UTILISATION DES ORGANISMES GENETIQUEMENT MODIFIES
EN AGRICULTURE ET DANS LALIMENTATION
Auditions publiques du jeudi 28 mai 1998
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.
Table ronde IV
Information du consommateur
Etiquetage, traçabilité, sécurité alimentaire
Table ronde V
Avantages et risques des organismes génétiquement modifiés en
matière d'environnement
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.
Table ronde IV : Information du
consommateur.
Etiquetage, traçabilité, sécurité alimentaire
M. le Président - Je vous remercie d'être
présents à cette heure matinale et je remercie les intervenants de cette quatrième
table ronde puisque, hier, nous avons eu une table ronde sur :
- les enjeux agricoles,
- les enjeux en matière de recherche,
- la réglementation, l'expertise et le contrôle.
Nous avons également auditionné trois ministres
(Madame Lebranchu, Monsieur Le Pensec et Monsieur Kouchner) et nous en
auditionnerons deux ce soir : Monsieur Allègre et Madame Voynet.
Nous avons souhaité avoir une table ronde sur l'information du
consommateur : étiquetage, traçabilité, sécurité alimentaire.
C'est un des problèmes majeurs puisque, depuis un certain nombre de
mois, ce thème donne lieu à de grandes controverses sans que des solutions ne se
dégagent de façon nette et certaine.
Comme vous le savez une réglementation a été édictée au niveau
européen, mais n'a pas été appliquée jusqu'à ces jours-ci, faute de précisions
concernant un certain nombre de définitions et parmi celles-ci la fameuse notion
d'équivalence en substance.
Cela a évolué avant-hier. Nous allons parler de ce problème
d'étiquetage avec la nouvelle réglementation qui vient d'être édictée ; nous en
avons déjà parlé avec Madame Lebranchu hier soir.
Savoir s'il est nécessaire ou non d'étiqueter les aliments issus des
plantes transgéniques, suscite des prises de position passionnées. Je reviens des
Etats-Unis où j'ai discuté avec les Américains qui y sont totalement opposés.
Aux Etats-Unis, il n'existe aucun étiquetage particulier dans la
mesure où, disent-ils, ces aliments sont considérés par la Food and Drug
Administration comme semblables aux aliments classiques.
Un certain nombre de pays européens ont pris des initiatives comme les
Pays-Bas et la Grande-Bretagne et, à l'extérieur de l'Union Européenne, la
Confédération Helvétique.
L'étiquetage entraîne un autre problème qui a été posé hier par
l'intermédiaire de plusieurs questions dans la salle. Il s'agit du problème de la
traçabilité qui semble difficile à mettre en oeuvre en raison de la grande technicité
des méthodes et de leur coût.
Nous devrons également nous prononcer sur l'existence ou non de
seuils.
Cela a également fait partie du débat d'hier soir et semble
indispensable non pas pour rassurer, mais pour régler et s'exonérer d'un certain nombre
de problèmes juridiques qui se sont déjà posés.
Nous aurons l'occasion de parler tout à l'heure du fait s'il faut ou
non un seuil si on veut éviter des difficultés importantes.
Se posera également la question de la mise en place de filières
séparées de production d'aliments avec le problème - les associations de
consommateurs m'ont saisi de cette question - des coûts inhérents à ce type
d'organisation surtout dans les marchés de masse comme ceux des grands produits
agricoles.
Voilà un certain nombre de questions posées, il y en aura d'autres.
Je vous rappelle que pour les tables rondes, nous avons réussi à
fonctionner avec des questions que vous posiez. A partir du moment où en tant que
rapporteur, j'aurai posé un certain nombre de questions, je donnerai la parole à la
salle.
Je vous présente les intervenants. Sur votre droite, c'est-à-dire à
ma gauche, vous avez :
- Monsieur Eric-Marie Boullet, directeur des relations
extérieures de Nestlé France, il nous dira comment se passe l'étiquetage dans le
groupe ; vous nous avez annoncé dans les auditions un produit Findus dont vous nous
parlerez ;
- Monsieur Didier Marteau, secrétaire général adjoint
de la FNSEA qui suit le dossier OGM ; nous avons eu l'occasion de le rencontrer à
l'Office également dans le cadre des auditions ;
- Madame Nicole Zylbermann, chef du bureau
"Sécurité" à la DGCCRF, à la consommation et à la répression des
fraudes ; elle a également été auditionnée et nous indiquera quel est le point en
matière de réglementation aujourd'hui ;
- Monsieur Michel Edouard-Leclerc, co-président des
centres distributeurs Edouard Leclerc ;
- Madame Marie-José Nicoli, présidente de l'UFC Que
Choisir ;
- Monsieur Jean-François Molle, directeur général de
la Sécurité alimentaire, de la réglementation et de l'environnement du Groupe Danone.
La règle du jeu, Mesdames, Messieurs, est claire. Pour que le débat
puisse avoir lieu, il faut absolument vous limiter à cinq minutes de présentation. Ce
sont des contraintes parlementaires, mais on peut dire beaucoup de choses en cinq minutes.
Vous aurez de nouveau la parole, il ne faut donc pas vouloir tout dire
dans un premier temps. Cinq minutes de présentation initiale, après il y aura des
questions et vous pourrez vous exprimer à nouveau.
Qui ouvre le feu ?
Madame Nicoli, je vous donne une minute de plus puisque vous avez
accepté de commencer.
Mme Nicoli - Simplement, je crois que la
position de l'UFC est une position de bon sens.
Il est normal aujourd'hui avec tout ce qui se passe dans l'actualité
du point de vue alimentaire ou même des dossiers concernant directement notre santé, de
vouloir être rassuré, protégé, défendu et informé.
En préliminaire, je dirai que l'UFC n'est a priori pas opposée
aux OGM. Nous avons l'habitude depuis 40 ans de travailler et de voir évoluer toutes
les nouvelles technologies, nous pensons que l'agriculture doit aussi en profiter sauf que
cela concerne directement l'alimentation.
L'alimentation est quand même un acte banal et quotidien qui, dans la
mesure où il est soumis au libre choix des consommateurs, demande à être encadré très
en amont pour que ce produit arrive sur le marché comme un produit sûr.
Le problème aujourd'hui pour les consommateurs, en tout cas pour l'UFC
qui ne se place ni d'un point de vue éthique ni d'un point de vue philosophique, est
d'obtenir un maximum d'information et une bonne traçabilité pour exercer nos droits
fondamentaux que nous revendiquons depuis 1962 : ce sont des droits à l'information
et au libre choix.
Je crois que ceci doit être défendu par tout le monde. Même
lorsqu'on a une fonction différente dans la société, si on est industriel, ou autre, on
doit défendre le droit, le libre choix de pouvoir prendre dans un magasin l'aliment que
l'on veut et ne pas laisser à d'autres le choix de décider ce qui est bon pour nous ou
pas.
Ce libre choix est important et l'étiquetage qui va avec est
également extrêmement important.
L'étiquetage peut paraître comme une demande primaire de la part du
consommateur, mais c'est la précaution que l'on doit avoir si, dans dix ans par exemple,
des maladies se déclarent et qu'il faut faire des recherches sur les causes.
Nous savons aujourd'hui que l'alimentation, les mauvaises habitudes
alimentaires sont parfois la cause d'un certain nombre de maladies. Il faut que l'on
puisse retrouver et tracer le produit jusqu'à son origine pour pouvoir rechercher si
c'est une des causes des maladies qui viendront dans les années à venir.
En ce qui concerne les outils à mettre en place, en premier je crois
que c'est le principe de précaution.
Le doute doit évidemment être favorable au consommateur et un
industriel n'a pas le droit de mettre sur le marché un produit s'il y a un doute au
niveau de la sécurité.
On a parlé de traçabilité. De celle-ci, on peut dire aujourd'hui que
le débat sur l'ADN, sur les protéines, ne nous convient pas complètement. Nous pensons
que la traçabilité doit se faire de manière croisée, en priorité avec des éléments
comptables.
Lorsque le fisc a envie de remonter et d'épingler tout le monde, il
reprend tous les éléments comptables des différents opérateurs. Dans une filière les
opérateurs se succèdent, ils ont entre eux des factures, des documents qui permettent de
remonter à la source.
Nous demandons que l'on puisse tracer le produit jusqu'à son origine.
Actuellement, dans la décision qui a été prise mardi par le Conseil
des Ministres, il y a un point positif, c'est-à-dire le "peut contenir"
qui est écarté.
Mais contient ou ne contient pas, aujourd'hui on en est au même
point : on n'a toujours rien comme réglementation et on a un marché qui nous a
rattrapé. Nous savons tous que tous les jours les animaux d'élevage mangent des
tourteaux de soja transgénique.
C'est évident car nous sommes consommateurs en priorité et en
majorité de soja transgénique venant des Etats-Unis en particulier, donc d'importation.
En France il y a une culture d'à peu près 60 000 ha de soja
traditionnel et il serait intéressant de demander où va ce soja traditionnel.
60 000 ha représentent quand même une certaine quantité, où vont-ils ?
Vont-ils au biologique ? Vont-ils aux produits pour bébé ?
Vu le coût de cette filière, est-ce mélangé au reste du soja d'importation qui est du
soja transgénique ?
Aujourd'hui la réglementation ne nous sert pas à grand chose. Même
lorsqu'elle sera mise en application, nous nous rendrons compte que peu de produits seront
étiquetés car, pour l'instant, la lécithine est un additif qui n'est pas concerné par
la réglementation.
On nous dit qu'il y aura une réglementation future. S'ils mettent
autant de temps pour la mettre en application que ce qu'ils ont fait jusqu'à maintenant,
nous en mangerons allègrement depuis longtemps.
Nous pouvons nous demander si l'objectif n'est pas tout de même de
faire en sorte qu'avec les produits transgéniques on mette le consommateur devant le fait
accompli ce qui est le cas aujourd'hui.
Cela paraît un peu dérisoire de demander une traçabilité et un
étiquetage, mais il est vrai aussi que, dans les années à venir, nous allons avoir des
produits transgéniques de toute sorte.
Lorsqu'on aura vingt maïs avec des gènes marqueurs différents ou par
exemple un melon avec un gène marqueur à base de poisson ou de crustacé, si vous êtes
allergique aux crustacés, aux poissons, vous ne penserez sûrement pas au melon si jamais
il faut faire des recherches ; il faut donc cette information.
Cette information peut passer par autre chose que de l'étiquetage,
elle peut passer par des banques de données alimentaires où on aurait la composition
complète des ingrédients d'un produit. Plus les produits sont sophistiqués et
industrialisés, plus ils contiennent d'ingrédients différents qui ne pourront pas être
marqués sur un étiquetage.
Ce serait fait en respectant les formules pour la concurrence comme
cela se fait pour les centres antipoison. Ils ont toutes les formules des produits
dangereux, qui ne sont pas données au grand public. Mais lorsqu'un enfant ou un adulte
est agressé par un de ces produits, le centre antipoison a la formule et peut
immédiatement donner l'antidote pour essayer de pallier au mieux les conséquences.
Aujourd'hui, en particulier en France, à l'heure actuelle un test a
lieu et l'UFC y sera très attentive, je l'ai dit plusieurs fois, il s'agit du maïs.
En ce qui concerne le soja, je ne veux pas être pessimiste, mais il
relève de relations internationales et je pense que nous sommes très faibles dans ces
relations. Que ce soit l'Union Européenne ou les états membres, nous subissons la
pression et le "diktat" des Américains.
Cela veut dire que le soja restera mélangé et que ce n'est pas demain
la veille que nous aurons des cargos avec des fèves de soja triées. Ceci veut dire qu'il
nous faudra faire avec.
Pour le maïs en revanche, il y a une récolte en train de pousser,
entre 1 000 et 5 000 ha, il faudra savoir exactement combien il y en a. Si
on multiplie par 6, cela veut dire entre 6 000 et 30 000 tonnes de maïs
transgénique.
Où ira ce maïs ? Qui prendra la responsabilité éventuelle de
le mélanger au reste du maïs traditionnel ce qui serait bien dommage ?
Si c'est le cas, l'UFC n'aura plus cette position relativement
raisonnable que nous avons jusqu'à maintenant où nous acceptons de discuter et de
rencontrer toutes les personnes de la filière.
Nous voulons que, pour ce maïs, on fasse un exemple et qu'on fasse une
filière à part. Parler d'étiquetage, de traçabilité est tout à fait inutile et d'un
ridicule consommé si on n'a pas des filières différentes.
Si on n'a pas le choix entre des produits OGM et des produits non-OGM,
à quoi cela sert d'étiqueter et de tracer ? Cela ne sert strictement à rien, on
nous mène en bateau et, pour nous, cela n'a aucun intérêt.
Avoir demain tous les produits à base de soja transgénique marqués soja
transgénique, cela nous fait une belle jambe, on s'en moque éperdument si on n'a pas
la possibilité d'avoir une filière à part.
C'est en gros ce que je voulais vous dire.
M. le Président - Qui veut réagir ?
M. Marteau - Pour l'agriculture il faut faire
une distinction entre l'amont et tout ce qui sera aval après l'utilisation de nos
produits.
En amont, nous n'avons pas de refus, d'a priori contre
l'utilisation d'OGM, même si nous émettons toutes les réserves d'usage qui portent sur
la sécurité pour la santé, l'environnement. Il est important de le rappeler, même si
cela paraît évident.
D'autre part, en matière de recherche, il est important que la France
et même l'Europe, garde un certain potentiel pour que nous ne soyons pas complètement
dépendants de pays, voire de groupes, qui aujourd'hui, on l'a vu encore depuis quinze
jours, la monopolisent. Ceci nous fait un peu peur et nous mettrait dans une position de
dépendance catastrophique.
C'est un deuxième point important sur lequel j'insiste et sur lequel
l'ensemble de la profession que je représente insiste également.
Le troisième point qui me permettra de faire le lien avec l'aval, est
l'exigence en matière de sécurité que nous plaçons au niveau de la traçabilité. Il
est facile de la réaliser au niveau de l'agriculture, cela concerne des champs qui sont
bien identifiés.
Ce n'est pas seulement la volonté d'un seul secteur du maillon de la
chaîne, mais il faut essayer de trouver un consensus avec l'ensemble de la filière.
Depuis que j'ai la responsabilité de ce dossier, la volonté est de trouver un consensus
sur l'ensemble de la filière avec l'ensemble des partenaires professionnels.
On parle souvent de "la fourche à la fourchette" et si je
dis fourchette, il s'agit des consommateurs. Il me semble important que nous puissions
avancer ensemble sur ce dossier et je salue le travail de rapprochement fait au CNC. Même
si tout n'a pas été parfait, si on n'a pas obtenu l'accord total de l'ensemble des
consommateurs, il y a eu des avancées certaines et je voulais le saluer.
Pour me résumer et intervenir plutôt sur la partie filière aval, il
faut prendre acte des décisions de lundi et mardi et les saluer. Même si elles ne sont
pas parfaites, c'est une bonne avancée qui marque une volonté des ministres de prendre
leurs responsabilités face aux propositions de la Commission qui ne convenaient pas du
tout.
C'est une bonne chose, cela va dans le bon sens, mais il ne faut pas
s'arrêter là, il faut continuer car il y a malheureusement encore un certain nombre de
points d'ombre.
Parmi les points positifs il y a le fait qu'une position a été prise
ce qui n'était pas évident. C'est aussi un peu un succès démocratique car ce sont les
politiques qui ont pris leurs responsabilités.
Le contenu qui aurait été susceptible d'être retenu, ne l'a pas
été et il fallait le faire admettre par l'ensemble des professionnels.
La dernière chose est qu'il y a la liste, mais je vais y revenir.
En revanche il y a des points d'ombre sur lesquels je vais peut-être
insister pour dire qu'il faut continuer à travailler.
Le premier point concerne les seuils. Dans la profession, étant les
premiers à l'avoir souhaité, tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faut essayer
de se mettre d'accord sur un seuil. Aujourd'hui on n'est pas encore capable de définir,
d'établir ce seuil.
En tout cas il y a la volonté d'avoir un seuil qui permette
d'"accepter à la marge" les mélanges ou les pollutions, peut-être même
simplement des pollinisations. Ce seuil doit être travaillé, il est souhaité par tous
de façon à arriver à une solution raisonnée, raisonnable.
La pire des choses serait de refuser ce seuil car cela obligerait tout
le monde à marquer et donc à banaliser les produits OGM, ce qui serait le meilleur moyen
d'enterrer le dossier.
Le deuxième point est l'intention d'éviter toute distorsion de
concurrence. Aujourd'hui il n'est pas question et nous insistons bien là-dessus, qu'une
position politique soit prise sur nos produits au niveau national voire européen et que
rien ne soit fait sur les produits importés.
J'insiste beaucoup là-dessus, nous devons être traités à
équivalence, on nous le rappelle assez souvent dans notre réglementation à venir dans
les politiques agricoles communes par rapport aux politiques américaines. Ce dossier doit
être un exemple : pas de distorsion de concurrence, même réglementation pour tout
le monde !
Le troisième point porte sur le contenu de la liste.
Nous n'avons pas les produits, mais qu'il y ait une liste positive de
choses que nous marquons ou non est important, nous le saluons également.
Pour nous la traçabilité est importante, c'est une chance pour nous,
agriculture, pour toute la filière, de jouer la transparence et notre volonté de
communication de transparence par rapport au consommateur et au citoyen.
Nous sommes capables de le faire, nous devons relever ce défi, la
profession en a bien pris acte. Pour nous la meilleure solution, la moins coûteuse par
rapport à des analyses d'un coût énorme, c'est d'insister beaucoup sur la
traçabilité.
Là aussi il faudra faire des progrès, des efforts, ce sera peut-être
un coût, mais en matière d'étiquetage et d'information, car cela dépasse largement les
OGM, c'est une bonne chose. Et si cela peut être le moyen de l'imposer, ce sera parfait.
Le quatrième point est la mise en place d'une instance qui permette de
suivre au quotidien tous ces dossiers, toutes ces questions qui se poseront.
Madame Lebranchu en a parlé hier, elle a dit qu'elle était d'accord pour le faire
et la créer au niveau du CNC.
Peu importe où elle sera créée, le principal est que cette instance
soit mise en place et qu'elle permette d'étudier tout ce qui touche à la traçabilité,
l'étiquetage, etc.
Le cinquième point est de traiter une filière non-OGM comme il y a
aujourd'hui des filières biologiques ou autres.
Il faut que cela puisse être une niche à valorisation avec des
normes, un cahier des charges très strict qui puisse permettre de traiter demain de
façon bien identifiée les produits que certains consommateurs souhaitent utiliser
puisque sans OGM. Il faut donc que ce soit une filière bien identifiée.
Pour en finir et essayer de respecter mes cinq minutes, je regretterai
quand même que si une réglementation "Nouveaux aliments" évolue, il n'y ait
rien en matière de réglementation concernant l'alimentation animale.
Il nous paraît en effet aussi important que l'information soit faite
pour le consommateur que pour l'éleveur qui doit savoir demain ce qu'il utilise.
S'il y a peut-être quelque réticence des agriculteurs
- Madame Nicoli a terminé là-dessus et il est vrai que nous sommes plus près
de 2 000 ha que de 5 000 ha semés en maïs - c'est
peut-être parce qu'il y a une pression énorme.
L'agriculteur, souvent accusé à tort comme hier sur la dioxine ou
avant-hier sur la vache folle, est très prudent aujourd'hui dans ce qu'il fait, ce qu'il
utilise et dans la façon dont il peut être accusé demain alors qu'il n'en est pas
responsable.
Merci de votre attention.
M. le Président - Monsieur Molle a
demandé la parole.
M. Molle - Je voudrais intervenir sur deux
points :
- la qualité du débat public d'abord,
- le lien entre traçabilité, filière et étiquetage ensuite.
En ce qui concerne la qualité du débat public, même si, aujourd'hui
et grâce à ce genre d'initiative, nous progressons, elle est très moyenne ce qui est
dommage.
Nous avons deux exemples en Europe aux deux extrémités : la
Suisse et la Hollande.
Le débat public en Suisse en ce moment à quinze, dix jours du vote
est d'une qualité franchement mauvaise.
Les pour et les contre sont : d'un côté des menaces de
délocalisation, c'est-à-dire que si les citoyens ne votent pas en faveur du génie
génétique toute la recherche s'en va, toutes les grandes industries s'en vont, c'est une
sorte de chantage ; de l'autre côté c'est : le génie génétique donne
en principe le cancer généralisé, à peu de choses près.
C'est cela qu'il faut éviter. En France, nous sommes à peu près au
milieu. Nous avons encore des arguments éculés, cela fait cinq ans que nous tournons
autour de toutes ces histoires de noix du Brésil, d'allergies, etc.
A l'autre bout, vous avez la Hollande qui, il y a trois ans, sans faire
de bruit, a commencé à avoir des groupes d'échanges entre pouvoirs publics,
industriels, associations de consommateurs, associations écologistes. Finalement ils ont
fait le tour des difficultés et se sont mis d'accord sur une approche.
En France, je pense que nous sommes capables d'avoir des lieux où l'on
mette de l'intelligence de façon préventive dans des débats qui seront forcément de
plus en plus compliqués.
Nous l'avons déjà fait à une certaine époque, à la fin des années
80, je pense à l'initiative sur le PVC avec les associations écologistes, entre les
minéraliers et les producteurs de PVC. Même s'il y avait des problèmes avec le PVC,
nous avions abordé la réalité de ces problèmes.
Je crois qu'à l'avenir il est important dans notre secteur alimentaire
où le consommateur est inquiet, de mettre en place des lieux où l'on pourra agir de
façon préventive.
Ce n'est pas facile car lorsque le problème est froid, il n'intéresse
pas grand monde et lorsqu'il est chaud, que la crise est là, tout ce que peuvent dire les
différents partenaires du débat est décrédibilisé. Il faut donc trouver un équilibre
entre les deux.
En ce qui concerne la traçabilité, la filière, l'étiquetage, le
génie génétique intervient dans nos produits alimentaires à quatre niveaux. Dans
l'ordre sinon d'importance, mais de logique vous l'avez dans :
- la nourriture animale (tourteaux de soja, corn gluten feed),
- les enzymes alimentaires, la plupart d'entre eux sont produits
de façon exclusive à partir de micro-organismes modifiés génétiquement,
- les ingrédients eux-mêmes, maïs et soja aujourd'hui,
- des produits eux-mêmes à très court terme, oui, il y aura des
melons modifiés génétiquement, etc.
La difficulté est que l'utilisation du génie génétique est
relativement inodore et sans saveur dans de nombreux produits. Or le rêve du consommateur
que l'on comprend bien aujourd'hui, est qu'on l'informe sur l'origine des produits
puisqu'il se méfie du génie génétique.
Même si le résultat final est strictement identique, cela
impliquerait que nous ayons effectivement deux filières totalement séparées depuis les
champs, les étables, les fabricants d'enzymes, les fabricants industriels et même les
distributeurs. Autrement dit, dans un point de vente vous auriez un quasi-doublement des
références ce qui devrait poser un certain nombre de difficultés.
