon irresponsable que refuser ce risque, c'est courir celui de voir d'autres pays ou groupes de pays accroître leur compétitivité par rapport à notre agriculture, c'est raisonner à courte vue ; c'est admettre que l'on est prêt à tous les risques pour conforter une agriculture productiviste, dont l'ensemble de la société ne veut plus et dont nous avions cru comprendre qu'elle était remise en cause dans la loi d'orientation agricole dont ce pays devrait se doter prochainement.

Voilà, très rapidement exposée, une toute petite partie des raisons pour lesquelles la Confédération paysanne continuera à se battre pour obtenir un moratoire sur la commercialisation et la mise en culture, ainsi que l'élevage d'organismes génétiquement modifiés.

Je vous remercie.

 

M. Le Président - Merci, Monsieur Riesel. C'est effectivement  court, mais vous aurez l'occasion de reparler pendant la table ronde. C'était un exposé introductif.

Peut-être vais-je vous demander, Monsieur Pagesse de répondre, parce que vous êtes aussi agriculteur. Monsieur Riesel vient de dire que c'est l'aggravation de la dépendance des paysans ; vous êtes paysan et vous êtes dans une coopérative qui s'est lancée dans les plantes transgéniques. Qu'en pensez-vous ?

 

M. Pagesse - Merci, Monsieur le Député, bonjour à tous.

Je souhaite tout d'abord dire que, depuis que l'humanité est passée de l'économie de cueillette pour se nourrir à l'agriculture, nous avons fait de l'amélioration des plantes, et nous avons fait de la transgénèse, à partir bien sûr des lois de l'hérédité et souvent des lois du hasard.

Mais, bien entendu, nous sommes devant de nouvelles applications du génie génétique, qui sont au coeur d'une mutation sans précédent pour l'agriculture et probablement pour la société tout entière.

A mon avis, l'Europe et, dans l'Europe, la France, doivent participer activement à cette mutation, sous peine de laisser les Etats-Unis développer une hégémonie technologique et commerciale qui risque d'être pour nous complètement irréversible.

Je donne tout d'abord quelques constats -cela a déjà été dit- : aux Etats-Unis, les plantes génétiquement modifiées sont en pleine expansion. On peut dire qu'actuellement, dans le monde, il y a autant de surfaces de plantes génétiquement modifiées que de SAU (surfaces agricoles utiles) en Europe, si l'on ajoute la Chine et le Canada.

On peut donc considérer qu'à l'horizon 2005, plus des deux tiers des grandes cultures américaines seront améliorés par le génie génétique. Cette amélioration portera bien entendu sur des applications agronomiques, avec un certain nombre de résistances (aux insectes, aux virus, aux champignons, aux différents stress hydriques ou de salinité), mais surtout sur des applications qualitatives, dans le domaine de l'alimentation, de l'industrie, et aussi dans celui de la santé.

Des plantes plus résistantes, mieux adaptées aux contraintes climatiques et aux exigences de la protection de l'environnement, répondant à toute la diversité des nouveaux besoins industriels, relégueront les cultures actuelles au rang des produits dépassés ou au rang de simples matières premières, au prix des matières premières.

Le dire n'est pas céder au "tout OGM" ; ce n'est pas militer pour une technologie qui ferait figure de panacée ; c'est simplement reconnaître qu'avec précaution et responsabilité, principes intangibles que les industriels s'appliquent quotidiennement à eux-mêmes, les biotechnologies, et en particulier le génie génétique, apportent des progrès agronomiques et qualitatifs indéniables.

Ces progrès ouvriront des marché à plus forte valeur ajoutée, tant pour l'agriculture que pour l'ensemble des filières agroalimentaires.

Il est impensable que l'Europe tourne le dos à ces perspectives d'avenir, à ces perspectives de compétitivité et de progrès pour tous.

Dans cette mutation sans précédent, les semences occupent bien entendu une position-clé. Elles sont le vecteur indispensable de ces nouvelles technologies. C'est en effet à ce stade que les meilleures combinaisons de gènes particuliers et d'une variété élite se feront ou ne se feront pas, et les grands agrochimistes mondiaux comme Monsanto ou Du Pont l'ont bien compris. Ils rivalisent pour acheter à prix d'or les sociétés semencières et les meilleurs laboratoires de biotechnologie.

Il n'y a pas une semaine sans que l'on entende l'annonce d'une nouvelle acquisition. Le résultat, c'est la formation d'immenses conglomérats, qui se comptent dorénavant sur les doigts d'une seule main, et qui profitent essentiellement, bien entendu, à l'économie américaine.

Pour nous, semenciers européens indépendants, qui nous accrochons à cette indépendance malgré des offres répétées, ces mouvements de concentration et d'intégration verticale sont de réels sujets d'inquiétude.

Pour les agriculteurs, la perspective d'un avantage compétitif accru de l'agriculture américaine par rapport à l'agriculture européenne est également un vrai sujet de préoccupation, d'autant plus qu'avec l'Organisation mondiale du commerce, nous entrons dans une mondialisation des échanges, où seule l'innovation permettra de faire la différence et d'affronter les nouvelles perspectives du marché.

Avec les accords de l'OMC, que la France a signés, il n'est plus possible de se retrancher derrière je ne sais quelle barrière ou exception européenne. Avec ces accords de l'OMC, la profitabilité du vivant a été officiellement reconnue.

Cette nouvelle donne fait de la prise de brevets une arme stratégique pour tous les compétiteurs. Le brevet, c'est avoir le droit d'exploiter, mais aussi celui d'interdire ; c'est avoir le champ libre pour gagner de nouveaux marchés.

C'est le coeur de cette nouvelle économie de la connaissance qui s'impose au plan international. Longtemps, l'agriculture, et particulièrement l'agriculture française, a construit son progrès sur une culture de partage et d'échanges. Elle bascule aujourd'hui dans cette économie internationale, où la valeur ajoutée n'appartiendra qu'à ceux qui auront su créer, consolider, protéger et valoriser des innovations majeures.

Mais mesurer ces enjeux, c'est mesurer aussi le poids réel de l'agriculture française et de ses débouchés. Nous sommes encore le deuxième exportateur mondial de céréales,  mais pas seulement. L'agriculture et ses filières représentent, comme aux Etats-Unis, environ 15 % du produit intérieur brut, soit plus de 750 milliards de francs.

Si nous voulons maintenir ce rang, nous devons impérativement investir dans ces nouvelles sciences de la vie. Notre niveau de vie, et pas seulement celui des agriculteurs, en dépend. Faisons donc jouer tous nos atouts, et vite, car il y a des retards qui ne se rattrapent pas, des atouts, car nous en avons, et en particulier en matière de recherche.

Vous savez qu'un grand projet national de génomique végétale est en cours d'élaboration. Il réunit les principaux semenciers français, avec Rhône-Poulenc et l'INRA. C'est un projet lourd, qui nécessite un soutien important des pouvoirs publics.

C'est avec de tels types de programmes fédérateurs que nous pourrons espérer rivaliser avec nos amis américains et participer pleinement à la course à l'innovation. Nous sommes bien à l'heure des choix, des choix de modernité, de progrès et d'indépendance. Et lorsque je parle d'indépendance, je ne pense pas seulement à celle des agriculteurs, mais à celle des filières et, finalement, à celle du consommateur.

Car c'est sa liberté de choix qui est en cause : pouvoir choisir et non pas subir l'hégémonie programmée des produits américains.

 

M. Le Président - Merci pour cette introduction. Je demande maintenant à Jean-Marie Pelt, botaniste, Président d'honneur d'ECOROPA, association qui est partie prenante d’"Agir pour l'environnement" et qui s'oppose aux plantes transgéniques, de donner son avis.

 

 

M. Pelt - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, j'ai été frappé par les orientations nouvelles qui se dessinent en matière de politique agricole pour notre pays, lorsqu'il y a peu de temps, et encore maintenant, Bruxelles prétendait faire entrer notre agriculture de plain pied dans la mondialisation, en insistant beaucoup sur notre capacité à produire beaucoup, à être "productivistes", comme on le dit.

On a vu les paysans français réagir dans tous leurs syndicats, dans toutes leurs formations professionnelles, tout comme le Ministre de l'Agriculture, en faveur d'une agriculture peut-être moins productiviste mais plus orientée vers la qualité, vers l'autosuffisance de nos marchés et des marchés européens, avec l'idée que si l'on produit de la bonne qualité, on s'ouvrira également sur les marchés internationaux.

Il y a donc en quelque sorte une tendance quantitative d'un côté, et plus qualitative de l'autre.

Comment promouvoir une agriculture de qualité ? C'est en fait la question qui se pose à nous aujourd'hui. On sait que l'on ne peut pas aller plus loin dans le domaine de la chimie ; c'est la raison pour laquelle on voit tous les grands organismes agroalimentaires refluer vers les biotechnologies et les sciences de la vie.

La chimie implique davantage de pesticides, avec les problèmes de santé que cela pose. Faut-il alors aller dans la direction du "tout transgénique" ? C'est au fond la question posée dans le débat de ce matin.

En quelques minutes, je voudrais reprendre le dossier du maïs, que j'estime tout à fait symbolique. Nous l'avons autorisé en culture en France, avec un argument qui vient d'être rappelé : le maïs n'a pas de plante sauvage proche qu'il pourrait contaminer par ses gènes.

Oui mais, proche du maïs transgénique, il y a le maïs conventionnel, qui sera évidemment atteint par les gènes venant du maïs transgénique, ce qui -cela n'a jamais été dit- rendra rapidement impossible d'avoir sur les marchés de la consommation des maïs que l'on pourra qualifier de non-transgéniques, car il y aura des transgènes un peu partout.

Dans la nature, le pollen se diffuse très rapidement pour le maïs, en peu de temps (environ une heure et demie), et lorsqu'il y aura beaucoup de maïs transgénique, le maïs non-transgénique sera lui aussi devenu un maïs transgénique. L'étiquetage sera donc impossible.

Si l'on piétine, comme on le fait depuis deux ans à Bruxelles, au Parlement européen et dans tous les Etats membres de la Communauté européenne, sur l'étiquetage, c'est parce que l'on n'arrivera pas à étiqueter. En effet, dans la nature tout se communique ; on n'est pas dans un laboratoire, et les problèmes dans la nature sont tout à fait différents des problèmes techniques rencontrés dans un laboratoire.

C'est la raison pour laquelle la dissémination des plantes transgéniques pose en soi un problème différent du travail en strict laboratoire.

Ce maïs contient un gène de résistance à l'ampicilline, qui est un antibiotique. Ce gène de résistance, par une seule mutation qui ne manquera pas de se produire dans très peu de temps, deviendra alors un gène de résistance à toutes les céphalosporines, antibiotiques les plus utilisés actuellement pour des maladies graves.

On risque donc de voir ce gène passer dans l'intestin des animaux ou des hommes qui le consomment ou dans le sol, par les racines, sur des bactéries qui deviendraient ainsi résistantes aux antibiotiques. Or, créer des bactéries résistantes aux antibiotiques, c'est à la fois une erreur et une faute, et je dirais même une faute grave, car l'un des grands problèmes de santé que l'on rencontre actuellement, est celui de la résistance aux antibiotiques.

Dans les hôpitaux, il y a dix mille morts par an parce que la résistance aux antibiotiques augmente très rapidement et que nous n'avons plus les antibiotiques suffisants pour faire face à ces résistances en progrès.

Il fallait donc évidemment ne pas mettre un gène de résistance aux antibiotiques dans le maïs. Lorsque l'on sait qu'aujourd'hui il serait possible de ne pas l'y mettre, il faut alors regretter que ce maïs ait été autorisé et que l'on n'ait pas demandé aux producteurs de ne plus mettre ce gène, qui, je crois, ne se mettra d'ailleurs plus dans les années qui viennent.

Ensuite, il y a un aspect écologique tout à fait curieux, que l'on ne verra qu'avec un certain temps, car tous ces problèmes ne viendront qu'avec le temps : le maïs Bt résiste à la pyrale, qui meurt lorsqu'elle le mange, et à la noctuelle, qui ne meurt pas lorsqu'elle le mange.

Un troisième insecte mange les noctuelles, donc protège le maïs. Or, lorsque ce troisième insecte mange les noctuelles qui ont mangé du maïs BT, il meurt. L'insecte protecteur disparaîtra donc petit à petit, et il y aura de la part de la noctuelle une "bonne affaire", car elle deviendra le compétiteur tranquille du maïs dans quelques années, et on ne l'aura pas éliminée.

Je parle de quelques années, parce que la pyrale deviendra également résistante. On a fait des travaux très fins  sur le sujet, et l'on pense que, dans quelques années, la pyrale sera devenue résistante au maïs BT, qui n'aura plus d'intérêt, pas plus que le Bt lui-même. On aura fait  ce que l'on fait pour les antibiotiques : on aura créé de nouvelles résistances dont on ne saura pas se dépêtrer.

Car c'est dans cette direction que l'on s'engage : des résistances en série que la biologie connaît bien, qui font partie des lois de la vie, que peut-être les chimistes qui se reconvertissent aux biotechnologies ne connaissent pas encore mais qu'ils ont peu de temps pour connaître.

Pour terminer, il y a la question fondamentale : c'est sur le maïs que l'on a découvert les gènes sauteurs, c'est-à-dire que les gènes peuvent passer d'un endroit à un autre du génome, et d'un génome à un autre génome. C'est ce que l'on appelle les transferts horizontaux.

C'est un domaine immense, dont personne ne connaît rien. C'est la boîte de Pandore du génie génétique. On ne sait pas ce que peuvent donner ces gènes lorsqu'ils deviennent sauteurs ou lorsque le génome est perturbé, comme il l'est par transgénèse. L'on peut imaginer que de nouvelles recombinaisons se font -je prends exprès le mot scientifique-, et aboutissent à de nouveaux agents pathogènes peut-être, qui seraient des bactéries ou des virus.

L'hypothèse de voir naître de nouvelles maladies dans quelques années est redoutable ; on ne peut pas l'exclure.

Ce dossier du maïs, que l'on croyait la plante la plus simple à rendre transgénique, est au départ terriblement " plombé ", et tout ce que j'évoque ne peut apparaître que dans quelques années. On va beaucoup trop vite, et cette précipitation, qui a été soulignée, de passer brusquement au transgénique pour des avantages immédiats, me paraît tout à fait redoutable.

C'est la raison pour laquelle nous proposons le fameux principe de précaution : dans le doute, on s'abstient. Il faudrait travailler davantage le génie génétique, qui n'est pas une base assez solide actuellement pour voir se construire sur elle l'immense cathédrale des plantes transgéniques. Nous n'avons pas les bases scientifiques suffisantes ; le génie génétique est trop récent pour que l'on parte à cette vitesse dans la direction du transgénique.

En conclusion, n'ayons pas trop de complexes à l'égard des Etats-Unis. Jusqu'à présent, en matière d'alimentation, ils n'ont pas montré ce qu'ils savent faire. L'obésité répandue partout, le diabète très fréquent, la mauvaise alimentation, celle que nous déplorons dans nos restaurants rapides, ne donnent pas l'impression qu'il faut suivre à tout prix les Etats-Unis en matière alimentaire.

Nous proposons une agriculture qui serait durable, raisonnée, biologique, etc. Il n'y a pas ici d'intégrisme en faveur d'une agriculture particulière, mais en tout cas une faveur pour une agriculture plus prudente, qui conserve de nombreux agriculteurs à la terre. C'est d'ailleurs sur ce thème que nous allons réunir au sein d'ECOROPA, demain, un panel pour évoquer ces points, et très prochainement à Metz, dans mon institut, "quelle agriculture voulons-nous vraiment pour demain ?".

On n'exclut pas forcément à perpétuité le transgénisme, mais nous disons que, maintenant, il n'est pas l'heure d'aller dans cette direction.

 

M. Le Président - Vous avez posé beaucoup de questions. Je souhaiterais que l'on se limite au débat aujourd'hui, car nous verrons demain dans le débat sur la santé le problème des marqueurs aux antibiotiques, dans le débat sur l'environnement le problème des résistances d'insectes, et tout à l'heure dans la table ronde concernant la recherche le problème des gènes sauteurs.

Néanmoins, dans un exposé liminaire, on peut poser la totalité de la problématique.

Monsieur Jolivet, vous qui suivez le problème d’un point de vue économique et qui suivez à l'INRA les personnes qui traitent de ces questions d'économie, quel est votre avis, à la question : y a-t-il un enjeu ?

Certains, comme Monsieur Pelt, disent que l'on va trop vite ; d'autres, comme Monsieur Pagesse, disent que l'on va trop lentement et que les Américains ne nous attendent pas, que ce sont des " rouleaux compresseurs " et que la compétitivité de notre économie, de notre agriculture et de notre agroalimentaire est mise en jeu. Où est la vérité du côté des économistes ?

Cela a-t-il modifié l'agriculture ? Finalement, y aura-t-il une plus grande dépendance de nos agriculteurs dans ce nouveau modèle économique qui chamboule un peu tout ?

 

M. Jolivet - Merci, Monsieur le Député. Je vais partir de quelques indications. En 1996, on a cultivé aux Etats-Unis 750.000 hectares de coton Bt. Cette culture a dégagé une variation de surplus d'environ 127 millions de dollars, soit environ 1000 francs français par hectare.

La répartition de ces 1000 francs entre les différents acteurs économiques est estimée de la façon suivante :

- 490 francs aux agriculteurs (près de la moitié)

- 400 francs à la firme Monsanto, producteur du gène

- 100 francs à la firme Delta & Pineland, qui fournit la semence, rachetée depuis par Monsanto

- 10 francs au consommateur.

C'est l'une des rares études économiques existant actuellement sur l'introduction des plantes transgéniques aux Etats-Unis. Ce résultat doit donc être pris avec un certain nombre de précautions, mais il a tout de même l'avantage de mettre en scène les différents acteurs de la chaîne économique.

Ce qui m'intéresse dans ces données, c'est le 1 % sous forme de baisse de prix, qui profite aux consommateurs. Je pense que, dans cette affaire, on l'oublie un peu trop. Il a été peu question de lui dans les précédents exposés, et c'est à se demander si les producteurs et les firmes ne négligent pas trop le pouvoir régulateur des consommateurs sur les marchés.

La question ne se pose pas exactement de la même façon aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, les consommateurs semblent assez indifférents ; il y a peu de mouvements. En Europe, ils sont assez opposés ; c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles nous sommes là aujourd'hui.

