Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Rapport n° 3571

Les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires
effectués par la France entre 1960 et 1996
et éléments de comparaison avec les essais des autres puissances nucléaires

3ème partie

LES ESSAIS NUCLEAIRES AMERICAINS 117

I - Les îles Marshall (Bikini et Enewetak) 119

1. Les faits 120

1.1. Enewetak 120

1.2. Bikini 121

1.3. Le retour dans les atolls contaminés lors du tir Bravo 123

2. Bikini : le constat 124

3. Bilan global des îles Marshall et recommandations de l'AIEA 125

Conclusions et recommandations du rapport de l'AIEA 127

4. Observation d'ensemble 130

II - Le site d'essais du Nevada (N.T.S) 131

1. Les faits 131

2. Les constats 133

2.1. Approche sommaire des schémas de retombées radioactives locales et régionales 133

2.2. L'étude du NCI (Institut National du Cancer) et ses suites 137

2.3. Les estimations des risques de cancer. 144

2.4. « Les informations pour la pratique clinique et la santé publique » 145

2.5. La situation des participants aux essais 147

3. Les essais souterrains 150

LES ESSAIS NUCLEAIRES SOVIETIQUES 153

I - L'ensemble des essais soviétiques 155

II - Le site de Semipalatinsk 158

1. Le site lui-même 158

2. Les caractéristiques des essais atmosphériques 158

3. Les caractéristiques des essais souterrains 159

3.1. Les essais souterrains proprement dits 162

3.2. Les tirs d'excavation (ou de cratère) 164

4. Les éléments de mesure des retombées 166

4.1. L'exposition externe 166

4.2. L'exposition interne 169

5. Les conséquences sanitaires 172

5.1. Approche générale 172

5.2. Les recherches récentes 173

6. La situation radiologique actuelle du site d'essais 175

6.1. Les études réalisées en 1990-1994 175

6.2. Une appréciation d'ensemble 178

6.3. Le rapport de l'AIEA 179

III - Les tirs d'activités pacifiques 182

IV - Le site d'essais de Nouvelle-Zemble 187

1. Présentation générale 187

1.1. Les essais atmosphériques 188

1.2. Les essais souterrains 189

2. Les incidences des essais 189

2.1. La mesure de la radioactivité 189

2.2. Les conséquences observées 190

V - Les autres sites d'essais 191

1. Kapustin Yar 191

2. Totsk 191

LES ESSAIS NUCLEAIRES BRITANNIQUES 193

I - De nombreux sites pour les essais les plus limités : les essais atmosphériques 193

1. Les débuts : Monte Bello puis Emu et Maralinga 194

2. Le stade du thermonucléaire : les îles Malden et Christmas 195

3. Appréciations d'ensemble 196

II - Les incidences générales : les retombées 196

III - La décontamination du site de Maralinga 199

IV - La recherche d'incidences sanitaires 200

1. Les éléments factuels 200

2. Les études épidémiologiques 202

2.1 L'étude au NRPB 202

2.2 L'étude sur les marins néo-zélandais 204

2.3. l'éventuel recours à des « techniques radiobiologiques » 205

LES ESSAIS NUCLÉAIRES CHINOIS 207

I - Conditions de réalisation des essais 207

1. Les essais atmosphériques 208

2. Les essais souterrains 208

II - Les incidences éventuelles 209

LES ESSAIS NUCLEAIRES EN INDE ET AU PAKISTAN 213

I - L'Inde 213

II - Le Pakistan 213

Suite du rapport : conclusion, recommandations des rapporteurs, examen du rapport par l'Office, annexes.
Retour au sommaire général du rapport
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LES ESSAIS NUCLEAIRES AMERICAINS

Les 1054 essais nucléaires1 (dont 24 conjointement avec le Royaume-Uni) effectués par les Etats-Unis se sont répartis sur de nombreux sites extrêmement différents tant d'un point de vue géographique et géologique qu'au regard de l'éloignement des zones habitées. Le choix des différents sites est lié à l'évolution des techniques de tir, de leur puissance, avec en regard la recherche de limitations des risques et des nuisances, objectif qui s'est accentué au fil des années. En outre, il convient de garder à l'esprit que les Américains ont été, et de beaucoup, les premiers à expérimenter l'arme nucléaire, ce qui peut contribuer à expliquer à la fois les insuffisances du début et les performances de la suite.

Les incidents et un accident ont également marqué la première période du fonctionnement du site de l'atoll de Bikini : la série Crossroad (1946) et surtout le tir Bravo (1954). Les contaminations qui ont pu être engendrées à partir du site du Névada constituent, quant à elles, une révélation tardive d'une autre nature.

Enfin, malgré l'effort d'information fait d'une manière spectaculaire depuis une huitaine d'années par les autorités américaines, on ne dispose d'aucun élément concret sur certaines expérimentations réalisées dans l'océan Pacifique et les tirs dans l'Atlantique sud (haute altitude).

Les essais nucléaires américains (sur lesquels des éléments détaillés sont donnés en annexe) se répartissent ainsi par types et par sites :

Essais atmosphériques (par type)

Tir par canon

1

Tir par avion

52

Tir sous ballon

25

Tir sur barge

36

Tir par missile

12

Tir à la surface

28

Tir sur tour

56

Total

210

Essais souterrains

Puits

763 *

Galeries (tunnels)

67

Cratères

9

Total

839

* dont 24 tirs conjoints avec le Royaume-Uni

Essais sous-marins

Total

5

Il s'agit là pour ces essais sous-marins de tirs qui ne sont pas souterrains, même s'ils ont pu être effectués à quelques dizaine de mètres sous le fond marin.

Site d'essais du Nevada

Tirs atmosphériques

100

Tirs souterrains

828 *

Total

928

* dont 24 tirs conjoints avec le Royame-Uni

Iles Marshall (tirs atmosphériques)

Bikini

23

Enewetak

43

Total

66

Autres sites dans l'Océan pacifique (tirs atmosphériques)

Christmas Island

24

Johnston

12

Autres non précisés

4

Total

40

Autres sites (atmosphériques et aériens)

Alamogordo2

1

Amchitka, Alaska3

3

Carlsbad, Nouveau Mexique

1

Central Nevada

1

Fallon, Nevada

1

Farmington, Nouveau Mexique

1

Grand Valley, Colorado

1

Hattiesburg, Mississippi

2

Nellis Air Force Range

5

Rifle, Colorado

1

Total

17

A cela s'ajoutent 3 tirs par missile effectués dans l'Atlantique Sud.

L'évaluation de l'impact local et régional des essais nucléaires ne peut se faire, ici comme pour les autres puissances, que par site, chacun ayant non seulement ses caractéristiques spécifiques mais encore une histoire propre marquée par le niveau technique atteint au moment où les essais ont été réalisés sur chaque site.

Le cas des essais souterrains sera évoqué à la lumière des informations plus limitées dont on dispose.

I - Les îles Marshall (Bikini et Enewetak)

Le territoire des îles Marshall est devenu en 1946 un site d'essais nucléaires et ce, jusqu'en 1958, alors que concurremment des essais atmosphériques ont été menés en même temps sur d'autres sites (Nevada à partir de 1951, autres îles du Pacifique). Les deux atolls où ont eu lieu les essais ont été Enewetak (43 tirs avec une puissance cumulée de 32 mégatonnes de TNT) et Bikini (23 tirs avec une puissance de 77 mégatonnes).

1. Les faits

1.1. Enewetak

¬ Les tirs

Alors que deux premiers essais américains d'après-guerre ont eu lieu à Bikini en juin/juillet 1946, Enewetak est choisi comme second site d'essais aux îles Marshall en décembre 1947 ; ses 145 habitants sont évacués en avril 1948 et installés sur l'atoll d'Ujelong, distant de 250 km environ.

Les premiers essais ont lieu en avril et mai 1948 (3 tirs). Trois années se passent avant la deuxième série (4 tirs en 1951). On compte ensuite deux tirs en 1952 (dont une bombe de 10,4 Mt), un tir en 1954 et ce n'est qu'en 1956 et 1958 qu'un grand nombre de tirs auront lieu (respectivement 11 et 21), le dernier sur ce site en août 1958.

En 1948 et 1951, tous les tirs sont effectués sur une tour, technique qui laisse progressivement la place aux tirs sur barge ou en surface, dans deux cas, par avion, et dans deux cas, sous l'eau.

A trois exceptions près, tous les tirs ont eu lieu entre la mi-avril et la mi-août.

¬ Les conséquences

En 1972, une enquête radiologique a été réalisée par la Commission de l'Energie Atomique des Etats-Unis (AEC) en vue d'engager les travaux préalables au retour des habitants.

D'après les résultats de cette enquête, il apparaissait que les habitants de la partie Sud de l'atoll d'Enewetak pourraient revenir y vivre, ce qui n'était pas le cas de la partie Nord. Après la décontamination et le réaménagement de l'atoll réalisés de 1977 à 1979, la partie Sud a été réhabitée. De nouvelles mesures ont été effectuées à plusieurs reprises sur la partie Nord, notamment en 1979 et 1987 ; les niveaux de radioactivité mesurés ne permettent pas ici une réinstallation sans restrictions. Les doses sont essentiellement liées à l'ingestion de productions agricoles dont les teneurs en césium 137 dépasseraient les normes ; « Le strontium 90 ainsi que les radionucléides transuraniens (plutonium 239 et 240 et américium) contribueraient relativement peu à la dose interne. L'irradiation externe de césium 137 déposée sur le sol constituerait la deuxième voie la plus importante d'exposition. L'inhalation, l'eau potable et les produits de la mer ne contribueraient que légèrement à la dose d'exposition4 ».

1.2. Bikini

a) L'ensemble des essais

Les 167 habitants de l'atoll sont évacués en mars 1946 et installés sur l'atoll de Rongerik, puis en 1948 sur l'île de Kwajalein, et enfin sur l'île de Kili ainsi que sur celle d'Ejit, loin de Bikini.