Nous pouvons obtenir ces deux industries alimentaires complètement
étanches entre elles, celle qui a recours au génie génétique pour la nourriture
animale, les enzymes, les ingrédients et les produits, à ce moment-là c'est clair ce
sera une nourriture modifiée génétiquement alors que l'autre sera totalement exempte de
tout recours au génie génétique.
Mais qu'arrivera-t-il si nous n'obtenons pas ces deux filières et que
nous n'arrivons pas à imposer aux Américains, ce qui est plus que probable, la récolte
séparée du soja ? Si je prends le Groupe Danone, nous utilisons l'équivalent de
4 000 tonnes de soja par an sur une production mondiale qui dépasse les
100 millions de tonnes. Nous pouvons monter sur la table et faire une crise nerveuse,
l'American Soybean Association risque d'être assez impavide.
Nous n'obtiendrons donc effectivement pas cela ; à ce moment-là,
si nous voulons savoir jusqu'au dernier millionième de base de gènes s'il y en a dans le
produit final, que va-t-il se passer ?
Nous en trouverons absolument partout. L'augmentation de la
transparence demandée légitimement par le consommateur, en l'état actuel des choses, va
malheureusement de pair avec une diminution du choix.
Devant l'imprécision des textes réglementaires en matière
d'étiquetage, d'une part pour ne pas se faire accuser de volonté de cacher des choses
alors que nous avons tout à fait confiance dans la sécurité des produits et d'autre
part comme il y a un principe de liste négative sans qu'il n'y ait rien dedans puisqu'il
y a un seuil qui n'est pas défini et que les méthodes d'analyse quantitatives ne sont
pas prêtes, la tentation est forte dans l'industrie finalement d'en arriver à une
situation où on considérera qu'il n'y a ni liste négative, ni seuil.
Le bilan est que sur un linéaire de biscuits, sur
150 références, 150 seront étiquetées et que les consommateurs seront furieux.
Ils diront que les industriels se sont entendus entre eux pour que, au jour J, tout
le monde étiquette et que cela ne devienne plus un élément compétitif sur le marché.
Vous voyez que ce sont des débats compliqués et que finalement
l'attitude des industriels consistant à dire qu'ils étiquetteront lorsque le produit
sera différent, n'est peut-être pas si stupide que cela.
M. le Président - Qui souhaite maintenant
s'exprimer ?
Madame Zylbermann, vous allez donner l'avis de l'administration.
Mme Zylbermann - L'administration n'a pas
d'avis, elle applique la réglementation, elle l'élabore avec d'autres et elle la
contrôle.
Je voudrais revenir un peu sur la définition de certains termes, on
parle beaucoup d'OGM et en fait on n'a pas souvent affaire à eux.
Il y a effectivement des organismes génétiquement modifiés, mais ce
dont nous parlons beaucoup depuis hier sont en fait les produits dérivés de ces
organismes génétiquement modifiés.
Une chose est sûre : les organismes génétiquement modifiés
stricto sensu doivent être étiquetés clairement et ce depuis le Règlement
"Nouveaux Aliments" de janvier 1997, là au moins une chose est claire.
Si nous discutons beaucoup depuis quelque temps, c'est sur les produits
dérivés qui ne sont plus des OGM et sur la non-équivalence substantielle puisque c'est
elle qui devait servir de base à l'étiquetage.
Il faut dire aussi que le texte qui était en discussion depuis si
longtemps ne concerne que deux variétés végétales qui sont un soja et un maïs. Ce
texte était important car les principes y figurant serviront à l'avenir à la
définition des étiquetages des produits futurs.
Le Règlement "Nouveaux Aliments" prévoit une autorisation
au cas par cas pour les organismes génétiquement modifiés qui seront mis sur le
marché. A cette occasion on définira l'étiquetage qui va avec l'OGM ou ses produits
dérivés puisque pour l'OGM l'étiquetage est relativement clair.
Par ailleurs on parle beaucoup des Américains. Il se trouve que je
reviens également des Etats-Unis et je n'ai peut-être pas tout à fait la même vision
des Etats-Unis que Monsieur le Président.
J'ai rencontré des Autorités américaines mais également des
organisations de consommateurs. Finalement si nous regardons la position de la France il y
a quelques années, nous ne pouvons pas dire que les délégations françaises dans les
instances diverses poussaient tellement pour un étiquetage très détaillé.
Nous avons évolué car les consommateurs français se sont exprimés
et ont exprimé un désir très net d'information. Nous pouvons peut-être imaginer que
les Américains feront de même.
On m'a cité une enquête auprès des consommateurs américains
signalant que 80 % des consommateurs américains voulaient un étiquetage des
organismes génétiquement modifiés et sans doute des produits dérivés.
Certes la délégation américaine dans les instances internationales
continue à défendre sa position : ils ne veulent pas d'étiquetage sauf s'il y a
une différence sur le produit et un intérêt en matière de sécurité publique, mais
qui nous dit qu'elle n'évoluera pas ?
Il ne faut pas non plus s'arc-bouter sur le fait que les Américains
sont contre un étiquetage, les choses peuvent évoluer.
Je voulais également parler un peu de ce qui se passe au plan
international car hier nous avons parlé du Codex, de l'OMC. Dans le cadre de
l'OMC, il faut rappeler que ce qui sert de base dans la résolution des conflits sont les
normes internationales et, dans le cadre alimentaire, ce sont celles du Codex
Alimentarius.
Dans ce domaine est actuellement en négociation une norme générale
sur l'étiquetage. Il se trouve que cette semaine, la négociation est en cours au Canada
et qu'est abordé pour la énième fois le sujet de l'étiquetage des produits issus des
biotechnologies.
Les Américains vont effectivement défendre leur position qu'il n'y
ait pas d'étiquetage, les consommateurs qui sont observateurs vont essayer de faire plier
les Américains et ils n'y arriveront sûrement pas.
M. le Président - Donc vous êtes bien
d'accord avec ce que je disais.
Mme Zylbermann - Non, nous sommes dans un cas de
négociation, nous n'avons pas encore abouti.
M. le Président - La position des
officiels américains est bien qu'ils ne souhaitent pas d'étiquetage.
Que les consommateurs veuillent l'évolution, nous sommes bien d'accord
puisque vous le voyez dans un sondage, mais la position officielle aujourd'hui est qu'ils
ne souhaitent pas d'étiquetage.
Mme Zylbermann - Oui aujourd'hui, mais si vous
m'aviez demandé la position officielle française il y a trois ans, je vous aurais
peut-être dit qu'on ne voulait pas étiqueter.
M. le Président - Oui, mais on l'a fait
changer.
Mme Zylbermann - Peut-être que les Américains
changeront aussi car ils sont en train de se rendre compte qu'ils ne sont pas tout seuls
sur le marché, qu'il y a des Européens et j'ai bien ressenti ceci au cours de mes
contacts.
Il faut arrêter de se dire que nous sommes dans un contexte de
commerce international et que nous devrons plier devant la position américaine, je crois
que nous sommes dans le cadre de négociations et que les choses peuvent évoluer.
Je voudrais aussi rappeler que l'étiquetage des produits dérivés (du
soja et de cette variété de maïs) est obligatoire depuis le
1er novembre 1997. Il ne faut donc pas que les professionnels continuent à dire
qu'ils attendent que l'administration prenne position.
Les professionnels français ont pris une position en interne en
décembre 1997, les administrations françaises, que ce soit le Ministère de
l'agriculture ou celui chargé de la consommation ont invité les professionnels français
à étiqueter en fonction des règles qu'ils s'étaient données en estimant que c'était
déjà un premier pas.
Je crois qu'il y en a au moins un à cette table qui a mis en pratique
ces règles internes que s'est donnée la profession française. Ceux qui ne l'ont pas
fait, je pense qu'ils font peut-être preuve d'un peu de mauvaise foi, et je pèse mes
mots.
Ceci dit, l'administration partant du principe que les règles
d'étiquetage étaient en vigueur depuis le 1er novembre, a entrepris des contrôles
et nous verrons ce que cela donnera.
Le contrôle est effectivement très difficile. Il y a bien sûr la
traçabilité, mais ce n'est pas tout et les documents ne sont pas toujours suffisants
pour prouver un certain nombre de choses.
En cas de contrôle, nous voyons - il y a actuellement quelques
problèmes commerciaux entre la France et l'Allemagne sur certains produits - des
documents, des certificats montrant que des analyses ont été faites et que la matière
première utilisée n'était pas OGM alors qu'un autre laboratoire constate, lui, que la
matière première contient de l'ADN transgénique.
Si vous voulez les choses ne sont pas simples, même avec des
documents.
Concernant les méthodes d'analyse, nous sommes impliqués dans le
cadre d'un réseau de laboratoires pour mettre au point les méthodes d'analyse. Les
choses ne sont pas simples et il faut bien voir qu'actuellement il n'existe pas de
méthode qui soit validée par des essais inter-laboratoires.
Lorsque des résultats paraissent dans la presse, ils valent ce qu'ils
valent et ils ne sont parfois pas confirmés par d'autres laboratoires. Il faut donc être
extrêmement prudent lorsqu'on annonce des résultats.
Actuellement un certain nombre d'études sont en cours soit au niveau
national entre les laboratoires de la répression des fraudes, de l'INRA, du GEVES et des
experts de l'agronomie, soit au plan européen par des essais inter-laboratoires.
L'AFNOR va également se lancer dans ce travail, notamment pour voir un
peu pourquoi des laboratoires différents trouvent des résultats différents avec des
mêmes échantillons. Si vous voulez les choses ne sont pas simples et lorsqu'on parle de
seuil, cela va encore les rendre plus complexes.
Non seulement il faut une méthode qui détecte l'OGM et les produits
dérivés s'il y a quelque chose à trouver, mais il faut en plus qu'elle soit
quantitative. On rend donc la situation encore plus complexe.
Même si dans deux ou trois mois on fixe des seuils, je ne suis pas
sûr qu'on soit déjà en mesure de les identifier, de les mettre en évidence, en tout
cas à des coûts acceptables pas seulement pour l'industrie, mais aussi pour les pouvoirs
publics dont les budgets sont de plus en plus limités, Monsieur le Député.
Je pense avoir dit à peu près l'essentiel et je reviendrai peut-être
dessus s'il y a des questions.
M. le Président - Merci Madame, nous
aurons le temps de revenir sur ce que vous avez dit. Comme vous avez finalement arrosé
tous azimuts, il y aura sans doute des retours tout à l'heure.
Je donne maintenant la parole à Monsieur Boullet qui représente
Nestlé France pour qu'il puisse nous indiquer en cinq minutes sa position initiale.
M. Boullet - Je voudrais donner un peu une image
de Nestlé en France et également le poids des matières qui nous intéressent
aujourd'hui, c'est-à-dire le soja et les dérivés du soja et du maïs.
En France Nestlé représente 26 milliards de francs, l'entreprise
est dans le pays depuis la fin du siècle dernier. Notre première usine a été créée
en 1916 et aujourd'hui, hors eau minérale, nous en avons 28 avec
13 000 personnes.
Notre chiffre d'affaires à l'exportation est de 4,5 milliards,
c'est une des premières entreprises agro-alimentaires exportatrices en France.
En ce qui concerne les matières premières, nous achetons pour notre
marché pour environ 9 milliards de francs. Je ne vais pas vous donner la liste de
toutes ces matières premières, mais de celle qui nous intéressent pour faire une
comparaison.
Nous achetons :
- 75 000 tonnes de tomates,
- 150 000 tonnes de pommes de terre,
- 600 tonnes de lécithine,
- 500 tonnes d'huile de soja,
- 90 tonnes de protéines végétales dont 46 tonnes de
soja.
Dans cette masse, vous voyez que les protéines de soja ne
représentent qu'une faible partie d'ingrédients de nos produits.
Concernant les matières premières et les produits, il faut savoir que
notre priorité, comme celle de toutes les filiales du Groupe Nestlé, c'est la sécurité
et l'information du consommateur.
D'un point de vue concret, nous montrons ces priorités sur nos
produits, j'en ai apporté un exemplaire. Chaque produit du Groupe Nestlé a derrière ce
qu'on appelle le sceau de garantie. Nous signons nos produits et le consommateur a
également l'adresse d'un Service de Consommateurs auquel il peut s'adresser pour toute
information.
Concernant les OGM en particulier, je voudrais faire quatre remarques.
En premier, je pense qu'il faut faire la différence entre les OGM et
les produits issus d'OGM.
Pour l'instant effectivement, l'étiquetage est obligatoire, seuls les
produits dérivés d'OGM sont sur le marché. Cette distinction sera importante lorsqu'il
sera nécessaire d'informer le consommateur.
On n'informe pas le consommateur de la même façon lorsqu'il s'agit
d'un OGM avec des particularités que ce soit une tomate ou un melon ou qu'il s'agit d'un
produit dérivé d'OGM, que ce soit du soja ou du maïs.
En second, concernant l'utilisation d'OGM ou de produits issus d'OGM,
Nestlé - qui, je le rappelle, n'est ni producteur ni commerçant d'OGM ou de
produits issus d'OGM - est favorable à une utilisation responsable de ces nouvelles
technologies dans le strict cadre des lois et règlements.
En troisième, comme toute nouvelle technologie, nous estimons
nécessaire que le consommateur ait l'information la plus claire et la plus transparente
possible afin de l'aider à faire son choix.
En quatrième, l'étiquetage est un des moyens d'informer, on ne peut
pas tout dire sur une étiquette d'autant plus que son intitulé est souvent réglementé.
Parmi ces moyens d'information, il y a bien sûr ces auditions, le
rapport, Monsieur le Président, publié par l'Office en 1990 ou 1991 qui, à l'époque,
indiquait déjà la nécessité d'un débat sur ces nouvelles technologies et, à mon
avis, nous avons pris pas mal de retard dans ce domaine.
Nous avons nous, Nestlé, plusieurs publications disponibles à toute
demande. On nous cite également Internet que ce soit au niveau monde ou Nestlé France et
vous avez bien sûr les numéros de téléphone Azur où les consommateurs peuvent nous
contacter directement.
Au niveau industriel, il y a le serveur 3615 OGM et le propre site
de l'Assemblée Nationale.
Je pense que le débat public est nécessaire, pour nous c'est la seule
façon par laquelle le consommateur pourra faire son choix.
La Commission de Bruxelles vient de prendre une décision sur les
modalités d'étiquetage. Il faut savoir que nous n'avons pas attendu cette décision pour
prendre l'engagement vis-à-vis de nos consommateurs et de nos clients que dès lors que
les fournisseurs ne peuvent plus garantir - cette garantie est contrôlée par le
propre laboratoire de Nestlé - un approvisionnement en ingrédients conventionnels,
nous indiquons sur nos produits la présence de plantes génétiquement modifiées.
J'ai avec moi un exemple, celui de cannelloni Findus étiquetés depuis
plusieurs semaines.
En restauration hors foyer, nous avons une soixantaine de références
et nous avons également tout le département nutrition clinique qui nourrit les malades
et sur lequel est clairement indiquée la provenance de protéines issues de soja
génétiquement modifié, ce non seulement en France, mais dans tous les pays européens.
Avant de répondre à vos questions, il est important de rappeler que
nous sommes aux balbutiements de cette technologie. Pour l'instant elle est au service des
plantes et les avantages en sont conséquents pour les agriculteurs et l'environnement.
Nous sommes persuadés que lorsque des produits auront un avantage
direct pour le consommateur, comme des qualités nutritionnelles améliorées, la
suppression de certains allergènes comme par exemple dans le riz et d'autres aliments,
nous sommes persuadés que cette technologie sera acceptée à sa juste valeur par le
consommateur.
Le débat pourra avoir lieu et le choix du consommateur pourra se faire
également sur des critères qualitatifs et non plus quantitatifs.
M. Edouard-Leclerc - D'un point de vue global,
nous avons la même position que les organisations de consommateurs du point de vue des
OGM en général, c'est-à-dire ni pour ni contre, n'ayant d'ailleurs pas la compétence
pour savoir l'intérêt ou non des OGM.
En revanche, nous avons une position parce que nous avons une pratique
et une responsabilité dans la filière.
Je vais vous dire en quoi le débat actuel me laisse perplexe par
rapport à un certain nombre de positions adoptées ici et puis revenir peut-être sur un
autre débat qui sera construit, probablement aussi à l'initiative de
Monsieur Le Déaut dans trois ou quatre ans car nous verrons que le débat
d'aujourd'hui sera largement dépassé par le tout OGM.
En premier, dans la filière le distributeur a plusieurs niveaux de
responsabilité, chacun reste a sa place, chacun sa responsabilité, nous ne sommes ni
producteurs, ni pouvoirs publics, ni médecins, ni scientifiques, nous sommes
distributeurs.
En tant que distributeur le premier problème qui s'est posé à nous
était de savoir si nous allions ou pas référencer, c'est-à-dire sélectionner des
produits affichant le contenu OGM dans nos rayons ou pas. Certains distributeurs ont
prétendu ne pas vouloir référencer ces produits, les dirigeants de Carrefour l'ont
expressément dit à un certain moment.
Nous ne prendrons pas parti, nous référencerons les produits OGM
comme les produits non-OGM. Notre position est la liberté du choix, c'est même un
postulat commercial. Nous voulons comme critère commercial jouer sur la possibilité de
choix pour les consommateurs.
Nous aurons donc en rayon le choix si tant est que dans dix ans il y
aura encore le choix. Nous ne sommes en tout cas pas les censeurs des propositions
commerciales des industriels et nous ne ferons pas une pré-censure du choix des
consommateurs.
En tant que distributeur, nous référencerons les produits Nestlé
comme nous avons référencé les produits Nestlé et Danone ici présents, nous
afficherons la couleur. C'est un préalable juridique, ils doivent afficher la couleur et
la qualité de l'information, de sa diffusion est une partie importante.
Nous avons aujourd'hui des cercles de discussions entre nos acheteurs,
nos services de qualité et leurs vendeurs et leurs services de qualité. Cela se passe
plutôt bien et dans l'ensemble aujourd'hui, c'est un chantier qui avance bien des deux
côtés.
A la rentrée, nous aurons pratiquement tous les industriels de
l'agro-alimentaire européen et multinationaux qui auront ces informations sur les
emballages.
La deuxième responsabilité est que nous sommes aussi producteurs par
les marques de distributeurs et nous entrons là dans la même problématique que celle
énoncée par les producteurs tout à l'heure et nous avons les mêmes difficultés.
Notre méthode n'est pas celle de la recherche protéinique évoquée
par certains industriels, mais celle évoquée par Madame Nicoli qui aurait fait une
excellente productrice.
Nous partons de l'inventaire comptable des composants des produits et
nous adopterons un étiquetage à partir de la présence ou non d'OGM ou de dérivés
d'OGM dans nos produits.
Par exemple aujourd'hui nous travaillons sur 300 références
alimentaires ce qui correspond à 162 produits différents. Pour 52 d'entre eux il
n'y a aucun problème de présence d'OGM ou de dérivés d'OGM. Les autres en revanche
sont susceptibles de contenir un certain nombre de dérivés.
Lorsqu'on peut substituer le dérivé d'un produit OGM, on le lui
substitue. Par exemple pour les charcuteries, on arrive à changer les protéines
végétales de manière à assurer qu'il n'y ait pas de produits dérivés d'OGM, etc. Les
autres seront étiquetés : "produits ogéimisés".
Voilà pour notre position en tant que distributeur pur. Les emballages
sont en cours d'élaboration, etc.
Par rapport à notre débat, je voudrais insister sur deux choses.
D'abord il ne faut pas faire dire à l'étiquetage ce qui n'est pas de
son rôle. Dans notre société française, confondant tous les points de vue et s'en
servant de phénoménologie, on est en train de demander aux industriels, aux
distributeurs d'assurer la sécurité du consommateur par le système d'étiquetage.
Je voudrais rappeler que chacun doit prendre ses responsabilités. Le
problème de la sécurité est d'abord du domaine de la science, des pouvoirs publics, des
autorités sanitaires, ce n'est pas le nôtre.
Je suis distributeur et en bout de chaîne, je veux bien, en droit,
être co-responsable de la gestion d'une filière car je crois qu'en droit on a retenu
cette responsabilité. En revanche d'un point de vue scientifique, il ne faut pas nous le
demander.
En plus on ne se rend pas compte que nous sommes des groupes dotés de
services de qualité au-delà de notre responsabilité juridique et c'est vrai pour tous
les grands distributeurs et autres.
Il faut avoir à l'égard du commerçant la même interrogation qu'à
l'égard de n'importe quel commerçant qui n'aurait pas ce service qualité. Ce sont des
"plus" que nous apportons, ce ne sont pas des obligations juridiques.
La sécurité doit être assurée par les pouvoirs publics.
En ce qui concerne l'éducation relative aux OGM, tous ces problèmes
n'existeraient pas si on disait au consommateur en quoi ces produits sont meilleurs, plus
beaux avec les OGM. L'éducation du consommateur au-delà de l'information n'est pas non
plus du domaine du distributeur, mais de ceux qui prônent les OGM.
Si on voit bien en termes de productivité l'intérêt des OGM, du
point de vue de l'amélioration du produit, on attend des campagnes d'informations, des
campagnes qualitatives donnant envie de les acheter. Je vous rappelle que cela ne relève
pas non plus de la responsabilité du distributeur.
Vous avez l'exploitation médiatique des peurs de la société. Ce
débat n'aurait pas lieu si nous n'étions pas dans une société qui s'autoflagelle, qui
aime se faire peur avec une compétition d'acteurs du style : "Plus je te
fais peur, plus je passe à la télévision !". C'est un peu ceci qui se
passe en ce moment.
C'est sous cet angle que je souhaiterais qu'on aborde à nouveau les
effets de seuil. Si vraiment il y a un problème de seuil, on le comprend très bien du
point de vue de la pratique, il y a toujours un doute sur ce qu'il y avait dans le silo.
Mais s'il y a des seuils, c'est qu'il y a des problèmes en-dessous ou
au-dessus d'un seuil. Vous êtes d'accord, la société fonctionne ainsi. Le fait même
d'évoquer les problèmes de seuil d'un point de vue médiatique, c'est mettre un doute et
l'agiter sur le problème de la sécurité.
La deuxième chose est que si d'un point de vue juridique l'effet de
seuil garanti l'innocuité pénale d'un conflit, on laisse les professionnels se débattre
avec les problèmes de gestion fantasmatique et médiatique de la société.
Regardez ce qui s'est passé depuis deux jours avec la dioxine !
J'ai la capacité d'y répondre d'un point de vue médiatique, mais il faut bien voir que
cela peut tomber sur Tartempion qui peut en être mort.
On m'annonce que dans un centre Leclerc de Paris - je n'ai pas de
centre Leclerc à Paris - on a trouvé une viande avec un taux de dioxine élevé. Je
ne sais toujours pas où c'est, personne ne nous a contacté. On nous dit que c'est très
dangereux, mais personne ne me dit de retirer le produit ou de faire une enquête pour
regarder d'où vient le produit.