On peut dire que c'est lié à toutes les aventures que nous avons connues récemment (vache folle, amiante, etc.), mais certains sociologues, et non pas des économistes, pensent qu'il y a là un mouvement beaucoup plus profond, et que, dans le domaine des choix technologiques, les citoyens et les consommateurs qui sont des citoyens veulent être beaucoup plus largement associés, surtout lorsque ces choix technologiques concernent directement leur santé, leur cadre de vie et leur alimentation.

Certains sociologues voient dans ce mouvement une restructuration en profondeur de la société. De façon beaucoup plus concrète, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à des critères qualitatifs multiples (la santé, l'impact environnemental, les conditions de production des produits), et à des notions éthiques.

Ils exigent et ils exigeront de plus en plus que ces attributs soient clairement énoncés. Ils exigeront de plus en plus d'être utilement informés, et c'est une question que les différents acteurs économiques autres qu'eux doivent prendre en compte.

Sur l'agriculture et les agriculteurs, qui sont aussi des acteurs importants, très peu d'études nous permettent pour l'instant de dire ce que gagneront les agriculteurs. On observe tout de même des augmentations de rendement, des diminutions de traitement, puisque pour le moment, les seuls éléments sont des plantes dont les capacités de résistances sont intégrées dans leur génome.

Il ne faut tout de même pas négliger le fait qu'il y a un gain. La diminution du travail et des traitements compense plus ou moins largement le surcoût des semences et les taxes technologiques que perçoivent les firmes pour permettre aux agriculteurs d'utiliser leurs semences et leurs technologies.

Cela étant, si, sous la pression des consommateurs, dont il était question tout à l'heure, on envisage qu'il y ait une ségrégation entre les OGM et les cultures non-génétiquement modifiées, il y aura nécessairement des changements de systèmes de production induits. Ces changements seront liés, par exemple pour contrecarrer l'évolution génétique et l'apparition de résistances, à l'entretien des chemins et des bordures, à la maîtrise des repousses et à des pratiques de cultures-refuge, qui permettront de contrôler ces dangers potentiels.

Il n'y a actuellement aucune idée sur les coûts de ces affaires.

D'autre part, je souhaite aborder, toujours pour les agriculteurs et plus spécifiquement pour les agriculteurs européens, la question des dangers qu'il pourrait y avoir à ne pas prendre en charge et produire des plantes transgéniques.

On a déjà évoqué deux notions :

- on peut se faire battre sur le marché mondial, pour les produits de masse, et de toute façon, le maïs et le soja sont les produits d'attaque des Etats-Unis ;

- on peut aussi perdre en interne le marché de l'alimentation animale.

L'Europe peut être soumise à une attaque au sein de l'Organisation mondiale du commerce, qui considérerait que les procédures d'homologation plus longues et plus compliquées des organismes génétiquement modifiés mis en place sont des barrières non-tarifaires.

Cela étant dit, certains économistes s'occupant justement de ces problèmes de barrières non-tarifaires à l'OMC, pensent que, dans un tel combat, l'Union européenne pourrait gagner en se fondant sur le refus ou sur la résistance des consommateurs à l'introduction des OGM.

Un autre problème a déjà été un peu évoqué : celui du progrès technique, de la capacité des agriculteurs à s'en emparer, et du fossé qui pourrait se creuser entre les agriculteurs d'outre-Atlantique et les agriculteurs européens.

Là aussi, les économistes ont un avis. Ils pensent que ce n'est pas tellement sur les cultures de masse que se fera la différence, mais sur celles des productions différenciées, c'est-à-dire celles sur lesquelles on travaille plus sur les avantages qualitatifs en termes de transformation ou de qualité organoleptique, etc., que sur les produits de masse comme le maïs.

Effectivement, on peut imaginer que, si les agriculteurs européens prennent beaucoup de retard, il y a de nombreux phénomènes d'apprentissages (techniques, organisationnels ou de commercialisation) qu'ils feront beaucoup plus tard que leurs compétiteurs d'outre-Atlantique. C'est aussi un danger pour eux.

 

M. Le Président - Merci beaucoup. Vous avez parlé du problème des consommateurs ; là aussi, nous aurons une table ronde consacrée uniquement à cela, mais c'est le lot d'une table ronde qui démarre : on pose des problèmes qui seront traités sur deux jours.

Je souhaite donc maintenant que nous nous limitions au thème de cette table ronde, sachant que les autres thèmes seront abordés durant ces deux journées.

Plusieurs questions ont été posés par les uns ou les autres, sur lesquelles il y a eu des déclarations liminaires  mais pas de réponses. Je vais essayer d'en poser quelques-unes et évoquer quelques-unes qui n'ont pas été posées.

Tout d'abord, y a-t-il un avantage économique à l'utilisation de plantes génétiquement transformées, ou y a-t-il une nouvelle dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes agrochimiques ? Cela a été posé de manière très claire, et je souhaiterais que l'on réponde à cette question.

La deuxième question que vous avez abordée sans y répondre est la suivante : la surface en terre arable par habitant est en train de diminuer. C'est un argument donné très largement par ceux qui sont pour. Elle était de 0,5 hectare par habitant en 1950 sur notre planète, elle est actuellement de 0,3 hectare par habitant, et l'on pense qu'elle va diminuer.

Dès l'instant où l'on veut traiter cette question, cela implique un développement de ces technologies dans les pays en voie de développement ; est-ce la priorité actuelle des grands groupes industriels ? Est-ce vers les pays en voie de développement qu'ils ont centré leurs efforts ? On peut en douter, mais je souhaiterais une réponse à cette question.

Devait-on commencer par ce qui est le plus rentable, des gènes de résistance à des herbicides, ce qui a été fait, ou plutôt agir sur les qualités nutritionnelles, le goût ou d'autres critères que l'on aurait pu privilégier ?

Les pertes pour cultures, notamment au niveau économique, sont très fortes dans le riz, malgré les traitements, et sont encore plus fortes en absence de traitements sanitaires. Pour le riz, en absence de traitement il y a 82 % de perte au niveau mondial, mais pour le blé aussi et pour le maïs, il y a plus de 35 % de perte malgré les traitements, et 60 % sans traitements.

Finalement, cette technique permettra-t-elle d'augmenter la productivité ? Si oui, à quoi cela servira-t-il, puisque l'on a des problèmes de stocks, de quotas, de gel de terres, des problèmes économiques à régler ?

Vous n'avez pas parlé d'une question qui me paraît très importante : faut-il séparer les filières ? Dès l'instant où l'on réclame le moratoire -j'ai bien entendu, Monsieur Riesel, que vous le demandiez-, et où certains demandent en tout cas des séparations de filières et de l'étiquetage au niveau du consommateur final, faut-il séparer les filières ?

A-t-on le moyen de le faire actuellement dans l'agriculture s'il n'y a pas valeur ajoutée nouvelle ? Si oui, qui paiera le coût de la séparation de ces filières ?

Enfin, vous avez parlé du moratoire ; l'Europe peut-elle refuser les plantes transgéniques ? Comme Monsieur Jolivet vient d'en parler, peut-elle les refuser dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ? Cela a été abordé par Monsieur Jolivet mais pas par les agriculteurs qui sont autour de cette table.

Voici les premières questions ; si vous voulez en poser d'autres, des feuilles circulent pour vous permettre de le faire, et nous les soumettrons à nos interlocuteurs.

Qui veut réagir sur ces questions ? Monsieur Cazalé et Monsieur Riesel, vous aurez la parole l'un après l'autre.

 

M. Cazalé - Je vais d'abord essayer de ne pas réagir uniquement en producteur mais comme quelqu'un qui considère les choses de l'extérieur, et de poser une question en guise de réponse.

Dans l'histoire des hommes, une découverte sur des capacités nouvelles du même ordre que la transgénèse a-t-elle été inutilisée, même lorsqu'elle comportait des risques ? Cela ouvre des perspectives ; cela signifie qu'il faut aménager le déroulement des choses, mais on n'a pas d'exemple, y compris lorsque les savants qui les ont découvertes ont eu peur, où elles n'aient pas été mises en oeuvre.

En second lieu, je voudrais réagir comme producteur à l'analyse de Monsieur Jolivet, que je reconnais exacte mais qui doit se situer dans le contexte.

Le prix du maïs pour l'utilisateur a baissé en valeur constante de plus de quatre fois en l'espace de quarante ans.

Mais si on considère la tendance, il est clair que les progrès ont profité au consommateur et, heureusement, en ces matières, l'offre est supérieure à la demande et l'on voit bien comment les pressions s'exercent.

Ensuite, il y a le fait important qu'il faut des produits de haute valeur ajoutée. Il faut trouver des acheteurs et, quand il y en a, c'est très bien, mais que signifie un produit à haute valeur ajoutée en dehors des vins et des alcools, qui représentent tout de même 42,6 milliards de francs sur 53 milliards de francs de produits transformés ?

Généralement, ce sont des appellations où l'on remonte pour la qualité au producteur et non pas au transformateur. Cela veut dire un peu le contenu des produits transformés.

Il est clair que, selon une carte, publiée par une firme il n'y a pas très longtemps, des terres favorables à la culture sous des climats favorables, on voit la place que prennent l'Amérique du Nord et l'Europe, y compris dans sa pénétration en Asie, sur l'ensemble de la planète.

On peut alors très bien imaginer sur quels équilibres se feront les marchés dans l'avenir, si c'est sur les produits de base, qui sont l'expression la moins coûteuse du sol et du climat, car la valeur ajoutée pourra se faire dans les pays qui ont une nombreuse main d'oeuvre inemployée, la plupart du temps.

Par exemple, pour le bassin méditerranéen, avec sa population, sa croissance de population, dites-moi où sont les terres favorables sous un climat favorable qui existent pour nourrir cette population, qui est aux portes de l'Europe.

Le problème qui se pose est un problème de peur, et je pense que l'on a raison. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut redoubler de précautions, mais ce n'est pas une raison pour refuser d’agir.

Les peurs engendrent un certain nombre de choses, par exemple les séparations entre les bons et les méchants, ceux qui font du quantitatif et ceux qui font du qualitatif. Je rappelle que la part du revenu des ménages consacrée à l'alimentation était, au sortir du dernier conflit mondial, de 50 % et qu'elle est maintenant de 16 %.

Même parmi les peureux, qui se déclare prêt à revenir à l'affectation de 50 % de ses revenus à l'alimentation animale au nom de la recréation d'une agriculture paysanne que j'assimile assez facilement à la restauration historique du siècle dernier ?

Dans cette affaire, on a besoin de certaines choses ; pas d'exemples de démocratie que mon voisin de droite nous a donnés, parce que, pour présenter l'action menée contre Novartis comme un exemple de démocratie, il faut tout de même avoir une certaine élasticité...

Pour résoudre les problèmes, on a davantage besoin d'hommes savants que d'hommes inspirés. En effet, si nous ne devions agir qu'avec des hommes inspirés, les hommes ne quitteraient un obscurantisme que pour en rencontrer un autre.

Je vous remercie.

 

M. Riesel - C'est donc un peureux, et quelqu'un qui est allé chez Novartis et qui a été condamné pour cela, qui va répondre.

Quelque chose d'intéressant se passe ici ; j'en prends acte : les positions évoluent un peu. D'ordinaire, on assiste à un dialogue de sourds. Avant d'aller chez Novartis, nous avions nous-mêmes invité M. Philippe Gay, qui est un chantre-maison du transgénique, à venir débattre avec nous et, pendant une journée, des opinions s'étaient croisées sans jamais se rencontrer.

Néanmoins, il faut tout de même essayer de mettre un peu les points sur certains "i". On a dit tout à l'heure que celui qui a le pouvoir alimentaire a le pouvoir tout court. C'est donc bien de cela qu'il s'agit, et derrière toutes les belles déclarations que nous entendons ici, il n'y a pas de débat entre intégristes de la non-productivité façon XIXème siècle et progressistes purs et durs, chevaliers blancs du progrès.

Lorsque l'on parle de compétitivité de l'agriculture française, il serait intéressant de voir ce que serait cette compétitivité, notamment en grande culture, si l'agriculture n'était pas soutenue comme elle l'est.

Si ce type d'agriculture n'était pas soutenu comme il l'est, ce que la prochaine réforme de la Politique agricole commune entend de toutes les manières continuer, il faudrait aussi parvenir à établir un solde positif véritable de la balance commerciale agricole, et voir ce qui resterait de positif lorsque l'on aurait retiré les importations de carburants, de produits phytosanitaires, de pesticides, de matériels agricoles. J'imagine que l'on se trouverait fort loin derrière le tourisme, du côté des articles de Paris.

On a souligné qu'il n'y avait pas de risque de transmission des caractéristiques du maïs transgénique, et Jean-Marie Pelt a dit qu'il y avait néanmoins un risque pour le maïs conventionnel ; c'est tout de même raisonner avec une certaine légèreté, puisque ce risque de transmission à une autre plante n'existe pas en Europe, mais qu'en est-il aux Etats-Unis ? Considère-t-on que la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique est étanche ?

On dira que ce n'est pas notre affaire mais, si la transgénèse devait pénétrer dans le bassin d'origine du maïs, comme elle le fera inévitablement, cela signifierait que les seules ressources semencières de la planète en matière de maïs se retrouveraient dans les coffres  des multinationales semencières. Elles y sont déjà.

C'est évidemment à rattacher à l'ambition explicite et en voie de réalisation, y compris au niveau européen, sur la brevetabilité du vivant, sachant que d'autres ambitions sont à l'oeuvre actuellement, notamment aux Etats-Unis dans la recherche, où le nec plus ultra des recherches en génie génétique est d'obtenir des graines qui soient stériles à la seconde génération. Ce n'est pas comme un maïs hybride, qui perd simplement ses qualités mais qui est reproductible.

Il s'agit donc bien d'une ambition universelle de main-mise sur les ressources alimentaires et la possibilité d'y avoir accès pour les paysanneries, et par voie de conséquence pour les consommateurs.

 

M. Jolivet - Je souhaite d'abord indiquer que, si j'ai mis en scène le consommateur tout à l'heure, c'était parce que je suis convaincu que c'est une force économique de premier plan. J'ai bien noté qu'une autre table ronde était consacrée à cet aspect, mais j'insiste néanmoins sur ce point.

Je souhaite donner quelques indications concernant l'une des questions posées : la nouvelle dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes. On a parlé du mouvement de concentration de l'agro-fourniture : il se met très nettement en place une situation oligopolistique qui aura un très fort pouvoir de marché.

Cette configuration oligopolistique est potentiellement un frein à la concurrence ; il ne faut pas se le cacher. Elle représente donc malgré tout un danger pour un partage équitable de la rente.

Un article du Courrier International était intitulé "Monsanto, le Microsoft de l'alimentaire" ; il ne faut pas être naïf ; il y a un réel danger vis-à-vis de cela, même si nous n'avons pas de données actuellement et si les chiffres que je vous ai cités au début montrent que, sur le partage de la rente, les agriculteurs ont récupéré la moitié de la mise sur le coton Bt aux Etats-Unis en 1996.

Mais que se passera-t-il dans le futur ? Ce n'est pas clair.

De plus, ces firmes (Monsanto, Du Pont, etc.) sont en position de déterminer très largement l'évolution du changement technique dans l'agriculture. C'est tout à fait clair. En 1996 et 1997, Monsanto et Du Pont ont dépensé pour l'acquisition d'entreprises semencières autant d'argent que l'ensemble du budget de la recherche agronomique publique aux Etats-Unis en 1996. Cela vous donne des ordres de grandeur des efforts consentis.

Je pense qu'il faut être vigilant sur une question importante : veiller à ce que la question de l'innovation en agriculture ne soit pas confinée au domaine des biotechnologies.

A mon sens, il y a des connaissances tout aussi considérables à produire sur les systèmes sociaux et techniques de production, sur l'organisation du travail, par exemple. Ce sont des domaines tout à fait importants, et je pense que le fait de prendre ces deux aspects en compte  est en particulier du rôle de la recherche publique.

C'est à la fois monter en France avec des partenaires privés un fort pôle de génie génétique végétal, mais c'est aussi consentir beaucoup d'efforts dans ces domaines des systèmes de production et des systèmes sociaux.

 

M. Pagesse - Je souhaite essayer de répondre à quelques-unes des grandes questions que vous avez posées. Je ne sais pas trop dans quel ordre les prendre.

Je suis de ceux qui considèrent que la qualité sera bien, demain, vis-à-vis de la segmentation du marché, obtenue à partir de sélections qui feront entrer les technologies des sciences de la vie.

Si l'on veut construire un acide gras pour faire de la matière plastique à partir d'un oléagineux, ou si l'on veut faire de l'oléique pour faire les frites ou faire du Diester, nous ne ferons pas appel à la même combinaison. Il faut donc être vigilant, parce que les qualités qui correspondent à la segmentation des marchés, qui seront une débanalisation de nos productions, seront produites à partir des technologies des sciences du vivant.

Dans le cas contraire, nous serons relégués comme producteurs de matières premières, alors que tout le discours actuel, y compris politique, est d'essayer de dire aux agriculteurs et aux transformateurs qu'ils doivent essayer de déterminer la façon dont ils peuvent apporter une valeur ajoutée supplémentaire.

C'est donc la démarche, y compris à partir de ces technologies, qui nous permettra d'essayer d'apporter cette valeur ajoutée, au bénéfice de tous bien entendu, puisque, comme le rappelait le Président Cazalé tout à l'heure, la moitié du budget était consacré à l'alimentation en 1950, et cette part n’est plus que de 16 %. Je pense donc que la démonstration est faite que notre productivité, souvent décriée, a tout de même bien bénéficié à tout le monde.

Sur le sujet de l'inquiétude et de la sécurité, je suis de ceux qui pensent que l'homme a probablement besoin d'autant de sécurité que de nourriture, et que le meilleur moyen de lui apporter la sécurité, c'est de lui permettre de participer lui-même aux changements qui nous entourent.

Si chacun des citoyens devient un véritable acteur du changement, parce que le monde autour de nous change, je pense que chacun se sentira rassuré. Si, dans monde qui change, on reste au bord de la route, cela impressionne beaucoup.

Quant à la question de l'indépendance, j'ai dit dans mon propos liminaire qu'elle était très importante. Il y a la dépendance des agriculteurs, de ceux qui sont dans les filières, des transformateurs, et j'ai même dit du consommateur. En effet, si le consommateur n'a que des produits américains, son choix sera restreint.