¬ Les deux premiers essais à Bikini (« crossroads » en 1946) d'une puissance de 21 kt chacun ont eu lieu le premier par tir aérien, le second par tir sous-marin à une profondeur de 30 m sur des cibles constituées de navires de guerre.

Les militaires chargés de la décontamination sur les cibles sont intervenus rapidement après l'explosion et des doses excessives ont pu être reçues alors. Une étude réalisée, après une demande du Congrès en 1985, par le National Research Council5 cite une légère augmentation de la mortalité (toutes causes) chez les vétérans (+ 5 %) . En ce qui concerne la mortalité par cancer, les résultats ne sont pas significatifs, sachant par ailleurs que les participants n'étaient pas dotés de dosimètres individuels.

¬ Entre juillet 1946 et février 1954, il n'y a pas eu d'essai à Bikini. Après ceux de 1954, au nombre de cinq, du 28 février au 4 mai, deux autres séries ont eu lieu : en 1956 (6 tirs de mai à juin) et en 1958 (10 tirs à la même période). A l'exception d'un tir aérien (de 3,8 Mt, vraisemblablement à 200 km dans l'ouest de l'atoll), deux tirs ont été effectués en surface , tous les autres sur barge. Il n'y a pas eu d'accident entraînant une contamination accidentelle si l'on excepte le tir « Bravo ».

b) L'accident du tir « Bravo »

¬ Bombe thermonucléaire dont la puissance avait été prévue à 5 Mt, le dispositif de ce tir (en surface) a explosé en fait à 15 Mt dans des conditions météorologiques mal appréciées en raison notamment d'un changement d'orientation des vents en altitude ; la pulvérisation du corail a entraîné la formation d'un aérosol (cendres blanches) dont l'activité était très élevée. L'ensemble des retombées radioactives ne se sont donc pas évacuées vers le Nord/Nord-Ouest mais vers l'Est et on a rapidement atteint plusieurs atolls habités à une distance de 150 à 250 km : Ailinginae et Rongelap (une centaine d'habitants) dans un délai de trois à six heures puis Rongerik (une trentaine de militaires) et enfin Utirik à 570 km où les 167 habitants subirent des retombées moindres mais peu repérables contrairement aux îles plus proches où les retombées ont « concrétisé » le phénomène sous forme de cendres (aspect de neige).

Les habitants des atolls furent évacués deux à trois jours après l'accident. On s'apercevra ultérieurement que d'autres îles, mais à un bien moindre degré, avaient été touchées.

Par ailleurs, les vingt-trois marins d'un chalutier japonais « Dragon chanceux V » qui se trouvaient à 190 km du point zéro subirent une pluie de cendres radioactives pendant plusieurs heures et gagnèrent leur port d'attache au Japon après douze jours de mer et purent enfin être pris en charge médicalement.

¬ Les conséquences sanitaires :

Les retombées sur les atolls de Rongelap, Ailingnae et Rongerik ainsi que sur les pêcheurs japonais ont eu comme conséquence des irradiations importantes responsables d'effets aigus se manifestant quelques jours après l'explosion chez plus de 250 personnes. Le passage du nuage et le dépôt de cendres radioactives a entraîné :

- une irradiation externe globale et une irradiation interne par inhalation et ingestion de radionucléides déposés par les cendres radioactives, se manifestant cliniquement par un syndrome aigu d'irradiation (perte de cellules sanguines, perte des phanères),

- une irradiation cutanée par le dépôt sur la peau de cendres radioactives, se manifestant par des brûlures,

- simultanément l'irradiation de la thyroïde par incorporation d'iode radioactif par inhalation ou ingestion, est à l'origine d'effets se manifestant plus tardivement, quelques mois ou années après par l'apparition d'hypothyroïdie, de nodules thyroïdiens bénins ou cancéreux. D'une manière générale, la gravité et la fréquence des effets décroît avec la distance.

Les doses moyennes par irradiation externe sont estimées à environ 1 Gy à Rongelap et Ailingnae et 10 fois moins,0,1 Gy à Utirik.

Les doses à la thyroïde dépendent aussi de l'âge lors de l'exposition et les doses maximales sont reçues par les enfants de 1 an. Les doses moyennes à la thyroïde sont estimées à Rongelap à 10, 20 et 50 Gy respectivement chez l'adulte, l'enfant de 9 ans et l'enfant de 1 an, avec des valeurs maximales atteignant 50 Gy et 200 Gy chez les enfants de 9 ans et 1 an. Les doses estimées à Utirik sont environ 10 fois moindres.

Parmi les effets à court terme, on a relevé une légère augmentation des fausses-couches et des enfants morts-nés. On n'a pas relevé de cataractes radio-induites. Les dysfonctionnements de la thyroïde ont été le principal effet à moyen terme. Depuis 1966, la population qui a été exposée reçoit à vie une thérapie de remplacement de la thyroxine dans la perspective de limiter le développement de tumeurs malignes de la thyroïde. A ce sujet, on a relevé, parmi les 86 personnes les plus exposées, 23 nodules bénins et cinq cancers ; le taux de prévalence des nodules atteint 59 % des enfants qui avaient moins de dix ans lors de l'accident. Un cas de leucémie chez un jeune adulte exposé à 1900 mGy à l'âge de un an a été relevé.

¬ Les doses reçues par les pêcheurs japonais ont été estimées ainsi : irradiation externe globale de 2000 mGy à 6000 mGy, et pour la voie interne de 800 à 4500 mSv à la thyroïde pour l'ensemble des radionucléides. L'ensemble des examens cliniques et biologiques, de même que les pathologies ont corroboré ces estimations . Un marin est décédé plusieurs semaines après son retour, semble-t-il, d'une hépatite consécutive à l'une des nombreuses transfusions qu'il avait dû subir. La convalescence et la guérison ont duré deux ans. Dans les treize ans qui ont suivi, 36 enfants sont nés des membres de l'équipage.

1.3. Le retour dans les atolls contaminés lors du tir Bravo

Les habitants à Utirik se sont réinstallés dès le mois de juin 1954 dans leur atoll. Cela n'a été jugé possible pour ceux de Rongelap qu'en juin 1957 avec toutefois des restrictions quant aux îles de l'atoll et quant aux productions agricoles qui pourraient être obtenues.

Les doses résultant de la contamination résiduelle s'élevaient en effet pour la voie externe à 30mSv (20 à Utirik) pour la période de 20 ans à venir et pour la voie interne à 140 mSv (20 à Utirik). Plusieurs rapports gouvernementaux suscitèrent au début des années quatre-vingts l'inquiétude parmi les habitants de Rongelap. Certains conclurent que leur atoll pouvait être aussi contaminé que celui de Bikini. Aussi, en attendant le résultat d'une nouvelle expertise, ont-ils décidé eux-mêmes d'évacuer leur atoll en mai 1985 pour s'établir provisoirement sur l'île de Majatto (atoll de Kwajlein). La commission de la sécurité radiologique constituée au NRC (National Research Council) américain a communiqué les résultats de son expertise et le Congrès a adopté en 1998 l'enveloppe budgétaire de 45 millions de dollars permettant d'engager les travaux dont la durée prévue est de cinq ans. Les habitants de Rongelap, s'ils le désirent, devraient donc pouvoir s'installer à nouveau dans leur île dans un avenir proche.

Compte tenu de la nature des essais nucléaires réalisés, qui plus est à l'époque des techniques les plus risquées avec les tirs sur barge, la question de la réinstallation à Bikini de la population évacuée avant les tirs se posait dans de tout autres termes, même si la population était à peine plus nombreuse.

2. Bikini : le constat

Depuis que les essais se sont terminés en 1958, plusieurs études ont été effectuées sur les conditions radiologiques de l'atoll de Bikini.

Pendant des années, des avis divergents ont été donnés sur les possibilités de réinstallation sur l'atoll de Bikini. C'est la raison pour laquelle, selon les termes de l'AIEA, « la République des îles Marshall -qui est devenue membre de l'AIEA- s'est tournée vers celle-ci pour obtenir confirmation de demander que les diverses évaluations sur l'état radiologique de l'atoll et les recommandations émises pour sa réhabilitation fassent l'objet d'un examen critique de la part d'experts du même domaine de compétence »6.

Il convient en effet de rappeler qu'en 1968-69, les autorités américaines , sur la base de plusieurs enquêtes radiologiques, avaient déclaré que l'atoll de Bikini était sûr et qu'ainsi sa population pouvait s'y réinstaller. Après évacuation des débris et nettoyage en 1969, l'atoll a fait l'objet d'une nouvelle enquête confirmant les précédentes (AEC : Commission de l'Energie Atomique).

En 1970, plusieurs familles (quelques dizaines de personnes) revinrent d'abord sur l'île de Bikini, mais les habitants n'étaient pas convaincus par les conclusions de l'enquête.

En 1975, des mesures de routine puis des analyses montrèrent un niveau élevé de radioactivité ; les représentants de la population engagèrent alors une procédure contre le gouvernement américain demandant une étude radiologique exhaustive de l'ensemble de l'atoll et des autres atolls nord de l'archipel des îles Marshall. Les études et analyses qui suivirent jusqu'en 1978 à Bikini (comprenant notamment des examens radio-anthropométriques des personnes) montrèrent que la dose de césium 137 contenue dans les noix de coco notamment dépassait, et de beaucoup, les normes en vigueur et il y avait eu une croissance du décuple de ce radionucléide parmi les habitants réinstallés à Bikini ayant un régime alimentaire comprenant essentiellement les productions locales.