Je ne suis pas producteur de viande, j'en vends comme tout le monde et
elle vient de toute la France, label France et la belle France.
On me dit que je ne suis pas coupable, mais c'est quand même moi qu'on
cite à la télévision au journal de 20 heures, etc. Je ne suis pas coupable, mais
je pourrais quand même faire quelque chose vu mon nom, etc. Ce n'est pas sérieux !
Vu du point de vue de cette non-responsabilité juridique, mais
responsabilité médiatique en tout cas par rapport à la marche d'une entreprise ou au
marché de la viande, je vous dis tout de suite que je ne veux pas de seuils, je ne sais
pas les gérer.
En tout cas sur mes produits, dès qu'il y aura une trace, je mettrai
l'étiquetage "OGM". De toute façon après je serai sur la défensive pour
justifier. Aujourd'hui, je préfère prendre les devants et dire "OGM".
En fait aujourd'hui dans la liste des produits que je vends, j'ai sans
doute peu de produits qui mériteraient d'avoir un étiquetage, mais je vais probablement
presque tous les étiqueter pour pouvoir être garanti d'une gestion saine, médiatique et
sans retombées commerciales négatives de cette affaire.
C'est une position, je crois qu'il faut en tenir compte. Puisqu'on est
dans le domaine de l'irrationnel, à un moment il faut anticiper l'irrationnel dans le
plan de marketing d'une entreprise.
En ce qui concerne la traçabilité des filières, oui il faut
étiqueter et il faudrait avoir des filières séparées si on veut vraiment le choix.
En fait sur un marché libre et au niveau mondial, compte tenu de ce
que viennent de dire les grands approvisionneurs que sont Nestlé et Danone, si les autres
ne font pas de la séparation de filières, on aura bien un micro-marché français,
peut-être européen, en tout cas français ou régional avec des niches sans OGM.
Je crois que tout ceci restera cependant marginal et que finalement
nous nous retrouverons ici dans trois, quatre ans pour discuter non pas de l'étiquetage
de produits OGM ou pas, mais des différents types d'étiquetage à l'intérieur d'un
marché qui sera devenu quasiment tout OGM.
M. le Président - Le débat est lancé et
très largement sur un certain nombre de questions.
Sur le dernier point, puisque vous avez parlé de la question des
seuils abordés hier avec Madame Lebranchu dont la position était presque identique
à la vôtre même si ce n'est sans doute pas pour les mêmes raisons, on va aller
jusqu'à la caricature avec ce système.
Effectivement nous serons tout OGM à partir du moment où nous aurons
des techniques.
Madame Zylbermann, en-dehors de la partie crédit dont vous venez
de parler, chaque année les parlementaires essayent d'augmenter les crédits de
l'administration et c'est toujours très difficile car en contrepartie un certain nombre
de libéraux disent qu'on donne beaucoup trop de crédits à l'administration.
Nous sommes donc soumis à un partage très difficile entre la demande
non seulement des administrations et des consommateurs d'un côté et celle de ceux qui
disent que l'Etat leur coûte trop cher.
Dans ce paradoxe, vous avez raison de dire que les techniques sont
actuellement non quantitatives - je l'ai vu dans mes auditions - et qu'elles
sont en revanche très sensibles.
Nous avons une amorce d'un gène, nous pouvons très bien avoir une
toute petite contamination et nous allons la détecter. C'est possible car nous amplifions
cette contamination à condition que nous ayons la séquence de l'amorce technique ce qui
est assez difficile.
Ceci fait, Madame, que ce ne sont pas du tout des erreurs de dosage
lorsqu'on a des tests différents. Dans l'affaire de Kochko dont je vous ai parlé hier,
il y avait des tests et des contre-expertises différentes car c'est l'échantillon qui
compte.
Si vous prenez un échantillon de 500 g, d'un point de vue
statistique, vous aurez peut-être des plantes modifiées génétiquement, du soja par
exemple, alors que vous n'en aurez peut-être pas dans un autre échantillon. Ceci posera
donc le problème de l'échantillonnage ce qui est encore plus compliqué.
Nous sommes devant un débat technique compliqué.
Je me félicite, comme Monsieur Marteau, que nous ayons avancé à
savoir que nous avons déjà le point de départ. Il y aura de grands problèmes
juridiques - et je vois la Fédération Française des Assurances dans la
salle - dans ce domaine. Si vous mettez contient et que quelqu'un vous
démontre qu'il n'y en avait pas, vous pourrez être attaqué.
M. Edouard-Leclerc - Je préfère perdre un
procès en publicité mensongère.
Je suis d'accord avec vous, nous sommes dans un débat où nous devons
travailler sur ce qui est rationnel et où l'opérateur doit travailler dans un contexte
difficile.
Ce matin dans Libération, on s'étonne que le marché de la
viande ne se soit pas effondré après la première alerte d'avant-hier sur le dioxine et
on nous cite à nouveau, etc. ; je gère cela.
Je préfère - je le dis, c'est aussi à ceci que sert ce débat
auquel vous avez le mérite de nous inviter - perdre un procès en publicité
mensongère car j'aurai mis qu'il y a de l'OGM alors qu'il n'y en a pas que d'avoir à
mettre en place un mécanisme de défense où la presse me dira que je n'ai pas fait
suffisamment attention aux effets de seuil car il y en a, etc. ; c'est plus
facilement gérable.
Je ne suis donc pas dans le domaine du juridique, mais dans celui de
l'exposition d'une entreprise à un risque dont il faut tenir compte aujourd'hui.
J'ai vécu une chose que j'espère ne pas vous voir vivre : il y a
trois ans je suis passé au journal de 20 heures pour une épidémie de listeria
dont je cherche toujours les traces. Si j'avais été une PME, je serais mort, maintenant
j'ai compris.
M. le Président - Madame Nicoli,
j'essaye juste de reposer un certain nombre de questions pour qu'on puisse rebondir, de
les poser comme vous les avez tous posées et de voir sur quelles questions nous pouvons
avancer.
Au bout du compte et de manière très claire dans le rapport que nous
proposerons, il est important que nous allions dans le sens des consommateurs et dans
celui de la meilleure clarté possible de la fourche à la fourchette juridique et ceci
dans tous les domaines.
En ce qui concerne le seuil, je suis en désaccord avec vous,
Monsieur Leclerc, car mettre un seuil ne veut pas dire qu'il y a un problème de
sécurité.
Par exemple le sel est un aliment que vous vendez. Si vous mangez
10 kg de sel dans la même journée vous aurez des problèmes très graves.
D'autre part, il est évident que s'il y a le moindre problème de
sécurité, il faut interdire ces aliments.
A partir du moment où on les a autorisés, on peut les consommer. Si
jamais -- et je rejoins Madame Nicoli - le consommateur veut savoir car,
pour des raisons qui le concerne, il ne veut pas manger d'aliments génétiquement
modifiés, il a le droit de savoir.
En revanche en ce qui concerne des questions juridiques, je vais vous
rappeler l'exemple que j'ai donné hier.
Un agriculteur biologique du Tarn vend un produit biologique. Avec ce
soja, on fait du tofu en Allemagne. On trouve dans ce tofu du soja génétiquement
modifié et tout le monde lui dit, y compris le semencier, que ce n'est pas vrai. Il se
retrouve maintenant avec un procès et une responsabilité et comme il n'est pas centre
Leclerc, qu'il n'est pas gros, il risque d'y perdre beaucoup d'argent ce qui est grave.
Ceci veut dire que la notion de seuil ne doit pas être liée avec la
notion de sécurité et nous aurons tout à l'heure cette question à régler.
Il est évident que dans les cas où on pense qu'il y a des arguments
scientifiques, technologiques suffisants pour dire que la sécurité est en jeu, il ne
faut pas vendre ces aliments. Si on pense qu'il n'y a pas de problèmes, on peut les
vendre et le consommateur doit avoir le choix.
A partir de cela, je voudrais que vous rebondissiez sur un certain
nombre de questions que Madame Nicoli a abordées.
Dans ce cas qui doit payer ?
Il est en effet évident que cela aura un coût pour le consommateur et
que nous ignorons lequel.
Vous venez de dire que le consommateur devait avoir des avantages or,
pour l'instant, nous n'avons pas vu d'avantages en termes d'OGM. Lorsqu'on a un gène de
résistance à la pyrale ou à un herbicide, cela ne se retrouve pas forcément au niveau
du prix pour le consommateur, certains d'entre eux me l'ont dit hier.
En revanche il est vrai que dans la nouvelle génération - et je
l'ai vu chez Du Pont de Nemours, chez Monsanto, chez un certain nombre de
fabricants - nous sommes dans la deuxième génération de fabrication d'aliments
avec des qualités nutritionnelles différentes, des taux d'huile modifiés. Ils auront
des huiles polysaturées mauvaises à la cuisson, des huiles bonnes pour les problèmes
cardio-vasculaires, etc.
En quelque sorte on pourrait dire que pour éviter le terme indiqué de
soja fou, ils sont en train d'essayer de préparer le soja miracle. Dans ces
domaines, on peut être ou non d'accord, ce sera la deuxième génération de produits.
Comment mettre en place la traçabilité ?
Il est évident que si vous voulez une traçabilité totale, tous les
animaux vont manger des aliments, des tourteaux de soja génétiquement modifiés.
Faut-il, Madame Nicoli, qu'il y ait traçabilité, étiquetage et
information du consommateur dans ce cas ?
Qui doit payer ?
Ce sont un certain nombre de questions sur lesquelles je voudrais qu'on
réagisse d'abord et je voudrais qu'on parle de la forme de l'étiquetage, de la clarté
pour le public en termes d'étiquetage.
Mme Nicoli - Dans un tel débat, il ne faut pas
avoir l'impression d'être naïf et imbécile, mais lorsqu'on est représentant des
consommateurs, il faut quand même ramener les choses à leur juste valeur.
On peut avoir des débats aussi intellectuels que vous voulez, mais par
exemple je ne peux pas suivre Michel Edouard-Leclerc dans ses préoccupations de
gérer médiatiquement l'alimentation. C'est son problème, mais revenons quand même à
la réalité !
L'alimentation est quelque chose que l'on mange tous les jours pour
faire pousser des gosses, pour leur permettre d'être bien dans leur peau, pour avoir une
bonne santé et pour qu'une fois adulte on puisse vivre correctement.
Nous sommes quand même loin de la gestion de l'alimentation à ce
niveau :
"C'est moi, chef d'entreprise, j'ai une image à défendre et,
pour mon image, je suis prêt à dire n'importe quoi - c'est ce que vous venez de
dire - pourvu que mon image n'en prenne pas un coup !"
Je veux bien, je suis souvent sur la même ligne que vous pour un
certain nombre de sujets et votre démarche d'étiqueter est très bien.
Vous le dites très cyniquement et très clairement, parce que vous
avez une image, un certain nombre d'enseignes à défendre, vous avez derrière vous tout
un ensemble de distributeurs et vous vous devez de donner cette image.
Au-delà de ça, je tiens quand même à dire que même si nous ne
sommes pas opposés à ces nouvelles technologies - et je voudrais qu'on en prenne
acte - les chimistes, les industriels font leurs affaires entre eux, mais aujourd'hui
comme hier et aujourd'hui en particulier, les consommateurs n'ont jamais demandé à avoir
une alimentation aussi compliquée, aussi industrialisée et ils n'ont jamais demandé
d'OGM.
Les OGM ne viennent pas de l'esprit ou d'un fantasme d'un consommateur.
Lorsque vous faites vraiment des enquêtes de terrain, les personnes ont un réflexe
ancestral faisant que l'on veut des produits, non pas d'il y a 200 ans, mais des
produits identifiés, du terroir, des produits où on n'est pas à stresser totalement
lorsqu'on fait un achat au quotidien.
Demain avec les produits allégés, vitaminés, OGM et tout ce que vous
voudrez, il sera totalement impossible pour la ménagère normalement constituée et
intelligente, de faire un bol alimentaire ou du moins de faire un équilibre alimentaire
pour ses enfants ; ce sera terrible.
On va partir faire ses courses en stressant et en se demandant ce qu'on
pourra bien rapporter dans son cabas. A vous entendre, on finit par ne plus parler que de
molécules, etc.
Je caricature comme Michel Edouard-Leclerc l'a fait, mais tout de
même, n'oublions pas que quelque part l'alimentation est un élément convivial qui doit
apporter bien-être et santé et non pas stress, maladie et complications intellectuelles.
Il est vrai que nous sommes bien obligés d'avoir de tels débats.
Lorsque je travaille par ailleurs sur certains dossiers, je suis bien obligée de discuter
de seuils, de problèmes techniques, mais mon rôle ici aujourd'hui, à partir de
fantasmes et de délires intellectuels, est de ramener un peu les choses à leur réalité
et au terrain.
Même si je parais un peu "bébête" dans ma déclaration,
c'est un peu mon rôle de le dire ici ou ailleurs et n'importe où.
M. le Président - Avant de donner la
parole à Jean-François Molle, je viens d'avoir l'emballage de ces cannelloni.
Pour illustrer ce que vous dites, même si c'est quand même le
consommateur qui demande des plats cuisinés, c'est Findus, je ne fais pas de publicité.
Il me dit que c'est bon, je n'en sais rien, je goûterai.
Voici ce que vous trouvez dedans : concentré de tomate
reconstitué, eau, semoule de blé dur réhydratée, viande de boeuf cuite 10 %,
oignons, huile végétale, carottes, emmental, protéines issues de soja génétiquement
modifié 2,5 %, amidon modifié de maïs, lait écrémé en poudre, sel, chapelure,
arôme, farine de blé, blanc d'oeuf en poudre, basilic, extrait de céleri, sucre, amidon
de maïs, extrait de viande, vin rouge concentré, extrait de paprika ; avec des
stabilisants, farine de graine de guar (je ne sais pas ce que c'est), de la gomme de
xanthane, des extraits d'ail, d'épices.
Vous voyez que vous mangez un rayon de Leclerc lorsque vous prenez les
cannelloni. Et l'image est jolie.
Il est vrai que l'aliment s'est modifié et qu'il faut avoir sa loupe,
son ordinateur et être relié à Internet.
Juste avant Monsieur Molle, Madame Zylbermann, vous disiez
qu'il y a trois ans notre position n'était pas celle-là. J'ai toujours eu la même
position, j'étais contre le susceptible de contenir et je suis heureux que nous
avancions.
J'étais sur les positions des consommateurs et je suis heureux que
nous avancions, y compris au gouvernement. Puisque vous avez dit tout à l'heure que
l'administration ne faisait qu'appliquer des règlements, c'est donc au Parlement de
discuter des règlements et de la législation.
Je souhaiterais que l'on fasse cela à partir du moment où il y a deux
filières.
Vous avez là une purée de tomates anglaise, à partir du moment où
elle est génétiquement modifiée, c'est en jaune sur fond rouge. Cela se voit et de
manière claire le consommateur peut savoir et choisir.
Tant qu'on n'arrivera pas à la clarté car lorsque vous lisez ce qui
est noté sur la boîte Findus...
Et les Américains c'est encore pire, chez eux vous trouvez tout ce
qu'il y a comme avantage nutritionnel éventuel. Ils ne veulent pas mettre cela, mais ils
en mettent déjà beaucoup. Il faudra qu'un Bottin entoure les aliments que nous
consommerons dans les prochains temps.
Monsieur Molle, vous avez la parole, par ailleurs la forme de
l'étiquetage m'apparaît également importante.
M. Molle - Je voudrais répondre à
Marie-Josée Nicoli qui, en gros, nous a dit :
"Vos formules industrielles sont extraordinairement compliquées,
bourrées de chimie, notre bol alimentaire devient terrorisant."
Pour le coup, plus que pour Michel Edouard-Leclerc, je pencherai
avec Marie-Josée Nicoli en tant que quelqu'un du marketing d'une société de
Danone. Il est vrai qu'ils sont inquiets, qu'il ne sont pas techniciens, ils entendent
tout ceci.
Si nous à l'avenir, à cause des inquiétudes des consommateurs, on ne
met pas d'OGM, que nos vaches ne mangent pas d'hormones de croissance, qu'on n'utilise pas
d'ingrédients irradiés mais des ingrédients agricoles sur lesquels il n'y aura pas de
boue de station d'épuration épandues, qui ne seront pas cultivés près d'une route ou
d'une autoroute, où il n'y aura pas de résidus de pesticides, enfin toutes ces choses
qui représentent un progrès mais inquiètent les consommateurs, à part l'eau minérale
et encore, je ne vois pas ce que nous vendrons.
Le consommateur n'a pas demandé, mais le consommateur demande tous les
jours. Tous les jours nous faisons des innovations et tous les jours des innovations sont
rejetées.
En ce qui concerne la conséquence du bol alimentaire, je vous garantis
que si par rapport à la sécurité des aliments, nous faisions une photo avant guerre et
maintenant, il suffit d'aller dans quelques pays lointains du sud pour voir ce que cela
pourrait être, c'est terrorisant.
Nous avons fait d'énormes progrès en sécurité, en nutrition et
surtout d'énormes progrès économiques. Avant guerre la moitié du pouvoir d'achat des
Français, qui pourtant autoproduisaient une grande partie de leur nourriture, était
consacré au panier de la ménagère alors qu'aujourd'hui il ne représente plus que 17 ou
18 %.
Pourquoi ? Parce que les loisirs, la santé, etc. se sont
développés. Derrière cela il y a de l'hygiène industrielle, de la rationalisation
industrielle, de l'étude de formules, des travaux de tous les jours pour optimiser les
formules. Oui c'est vrai que cela devient compliqué !
M. le Président - Merci, Monsieur Molle.
Monsieur Boullet a demandé la parole.
Essayez peut-être de répondre à la question : qui doit
payer ? Faut-il un seuil ? Et dans l'affirmative à quel niveau ?
Ceci fera avancer un peu l'état de nos réflexions.
M. Boullet - De toute façon que ce soit dans
l'alimentaire ou dans tout autre procédé, toute autre industrie, le consommateur est
toujours le payeur final.
Que ce soit dans l'industrie pharmaceutique, n'importe où, dans
l'industrie automobile, lorsque des normes de sécurité sont imposées à l'automobile et
à juste raison, c'est effectivement le consommateur final qui paye. Il paye directement
pour l'automobile ou en tant que citoyen en normes de pollution, etc.
De toute façon le consommateur final payera, et c'est le principe
même de la TVA, une taxe sur la valeur ajoutée, c'est ce principe inventé en France. Il
paye et chaque niveau de la chaîne paye un peu.
M. le Président - S'il y a deux filières,
laquelle paye ?
M. Boullet - Le consommateur paye la filière
qu'il choisit. Je ne vois pas qui pourrait payer, c'est le choix du consommateur.
M. le Président - Actuellement il n'y a
pas d'OGM ou très peu, cela veut dire qu'il n'y a pas de surcoût. S'il y a deux
filières, il y aura des surcoûts, il y en aura un pour la séparation des filières.
Etes-vous capables à tous les niveaux du producteur jusqu'au
distributeur, de séparer les filières ?
M. Marteau - Oui.
M. le Président - Vous avez dit oui,
êtes-vous capable de bien le faire et quel sera le surcoût ?
M. Boullet - Je voudrais rappeler qu'il y a deux
sortes d'OGM.
Il y a les OGM et vous avez montré une purée de tomates anglaise où
la tomate est génétiquement modifiée. Non seulement elle est clairement identifiée sur
la boîte, mais c'est un acte commercial du marketing du producteur et du
distributeur de dire que cette tomate est génétiquement modifiée.
Lorsqu'il y aura des produits génétiquement modifiés avec un
avantage direct pour le consommateur, vous verrez une campagne de communication de
marketing où le consommateur sera clairement informé et il choisira ce produit pour cet
avantage, ceci quel qu'il soit.
Là nous sommes dans le cadre de produits dérivés d'OGM et d'un point
de vue légal, l'information du consommateur doit figurer sur l'étiquette ainsi que par
tout autre mode d'information.
Quant au financement des filières, il est trop tôt actuellement pour
que les économies réalisées par les agriculteurs et les transformateurs sur ce produit,
soient transmises au consommateur. Soyons rassurés, dès qu'il y aura un avantage
concurrentiel sur le coût, il sera retransmis automatiquement au consommateur.
Les filières OGM deviendront moins chères et le consommateur en
bénéficiera par le prix.
M. Edouard-Leclerc - Au risque d'apparaître
comme le provocateur de service, mais peut-être aussi en disant ce que d'autres disent en
privé et pas en public, y compris les industriels qui sont ici, je crois qu'il faut
arrêter d'être hypocrite.
Sur un marché ouvert à l'échange mondial, il ne peut y avoir
séparation des filières que si en amont comme en aval, l'ensemble des opérateurs qui
échange, respecte cette distinction.
Je crois que sur le marché français, il peut y avoir une double
filière, sachant que l'une sera un micro-marché, une niche au même titre que le bio,
d'accord.
Mais étant donné l'internationalisation de l'échange, la présence
de sociétés transnationales sur les marchés européens, s'approvisionnant de par le
monde entier sur les marchés ouverts, étant donné qu'en amont en Chine - on parle
toujours de Américains, mais les centres de production des matières premières
aujourd'hui sont l'Afrique du Sud, l'Australie, le Canada - les Chinois se moquent
éperdument de l'étiquetage des OGM.
Dans les plaines de Pologne, en Ukraine, ce sont les Américains, les
internationaux qui investissent, etc., donc à partir du moment où on va vers la mise en
exploitation de 26 millions d'hectares en produits OGM, et ce sera exponentiel
- ce n'est pas moi qui le dis, ils le disent cyniquement aussi eux -, pour le
consommateur il ne faut pas se leurrer, le double étiquetage peut donner l'impression du
libre choix.
Il n'y a cependant libre choix que s'il y a deux filières et la
réalité me fait penser qu'il y aura du tout OGM avec peut-être du tout OGM
différencié, avec des segmentations dans le tout OGM et des marchés marginaux, des
niches.
A ce moment-là - il faut aussi savoir le dire et ce n'est pas un
plaidoyer car j'en tire les conclusions - les consommateurs qui voudront avoir accès
à ce marché, payeront plus cher que les autres car ils n'auront pas les effets de seuils
économiques, d'échelle, etc. Ce sera au même titre que le vrai bio est à un prix plus
élevé que le marché non bio.
Il faut tirer les conclusions de ceci et ne pas simplement recevoir la
chose factuellement. Il ne faut surtout pas faire semblant de dire qu'il y aura deux
marchés dans dix ans et que le consommateur pourra choisir au même prix l'un ou l'autre,
je n'y crois pas.
M. Marteau - Un certain nombre de choses
viennent d'être dites.
En premier, il faut avoir un bon de commande clair car il y a une
confusion totale. Monsieur Leclerc, je salue votre position, ceci dit c'est la
première fois que je l'entends et si j'écoute Carrefour on est quasiment en opposition.