Mais à mon avis, le meilleur moyen de garder cette indépendance, c'est de construire nous-mêmes notre propre force, notre propre propriété intellectuelle, puisque le GATT, en 1992, a lui-même consolidé cette propriété intellectuelle dans les accords internationaux ratifiés par 125 pays, et qu'aujourd'hui, je n'ai pas encore vu la méthode pour pouvoir en sortir.

Je pense donc que notre véritable position pour construire une offre alternative est de rassembler les moyens des uns et des autres qui veulent rester indépendants, y compris ceux des agriculteurs. Nous construirons ainsi cette indépendance ensemble, et c'est à ce prix que demain nous garderons encore une marge de liberté.

Vous avez aussi posé une question à propos des pays en voie de développement. Je pense qu'actuellement, le progrès des technologies, y compris les vaccinations, a bénéficié à l'ensemble de la planète, mais il y a toujours un décalage.

Ces technologies coûtent très cher et, lorsque vous dépensez beaucoup d'argent, ce n'est pas le vôtre ; on vous l'a prêté. A un certain moment, vous avez donc un souci de rentabilité, de retour sur investissement, y compris pour payer vos banquiers ou simplement ceux qui, d'une manière ou d'une autre, par le biais de la bourse ou des actions, vous ont avancé l'argent.

Il est donc normal que l'on puisse aller chercher les premières rentabilités sur les marchés de proximité, mais il est bien évident qu'à terme, les technologies bénéficient à tout le monde. Je pense que le génie génétique et les sciences de la vie, sont davantage un élément de création de biodiversité.

Je pense donc que nous ne devons pas nous tromper de combat. Nous sommes dans une véritable compétition, et il faut avoir le courage de la soutenir.

Contrairement à tout ce qui est expliqué, y compris sur la compétitivité de l'agriculture européenne - je suis de ceux qui ont participé à une étude de prix de revient du blé en Europe et aux Etats-Unis-  si l'on fait abstraction de toutes les aides et si l'on prend la parité des coûts de production Cette étude n'a été faite ni par Pagesse ni par Unigrains, puisque j'ai participé à une mission d'Unigrains, mais elle a été calculée par Yves Michaux, Président de l'Aérospatiale, parce que, pour exporter son Airbus, il n'a pas pris les mêmes problèmes que nous pour exporter notre blé, le prix de revient du blé européen est tout à fait équivalent à celui du blé américain.

Ce n'est pas tout à fait le cas pour le maïs. Il ne faut donc pas croire que, parce que certains éléments faussent la compétitivité, nous sommes si maladroits que cela. Je pense que nous avons là un atout, et que nous devons avoir la capacité de le jouer.

Bien entendu, nous sommes malheureusement dans un système qui est ce qu'il est. C'est un choix politique qui nous y a mis, et nous devons l'assumer. Je ne veux pas revenir sur tout le système de nos compensations, qui ne sont en fait qu'une compensation supplémentaire pour le consommateur. Nous sommes une boîte de transferts, rien de plus.

 

M. Le Président - Merci, Pierre Pagesse. Je vais poser à Jean-Marie Pelt la question de la limitation des surfaces en terres arables de la planète, puisqu'il s'intéresse beaucoup aux problèmes des forêts.

Tout à l'heure, je parlais de la baisse de la surface en terre arable par habitant. C'est l'un des gros arguments produits par ceux qui sont favorables aux plantes transgéniques. Est-ce un moyen ?

J'ai vu aux Etats-Unis, le vice-Président de la banque mondiale, avec qui j'ai parlé de ces problèmes. Il m'a dit que, dans un certain nombre de cas, les Américains étaient pour le développement de ces techniques dans les pays en voie de développement, parce que cela pouvait permettre  de résoudre le problème de la faim dans le monde, à condition que des transferts de technologies se fassent.

Malheureusement, m'a-t-il dit, ces transferts de technologies, y compris pour les semences fabriquées et disponibles actuellement, se font très peu.

Est-ce une vraie question ? Nous sommes 5 à 6 milliards d'humains actuellement, et il y aura une augmentation d'au moins 3 milliards dans les prochaines décennies. Si l'on ne traite pas le problème de l'augmentation de la productivité, est-on capable de traiter le problème de la nourriture de ces personnes sans accroître les surfaces cultivées ?

Je souhaiterais avoir votre avis à ce sujet.

 

M. Pelt - Il est tout à fait exact que la surface de terre arable par habitant de la planète a tendance à se réduire, d'une part parce que le nombre d'habitants augmente, et d'autre part parce que l'on jardine très mal la terre.

L'un des grands problèmes de l'écologie est le mauvais entretien de la terre sur l'ensemble de la planète. Nous avons ici parfois des débats sur la manière dont l'agriculture devrait aussi entretenir l'environnement -c'est l'un de ses objectifs- ; c'est mille fois plus vrai dans les pays en voie de développement, où les terres ont été massivement abandonnées pour les favelas des grandes mégalopoles, et où l'entretien de la terre et de la nature ne se fait plus.

Dans le bassin méditerranéen, dont on parlait tout à l'heure, on a également perdu des terres de manière tout à fait significative. La première urgence est donc de reconquérir des terres. Bien avant d'imaginer comment on pourra cultiver ce qu'il reste, il faut arriver à reconquérir des sols.

A propos des plantes transgéniques dans les pays en voie de développement, je pense que cet argument est peu recevable pour la simple raison qu'avec le transgénisme, on n'augmente pas de manière significative la productivité biologique globale. Pour augmenter par exemple les rythmes de croissance, la taille des végétaux, la biomasse, il faudrait y introduire un nombre de gènes importants. On a dit vingt gènes ; je ne sais pas si c'est vingt ou plus, mais c'est le chiffre que j'ai rencontré plusieurs fois, et on n'est pas encore capable de le faire. Cet aspect ne peut donc pas se poser.

L'aspect qui pourrait être envisagé est de rendre des plantes plus tolérantes au sel, par exemple -problème se posant dans de nombreux pays en voie de développement-, ou plus tolérantes à la sécheresse. Cela supposerait qu'il y ait une véritable priorité de la part des producteurs de ces plantes transgéniques en faveur du Tiers-Monde.

Cet intérêt pour le Tiers-Monde, je le vois dans les débats, dans les déclarations de bonnes intentions. Dans la réalité, c'est une autre affaire, parce que le Tiers-Monde n'est pas solvable. Et l'on est devant un problème très particulier : faut-il engager des recherches coûteuses et considérables pour d'éventuels acheteurs qui ne seront peut-être pas au rendez-vous des marchés ?

C'est exactement ce qu'il se passe pour les médicaments. On en fait pour les bien-portants, c'est-à-dire pour ceux qui vieillissent dans les pays riches, et on n'en fait pratiquement pas pour le Tiers-Monde, qui en aurait pourtant le plus grand besoin.

Mais c'est l'une des critiques que l'on peut adresser au néolibéralisme lorsqu'il va à la limite de ses potentialités et crée alors des déséquilibres comme ceux que je viens d'évoquer.

 

M. Le Président - Cela signifie que, si l'on développait -j'ai également utilisé le conditionnel dans mon exposé- par ces techniques des plantes résistantes au sel ou à la sécheresse, vous y seriez favorable ?

 

M. Pelt - Oui. En tout cas, j'aurais sûrement examiné le problème avec un éclairage différent. Je pense que c'était peut-être par ce bout qu'il aurait fallu commencer.

 

M. Le Président - Monsieur Cazalé, j'ai posé la question de la séparation des filières, qui est très importante. En effet, elle se posera dans les rapports entre les Etats-Unis et l'Europe. Elle se pose d'ailleurs aujourd'hui ;  vous l'avez dit tous les deux tout à l'heure.

Actuellement, un maïs et un soja sont autorisés à l'importation en France. Plusieurs ont été acceptés au niveau de Bruxelles mais la décision n'a pas été prise dans les pays où les dossiers ont été présentés. C'est le cas de plusieurs maïs et d'un colza.

En revanche, aux Etats-Unis, en Argentine, en Chine (mais en Chine, il y a peu d'arrivées pour l'instant ; c'est une consommation locale) et au Canada, certaines plantes dont on n'a pas demandé la labellisation ou l'accréditation au niveau de l'Europe sont cultivées. Or, les Américains mélangent leurs différentes provenances de maïs et de soja.

Cela signifie donc que, pour le maïs et le soja, il y a actuellement des mélanges d'espèces autorisées en importation et d'espèces non-autorisées. Les Américains disent qu'ils ne peuvent pas séparer les filières, et qu'ils sont contre l'étiquetage. Lors de mon voyage aux Etats-Unis, ils l'ont dit de manière très claire.

Monsieur Cazalé, est-il possible de séparer les filières, c'est-à-dire est-il possible d'arriver à trois filières, ce qui pose le problème de l'agriculture biologique : une filière agriculture classique sans OGM, une filière avec OGM et une filière agriculture biologique ?

En second lieu, il y a une autorisation, depuis le 27 novembre, sous condition de biovigilance, de planter du maïs dont la surface potentielle était de 20.000 hectares, et j'ai entendu dire que seuls 1000 hectares ont été plantés. A quoi est-ce dû, Monsieur le Président de l'Association des producteurs de maïs ?

 

M. Cazalé - Il y a eu peu de semences, et je pense que tout a été fait pour qu'il en soit ainsi. Il ne faut donc pas s'en étonner aujourd'hui puisque, jusqu'au dernier moment, on n'a pas su si l'on pouvait en disposer. Et dans la mesure où les consommateurs étaient très réticents, les propres vendeurs parfois des mêmes firmes ont dit : "lorsque nous serons nombreux, nous ferons ; pour l'instant, si, au niveau de l'opinion qu'ont les consommateurs de notre produit, nous devons être sanctionnés trop fort, nous ne faisons pas."

Telle est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation aujourd'hui. Je pense que l'on n'a su que l'on pouvait disposer de ces produits qu'au dernier moment.

En second lieu, je tiens depuis hier une information que j'ai lue dans la presse : la recherche publique ou la recherche universitaire aux Etats-Unis aurait trouvé le moyen d'introduire les mutations non plus dans le noyau du gène mais dans une autre partie, et que cela aurait pour effet que seule la partie femelle de la plante  porterait la mutation génétique et non pas la partie mâle, c'est-à-dire le pollen. Cela faciliterait beaucoup la séparation, qui est actuellement assez difficile.

Mais je voudrais dire qu'ayant un peu vécu, une partie des peurs est arrivée de la même façon au moment où sont arrivés les hybrides. Cela représentait, à l’époque, un changement au moins aussi important que celui des plantes transgéniques, et cela se doublait d’une modification des apparences, dans la mesure où le maïs denté venait remplacer le maïs corné.

J'ai entendu, à cette époque, notamment dans ma région des choses sur la qualité du foie gras, qui pourraient très bien être transposées aujourd’hui , mais avec une ampleur différente, dans la mesure où les organisations de consommateurs et les médias s'en occupent.

Comme je préside l'AGPM et que nous sommes organisés en filières, il y a une vingtaine d'années il existait treize firmes qui vendaient des semences hybrides (marché captif, comme ce sera le cas pour le reste), et nous spéculions en disant que, sept ou huit ans plus tard, il devrait y en avoir cinq. Or, les firmes qui proposent des semences sont maintenant au nombre de trente-trois.

Il faut considérer le phénomène fabuleux actuel des concentrations de capitaux, comme un phénomène nécessaire lorsqu'il y a une mutation technologique. La mutation technologique exige de tels moyens que l'on a des concentrations qui n'ont jamais été connues, et dont les caractéristiques, qui sont très particulières, ne doivent pas être complètement le fruit du hasard.

De  ce fait, devant la baisse généralisée des prix agricoles, je pense que ceux qui investissent actuellement doivent savoir que ce n'est pas en repoussant une partie significative des coûts vers le producteur agricole qu'ils se payeront. Ils se payeront par les modifications qu'ils engendreront dans leurs produits élaborés. Et j'imagine même que ce n'est plus à l'agriculteur qu'ils vendront les semences, mais à celui qui commandera le produit fini.

Cela étant, il y a des opinions, et en démocratie, on ne peut pas agir sans opinions. Le seul problème, c'est que la démocratie suppose aussi qu'on la rationalise un peu, que l'on soit tolérant sinon aucune société ne peut vivre, et qu'on n'avance pas des chiffres à la légère.

Par exemple, j'ai vu un sondeur présenter le chiffre que tout le monde connaît ici, parce qu'il a été largement publié, de 70 % des consommateurs qui sont anti-OGM. Je lui ai dit que, comme technicien, il pourrait peut-être me dire combien de personnes sauraient expliquer ce qu'est l'OGM, si nous posions une question ouverte. Il m'a répondu qu'il n'y en avait pas 5 %.

Mais, aujourd'hui, nous venons d'avoir un chiffre : 50 % des personnes n'ont pas entendu parler de plantes transgéniques, mais 70 % sont contre les OGM. Je pense qu'entre ce qu'est l'opinion, ce qu'en est la traduction qui en est donnée par les uns et les autres, il faudra revenir à une certaine rationalité pour traiter les problèmes objectivement, sans passion des uns et des autres.

Je me répète : autant, sur la diffusion, on a quelques données vécues, autant sur la qualité des produits que l'on va mettre sur le marché, nous faisons appel aux savants qui sont dans des institutions, parce qu'on leur demandera des comptes sur l'avis qu'ils auront formulé.

En effet, plusieurs savants s'expriment au nom de savants. On se demande d'ailleurs souvent de quelle discipline ils sont, et ils sont parfois de disciplines qui n'ont aucun rapport avec le sujet. Lorsque quelques savants ont des disciplines en rapport avec le sujet, je pourrais faire état ici de commentaires sur l'économie de main-d'oeuvre des épandages d'insecticides qui n'existeront plus, ou sur les palombes qui n'hiberneront plus dans le sud-ouest parce qu'il n'y aura plus de perte de grains.

Demandons l'avis à des personnes, qui ont des responsabilités, et ne prenons pas les avis de personnes qui se déclarent scientifiques, et dont la renommée n'aura d'ailleurs pas à subir de grand tort si leur avis ne se révélait pas exact.

 

M. Le Président - Il nous reste peu de temps, mais nous n'avons pas assez abordé le problème de la séparation de ces filières et du lien entre l'agriculture biologique et l'agriculture traditionnelle.

J'ai en tête l'affaire de Kochko dans le Tarn-et-Garonne. Je la résume brièvement car nous l'avons reçu dans nos auditions. Il s'agit d'un agriculteur biologique du Tarn-et-Garonne qui fait du soja biologique, avec un cahier des charges. Il vendait son soja à un exportateur de Poitiers, qui l'a vendu en Allemagne.

Lors d'un contrôle en Allemagne par les techniques PCR, dont nous parlerons dans l'autre table ronde, avec une très grande sensibilité puisque l'on amplifie les promoteurs de gènes, on a découvert que le tofu fabriqué à partir de son soja avait une "contamination"  non-prévue d'un soja génétiquement modifié.

On remonte la filière et on arrive chez l'agriculteur. Le problème de la responsabilité se pose. Lorsqu'il s'adresse au semencier, celui-ci dit que c'est exempt d'OGM. On a fabriqué ces semences aux Etats-Unis. Lors de la fabrication des semences, certains pollens sont vraisemblablement venus de champs de sojas génétiquement modifiés. La contamination était sans doute faible, mais nous allons arriver à la même chose au niveau de notre pays, et cela posera le problème de l'étiquetage et de la traçabilité.

Dès l'instant où l'on a des organismes génétiquement modifiés, peut-on s'organiser en plusieurs filières, une filière agriculture sans OGM, une filière biologique, qui sera sans doute dans le cahier des charges sans OGM (je ne sais pas s'il y aura une biologique avec OGM ; pour l'instant, elle est sans OGM) et une filière classique ? Si oui, qui payera ? Que pensez-vous de ces questions à la Confédération paysanne ?

Je demanderai également à Monsieur Pagesse de parler aussi des filières.

 

M. Riesel - Je serais tenté de répondre que l’agriculture " bio " devra accepter le risque d'être OGM. Elle ne pourra pas y échapper. Du fait de la dissémination, il sera impossible de garantir le contraire. De toute façon, la bio garantit la  mise en oeuvre de moyens dans l'état actuel des choses ; elle ne garantit pas les résultats et, en ce qui concerne les OGM, il est évident que, du fait de la dissémination, elle ne pourra pas garantir des produits sans OGM.

Dans le même ordre d'idée, je voudrais revenir sur les avantages économiques, donc la traçabilité. Cette traçabilité aura un coût ; qui l'assumera ? Par exemple, dans le Comité de biovigilance provisoire concernant le maïs Novartis, sur la question de responsabilité par exemple, si un paysan cultive un maïs conventionnel à côté d'un maïs transgénique, c'est à lui qu'incomberait le coût d'éliminer les rangs qui lui permettraient de se prémunir contre la transgénèse accidentelle.

Le coût de la biovigilance devrait logiquement être assumé par ceux qui attendent un profit de la dissémination du transgénique, donc les firmes ; les industriels semenciers s'y refusent totalement. On peut imaginer que les surcoûts liés à la traçabilité se marchanderont de la même manière, et il nous semblerait totalement scandaleux que ce soit à des filières non-OGM d'avoir à assumer le coût de la traçabilité.

Par ailleurs, pour revenir sur les avantages économiques stricts, le fait que peu d'hectares de maïs Novartis aient  été semés cette année induit sans doute qu'il restera -nous l'espérons, nous le souhaitons et nous oeuvrerons pour cela- une considérable méfiance des consommateurs par rapport à ces produits, donc une moins-value.

Donc, si traçabilité il y a, qui la paiera, si toutefois elle est possible ?

 

M. Pagesse - Sur la filière bio, je pense qu'à terme, le véritable bio sera OGM ou n'existera pas. Je vais peut-être vous choquer mais, actuellement, le bio est une obligation de parcours, de moyens, mais pas du tout une obligation de résultats. Or, lorsque l'on fera les tests de salubrité sur les micotoxines, etc., qui existent et qui sont des facteurs anti-croissance et anti-nutritionnels, on reparlera de la question.

Sur les filières, je voudrais dire :

- que toutes les filières sont concernées

- et qu'actuellement, on n'a pas de tels investissements aux Etats-Unis qui seront concentrés uniquement sur la valeur semencière, mais sur la valeur agricole et probablement la valeur agroalimentaire totale, et c'est alors le facteur 100 qui sera concerné.

Pour le coût, ma vision est qu'à terme, il y aura une filière garantie non-OGM, qui s'apparentera à quelques pour cent de la consommation, pour ceux qui, par idéologie, ne voudront pas consommer des produits transformés, et le reste, où il sera inscrit "contient des OGM". Je pense que, lorsque le consommateur aura compris qu'il y a un gain en termes de prix et d'efficacité dans les différentes qualité que pourra lui offrir la technologie, les choses rentreront dans l'ordre.