Les mesures dans différents échantillons de l'environnement indiquent que 90 % de la dose reçue par quelqu'un résidant sur l'atoll de Bikini est due au césium 137, pour l'essentiel apporté par l'alimentation. Les doses estimées pour les résidents de Bikini entre 1971 et 1978 diffèrent donc selon leur type d'alimentation. La dose maximale est apportée par une alimentation exclusivement locale et estimée à 15 mSv/an (et 560 mSv/70 ans) ; la dose correspondant à une alimentation mixte, locale et d'importation conduit à une dose de 4 mSv/an (et 150 mSv/70 ans).

Il fut ainsi décidé en septembre 1978 d'évacuer à nouveau l'ensemble des habitants (139) qui s'étaient réinstallés et ce, vers les mêmes îles que précédemment (Koli notamment).

3. Bilan global des îles Marshall et recommandations de l'AIEA

Une surveillance radiologique de Bikini et des dix autres atolls du Nord de l'archipel a été assurée à partir de 1978 jusqu'en 1995.

Les Etats-Unis , outre les mesures d'indemnisation et de compensation qu'ils adoptèrent pour la population de Bikini, établirent une « commission de réhabilitation de l'atoll de Bikini » qui, en 1984, constata notamment, dans son premier rapport, que l'île « pouvait être à nouveau habitée pourvu que ne soient consommés ni des aliments produits sur place, ni d'eau de la nappe phréatique ».

Sous l'angle institutionnel, l'accord de libre association entre la République des îles Marshall et les Etats-Unis a été signé en janvier 1986. Il prévoit le paiement de compensations pour les habitants des atolls de Bikini, Rongelap, Enewetak et Utirik, un fonds complémentaire spécifique est par ailleurs prévu pour décontamination et le réaménagement ultérieur de l'atoll de Bikini lui-même. Ces mesures complètent celles déjà prises depuis 1977, notamment pour les personnes et plus particulièrement pour les habitants de Rongelap et l'Utirik atteints par les retombées du tir Bravo (victimes de cancer de la thyroïde et leurs ayant-droit notamment).

Une étude d'évaluation radiologique demandée par le Gouvernement des îles Marshall, et vérifiée par un groupe d'experts internationaux, achevée en 1995, confirma les précédentes mesures et analyses. Les autorités prirent acte de ces résultats mais saisiront l'AIEA (cf. supra) pour obtenir une nouvelle confirmation.

C'est dans ce cadre que le groupe consultatif international de l'AIEA engagea ses travaux en décembre 1995 et publia en mars 1998 son rapport intitulé : « Conditions radiologiques de l'atoll de Bikini : perspectives pour une réinstallation »7.

Il est précisé dans le sommaire du rapport que :

« L'objectif premier de cet examen critique était d'aider la population de Bikini à se faire sa propre idée sur l'état radiologique de l'atoll et sur les perspectives de son repeuplement, si tel était le souhait de ses habitants (...)

A la demande des autorités des îles Marshall, l'examen international a été limité à l'atoll de Bikini et n'a pas porté sur les autres atolls, îles et îlots, touchés par les retombées radioactives produites par les essais. Qui plus est sur l'atoll de Bikini, l'examen n'a porté que sur l'île du même nom, où la population résidait à l'origine.

L'examen concerne les conditions radiologiques existantes et leurs implications pour l'habitabilité future de l'atoll. Il n'a pas vocation à intégrer le bilan rétrospectif de l'impact radiologique passé des essais nucléaires ».

Conclusions et recommandations du rapport de l'AIEA

« 1.  En vertu du nombre et de la qualité des informations scientifiques sur les radionucléides résiduels issus des essais d'armements nucléaires réalisés sur l'atoll de Bikini, soumises aux fins de l'examen, les conclusions sont les suivantes : (...)

Il est inutile de faire procéder à une nouvelle confirmation, par des experts indépendants, des mesures et des évaluations effectuées sur l'atoll de Bikini...

La population de Bikini pourrait être rassurée sur l'état radiologique réel de l'atoll par un programme limité de contrôle des niveaux de radiation, ce qui impliquerait la participation de certains membres de la population locale.

2. Au vu des informations soumises et dans l'hypothèse où la population de Bikini déciderait de retourner s'installer sur l'île de Bikini (principale île habitée de l'atoll), la conclusion est la suivante :

Le repeuplement permanent de l'île de Bikini, dans les conditions radiologiques actuelles, sans que soient prises des mesures de protection, n'est pas recommandé compte tenu des doses de rayonnements qui pourraient potentiellement être reçues par les habitants soumis à un régime alimentaire constitué de denrées entièrement d'origine locale.

Cette conclusion se fonde sur l'idée qu'un régime alimentaire constitué entièrement de denrées alimentaires produites sur place - qui contiendraient certaines quantités de radionucléides résiduels - pourrait conduire à ce qu'une hypothétique population de repeuplement soit exposée au rayonnement dû aux radionucléides résiduels encore présents sur l'île, et notamment le 137Cs, ce qui induirait une valeur de dose efficace annuelle d'environ 15 mSv (voire de 17,4 mSv si l'on y ajoute le rayonnement ambiant naturel). On estime que ce niveau nécessite une quelconque intervention aux fins de protection contre le rayonnement.

3. Cependant, il y a lieu de considérer que :

En pratique, il est improbable que dans les conditions actuelles, la population soit effectivement exposée aux doses occasionnées par un régime alimentaire à base de produits locaux, étant donné que le régime alimentaire des habitants des îles Marshall est constitué - et continuera vraisemblablement de l'être dans un proche avenir - d'une importante proportion de denrées d'importation, dont on peut supposer qu'elles sont exemptes de radionucléides résiduels.

Néanmoins, l'hypothèse d'un régime alimentaire basé sur des denrées exclusivement d'origine locale a été retenue dans l'évaluation pour des raisons de prudence et de simplification et aussi, parce que le niveau actuel des importations alimentaires pourrait à terme diminuer.

4. Un certain nombre de stratégies environnementales directes ont été envisagées sur l'île de Bikini, lesquelles, à condition d'être correctement mises en _uvre, pourraient donner des résultats tout à fait satisfaisants du point de vue de la protection contre les rayonnements. La conclusion est donc la suivante :

L'île de Bikini pourrait être repeuplée de façon permanente à condition de prendre certaines mesures curatives.

5. Plusieurs remèdes possibles ont été envisagés, avec pour conséquence que les mesures ci-après ont été sélectionnées comme base pour une nouvelle évaluation :

- Application régulière d'engrais à base de potassium dans toutes les zones de l'île de Bikini susceptibles d'abriter des cultures alimentaires, accompagnée d'un enlèvement des terres autour et au-dessous des zones d'habitation et d'un remblaiement par du corail concassé (mesure dénommée stratégie curative de l'engrais au potassium).

- Décapage complet du couvert végétal de l'île de Bikini (mesure dénommée stratégie de décapage des sols).

Alors qu'aucune recommandation définitive n'est donnée sur la marche à suivre, la stratégie faisant appel à un engrais au potassium est considérée comme la solution privilégiée. (...)

6. En conclusion :

Les résultats escomptés d'une stratégie fondée sur l'application d'engrais au potassium sont conformes aux orientations internationales sur les interventions destinées à éviter des doses de rayonnements en cas d'exposition chronique : par conséquent, cette stratégie assurerait un environnement sain sur le plan radiologique, permettant une réinstallation rapide des habitants.

Selon les hypothèses retenues concernant le régime alimentaire, les doses effectives annuelles moyennes estimées diminueraient respectivement dans les proportions suivantes : d'environ 15 mSv (si l'on y ajoute la dose due au rayonnement ambiant naturel, la dose efficace annuelle est d'environ 17,4 mSv), pour un régime hautement calorique composé intégralement de denrées alimentaires d'origine locale, à 1,2 mSv environ (si l'on y ajoute la dose due au rayonnement ambiant naturel, la dose efficace annuelle est d'environ 3,6 mSv) ; et d'environ 4 mSv (si l'on y ajoute la dose due au rayonnement ambiant naturel, on obtient une dose efficace annuelle d'environ 6,4 mSv), pour un régime hautement calorique composé de produits locaux et importés, à 0,4 mSv environ (si l'on y ajoute la dose due au rayonnement ambiant naturel, on obtient une dose efficace annuelle d'environ 2,8 mSv). Même dans l'hypothèse la plus prudente d'un régime hautement calorique uniquement à base de produits locaux, les doses en résultant seraient nettement inférieures au niveau d'action générique admissible pour une intervention. Les doses seraient quelque peu supérieures à celles inhérentes au rayonnement ambiant naturel auquel était exposée la population de l'île de Bikini, avant son évacuation et avant qu'il ne soit procédé aux essais nucléaires ; elles seraient également légèrement supérieures aux doses naturelles moyennes globales du milieu ambiant, mais inférieures au niveau d'ordinaire élevé des doses dues au rayonnement ambiant naturel dans le monde.

7. La conclusion est la suivante :

La stratégie alternative, i.e. la solution d'un décapage des sols - dont il est dit qu'elle est la stratégie privilégiée de la population de Bikini - serait très efficace pour éviter des doses dues aux radionucléides résiduels, mais elle pourrait avoir de sérieux effets néfastes sur l'environnement et sur le plan social.

Ces conséquences pourraient être graves car le couvert végétal fertile est le substrat des cultures de fruits, qui constituent la principale ressource alimentaire locale. Le remplacement du couvert végétal par des terres prélevées ailleurs constituerait une entreprise gigantesque, dont le coût serait très vraisemblablement prohibitif. En outre, il serait très probable que la concentration de radionucléides naturels dans n'importe quelle terre végétale continentale utilisée en remplacement soit plus élevée que celle des sols actuels.

8. En conclusion :

Il convient de ne proposer aucune action curative à ce stade pour des îles de l'atoll de Bikini autres que l'île de Bikini.

De tout temps, les autres îles de l'atoll n'ont jamais été habitées et ont été exploitées uniquement pour des visites occasionnelles et pour la pêche.