Pour nous, dans la filière, il faudra quand même savoir ce qu'on
veut, c'est clair. Ce débat est un bon moyen, je le trouve important même si on n'est
pas d'accord, il a au moins le mérite d'exister et de faire attention à ce que souhaite
le consommateur citoyen, même si parfois on lui fait dire des choses, en tout cas il faut
qu'on réponde à ses attentes.
D'autre part j'ai écouté tout à l'heure Madame Nicoli qui nous
dit que de toute façon on ne nous laisse pas le choix. Si l'an prochain nous ne séparons
pas, elle appelle au boycott et encore une fois, on montrera du doigt les producteurs.
Nous avons suffisamment l'expérience de choses qui viennent de nous
tomber sur le coin de la figure, pour lesquelles nous ne sommes pas responsables (dioxine,
boues, etc.), pour que nous ne fassions pas attention.
Nous avancerons en marchant, si on prend simplement les agriculteurs
solution facile, nous sommes capables d'isoler. Ce n'est pas difficile puisque, de toute
façon, nous isolons déjà. Lorsque je fais du blé, j'en ai cinq qualités différentes,
cela ne pose pas de problèmes, je peux continuer demain avec du maïs excepté qu'il y a
un séchage et que c'est un peu plus délicat.
Cela dit, nous sommes capables de le faire et nous sommes prêts, en
tout cas et je m'engage au niveau de la profession agricole, nous ferons tout pour, dans
un premier temps et je dis bien dans un premier temps, isoler la production en 1998.
Qui peut faire le plus peut faire le moins, à partir du moment où
nous aurons isolé, si nous voulons mélanger après, ce sera toujours possible, le
contraire étant quand même un peu délicat.
Là aussi il faut avancer tranquillement sans faire de démagogie. Je
veux bien qu'on fasse des effets d'annonce, mais il faudra gérer le quotidien.
Je vais rappeler que nous avons en permanence des débats avec
l'ensemble de la profession et que la semaine dernière nous nous demandions qui
consommerait le millier de tonnes que nous produisons en OGM. Aucun industriel ne veut
nous acheter le maïs que nous avons semé. Pourtant il n'y en a pas beaucoup puisqu'il
n'y en a que 2 000 ha.
Il faut aussi dire la réalité des choses. Je veux bien prendre mes
responsabilités au niveau de la profession agricole, travailler comme nous avons essayé
de le faire en y associant toute la chaîne et pas seulement un maillon.
Mais il faut qu'on nous dise clairement, que nous sentions clairement
ce que l'on veut sans faire de démagogie et sans tomber un peu dans un débat facile.
M. le Président - Juste une question pour
rebondir là-dessus.
Il est vrai qu'un certain nombre de fabricants de semoule nous ont dit
qu'ils avaient demandé du maïs non OGM, Monsieur Marteau vient de poser cette
question, Nestlé, allez-vous en acheter ?
M. Boullet - En ce qui concerne le maïs,
l'utilisation par Nestlé ainsi que tous les industriels, toutes les industries de
transformation confondues, nos achats de maïs, en particulier d'amidon non raffiné,
représentent 3 % de la production. Quel est leur poids ?
M. Edouard-Leclerc - En gros pouvez-vous
répondre à l'inverse ?
Si je vous commande les mêmes tonnages aujourd'hui sans étiquetage et
que je vous demande une garantie sur deux, trois ans, de non-présence d'OGM ou de
produits dérivés d'OGM dans ce que vous allez me vendre, allez-vous pouvoir le
garantir ?
M. Boullet - Non, parce que je n'achète pas à
l'agriculteur.
M. Edouard-Leclerc - Ce n'est pas un reproche,
mais une réalité, un fait, donc où va la double filière là-dedans ?
M. le Président - La double filière est
difficile car effectivement ceux qui achètent aux agriculteurs cette année ont tous pris
leurs précautions et n'ont pas voulu se mouiller.
Cette année je ne sais pas qui les achètera car tout le monde dit
qu'il ne le fera pas.
M. Marteau - Nous sommes en train d'y
réfléchir. Ce qui est le plus important dans la finalité, la question de fond
est : quelle information apporte-t-on au consommateur ?
Nous avons d'ailleurs vu avec les exemples que vous venez de citer, que
deux informations sont possibles. Il y a une information claire, visible et une
information confondue dans un ensemble de définitions.
Là aussi je crois qu'il faut être très prudent. Je rappelle et je
crois que certains consommateurs exigent une certaine qualité, une certaine
particularité. Pour cette raison nous nous orientons vers une filière qui coûtera
évidemment plus cher, une filière garantissant le non OGM, la pureté du non OGM.
Cette filière n'existera peut-être plus dans dix ans, mais dans un
premier temps, elle doit pouvoir répondre à cette attente du consommateur et après, à
l'intérieur du reste, vous avez ce qui est clairement OGM et ce qui l'est peut-être un
peu moins : c'est le problème du seuil.
Je vois que tout le monde n'est pas d'accord, je pensais pourtant que
c'était pourtant une solution à étudier.
Mme Nicoli - Nous partons sur des principes que
l'on veut imposer, rendre généraux alors qu'aujourd'hui nous ne discutons que sur deux
produits, c'est-à-dire le soja et le maïs. C'est d'autant plus difficile pour des
consommateurs, et plusieurs l'ont dit que, aujourd'hui, cela n'a aucun intérêt pour eux.
On aurait commencé à parler d'OGM ou de filière OGM ou non-OGM à
partir de tomates par exemple, non pas la Calgene qui est très mauvaise, mais on aurait
commencé par prendre une bonne variété de tomates Marmande ou encore mieux, on lui
aurait ajouté un gène pour la récolter mûre et qu'elle soit formidable pour le
consommateur, c'est-à-dire pas celles que nous mangeons aujourd'hui aqueuses, farineuses,
sans goût, etc, le débat serait totalement différent.
Il n'est pas question et je n'adhère pas au discours consistant à
dire que nous allons faire des petites filières, des niches qui seront très chères et
sans OGM, ce n'est pas vrai. Demain nous pouvons avoir une filière OGM, comme par exemple
la tomate en question, qui sera plébiscitée par tous les consommateurs qu'il payera peu
cher et il se détournera de la filière non-OGM car la tomate est très mauvaise.
Aujourd'hui, avoir un discours général pour tous les OGM alors que
demain arriveront des OGM qui auront un intérêt par exemple nutritionnel ou
organoleptique pour le consommateur et vous verrez qu'à ce moment-là votre raisonnement
sera complètement inversé. Le consommateur sera d'accord pour manger ces produits et se
détournera des produits non-OGM.
Aujourd'hui, c'est normal, il ne voit aucun intérêt, ce ne sont que
des dérivés. En fin de compte, on dit que les produits OGM doivent être étiquetés.
Or à part Novartis et Monsanto qui, eux, peuvent clairement étiqueter
leurs semences lorsqu'ils les vendent aux agriculteurs, après lorsqu'on arrive au niveau
des coopératives, Monsieur Marteau, qui quelque part sont quand même gérées par
les agriculteurs et pas simplement par des technocrates, ce sont elles qui, demain,
devront nous dire où est passé ce maïs transgénique.
Si Monsieur Michel Edouard-Leclerc veut des produits non-OGM,
donc des produits avec de l'amidon non-OGM, il faudra que ces 12 000 tonnes ou
je ne sais combien de tonnes soient mises à part.
C'est en effet irrationnel et déraisonnable d'avoir 2 000 ha
de maïs qui pollueront dans la tête des personnes, tout le maïs traditionnel alors que
cette année nous pouvons encore en avoir puisque nous en sommes producteurs et que nous
pourrions même être autosuffisants.
Nous sommes dans une année d'expérimentation, il faut prendre ces
2 000 ha comme une expérimentation et les mettre quelque part.
Cela veut-il dire que Danone, Nestlé ou Leclerc doivent se dévouer
pour avoir dans leur linéaire des produits garantis OGM pour voir comment réagira le
consommateur ?
Autrement que se passera-t-il ? Ce sera mélangé dans les
coopératives et je peux vous dire qu'on vous culpabilisera au maximum, de toute façon on
ne pourra pas faire autrement car c'est le seul argument qui nous restera.
La deuxième solution qu'à mon avis vous utiliserez, c'est que vous
donnerez ceci à manger à vos cochons, à vos boeufs parce que la traçabilité et le
consommateur passant par la viande, on est dupé. Demander d'avoir du boeuf élevé sans
produits OGM cela devient ridicule aujourd'hui.
Par rapport à la dioxine, Monsieur Michel Edouard-Leclerc a
fait allusion tout à l'heure à une enquête sur la viande, ce n'est pas nous qui l'avons
faite, mais demain nous avons une enquête qui sortira sur le lait maternel qui est un bon
marqueur pour l'être humain.
Il y a une quantité de dioxine effarante dans le lait maternel. Nous
ne parlons pas du bébé qui, après, arrive à l'éliminer, donc ça ne le met pas en
danger. Cela veut dire quelque part, que vous, moi, nous avons dans nos graisses que nous
portons tous les jours avec nous, un taux de dioxine, mais aussi de très nombreuses
autres choses.
Monsieur Molle disait tout à l'heure que ça allait bien, nous
vivons plus vieux, c'est formidable, la science, etc., ils sont les bienfaiteurs de
l'humanité. Si on prend nos graisses pour voir ce qu'il y a dedans, je peux vous dire que
c'est peut-être la cause d'un certain nombre de maladies qui sont de nouvelles maladies
de notre société.
Essayons de faire un juste milieu et de ne pas devenir dithyrambique
dans un sens comme dans l'autre. Mais il est très difficile de tenir une position
raisonnable lorsqu'on est représentant des consommateurs.
M. le Président - Vous et nous, vivons
avec en plus une colonie de 100 000 milliards de bactéries. Si vous saviez avec
qui on vit...
M. Molle - Il faut poser la question plus
clairement sur la double filière et sur qui paye.
Finalement que disent les consommateurs assez largement en
Europe ?
Nous n'avons pas demandé les OGM, nous n'en voulons pas parce que nous
pensons que ce n'est pas sûr. Nous voudrions bien acheter du non-OGM et c'est quand même
fort de café, c'est nous qui n'avons pas demandé l'OGM et qui voulons consommer des
produits non-OGM, qui allons payer plus cher le produit.
La demande est celle-là, ils ne veulent donc pas payer pour l'OGM.
Quelle est l'idée derrière ? Vous avez l'idée qu'on pourrait
faire imposer par les pouvoirs publics qui, en principe, ne font ce genre de choses que
pour des raisons de sécurité alimentaire, la double filière, voire taxer les OGM pour
soutenir la filière non-OGM à la limite si on pousse le raisonnement.
En fait le marché ne fonctionne pas comme cela. Si les pouvoirs
publics le décident, cela fonctionnera ainsi sur le marché français et ce sera assez
amusant au point de vue du marché international.
En fait le marché, lui, en face de la demande des consommateurs, ne
fonctionne pas ainsi, il s'adapte, il a une certaine souplesse. La meilleure preuve sont
les 1 000 ha cette année de Novartis en maïs.
Si nous avions été l'Arkansas, avec le démarrage du maïs à surface
égale, nous aurions fait cette année 30 000 ha. Pourquoi ? Les
agriculteurs ont des antennes partout et savent bien que les industriels ne se
bousculeront pas au portillon...
M. le Président - Nous avons des lettres
qui seront dans le rapport.
M. Molle - Bien sûr ! Je peux tout à fait
expliquer pourquoi les industriels ont écrit ces lettres et pourquoi ils sont prudents.
Le meilleur exemple pour montrer que le marché s'adapte est qu'il n'y
a que 1 000 ha.
Il existe aussi une demande d'OGM, il faut qu'elle soit rigoureuse. Il
ne faut pas qu'un produit offert au consommateur soit non-OGM sur un ingrédient et OGM
par ailleurs.
Les personnes opposées aux OGM le sont pour des raisons
philosophiques, religieuses ou autres et il faut que ce soit la globalité du produit.
A quoi cela ressemblerait que pour le yaourt par exemple chez Danone,
on dise : "Mon fruit n'est pas OGM, mais la vache a mangé du tourteau de soja
ou du corn gluten feed OGM." ?
Je pense qu'il faut être rigoureux, c'est d'ailleurs la demande du
Conseil national de l'Alimentation. Si un produit clame qu'il est non OGM, il est vraiment
non-OGM. C'est comme le halal ou le kasher, vous n'êtes pas en partie halal ou kasher,
vous l'êtes tout à fait.
Il y a une demande non-OGM et avant qu'on ne mette des OGM dans des
aliments pour bébés en Allemagne, en Autriche, dans ces pays, il se passera du temps.
Que se passera-t-il par rapport à la double filière de production
imposée par les pouvoirs publics ?
Le marché s'adaptera. Oui, il y aura des offres d'ingrédients
agricoles non-OGM. Oui, elle sera plus chère. Oui, certains industriels estimeront que
sur leur marché, leur image, etc., l'attente du consommateur justifie que leurs produits
soient plus chers et d'acheter dans cette filière non-OGM.
Cela marchera ainsi et pas autrement, tout le reste c'est de la
littérature.
M. le Président - Il reste encore cinq
minutes, j'ai deux questions dans la salle, vous les posez, certains y répondent et
après je voudrais encore poser une question à Madame Zylbermann.
M. Kerckhove (Agir pour l'Environnement) - Nous
avons mené une campagne contre les OGM et pour un moratoire.
Nous entendons dire depuis hier que c'était par idéologie ou par
passion, nous pensons plutôt que c'est par pragmatisme, par honnêteté vis-à-vis des
consommateurs. Là on est en train d'affirmer une loi, une mesure législative
mensongère.
On mettra trois mots sur des produits "ne contient pas"
alors qu'ils en contiendront, moins de 3 %, il y a un effet de seuil dont nous sommes
en train de parler, mais c'est mensonger.
La question est : comment mentir le moins possible ? Comment
réduire l'effet de seuil ? La réponse est qu'il faut développer les filières
séparées.
Là où je m'inscris totalement en faux avec Monsieur Marteau
c'est qu'on ne développera pas la filière non-OGM car, pour l'instant, elle existe. La
filière OGM ne représente que 2 000 ha donc c'est à eux de payer les silos,
les transports.
A une époque on pensait que les OGM n'apportaient rien aux
consommateurs, là ils apporteront quelque chose qui est un surcoût s'ils doivent
construire leurs silos et développer leur filière de transport.
J'aimerais savoir qui payera depuis le début.
Mme Roger (Agence AGRA) - J'ai une question
pour les industriels qui est peut-être un peu naïve. Je me demande comment des
importateurs qui ont un tel pouvoir sur le marché international n'ont pas réussi à
imposer une séparation des lots.
Mme Dron (Cellule prospective, Ministère de
l'Environnement) - Les OGM potentiels sont très divers, ils ont des
avantages, des inconvénients très divers aussi bien pour le consommateur que pour
l'environnement.
En pratique dans une formulation, la mention modifié
s'appliquera ou non à chaque composant. Je me demande pourquoi la gestion du sujet
devrait se borner à une dichotomie OGM, non-OGM.
Avec cette approche, on risque de supprimer des possibilités de choix
sur tous les composants sur lesquels il y aura possibilité de choix et des balances
avantages/inconvénients différentes sous prétexte, par exemple, que le soja n'est pas
triable.
M. Edouard-Leclerc - Ce n'est pas qu'ils ne le
peuvent pas. Je le répète, il faut sortir de l'hypocrisie, si cette séparation n'existe
pas, c'est que les trois-quarts des acteurs sur le marché ne le veulent pas.
L'industriel a vu son intérêt en termes de productivité, le pays,
l'état-nation dans les PVD, etc., est soumis à des contraintes météo, insectes, les
OGM les intéressent. De nombreuses personnes sont intéressées, les laboratoires, etc.
Rien n'est mis en place pour cette distinction car il y a une sorte de
consensus, un non-dit public pour diffuser les OGM. Le problème aujourd'hui, à mon sens,
n'est pas la séparation.
Les OGM apportent-ils quelque chose au consommateur, oui, non ? Je
ne suis pas compétent, mais qu'on en parle, qu'ils défendent leurs arguments.
D'autre part est-ce dangereux ou non pour la santé publique ?
Après si c'est bon et que ce n'est pas dangereux, on rentrera dans la
banalisation de l'OGM. En revanche si nous avons toutes ces interrogations, c'est bien que
la réponse n'est pas claire.
Mme Verdier (La Croix) - Je me demande
comment on peut se poser la question de deux filières ce qui supposerait au départ que
les champs soient hermétiques et confinés tous à des kilomètres de distance pour qu'il
n'y ait aucune fertilisation croisée.
La question me semble complètement absurde lorsqu'on parle de millions
d'hectares déjà cultivés, il y a forcément des fertilisations entre les champs et
c'est déjà le cas.
M. le Président - Je l'ai déjà dit tout
à l'heure, cela existe quand même pour les semences avec des arrêtés préfectoraux, il
y a des distances qui sont nécessaires ; cela existe pour les produits bio.
Ce sera compliqué et c'est très compliqué, vous avez raison de poser
la question, mais cela existe déjà dans deux secteurs. Cela peut exister.
Maintenant vous avez ces questions et vous allez essayer d'y répondre
en conclusion avec, Madame Zylbermann, la question qui a été posée par
Monsieur Kerckhove.
Existe-t-il déjà aujourd'hui en vente et quels produits sont déjà
des produits OGM ? Même s'ils ne sont pas marqués qu'est-ce qui existe
déjà ?
Mme Zylbermann - J'ai dit tout à l'heure qu'une
enquête était en cours.
Comme les remontées sont en cours, je n'ai pas de liste de produits.
De toute façon même si je l'avais, dans la mesure où il y aurait éventuellement des
poursuites, je ne peux pas vous donner des noms.
Soit les produits sont étiquetés comme ceux de Nestlé, soit ils ne
le sont pas et à ce moment-là, nous devrons donner des suites judiciaires et nous
verrons ce que les tribunaux diront.
Dans ce cas, même si j'avais apporté ici des copies des
procès-verbaux, je ne pourrais pas vous les donner. Vous comprenez bien que, par mon
statut, je suis tenue à une certaine discrétion professionnelle.
M. le Président - Aujourd'hui, oui. En
tout cas, je les demanderai au Ministre.
Mme Zylbermann - Vous les demanderez au
Ministre, vous en avez parfaitement le droit, mais devant un public, je ne peux pas donner
ce type d'information.
Une intervenante - Il faudra les donner aux
organisations de consommateurs.
Mme Zylbermann - Oui, nous avons l'habitude de
le faire, Madame.
M. le Président - Vous répondez aux
questions qui ont été posées.
M. Marteau - Concernant le seuil et la
tolérance, je rappelle que sur les produits bio, le seuil de tolérance est de l'ordre de
5 % aujourd'hui alors qu'au départ il était de l'ordre de 30 %. C'est un seuil
de mélange tolérable qui se réduit ce qui est de bon augure.
Concernant le maïs, ce n'est pas un problème, c'est un
épiphénomène, c'est le cas de le dire et sans jeu de mots.
Le problème se pose pour le soja. Aujourd'hui je vous rappelle que
nous importons 70 % de la consommation et de nos besoins et que le mélange est
systématiquement réalisé au niveau des importations. Je ne vois pas pourquoi nous
traiterions différemment ce qui est produit sur notre sol et ce qui est importé.
D'autre part, il y a une demande du consommateur et ce n'est pas de
gaieté de coeur que nous nous imposerons une filière différente. Il y a une demande et
si elle est réelle, justifiée, nous y répondrons.
Je rappelle que l'agriculture est là pour répondre aux demandes du
consommateur. A mon avis, le débat va dans le bon sens, il faut que l'on s'explique et
que le bon de commande soit clair.
M. le Président - Monsieur Molle, la
réponse aux industriels.
M. Molle - Notre puissance d'achat sur le
marché mondial, d'accord...
On parle de soja et de maïs et, pour les industriels de l'alimentaire,
ces produits sont utilisés en tant qu'additifs en très faible quantité et font l'objet
de transformations industrielles dans des usines importantes.
Puisque, contrairement à ce que vous pensez, nous sommes de faibles
acheteurs de soja - je parle de l'industrie alimentaire - nous n'avons aucun
poids par rapport à l'association américaine de production de soja.
En revanche, et c'est l'histoire des 1 000 ha de maïs en
France, si les chaînes de transformation sont plus courtes, nous avons des possibilités
d'obtenir des lots non-OGM, mais nous avons également ces possibilités sur les chaînes
longues.
C'est comme si on disait que le bio n'est pas possible. Le maïs Waxy
aux Etats-Unis est récolté de façon très précautionneuse, de façon séparée car il
a une composition particulièrement intéressante pour un marché très particulier, très
rémunérateur. Il est possible de le ramasser de façon séparée, d'avoir des filières
séparées.
Le problème est que cela a un coût. Est-ce que le marché, est-ce que
demain le produit X vendu Y % plus cher sera acheté sous prétexte qu'il pourra
dire qu'il est non-OGM ?
C'est à chaque industriel de prendre sa décision.
le Président - Nous sommes malheureusement
obligés de conclure.
Pour la presse qui est là, cette discussion était très intéressante
car nous voyons qu'à partir de la réglementation adoptée, beaucoup de nouvelles
questions sont en train de se poser. Elles n'ont pas toutes été abordées au fond ce
matin, elles ont été effleurées.
Je signale qu'à l'Assemblée Nationale, nous avons un forum sur
Internet. Si vous pouviez l'annoncer, ce serait la meilleure manière d'avoir un débat
public. Je vous le redonne, vous tapez www.assemblee-nat.fr et vous avez ce forum.
Si on peut l'annoncer sur ces questions, je crois que pour les
consommateurs c'est très important, annoncer ce forum est un autre moyen de débat.
Par ailleurs il y aura la Conférence de Citoyens dont j'ai parlé hier
et il y a les auditions ici qui sont publiques, ouvertes, contradictoires.
Il y aura également ce forum qui nous permettra d'avoir vos avis car
ces sujets sont très compliqués, notamment l'avantage pour le consommateur qui est un
vrai sujet. Le problème des seuils en est un aussi de même que les responsabilités, la
traçabilité, la séparation des filières.
Sur toutes ces questions, je serai obligé de donner mon avis dans mon
rapport et je souhaiterais avoir l'avis d'un maximum de personnes.
Table ronde V :
Avantages et risques des organismes génétiquement modifiés en matière
d'environnement
M. le Président - Comme nous avons un peu débordé, nous
terminerons avec un peu de retard.
Nous abordons donc la cinquième table ronde. Son thème est naturellement de première
importance, compte tenu de la montée des légitimes préoccupations en matière
d'environnement dans notre société. Nous aurons d'ailleurs l'occasion ce soir d'entendre
Madame Dominique Voynet, Ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du
Territoire.
Ce thème est d'autant plus important que l'agriculture n'est pas restée à l'écart
des questions que la société se pose à cet égard.