En attendant, on a une phase transitoire à gérer ;  voyons de quelle manière on peut la gérer au mieux.

 

M. le Président - Si plus personne ne veut s'exprimer, nous pouvons clôturer cette table ronde, dont je vous remercie.

Je ne sais pas si les points de vue se sont rapprochés, puisque certains souhaitent un moratoire et d'autres souhaitent toujours aller plus vite... Néanmoins, sur la totalité des arguments, nous avons cinq autres tables rondes et cinq Ministres à auditionner pour essayer de faire progresser cette question.

 

 

 

Table ronde  II - Enjeux pour la recherche

 

Génomique, relations public/privé, poids de la protection intellectuelle, collaboration avec les pays en voie de développement

 

 

M. le Président - L'ordre des tables rondes peut apparaître chaotique, mais il a été prévu en fonction de la disponibilité  d'un certain nombre de nos interlocuteurs, en  tout cas des premiers qui ont indiqué leurs préférences.

Ces enjeux pour la recherche sont très importants, et nous avons abordé la question tout à l'heure. Ils sont considérables dans la mesure où une compétition intense est d'ores et déjà engagée entre tous les grands pays scientifiques pour le décryptage des génomes de plusieurs organismes d'intérêt.

Il y a les génomes de plantes, les génomes animaux et le génome humain. Pour les plantes, dans ce qui nous intéresse aujourd'hui, on peut citer l'effort entrepris pour l'étude du génome d'arabidopsis thalliana, une plante à génome relativement court, plus facile à décrypter. Ce travail a été engagé depuis quelques années.

On  peut dire que les Etats-Unis sont déjà en tête dans ce secteur. Comme cela a été indiqué tout à l'heure, ils prévoient d'investir des millions de dollars dans ces recherches. Celles-ci ont des conséquences bien précises, car les découvertes sont systématiquement protégées par un système de brevets qui verrouille ensuite des secteurs de plus en plus grands de la recherche. Les redevances sont ensuite perçues, y compris sur les procédés.

Dans la course à la découverte des logiciels de la vie, la France ne semble pas avoir pris dans l’ensemble un excellent départ. Nous avons un certain nombre de chercheurs français, que je présenterai ici. Peut-être pourrez-vous nous rassurer au cours de ces débats, et nous indiquer quelles initiatives sont prises, quelles réalisation sont en voie d'accomplissement, quelles suggestions vous semble devoir être faites afin de participer à cette compétition qui, sans aucun doute, marquera la fin de ce siècle.

Le système des brevets en vigueur en France ne semble pas donner satisfaction compte tenu de l'existence du mécanisme américain. Vos débats pourraient permettre de faire des suggestions de réforme de ce secteur compte tenu du caractère structurant de ces technologies.

J'ai inclus dans cette table ronde les problèmes des pays en voie de développement, car ceux-ci, à l'exception d'un certain nombre, restent absolument à l'écart de ce grand mouvement de recherche, alors qu'ils pourraient en être les premiers bénéficiaires -cela été dit tout à l'heure, y compris par Jean-Marie Pelt- compte tenu des immenses difficultés que rencontrent leurs agricultures.

Pour débattre de ces questions, sont présents :

- Daniel Cohen, Directeur général de Genset, que je remercie de sa présence,

- Antoine Danchin, chef du département de biochimie et de génétique moléculaire à l'institut Pasteur, dont vous avez lu un grand nombre d'articles dans  "La Recherche ",

- Claude Fauquet, qui travaille sur les pays du sud, puisqu'il est directeur de recherche à l'ORSTOM, et co-Directeur de l'ILTAB en Californie. Il expliquera ce qu'est l'ILTAB et sur quel sujet il travaille ;

- Guy Paillotin, Président de l'INRA

- Georges Santini, Directeur "éthique, environnement, communication" de Rhône-Poulenc Agro monde.

Messieurs, je vous demande d'être brefs dans votre exposé liminaire, pour qu'un débat puisse s’instaurer et pour que des questions puissent être posées.

N'ayant  pas de questions écrites, nous répondrons aux questions de la salle lorsque l'on aura répondu à des questions que je pourrais poser en tant que rapporteur.

 

M. Paillotin - On parle beaucoup des organismes génétiquement modifiés, mais le génie génétique n'a pas été inventé et n'est pas utilisé exclusivement pour cela. Il est encore actuellement, et pour une longue période, un outil irremplaçable en recherche fondamentale.

Or, en recherche fondamentale, le génie génétique intervenant nécessairement en première ligne dans cette discipline, la génétique est une voie bien souvent incontournable pour comprendre les lois du vivant, comme vous l'avez rappelé.

Je sais que, dans un débat public certains, qui ne sont pas chercheurs, peuvent se dire que l'on va trouver beaucoup de choses, mais se vont se demander à quoi cela sert.

Les lois du vivant auxquelles nous nous intéressons dans la recherche agronomique visent un certain nombre de fonctions assez utiles comme :

- la fixation de l'azote, pour déterminer si l'on en consomme plus ou moins,

- la résistance naturelle à telle ou telle maladie ou tel ou tel ravageur,

- la qualité des aliments (fruits assez sucrés ou pas...),

- la réponse à des signaux ; les plantes vivent dans l'environnement ; elles ne sont pas aussi autonomes qu'un animal ; il y a donc des signaux qui jouent sur la régularité des rendements, ce que l'agriculteur demande le plus actuellement. Il y a aussi des signaux qui permettent la mise en batterie des réactions de défense des plantes, etc.

Or, la façon de bien comprendre la façon de fonctionner de tout cela, qui est souvent un fait d'évidence pour l'agriculteur, mais pas pour la biologie, c'est de déterminer les gènes qui gouvernent ces fonctions, qu'il y en ait un ou plusieurs. C'est la méthode la plus directe ; on a accès au logiciel et on peut alors comprendre la façon dont les choses se déroulent.

Pour avoir accès à ce logiciel, on utilise constamment le génie génétique, par exemple pour faire des mutants. Il s'agit de modifier un gène, de façon éventuellement aléatoire, et de voir si la plante a toujours ou n'a plus la fonction que l'on examine. Dès l'instant où l'on a fait cette mutation, notamment par génie génétique, on peut marquer, reconnaître le gène changé, le repérer dans le magma de gènes, l'isoler, le cloner.

Avec la détermination des génomes complets de plantes modèles, on accélérera ce processus de décodage de quantités de gènes d'utilité.

Ensuite, on utilisera encore le génie génétique, parce qu'il faudra déterminer précisément si le gène que l'on a observé régule bien la fonction que l'on veut connaître. Pour cela, on réintroduira ce gène dans une plante déficiente pour voir si l'on restaurera la propriété.

Lorsque l'on aura fait tout cela, on se trouvera face au problème du brevet, parce que l'on brevettera un gène dont on connaîtra les fonctions. C'est tout le problème de la génomique.

J'insiste sur le fait que, dans ce cas, on utilise le génie génétique comme un outil de détermination de fonctions, mais que le résultat et la connaissance de ce qui gouverne les fonctions ne sont pas nécessairement l'utilisation de cette connaissance pour faire des OGM.

Ce peut être l'utilisation de ces connaissances pour savoir comment déclencher des signaux de réponse par d'autres méthodes, par exemple dans de la chimie fine ou autres, et ce sera surtout pour savoir comment améliorer la sélection de plantes qui répondent à nos demandes. Dans la mesure où, par exemple, une fonction serait gouvernée par une dizaine de gènes, on ne s'amusera pas dans l'immédiat à le faire par génie génétique, à mettre ces dizaines de gènes dans une plante.

On a donc un champ de connaissances énorme, qui pose des problèmes d'appropriation des connaissances par la brevetabilité.

Je souhaite donner un exemple pour être bien clair sur l'utilisation. Il s'agit du porc corse, qui est excellent. Les généticiens de l'INRA, qui sont très sensibles au discours que je fais sur sa qualité, m'ont dit qu'ils allaient faire de la génétique classique sur la qualité du jambon corse. Je leur ai dit qu'il ne fallait surtout pas le faire, parce que cette partie était liée au goût ou à la culture, etc., et qu'ils devaient faire des recherches sur la rusticité du porc corse.

En effet, l'agriculteur a besoin que son porc se porte assez bien dans la nature et, si l'on peut simplifier cela, c'est bien, mais le goût et la qualité ne sont pas déterminés que par des gènes, mais également par l'idée que l'on s'en fait.

La connaissance des gènes doit donc être assez large, et supposera ensuite une utilisation pertinente.

 

M. Danchin - Je parlerai d'abord de l'histoire, puisque vous avez un peu fait allusion à l'histoire et à la position de la France.

Il a été très difficile de mettre en place des programmes " génomes " en France.Cela a commencé au milieu des années 80 et c'est d'ailleurs à cette époque que j'ai rencontré Daniel Cohen. Il a fallu des combats très longs et difficiles pour persuader les pouvoirs publics, les différentes institutions de recherche, que la génomique était le futur de la génétique.

Je vais vous dire brièvement pourquoi c'est le futur de la génétique et ce qu'il y a dedans, en vous parlant plutôt par allégorie qu’en citant des gènes spécifiques, pour essayer d'illustrer la façon dont les choses se passent à mon avis.

Tout d'abord, il faudrait que vous essayiez d'oublier l'image mécaniste du monde. Nous avons toujours une image horlogère, dans laquelle on pense que les choses sont des rouages qui peuvent être associés les uns aux autres, et qu'avec ces rouages, on peut prédire ce qu'il se passera dans l'avenir.

La propriété tout à fait remarquable de ce que l'on découvre dans les génomes est que l'on peut avoir un système entièrement déterministe, mais entièrement imprévisible. La particularité originale des organismes vivants, ce qui fait qu'ils ont envahi la terre comme systèmes matériels, c'est qu'ils sont capables, face à un avenir imprévisible, de produire de l'imprévu.

C'est un point essentiel, qui devrait toujours être présent, quels que soient les débats que l'on ait à propos de la génétique. C'est effectivement ce que l'on découvre dès que l'on commence à étudier les génomes. Lorsque l'on commence à se rendre compte de ce qu'est un génome et de ce que sont les gènes qu'il contient, on s'aperçoit que c'est bien autre chose qu'une collection de gènes.

Tel qu'on l'entend d'habitude, par exemple breveter des gènes, d'une certaine manière cela me fait rire. Dans certaines cas, il est tout à fait imaginable de le faire ; je vois d'ailleurs plutôt une protection de type " copyrights ". En revanche, il est en général impossible de prédire la fonction d'un gène : je vous en donnerai quelques exemples.

Je pense d'ailleurs qu'il y aurait une activité inventive réelle qui devrait faire tomber les brevets de séquence pour quelqu'un qui découvrirait l'activité réelle d'un gène.

Le premier exemple est une image très ancienne : l'une des questions de l'oracle de Delphes. Il posait des questions aux passants, dont celle-ci : "j'ai une barque faite de planches, et ces planches s'usent une à une. Après un certain temps, elles sont toutes changées ; est-ce la même barque ?"

Le propriétaire répond oui et il a raison.

La biologie est une science des relations entre objets beaucoup plus qu'une science des objets. Bien entendu, pour comprendre les relations entre objets, il faut connaître les objets, mais il est essentiel de comprendre cela. C'est ce qui rend la biologie très abstraite, très difficile à comprendre.

D'autre part, la biologie dérive d'une science très différente qui, pendant longtemps, était une science des objets, la chimie. Elle est d'ailleurs en train de changer. Elle a été dominée par la biochimie ; on a purifié les objets ; on a fait ces collections d'objets, et l'on a fait comme si l'on comprenait la vie.

Or, les génomes sont en train de nous montrer que c'est tout à fait autre chose, quelque chose de beaucoup plus riche, qui compose la vie. C'est justement de comprendre les relations entre les différents objets, qui font qu'une cellule est une cellule.

Telle est la découverte de la fonction. Il est très difficile de découvrir la fonction. Il ne suffit pas d'avoir les gènes. D'une certaine manière, au cours de l'évolution de la vie, les choses se passent de la façon suivante : le triplet qui permet à la matière de produire la vie est : variation, sélection, amplification.

Dès qu'un système matériel a ces trois propriétés, il commence à évoluer. Il évolue tout seul et, en évoluant, il produit des fonctions ; ces fonctions capturent des structures pour être effectuées, et elles capturent ce qu'elles ont à leur portée.

Je vous donne un exemple simple : c'est l'été, je suis à mon bureau, il y a des papiers partout, la fenêtre est ouverte dans mon dos. Je lis un livre ; le vent se lève ; immédiatement, je pose le livre sur les papiers pour qu'ils ne soient pas dispersés. Le livre vient d'acquérir une fonction qui n'a rien de commun avec ce que j'étais en train d'en faire ; c'est un parallélépipède lourd, donc un presse-papier.

La biologie, les organismes vivants fonctionnent ainsi. Ils capturent des structures pour en faire des fonctions au fur et à mesure des contraintes apportées par l'environnement.

Un exemple est simple : on prend le cristallin de l'oeil, on isole les protéines qui s'appellent les cristallines, on cherche le gène. On sait que ce sont des cristallines, donc on connaît leurs fonctions et, surprise, on découvre que ce gène est celui d'une enzyme.

Si l'on avait uniquement le génome, on aurait dit que c'était une lactate déshydrogénase qui, en présence de lactate, donne du pyrumate dans telles circonstances. Vous auriez absolument tort ; cette protéine a pour fonction d'être transparente lorsqu'elle est concentrée.

Le fait de breveter des séquences me paraît donc tout à fait discutable, et je pense que, lié au génome, il est essentiel d'être capable d'annoter du génome, c'est-à-dire de mettre des fonctions en face des séquences. Et cela ne peut pas se faire par la simple analyse par prédiction de structure. La structure ne dit pas la fonction. La plupart du temps, c'est la fonction qui capture une structure.

Il me semble qu'à ce propos, on devrait réfléchir, en termes juridiques, à ce que signifierait la propriété intellectuelle dans le cas de la découverte de fonctions de gènes.

 

M. Cohen - On peut discuter très longtemps du problème de la brevetabilité du génome et des gènes.

La génomique française, n’a pas mal commencé, au contraire. Elle a très bien commencé, en 1982. Bien qu'il fut difficile de convaincre, comme toujours, les autorités scientifiques de l'importance de ces projets, ils ont pu néanmoins être faits, et en avance sur les Américains, parce que nous avons été financés par des fonds privés. On n'a pas demandé la permission aux institutions de l'époque de créer la génomique.

Il s'est agi de legs, ou du Téléthon, qui a joué un rôle extraordinaire dans la position française sur le génome. Depuis que les fonds privés se sont taris, pour de multiples raisons, la génomique publique française va moins bien. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes un pays de 60 millions de personnes et que, si nous nous comparons aux 300 millions d'Américains, on fera toujours moins en quantité que ce qu'ils peuvent faire, puisqu'ils peuvent affecter beaucoup plus d'argent au secteur public.

Mais ce n'est pas grave. Ce qui est plus grave, c'est que, quelles qu'en soient les définitions, la génomique est passée dans le secteur privé depuis quatre ou cinq ans ; elle n'est plus tellement dans le secteur public. Les masses d'argent et les différences de culture sont telles entre les Etats-Unis et l'Europe, que l'on peut vraiment commencer à s'inquiéter.

Je pense que le potentiel humain européen n'a rien à envier à ce qui existe aux Etats-Unis. J'ai toujours été impressionné par le niveau intellectuel de nos collègues scientifiques américains, qui sont exactement comme nous. Notre système d'éducation étant très élitiste en France, on a parfois des génies, mais qui sont devenus des mendiants pour capter des capitaux ou des fonds pour travailler.

Ce qui manque pour franchir le pas, c'est un changement culturel drastique pour que nos chercheurs n'aient plus ce rapport à l'argent très français, très européen, où l'argent est sale. Lorsque j'étais étudiant en recherche, et même après, on m'a appris qu'il ne fallait pas travailler avec l'industrie, que l'on s'alliait alors avec le méchant capital.

Cette notion existe encore actuellement. J'ai franchi le pas il y a deux ans dans le privé ; " le Canard enchaîné ", " le Monde ", " Libération ", " Minute " ont stigmatisé cette opération. Il faut voir les choses telles qu'elles sont.

Il faut être imperméable à cela. Je le suis heureusement, mais je ne suis pas sûr que tout le monde le soit.  Certains grands chercheurs risquent de ne pas vouloir franchir le pas à cause des critiques potentielles de  leurs collègues ou des médias sur ce genre d'opération. Je pense donc qu'il faut un changement de culture.

En second lieu, ce qui manque terriblement, ce sont non pas des scientifiques, mais des managers, des personnes capables de diriger des entreprises, qui ne soient pas scientifiques, qui soient capables de gérer des opérations de passages en bourse, etc. C'est très difficile ; on n'a pas ou très peu en France de filières de création de managers en biotechnologie.

Hormis cela, je pense que tout existe pour que l'on puisse créer en Europe des structures très compétitives avec celles des Américains. Rien n'est perdu, parce que le combat ne se joue pas maintenant mais sur les cinquante ou cent ans qui viennent. Tout est encore à faire.

Quant aux brevets, je pense qu'Antoine Danchin a bien résumé le sujet. On ne peut breveter que des inventions, et pas seulement des gènes. Si je découvre un gène dont je démontre qu'il est impliqué dans le cancer de la prostate, je ne peux breveter que cette application, si j'ai démontré qu'il est impliqué dans le cancer de la prostate, pas seulement au vu de la séquence.

Si quelqu'un d'autre trouve que le même gène a une application dans la schizophrénie ou dans la dépression, le premier brevet sur le cancer de la prostate ne protège pas pour ces maladies.

C'est vraiment la découverte de l'application qui conditionne le brevet, et tout le monde est d'accord sur ce point.

Il faut un peu moins d'émotion vis-à-vis du brevetage. En effet, breveter des gènes est devenu mal vu ; on le voit dans les journaux ; dès que l'on parle de brevets de gènes, une sorte d'hystérie se manifeste.

Rappelez-vous que l'on ne peut breveter que ce que l'on invente, et non pas ce que l'on lit dans la nature, et qu'en second lieu, les brevets ne durent que vingt ans. Que sont vingt ans dans l'histoire de l'humanité ? Rien. Que des investisseurs veuillent protéger leurs investissements pendant une petite période temps ne me semble pas réellement répréhensible.