9. Dans l'hypothèse où la stratégie proposée serait mise en _uvre, il est recommandé de :

Procéder à des mesures périodiques de radioactivité dans les produits alimentaires d'origine locale afin d'évaluer l'efficacité des mesures prises. Il conviendrait de prévoir un appareil de contrôle intégral de l'organisme, simple de manipulation, ainsi qu'une formation à son utilisation, en tant que moyen supplémentaire permettant aux hypothétiques habitants d'être rassurés sur le fait que leur organisme n'a pas absorbé une dose significative de césium. »

4. Observation d'ensemble

Au-delà des indications précises relatives à Bikini sur le cadre et les objectifs de l'examen international dont l'AIEA a été chargée, il doit être remarqué que l'examen n'a porté que sur l'île de Bikini, précédemment habitée : la comparaison s'impose avec Mururoa et Fangataufa, atolls qui n'ont jamais été habités et où, par ailleurs, la situation radiologique est toute différente, ainsi que les conclusions et recommandations du rapport de l'AIEA en attestent.

Premier véritable site d'essais nucléaires au monde, où tous les tirs ont été atmosphériques alors que la technique du sous ballon n'avait pas encore été mise au point, le site des îles Marshall a logiquement été celui où les risques de retombées contaminantes, voire d'accident, devaient être les plus élevés. En outre, l'éloignement des îles habitées s'est révélé insuffisant, notamment par rapport à la maîtrise des technologies que l'on avait à l'époque.

Par ailleurs, l'appréciation des incidences ne s'est faite que très progressivement. Ainsi, les conséquences de l'accident du tir Bravo ont certes été appréhendées tout de suite pour les plus graves (les quatre atolls les plus proches de Bikini) mais bien des années après l'événement des retombées de moindre importance ont été établies pour des atolls plus lointains (Ailuk et Likiep principalement) principalement par une enquête du Department of Energy en 1978 et par l'ACHRE8 .

On peut remarquer enfin que les tirs pratiqués à Enewetak ne paraissent pas avoir eu des incidences aussi substantielles que ceux de Bikini, même si l'on fait abstraction de l'accident Bravo.

II - Le site d'essais du Nevada (N.T.S)

1. Les faits

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, cinq essais d'armes nucléaires ont été réalisés par les Etats-Unis jusqu'au seuil de l'année 1951, et ce, aux îles Marshall (dont deux à Bikini en 1946 et trois à Enewetak en 1948, aucun tir n'ayant eu lieu en 1947, 1949 et 1950).

A) Le choix du site

A la fin des années quarante lorsque l'arme atomique devient clairement une composante à part entière de la politique de défense américaine, et notamment après le tir de la première bombe atomique soviétique en août 1949, se posa la question du choix d'un site d'essais permettant de nombreux tirs dans des conditions logistiques abordables (proximité, temps et coût) et en tenant compte des exigences de sécurité.

De nombreux sites furent envisagés à travers le territoire continental des Etats-Unis, y compris l'Alaska. Les principaux critères étaient : une faible densité de population, la sécurité tant pour les retombées et l'effet de souffle que les conséquences thermiques, des conditions météorologiques favorables pendant la plus grande partie de l'année, une géologie favorable, une main-d'_uvre disponible et des moyens d'accès acceptables.

C'est ainsi que le secteur de la base aérienne de Nellis, au Nord-Ouest de Las Vegas dans l'Etat du Nevada, fut retenu pour des essais atomiques de relativement faible puissance. En effet, tous les tirs de forte, voire de moyenne puissance, ont eu lieu dans d'autres sites alors même que le NTS était déjà en service : aux îles Marshall, dans d'autres îles du Pacifique et d'autres sites encore, y compris l'Alaska pour les tirs souterrains. Il est à noter également que, à l'origine, le NTS a été choisi pour des essais atmosphériques, la plupart des essais souterrains y ont également été menés ainsi que les tirs de génie civil (y compris d'excavation).

Sur le plan géologique, la particularité de ce site qui est passé de 1800 km2 à 3500 km2 est de comporter principalement deux bassins orographiques fermés (Yucca flat et Frenchman flat).

De janvier 1951 à octobre 1958, 94 tirs nucléaires atmosphériques9 ont eu lieu, auxquels s'ajoutèrent de mars à septembre 1962 six tirs (3 atmosphériques et 3 d'excavation, pour une puissance totale de 1,05 Mt, à rapprocher des 76 Mt de Bikini des 31 Mt d'Enewetak, des 20,8 Mt de l'atoll de Johnston et des 23,3 Mt de Christmas Island.

Au Nevada les tirs atmosphériques répartis sur une trentaine d'années ont donc été nombreux et très faibles en puissance mise en _uvre. On va observer que les retombées contaminantes paraissent avoir été sans commune mesure avec cette puissance.

B) Les techniques de tir

¬ Les techniques de tir

Les deux premières séries d'essais réalisés en 1951 et au début de 1952 ont été aériens entre 300 et 400 m d'altitude pour l'essentiel (13 contre 3 en surface). A partir de mai 1952 et jusqu'au milieu de l'année 1957, c'est la technique du tir sur tour (à 90 m d'altitude en général, quelquefois à 150 m voire 200 m) qui a prévalu. Ensuite, et jusqu'à la fin (octobre 1958), elle a progressivement cédé la place au tir sous ballon ; il s'agissait de ballons gonflés à l'hélium stabilisés à une altitude variant de 100 à 500 mètres.

¬ Lors de la reprise des essais atmosphériques américains , consécutive à la reprise par les Soviétiques le 1er septembre 1961, le site du Nevada ne fut utilisé que pour un très petit nombre de tirs de surface ou de cratère, six au total, l'essentiel des tirs atmosphériques d'alors ayant lieu sur l'atoll de Johnston (10) et à Christmas Island (24). Il convient de signaler qu'après le dernier tir atmosphérique américain déclaré (4 novembre 1962 à Johnston, 20 kt par missile) auront encore lieu six essais de tir de cratère appelés « peaceful applications programm » de la série « Plowshare » plus ou moins comparables à ceux réalisés en très grand nombre par les Soviétiques10 et qui relâchèrent dans l'atmosphère des radionucléides quelquefois dans des proportions substantielles , le dernier important étant le tir du 14 avril 1965 avec une puissance de 4,3 kt à moins 85 mètres qui relâcha dans l'atmosphère 910 kCi de 131I.

2. Les constats

2.1. Approche sommaire des schémas de retombées radioactives locales et régionales

On évoquera ici essentiellement les retombées locales et troposphériques, le problème spécifique de l'iode 131 étant abordé ensuite isolément.

La carte ci-après indique les estimations des schémas de contamination (« contamination pattern ») des essais nucléaires faits sur le site du Névada jusqu'en 1958 (document « Dunning 1959 » cité par Scope/59).

Estimation des doses de radiations (en Roentgens)

graphique

Des études de reconstitution de doses ont été entreprises au fur et à mesure que des interrogations se faisaient jour, et notamment à partir du début des années 80. Dans la mesure où les inquiétudes ont d'abord porté sur les zones et régions contiguës au site d'essais, les recherches ont tout d'abord été limitées à ces cadres géographiques qui se caractérisent par un territoire où environ 180 000 personnes ont été exposées par irradiation externe. La dose collective est estimée à environ 500 homme.Sv ; les doses à la thyroïde pour les enfants peuvent avoir atteint 1 Gy.

Les premiers travaux d'estimation des doses par inhalation externe ont été menés par R. Anspaugh et B.W. Church11.

La répartition des doses individuelles cumulées (externes) pour les zones géographiques se trouvant sous le vent du site d'essais est données par le tableau ci-dessous  (cité par l'UNSCEAR) :

Dose efficace (mSv)

Nombre de personnes

Dose collective efficace
(homme.Sv)

Amplitude

Moyenne

1951-1958

1961-1963

1951-1958

1961-1963

< 0,06-0,6

0,6-3

3-6

6-30

30-60

60-90

0,2

1,3

4,2

13

42

73

61 000

80 000

19 000

20 000

520

45

180 000

480

0

0

0

0

12

104

80

260

22

3,2

36

0,6

Total arrondi

180 000

180 000

460

 

L'estimation de la dose (externe) collective cumulée est donnée par le tableau suivant (ibidem 1990) qui montre clairement la concentration sur les séries d'essais de 1953 et 1955 (nombre élevé de tirs), juste avant que l'on ait recours aux tirs sous ballon.

Dose collective d'irradiation externe (estimation)

Nom des séries d'essais

Année

Dose collective

(homme.Roentgen)

Ranger

Buster-Jangle

Tumbler-Snapper

Upshot-Knothole

Teapot

Plumbbob

Hardtack II

Several

Many

Total

1951

1951

1952

1953

1955

1957

1958

1961-1963

1963-1975

Réduite

610

4 700

40 000

19 000

11 000

1 500

610

320

78 000

Ces estimations ont été réalisées sur 300 points dans un rayon de 300 km autour du site, dans l'état du Nevada et dans celui de l'Utah.

La dose efficace dépasse 3 mSv pour 20 % des 180 000 personnes concernées. Pour l'ensemble de cette population, la dose moyenne est de 2,8 mSv. Ces doses d'irradiation proviennent prioritairement de radionucléides à vie courte (demi-vie inférieure à 100 jours). L'activité à l'extérieur moyenne par individu est estimée à 50 % (c'est 20 % pour le taux habituel des calculs de l'UNSCEAR).

La plupart des irradiations proviennent d'un nombre réduit d'événements : 90 % de la dose collective cumulée de 470 personnes Sv provient de 17 tirs, les plus significatifs étant ceux du 19 mai 1953 (180 homme.Sv) et du 22 mars 1955 (70 homme.Sv). Les doses collectives qui touchèrent des zones plus lointaines sous le vent ont été évaluées à un niveau plus élevé que pour des zones proches, autour de 10 000 homme.Sv, notamment dans la région plus densément peuplées de Salt Lake City.