Le débat sur les effets éventuels des organismes génétiquement modifiés à
l'égard de l'environnement est certainement un des thèmes centraux des interrogations
que nous nous posons tous. Des études ont déjà été faites, vos débats y feront sans
doute allusion.
Vous allez débattre du problème des flux de gènes, thème qui n'est évidemment pas
propre aux organismes génétiquement modifiés. De tout temps en effet, les plantes
cultivées se sont croisées avec les mauvaises herbes voisines. Antoine Danchin
disait hier que la biologie était la science et l'art de l'imprévu.
Bien entendu le problème se pose aussi avec les relations des plantes génétiquement
transformées avec la faune et spécialement avec les prédateurs.
Là encore ce n'est pas une difficulté spécifique des organismes génétiquement
modifiés dans la mesure où, et les agriculteurs le savent bien, les prédateurs
finissent tôt ou tard par s'adapter aux produits destinés à les combattre. Nous aurons
donc à traiter des problèmes de résistance.
Avec les risques concernant la santé, cette menace est certainement une de celles qui
a le plus grand retentissement parmi le public et, dans le débat, c'est sans doute le
problème de l'environnement qui est le plus posé.
Il convient donc de traiter ce problème avec le plus grand sérieux car il faudra
naturellement éviter autant que faire ce peut, que les qualités de ces plantes,
qualités au sens du transfert d'un gène, ne se transfèrent à leur environnement, ce
qui poserait par la suite des problèmes redoutables aux agriculteurs.
Nous aborderons le problème de toutes les plantes, les problèmes ne sont pas
identiques suivant les plantes et vous nous l'expliquerez. Vous nous expliquerez que si
des croisements sont possibles avec des adventices sauvages, nous ne sommes pas dans la
même situation que s'il n'y a pas de croisements interspécifiques.
Certains cherchent même des gènes de stérilité ce qui aurait un avantage en
matière d'environnement, mais des désavantages en matière de ce que nous disions hier,
c'est-à-dire des désavantages économiques de liaison entre celui qui fabrique la
semence et celui qui la cultive.
Les problèmes d'environnement se posent également dans la dimension transfert vers
les pays du sud où nous pourrions là aussi avoir des problèmes plus importants que ceux
que nous avons dans nos propres pays, où les mêmes systèmes de vigilances n'existent
pas forcément et ne sont pas forcément non plus mis en place.
Nous abordons donc là un problème très important et pour en débattre, j'ai à
partir de ma gauche, c'est-à-dire de votre droite :
- Monsieur Mark Tepfer du laboratoire de biologie cellulaire de l'INRA
de Versailles,
- Monsieur Bernard Convent, directeur général de PGS, du Groupe
Agrevo,
- Monsieur Arnaud Apoteker, chargé de mission à Greenpeace France,
- Monsieur Pierre-Henri Gouyon, professeur de biologie à l'université
de Paris XI,
- Monsieur Philippe Tillous-Borde, directeur général de la
Fédération des oléoprotéagineux,
- Monsieur Michel Vincent de la Confédération générale des planteurs
de betteraves.
Vous avez à la fois des producteurs, des associations de protection de
l'environnement, des chercheurs et des industriels autour de cette table pour débattre
comme dans les autres cas de manière animée, mais en respectant en même temps les
règles du jeu qui sont fixées.
Qui souhaite commencer ?
Monsieur Bernard Convent, directeur général de PGS.
M. Convent - Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Président,
de vous remercier de m'avoir invité à participer à cette table ronde et de me permettre
ainsi d'appuyer votre démarche pour améliorer la transparence et l'information au sujet
des OGM. Ce sont d'ailleurs également les objectifs de notre Groupe Agrevo-PGS.
En préambule, je voudrais partager avec vous mon adhésion aux propos tenus hier soir
par le Ministre de l'Agriculture lorsqu'il disait que l'application des biotechnologies à
l'agriculture s'inscrivait dans le prolongement de l'activité de l'amélioration des
plantes qui a débuté avec l'activité agricole elle-même il y a plusieurs milliers
d'années.
Aussi je propose que nous parlions dorénavant d'organismes génétiquement améliorés
car si la modification ne s'accompagne pas d'un réel bénéfice pour la société et
l'environnement, il n'y a pas lieu de développer de tels organismes.
Néanmoins je pense également et je suis particulièrement à l'aise car le caractère
contradictoire du débat auquel vous nous invitez m'autorise à vous le dire, je suis
consterné également par les propos du même Monsieur Le Pensec lorsqu'il nous
disait hier soir, d'une façon relativement arrêtée, de ne pas considérer les
améliorations au niveau de l'utilisation des herbicides, la problématique du désherbage
et éventuellement les améliorations de rendement, comme étant un bienfait des apports
des biotechnologies.
Or précisément, ces deux points ainsi que la résistance aux maladies et
l'amélioration de la qualité des produits ont toujours fait l'objet de l'amélioration
des plantes, de la sélection des plantes. Pour exemple je peux citer ce qui s'est passé
avec le blé.
Il n'y a pas si longtemps, une soixantaine d'années, les sélectionneurs essayaient de
trouver du blé poussant d'une façon très haute pour dominer les mauvaises herbes, seul
moyen pour avoir une récolte.
Parallèlement, avec la venue des herbicides, les sélectionneurs se sont mis à
cultiver du blé très court, non plus pour dominer les mauvaises herbes, mais pour
améliorer les rendements, c'est-à-dire l'indice de récolte, la conversion de la
biomasse, pour en retirer davantage de grains que de paille.
D'autre part, le phénomène de l'étude de la tolérance aux herbicides n'est pas
d'hier puisqu'elle a également été pratiquée pour le blé. Aujourd'hui la plupart des
blés sont tolérants aux herbicides issus de la famille des urae substituae, ce
qui n'était pas le cas il y a vingt ans.
Les méthodes utilisées, c'est-à-dire des méthodes traditionnelles, ont déjà
abordé les problèmes dont nous allons discuter maintenant dans le cadre des OGM.
Je puis dire que si nous n'avions pas ou que si nous avions découragé les
sélectionneurs à cette époque d'améliorer le blé, il aurait fallu en France,
aujourd'hui, trois fois plus de cultures de terres arables pour produire la même
quantité de blé.
Ceci voudrait dire que nous devrions procéder à une déforestation de la plupart des
forêts restant en France ce qui n'est pas sans conséquences pour l'environnement.
Dissocier la productivité de l'environnement ou des bienfaits pour l'environnement me
semble être un point sur lequel je voudrais prendre la parole.
Venons-en au sujet de notre table ronde qui s'intéresse davantage aux avantages et
désavantages des OGM. Jusqu'à présent nous avons plutôt parlé des risques que des
avantages et je voudrais en noter quelques-uns.
Je reprends l'exemple de la maîtrise et de la façon raisonnée de pouvoir désherber
nos cultures.
Mettre à la disposition des agriculteurs des herbicides respectueux de
l'environnement, de post-émergence, qui n'ont peu ou pas d'effets résiduels, permet à
l'agriculteur de gérer sa flore adventice et de ne traiter qu'en cas de nécessité,
lorsqu'un seuil de nuisibilité est atteint.
Cela permet, pensons-nous, de diminuer jusqu'à 30 % les intrants en matière
d'herbicide pour ces cultures. C'est un autre bienfait qui peut également être
considérable pour l'environnement.
De même en ce qui concerne les cultures tolérantes ou résistantes à certains
insectes ravageurs, nous assistons à un véritable progrès en matière de lutte
raisonnée puisque, cette fois-ci, l'agriculteur ne touche que les insectes qui viennent
se nourrir de sa culture et uniquement ceux-là.
Ceci permet également de diminuer l'application des insecticides qui, fatalement,
alors qu'ils sont tous autorisés et acceptés parce que les risques pour l'environnement
sont moindres par rapport aux bénéfices qu'ils peuvent procurer pour la société et
l'environnement, sont néanmoins moins ciblés que ces approches de transgénoses avec des
toxines éventuellement comme celles de Bt.
En ce qui concerne les facteurs d'amélioration de rendement, je voudrais citer un
exemple concernant l'hybridation. Nous pouvons penser et je crois que Monsieur le
Ministre de la Santé parlait du phénomène du maïs lui-même par rapport au maïs
sauvage.
Si nous n'avions pas aujourd'hui le maïs hybride, il faudrait également trois ou
quatre fois les surfaces disponibles de terre arable pour produire la même quantité de
maïs.
Pour le colza c'est la même chose. Aujourd'hui le colza hybride permet des productions
plus importantes et la possibilité existe de réduire de 20 % les surfaces arables
nécessaires pour produire la même quantité ou de produire plus de colza avec les mêmes
emblavements.
Lorsqu'on sait que les huiles de colza sont particulièrement intéressantes et
bénéfiques pour la santé même par rapport aux autres huiles, on a affaire à des
bénéfices qui doivent également être considérés dans le débat.
Enfin je voudrais dire qu'Agrevo est également conscient des différents risques qui
accompagnent éventuellement ces nouvelles technologies.
Agrevo est tout à fait déterminer à travailler de concert avec l'INRA et les
instituts scientifiques, en tenant informé le public et en formant la profession et les
agriculteurs à manier ces nouvelles technologies. C'est pour cela que nous sommes heureux
d'être ici parmi vous.
M. le Président - Merci beaucoup. Qui souhaite intervenir
en second ?
M. Vincent - Je représente ici 40 000 agriculteurs
concernés par la culture de la betterave, aussi bien sous forme de racine que de semence.
Avant tout, je voudrais rappeler que la France est aujourd'hui le huitième producteur
mondial de sucre, de saccharose, le premier producteur mondial et le premier exportateur
mondial de sucre de betterave.
Il est bon de dire que cela contribue à un solde positif qui dépasse régulièrement
5 milliards de francs pour notre balance commerciale.
L'alcool ayant pour origine la betterave représente également les deux tiers de
l'alcool agricole produit en France.
Le niveau de cette performance est dû à une maîtrise de plus en plus poussée de la
technique. On peut dire que depuis vingt ans, et c'est reconnu, l'augmentation des
rendements est de 2 % par an.
On peut dire aussi que la culture betteravière maîtrise parfaitement les applications
de produits phytosanitaires, que cette efficacité technique a apporté une diminution
spectaculaire des intrants puisque, aujourd'hui, on produit davantage de sucre avec
30 % de moins d'azote qu'il y a vingt ans.
C'est donc de très longue date que les planteurs français de betteraves ont pris
conscience que la gestion des objectifs devait également prendre en compte les exigences
des citoyens pour le respect de l'environnement et ses aspirations pour une agriculture
durable.
Pour cette raison les planteurs de betteraves sont ouverts aux variétés
génétiquement modifiées du moment qu'elles leur apportent des retombées positives
d'abord en matière d'amélioration végétale et ensuite en matière de gestion du
désherbage, domaine technique très important.
Le désherbage se fait d'ailleurs par voie chimique dans tous les pays du monde où
l'on cultive de la betterave.
Les planteurs attendent du désherbage quelque chose :
- de plus efficace avec un spectre élargi,
- de plus simple, moins de matière active et moins de traitement,
- de moins phytotoxique, c'est évident, ce qui, entre autres, permet d'espérer
un meilleur rendement même si ce n'est pas la finalité,
- indiscutablement de plus respectueux de l'environnement.
Il apparaît clairement aussi que cet aspect du désherbage n'est que la première
pierre d'un chemin qui nous amènera à des variétés capables de résister à des
maladies, à des stress, à la montée en graine, à la salinité des sols, etc. Ce sont
également d'autres manières de diminuer les apports de produits phytosanitaires.
Le gouvernement a exprimé sa préoccupation à l'égard des risques courus du fait du
passage d'un transgène vers des plantes interfertiles. Cela fait non seulement l'objet de
l'attention des planteurs, mais également de l'Institut technique de la Betterave.
On doit dire ici dans le cadre de notre table ronde que l'expérience accumulée, et
notamment les expérimentations déjà conduites depuis 1995 sur des plates-formes
inter-instituts, démontrent que les conséquences de ce passage sont facilement
maîtrisables par le biais de pratiques culturales bien identifiées.
A l'appui de cette certitude, des propositions techniques ont déjà été faites pour
un suivi de biovigilance efficace. Ceci permettrait, au cas où des dérives
apparaîtraient, de modifier voire d'en arrêter la culture.
Par ailleurs l'organisation actuelle de la filière, son cadre réglementaire et, je
tiens à le dire, avec la contribution active et appréciée des pouvoirs publics, son
encadrement sur le terrain, nous permettent d'assurer un développement raisonné et sûr
de la nouvelle technologie liée aux OGM.
Sommes-nous favorables aux variétés génétiquement modifiées ? Pas à
n'importe quel prix. Encore faut-il préserver non pas l'environnement, mais les
environnements.
L'environnement économique est en effet un aspect non directement biologique, mais
aussi vital. En matière d'économie aussi, à ne pas défendre son territoire, un pays
est vite envahi.
Si le consommateur français venait à se détourner du saccharose issue de betteraves
génétiquement modifiées en faveur du sucre de canne ou de n'importe quel autre
édulcorant, la perte du potentiel français serait irréversible aussi bien en termes
agricoles qu'en termes industriels.
Les planteurs de betteraves ne s'engagent donc à cultiver des variétés
génétiquement modifiées que s'ils ont l'accord des industriels et lorsque ce risque
sera suffisamment maîtrisé vis-à-vis du consommateur sachant qu'il n'y a rigoureusement
scientifiquement aucune différence entre le saccharose issu d'une betterave transgénique
et celui produit par une betterave traditionnelle.
Ceci pose d'ailleurs le problème de l'étiquetage auquel nous nous opposons puisqu'il
n'y a pas de différence.
En conclusion, sous réserve que cette technologie soit positive pour la filière,
compte tenu des engagements déjà pris par les producteurs de racines aussi bien que par
les producteurs de semences, en prenant en compte la mise en place d'un système de
biovigilance efficace, sous réserve de l'acceptation des OGM par le consommateur et du
non étiquetage, nous disons oui aux variétés génétiquement modifiées.
M. le Président - Merci. Monsieur Gouyon va donner
l'avis des chercheurs sur ce point.
M. Gouyon - Je ne pense pas pouvoir donner l'avis des
chercheurs, mais celui d'un petit groupe de personnes auquel j'appartiens. Je pense que
l'avis des chercheurs diffère beaucoup comme dans toute classe de la société.
Etant donné les deux exposés précédents, je voudrais vous dire qu'en tant que
chercheurs nous avons commencé à travailler sur ces questions il y a une dizaine
d'années. Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait clairement des avantages et des
inconvénients.
En tant que laboratoire d'écologie du CNRS, nous allions chercher à voir quels
étaient les risques pour l'environnement de la culture de ces OGM et essayer de
travailler éventuellement avec les industriels. Nous avons d'ailleurs eu un programme
commun européen avec PGS. Il y a donc une certaine concertation.
Les risques qui ont pu être identifiés vis-à-vis de l'environnement sont
extrêmement multiples, divers et difficiles à généraliser.
Evidemment il y a des problèmes concernant la santé publique comme les résistances
aux antibiotiques qui, actuellement, font quelque chose comme 10 000 morts par
an en France et certaines personnes pensent qu'il serait bon de décider qu'on ne joue
plus avec les antibiotiques.
Ce n'est certainement pas le fait qu'un maïs porte un gène de résistance à un
antibiotique qui créera un problème majeur. Il y a bien plus grave dans le fait qu'on
met des antibiotiques dans la nourriture du bétail en quantités effroyables et j'espère
que cela s'arrêtera progressivement.
On pourrait dire qu'on ne joue plus avec les antibiotiques et, alors qu'il suffisait
d'attendre un tout petit peu plus, il est regrettable que les sociétés aient créé un
maïs avec une résistance aux antibiotiques car quelques années après, elles auraient
pu faire autrement.
C'est un type de question qui peut se poser, je n'en discuterai pas davantage.
Pour l'environnement agricole lui-même, nous pouvons dire que, pour le moment, les
firmes qui font des plantes transgéniques mettent les mêmes gènes de résistance dans
la plupart des plantes. De ce fait nous ne voyons pas très bien comment elles sont en
train de réfléchir à la manière dont l'agriculteur gérera ses assolements dans la
suite des opérations. Là aussi je ne veux pas discuter davantage.
En plus vous avez ces quelques résistances qui existent actuellement sur le marché
par le biais des croisements entre plantes cultivées.
On parle beaucoup des croisements entre plantes cultivées et plantes sauvages, mais
les croisements entre plantes cultivées vont fabriquer des plantes avec des résistances
multiples qui seront de plus en plus difficiles à gérer dans les champs.
Lorsque vous vous promenez au bord des routes, vous voyez du colza partout car le colza
se ressème tout seul ce qui n'est pas le cas du maïs. Un colza résistant en même temps
à de nombreux herbicides, peut devenir un problème réel dans les champs.
Ceci dit, au voisinage des champs il y a aussi des mauvaises herbes. Dans un premier
temps nous pensions que les transferts de gènes seraient extrêmement rares et nous nous
sommes rendu compte que cela arrivait pour le colza et que des mauvaises herbes recevaient
des gènes de colza. Si jamais ce sont des gènes de résistance à un herbicide, cela
risque de rendre ce dernier inopérant.
Pour d'autres plantes comme la betterave, c'est pire que tout. Dans les zones de
production de semences, on a pu montrer que pratiquement les betteraves mauvaises herbes
qu'on trouvait dans les champs de betteraves plutôt dans le nord de la France, qui
venaient des semences produites dans le sud de la France, ces mauvaises herbes étaient en
fait les filles des betteraves cultivées pour faire de la semence dans le sud.
C'est quelque chose que tout le monde savait plus ou moins, mais maintenant que cela a
vraiment été montré par des méthodes de marquage moléculaire, on s'est rendu compte
qu'il y avait là un problème. On ne peut pas espérer mettre un gène de résistance à
un herbicide dans une plante cultivée sans le retrouver très rapidement dans les plantes
sauvages.
Il faut savoir qu'une graine de betterave sauvage peut quand même durer plus d'une
dizaine d'années dans le sol. Si jamais des betteraves sauvages deviennent résistantes
à des herbicides majeurs, cela veut dire que dans les champs où elles seront, il sera
difficile de s'en débarrasser pour la culture de betteraves.
Je passe sur ces problèmes d'herbicides, mais j'y reviendrai un tout petit peu tout à
l'heure.
Le dernier point pour l'environnement porte sur le fait que lorsqu'on fait des
résistances à des insectes, on ne sait pas comment on perturbera l'entomofaune,
c'est-à-dire la faune des insectes existant autour de ces champs et en particulier les
insectes qui, naturellement, étaient des agents de contrôle des insectes contre lesquels
on veut lutter.
Cela posera-t-il des problèmes ? Je pense que cela nécessite des recherches.
Ces recherches sont lancées maintenant pour le maïs actuellement accepté à la
commercialisation. Il sera très intéressant de voir ce qui se passera pour estimer les
risques que nous courons. Il est clair que comme malheureusement beaucoup de ces risques
sont à long terme, nous serons obligés sans doute d'attendre assez longtemps pour voir
l'effet de ces cultures.
En ce qui concerne l'environnement agricole, pourquoi tout ceci peut poser des
problèmes graves ?
Cela a déjà été dit, il y a effectivement des risques économiques divers.
Le risque économique de se faire distancer par les voisins est ennuyeux, de ce point
de vue il est normal de dire qu'il faut défendre les OGM. Si les autres pays développent
des OGM et pas nous, qu'y perdrons-nous ?
D'un autre côté, il est vrai que le fait de développer les OGM comme cela se passe
actuellement contribue, dans le domaine agricole, à la centralisation du pouvoir de
décision de quelques grosses firmes.
En conséquence on aimerait être sûr que ces quelques grosses firmes obéissent à
une logique qui soit une logique d'agriculture durable. Et c'est ce qu'on ne voit pas
tellement dans la manière dont elles nous répondent lorsque nous leur parlons de gestion
des assolements par exemple.
Le dernier point, pour l'environnement en général, est qu'il faut savoir qu'il
n'existe que deux herbicides totaux à l'heure actuelle pour lesquels on ne connaît pas
de résistance naturelle des plantes.
Le jour où nous aurons transféré ces gènes de résistance dans des plantes
cultivées, ces herbicides ne seront plus des herbicides totaux puisqu'il y aura des
résistances et ce sera vrai peut-être à moyen terme pour les plantes sauvages
apparentées, colza ou betteraves.
Je voudrais juste vous dire un mot sur le fait qu'il existe des problèmes auxquels
nous ne pensons pas trop actuellement. Il s'agit du fait que les espèces sauvages
apparentées vont recevoir des gènes de ces plantes.
C'est vrai pour les gènes de résistances aux insectes et cela risque de faire que la
plante sauvage sera franchement avantagée puisqu'elle résistera aussi aux insectes à
l'extérieur, donc qu'elle modifiera ce qui se passe à l'extérieur.
C'est vrai encore plus et ce sera peut-être encore pire pour les plantes sauvages qui
sont très précieuses. Je conclurai là-dessus et je voudrais vous dire que je trouve ce
problème très difficile à résoudre.
Les maïs viennent d'un ancêtre, le téosinte, plante qui pousse en Amérique
Centrale.
Cette plante constitue une sorte de patrimoine pour l'humanité puisqu'elle contient la
réserve de diversité génétique de l'espèce du maïs. On s'en sert actuellement pour
essayer de réintroduire de la diversité dans le maïs. Si jamais on perdait cette
espèce, ce serait très grave.
Evidemment, ce n'est pas en cultivant du maïs en France qu'on risque de faire du mal
à l'espèce téosinte en Amérique centrale.
Mais si nous produisons un maïs qui a certaines particularités, comment
éviterons-nous qu'il soit cultivé au Mexique ?
Pouvons-nous dire à un pays du sud que nous lui prenons sa plante, c'est-à-dire le
maïs qui vient de chez lui, des ressources génétiques qui viennent du téosinte, nous
améliorons tout ceci, faisons un peu de transgénèse, quelque chose qui marche très
bien, mais il ne faut surtout pas qu'ils le cultivent chez eux ?
Là nous tombons sur un problème de politique internationale tout à fait hors de mes
compétences. Si jamais nos activités nous amenaient à perdre le téosinte, je pense que
ce serait très grave.
J'ai juste essayé de vous montrer la diversité des problèmes que peut se poser un
laboratoire de recherche écologique sur ces questions et maintenant je préfère
participer à la discussion que de continuer.
M. le Président - La parole est à M. Apoteker.
M. Apoteker - Merci, Monsieur le Président. De nombreuses
choses que je voulais dire ont déjà été évoquées.
Je voudrais dire mon opposition à ce qu'a dit mon voisin de PGS. Pour ma part la
transgénèse, le génie génétique sont des techniques radicalement différentes de tous
les procédés d'amélioration des plantes depuis que l'agriculture existe.