Il s'agit donc beaucoup de problèmes culturels plus que des problèmes pratiques.

Enfin, notre administration est-elle prête à favoriser ces transferts du privé vers le public et du public vers le privé ? Je ne le crois pas. Tous les ministres que j'ai connus ont voulu le faire et cela a toujours été bloqué par les administrations qu'ils dirigeaient, notamment par les énarques, pour de multiples raisons dont je pourrais vous parler longuement.

Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés à nous battre contre cette couche pour essayer de faire en sorte que les passerelles se fassent réellement, pour des raisons dont nous pouvons débattre un peu plus tard.

 

M. Fauquet - Je suis français et, depuis une dizaine d'années, je travaille aux Etats-Unis, non pas pour une firme américaine ou un institut américain, mais pour un institut public de recherche français, l'ORSTOM.

Nous avons monté un laboratoire franco-américain aux Etats-Unis, pour la simple raison qu'en 1988, lorsque j'ai eu cette idée d'utiliser le génie génétique pour le Tiers-Monde, je n'ai pas trouvé en France un environnement me permettant de le faire. Nous l'avons donc fait aux Etats-Unis.

En second lieu, pour ceux qui ne le connaissent pas, l'ORSTOM est un institut de recherche public français qui a pour objet de travailler dans le Tiers-Monde et d'aider, en faisant de la coopération, plusieurs pays du Tiers-Monde. Nous avons environ 2300 chercheurs et techniciens, qui travaillent actuellement dans plus de cinquante pays dans le monde.

C'est notre profession que d'aider au transfert de technologies ou d'améliorer les connaissances pour ces pays, pour qu'ils aient une chance de mieux s'en sortir.

Tout à l'heure, Monsieur Jean-Marie Pelt dit qu'il n'y avait pas de possibilité d'augmenter la croissance de la production dans le Tiers-Monde. A mon sens, cette façon de voir les choses n'est pas très juste. En effet, à l'heure actuelle, les plantes tropicales dans le Tiers-Monde ne produisent guère plus qu'une dizaine de pour cent de leur potentiel.

On pourrait donc multiplier par cinq, six ou dix la production de pratiquement toutes les plantes du Tiers-Monde. En effet, toutes ces plantes sont soumises à des problèmes de maladies, d'insectes, de ravageurs qui limitent cette production, parce que l'on n'a pas les connaissances nécessaires pour pouvoir exprimer le potentiel de ces plantes.

Enfin, on a mentionné tout à l'heure les problèmes de salinité de sols, de sécheresse, de limitation en eau, etc. On pourrait donc multiplier de façon extraordinaire la production des plantes dans le Tiers-Monde.

En fait, je pense que c'est véritablement dans ce domaine que se trouvera le "boum" du prochain millénaire. On aura au même endroit des plantes qui n'auront pas exprimé leur potentiel et une main-d'oeuvre pléthorique, avec un taux très bas.

Cela m'amène à parler de la relation public/privé. Depuis vingt-sept ans que je travaille dans ce secteur, nous avons toujours été les parents pauvres ; nous n'avons jamais d'argent, jamais de moyens. Très peu de personnes sont concernées, dans les pays avancés, pour faire le transfert de technologies vers le Tiers-Monde, parce  qu'il n'y a pas de marchés industriels, pas d'argent.

Cela n'intéresse personne en dehors de la philanthropie d'un certain nombre de nations comme la France, qui consacrent une partie conséquente de leur budget à cette aide, peut-être dans certains cas liée à des occasions de développement industriel, mais avec une optique a priori philanthropique.

Je pense que cette situation est en train de changer. Depuis deux ou trois ans, je suis personnellement très surpris de constater que beaucoup de compagnies, essentiellement mais pas uniquement américaines, également européennes, qui n'étaient pas du tout intéressées par le Tiers-Monde, le deviennent de plus en plus.

La raison en est le génie génétique, l'outil génétique et la biodiversité. Toutes les plantes que l'on cultive dans les pays avancés viennent en très grande majorité des pays en voie de développement. Maintenant, avec le génie génétique, on a la capacité technique d'aller chercher un gène dans un autre organisme et de le mettre dans la plante que l'on cultive.

Pour donner un ordre de grandeur, il y a des centaines de milliers d'espèces de plantes et on en cultive en gros cent cinquante. Il n'est pas question que l'on revienne en arrière, que l'on remette en cause des centaines, voire des milliers d'années d'amélioration du maïs, par exemple.

On va donc continuer à améliorer le maïs, mais on a besoin de nouveaux gènes, qui sont dans les pays du Tiers-Monde, dans les plantes sauvages, qui n'ont pas été exploitées de façon conventionnelle par la sélection, tout simplement du fait de barrières de croisements qui empêchent de le faire.

Le génie génétique va maintenant nous permettre de le faire, d'aller chercher des gènes de résistance à des maladies, à des viroses, des bactérioses, etc. qui se trouvent dans des plantes sauvages, et de les mettre dans des plantes cultivées.

Je reviens donc sur l'intérêt grandissant des compagnies privées américaines et européennes, qui se disent maintenant qu'elles auront besoin de plus en plus de gènes, que la richesse sera de pouvoir disposer des gènes, les manipuler, les intégrer où l'on peut en faire quelque chose.

Pour le riz, par exemple, il y a une douzaine d'années la fondation Rockefeller a monté un programme de biotechnologie du riz, tout simplement parce qu'en quantité, c'est la première céréale produite dans le monde. On a pensé que, si l'on travaillait sur cette plante, on avait des chances d'avoir un impact sur un très grand nombre de personnes, donc d'avoir davantage d'impact sur votre investissement.

Il y a une douzaine d'années, 84 millions de dollars ont été dépensés sur ce programme et le riz, qui était une plante très peu connue et peu étudiée, est maintenant devenue une plante-modèle très étudiée, qui a de nombreuses possibilités en matière de recherche.

De ce fait, cette plante-modèle va devenir la deuxième après Arabidopsis, que l'on vous a mentionnée tout à l'heure. Maintenant, on parle du riz ; il y a un programme international pour séquencer le riz et, en 2003, on aura probablement complété la séquence du riz.

Toutes les compagnies privées que je mentionnais tout à l'heure ont donc soudain vu l’intérêt de cette plante-modèle, mais également la possibilité de l'utiliser comme l'un des marchés les plus importants dans le monde dans le prochain millénaire.

Je voulais simplement vous resituer le contexte. On parle toujours du Tiers-Monde comme le parent pauvre, en invoquant la philanthropie, l'aide gratuite pour justifier un certain nombre d'actions, etc... Mais je pense que ce ne sera plus vrai très prochainement, et que la France, qui a investi pendant des décades, la plupart du temps de façon philanthropique, devrait continuer à jouer cette carte.

Il faut absolument que le secteur public, français entre autres, et européen, ait son mot à dire, que l'on ne laisse pas toutes les multinationales prendre trop d'avance, encore que l'on aura besoin d'elles parce que, comme on l'a mentionné tout à l'heure, il est impossible de travailler sans le privé.

Mais si l'on peut jouer à partenaires égaux, si l'on peut apporter quelque chose, on doit absolument le faire. Je serai prêt à répondre à des questions éventuelles plus tard.

 

M. Le Président - Je vais maintenant donner la parole à Monsieur Santini, qui a eu plusieurs postes de responsabilité chez Rhône-Poulenc.

Monsieur Cohen disait que, pour 60 millions d'habitants, la recherche publique et privée fonctionnait plutôt bien dans ces domaines. Nous reviendrons sur certains points que vous avez indiqués.

Daniel Chevallier est dans la salle et a fait le premier rapport sur les biotechnologies à l'Assemblée nationale en 1991, à l'époque où cela n'intéressait pas grand monde. Aujourd'hui, on réclame le débat, mais il existait déjà pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Vu de l'extérieur, j'ai tout de même eu l'impression qu'à l'époque, vous étiez en pointe, et que vous vous êtes arrêtés un certain nombre d'années, qu'il n'y a peut-être pas eu la même pression au niveau des recherches chez Rhône-Poulenc. Pourquoi ? Si oui, est-il très important de redémarrer maintenant ?

 

M. Santini - Pour compléter la présentation de Monsieur Le Déaut, je souhaite dire qu'étant moi-même fils d'un agriculteur corse de montagne qui a fait du porc pendant plusieurs générations en ignorant tout de la génomique, je comprends largement les bénéfices de cette technologie. Je voudrais essayer de la partager avec vous avant de répondre à la question précise de Monsieur Le Déaut.

Pour replacer cela dans un contexte un peu plus général et partant simplement de besoins fondamentaux de nos générations et des générations passées, qui ont des besoins de se nourrir et de se soigner, les hommes ont progressivement inventé et découvert la chimie et la biologie. La génomique s'inscrit dans une démarche de compréhension où l'on essaie de mettre au point des modèles pour arriver à mieux satisfaire les besoins fondamentaux que sont ceux de se soigner et de se nourrir.

En se cantonnant simplement à la nourriture et à tout ce qui a trait à l'agriculture, les gènes sont très importants à connaître et à étudier, qu'il s'agisse d'organismes publics ou d'industries privées, qui ont des finalités différentes. Les enjeux pour nos sociétés sont considérables, comme les enjeux de la maîtrise et de la connaissance des sciences chimiques et physiques.

Ces progrès ont été accomplis et ont permis d'améliorer considérablement notre niveau et notre espérance de vie au plan planétaire. Il est donc important de travailler les gènes et de les connaître.

En effet, cela permet de mieux connaître des modèles. Comme en chimie et en biologie, on a mis au point des modèles, qui ne sont qu'une faible représentation de la réalité.

Tout à l'heure, on mettait l'accent sur la différence entre l'aspect purement mécanistique et la compréhension des fonctions, qui sont la traduction de l'extrême complexité du milieu dans lequel nous vivons. Je pense qu'il est absolument important de connaître ces gènes pour mieux construire petit à petit la compréhension avancée de la prévision -nous sommes dans le domaine de l'agriculture-, pour pouvoir mieux produire, mieux prédire, donc amener ces progrès attendus.

Sans entrer dans les détails techniques de ce que va nous amener la connaissance des gènes -Monsieur Paillotin les a donnés-, je voudrais simplement insister sur l'importance de cette démarche. Je mettrai l’accent sur l’importance de la connaissance, de l’investissement dans le domaine de la recherche, qui va nous amener à pouvoir mettre au point des cultures qui répondront mieux à nos besoins et amener ces progrès attendus.

C'est un plaidoyer pour la recherche, et notamment celle des gènes, comme on a investi et avancé dans le domaine de la connaissance de la matière au plan chimique et physique.

Mon deuxième commentaire concerne les investissements en recherche, et je me rapproche de la question de Monsieur Le Déaut sur l'industrie privée, sur la façon dont l'industrie privée a parcouru les temps et la façon dont elle voit la coopération avec les instituts de recherche publics.

Je pense que, là encore, il est important de bien voir les enjeux majeurs. Ils sont d'abord économiques, mais ils sont aussi scientifiques. L'importance de cette description nous amène à admettre et à reconnaître les bénéfices liés à une coopération entre les recherches, qu'elles soient fondamentales ou appliquées.

En disant cela, j'exprime le fait que la compréhension des enjeux majeurs, qu'ils concernent l'alimentation ou la santé, amène les scientifiques devant la problématique suivante, soumise par la politique et la société : quels sont les verrous technologiques qui se posent pour pouvoir satisfaire ces enjeux ?

Je donne un exemple qu'il n'y a pas dans le domaine de la culture, mais que l'on comprend facilement : actuellement, on perd près de 40 % de l'électricité dans son transport. Il y a donc un enjeu économique associé à un enjeu scientifique, mais qui a une problématique scientifique claire : trouver un matériau supra-conducteur.

Dans le domaine des gènes, c'est pareil. Il existe des enjeux qui se traduisent par des verrous technologiques que le scientifique est capable d'exprimer avec son langage, derrière lequel des équipes se mobiliseront pour les résoudre.

C'est toute l'explication et toute la logique qu'il y a derrière l'importance de la coopération entre les chercheurs dans le domaine public, qui feront avancer la science et la connaissance, et les chercheurs dans le domaine de l'industrie ou des organismes plus appliqués, qui traduiront cette connaissance fondamentale en termes appliqués et lui donneront une notion et une valeur de progrès pour les communautés.

Depuis quinze ans, Rhône-Poulenc est dans le domaine des biotechnologies. Il a investi et continue à investir des sommes importantes dans le domaine de la recherche dans les technologies nouvelles, et nous voyons les biotechnologies comme une technologie nouvelle qui a ses potentialités, qui soulève ses questions.

Nous avons maintenu ces investissements à un niveau constant. Simplement, dans le cadre des progrès réalisés dans ce domaine, le chercheur ne programme pas ses découvertes dans le temps : on cherche mais on trouve également, et chaque journée apporte ses résultats. Le chercheur a pu produire ses résultats, mais à un certain moment, les marchés sont prêts pour les accepter et les développer.

Toute découverte a un avantage si elle arrive à un moment où elle est acceptée et où les progrès sont clairement perçus et reçus. Cette mise en phase doit donc s'opérer, et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles la perception exprimée par Monsieur Le Déaut existe.

Quant aux brevets, je voudrais au préalable rappeler leur finalité. Dans l'histoire, les brevets ont été  créés pour inciter les organismes à publier le résultat de leurs recherche, en échange de quoi on leur garantissait un droit privilégié vis-à-vis de l'exploitation. C'est donc une finalité de publication et de partage des résultats qui, à l'origine, justifie leur existence.

Telle est donc la mécanique, mais il ne faut pas oublier que les brevets sont des résultats acquis après des investissements en recherche lourds, et que le retour sur investissement qu'accorde le brevet permet de réinvestir en recherche.

Il faut donc considérer le brevet comme étant un élément du moteur global, l'essence de l'ensemble, qui permet d'alimenter ce moteur de l'innovation qui fait progresser nos sociétés et qui protège les résultats d'une société ou d'un organisme public (les brevets ne sont pas réservés aux sociétés privées mais également aux organismes publics) en échange de la protection de l'exploitation de la découverte.

Enfin, la découverte n'est brevetable que si elle apporte quelque chose de nouveau et si elle apporte un progrès. Et je peux vous garantir que les organismes officiels de tous les pays qui protègent les déposants au titre des brevets demandent que ces critères soient parfaitement respectés.

Si l'on n'apporte pas quelque chose de nouveau et un progrès, la protection n'est pas assurée, et c'est en cela que l'on retrouve le moteur de l'innovation et de l'économie, qui justifie que ces sciences soient développées.

 

M. Le Président - Après tout ce qui s'est dit, je souhaite poser une question à Monsieur Paillotin.

On vient de dire que, finalement, la recherche est d'un bon niveau, et que les crédits se sont taris dans le privé.  Dans le public, les crédits sont-ils suffisants ?

A l'INRA, vous êtes en pointe dans ces domaines. Notamment dans de nouveaux développements comme les puces à ADN, y a-t-il des développements à l'INRA ou dans d'autres organismes de recherche français ?

Avez-vous des crédits suffisants en génomique végétale ? Quels sont les rapports entre le public et le privé dans ce domaine ?

 

M. Paillotin - Je pense que les crédits de la recherche publique sont bons en France. Le problème, c'est de pouvoir donner un coup d'accélérateur dans certains cas, ce qui n'est pas simple dans des budgets un peu reproductibles.

C'est donc le point que l'on rencontre actuellement, mais de façon favorable -Monsieur le Député, vous aurez à le voir en fin d'année- au niveau de la génomique, parce que nous avons de bons moyens de développer de la génomique végétale et animale (je ne parle pas de la santé).

Mais il faut donner un coup d'accélérateur et j'ai bon espoir que les pouvoirs publics aideront la recherche publique et la recherche privée à donner ce "coup de collier" dans les mois qui viennent.

Je rejoins ce qui a été dit par d'autres : il ne faut faire de la paranoïa ni sur la génomique ni sur les brevets. L'INRA doit juger de ses investissements par rapport à l'ensemble de la filière agro-alimentaire. On parle beaucoup des OGM et des biotechnologies ; c'est important et cela peut l'être sur un plan stratégique mais, au départ, sur un plan économique, ce n'est pas aussi évident.

Je rappelle souvent que les dépenses en produits phytosanitaires en France sont de 15 milliards de francs et que le chiffre d'affaires de l'industrie agro-alimentaire est de 750 milliards de francs. Il faut donc cibler ces recherches.

L'industrie agro-alimentaire, qui n'est pas aussi présente que cela dans ces débats, dira que ce qui compte pour elle, c'est le génie agro-industriel. Sur le plan économique global, il faut donc faire attention. Il faut veiller à l'aspect stratégique que pourrait avoir la génomique. C'est plus délicat. Le fait de prendre des gènes à tort et à travers dans tous les sens n'aurait aucun intérêt.

L'idée est qu'il peut y avoir dans cette connaissance de base des points de passage un peu obligés qu'il faut pouvoir maîtriser, ou au moins échanger avec des partenaires. C'est là que l'on est amené, en agro-alimentaire, à s'associer nécessairement avec l'industrie.

Un organisme comme l'INRA n'a pas pour mission première de faire de la génomique un trou noir qui pénaliserait le reste des activités agro-alimentaires. En second lieu, il n’a pas la capacité à lui seul d'avoir une stratégie de prise de brevets qui soit cohérente.

Enfin, l'INRA n'a pas la capacité de faire seul les attaques contre les breves indus car beaucoup de brevets ne tiendront pas. On le sait bien.

Il est vrai qu'il doit y avoir invention et pas simplement découverte. D'ores et déjà, beaucoup de brevets sont un peu plus loin que cela. Ce sont des batailles juridiques, mais l'INRA n'a pas les reins assez solides pour faire ces batailles juridiques.

Ensuite, dans l'association avec l'industrie, il nous fallait faire deux choses : maintenir les avantages existants (je parle cette fois-ci de la génétique française) et protéger l'avenir sur le plan stratégique.

Les avantages de la génétique française sont connus. Elle est efficace. Elle est faite majoritairement par des PME innovantes, qui ont la capacité et la maîtrise des méthodes classiques de la génétique, et une maîtrise de quantités de gènes qui nous sont enviés.

L'INRA ne peut pas abandonner cette maîtrise. On ne  peut pas dire que nous oublions cet avantage et que nous allons passer à un avantage qui favorisera au contraire a priori des grandes firmes, voire des multinationales. Il y a donc un vrai problème de stratégie d'équilibre des forces.