Des travaux de reconstitution des doses reçues ont été menés, pour ce qui concerne les retombées locales et régionales (à moins de 800 km du site d'essais), à partir de la fin des années soixante dix.

Si elles permettent de confirmer des analyses déjà envisagées, elles montrent aussi les difficultés d'interprétations précises et définitives. Elles se fondent en partie, pour certaines d'entre elles, sur des relevés et mesures réalisés précédemment.

Le programme d'examen des expositions à l'extérieur du site (ORERP) du Department of Energy a été engagé en 1979 ; les données dosimétriques ont servi de base à d'autres études dont celles citées ci-après ; ce sont des études épidémiologiques recherchant une relation entre niveaux d'exposition et fréquence des cancers. Elles ont donné lieu à des estimations dosimétriques a posteriori.

¬ L'étude cas-témoins de la leucémie dans l'Utah a été menée en vue de la recherche de l'explication du nombre apparemment anormalement élevé de leucémies chez les enfants dans le Sud de cet Etat, proche et sous les vents dominants du site d'essais (1177 cas et 5330 sujets contrôle). Le tableau ci-dessous confirme cette réalité, mais le commentaire qu'en font par exemple les auteurs de l'ouvrage « Nuclear Test Explosions - Scope/59 » limite quelque peu la portée de cette appréciation.

Risques de mortalité par leucémie dans le Sud-ouest de l'Utah par comparaison

avec le reste de cet Etat, période 1955-80, par âge de décès

(Machado, Land et McKay, American Journal of Epidemiology, 1987)

Taux normalisé pour 105 par an (nombre de cas)

Age de décès

Sud-ouest de l'Utah

Reste de l'Etat

Risque relatif

Intervalle de confiance à 90 %

All ages

0-14

15-29

30-49

50 +

10,30 (62)

8,20 (9)

2,87 (4)

3,45 (5)

25,80 (44)

6,68 (1219)

3,69 (110)

2,21 (122)

2,58 (135)

17,87 (852)

1,45

2,84

1,12

1,39

1,36

1,18-1,79

1,65-4,90

0,48-2,58

0,66-2,94

1,06-1,75

« Cela représente le premier indice d'un excédent de leucémies pouvant éventuellement être lié aux retombées, et pour lequel on n'a jusqu'à présent fourni aucune explication évidente sans rapport avec le rayonnement. Il faut cependant remarquer qu'il n'est pas forcément surprenant de découvrir un excédent de leucémies parmi les habitants d'une zone dans laquelle des groupes de leucémies ont été précédemment signalés. Le fait que le comté de Washington ait présenté les niveaux de retombées les plus élevés de l'Etat ne constitue pas la preuve d'un rapport de causalité avec le rayonnement. L'étude de Machado et al. et les deux études de mortalité antérieures, basées sur des contrastes géographiques, diffèrent par un aspect essentiel, c'est-à-dire par les comparaisons géographiques effectuées. Il est probable que les excédents de leucémies auraient été découverts plus tôt si la zone des retombées élevées avait été limitée à l'angle S.O. de l'Etat ».

La comparaison des doses à la moelle osseuse parmi les cas et les témoins montre d'ailleurs une exposition similaire avec une moyenne de 2,9 mGy chez les cas et 2,7 mGy chez les témoins (sujets-contrôle).

¬ L'étude de la cohorte de la thyroïde de l'Utah qui a porté sur 3545 personnes vise quant à elle les effets des irradiations internes du niveau de cet organe. Le tableau ci-dessous indique la répartition géographique des doses :

Doses de la thyroïde en mGy pour la cohorte de l'Utah (Till et al., 1995)

Comtés

Washington (Utah)

Graham (Arizona)

Lincoln (Nevada)

Total

Nombre de sujets

Dose moyenne

Dose médicine

Minimum

Maximum

1896

170

72

0

4600

2,7

1369

13

3,6

0

450

3,0

280

50

28

0

840

2,7

3545

98

25

0

4600

2,8

La comparaison faite également dans l'article de Till (1995) entre la différence considérable induite par la consommation de lait illustre au niveau local ce qui sera confirmé par l'étude spécifique du NCI (Institut National du Cancer) en 1997 à l'échelle de la totalité du territoire américain continental :

Comparaison de la dose à la thyroïde (en mGy) entre les consommateurs et les non-consommateurs de lait

 

Non consommateurs de lait

Consommateurs de lait

Consommateurs de lait de chèvre

Nombre de sujets

Dose moyenne

Dose médiane

Dose maximale

120

12

0,5

25

3337

100

30

4600

155

300

39

4600

D'une manière générale et à titre de conclusion partielle, les doses absorbées par les organes et les tissus par voie interne ont été, ainsi que l'indique le rapport UNSCEAR 2000, « substantiellement plus faibles que celles reçues par voie externe avec toutefois l'exception notable de dose à la thyroïde » qui dépasse très largement à la fois l'ensemble de l'irradiation externe et de l'irradiation interne à d'autres organes, laquelle s'est faite par ailleurs à travers l'inhalation d'air et l'ingestion d'aliments contaminés.

2.2. L'étude du NCI (Institut National du Cancer) et ses suites

Les études qui viennent d'être présentées étaient destinées à répondre aux interrogations et aux inquiétudes qui s'étaient fait jour depuis le début des années 70, plus particulièrement parmi les populations proches du site d'essais du Névada, et notamment dans l'Utah. Cette inquiétude s'est aussi manifestée, certes dans de moindres proportions, au-delà de ces limites régionales.

C'est dans cette perspective qu'a été adopté en 1983 un texte législatif (Public law 97-414, section 7a) qui a chargé au niveau fédéral le Secrétaire à la santé et aux services sociaux de :

« _ conduire la recherche scientifique et de préparer les analyses nécessaires à l'élaboration d'évaluations validées et crédibles sur les risques de cancers de la thyroïde qui sont associés aux doses d'iode 131 ;

_ conduire la recherche scientifique et de préparer les analyses nécessaires à l'élaboration de méthodes validées et crédibles pour évaluer les doses à la thyroïde d'iode 131 qui ont été reçues individuellement à partir des retombées de bombes nucléaires,

_ et de conduire la recherche scientifique et de préparer les analyses nécessaires pour établir des évaluations validées et crédibles de l'exposition à l'iode 131 que le peuple américain a subi à partir des essais atmosphériques de bombes nucléaires du Névada ».

Le NCI précise lui-même dans l'introduction de son rapport rendu public en août 1997 (et publié en octobre de la même année) qu'« il a été demandé au NCI de répondre a cette requête. Ce rapport décrit les données, les méthodologies et les analyses qui ont été mises en _uvre pour répondre au deuxième et troisième parties de la requête. Le rapport ne répond pas à la question du risque de cancer à la thyroïde associé aux doses à la thyroïde d'iode 131. Les efforts pour estimer ce risque ont été et continuent d'être l'objectif de nombre d'études passées ou en cours sur les personnes exposées à l'iode 131 à partir de procédés de diagnostic et à partir d'une contamination de l'environnement dans l'Utah, dans le voisinage de Hanford, la région de Washington, en Suède, en Slovénie, en Israël, en Biélorussie, dans la Fédération de Russie et en Ukraine ».

Cette limitation du champ du rapport du NCI rendu après quatorze ans de travaux et de recherches a été en partie compensée par l'analyse de ce rapport qui a été demandée en août 1997 conjointement à l'Institut de Médecine (de l'Académie nationale des Sciences) et au Conseil National de la Recherche ainsi que par leurs propres travaux qui complètent et illustrent cette analyse (rapport remis au début 1999).

¬ Concernant le rapport du NCI lui-même, son intérêt spécifique réside essentiellement dans la mesure, l'estimation et la modélisation des retombées d'iode 131 de chaque tir, pour l'ensemble des 3050 comtés des 48 états continentaux (y compris les tirs cratère et les tirs souterrains mal confinés) des Etats-Unis depuis 1951. Au sein de chaque comté, la population a été structurée en treize groupes d'âge (outre bien sûr la division par sexe) ainsi constitués : quatre groupes pendant la vie f_tale, quatre pour la première année, quatre également de 1 à 20 ans et un groupe pour les adultes.

A l'exception des adultes, cette stratification a permis la prise en compte de régimes alimentaires spécifiques, notamment en ce qui concerne la consommation de produits lactés.

La reconstitution des doses dues à l'iode 131 est donc délicate et repose sur l'estimation rétrospective de la quantité rejetée et des modèles de dispersion atmosphérique confrontée aux mesures directes d'iode 131 effectuées immédiatement après les tirs.

Ces informations détaillées sont essentiellement rendues par des cartes géographiques illustratives dont seules quelques unes sont reproduites en annexes (cartes pour les générations nées en 1945 et 1952 des reconstitutions de doses à la thyroïde). L'un des scientifiques, dont on indiquera les critiques du rapport au NCI qu'il a faites devant une sous-commission du Sénat américain, M. F. Owen Hoffman, soulignait précisément dans ce cadre en septembre 1998, que la reconstitution des doses était, de loin, la plus importante et la plus exhaustive jamais réalisée aux Etats-Unis, qu'elle recelait de très nombreuses informations.

La dose collective totale d'iode 131 pour l'ensemble de la population des Etats-Unis pour la totalité des essais atmosphériques du Nevada est estimée par le NCI à 4 X 108 homme.rad, la dose par personne à la thyroïde à 2 rad (environ 20 mGy).

D'autres radionucléides que l'iode 131 ont contribué à la dose interne par personne dans une proportion de 10 % environ. Les doses les plus significatives ont été concentrées sur les séries d'essais de 1957 (32 %), 1952 (29 %) et 1953 (23 %). Ces essais, pour la plupart de faible puissance, ont engagé des produits radioactifs qui sont restés pour l'essentiel dans la troposphère et ont dégagé la majeure partie de leur radioactivité pendant le premier passage du nuage.