Il est vrai que le but, l'amélioration des plantes, est quelque chose d'ancien, mais
cette technique est radicalement nouvelle. Le fait de prendre des gènes de n'importe
quelle espèce pour les introduire dans une plante est extrêmement différent de tous les
croisements que nous avons pu faire jusqu'à maintenant.
C'est différent tout simplement parce que nous nous affranchissons de la barrière
entre espèces qui est le résultat de quatre milliards d'années d'évolution de la vie
sur la planète.
Nous créons ainsi de nouveaux organismes vivant que la nature n'aurait jamais pu
créer qui n'ont pas de passé évolutif, de prédateurs naturels et dont le comportement
dans les écosystèmes est largement inconnu.
C'est donc une technologie complexe et très nouvelle qui pose des risques inédits. La
seule analogie que nous pouvons voir avec des phénomènes déjà documentés viendrait,
à mon sens, de l'introduction intentionnelle ou accidentelle d'espèces exotiques dans
des écosystèmes.
Dans bien des cas ces introductions se sont soldées par ces catastrophes écologiques,
par la disparition de nombreuses espèces endémiques ou tout au moins par des dommages
économiques considérables.
Je donne juste un exemple. Des cténophores qui sont des micro-organismes marins, ont
été introduits dans la Mer Noire en 1982 par les eaux de ballast d'un navire venant de
l'Atlantique. Cette espèce est devenue aujourd'hui l'espèce dominante en Mer Noire et
représente 95 % de la biomasse.
A mon sens également, les expériences faites, les disséminations d'OGM en plein
champ à titre expérimental ne nous donnent qu'une image inadéquate de ce qui se
pourrait se passer dans l'environnement.
D'une part ces disséminations sont extrêmement contrôlées puisque nous voulons
essayer d'évaluer les effets qu'elles auront et c'est tout à fait à l'opposé de ce qui
va se passer ou se passera lors des disséminations commerciales.
D'autre part l'effet de taille est tout à fait primordial concernant les conséquences
écologiques des introductions que nous pouvons réaliser.
Il est évident que si des populations d'insectes, de ravageurs ou de butineurs peuvent
éviter de consommer des plantes qui seraient toxiques pour elles sur des petites
surfaces, elles ne le peuvent pas sur des hectares ou des centaines d'hectares.
Même ces disséminations expérimentales nous ont montré quelques problèmes
écologiques qui pourraient se produire - certains ont déjà été évoqués -
et qui pourraient nous inciter à la prudence avant de nous lancer tête baissée dans
l'aventure de la transgénèse commerciale.
Il n'est pas possible de faire en cinq minutes le tour des risques écologiques liés
aux OGM car ils dépendent de la plante transformée, du transgène qui y est introduit et
de l'écosystème dans lequel cette plante sera introduite.
Ceci dit, les études réalisées au cas par cas car nous ne pouvons pas généraliser
ces problèmes, ne tiennent pas compte du fait que les effets écologiques d'une plante
transgénique dépendront aussi des introductions précédentes. C'est ce qu'on a un peu
expliqué avec la résistance aux herbicides.
Eviter les résistances croisées à des herbicides totaux nécessite lorsque nous
évaluons une plante résistante à un herbicide total, de savoir ce qui a été fait
auparavant. Cela posera effectivement des problèmes de gestion du territoire agricole
assez complexes.
En général, et vous l'avez mentionné, Monsieur le Président, nous pensons aux
problèmes des flux de gènes. A priori cela paraît être la caractéristique principale
des plantes transgéniques.
Ces flux de gènes représentent ce que nous pourrions appeler une pollution
génétique qui, à la différence de la pollution chimique ou radioactive que nous avons
déjà malheureusement connue depuis un certain nombre d'années, est totalement
irréversible.
C'est ce point qui me paraît particulièrement important dans l'application du
principe de précaution : c'est l'irréversibilité de la pollution génétique.
Les plantes transgéniques, les organismes génétiquement manipulés sont des
organismes vivants qui se reproduisent, se multiplient et deviennent néfastes. Si le
gène est effectivement transféré à des espèces apparentées, il n'est plus possible
de le rapporter au laboratoire.
A l'heure actuelle les conséquences en chaîne de ce flux de gènes sur les
écosystèmes sont extrêmement mal évaluées et je crois que c'est pour cette raison
qu'il ne faut pas disséminer aujourd'hui sur de grands espaces.
L'exemple américain avec des millions d'hectares déjà semés n'est pas un bon
exemple pour parler de l'absence de dangers ou de conséquences écologiques graves car
ces conséquences écologiques se produisent sur des dizaines, voire des vingtaines ou
trentaines d'années alors que l'application commerciale des OGM aux Etats-Unis ne date
que de trois à quatre ans.
Nous pouvons parler également des problèmes en chaîne qui ne sont pas liés aux flux
de gènes, mais simplement à la pratique agricole qui sera transformée par les plantes
résistant aux herbicides ou celles résistant aux insectes qui représentent la grande
majorité aujourd'hui des plantes transgéniques.
Nous y reviendrons peut-être dans le débat, mais il est vrai que si une plante Bt
résistant aux insectes transmet son gène à des espèces apparentées, non seulement ces
espèces pourront devenir invasives comme cela a été mentionné, mais cela accélérera
très fortement la résistance des insectes.
Je crois que je vais m'arrêter là, mais je pourrais continuer...
M. le Président - Il y a huit minutes de moyenne pour les
quatre premiers.
M. Apoteker - Je vais m'arrêter là, merci.
M. Tepfer - Je vous parlerai de plantes transgéniques
résistantes aux maladies virales et des risques éventuels qui peuvent leur être
associés.
Nous travaillons sur ce sujet au laboratoire. Depuis environ douze ans nous étudions
différentes stratégies de création de gènes de résistance aux virus et depuis un peu
moins longtemps nous étudions des risques potentiels.
L'intitulé de cette table ronde comportant aussi un volet avantages, je vais
également en parler.
Lorsque nous parlons de résistance aux virus, nous parlons de plusieurs sortes
d'avantages dont certains que nous négligeons un peu.
Il est clair qu'il existe des cas où un des avantages très importants est ce que nous
a dit hier le Ministre, c'est-à-dire une augmentation du rendement de certaines cultures.
Même si en Europe nous sommes dans une situation de large suffisance de production
agronomique, ce n'est pas forcément le cas au niveau mondial. Il ne faut pas oublier
qu'il existe des maladies virales chez le manioc et d'autres espèces très importantes
dans les pays en voie de développement avec des augmentations de population à prévoir
dans les décennies à venir.
Cela fait que nous ne pouvons pas négliger l'outil transgénique pour apporter, si
nécessaire, des augmentations de rendement au niveau mondial.
Par ailleurs en ce qui concerne les intérêts commerciaux des semenciers français, si
la France veut continuer à jouer un rôle dans les semences au niveau international, nous
ne pouvons pas négliger les outils et les questions de rendement.
Il y a aussi des phénomènes de qualité. Des maladies virales peuvent affecter la
qualité des produits, ce qui est un problème tout à fait réel en Europe.
Un autre point souvent soulevé est que nous utilisons des pesticides pour éliminer
les vecteurs de virose chez les plantes. Si nous pouvions créer des plantes résistantes,
cela permettrait de diminuer l'utilisation de certains pesticides particulièrement
nocifs.
Je reviendrai à la fin de mon exposé sur cette question précise.
Lorsque nous parlons de plantes transgéniques résistant aux maladies virales, nous
parlons essentiellement de plantes qui expriment un segment de génome viral. Le plus
souvent ce sont des gènes qui codent pour la protéine de la coque virale, la protéine
de capside et c'est quelque chose de très important.
Il faut dire aussi que les gènes de résistance capside sont très efficaces. Nous
avons pu créer dans différents laboratoires partout dans le monde de très nombreux
gènes de résistance aux maladies virales qui marchent très bien. L'avenir potentiel de
ces résistances est très important.
Quels sont les risques que nous évoquons lorsque nous parlons des gènes viraux dans
les plantes, les gènes de résistance aux maladies virales ?
Celui qui semble poser le plus de problème est le potentiel de recombinaison et je
vais développer un peu ce point précis.
La question est toute simple. Puisque la plante transgénique résistante exprime un
segment de génome viral, lorsqu'elle est infectée par un virus, peut-il y avoir, à
partir du transgène, échange d'informations génétiques des gènes qui seraient
introduits, dont le virus infectant ?
Nous intégrerions des informations génétiques dans un génome viral ce qui
permettrait éventuellement la création de nouveaux virus.
Cette question est tout à fait intéressante et, en tant que tel, le phénomène a pu
être démontré en laboratoire.
Sans entrer dans les détails, pour les chercheurs actuellement, la question
réellement importante aujourd'hui n'est pas tant de savoir si la combinaison peut avoir
lieu dans les plantes transgéniques, mais quel pourrait être son impact.
En fait la recombinaison entre génomes viraux est un phénomène naturel, les plantes
sont très souvent infectées par plusieurs virus en même temps. Toutes les études des
évolutions des génomes viraux qui se font actuellement, montrent que la recombinaison
est un phénomène extrêmement fréquent.
Les virus dont nous connaissons la séquence génomique sont quasiment toujours plus ou
moins recombinés, dérivés d'autres génomes viraux plus ou moins apparentés.
La question est donc de savoir si les recombinaisons qui peuvent avoir lieu dans une
plante transgénique se font à une fréquence différente de ce qui existe déjà dans la
nature ou si elles peuvent être de nature différente. C'est là que la question doit
réellement se situer.
Pour terminer je voudrais juste donner un exemple qui peut nous concerner tous. Lorsque
nous parlons de risques, dès que nous admettons qu'il peut y avoir un risque, la tendance
chez certains est de pousser des hauts cris et de dire que s'il y a des risques ils n'en
veulent pas.
Il faut citer quelques exemples concernant la France et pour lesquels les Français ne
réagiraient pas forcément de cette manière. Un des exemples les plus parlants est celui
d'une maladie très grave de la vigne causée par un virus.
Ce virus est actuellement contrôlé essentiellement par l'utilisation d'un hématicide
qui tue le vecteur, c'est-à-dire un petit ver dans le sol des vignes. Cet hématicide est
très toxique et il est prévu de ne plus s'en servir dans quelques années, je crois que
c'est déjà décidé au niveau européen.
D'une certaine façon pour les vignes françaises, nous avons le choix entre trois
possibilités :
- nous continuons à utiliser l'hématicide qui est toxique et risque de
contaminer les nappes phréatiques,
- nous utilisons des vignes transgéniques qui résistent au virus en question,
c'est en cours de développement dans quelques laboratoires,
- nous acceptons d'arrêter l'utilisation du pesticide et nous ne voulons pas de
vignes transgéniques.
En fait il faut assumer les conséquences de notre choix, quelles sont-elles ?
D'une part une perte de quantité de production de raisins très importante, mais
également une perte de qualité qui est plus ou moins catastrophique. Les vins produits
à partir de vigne atteinte par ce virus ne sont pas bons.
Je crois que même pour le Français moyen, le choix entre ces différentes
possibilités est très compliqué et je vous laisse voter à l'heure du déjeuner pour
l'une de ces trois possibilités.
M. le Président - Très bien, nous verrons cette question
avec le vin tout à l'heure.
Monsieur Tillous-Borde, de la Fédération des oléoprotéagineux, est le dernier
intervenant.
M. Tillous-Borde - Merci, Monsieur le Président, de m'avoir
invité à cette table ronde.
Bien entendu, en tant que représentant des producteurs d'oléagineux et de
protéagineux, c'est la conscience du producteur qui est interrogée, mais bien entendu
aussi par rapport au citoyen qui l'entoure.
Par rapport à ce qui a été dit, le producteur de protéagineux est quand même dans
une situation un peu particulière en Europe puisque c'est le seul grand secteur
déficitaire : nous importons pratiquement 80 % de nos besoins en protéines
végétales.
Sur les 50 millions de tonnes d'importation de produits agricoles, une bonne
trentaine de millions proviennent des sojas ou autres produits venant des Amériques du
Nord ou du Sud.
Compte tenu de ce contexte économique c'est un problème particulièrement important
qui nous est posé aujourd'hui.
Par rapport au débat posé, le producteur n'a jamais été fermé à l'innovation,
mais a toujours eu une attitude mesurée par rapport à elle.
Aujourd'hui il réfléchit à ce qu'on lui propose à la fois par rapport au problème
économique, au problème de la qualité des produits qu'il serait capable de produire et
bien entendu par rapport au problème de la pollution. Il est souvent la cible et il doit
voir ce que cela peut apporter par rapport au problème de pollution.
J'ai trois remarques à faire.
Nous avons évoqué le problème de la dissémination et, effectivement pour certaines
espèces, je crois qu'il ne faut pas nier les flux de gènes. Cela existe, c'est un
phénomène naturel, heureusement, c'est ce qui fait un peu la richesse de notre
patrimoine génétique. Mais ce n'est pas quelque chose de spécifique aux OGM. Qu'il y
ait gènes ou transgènes, le problème est le même.
Sur ce plan, je pense qu'il ne faut pas avoir une attitude généralisée, mais une
attitude au cas par cas. Ce n'est pas la même chose de parler d'OGM, comme vous l'avez
mentionné tout à l'heure, Monsieur le Président, de deuxième génération qui sont
amenés à améliorer la qualité des produits, par exemple modifier le spectre d'acides
gras de certains oléagineux qui répondront ainsi mieux aux besoins alimentaires.
S'il y a effectivement dissémination, ce n'est pas une contrainte en soi. D'ailleurs
nous avons déjà été amenés dans le passé à traiter ce genre de problèmes, lorsque,
dans les années 80, il a fallu réduire les colzas riches en acide gras érucique pour
diverses raisons et que nous sommes passés à des colzas dits "double zéro".
Nous avons su faire, nous avons fait et cela n'a posé ni de problèmes d'éthiques ni
de problèmes majeurs par rapport à l'environnement.
Nous avons parlé du problème de résistance aux herbicides. Je dirais
qu'effectivement, dans les conditions extrêmement particulières de forçage, l'INRA a
montré qu'il pouvait y avoir un transfert de pollen vers des plantes, des composites
mâles stériles. Ce sont des conditions très particulières, il ne faut pas le nier.
Nous nous apercevons aussi que, dans les champs, dans des expérimentations qui
existent aujourd'hui, il n'y a pas la pression génétique, il n'y a pas, pour l'instant,
de transfert apparent de ces points.
De toute façon que cela se produise ou non, le problème - et cela a été
souligné par plusieurs intervenants - est un problème de gestion agronomique de la
sole. Le problème est de savoir si nous n'agissons pas inutilement lorsque nous
utilisions des semences de ce type.
Normalement cela part d'un bon sentiment, il s'agit d'utiliser moins de pesticides.
Nous reviendrions un peu à la case de départ si ceci était démontré et nous serions
obligés de réutiliser ce qu'on appelle des pesticides spécifiques au cas où des
repousses ou des adventices auraient reçu cette résistance.
Il y a un problème de gestion plutôt de patrimoine agricole, donc de soles. C'est un
cas à traiter sans doute à part, pour lequel il faut sans doute approfondir les
connaissances et qui n'est pas non plus grave en soi.
Le problème des insectes qui est un autre cas a déjà été envisagé, je ne
reviendrai pas dessus.
Une réflexion que nous pouvons aussi avoir, est de savoir ce que nous pouvons apporter
à l'environnement. Cela peut aussi lui apporter de bonnes choses.
Lorsque nous prenons en compte les nouvelles plantes qui, par exemple, maîtriseraient
mieux l'assimilation de l'azote nitrique du sol et permettraient ainsi de mettre moins
d'engrais ou encore permettraient à la plante de l'absorber au bon moment, nous voyons
bien que c'est un élément favorable dans la maîtrise de l'environnement. Nous ne
pouvons donc pas nier ce que cela peut apporter.
Il en est de même lorsque je parlais de qualité de produits tout à l'heure. Nous
envisageons, et c'est pour demain, des produits oléagineux à spectre d'acides aminés
également modifiés. Ces produits permettraient d'avoir une nutrition plus adaptée aux
besoins des animaux, c'est-à-dire produisant moins d'excréments.
C'est peut-être aussi une manière intelligente de traiter les problèmes de
l'environnement. Il ne faut pas nier ceux-ci mais les considérer.
Vous voyez plusieurs aspects entre la dissémination et l'apport à l'environnement. Je
pense que c'est un problème assez important.
Une troisième réflexion que je ferai pour conclure est que c'est un problème
mondial.
Ces problèmes ne se posent pas uniquement au niveau de l'Hexagone. S'il y a des
disséminations en France, elles existent en Pologne, au Canada, dans des zones
équivalentes de production.
Nous avons dit aussi : commerce international, le produit bouge, c'est une
responsabilité de l'ensemble des scientifiques. Je pense qu'à ce sujet nous devons
vaincre nos peurs, faire confiance aux scientifiques.
Il y a encore énormément de travail à faire, mais attention, nous étions le pays
vraisemblablement le plus riche en patrimoine génétique dans le monde. Il ne faudrait
pas qu'en laissant faire les autres, nous perdions notre valeur et que notre agriculture
en pâtisse.
M. le Président - Nous voyons qu'en matière
d'environnement vous avez des opinions tranchées. Ce n'est pas du tout comme dans le
débat sur les consommateurs tout à l'heure qui était pourtant animé.
Certains d'entre vous disent que finalement les OGM apporteront des risques très forts
en matière d'environnement. Il faut que le principe de précaution s'applique, il faut le
moratoire, il faut étudier parce que nous n'avons pas suffisamment de recul même avec
des expérimentations en champs ouverts.
D'autres disent que tout ceci est réglé, il s'agit de techniques culturales, ce ne
sont pas des problèmes d'environnement. Nous avions les problèmes d'environnement, nous
les avons dans les conditions classiques de culture, nous avons donc déjà ces problèmes
et nous les avons déjà gérés ce qui n'est pas toujours vrai ou ce qui n'a pas toujours
été fait de la même manière.
Je caricature pour bien montrer et pour que vous puissiez répondre à certaines
questions.
Première question : effectivement Monsieur Tepfer donne un bon exemple qui
est celui des herbicides et des pesticides qui existent actuellement.
Nous pouvons le regretter, nous avons modifié les législations européennes avec les
taux d'atrazine et de cimazine, cela contamine les nappes phréatiques, l'eau, plusieurs
problèmes se posent.
D'ailleurs au niveau des peurs psychologiques, je vous donne le sondage réalisé sur
le consommateur européen car je n'ai pas celui sur le consommateur français. Ce qui
vient en deuxième position dans les peurs, ce sont les résidus de pesticides, 79 %
des consommateurs en ont peur pour en moyenne contre 44 % pour le génie génétique
aujourd'hui.
Cela peut évoluer car de nombreuses personnes ne savent pas ce que c'est. Je vous l'ai
déjà dit hier et je vous ai donné des exemples.
Est-ce aujourd'hui une alternative plutôt meilleure ? Vous avez parlé de la
vigne, avec des gestions qui seront difficiles. Cela peut-il venir en remplacement des
pesticides ou des herbicides ?
Il y a des problèmes, Monsieur Gouyon et Monsieur Tepfer l'indiquaient, les
industriels un peu moins, mais il y a des problèmes bien ciblés, bien identifiés.
Finalement devons-nous nous poser cette question ainsi ?
Au contraire, devons-nous nous dire que nous avons les pesticides et les herbicides, et
que nous les avons acceptés parce que nous avons admis en fin de compte que l'agriculture
devait être compétitive. Nous admettons cela, mais n'admettrons-nous rien de plus, rien
de nouveau ?
Je voudrais que vous répondiez d'abord à cette question.
M. Gouyon - Je voudrais vous dire qu'en ce qui concerne tous ces
produits qui sont plus ou moins indésirables dans l'environnement, tous ces pesticides,
je pense qu'il s'agit de molécules dont nous avons besoin, dont nous nous servons.
Certaines sont toxiques et nous aimerions les remplacer par des moins toxiques.
Il faut savoir que lorsqu'une mauvaise herbe commence à se montrer résistante à un
herbicide, les agriculteurs ne l'abandonnent pas, ils commencent par augmenter les doses
et si cela ne marche pas, ils le mélangent avec d'autres.
En fin de compte le fait que des plantes, des mauvaises herbes ou des cultures
indésirables dans le champ en question deviennent résistantes à un herbicide, amène
effectivement une augmentation générale de la pollution par ces pesticides.
Cela dit, je ne suis pas du tout pour l'interdiction des OGM, mais je trouve que nous
devrions réellement raisonner sur la façon dont nous devons les utiliser.
A l'heure actuelle, je comprends très bien que pour des raisons économiques les
industriels soient pressés de sortir des produits et de prendre pied sur le marché. Je
pense que c'est une difficulté et que si nous les empêchions totalement de le faire,
cela pourrait nous coûter cher.
D'un autre côté cependant, nous avons un peu l'impression qu'à l'heure actuelle, les
produits proposés au niveau OGM, sont presque des prototypes. On essaye de nous faire
prendre les vieux Bréguet pour des avions de ligne modernes et là, il y a quand même
une précaution supplémentaire à prendre.
Ce n'est donc pas un principe de précaution absolue, mais il s'agit juste de demander
d'attendre que nous sortions des produits un peu plus élaborés. Nous sommes tous
capables de dire ce que nous aimerions qu'un maïs ou un colza fasse par rapport à ce
qu'ils font actuellement et nous savons que c'est faisable.
A quel moment est-ce que cela sera acceptable ? C'est là que la question se pose.
M. le Président - Une question complémentaire,
Monsieur Gouyon. Il y a plusieurs produits actuellement dans les "tuyaux"
à Bruxelles.
Vous seriez dans les commissions d'accréditation, accepteriez-vous tous ces
produits ? Ce sont surtout des maïs, mais il y a un colza. Diriez-vous au contraire
qu'il est nécessaire de faire des études complémentaires ?
M. Gouyon - Je vous avoue très sincèrement que dans l'état
actuel des choses, je ne suis pas très favorable au fait que nous mettions des
résistances aux deux herbicides précieux (Basta et Roundup) dans le colza. Là, je peux
vous répondre assez facilement.
Concernant les nouveaux maïs qui sortent, ceux-ci n'ont plus la résistance aux
antibiotiques, c'est déjà un progrès. En revanche nous pouvons regretter qu'ils
produisent de façon constitutive la toxine du bacillus thuringiensis qui tue les
insectes et ceci constamment.
Les producteurs, les grandes entreprises industrielles sont en train de chercher à
faire des productions inductibles. Pour moi l'OGM propre sera celui qui n'exprimera la
toxine que lorsque nous le lui demanderons.
Faut-il attendre que cela existe pour accepter ce genre de maïs ou pas ? Je ne
pense pas avoir les compétences pour vous dire s'il faut accepter ou non ce maïs, je ne
connais pas les éléments économiques réels en jeu.
Je peux dire que si cela ne coûte pas trop cher au plan économique, je préférerais
que nous attendions des produits un peu plus élaborés.