L'INRA a un département d'amélioration des plantes qui comporte mille personnes, ce qui n'est pas négligeable. Il y a une collaboration totale avec les semenciers français qui sont dans une problématique PME.

Il fallait que nous nous alliions avec ces firmes pour leur faire comprendre leur intérêt dans l'avenir. Il fallait que nous ayons le support d'un industriel, qui est Rhône-Poulenc. Pour pouvoir aborder tous des problèmes de valorisation et de suivi des brevets, il fallait aussi que nous nous associions avec les organisations professionnelles d'agriculteurs, qui sont souvent, par le biais de coopératives, celles qui vont distribuer ou faire utiliser ce progrès par les agriculteurs.

Ce travail de gestion, qui n'est pas de la science pure, est donc tout à fait déterminant. Avant de lancer ce projet de génomique végétale et animale, qui va démarrer quoi qu'il advienne, nous avons également été amenés à discuter assez précisément -ce n'est pas terminé- de la façon dont nous allions gérer la propriété industrielle, de manière à ce qu'il y ait un avantage pour tout le monde.

Si nous gérons la propriété industrielle en donnant par exemple à une firme très importante une main-mise sur des semences classiques que l'on a développées avec des PME, nous ne sommes pas dans notre rôle. Il a donc fallu arriver à un consensus où chacun puisse profiter du système.

J'insiste beaucoup sur ce point, parce que l'on présente souvent les choses comme étant scientifiques ou pas, mais elles sont aussi humaines, sociales, etc., et elles sont l'affaire d'un équilibre.

Je ne sais pas si j'ai répondu à l'ensemble de votre question, mais un projet de génomique en France démarre dans de bonnes conditions. J'ai bon espoir que le financement public sera suffisant, et nous ferons l'effort nécessaire, sans pénaliser les industriels de l'agro-alimentaire dont j'ai rappelé l'importance tout à l'heure.

 

M. Le Président - Nous reviendrons sur un certain nombre de questions.

Je voudrais maintenant poser une question à Monsieur Danchin, qui a dit une phrase qui me paraît très importante : les organismes vivants sont capables de produire de l'imprévu. Finalement, dans ce domaine, qui est à la fois économique et psychologique -on l'a vu avec les réactions des consommateurs-, et qui a des dimensions dans tous les domaines de l'influence du développement des sciences et des techniques, des conséquences économiques et sociales du progrès scientifique et technique, l'imprévu ou le prévu arrivent-ils où on les attend ?

Finalement, dans ce débat sur les OGM, où nous avons des tableaux fortement contrastés selon les personnes qui parlent, le politique est là même s'il a quelques capacités de compréhension. C'est le cas d'un certain nombre de politiques mais, pour d'autres, ce n'est pas leur formation. Ils entendent des experts ayant des avis totalement opposés, et l'on est souvent confronté au paradoxe suivant : prendre des décisions politiques dures sur des certitudes scientifiques molles.

L'imprévu arrive-t-il où on l'attend ? Vous qui suivez depuis très longtemps ces questions du développement de la biologie, pouvez-vous nous dire si, finalement, toutes les peurs indiquées sont les vraies peur ou s'il y en a d'autres ?

 

M. Danchin - Vous changez fortement le thème de cette table ronde, mais je peux néanmoins essayer de répondre.

L'une des particularités de la recherche en biologie, qu'expérimentent tous les jours les chercheurs, et qui trouble beaucoup les jeunes chercheurs, c'est qu'en général, nous fonctionnons de manière hypothético-déductive, c'est-à-dire que nous faisons des hypothèses, nous prévoyons les réponses, essentiellement par oui ou par non.

Nous construisons donc des organismes vivants ayant des propriétés particulières, dont nous prédisons les réponses, et la plupart du temps, au lieu de répondre oui ou non, l'organisme vivant répond autre chose, qui n'a rien de commun avec ce que l'on avait imaginé. C'est très éprouvant mais en même temps tout à fait fascinant.

Il s'agit d'essayer de comprendre quelle est l'intégration des fonctions qui produit cette innovation systématique. Evidemment, lorsque l'on parle de cas extraordinairement ponctuels, par exemple la couleur d'une cellule, ou ce qui va tout à fait à la fin d'un chemin métabolique, en général mais pas toujours, on peut prédire ce qui va arriver.

On peut à peu près prédire que, si l'on a touché telle activité enzymatique à tel endroit parce que l'on connaît les réactions chimiques, on changera la couleur de telle ou telle manière. Mais, très souvent, dès que l'on remonte un peu, on ne peut plus le dire. C'est ce que je vous ai dit à propos du cristallin de l'oeil tout à l'heure.

C'est un point important, mais il y a un débat derrière : celui de la certitude scientifique. Autant je pense qu'il ne faut pas être relativiste, c'est-à-dire qu'il y a progression systématique en science, qui est fondée sur le passé, la création du savoir passé, autant je pense que nous dérivons de deux traditions tout à fait opposées selon lesquelles les scientifiques jouent souvent un rôle qui n'est pas le leur.

Je m'explique. Georges Dumézil, qui s'était beaucoup intéressé aux mythes et épopées depuis l'Inde jusqu'aux pays scandinaves et à l'Irlande, a remarqué que, dans tous les mythes et épopées, y compris ceux qui sont à la base de nos civilisations, on trouve trois fonctions principales : le prêtre, le laboureur et le soldat. Ces trois fonctions sont liées à une perception de l'environnement très particulière.

Il y a des personnes (les prêtres) qui entendent une vérité et qui peuvent la donner ; ceux qui appliquent cette vérité, les laboureurs, sont là pour cela, avec tout le succès que cela a dans la culture ; si certaines personnes ne veulent pas comprendre, les soldats sont là pour le leur faire comprendre.

Il y a longtemps, j'ai vu sur le fronton des églises en Algérie "Deo ense et aratro" ("Par Dieu, par l'épée et par la charrue"). Cela dit explicitement une partie de notre culture, qui est typiquement celle que l'on trouvait dans l'empire romain et que l'on trouve beaucoup aux Etats-Unis actuellement, mais ce n'est pas la culture de la science.

Clairement, Dumézil, d'ailleurs avec un peu d'amertume, remarquait que les mythes grecs, pour la plupart, n'entraient pas dans les trois fonctions. Le personnage central chez les Grecs, c'est le philosophe, qui serait le savant actuellement.

Le philosophe, c'est celui qui sait qu'il y a une différence entre la réalité du monde et les modèles du monde qu'il fait, et que, même s'il tombait sur la vérité -c'est ce que disait Xenophane de Colophon il y a 2600 ans-, il ne pourrait pas le savoir.

C'est un dialogue constant entre modèle et réalité qui fait la science, et aucun savant ne peut donc vous dire autre chose que ce qui correspond à un modèle de la réalité et non à la réalité. Dès qu'il se pose autrement, il se pose en prêtre, et nous sommes dans une logique de pouvoir très différente, celle du prêtre, du laboureur et du soldat.

Dans le débat des OGM, je me suis préoccupé de cela depuis l'origine, en fait depuis d’Asilomar, et j'ai été explicitement contre le moratoire Asilomar, précisément parce que je pensais que l'on se trompait gravement de cible.

Pour des raisons qui seraient intéressantes à explorer (peut-être parce que c'est une technologie nouvelle, peut-être parce que c'était biaisé pour des raisons de pouvoir économique de certains acteurs, etc.), il me semblait et il me semble toujours que, dans un grand nombre de cas, les manipulations génétiques qui se font in vivo, dans la nature, spontanément (notamment dès que l'on utilise un engrais ou un insecticide, ce que l'on fait chaque jour, ou, plus grave, lorsque l'on utilise des antibiotiques en médecine vétérinaire, pour faire grossir des animaux), sont des manipulations génétiques en vraie grandeur qui, à mon avis, sont bien plus dangereuses que la plupart de celles dont nous discutons, notamment à propos des végétaux.

Cela étant, cela ne signifie pas du tout qu'il n'y a pas de problèmes. Il faut se poser le problème de façon explicite, mais ce qui me paraît le plus curieux et le plus grave, c'est que les manipulations génétiques sont envisagées dans deux domaines : un domaine médical et un domaine agronomique.

Dans le domaine médical, il n'y a curieusement pas de crainte et, dans le domaine agronomique, il y a de grandes craintes. Or, je pense que l'on devrait avoir des sentiments contraires.

Il y a un point que je considère comme très grave, également lié à nos sociétés : nous craignons systématiquement ce qui est différent et non ce qui est proche de nous. L'histoire du sang contaminé est typique de cela : personne ne craignait le sang et on ne craint toujours pas, curieusement, alors que plus les organismes vivants sont proches de nous, plus ils sont dangereux, parce qu'ils sont pré-adaptés.

Le peu de changement qu'il faut faire pour produire quelque chose qui conduirait à une éventuelle catastrophe est presque fait.

Dans ce débat -c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu y participer-, il me semble que, pour des raisons que je ne comprends pas vraiment, les dés sont pipés, c'est-à-dire que tout est entièrement lié à des sentiments, alors que personne ne regarde les choses en face.

D'abord, à chaque fois que l'on utilise une technique, c'est-à-dire que l'on met un engrais ou un insecticide, on fait des manipulations génétiques. De toute façon, l'amélioration génétique est à la base de l'agriculture et il est clair qu'elle a altéré le paysage. Les champs de Beauce sont presque des champs minéraux. On n'y voit plus un insecte voler, et c'est terrifiant.

Je comprends l'attitude du public face à cette sorte de glissement progressif vers un monde vivant mais presque minéralisé, dû à une nécessité tout à fait réelle d'augmentation de la population. J'ai une grand mère qui a plus de cent ans, et elle a vu la population de la Terre plus que tripler depuis sa naissance. Il s'agit d'une révolution extraordinaire, qui a pour conséquence une altération générale de l'environnement, sans compter l'urbanisation, et je comprends qu'il y ait de nombreuses réactions liées à tout cela.

Mais je pense que ce qu'il se passe à propos des OGM est dangereux, parce que, alors que je pense qu'il y a de réels problèmes (par exemple le SIDA, où l'on a été capable d'arrêter quelque chose de très dangereux, un projet lié à la vaccination), lorsque l'on voit un objectif admis comme particulièrement valable éthiquement, on ne se préoccupe plus des risques.

Le vrai problème est donc un problème risques-bénéfices, dont il faudrait vraiment discuter calmement, sans avoir besoin de "vedettes" qui parlent en public. C'est aussi la raison pour laquelle, en général, je ne parle pas en public.

 

M. Le Président - Merci. C'est très lié à la recherche et, comme vous me l'aviez dit en privé, je souhaitais que vous donniez votre avis publiquement et que nous en discutions éventuellement.

On revient à certains points abordés tout à l'heure, notamment par Daniel Cohen, sur les relations public/privé, sur la relativisation ou la paranoïa sur les brevets. Néanmoins, vous n'avez pas répondu à ma question : y a-t-il des différences techniques entre les systèmes de brevetabilité de l'Europe et des Etats-Unis, qui sont à l'origine de handicaps pour nous ? Cela intéresse les parlementaires.

En second lieu, vous avez été assez dur, notamment sur la techno-structure, en disant qu'elle freinait finalement un certain nombre de choses. Les possibilités actuellement discutées pour des chercheurs de travailler  en partie dans le privé, ou de traitement fiscal et social des fonds investis dans des sociétés émergentes sont-elles suffisantes ou pas ? Faut-il les développer ? Si oui, quelles idées avez-vous pour faire en sorte de les développer ?

Nous sommes au Parlement, et j'en profite pour dire que, sur cette étude, on a l'unanimité totale de tous les groupes et de l'Office parlementaire, Députés et Sénateurs, pour la conduire et pour essayer de faire des propositions, et c'est important.

L'Office parlementaire est le seul endroit au Parlement où il y a des Députés et des Sénateurs, et de tous les groupes politiques. C'est donc l'un des endroits où l'on peut pousser un certain nombre de choses qui ont des chances ensuite, dans nos assemblées respectives, de passer les rampes législatives, ce qui est toujours très compliqué.

En effet, il y a quelquefois des fonds de commerce qui ne sont pas les mêmes dans nos différentes assemblées. Nous travaillons en amont de la législation, et c'est un peu nouveau.

Vous dites que nous sommes bons ; je dis oui ; pour vous, c'est certain. Pour le développement d'Evry, c'est certain ; pour des collaborations en végétal avec Evry, c'est certain. Y a-t-il un maillage ?

Je reviens d'universités américaines ; j'en ai vu plusieurs dans le Middle-West américain. J'ai vu des développements dans beaucoup d'autres universités. A-t-on le même type de développements en dehors de Paris ?

Ces questions ne sont pas les seules que nous ayons à résoudre au niveau de l'agriculture, comme le disait Guy Paillotin tout à l'heure, mais elles sont importantes.

C'est d'autant plus important -et je le dis à ceux qui n'ont pas la même perception- que la difficulté pour  le Parlementaire actuellement est de traiter à la fois  du problème du débat public qui n'a pas eu lieu et des enjeux au niveau de la recherche et au niveau économique.

Nous sommes sur deux débats différents ; lorsque l'on traite des enjeux ou de la recherche, on pense que l'on est en avance, que l'on a déjà choisi, mais, en même temps, on a ces deux notions à traiter de manière parallèle, et c'est difficile.

Monsieur Cohen, quelles sont vos positions sur toutes ces questions ? Quelles suggestions feriez-vous ? Demain, nous auditionnerons le Ministre de la recherche sur ces questions.

 

M. Cohen - Je n'ai pas dit que nous étions bons. J'ai dit que nous avions pu être bons à un certain moment. Nous avons été efficaces en génomique à un certain moment et, les fonds privés s'étant taris, l'activité s'est un peu essoufflée.

Lorsque l'on considère les publications sortant de France depuis trois ou quatre ans, on constate que ce n'est plus du tout compétitif par rapport à ce qu'il se passe ailleurs.

Je disais en revanche que le potentiel de formation en France était extraordinaire. Le niveau des chercheurs est excellent.

Ce sont essentiellement les financements qui se sont taris, quoi que l'on en dise.

Le deuxième point consiste à savoir s'il y a des différences qui confèrent des avantages aux Etats-Unis en matière  de brevets, simplement par leur système de brevets.

Avant de parler de la qualité des brevets, déjà dans les systèmes de brevetage américain, le secteur public brevète-t-il ?

Les chercheurs académiques des universités américaines ont été les premiers à breveter, depuis très longtemps, parce qu'il s'agissait d'universités privées, qui recevaient très peu de fonds publics, et que cela a été le moyen, dans les universités comme Stanford, de continuer à vivre. Les revenus de Stanford viennent pour la plupart des licences sur les brevets. Du fait qu'ils en ont fait moins, cela commence à aller mal financièrement.

De ce fait, les organismes vraiment publics comme le NIH ont commencé à breveter, mais il y a très peu de temps (une dizaine d'années), et pour avoir vécu cela, une chose est extraordinaire : il y a vis-à-vis des brevets déposés par les organismes publics américains, une préférence nationale très forte. Lorsqu'une société français essaie d'avoir une licence d'un brevet du NIH, on lui dit toujours que, si un Américain veut ce brevet, il est prioritaire.

Je ne suis pas sûr que ce soit une stratégie adoptée en France, d'abord parce que peu de brevets sont déposés, donc le problème ne se pose pas tellement. Mais, s'il se posait, il n'y a pas dans les textes de mention de préférence nationale. Je ne sais pas si elle est bonne ou mauvaise, mais c'est assez difficile à gérer parce qu'en réalité, les sociétés françaises comme Rhône-Poulenc ou même ma compagnie sont toutes multinationales et ont des intérêts aux Etats-Unis.

Il y a une réflexion à avoir sur la façon dont les organismes publics français attribueront les droit d'exploitation lorsqu'ils brevètent. C'est une vraie question.

Existe-t-il des différences entre les natures des brevets existant aux Etats-Unis et en Europe ? Il y en a encore quelques-unes. Certaines choses, comme certains organismes transgéniques, sont brevetables aux Etats-Unis et ne le sont pas en Europe. Il y a certainement une égalisation à faire. Je ne veux pas entrer dans le détail de tout ce qui est différent, mais ils ont en général des admissions de brevets qui ne se feraient pas en Europe, que ce soit justifié ou pas.

En second lieu, il y a une différence dans les publications. Lorsque l'on brevète, on peut publier. Le brevetage est une source de mise dans le public de l'information. En revanche aux Etats-Unis, on peut dans certaines  circonstances retarder la publication des données pendant pratiquement cinq ans après le moment du dépôt. Est-ce valable ou pas ? C'est également un grand débat.

Dans le domaine concurrentiel dans lequel nous vivons, la publication d'un brevet peut être à notre désavantage, parce que le concurrent peut toujours avoir une idée qui, bien qu'utilisant l'idée du brevet, la contourne. Ce n'est donc pas toujours très bon, à certains points que l'on évite souvent de breveter. On préfère garder l'information technologique plutôt que la breveter, pour garder la priorité pendant plus longtemps.

Quant à la troisième question, le développement potentiel dans le secteur public en France est possible. Le problème, c'est qu'en créant le Centre national de séquençage ou le Centre de génotypage à Evry, on a créé un seul centre qui diminuera les chances de la province de se développer. Je l'ai toujours dit. Il valait mieux créer deux ou trois grands centres qu'un seul centre énorme, mais cela a été fait ainsi.

 

M. Le Président - J'en ai parlé avec Monsieur Tambourin du Génoscope. L'idée de faire quelques centres satellites en se basant sur la formation des personnes ne serait-elle pas la solution ?

 

M. Cohen - Oui, sur la formation et même sur la production des résultats, tout simplement parce qu'il est dangereux de confier un développement aussi important à un seul endroit, parce qu'il peut y avoir des dérives dans un mauvais sens. Les idées peuvent manquer à un certain moment ; n'importe quoi peut arriver.

En laissant à trois ou quatre centres en France l'occasion, même d'entrer en compétition les uns avec autres, c'est beaucoup plus stimulant et beaucoup plus sûr à long terme.

 

M. Le Président - Merci. Je vous donne quelques chiffres que j'ai extraits d'un document du CNRS, sur les brevets publiés par zone géographique dans le domaine des plantes transgéniques :

- Etats-Unis: 49 %
- Europe : 31 %
- Japon: 14 %
- Reste du monde: 6 %

Nous avons l'évolution des brevets, et c'est de loin dans le domaine des plantes transgéniques que l'évolution des brevets est la plus importante dans le monde entier, avec une courbe énorme par rapport aux brevets toutes disciplines confondues, et même aux brevets dans les biotechnologies.