Les doses moyennes à la thyroïde sont évaluées (pour la totalité de la période) à 5 mGy pour les personnes adultes au début de la période des essais, en 1951 et à 30 mGy pour celles nées en 1951.

Les comtés pour lesquels les retombées d'iode 131 ont été les plus fortes sont logiquement ceux du Nevada et de l'Utah (proximité et situation sous les vents dominants) ; ceux pour lesquels elles ont été les plus faibles sont ceux de la côté Pacifique Nord-Ouest c'est-à-dire dans les états de Washington et de l'Oregon. Les estimations de doses par comté pour les enfants nés en 1951 vont de moins de 0,1 mGy dans moins d'une dizaine de comtés jusqu'à 300 mGy dans 550 comtés. Les doses reçues par les adultes sont à peu près dix fois inférieures.

La série de cartes de reconstitution des doses d'irradiation interne d'iode 131 illustre le rôle essentiel de la consommation de lait qui a amené le NCI à présenter pour chaque année les doses en quatre catégories par degré d'irradiation croissant : non consommateurs de lait, consommateurs moyens, consommateurs importants et consommateurs de lait de « vache élevée en plein air ». Enfin, le lait de chèvre s'est révélé être un vecteur encore plus contaminant.

Appelé à apprécier la validité de ces estimations d'irradiation à l'iode 131 au niveau national, à celui des comtés et au niveau individuel, le rapport IOM/NRC indique dans sa synthèse :

« 1. Le NCI a entrepris une tâche très délicate, qui reposait sur des données peu nombreuses, à la fiabilité et à la validité incertaines, pour tenter de s'acquitter de la mission que lui avait conférée le Congrès. Le rapport du NCI constitue un tentative minutieuse, précise et responsable, d'estimer l'irradiation à l'iode 131 libéré lors des essais d'armements nucléaires dans le Nevada. Les méthodes appliquées par le NCI sont jugées généralement raisonnables, même si certains aspects particuliers sont contestables.

2. L'estimation des doses collectives d'iode 131, reçues par la population américaine, est cohérente avec l'analyse faite par le comité, et il est peu probable que ces chiffres surestiment ou sous-estiment grandement les niveaux effectifs.

3. Les niveaux de précision présentés dans le rapport, et singulièrement dans les estimations par comté de la dose d'iode 131 fixée dans la thyroïde, sont probablement trop incertains pour être repris dans une estimation de la contamination individuelle. Pour l'essentiel, les mesures directes des retombées de chaque essai particulier n'ont été effectuées qu'en une centaine de lieux dans tout le pays (hormis au voisinage du site des essais lui-même). Les estimations des risques d'irradiation par comté peuvent aussi être de peu d'intérêt pour certains individus pour lesquels l'irradiation est fonction de facteurs critiques, tels que la variation de la consommation individuelle de lait et d'autres denrées alimentaires, ou encore des changements dans la provenance de ces denrées.

4. Les estimations par individu de l'irradiation passée à l'iode 131 libéré lors des essais nucléaires dans le Nevada sont possibles, mais incertaines, voire hautement incertaines, parce que l'on manque très souvent de données critiques, ou que la fiabilité des données disponibles est douteuse. Les individus qui étaient encore enfants à l'époque des essais et qui buvaient régulièrement du lait de vache élevée en plein air, et surtout du lait de chèvre, constituent une petite minorité de la population exposée de façon significative à l'iode 131.

¬ La déclaration de M. F. Owen Hoffman devant la sous-commission des enquêtes permanentes du Sénat12 comporte un passage mettant en lumière les résultats spécifiques de l'étude du NCI :

Doses significatives reçues dans les régions du Centre-Ouest et de l'Est des Etats-Unis.

L'une des conclusions les plus importantes du rapport NCI est l'abondance des retombées qui se sont produites dans les régions du Centre-Ouest et de l'Est des Etats-Unis. Dans de nombreux cas, les doses à la thyroïde reçues par des enfants résidant dans l'Est des Etats-Unis étaient équivalentes ou supérieures à celles reçues par des enfants vivant dans les comtés voisins du polygone du Nevada, dans lesquels les résidents peuvent prétendre à des indemnités en compensation de cancers radiogéniques spécifiques en vertu de la loi de 1990 sur l'indemnisation de l'exposition au rayonnement.

Ainsi, d'après les informations disponibles sur le site Internet du NCI, un enfant né en janvier 1952 dans le comté de Clark, Etat du Nevada, aurait pu recevoir une dose à la thyroïde allant de 0,4 à 68 rads, avec une valeur centrale estimée de 5,5 rads, si le régime alimentaire de cet enfant comprenait une quantité moyenne de lait acheté dans un magasin. Un enfant ayant une date de naissance et un régime alimentaire similaires, né à Washington, D.C. aurait pu recevoir une dose allant de 1,2 à 21 rads, avec une valeur centrale estimée de 5 rads.

Les doses moyennes les plus élevées ont été reçues par les personnes qui étaient dans l'enfance au moment des tirs.

On estime que la dose moyenne à la thyroïde pour 3,5 millions d'enfants de moins de un an pendant l'année 1952 allait de 5 à 20 rads, avec une valeur centrale estimée de 10,3 rads (environ 100 mGy). La dose moyenne pour environ 14 millions d'enfants ayant un âge compris entre 1 et 4 ans en 1952 allait de 3,4 à 13 rads avec une valeur centrale estimée de 6,7 rads. La dose moyenne pour un autre groupe de 14 millions d'enfants d'âge compris entre 5 et 9 ans en 1952 allait de 2,3 à 9 rads, tandis que, pour 23,9 millions d'enfants d'âge compris entre 10 et 19 ans en 1952 la moyenne allait de 1,2 à 4,6 rads. La majorité de ces enfants résidait dans les régions plus peuplées de l'Est des Etats-Unis

On a relevé des doses individuelles élevées chez les enfants ayant consommé du lait provenant de sources non-commerciales, ou des quantités de lait du commerce supérieures à la moyenne.

L'âge au moment de l'exposition ainsi que la quantité et le type de lait consommé constituaient d'important facteurs déterminants de la dose. Par exemple, dans le cas des enfants nés en 1952 qui ont consommé soit des quantités supérieures à la moyenne de lait acheté au détail, ou du lait provenant de sources locales telles qu'une vache familiale ou une ferme voisine, on trouvait aux U.S.A. environ 270 comtés où les valeurs centrales estimées des doses totales à la thyroïde auraient pu dépasser 30 rads, et près de 2500 comtés où les doses centrales estimées atteignaient 10 à 30 rads. Par contre, pour les individus ayant un régime alimentaire similaire nés au début de 1945, il n'y avait que 600 à 700 comtés où les doses totales dépassaient 10 rads. Pour les individus ayant un régime alimentaire similaire nés au début de 1957, les doses à la thyroïde dépassaient 30 rads dans un nombre de comtés allant de 13 à 30, et 10 rads dans un nombre de comtés allant de 700 à plus de 1000.

On a relevé les doses les plus élevées parmi les enfants ayant consommé du lait de chèvre.

Les doses à la thyroïde maximales auraient été reçues par des enfants qui, pour une raison quelconque, auraient consommé du lait provenant de chèvres familiales ou d'un élevage local. Chez ces individus, les doses à la thyroïde pourraient avoir atteint ou dépassé les 100 rads. La consommation de lait de chèvre provoque des doses plus élevées parce que les chèvres transfèrent l'iode à leur lait beaucoup plus efficacement que les vaches. Dans le comté Meagher (Montana), où les doses estimées sont les plus élevées, un enfant né en 1952 qui aurait consommé du lait de chèvre est estimé avoir potentiellement reçu une dose à la thyroïde allant de 20 à plus de 5000 rads, avec une valeur centrale estimée de 330 rads. Le NCI estime qu'il aurait pu y avoir aux U.S.A. jusqu'à 40 000 personnes ayant consommé du lait de chèvre à l'époque des essais atmosphériques sur le NTS, dont peut-être jusqu'à 14 000 de ces consommateurs de lait de chèvre étaient âgés de moins de 15 ans.

¬ Pour apprécier ces résultats spécifiques, M. F. Owen HOFFMAN les remet en perspective avec les normes et prescription de protection de l'époque et d'aujourd'hui :

Comparaison avec les valeurs-guides de radioprotection

A l'époque des essais, le Commissariat à l'Energie Atomique des Etats-Unis (U.S. Atomic Energy Commission) était auto-règlementé. Il n'existait pas de guides applicables à l'exposition de la thyroïde. En 1957, la limite opérationnelle d'irradiation gamma externe "corps entier » était fixée à 3,9 R_ntgens par an ou par série d'essais pour les expositions hors site. La déposition faite en 1957 par Gordon Dunning prouve que l'AEC avait conscience du fait que les doses à la thyroïde chez les enfants auraient pu être importantes, mais aucune limite particulière ne fut établie.

En 1964, le Federal Radiation Council (FRC) (Conseil Fédéral de Radioprotection) recommandait comme mesure de radioprotection une limite de dose cumulée de 10 rads pour un échantillon d'homogénéité adéquate d'enfants ayant moins de 1 an à l'époque des essais. La dose moyenne pour 3,5 millions d'enfants ayant moins de 1 an à l'époque des essais était 10,3 rads, ce qui indique que, pour un nombre important d'enfants, les doses auraient pu dépasser la valeur-guide du FRC. Pour les enfants de moins de 1 an ayant consommé une quantité de lait supérieure à la moyenne, et pour ceux ayant consommé du lait provenant de fermes locales, de vaches familiales ou de chèvres, les doses auraient été très supérieures à la valeur-guide du FRC.