M. le Président - Un industriel veut-il donner un avis sur
les mêmes questions ?
M. Convent - Il est indéniable que des progrès se feront. Nous
l'avons également dit hier lorsque nous avons présenté la discussion sur l'étude du
génome et de toutes les connaissances qui pourront être développées à ce moment-là.
En revanche, ne pas considérer aujourd'hui les produits qui sont disponibles sur la
liste autorisée à Bruxelles et dans d'autres pays pour faire davantage progresser les
connaissances de cette nouvelle approche qui pourra donner beaucoup d'avantages
ultérieurement, serait retarder considérablement cette nouvelle progression.
En effet l'utilisation de ces plantes tolérantes aux herbicides permet d'étudier
très pratiquement les conséquences de la gestion et les conséquences sur les
croisements qui pourraient éventuellement exister entre cultures.
Ce serait vraiment retarder, je crois, le progrès.
Maintenant en ce qui concerne l'introduction de ces plantes tolérantes, nous sommes
tout à fait d'accord de la faire d'une façon encadrée, de les mettre en place avec les
systèmes de biovigilance nécessaires et ensuite d'apprendre et de continuer à chercher
les meilleures solutions.
M. le Président - En complément de ceci, finalement il y
a quand même dix ans que c'est en champ et trente commissions ont donné des avis
positifs.
Il y a dix ans que vous faites de la recherche sur ce sujet. Il est vrai que le
chercheur a toujours tendance - et je l'étais - à demander l'étude de ces
sujets de recherche car ce sont des crédits qui arrivent. Je connais ceci et c'est fort
légitime.
Cela dit, cela fait dix ans qu'il y a de la recherche. J'ai entendu
Monsieur Apoteker dire qu'il y a d'énormes dangers pour les écosystèmes.
Finalement, n'avons-nous aucune expérience au bout de ces dix ans ce qui voudrait dire
que nous n'en avons pas eu du tout ?
Avons-nous déjà une expérience sur ces dix ans ? Pouvons-nous dire que des
problèmes d'écosystèmes se sont déjà posés ?
Pouvez-vous dire aujourd'hui que des vrais problèmes se sont posés ? Dans
l'affirmative lesquels ?
Monsieur Gouyon d'abord, puis Monsieur Apoteker et éventuellement une autre
personne.
M. Gouyon - Je voudrais vous rassurer tout de suite pour ce qui
concerne la recherche.
Malheureusement ces questions n'étant pas du tout reconnues comme majeures par les
organismes de recherche, nous ne recevons à peu près rien lorsque nous travaillons sur
ces sujets.
M. le Président - Nous le dirons au ministre,
M. Allègre, ce soir.
M. Gouyon - Il est assez difficile de caser des étudiants qui
ont été formés sur ce genre de sujet. Je voudrais que vous le sachiez, à l'heure
actuelle nous sommes obligés de les faire se reconvertir dans d'autres domaines pour
qu'ils trouvent du travail.
C'est plutôt de l'altruisme de travailler sur de tels sujets dans les laboratoires de
recherche.
M. le Président - Hier les ministres ont tous dit qu'ils
allaient le faire.
M. Gouyon - Cela fait des années qu'ils le disent. A part cela,
depuis dix ans que nous travaillons sur ces questions, qu'avons-nous pu faire ?
Nous avons pu essayer de regarder des choses qui ressemblaient à des OGM sans en
être, par exemple des résistances à des herbicides qui n'étaient pas OGM et voir
comment elles se répandaient.
C'est très curieux, mais actuellement il est vrai que nous ne sommes pas capables de
prédire la manière dont se répandra une résistance.
Sur une petite plante, le son, est apparue la résistance à l'atrazine en Champagne.
Cette résistance est descendue toute la vallée du Rhône et a envahi les vignobles du
sud de la France. C'est le même gène qui s'est transmis ainsi. Or il n'est jamais monté
de chaque côté de la vallée du Rhône et surtout il n'est jamais parti ni vers le nord,
ni vers l'est, ni vers l'ouest à partir de son point de départ en Champagne.
A l'heure actuelle, nous sommes incapables de comprendre pourquoi cela s'est fait
ainsi. Nous sommes en train de travailler là-dessus.
M. le Président - Ceci veut dire que pour l'atrazine,
pesticide que nous n'avons pas hésité à utiliser, nous avons vu une résistance non-OGM
et là nous le traitons en technique culturale.
M. Gouyon - Tout à fait. Cela veut dire que nous avons
augmenté les doses, fait des cocktails. L'atrazine n'était pas un herbicide total dès
le départ car certaines plantes y résistent naturellement, c'est la différence avec les
deux herbicides Basta et Roundup.
M. le Président - Pour que ce soit clair pour tous, y
compris pour le Parlement lorsque nous aurons cette question à poser, cela veut dire que
les OGM ne posent pas de problème nouveau par rapport à l'utilisation des pesticides ou
des herbicides.
M. Gouyon - Si parce qu'ils s'attaquent à deux herbicides pour
lesquels il n'y avait pas de résistance avant.
M. le Président - Excepté les totaux.
M. Gouyon - Oui, mais pour le moment il n'y a que ceux-là.
M. le Président - Je pose la question sur tous les
herbicides.
M. Gouyon - Excepté les totaux. Si nous reprenions un gène qui
existe déjà et que nous le mettions dans une plante, cela ne poserait pas le même
problème.
Evidemment nous n'avons pas pu voir de problèmes avec les OGM dans la mesure où,
jusqu'à maintenant, ils n'étaient pas disséminés, mais nous avons vu des problèmes
qui y ressemblaient et qui se sont effectivement posés.
Nous pouvons dire que comme les choses se produisent naturellement, ce n'est pas très
grave si nous les induisons par notre activité. D'un autre côté cependant comme de
nombreuses catastrophes s'induisent naturellement, nous n'avons pas envie d'en augmenter
la proportion par notre activité.
Même si des phénomènes de diffusion de résistance à des herbicides se produisent
naturellement, ce n'est pas une raison pour faire exprès qu'il y en ait encore plus. Au
contraire, par notre activité, nous devrions essayer de faire en sorte que cela arrive le
moins souvent possible.
M. Apoteker - Je voudrais rebondir sur ce que vous avez dit.
Vous avez mentionné ces dix ans de recherche. Encore une fois, dix ans pour ce qui est
des effets sur les écosystèmes, c'est extrêmement peu. Si nous voyions en dix ans des
effets extrêmement grave sur un écosystème, il faudrait immédiatement tout arrêter.
En ce qui concerne les introductions d'espèces exotiques, nous avons commencé à voir
les effets au bout de quinze, vingt ans.
Cela ne paraît donc pas significatif et je dirai qu'à l'inverse, nous n'avons pas vu
de gros problèmes écologiques, mais qu'au fur et à mesure de la recherche, nous voyons
une somme de petits problèmes inquiétants qui n'étaient pas forcément soupçonnés au
départ.
Nous avons parlé par exemple des disséminations de gènes chez le colza, nous avons
vu les différents articles qui parlaient de la distance de dissémination.
Initialement nous pensions que cette distance était extrêmement faible, voire
inexistante, puis nous avons parlé de 80 m autour des parcelles, après de
500 m. Maintenant nous voyons des croisements qui ont lieu à 2,5 km autour de
parcelles expérimentales.
Je crois que nous avons suffisamment d'éléments et si aucun n'est absolument
catastrophique aujourd'hui, ils devraient quand même nous inciter à la prudence.
Je voudrais aussi répondre très rapidement au problème des alternatives.
Aujourd'hui nous nous rendons compte que la pollution par les insecticides et les
herbicides est un problème extrêmement important, que ce soit au niveau des nappes
phréatiques, des sols ou même à celui des résidus de pesticides dans les plantes.
Je crois que l'alternative ne se résume pas uniquement à : "biotechnologie
ou utilisation de pesticides".
D'une part les augmentations de résistance aussi bien des insectes que des mauvaises
herbes à des herbicides montrent que cette alternative n'est au mieux que provisoire et
non à long terme.
D'autre part, et cela a déjà été souligné, nous voulons essayer de nous orienter
- ce sera un des thèmes de la loi d'orientation agricole - vers une agriculture
plus durable. Les ressources considérables mises dans la recherche sur les OGM pourraient
être utilement orientées vers des alternatives qui iraient davantage dans le sens d'une
agriculture durable.
Je pense entre autres à la lutte biologique. A cet égard, concernant l'exemple du
maïs Bt qui vient juste d'être autorisé en France, vous avez sans doute tous vu que
nous avons parlé récemment de la lutte biologique avec le trichogramme qui donne
peut-être des résultats un peu moins bons que les OGM, mais encore une fois la pyrale du
maïs n'est responsable que de la perte de 7 % des récoltes, soit un différentiel
assez faible.
A mon avis, nous pourrions essayer de développer utilement des alternatives de lutte
biologique aux alternatives biotechnologiques.
M. le Président - J'ai une question pour les industriels
qui va dans le sens de ce qui vient d'être dit.
Aujourd'hui nous sommes dans un débat sur des gènes de résistance à des herbicides
totaux et je crois qu'un vrai problème vient d'être posé par plusieurs intervenants.
Vous indiquez qu'il est finalement très important de développer les OGM parce que
nous sommes dépendants économiquement d'importations de soja dont les acides aminés
sont indispensables. Dans l'alimentation du bétail il faut de la lysine et de la
méthionine, c'est-à-dire qu'il faut trouver des plantes qui ont des taux importants en
lysine et en méthionine.
Pourquoi dans les programmes de recherche n'avez-vous pas commencé à fabriquer des
plantes riches en lysine ou en méthionine voire même, puisque vous parliez de gestion
des assolements tout à l'heure, à fabriquer du pois dans les gestions d'assolement de
manière traditionnelle et du pois où ces composants auraient été augmentés ?
C'est un peu comme les problèmes nutritionnels abordés dans la table ronde
précédemment. Pourquoi n'avons-nous pas pris les bons produits ?
Sans doute ce sont les produits les plus rentables qui ont été commercialisés en
premier, cela dépendant d'ailleurs pour qui... ?
M. Tillous-Borde - Ce sont les plus faciles.
M. le Président - Les plus faciles et pas forcément les
meilleurs produits ?
M. Tillous-Borde - C'est plutôt à Monsieur Convent de
répondre car il est un spécialiste en la matière.
C'est sans doute effectivement parce qu'il était plus facile, au départ, de faire de
la transgénèse sur la résistance à des herbicides - le marché était
probablement également plus important - que simplement répondre à des problèmes
de modifications technologiques ou qualitatives de la plante.
Encore une fois, je voudrais revenir sur le fait que, pour l'instant à ce stade et en
vraie grandeur, cette dissémination - vous avez parlé tout à l'heure du colza et
du colza ravenelle - n'a pas été démontrée alors qu'elle est étudiée.
Je ne nie cependant pas qu'il y a forcément des flux de gènes dans la nature, il
serait ridicule de dire l'inverse.
Bien évidement pour l'agriculteur, tout ce débat existe dans la mesure où cela peut
lui apporter quelque chose. Si nous ne lui démontrons pas que cela lui apporte quelque
chose et que cela apporte également une qualité du produit aux consommateurs, je ne vois
pas pourquoi il utiliserait ces produits. Ce n'est pas un stakhanoviste de l'utilisation
des produits OGM.
Par ailleurs vous parlez de rotation, en l'occurrence, si nous parlons d'oléagineux,
ce sont des têtes d'assolement.
J'ai bien souligné tout à l'heure que la résistance aux herbicides n'est pas un
problème de dissémination à travers la totalité de notre écosystème, mais vraiment
beaucoup plus un problème agronomique de culture de la plante.
Dans la rotation, nous passons après à une céréale. Ce n'est plus le même produit
de traitement, nous réutilisons un produit spécifique. Il n'y a donc pas de grand danger
en soi. Au niveau agricole, nous sommes vraisemblablement capables de maîtriser les
choses.
Encore une fois, y a-t-il bien intérêt, est-ce bien démontré ? Là c'est aussi
aux conseillers scientifiques de bien nous apporter les preuves.
En revanche, permettez-moi d'insister sur le fait que lorsque nous parlons
d'amélioration de la qualité des graines comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il
serait vraiment effectivement monstrueux de fermer cette possibilité dans la mesure où
cela répondrait à un besoin pour l'ensemble de notre population et à une meilleure
efficacité de l'utilisation des produits transformés.
De toute façon, il faut faire attention au fait que ces produits viennent librement de
l'extérieur. Que ce soit en termes d'utilisation alimentaire ou en termes du problème de
cette table ronde qui est plus environnement, le produit rentre librement par le commerce.
C'est donc bien un problème de conscience mondiale et pas uniquement un problème de
conscience hexagonale.
M. le Président - Les problèmes d'environnement ne sont
pas forcément les mêmes dans un pays que dans un autre, il faut donc les traiter
différemment.
M. Tillous-Borde - Ils sont très voisins. Au Canada ce n'est
pas forcément la même adventice, mais le phénomène existe de la même manière. En
Pologne c'en est encore une autre.
M. le Président - Monsieur Convent, il faut essayer
d'avancer car les points de vue sont diamétralement opposés.
M. Convent - Je voudrais revenir un peu sur ce que mon voisin a
dit il y a quelques instants.
Il dit que nous n'avons pas d'expérience et que lorsque les expériences sont courtes,
par exemple une dizaine d'années, ce n'est peut-être pas suffisant en milieu
d'environnement.
En revanche, il faut quand même convenir que les augmentations spectaculaires des
surfaces de colza qui ont eu lieu en France ne datent pas d'il y a cent ans, mais d'il y a
vingt, trente ans.
S'il y avait eu un flux de gènes très important par rapport aux herbes sauvages
(ravenelle, cinapis ardensis, etc.), nous aurions pu constater des effets autrement
importants vu la pression de pollen qui existe. Le pollen voyage à 3 km car il est
transféré par les abeilles qui butinent dans un rayon de 3 km.
Cela dit, je pense qu'il faut intégrer les expériences ultérieures que nous avons
eues dans le domaine. Peu importe si ce gène est présent par une technique
d'amélioration ou une technique de génie biomoléculaire.
Lorsque l'INRA introduit une résistance à une maladie dans le colza, s'il y avait des
risques de flux importants de gènes, nous conférerions théoriquement un avantage de
sélection aux ravenelles et autres mauvaises herbes.
Tous ces éléments peuvent être intégrés dans l'expérience que nous avons acquise.
Je vous rappelle que PGS est une société issue de l'université de Gand qui est un
exemple de ce que, demain, nous devrions davantage créer en France, cela a été dit à
la table ronde sur le génome, pour pouvoir progresser, maîtriser les connaissances et
les appliquer.
Il y a dix ans, les connaissances permettant de connaître le métabolisme complexe de
la production de certaines huiles ou autres éléments organoleptiques dont nous avons
parlé ce matin, n'étaient pas disponibles de la façon dont elles le deviennent
maintenant. Il a donc fallu commencer avec des choses traçables également pour les
expériences, les sélections, etc.
Le marqueur est un outil remarquablement utilisé dans ce domaine et qui a fait
énormément progresser la science dans le domaine de la biogénétique.
M. le Président - Quand avez-vous planté de manière
expérimentale votre premier colza en Europe ?
M. Convent - A l'époque j'étais responsable de recherche pour
la division agrochimique de Roussel Uclaf et nous avons fait, Roussel Uclaf et l'INRA, les
premiers essais en 1987 ou 1986.
M. le Président - Il y a onze ans.
M. Tepfer - J'ai un point de vue un peu intermédiaire. Je pense
que les dix années d'expérimentation avec les plantes transgéniques nous ont permis
d'avancer énormément dans notre compréhension du flux de gènes chez certaines
espèces, le colza et notamment la betterave.
Je pense que c'est loin d'être négligeable et il ne faut pas non plus perdre de vue
que si nous admettons qu'il peut y avoir des flux de gènes, même si des preuves
formelles sur la rapidité de ces flux ne sont pas encore disponibles, la question
importante porte sur les conséquences.
C'est ce qu'il faut tenter d'examiner au plus près car dans le cas des résistances
aux herbicides, les conséquences potentielles sont l'existence de mauvaises herbes
résistant aux seuls herbicides totaux qui existent. Nous savons à peu près comment le
gérer, nous pouvons imaginer certaines choses.
Lorsqu'il s'agit de transgènes qui peuvent conférer des avantages sélectifs d'ordre
biologique, que ce soit une résistance à un pathogène, au froid ou encore à la
sécheresse, il faut à nouveau se poser la question des conséquences.
Cela ne veut pas dire que les conséquences sont toujours néfastes. Par exemple pour
le foma, les parents sauvages du colza sont-ils déjà résistants ou y sont-ils
sensibles ?
Je ne sais pas car ce n'est pas mon domaine d'expertise personnel. Si les parents
sauvages sont déjà résistants, le transfert n'aura aucun impact écologique.
Il faut donc vraiment examiner chaque exemple au cas par cas car les conséquences ne
sont pas du tout semblables.
M. le Président - Monsieur Vincent, vous avez été
fortement mis en cause tout à l'heure sur la betterave par Monsieur Gouyon et vous
n'avez pas répondu.
Qu'avez-vous à répondre à Monsieur Gouyon qui dit que c'est au niveau de la
betterave qu'il peut y avoir le plus de problème ?
Ce n'est pas exactement ce qu'on m'a dit lors des auditions. Un certain nombre de
chercheurs ont énormément relativisé le risque chez les betteraves sauvages. Je
souhaiterais que nous puissions avoir ce débat et que vous répondiez à
Monsieur Gouyon.
M. Vincent - Il y a plusieurs risques pour différents types de
population de betteraves, il y a la betterave racine cultivée dans le tiers nord de la
France.
Les populations en danger sont de deux natures.
La première est la betta vulgaris subspecies maritima. C'est la betterave
botanique qui pousse sur une bande de quelques mètres le long du littoral. Cela concerne
le littoral allant de la frontière belge à la plaine de Caen puisqu'on ne cultive pas de
betteraves au-delà du Calvados.
Les autres populations concernées sont les populations de betteraves adventices que
nous trouvons dans les champs de betteraves racines. Ce sont des dérivés amenés par les
betteraves cultivées, introduites par l'homme depuis qu'il cultive de la betterave dans
ces régions. Elles n'appartiennent donc pas à la flore naturelle des régions où nous
cultivons des betteraves racines.
Premier point : détruire ces betteraves adventices par le système de betteraves
résistantes est une manière d'atteindre notre but consistant à dépolluer la flore
naturelle de ces betteraves adventices. C'est le premier cas de figure.
Supposons que ces betteraves adventices qui sont des parasites, acquièrent le
caractère de résistance. A ce moment-là nous retombons dans le cas de figure actuel.
Les betteraves qui, aujourd'hui sont adventices, sont par définition résistantes au
désherbage puisque nous n'arrivons pas à les éliminer par les méthodes classiques.
En l'occurrence en matière de betterave racine, en culture industrielle, ce type de
pollution ou la mesure du risque lié à ce type d'environnement artificiellement créé
par l'homme est insignifiant.
Revenons à la betta maritima qui pousse sur les quelques mètres de littoral.
Je dis bien quelques mètres car je pense que d'un point de vue botanique, cela ne va pas
plus loin même si cette betterave peut vivre dix ans. Ce n'est pas une plante annuelle ou
bisannuelle, mais une plante pérenne.
Les observations et les études faites n'ont jamais aujourd'hui mis en évidence une
rétroversion de la part de la betterave cultivée vers la population de betterave
sauvage ; cela n'a jamais été mis en évidence.
Deuxième point : si cela devait être le cas avec le caractère de résistance,
ce caractère serait conféré à une betta maritima qui n'en a pas besoin et que
de toute façon nous ne combattons ni d'une manière ni d'une autre puisque c'est une
plante sauvage qui n'a pas besoin d'être désherbée.
Cette plante est naturelle, elle fait partie du paysage et en l'occurrence, elle n'est
menacée ni par le gène que nous lui apportons ni par les façons culturales l'entourant.
Supposons néanmoins - et je conçois votre trouble en qualité de spécialiste et
de botaniste - que nous ayons apporté un gène nouveau, que nous ayons modifié la betta
maritima, que nous lui ayons apporté un gène de résistance au glyphosate ou à
quelque chose d'autre, sans vouloir vous provoquer, je vous demande : et alors ?
Ce gène en question ne pénalise pas la plante, il représente même un coût
biologique pour la plante, il ne lui apporte ni une quelconque supériorité sur le reste
de sa population ni une faiblesse par rapport à celle-ci. Il apporte un coût biologique
qui, en l'occurrence, étant inutile, ne se perpétuera pas d'une manière apte à
modifier les équilibres biodynamiques.
M. le Président - Monsieur Gouyon en réponse, j'ai
quelques autres questions après.
M. Gouyon - Il y a plusieurs points.
En premier vous nous dites : depuis dix ans que savez-vous ? On nous dit que
depuis dix ans nous n'avons rien vu, il ne se passe rien. Depuis le temps que nous
cultivons du colza "double zéro", cela n'a rien changé dans les populations
adventices.
Mais nous n'en savons rien, l'étude des populations adventices n'a pas été
faite !
Lorsque je vous disais qu'il n'y avait pas de moyens pour la recherche, comprenez bien
que trois petites équipes travaillent là-dessus en France depuis dix ans. Il y en avait
une quatrième à Lille qui a abandonné faute de moyens.
Ce sont des groupes de deux, trois personnes isolées dans un laboratoire. Mon
laboratoire compte cent personnes, il y en a deux qui travaillent sur cette
question : un chercheur et un étudiant.
Aussi ne croyez pas qu'en dix ans nous avons pu accumuler des sommes fantastiques de
résultats avec des effectifs pareils ! Cela n'a rien à voir avec le nombre de
personnes qui travaillent à la production de plantes transgéniques.
Le résultat est que très récemment, avec le CETIOM entre autres, un nouveau
laboratoire de mathématiques de l'INRA commence à étudier ces questions et nous avons
commencé à essayer de regarder ce qui se passait pour le colza et les adventices.
Nous ne savons tellement rien que cela prendra du temps avant de savoir quelque
chose : il faut repérer les populations adventices, aller les chercher, voir si nous
pouvons trouver des traces de gènes des populations cultivées dedans.
Il faut regarder les colzas sur les bords des routes et se demander d'où ils viennent.
Personne ne sait d'où viennent les colzas qui ne sont pas dans les champs. Personne ne
sait s'ils sont directement issus des graines de culture de l'année d'avant ou s'ils
arrivent à se maintenir tout seuls dans la nature, nous n'en savons rien.
Nous ne savons presque rien sur toutes ces questions et vu nos effectifs, nous
commencerons peut-être à avoir des réponses dans dix ans, mais n'espérez pas que nous
en ayons dans six mois, ce n'est pas possible !
Qu'on ne dise pas que les cultures de colza n'ont rien fait sur les mauvaises
herbes ! Comme personne n'a jamais regardé ce problème, nous ne connaissons pas la
réponse.