Un point est tout de même inquiétant -on le connaît et on le redit dans chaque colloque ou congrès- : lorsque l'on compare les documents publiés et les brevets publiés, on arrive aux chiffres suivants :

- Etats-Unis : 40 % et 40,8 %
- Europe : 40,4 % et 31,1 %
- En Europe, c'est la France qui présente les plus mauvais chiffres : 7,8 % de documents publiés, toutes sciences confondues, et 2,9 % de brevets publiés.

Cela progresse peu d'année en année. Nous le redisons à chaque fois, nous le martelons, mais il y a tout de même, ainsi que je disais au début, une sorte de mal français.

Même si ce n'est pas la même problématique, nous l'avons liée tout à l'heure ; on a peu parlé des pays du sud. Monsieur Fauquet peut le développer, et je demanderai ensuite à Monsieur Santini de répondre à toutes les questions abordées dans la discussion, puis il y aura des questions dans la salle.

 

M. Fauquet - Avant de parler des pays du sud, je voudrais simplement revenir sur le public/privé. Il faut se rendre compte du fait que le privé a la puissance, l'argent. Monsanto peut acheter 2,5 milliards de dollars de compagnies en un an, mais ce que le privé n'a pas, c'est la créativité ; c'est un pool de scientifiques où il se passera des choses.

Cela provient du fait que la créativité ne peut pas se prédire, se prévoir, se planifier. Or, toutes les compagnies privées planifient leurs résultats, leurs investissements, etc.

Cela m'amène à la comparaison France-Etats-Unis. Il est vraiment flagrant qu'aux Etats-Unis, il y a une énorme quantité d'investissements du secteur privé dans les universités pour cette simple raison. A l'heure actuelle, on assiste même à des situation extraordinaires. Dans l'institut où je travaille, des compagnies viennent proposer d'investir pendant cinq ans 1 million de dollars par an sur ce que l'on veut, parce que l'on ne peut pas prédire quels seront les nouveaux développements, les nouvelles découvertes, etc.

En revanche, on peut prédire la technologie qu'il y a dans un endroit donné, les compétences, les cerveaux, etc. Il y a donc un investissement constant du privé dans le public pour alimenter cette créativité, que l'on traduira ensuite avec des brevets.

Cela m'amène à la discussion que nous avons eue tout à l'heure : dans le secteur public américain, il y a beaucoup de dépôts de brevets que l'on offre ensuite au secteur privé, c'est-à-dire que les universités américaines brevettent mais ne paient pas les brevets. Dès qu'elles ont déposé un brevet, elles vont l'offrir au secteur privé, en partant du principe que, si c'est intéressant, il investira et payera pour les brevets.

Mais l'université restera propriétaire ; elle aura des royalties et un certain nombre de revenus, comme Stanford. Si l'on examine le nombre de nouvelles petites compagnies privées ou d'investissements de grosses compagnies autour des universités, on constate que c'est concentrique. C'est extraordinaire ; on peut dessiner des centres autour des universités.

Nous n'avons absolument pas ce mécanisme en France, et il faut absolument le développer si l'on croit à l'interface privé/public. Je suis un très fort partisan de cela, parce que je pense que l'on peut associer la créativité, qui n'est pas poussée vers des objectifs bien précis, et l'investissement et le pouvoir financier, etc.

Je voulais faire honneur à mon voisin pour tous les concepts philosophiques et théoriques qu'il nous apporte, auxquels je concours, mais je pense qu'en plus du laboureur, du guerrier et du prêtre, nous devons maintenant associer l'avocat.

Qu'on le veuille ou non, étant public, avec ma formation française bien publique, etc., je suis confronté depuis dix ans à ce monde privé, même dans une université publique où l’avocat est très important. Je me suis rendu compte que, par exemple, la valeur d'une découverte que  nous avons faite en laboratoire peut aller de zéro à un chiffre extraordinaire selon que l'on trouvera les clients  qu'il faut et un partenaire qui défendra le brevet.

Cela fait la pluie et le beau temps. De ce fait, une découverte sera exploitée ou pas, et c'est très important, dans ce monde d’affaires, d'argent, de développement, etc.

C'est également la raison pour laquelle il doit y avoir une interface entre le public et le privé. Une université publique, même américaine, n'a pas les moyens de se payer vingt cinq avocats pour défendre ses brevets, de dépenser 30.000 à 50.000 dollars par brevet pour le maintenir pendant trois à quatre ans.

Or, c'est ce qu'il faut. C'est une règle du jeu nationale et maintenant internationale qui a été mise en place, et qu'on le veuille ou non, c'est ainsi. On doit donc absolument développer ces différentes interfaces pour l'ensemble des raisons que j'ai mentionnées.

Nous pouvons maintenant revenir au débat non plus public/privé, mais pays avancés et pays en voie de développement. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on a toujours considéré qu'il y avait d'un côté le sentiment que le Tiers-Monde demandait l'aumône et de l'autre les pays riches qui donnaient gratuitement les trois quarts du temps.

Je pense que l'on doit changer cette mentalité, parce que, dans la réalité, la population ne se trouve pas dans les pays avancés. La plus grande partie de la population se trouve dans des pays en voie de développement et, en 2030, 90 % de la population s'y trouveront. On ne peut pas ignorer cette situation, parce qu'il y a un aspect masse énorme auquel nous devrons répondre.

Nous devrons aider ces pays à s'en sortir si nous ne voulons pas nous-mêmes en souffrir. Nous devrons aider ces pays à arrêter de couper leurs forêts si l'on veut garder la biodiversité à notre avantage. Il faudra aussi que le secteur privé, qui commence à investir dans le Tiers-Monde, investisse davantage. Il faudra donc changer un certain nombre de mentalités.

On ne fera plus l'aumône aux pays en voie de développement. Nous devons les considérer comme des sources de ressources biologiques indispensables pour notre développement, et au travers de cela, nous devons les aider eux-mêmes à s'en sortir et à se développer.

Dans le secteur privé, plusieurs compagnies multinationales se sont rendu compte de cet état de choses. Elles se sont rendu compte qu'avec un milliard de Chinois, si chaque Chinois achète une graine de riz, cela représente beaucoup de dollars. L'Europe doit absolument avoir la même évolution. Nous devons récupérer une partie de l'investissement que les pays européens, et en particulier la France, ont fait.

Depuis des décades, on a investi sans le vouloir dans plusieurs pays du Tiers-Monde. On les a aidés. Nous devons continuer à le faire. Nous devons inciter nos industriels français et européens à s'associer à cela et à investir dans ces pays, parce que c'est là qu'il y a la biodiversité, c'est là que l'on va trouver les milliers de gènes que l'on utilisera dans l'avenir.

Je termine par une remarque générale : je pensais que je venais à un débat où on allait parler des organismes génétiquement modifiés, les pour, les contre, les avantages et les inconvénients ; je m'aperçois que nous avons largement dépassé le débat, et je m'en félicite pour plusieurs raisons :

- Tout à l'heure, lorsque je me suis assis, à 9 heures 30, j'ai eu l'impression de revenir dix ans en arrière parce qu'il y a dix ans, j'ai participé à de tels débats aux Etats-Unis, où la question était de savoir si l'on était pour ou contre les OGM, etc.

Maintenant, ce n'est plus du tout la question. Il s'agit de déterminer la façon dont on peut utiliser un certain nombre de gènes à bon escient ou le mieux possible, en sachant qu'il y a des risques, que l'on va faire des erreurs, qu'il y aura peut-être des catastrophes. Mais c'est inéluctable ; c'est l'avancement de la science et l'on n'y peut rien.

Essayons de le faire le mieux possible, de développer des recherches nous permettant d'éviter les catastrophes et de se limiter simplement à quelques faux-pas.

Il faut tout de même replacer les choses dans un contexte général : dans une plante, il y a de 30.000 à 50.000 gènes ; jusqu'à présent, on a étudié les gènes un par un, avec toutes sortes de technologies, et cela peut demander trois, quatre, cinq, dix ans ou plus. Parfois, on n'arrive pas à comprendre exactement la façon dont cela fonctionne.

En ce moment, on passe la vitesse supérieure. On a des technologies qui permettent d'étudier non plus un gène mais des milliers de gènes en même temps. C'est ce que l'on appelle la "technologie des puces à A.D.N.", et il faut que les compagnies européennes, que le secteur public européen investisse dans ces nouvelles technologies. On ne doit pas rater le train de ces nouvelles technologies, parce que l'on pourra maintenant étudier des ensembles de gènes.

Les produits des gènes ne fonctionnent pas à l'unité. Ce ne sont pas comme des petits individus placés les uns à côté des autres ; il y a des interactions constantes dans les cellules, où des milliers de protéines interagissent les unes avec les autres, et c'est très compliqué.

C'est la raison pour laquelle la séquence elle-même ne nous donnera pas la solution, ne nous donnera peut-être pas un certain nombre de brevets, mais nous ne devons pas rater le train de la génomique.

Tel est le véritable débat d'aujourd'hui. C'est plus que le génie génétique ; c'est de déterminer la façon dont on va étudier tous ces gènes et l'investissement nécessaire  pour que l'on ne rate pas ce nouveau train de la science, de façon à pouvoir mieux comprendre la façon dont fonctionnent ces organismes et à mieux utiliser certains de ces gènes qui, dans leur très grande majorité, ne sont pas dans nos pays mais sont dans les pays du Tiers-Monde.

 

M. Le Président - Monsieur Santini, voulez-vous vous  exprimer ? Y a-t-il déjà des questions dans la salle ?

 

M. Bernard Convent (PGS) - Je voudrais demander à la table ronde, et plus particulièrement à Monsieur Paillotin, comment on envisage la collaboration en matière de recherche génomique végétale au niveau de l'Europe.

 

M. Paillotin - Au niveau de l'Europe, sur des parties amont de la génomique, il y a des collaborations entre laboratoires universitaires (j'entends recherche fondamentale) et l'INRA. Il n'y a donc aucun problème.

Pour simplifier, certaines cartes génétiques ne peuvent être obtenues que par la collaboration internationale. On citait tout à l'heure le programme riz ; ce programme est très en amont et est international.

Ensuite, c'est la partie où l'on commence à coupler une recherche. Il ne faut pas "tourner autour du pot" : dans l'intitulé de cette table ronde, on voit bien que c'est la partie qui reste recherche cognitive amont, mais très liée à une valorisation industrielle.

Il n'y a donc pas de raison de ne pas forger l'Europe mais, pour l'instant, on n'y est pas tout à fait, et c'est le moins que l'on puisse dire. En tant qu'INRA, nous restons donc pour l'instant assez nationaux ; pour être clair, nous restons auprès de firmes qui paient des impôts en France.

Il nous arrive donc de collaborer, même étroitement, avec des firmes "étrangères", mais ayant une filiale en France, parce que nous pensons que, pour l'instant, c'est malgré tout le contribuable français qui nous alimente, et c'est parfois le contribuable européen qui  en a les bénéfices sans trop alimenter. Nous essayerons de traiter ce problème dans les cinq ans à venir.

Au niveau du projet français, j'ai oublié de citer une grande firme semencière qui est associée, dont le Président est présent : Limagrain ; je vous prie de m'en excuser. Nous partons avec des partenaires qui sont mondiaux,  aussi bien Limagrain que Rhône-Poulenc, mais nous ne sommes pas encore partis dans une optique européenne.

Mais pourquoi pas ? Je sais que vous-mêmes, avez en Allemagne les mêmes types de dispositifs. Comme l'a dit Monsieur Cohen, nous sommes 60 millions d'habitants en France mais, en Europe, nous avons davantage d'habitants que les Etats-Unis. Dans les parties fortement concurrentielles au niveau mondial, nous aurons donc intérêt à nous fédérer un peu plus sur les parties cognitives qui sont très liées aux applications industrielles.

Je n'ai pas répondu à l’évocation des puces à A.D.N. ; nous n'avons pas maîtrisé cette technique ; elle est faite ailleurs et elle n'est effectivement pas aussi disponible que cela. C'est donc un cas typique où il peut y avoir un verrou technique qui vienne perturber notre "compétitivité intellectuelle", si vous me passez cette expression.

Mais la France a réagi. Certaines organismes s'en préoccupent, notamment le CEA et le CNRS, qui sont davantage dans leur métier pour rattraper ce retard. On me dit que tout n'est pas encore bloqué par les brevets, mais je ne suis pas spécialiste en la matière. C'est tout de même un bon exemple de technique qui peut être bloquée et il y a une possibilité pour la France, et pourquoi pas l'Europe, de figurer dans la compétition.

 

M. Le Président - Sur le développement des puces à ADN, Monsieur Cohen veut peut-être dire un mot. Je rappelle en quelques mots que le développement industriel des puces repose sur plusieurs technologies : la combinaison de techniques de micro-électronique, de chimie, de biologie moléculaire, d'informatique.

C'est un point important, parce que cela permettra de faire des percées rapides dans le domaine du diagnostic et de la connaissance des gènes. Lorsque l'on visite des laboratoires américains dans plusieurs villes, on voit qu'il y a un développement de ces secteurs.

 

M. Cohen - Les puces à A.D.N. ont été inventées en Europe, et non pas aux Etats-Unis. Elles ont été inventées à Oxford par un collègue, Ed Savlern, qui a déposé un brevet qui fait toujours souffrir les industriels américains ayant commencé à développer.

Mais je pense qu'il faut être très à l'aise et tranquille pour ces problèmes de puces, parce que l'on en développe en France, en particulier au CEA, et en Europe. Je crois qu'il y a eu une publication la semaine dernière dans "Science", où un groupe allemand a créé de nouvelles puces encore plus performantes que celles que l'on voit aux Etats-Unis.

Mais en tout état de cause, ces technologies sont faites, non pas pour être gardées par les industriels, mais pour être vendues par eux. Autrement dit, tous les chercheurs, publics ou privés, auront accès à ces technologies parce qu'ils achèteront ces puces.

Il  ne faut donc pas trop s'inquiéter. La puce est un outil de recherche, et il est tellement universel qu'il ne pourra pas être monopolisé par un ou deux industriels. Ce n'est pas possible parce qu'il y a la concurrence.

Il existait une compagnie de puces à A.D.N. il y a quatre ou cinq ans ; il en existe maintenant une quinzaine. Ce qu'elles veulent faire, c'est tout simplement vendre de la puce.

 

M. Le Président - Je souhaite poser une question à tous ceux qui sont autour de cette table ronde : finalement, les Suisses organisent une "votation", c'est-à-dire un référendum, le 7 juin ; j'ai d'ailleurs eu un texte très clair de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine à ce sujet.

Ce référendum précise en modifiant la Constitution suisse :

"Sont interdits la production, l'acquisition et la remise d'animaux génétiquement modifiés, la dissémination d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, l'octroi de brevets pour des animaux et des plantes génétiquement modifiés ou des parties de ces organismes, pour les procédés utilisés à cet effet et pour les produits en résultant.

D'autre part, la législation établit des dispositions concernant la production, l'acquisition et la remise de plantes génétiquement modifiées, la production industrielle de substances résultant de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés, et enfin la recherche utilisant des organismes génétiquement modifiés susceptibles de créer des risques pour la santé humaine ou pour l'environnement."

Tel est le texte de la "votation". J'étais en Suisse dans le cadre de mon étude. Je suis allé en Autriche, en Suisse, aux Etats-Unis, et je vais continuer dans le temps qu'il me reste. Que pensez-vous de cela en tant que chercheurs ?

 

M. Cohen - Ils ont parlé du droit de vote des femmes, qui était encore pratiquement interdit il y a quelques mois et qui vient d'être pratiquement rétabli.

C'est tout à fait exagéré. Je pense que la grande erreur d'avoir une attitude anti-science et anti-technologies, ce que l'on voit apparaître dans une couche d'intellectuels en Europe, en France et en Allemagne en particulier, c'est que sur le plan philosophique :

- quoi que l'on veuille, la terre disparaîtra dans quelques milliards d'années, donc que notre population disparaîtra ;

- quoi que l'on veuille, on ne sait pas quels risques nous guettent ; n'importe quelle maladie peut arriver à n'importe quel moment ; le SIDA en est un exemple. La grippe de HongKong a tué quatre personnes sur dix-neuf, soit 20 %. Si des personnes de HongKong n'avaient pas réagi de façon très rapide et très efficace pour tuer tous les poulets, l'épidémie se serait peut-être étendue, et 20 % de l'humanité aurait été en danger.

A de telles histoires, à des météorites qui tombent, ou à la disparition de la terre dans quelques milliards d'années, la seule réponse est "encore plus de connaissances et encore plus de technologies". Je ne vois pas d'autre façon de répondre, sauf si l'on admet que tout peut disparaître et que cela ne nous pose aucun problème.

Une attitude de ce type est donc irresponsable face à nos enfants.

 

M. Danchin - Autant je suis d'accord avec Daniel Cohen sur le fait que la "votation" suisse est fondée sur un certain nombre d'absurdités, autant je pense que l'on peut difficilement faire une réponse du genre de celle qu'il a faite.

Le fait de dire que les choses peuvent être catastrophiques, donc que l'on peut faire n'importe quoi, me paraît franchement discutable. Je pense que c'est l'une des raisons qui sont précisément à la base du texte suisse. Si les savants répondent ainsi, je comprends très bien le public, qui a l'impression que l'on se moque de lui, et qui a raison.

 

M. Cohen - Je n'ai pas dit qu'il fallait faire n'importe quoi. J'ai simplement dit qu'il ne fallait pas ne rien faire au nom de la peur de faire n'importe quoi. Or, c'est ce qu'il se passe très souvent maintenant. Au nom des idéologies politiques ou autres, on ne doit plus rien faire.

C'est l'excès inverse qui ne me paraît pas acceptable.

 

M. Joël Chenais (Responsable de la Commission environnement des Verts, généticien de formation) - Je pense que le débat d'aujourd'hui n'est effectivement pas simplement "pour ou contre les OGM" mais qu'il est "que fait-on des connaissances ?", dont le développement était bien évidemment une nécessité absolue. Si l'on prend conscience des problèmes d'effets de serre, c'est bien parce que certains travaillent sur le climat et sur d'autres problèmes.

La question est "Comment décide-t-on de l'usage de ces connaissances ? Quelle place au débat public ? Quelle place à la prise de décisions collectives ? Quelle place pour les hommes politiques dans ces processus de décision de développement des technologies ?"