Actuellement, les valeurs-guides de la Food and Drug Administration (FDA) (Agence de l'Alimentation et des Médicaments) sont fixées à 1,5 rad et 15 rads, la première étant la valeur-guide de prévention (alimentation des vaches à partir de stocks d'aliments non-contaminés), et la deuxième la valeur d'intervention urgente (confiscation du lait dans les magasins pour en éviter la distribution). Pour des doses à la thyroïde de 25 rads ou plus, l'EPA (Environmental Protection Agency = Agence pour la Protection de l'Environnement) recommande d'administrer de l'iode stable afin de bloquer l'absorption d'I-131 par la thyroïde. L'étude NCI indique nettement que ces niveaux de dose auraient pu être dépassés en de nombreux points des U.S.A. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a entrepris de recommander l'administration d'iode stable aux populations potentiellement exposées lorsqu'il s'agira d'éviter des doses éventuelles supérieures à 1 rad chez les enfants de moins de 18 ans. Chez les enfants nés au début de 1952 qui ont consommé du lait provenant de sources non-commerciales, ou des quantités de lait commercial supérieures à la moyenne, la dose à la thyroïde de 1 rad résultant de l'exposition à l'I-131 du NTS a été dépassée pratiquement partout aux U.S.A.

Comparaison avec les normes de radioprotection

Les doses à la thyroïde résultant de l'exposition aux retombées dépassaient également les normes fixées par les directives passées et présentes. En 1954, le NCRP (National Council on Radiation Protection and Measurements = Conseil national de radioprotection et de mesure des rayonnements) recommandait pour les enfants une dose limite de 1,5 rem par an au niveau des organes critiques du corps humain. Pour l'I-131, un rem est équivalent à un rad. Bien que cette limite ait été fixée pour une période d'un an les expositions individuelles aux retombées d'I-131 du NTS ont fréquemment dépassé cette limite sur la durée d'une seule série d'essais, ladite durée étant inférieure à quelques mois. »

2.3. Les estimations des risques de cancer.

Le rapport IOM/NRC résume son appréciation de cet aspect, indiscutablement le plus difficile à traiter, dans les termes suivants :

« Le rapport en deux volumes du NCI sur la reconstitution des doses reçues ne comportait pas d'estimations du risque de cancer de la thyroïde en relation avec ses estimations de la contamination à l'iode 131, libéré lors des essais nucléaires dans le Névada. Une note séparée, diffusée ultérieurement, fournissait des estimations sur le risque de cancer de la thyroïde du vivant des personnes ainsi que le nombre de cas de cancer en excès liés à cette contamination. Outre l'examen des estimations, des hypothèses et des méthodes du NCI, le comité a également passé en revue les publications sur le cancer associé à l'irradiation à l'iode 131, ainsi que les statistiques épidémiologiques sur la prévalence du cancer de la thyroïde aux États-Unis. La principale conclusion de cette analyse des publications est que le lien entre le cancer de la thyroïde et l'exposition à l'iode 131 des retombées, longtemps considéré comme incertain, est désormais fondé sur la base des études réalisées à la suite de l'accident du réacteur nucléaire de Tchernobyl, en 1986. Ces études ayant porté principalement sur des enfants et ne permettant qu'un recul nécessairement limité, les implications pour les adultes actuellement d'âge moyen restent à clarifier.

Selon les estimations révisées du NCI, qui ne sont ventilées ni par comté ni par État, la contamination à l'iode 131 libéré lors des essais atmosphériques dans le Nevada produira entre 11 300 et 212 000 cas supplémentaires de cancer de la thyroïde du vivant des personnes, avec une estimation moyenne ou centrale de 49 000 cas. Le comité estime que la démarche suivie par le NCI pour élaborer ses estimations des cas de cancer en excès liés à l'iode 131 est généralement raisonnable, mais il met tout de même en doute certaines hypothèses. Il a observé en particulier qu'il y a désaccord au sein de la communauté scientifique sur l'hypothèse de la linéarité dose-réaction, en vertu de laquelle même une infime dose d'iode 131 fixée dans la thyroïde se traduit par un risque carcinogène supplémentaire. La plupart des doses d'irradiation à l'iode 131 résultant des essais dans le Nevada étaient des doses faibles, pour lesquelles l'hypothèse d'un risque de cancer n'est guère vérifiée.

Plusieurs études épidémiologiques ne corroborent guère les estimations les plus élevées sur les cas de cancer en excès en relation avec l'iode 131, même si ces études présentent aussi certaines limites, qui restreignent leur aptitude à détecter les effets des retombées d'iode 131 sur la population. Compte tenu de ces limites, les analyses suggèrent que les cas de cancer en excès sont nettement en deçà de la fourchette supérieure donnée par le NCI et se situent probablement dans le bas de cette fourchette. Une autre analyse (fondée sur l'hypothèse selon laquelle le risque de développer un cancer est constant pour une personne durant son vivant) suggère qu'environ 45 pour cent des cancers de la thyroïde liés à l'iode 131 sont d'ores et déjà apparus. Bien que le comité mette en garde contre le fait d'utiliser les doses estimées par le NCI au niveau des comtés pour apprécier le risque individuel de cancer de la thyroïde, il suggère que la probabilité d'une contamination significative est plus grande pour ceux qui étaient de jeunes enfants à l'époque et qui avaient l'habitude de boire du lait de vache élevée en plein air, et surtout du lait de chèvre. »

Les estimations faites par ailleurs restent très voisines. Ainsi, M. F. Owen Hoffman (cf. supra) donne une amplitude de 8000 à 203 000 cas supplémentaires. Dans cette même déclaration, et dans la même tonalité que le rapport IOM/NRC, il insiste sur le caractère relatif de la dose comme indicateur de risque :

« Le traitement du risque pour la santé dans le cadre du rapport NCI est essentiel, car sans lui il n'est pas facile de déterminer l'impact total des essais d'armes sur la population des U.S.A. En l'absence de ce traitement, le lecteur ne peut pas savoir qu'un adulte du sexe masculin, habitant près du polygone d'essai du Nevada à l'époque des essais, et ayant reçu une dose à la thyroïde pouvant atteindre 20 rads, court un risque dix fois moindre qu'une petite fille habitant dans l'Est des U.S.A. et ayant reçu une dose limitée à 0,5 rad. Le sexe et l'âge au moment de l'exposition sont plus importants dans la détermination du risque que la dose, le régime alimentaire et la situation géographique. »

Dans toutes les hypothèses, il apparaît que la majorité des cas se trouveront parmi les femmes ayant résidé dans le Middle-West ou dans l'Est des Etats-Unis et qui avaient huit ans au plus à l'époque de la fin des essais.

¬ Les estimations de mortalité

Le même auteur (F. Owen Hoffman) fournit une indication quant à la mortalité induite au vu de ces estimations de cancers radio-induits de la thyroïde : « Bien que les traitements du cancer de la thyroïde soient extrêmement efficaces, le traitement clinique nécessite en général l'ablation de la glande thyroïde et le placement à vie du patient sous hormone thyroïdienne de synthèse. Moins de 10 % des cas diagnostiqués de cancer de la thyroïde se traduisent par un décès prématuré dans les 20 ou 30 ans suivant le traitement. Cela veut dire que la mortalité radiogénique induite par une exposition à l'iode 131 des retombées des essais d'armes sur le NTS pourrait être supérieure à 1000 décès mais probablement inférieure à 20 000 décès, la valeur centrale estimée étant de plus de 4000 décès. »

2.4. « Les informations pour la pratique clinique et la santé publique »

C'est en ces termes que les conclusions essentielles du rapport de l'IOM/NRC sont regroupées face à un problème d'autant plus délicat que les bases scientifiques des constatations n'ont pas la rigueur qu'on attend naturellement, surtout après des travaux de reconstitution et d'analyses aussi considérables. Ces conclusions formulent ainsi le dilemme et fournissent quelques préconisations :

« Du point de vue de la pratique clinique et de la politique de santé publique, les estimations du NCI sur l'irradiation à l'iode 131 et sur le risque carcinogène posent un problème critique, en ce sens qu'elles ne sont pas d'une grande aide pour identifier les individus présentant un risque significativement élevé de développer un cancer de la thyroïde. En outre, le cancer de la thyroïde induit par des radiations ne peut pas être distingué d'un cancer de la thyroïde induit naturellement.

En tout état de cause, le fait de disposer d'estimations plus précises ne modifierait pas de façon majeure les conclusions (du comité IOM/RNRC) allant à l'encontre d'un dépistage de routine de la population en général, ou de sous-groupes de population potentiellement exposés à l'iode 131. Cette recommandation du comité se fonde sur l'absence de faits attestant qu'une détection précoce du cancer de la thyroïde par un dépistage (plutôt que par une thérapie clinique de routine) améliorerait l'état de santé des patients. Le comité observe que le cancer papillaire de la thyroïde, qui est la forme la plus courante du cancer de la thyroïde induit naturellement et la forme associée à l'irradiation, présente un taux de survie élevé, quelle qu'en soit la cause, lorsque celui-ci est diagnostiqué dans le cadre d'une pratique clinique de routine sans dépistage. Les personnes diagnostiquées avec un cancer papillaire sont encore 90 pour cent à être en vie, 30 ans après.

Le dépistage présente potentiellement des avantages et des inconvénients. Le dépistage de routine d'un cancer thyroïdien par palpation et, plus particulièrement, par ultrasons, identifiera de nombreux nodules dont la plupart ne présenteront pas de caractère malin. Cette identification donnera lieu à d'autres examens par biopsie (FNA). Les biopsies permettront de découvrir quelques nodules cancéreux, ne détecteront pas de cancer dans la grande majorité des nodules et donneront une proportion significative d'échantillons indéterminés ou insatisfaisants (de 20 à 30 pour cent, voire plus), qui peuvent déboucher sur une chirurgie de la thyroïde inutile pour de nombreuses personnes ne souffrant pas d'un cancer de la thyroïde, ou qui souffrent d'un cancer peu évolué, qui n'évoluera jamais au point d'occasionner des problèmes de santé.