M. le Président - Cela a-t-il posé des problèmes ?
M. Gouyon - Je n'en sais rien. Nous ne voyons pas comment le
fait que la ravenelle devienne "double zéro" pourrait poser des problèmes.
M. le Président - C'est davantage sélectif.
M. Gouyon - Effectivement comme le fait de ne plus produire
d'acide érucique pour une ravenelle ne changerait rien, nous ne le verrions pas et cela
ne poserait pas de problèmes.
En revanche le fait de devenir résistante à un herbicide conférerait un avantage
dans les champs à cette mauvaise herbe où là nous verrions le gène se répandre très
vite.
Il suffit de l'arrivée d'un gène de résistance qui marche bien dans une mauvaise
herbe pour que ce gène se répande à une vitesse extraordinaire. La première année
vous n'avez qu'une seule plante qui résiste, elle fait des graines et l'année d'après
ce sont toutes les autres.
M. le Président - Cela se voit vite quand même.
M. Gouyon - Les résistances aux herbicides se voient vite.
M. le Président - Cela peut se combattre.
M. Gouyon - Non. Ce sont des problèmes que nous avons eus avec
l'atrazine, il y a des taches de résistance aux atrazines dans toute une série de
mauvaises herbes.
Une fois que les graines existent, les mauvaises herbes sont des plantes vraiment bien
fabriquées par la sélection naturelle agissant dans le milieu agricole, pour savoir
résister à tout ce que nous savons leur faire. Elles ont des graines qui tiennent
longtemps dans le sol, qui se disséminent bien. Nous ne les éliminerons pas, et une fois
que nous le voyons, c'est trop tard !
Si l'agriculteur avait l'intelligence de dire que comme cette plante est résistante,
il faut qu'il la désherbe à la main, ce serait parfait. Mais nous ne pouvons pas lui
demander de passer son temps à arracher toutes les plantes qui sont là malgré le
désherbage et qui ne sont pas nécessairement résistantes.
M. le Président - Il faut mettre en place la biovigilance,
les ministres l'ont indiqué et vous avez parlé de la gestion des OGM demain.
Comment voyez-vous cela Monsieur Gouyon ?
M. Gouyon - Je répondrai d'abord sur la betterave.
Je suis tout à fait d'accord avec betta maritima des bords de la Manche, ce
n'est pas elle qui nous pose problème pour le moment. En revanche, que se
passe-t-il ?
On nous dit qu'on va mettre une résistance aux herbicides dans les betteraves
cultivées et que de cette manière on se débarrassera des betteraves sauvages puisque
c'est essentiellement d'elles qu'il s'agit.
Evidemment, comme les betteraves cultivées et les betteraves sauvages dans le sud de
la France s'hybrident - il n'y a des betta maritima qu'au bord de la Manche,
mais il y a de très nombreuses betteraves sauvages près des champs de production de
semences dans le sud-ouest - cela veut dire que des graines qui sont des hybrides
entre betteraves cultivées et sauvages et qui se comportent comme des betteraves
sauvages, vont aller dans les champs et être semées dans les champs du nord de la
France.
Que se passera-t-il ? Ces mauvaises herbes, donc betteraves, seront
instantanément résistantes à l'herbicide, cela prendra au maximum deux ou trois ans.
On nous répond que ce n'est pas grave, qu'on sera revenu à la situation d'avant où
on ne savait déjà pas les désherber. Il ne faut pas exagérer. D'accord nous ne saurons
toujours pas les désherber, mais en plus elles seront résistantes à nos herbicides
précieux.
Si dans quelque temps nous trouvions un moyen de rendre les plantes cultivées
résistantes à l'herbicide avec en plus quelque chose qui empêche que cela passe à la
mauvaise herbe, ce sera perdu. Nous aurons beau avoir trouvé ce moyen, comme les
mauvaises herbes seront déjà résistantes, nous ne pourrons plus le faire.
Je trouve que c'est quand même une drôle de mentalité de dire que ce n'est pas très
grave, le gène de résistance traînera, nous aurons gagné pendant deux ans et cela nous
suffira à être rentable. Je trouve que là c'est un manque de responsabilité sur le
long terme.
M. le Président - Je pense que c'est un point important.
Si jamais dans tous les cas c'est ce qui se passe au Canada ou dans d'autres pays même
pas européen, par les semences n'arriverons-nous pas à la même situation ?
M. Gouyon - Si jamais nous importons des semences où il y a eu
des hybridations... Je vous avoue que je n'ai pas étudié la question.
Y a-t-il des betteraves sauvages qui s'hybrident avec des betteraves cultivées au
Canada ? J'avoue que je n'en sais rien et je ne peux pas vous répondre.
M. le Président - D'une manière générale même si nous
mettons en place un système de protection au niveau de l'environnement, si jamais il n'y
a pas le même système de protection au niveau mondial, nous aurons des risques de
contamination par les semences.
M. Gouyon - Il y a des risques indéniables. Cela étant, comme
le disait Arnaud Apoteker, c'est déjà arrivé et cela a donné des catastrophes.
Il faut quand même que vous sachiez qu'il n'y a plus un seul oiseau originel des îles
Hawaii, ils ont tous été éliminés par les introductions que nous avons pu faire, etc.
Je ne vous parle même pas des lapins et de la myxomatose en Australie.
Bien sûr de telles catastrophes ont déjà eu lieu et la question est de savoir
comment minimiser les risques que cela se produise avec nos nouvelles technologies.
Vous m'aviez demandé : quel type de gestion ?
J'ai l'impression qu'à l'heure actuelle nous avons demandé à des personnes
extrêmement compétentes dans un domaine de prendre progressivement des décisions de
plus en plus larges.
La Commission de Génie Biomoléculaire a réalisé des études extrêmement utiles et
progressivement elle s'est trouvée débordée par la masse de toutes les questions
auxquelles elle devait répondre.
Je pense qu'aucune commission à elle toute seule, ne pourra peser complètement le
pour et le contre dans ces débats. Il serait sain que des personnes travaillent sur les
risques, que d'autres travaillent sur les avantages économiques, etc. et qu'un débat
politique ait lieu après à partir de ces évaluations.
Ceci me rendrait un peu confiance. Si jamais des techniciens, dont je fais partie,
devaient donner des avis à eux tout seuls, je n'aurais pas confiance dans leurs avis.
M. le Président - C'est une bonne suggestion qui a déjà
été indiquée hier dans le cadre de la Commission réglementaire et je crois que c'est
effectivement une très bonne suggestion.
Monsieur Vincent, voulez-vous la parole ?
M. Vincent - Je souhaite répliquer à Monsieur Gouyon.
M. le Président - Vous dites qu'il ne faut pas
étiqueter...
M. Vincent - Ne vous méprenez pas, ne portez pas de jugement
sur ce que je vous dis !
En réponse à Monsieur Gouyon, je voudrais insister sur le fait que cette notion
d'hybridation dans les champs de production de semences dans le sud-ouest est un problème
que nous prétendons maîtriser. Je m'explique.
Plusieurs personnes ici dans cette salle savent de quoi je parle puisqu'elles ont
visité, participé, étudié, écrit, réfléchi sur les techniques de production de
semences hybrides dans le sud-ouest.
Sachant que la betterave est une plante anémophile, c'est-à-dire à pollen baladeur
et à fécondation croisée, il y a une certaine vulnérabilité pour que des flux de
gènes s'échappent. Cette vulnérabilité est plus qu'un danger, c'est une réalité, il
y a un risque, le risque existe.
Quelle est la taille du risque ? L'enjeu de notre réunion est de connaître la
taille du risque par rapport à l'environnement.
Risque il y a, oui, je le reconnais. Maintenant en matière de production de semences
hybrides, en utilisant la stérilité mâle, des diploïdes, des triploïdes, des
tétraploïdes, nous arrivons à maîtriser la pureté variétale des hybrides produits à
moins de un pour mille d'impuretés.
A l'échelle de Darwin, il est sûr que c'est gigantesque. Maintenant reste à savoir
quel est l'ordre, mais c'est un autre débat que nous pourrons aborder.
Quel est le coefficient que nous donnons à ces priorités dans notre débat de
société ?
Nous maîtrisons parfaitement les isolements puisqu'il y a :
- 300 m d'isolement entre deux parcelles différentes,
- 600 m d'isolement entre deux parcelles qui utilisent un pollinisateur
différent,
- 1 000 m d'isolement entre des parcelles qui utilisent des betteraves
d'origine différentes.
Il y a une réglementation officielle, une interprofession qui gère, observe,
surveille et sanctionne la production. 3 000 planteurs vivent cela en
interprofession.
Je peux vous dire pour l'avoir vécu que nous organisons des battues non pas avec un
fusil, mais avec une binette où nous ratissons les fossés, les cimetières, les cours de
gendarmerie - je tiens à le dire, ce n'est pas une plaisanterie - de manière
à éliminer tout type de betterave qui pourrait potentiellement émettre du pollen.
Par ailleurs si un incident ou une observation venait à être formulée, l'agriculteur
en danger, menacé par sa faute ou pas, est mis en demeure de retourner sa culture. Et
cela se fait et je l'ai vécu.
C'est sérieux, même s'il y a un risque que je reconnais, ce n'est pas du
bricolage !
Je voudrais dire également que dans cet accord, ce travail que nous faisons avec le
service officiel de contrôle, nous en sommes même arrivé à faire adopter une loi qui
contraigne, dans la gestion des jachères, les agriculteurs responsables d'un champ en
jachère de la propreté de leur champ pendant la jachère. Si nous trouvons la présence
de betterave de quelque nature que ce soit dans leur jachère, la prime de jachère leur
est supprimée.
Ceci veut dire qu'il y a une prise en charge. Nous ne pouvons pas aller jusqu'au bout,
mais j'ai un cahier des charges extrêmement sévère - je l'ai ici à votre
disposition - pour vous démontrer que toutes les précautions sont prises pour
éviter qu'il n'y ait des transferts de gènes vers les populations indésirées.
La population de betta maritima concernée qui pousse dans la région est déjà
sur le littoral à plusieurs dizaines de kilomètres.
M. le Président - Nous en avons déjà assez parlé sauf
si vous avez quelque chose de nouveau à dire, mais il y a d'autres questions.
M. Vincent - Je conclus. Le risque est là, je ne le nie pas, je
suis d'accord avec vous. Je ne veux pas faire preuve d'irresponsabilité en disant que
j'accepte ce risque.
Ceci dit, en termes de débat de société il faut savoir quel est le coefficient de
priorité que nous donnons aux différents paramètres qui attirent notre attention.
M. Roqueplo - Je voudrais relever ce point car cela me paraît
très important dans le débat.
Cela prouve que l'introduction de végétaux génétiquement modifiés oblige à une
surveillance jusque et y compris des jachères, d'où ma question.
Avec la généralisation des végétaux génétiquement modifiés, ne faudra-t-il pas
avoir un double cadastre dont un tiendra en permanence les modes de culture chaque
année ?
Cela veut dire que nous aurons un système de contrôle, une sorte de doublure de la
culture dans tous les chefs-lieux de cantons pour savoir que la parcelle A et autre
qui est à 1 km ont un risque ou non... C'est vertigineux !
M. Vincent - Cela se fait déjà pour les semences, ce n'est pas
l'OGM en soi.
M. le Président - Ces distances sont édictées par des
arrêtés préfectoraux. Cela se fait donc déjà sans aucune référence aux OGM.
M. Tepfer - Nous avons énormément parlé de betterave et de
colza, mais ce sont deux espèces parmi X qui ont été transmises à différents
laboratoires, qui sont en cours de mise sur le marché dans différents pays.
La question de flux de gènes en Europe, par exemple pour le maïs, les tomates, les
melons, n'est pas un problème.
S'il existe en Europe deux ou trois ou quatre espèces cultivées pour lesquelles les
questions de flux de gènes se posent, comment allons-nous le gérer ?
Mais pour les autres espèces, n'oubliez pas que les OGM existent là aussi et qu'ils
seront proposés très rapidement à la mise sur le marché.
M. le Président - J'ai une autre question. Nous avons
beaucoup parlé d'un sujet ce qui est bien puisque nous avons été jusqu'au fond sans que
les points de vue ne se rapprochent.
Ma question porte sur les virus. Vous avez indiqué les avantages en termes d'insertion
de gènes de capsides virales, vous avez parlé de certains risques.
Pendant mes auditions un certain nombre de personnes ont dit que nous jouions avec le
feu en insérant des gènes de capside virale dans certaines plantes car il pouvait y
avoir un certain nombre de risques de transcapsidation. A un moment donné, en insérant
des gènes viraux, par des mutations, nous pourrions avoir certains types de
modifications.
Je ne suis pas virologue, j'aimerais que vous nous indiquiez si, oui ou non, il y a un
risque effectif en matière virale.
M. Tepfer - La question est assez vaste, je n'entrerai pas dans
les détails.
Concernant l'hétéro-capsidation, les risques potentiels associés à ce phénomène
que nous connaissons, veulent dire que la protéine de capside synthétisée à partir du
transgène peut être impliquée dans des particules virales de l'autre virus qui a
infecté la plante en question ; cela peut avoir quelques conséquences.
Ce qui a été déjà été fait dans certains laboratoires, a été de modifier les
gènes capsides pour éliminer les potentiels néfastes dus à l'hétéro-capsidation.
Cela permet de vous signaler qu'un des éléments du travail qui est réalisé
actuellement, est de diminuer les risques potentiels. C'est un exemple où la question de
transmission de virus éventuellement possible via l'hétéro-capsidation est quelque
chose, à mon avis, en cours de résolution.
Pour ce qui est des problèmes dont nous discutons depuis dix ans concernant les gènes
viraux, il est clair que le plus important et le plus difficile est le problème du
potentiel de la recombinaison.
Aujourd'hui je crois que nous avons très peu de moyens. Je ne veux pas aussi aller
trop loin dans le sens de Pierre-Henri Gouyon, mais les possibilités de recherche en
ce qui concerne l'étude de la recombinaison chez les plantes transgéniques sont infimes
par rapport à la nature du problème.
Nous avons néanmoins pu voir que nous avons pu créer des recombinants en laboratoire.
Une des questions importantes est de savoir si nous pouvons ou non créer des virus
recombinants pires que les souches parentales.
M. Fauquet - Je peux vous donner quelques informations
complémentaires. Je suis également virologue pour les plantes et je travaille avec des
virus qui sont dans les pays tropicaux, les géminivirus.
Nous venons de découvrir dans la dernière année que, dans la nature et ce n'est pas
une question d'organismes génétiquement modifiés, ces géminivirus recombinent
constamment dans les plantes entre des espèces de virus carrément différentes.
Nous l'avons découvert car, dans le monde, il y a un certain nombre d'endroits où il
y a émergence de nouvelles maladies causant des dégâts dramatiques au coton, au manioc,
aux tomates, etc.
Comme Mark Tepfer l'a dit, c'est un phénomène tout à fait naturel qui existe
déjà. Il y a déjà des conséquences essentiellement dues à l'homme qui transfère des
virus, des insectes, des plantes du fait de tous les échanges commerciaux qui existent et
sont déjà en place.
Cela rejoint aussi ce que disait Monsieur Gouyon tout à l'heure, dans de nombreux
cas, nous ne connaissons pas ou méconnaissons ce qui existe déjà dans la nature.
L'existence des OGM nous permettra en partie de développer un certain nombre d'études
qui nous montreront que ces phénomènes tout à fait naturels, qui ont déjà eu de
nombreuses conséquences de par l'impact de l'homme, de la civilisation de l'homme, de son
développement et de son commerce, sont déjà en place.
A mon avis, en ce qui concerne ces virus-là, le fait d'avoir un gène supplémentaire
ne changera pas la situation par rapport à ce qui existe déjà.
M. Tepfer - Je voudrais juste abonder dans le sens de
Claude Fauquet. Il est nécessaire que nous approfondissions nos connaissances
fondamentales sur les virus des plantes.
Concernant la recombinaison par exemple, il y a deux ou trois ans nous croyions qu'un
des groupes les plus importants, les petits virus, ne présentaient pratiquement jamais de
recombinants naturels.
Lorsque nous avons disposé de suffisamment de données de séquences, il est apparu
qu'au contraire, nous n'avions pas vu les recombinants car ils recombinaient tellement
fréquemment que les génomes étaient composés de tout petits morceaux de différents
éléments d'origine.
Ce sont des fréquences que nous ne pouvons pas quantifier donc si la recombinaison a
lieu dans la nature entre virus, elle aura certainement lieu dans les plantes
transgéniques, c'est clair.
La question qui se pose est celle des conséquences. Là aussi je pense qu'il faut
avoir davantage de données avant de pouvoir se prononcer entièrement.
Pour répondre un peu à une question sous-jacente, que faut-il faire
aujourd'hui ?
Il faut faire de la recherche, pour moi c'est clair et nous nous y employons un peu
dans la mesure de nos moyens. Je pense aussi qu'il faut évaluer au cas par cas les
avantages et inconvénients potentiels de tel ou tel type de gènes et résistances, son
origine, la manière dont cela fonctionne et ce qui se passe si nous ne nous en servons
pas.
Je pense qu'il faut faire ce genre d'analyse très générale pour savoir si nous
devons assumer les risques. Ceux-ci ne seront jamais nuls, il n'existe aucun cas de risque
zéro ni dans la nature ni dans la technologie.
Quel est le bon équilibre entre le fait d'assumer certains risques et le fait
d'envisager certaines pertes au niveau agronomique ?
M. le Président - Je vais maintenant poser une question un
peu ennuyeuse. Je l'ai posée en privé à Monsieur Apoteker et je vais la poser en
public car nous avons posé toutes les questions. Nous l'avons eue en privé, mais il est
important de la poser en public.
Les Etats-Unis sont le pays qui développe le plus les plantes transgéniques avec
16 millions d'hectares en 1998. Finalement Greenpeace est une organisation
internationale, or Greenpeace fait des actions spectaculaires en Europe, notamment en
France et je crois que nous avons discuté de manière très positive avec
Monsieur Apoteker, mais je suis obligé de poser la question.
Pourquoi n'y a-t-il pas d'action de votre organisation aux Etats-Unis et pourquoi y en
a-t-il en Europe ?
Nous avons quand même un peu l'impression vu d'ici, et cela m'a été dit dix fois
dans les auditions, que finalement il y a une focalisation sur l'Europe où il n'y a pas
de culture alors qu'aux endroits où il y a des cultures, pratiquement aucune action n'est
menée par les mêmes organisations.
M. Apoteker - Je vous remercie de me poser la question et je
suis très content qu'elle me soit posée en public.
Je crois qu'il y a une question d'échos médiatiques de ce que nous faisons en Europe
ou ailleurs.
En réalité nous avons également fait des actions spectaculaires aux Etats-Unis sur
le problème des plantes transgéniques, nous les avons même faites avant de les faire en
Europe, en particulier sur des champs de soja transgénique résistant au Roundup.
Nous avons également mené des actions sur les barges qui descendaient le Mississippi
depuis la compagnie Monsanto.
L'autre chose qu'il faut bien préciser est que c'est beaucoup plus difficile et nous
l'avons vu dans les autres tables rondes.
Je crois qu'il y a une question culturelle aux Etats-Unis, dans la vision du progrès
technologique et dans l'alimentation faisant que le public américain est beaucoup moins
réceptif pour l'instant aux dangers que nous essayons de lui faire voir.
M. le Président - C'est un retour sur investissement.
M. Apoteker - C'est cela. Je veux quand même signaler qu'un de
nos espoirs est que cette opposition des consommateurs et d'un grand nombre de citoyens en
Europe, aura un effet aux Etats-Unis.
Si les exportateurs américains se rendent compte qu'ici nous n'en voulons pas, s'ils
réalisent que les consommateurs européens et français en particulier ne veulent pas de
ces produits, peut-être qu'ils se poseront aussi des questions sur le type d'alimentation
qu'ils consomment.
M. le Président - Merci, Monsieur Apoteker, vous
m'aviez fait la même réponse et il était bien que tout le monde l'entende.
Monsieur Gouyon, une dernière question. Tout à l'heure vous avez parlé du maïs
du Mexique en donnant l'exemple de ce que Bernard Kouchner disait hier soir. Il
disait qu'il était aussi petit que la phalange de son petit doigt et qu'il était
maintenant devenu gros comme son appendicum, son avant-bras, et il a joint le geste à la
parole.
Vous avez dit que c'était grave car s'il y avait un maïs transgénique nous ne
pourrions pas l'interdire au Mexique et s'il venait à être cultivé là-bas, il pourrait
transférer un certain nombre de gènes. C'est déjà la même chose au niveau des maïs
hybrides tels que cultivés aujourd'hui.
C'est une question à laquelle, à mon avis, vous n'avez pas répondu de façon
suffisamment claire car j'ai toujours des interrogations après ce débat. Pour certaines
c'est plus clair alors que pour d'autres j'en ai toujours car nous n'avons sans doute pas
assez étudié le problème de l'environnement.
Vous avez sans doute raison, nous le dirons à Monsieur Allègre ce soir et je
défendrai les chercheurs et notamment ceux dans le domaine de l'environnement.
Finalement ne dramatisons-nous pas les questions de flux de gènes avec les plantes
transgéniques alors que c'est un phénomène qui a toujours existé et que nous n'avons
pas suffisamment étudié ?
M. Gouyon - Je vais commencer par dire que cela dépend du
couple gène/plante.
Je pense que si effectivement un gène améliorait la teneur en huile d'une plante,
etc., il y a assez peu de risques qu'il aille faire des dégâts dans les populations
naturelles.
Si jamais j'ai parlé de risques et que nous nous sommes concentrés sur la betterave,
le colza, les gènes de résistance aux herbicides, c'est que là il y a un problème
facile à identifier. Je pense qu'il existe de nombreux couples transgènes/plantes qui ne
poseront pas de problèmes.
Pour ce qui concerne le maïs, j'ai voulu donner des exemples très larges au début
sans les développer pour ne pas dépasser les huit minutes tacitement accordées, la
plupart des gènes que nous mettons dans le maïs à l'heure actuelle, ne mettront pas le
téosinte en danger.
En revanche, et c'est encore pire que tout car c'est pour des raisons que je trouve
très bonnes, certaines personnes essayent de développer des gènes de résistance
asexués chez le maïs appelés l'apomixie.
Si nous réussissions à faire marcher ce gène dans un maïs diploïde ce qui n'est
pas le cas actuellement, personnellement j'ai des inquiétudes sur le fait que ce gène
puisse se transmette au téosinte, le conduise à perdre totalement sa reproduction
sexuée et à terme à s'éteindre.
Ceci est valable pour un gène particulier. La plupart des gènes que nous pouvons
mettre dans le maïs ne poseront pas de problèmes au téosinte, mais pour celui-là je
serais extrêmement inquiet si jamais il était cultivé dans les zones mexicaines ou
d'Amérique Centrale.
M. le Président - Merci beaucoup, je crois que nous allons
nous arrêter là. Merci à vous tous d'être venus ce matin.
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