Ne croyez-vous pas que le financement des chercheurs publics (mais aussi des recherches qui sont à la frontière recherche fondamentale recherche appliquée) par des intérêts privés, conduit justement à court-circuiter ces processus de décision collectifs, qui devraient avoir lieu dans le cadre de l'utilisation des connaissances ?

Je souhaite également poser une question directement à Monsieur Le Déaut : ne croyez-vous pas, d'une certaine façon, que la place des politiques est court-circuitée, lorsque justement des intérêts privés prennent des brevets et décident de développer des technologies à partir de connaissances qui doivent être développées ?

 

M. Paillotin - J'avais commencé ma première intervention en disant qu'il ne fallait pas "tourner autour du pot", que les individus se demandaient pourquoi on faisait tout cela et à quoi cela servirait. C'est l'une des questions très importantes.

Je suis d'accord avec les propos de l'intervenant, sauf sur un point. Il y a une notion importante : ne pas limiter la capacité d'acquisition de connaissances, à condition, en retour, d'expliquer ensuite ce que l'on peut en faire.

J'ai écrit quelque chose à ce sujet, en indiquant, au moins pour l'agroalimentaire -c'est moins évident pour la santé-, que l'on devait envisager une phase de co-responsabilité entre le citoyen et le chercheur, sur les applications de la biologie à l'agroalimentaire, parce que le consommateur a le droit de nous dire ce qu'il veut manger. Le citoyen a le droit de dire comment il veut voir l'environnement.

Ensuite, comment faire ? C'est une excellente question. Le point sur lequel je ne suis pas d'accord est le suivant : je ne pense pas que ce soit le problème du lien avec l'industrie qui pose cette question. Malheureusement, beaucoup de chercheurs, avec beaucoup de naïveté, pensent savoir à la place des individus. Ils pensent parfois même mieux savoir que les industriels qui, connaissant le marché en agroalimentaire, savent que certaines choses ne passeront pas. Il y a une sanction assez claire.

Il faut donc trouver des méthodes de discussion pour que les chercheurs s'ouvrent et parlent avec des panels, comme vous le faites maintenant.

A l'INRA, nous essayerons -c'est un peu laborieux- de créer de tels panels en interne. Je peux dire ici que je vais en créer un qui n'est pas si simple à monter, en tout cas sur les questions de vigilance par rapport à l'éthique en matière de biotechnologies ou de clonages.

En général, dès que l'on parle de cela au chercheur, il n'y a non seulement pas de résistance, mais il y a plutôt un intérêt. Cette situation contraire à la co-responsabilité, qui s'appelle l'abstention, est plutôt due à un manque d'éveil d'esprit sur les questions.

Je dissocierais cela complètement des contrats avec l'industrie, qui sont un autre problème. Il s'agit de savoir comment mettre un contrôle de qualité au sein d'un organisme, entre ceux qui travaillent avec des contrats industriels et ceux qui viennent en aide à la décision publique, par exemple sur la sécurité des organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.

Il est très clair que, dans ce cas, il faut séparer par des contrôles de qualité ceux qui travaillent avec l'industriel pour faire éventuellement des organismes génétiquement modifiés et ceux qui vont modifier sur le terrain.

C'est faisable.

 

 

M. Le Président - Avant que je donne la parole à Philippe Roqueplo, écoutons la réponse de l'industriel qui est interpellé, et je terminerai en conclusion par la réponse du politique.

 

M. Santini - Vous posez les bonnes questions, mais je voudrais tout de même dire qu'il faut bien voir que l'industrie n'exploite pas ses découvertes et ses produits, et ne répond pas aux demandes des marchés de manière totalement libre.

Je souhaite simplement citer trois critères :

1° un critère stratégique où, compte tenu du niveau très important des sommes investies dans le développement des produits, on ne peut pas faire n'importe quoi, premièrement parce que l'on veut être là demain, et aujourd'hui il y a une nécessité de participer à la compétition dans les années futures.

Cela signifie qu'il faut faire les bons investissements et les choix. On ne fait donc pas n'importe quoi.

En second lieu, il y a nécessité d'avoir une vision globale -et par "globale", j'entends planétaire- sur les technologies qui sont développées et proposées sur les marchés, parce qu'actuellement, la compétition se déroule au plan international. Il faut donc également participer sur ce plan.

2° La réglementation. Sans entrer dans le détail technique des différentes réglementations en place, les industries qui ont investi dans le domaine des biotechnologies et du génie génétique sont pour une bonne partie  des industries issues de la protection des cultures.

Or, l'industrie de la protection des cultures est, avec le nucléaire, l'une des industries les plus réglementées. Ces réglementations sont mises en place par des experts indépendants, bien entendu assises par des décisions politiques, et alimentées, en matière de choix techniques et scientifiques, par tous les organismes de recherche publics qui apportent leurs connaissances dans ces domaines.

De nombreuses études sont donc demandées et faites  pour pouvoir répondre à ces questions. Je pense donc que le contexte réglementaire donne, non pas une garantie, mais une base sérieuse d'évaluation des risques et des bénéfices lorsqu'une nouvelle technologie est proposée.

3° Un critère que j'essaie de regrouper sur une considération éthique (même si c'est un peu prétentieux mais je pense que c'est pour faire comprendre), en disant que l'industrie a une responsabilité vis-à-vis de la société et de ses actionnaires (pour l'actionnaire, on y répond par le premier critère), mais aussi vis-à-vis des marchés, c'est-à-dire que les marchés ne vont pas accepter n'importe quoi. Je crois que le débat qui se déroule ici est une preuve de la réaction des marchés.

Il ne faut donc pas stigmatiser l'industrie comme voulant faire entrer de toute force des techniques dont on n'a pas évalué les risques ni les bénéfices, et qui pourraient être mal acceptées par les sociétés ou le public.

 

M. Philippe Roqueplo - Je souhaite ajouter un mot aux propos de Messieurs Cohen et Danchin, et attirer l'attention sur le fait que nous sommes précisément à un moment où la signification de la science dans la société est en train de changer profondément.

Jusqu'à présent, la science avait essentiellement partie liée avec l'innovation, avec le marché, c'est-à-dire avec ce qu'il allait se passer au début du produit qu'elle a lancé. Or, c'est de plus en plus la fin des produits qui a un poids dans la société, et nos oeuvres nous quittent, c'est-à-dire que, tant que nous les lançons, que nous les maintenons en main, elles sont comme des projectiles qui sortent du canon, mais lorsqu'elles sont sorties du canon, il y a des vents et autre chose.

Monsieur Danchin disait lui-même que la biologie réagit de façon imprévue à des situations imprévisibles. C'est ce qui fait le problème de la société. Comme pour les gaz à effet de serre, il y aura des situations imprévues, et nous n'avons aucune idée de la fin des produits et de leurs retombées sur la société.

Placer le débat au moment de l'innovation et du marché est évidemment quasi-scandaleux pour la société, parce que cela nous retombe sur la tête. Ce qu'elle demande aux scientifiques, c'est si, lorsque nos produits sont abandonnés, ont quitté nos mains et sont gérés par les lois de la nature, ils sont capables de nous dire quelle sera leur trajectoire.

Sur les organismes génétiquement modifiés, que cela augmente le rendement en ce moment et que, par conséquent, cela légitime les entreprises qui veulent conquérir les marchés, nous en sommes, hélas, bien trop d'accord.

Mais qu'en sera-t-il après les disséminations, dans cent ans ? Si, dans cent ans, cela pulvérise complètement le système agricole, la société dit que ce qui compte, ce n'est peut-être pas ce que l'on sait mais c'est ce que l'on ignore. Par conséquent, le politique est obligé de porter une jugement tenant compte de la marge d'ignorance et de ce que l'on appelle le principe de précaution.

Et l'on ne peut pas dire que le principe de précaution, dans ce domaine, est de la dogmatique, de la fumisterie ou de la mythologie.

Il est évident que les gens ont actuellement peur de la science, non pas par elle-même, mais parce qu'elle ne maîtrise les conséquences de ses actes que sur une durée très courte et dans un angle très étroit.

J'ai par exemple travaillé sur le problème des micro-ondes. Il est évident que les micro-ondes faites pour diriger les avions sont fatalement perturbées par les micro-ondes faites pour chauffer le plâtre. Si l'on ne fait pas attention à leurs interférences, les tours de contrôle font d'énormes erreurs, ce qui s'est produit.

On ne se rend pas bien compte de ce que peuvent donner les interférences de nos initiatives technologiques, la combinatoire de tout cela. Je pense que telle est la forme d'inquiétude ambiante dans la société.

 

M. Cohen - Je suis tout à fait d'accord avec vos propos. Je comprends tout à fait qu'il y ait une peur. Moi-même j'ai peur quelque part, mais je me pose une question : celui qui a découvert le fer, il y a très longtemps, devait-il avoir peur ou pas ?

Toute acquisition de connaissances nous expose à des risques depuis le début de l'humanité. Au moment de la découverte du fer, a-t-on pu mesurer réellement l'impact que cela aurait sur les milliers d'années ? C'est une question à laquelle on ne peut pas répondre.

Antoire Danchin a bien illustré que tout est tellement complexe qu'en réalité, rien n'est prévisible.

 

M. Le Président - J'interviens brièvement sur ce sujet, parce que l'on pose le problème de l'échelle des risques dans nos sociétés, et l'échelle des risques est liée aux débats, et aux débats publics.

Je pense que les politiques sont à un certain moment coupables de ne pas avoir organisé le débat, parce que la science savait, et qu'à partir de la science qui tenait la vérité, des développements s'imposaient.

Un sociologue américain, Monsieur Hoban, à la North Carolina State University, a posé plusieurs questions intéressantes. Je vous en indique une. Il a posé aux Etats-Unis, au Canada, dans tous les pays européens la question suivante : la tomate ordinaire ne contient pas de gènes alors que les tomates génétiquement modifiées en contiennent. C'est une question posée, sur laquelle les gens doivent se déterminer.

Les meilleurs sont les Canadiens, parce que 52 % ont dit que c'était faux (réponse correcte). Viennent ensuite les Pays-Bas et les Etats-Unis, et les Français sont en queue de peloton, à 32 %. Nous avons plus mauvais que nous (les Espagnols à 28 % et les Autrichiens à peu près comme nous).

Il y a de nombreuses autres questions de ce genre en sociologie et en échelle du risque, et l'on parlera de l'échelle du risque dans l'une des tables rondes. L'échelle du risque est une notion très importante, parce qu'il y a des risques que l'on accepte et des risques que l'on refuse.

Aujourd'hui, on a parlé à la fois de recherche, de relations public/privé et de la perception du développement des sciences et des techniques, et de telles questions vous montrent bien que la perception du risque est mal comprise.

Comment peut-on décider, lorsque, finalement, il y a dans nos sociétés des individus qui ne perçoivent pas les risques de la même manière ? Aux Etats-Unis, ce sont les contaminations alimentaires qui sont perçues comme le plus grand risque ; les biotechnologies ou le génie génétique arrivent très loin dans la perception du risque. En Autriche, c'est l'inverse.

Cela signifie donc à mon avis que le débat n'a pas été mené de la même manière. Si les politiques ne mènent pas le débat, il ne faut pas ensuite s'étonner que certaines décisions soient prises ou que des référendums soient faits comme en Suisse.

 

M. Paillotin - Je réagis aux propos de notre ami Daniel Cohen, peut-être parce que, dans sa discipline, les choses ne se présentent pas de la même façon, ce dont je suis convaincu.

Un débat n'est pas possible : laisser entendre -ce que n'a pas fait Philippe Roqueplo- que l'on ne sait pas aborder la précaution que l'on souhaite parce que personne ne sait l'aborder, ou dire à l'inverse qu'il n'y a pas  de précautions à prendre parce que l'on a peur de tout.

Ce n'est pas possible en agroalimentaire parce que, même au-delà du risque, il y a le plaisir, et le consommateur n'a pas envie de prendre le moindre risque pour ses aliments, ce qui peut se comprendre. Il peut avoir une idée très différente si c'est pour le guérir d'un cancer.

Pour ses aliment, il est libre. C'est le dernier élément de liberté dont nous disposons ; il faut le conserver, et le consommateur dit ce qu'il aime ou ce qu'il n'aime pas. Ensuite, les scientifiques doivent être capables -et nous sommes en partie capables-, et effectivement dans un débat avec les utilisateurs, de rendre rationnel le débat sur le risque.

Ce dont vous parlez sur la durée est une excellente question, que posent d'ailleurs les physiciens ou biologistes, qui ne vivent pas dans la durée. Lorsque l'on se pose la question des transferts de gènes, par exemple de résistance aux herbicides que l'on étudie à l'INRA, j'ai tout de suite posé la question, puisque l'on m'a dit ensuite que c'étaient des hybrides qui étaient un peu des avortons et qui disparaissaient : disparaissent-ils parce que ce sont des avortons qui meurent, ou disparaissent-ils par dilution avec d'autres plantes ?

Voilà des questions qu'il faut se poser, et auxquelles la biologie peut répondre dès l'instant où l'on y travaille. Je tiens à dire que, si le principe de précaution est bon, la précaution absolue n'est plus le principe de précaution, la précaution nulle n'est pas le principe de précaution, et qu'il est possible et nécessaire d'aborder scientifiquement ces questions et de faire des recherches scientifiques de haut niveau sur ces questions, ce que nous essayons de faire.

 

M. Cohen - Je suis tout à fait d'accord avec Monsieur Paillotin. Personnellement, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas prendre de précautions. Il faut prendre toutes les précautions possibles. La seule chose que je dis, c'est que l'évaluation du risque nul n'existe pas. Il n'y a pas de risque nul et, pour lutter contre le moindre risque inconnu, la meilleure réponse est la connaissance.

Ne bloquons pas la connaissance, parce que, justement, le risque nul n'existe pas.

 

M. Richard Lapujade (Association action santé et environnement) - Je pense que les plantes transgéniques sont essayées en champs, sous la supervision de la firme elle-même qui a mis ces plantes au point. Cela pose donc un problème, et je pense que c'est partout pareil au niveau de l'agroalimentaire, c'est-à-dire que les évaluations des risques de diffusion dans l'environnement et dans la santé sont toujours, avec peu de contrôles au niveau national étatique, le fait des industriels privés.

Je pense que cela pose un problème, et on le voit en particulier dans l'exemple cité par M. Jean-Marie Pelt ce matin, lorsque, sur la base d'évaluations de maïs Novartis qui avait été testé par un laboratoire dans lequel étaient inscrits, je crois, des chercheurs suisses et français, il s'est avéré que certains insectes étaient favorables au maïs, mais que le laboratoire Novartis s'était gardé la possibilité de contrôler la démarche de recherche, donc qu'il avait retiré ces plantes de leur évaluation lorsqu'il s'était avéré qu'elles pouvaient avoir des éléments contraires à ses intérêts.

Sur le problème des plantes transgéniques, personne au niveau des consommateurs n'a donc une attente quelconque par rapport à ces plantes. Elles sont mises sur le marché sur l'initiative d'industriels qui ont besoin d'un retour sur investissements. Il y a donc une sorte de pression énorme au niveau des instances politiques et des décideurs, pour que ces plantes soient mises sur le marché, en tout cas dans les pays européens. Dans les pays américains, il n'y a apparemment pas d'opposition particulière.

En Europe, toujours est-il que les consommateurs n'attendent absolument rien, n'ont aucune demande par rapport à ces plantes. Lorsque j'entends qu'il y aura des accidents, des problèmes, etc., mais que, finalement, dans toute technologie ou dans toute nouvelle découverte, il y a une potentialité de risques non-évaluée, surtout sur les plantes transgéniques.

Monsieur Santini a parlé d'organismes de tests particulièrement fiables pour vérifier cela ; il semblerait qu'actuellement, la commission de génie biomoléculaire soit sur le point d’être réformée parce qu'il y a des lacunes au niveau de ses évaluations.

Je pense donc que le problème n'est pas simplement de dire que, dans toute action humaine il y a un risque. Au niveau de la consommation, nous ne voulons absolument aucun risque sur ce que nous avons dans notre assiette, surtout si c'est pour l'intérêt des industriels des biotechnologies.

 

M. Cohen - Si vous ne voulez pas de risques, ne mangez rien du tout. Vous pouvez attraper une diarrhée n'importe comment et en mourir, sans organismes génétiquement modifiés. Dans la vie, le risque nul n'existe pas.

 

M. Le Président - Il va falloir conclure sur ce point, en disant que le consommateur a demandé les techniques de sélection, qu'il n'a pas demandé les hybrides. Il demande d'avoir une alimentation qui soit saine et d'avoir un gain au niveau de ce qui lui est proposé, soit de qualité, soit de prix. C'était la question dans l'autre table ronde.

Les questions ne sont donc pas aussi simples. En effet, dans un certain nombre de plantes transgéniques -ce qui n'a pas été fait pour l'instant mais ce qui est fait du domaine de la recherchede la part d’un certain nombre de firmes ou de laboratoires-, est-ce que des qualités nutritionnelles nouvelles seront données par certains types de plantes ?

Par exemple, est-ce que des acides gras poly-insaturés, que l'on trouve dans des huiles et qui sont mauvais au niveau de la santé, seront éliminés ? Dans ces cas, on peut dire qu'il peut y avoir un gain en matière de santé pour le consommateur.

En revanche, si un gène de marqueur de résistance à des antibiotiques est transféré, il y a un risque potentiel, et il ne faut pas forcément prendre ce risque. Nous en discuterons demain. Le consommateur demande d'avoir un aliment qui soit sain et qui soit le moins cher possible. Il  demande d'avoir un bénéfice avec une nouvelle technique.

Or, on ne lui a jamais demandé son avis dans le développement de l'agriculture. On ne lui a malheureusement jamais demandé son avis lorsque l'on mettait les pesticides. Il faut lui demander son avis.

Pour terminer, je voudrais dire que des propos très intéressants ont été tenus sur le fait que les organismes vivants sont capables de produire de l'imprévu, même si certains le savaient, que la meilleure réponse est la connaissance, et que, finalement, il faut développer les liens avec les pays du sud.

On a même dit qu'il fallait supprimer les énarques, mais je ne sais pas si c'est dans mon rapport que je pourrai résoudre cette difficile question, que Monsieur Cohen a abordée tout à l'heure !

En tout cas, je vous remercie tous d'avoir participé à cette table ronde intéressante. Ce n'est que le deuxième sujet de tous ceux que nous allons aborder, et cet après-midi, nous avons, en plus d'une nouvelle table ronde, l'audition de trois Ministres, Louis Le Pensec, M. Kouchner et Marylise Lebranchu.



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