Etant donné les craintes populaires à l'égard du cancer et l'inquiétude suscitée par les radiations, la portée souvent modeste des campagnes d'information du public et les recommandations contraires émises par d'autres groupes, il est probable que les cliniciens verront certains de leurs patients exprimer des craintes vis-à-vis d'une possible exposition à des (...) retombées radioactives et demander un dépistage du cancer de la thyroïde. Même si le comité estime que la décision d'un examen physique, incluant la palpation de la thyroïde, doit être une décision conjointe, il se prononce contre un dépistage par ultrasons pour les patients ne présentant pas de symptômes ».

2.5. La situation des participants aux essais

Les effets des radiations qui ont pu être reçues par les personnels participant aux essais nucléaires ont déjà été abordés, en ce qui concerne les Etats-Unis, à propos du site de Bikini (opération « Crossroads » en 1946). La présence des personnels militaires aux nombreuses séries d'essais ayant eu lieu au Nevada de 1951 à 1958 a concerné approximativement près de 220 000 soldats. Le nombre de ceux, beaucoup plus restreint, qui ont été en position de recevoir des doses signifiantes de radioactivité n'est pas facile à préciser davantage d'autant que le suivi dosimétrique individuel n'a pas été assuré d'une manière très large ni systématique (cf. infra).

Dans le cadre d'une ouverture de l'information sur l'ensemble des thèmes relatifs à l'exposition à la radioactivité, un rapport (rendu en 1995) que l'on peut qualifier d'exhaustif du comité consultatif sur l'expérience des radiations sur l'homme (ACHRE selon le sigle américain) créé en janvier 1994 par le Président Clinton, a largement traité, entre autres, celui des effets éventuels des essais nucléaires, notamment pour les personnels participants.

Quelques extraits du chapitre 10 relatif aux essais permettent de situer les données du problème et d'indiquer quels enseignements on peut en tirer sur le plan de l'épidémiologie.

¬ Pratique du suivi dosimétrique ne répondait pas à une conception générale et systématique « couvrante », ainsi que le montrent les documents disponibles depuis longtemps mais aussi ceux obtenus par le Comité :

« Pour la série "Upshot Knothole" de 1953, qui comprenait l'étude "DesertRock V HumRRO", les données du DOD (Department of Defense) de 1994 montrent que seulement 2282 des 17 062 participants ont été reconnus comme ayant reçu des dosimètres photographiques individuels. Pour Désert Rock V, la politique du Service de Santé des Armées, qui était que les expositions ponctuelles n'avaient pas à être enregistrées, conduisit à décider que les troupes en man_uvre recevraient un dosimètre photographique par section, et que les observateurs en recevraient un par autocar. Une circulaire de I'AFSWP (Armed Forces Special Weapons Project) signalait que le Service de Sécurité Radiologique ne disposait pas de dosimètres de poche en quantité suffisante pour effectuer sa tâche correctement. Une circulaire du DOD, récemment déclassifiée, signale que (bien que les dosimètres photographiques portés par les officiers volontaires pour Désert Rock V) aient indiqué une dose gamma moyenne de 14 Roentgens, les meilleurs renseignements dont on dispose suggèrent que la dose véritable était probablement une dose initiale gamma plus neutrons de 24 rems ».

¬ La recherche sur des cohortes par série d'essais a donné quelques indications mais dont la confirmation est toujours difficile à établir surtout si l'on prend en compte les incertitudes quant aux données de base (dosimétrie, inclusions ou exclusions à tort de certaines parties des effectifs dans les groupes suivis, etc...) :

« En 1980, les Centers for Disease Control (CDC) (Centres de Contrôle des Maladies) ont signalé un groupe de 9 leucémies parmi les 3224 participants (identifiés à l'époque) au tir « Smoky" sur le polygone d'essais du Nevada en 1957. Un rapport ultérieur porte à 10 le nombre de leucémies recensées, contre un nombre prévisible de 4 sur la base du taux d'atteinte U.S., sans toutefois signaler d'excès de cancers affectant les autres sites anatomiques (le total recensé étant de 112 contre 117,5 prévus). L'essai « Smoky" a été le tir sur tour le plus puissant jamais effectué sur le polygone d'essais du Nevada; toutefois, les doses mesurées pour les participants à cet essai, en tant que population, étaient trop faibles pour expliquer cet excès. One ne sait toujours pas si ce groupe représente un événement aléatoire, une sous-estimation des doses reçues par les quelques participants ayant contracté une leucémie, ou s'il y a une autre explication. 

A la lumière des études CDC, l'Académie Nationale des Sciences (NAS), a alors entrepris une étude élargie à cinq séries d'essais, réunissant 46 186  participants (identifiés à l'époque). Le rapport NAS de 1985 confirmait les excédents de leucémies pour l'essai Smoky, sans toutefois trouver de tels excédents dans aucune des séries d'essais (à la différence des essais pris séparément), ni aucun schéma concordant d'excédents pour les autres sièges de cancer. Cependant, il se révéla ultérieurement que l'étude NAS avait été faussée par l'inclusion de 4 500 individus qui n'avaient jamais participé aux essais et l'exclusion de 15 000 individus qui avaient participé à une ou plusieurs des cinq séries, ainsi que par une dosimétrie incomplète.

La découverte tardive du fait que des milliers de participants aux essais avaient fait l'objet d'identifications erronées soulignait avec force les déficiences dans la saisie et l'archivage des données auxquelles étaient confrontés ceux qui cherchaient, après de nombreuses années, à reconstituer les degrés d'exposition des participants aux essais ».

Dans un rapport de 1995, l'Institut de Médicine a trouvé que les estimations de dose qui avait été proposées pour utilisation dans l'étude de suivi de la NAS était inutilisables à des fins épidémiologiques, tout en concluant qu'il serait possible de créer un système de reconstitution des doses pouvant être utilisé dans ce but. Il existe cependant d'autres études qui sont d'un intérêt direct.

Récemment, Watanake et al. ont étudié la mortalité parmi 8554 anciens combattants de la Marine ayant participé à l'opération "Hardtack" au Centre d'Essais du Pacifique en 1958. C'est actuellement la seule étude d'anciens combattants américains comprenant un groupe-témoin de militaires non exposés au rayonnement. Dans l'ensemble, le groupe de participants présentait un taux de mortalité plus élevé de 10%, mais l'excédent de cancers n'était significatif que pour l'ensemble de la catégorie des organes digestifs (66 décès, à comparer avec 44,9 prévus, soit une augmentation de 47 pour cent). En moyenne, les doses de rayonnement étaient faibles (388 mrems en moyenne), mais parmi les 1094 hommes ayant reçu des doses supérieures à 1 rem, on constatait un excédent de 42 pour cent pour toutes les formes de cancer. Aucune catégorie de siège de cancer ne montrait d'excédent significatif ni de relation nette entre dose et effets, mais le nombre de décès dans chacune des catégories était faible.

Les effets ainsi observés doivent être placés dans le contexte de ce que l'on peut raisonnablement attendre sur la base de ce que l'on sait actuellement des risques liés au rayonnement à faible dose, et des doses que l'on pense avoir été reçues par les anciens combattants. Environ 220 000 militaires ont participé à au moins un essai nucléaire. Les dosimètres photographiques de ceux qui en étaient munis (considérés comme à peu près représentatifs de l'ensemble des participants) indiquent en moyenne 600 mrem. Comme l'indique en résumé la section "Eléments Fondamentaux de la Science des Rayonnements" de l'Introduction, l'opinion générale des experts est que le risque, sur une vie entière, de subir un cancer mortel du au rayonnement est d'environ 8 pour 10 000 hommes-Rem. Sur cette base, on peut prévoir un excédent d'environ 106 décès dus à des cancers pouvant être liés à une participation à des essais nucléaires. Ce chiffre est non seulement très incertain, mais faible par comparaison avec les 48 000 décès par cancer que l'on peut prévoir, à terme, pour cette population.

Il serait virtuellement impossible de déceler un excédent aussi faible par des méthodes épidémiologiques. Toutefois, dans certains sous-groupes, l'augmentation relative par rapport aux taux normaux pourrait être assez importante pour être décelable. La leucémie, par exemple, est proportionnellement beaucoup plus radio-sensible que les autres cancers et l'excédent le plus important se produit assez tôt après l'exposition, lorsque les taux naturels sont bas. Une concentration sur les sujets les plus exposés accentuerait aussi l'augmentation relative, avec toutefois un risque limité à un nombre de personnes très inférieur. La Defense Nuclear Agency estime qu'environ 1200 anciens combattants ont reçu plus de 5 Rems (8,1 rems en moyenne). Sur cette base, on pourrait prévoir environ huit décès supplémentaires par suite de cancer. Ces facteurs pourraient avoir contribué à l'excédent de leucémies observé, par exemple, parmi les participants au tir "Smoky"."

¬ Les éléments d'information sur différentes séries d'essais pratiqués sur le site du Nevada (et accessoirement sur celui du Pacifique) montrent la difficulté d'obtenir des résultats conclusifs même sur des effectifs importants, pour de nombreux essais et pour des expositions qui, dans certains cas, n'ont pas été négligeables. Le comité consultatif (ACHRE) conclut sur ce point quant aux décisions à prendre en matière d'études épidémiologiques plus poussées :

« Comme le montrent clairement les données épidémiologiques dont on dispose actuellement, il n'existe pas de schéma cohérent pour les risques supplémentaires de cancer parmi les anciens participants aux essais atomiques, bien qu'il y ait un certain nombre d'indications, en particulier les excédents de leucémie chez les participants au tir Smoky et aux essais britanniques, dont les causes sont toujours inexpliquées. En raison de la faiblesse des doses enregistrées, du petit nombre des excédents prévus et des problèmes de dosimétrie et d'archivage, il est très difficile de déterminer si les anciens des essais atomiques, en tant que groupe, présentent un risque de cancer notablement plus élevé, et si les excédents constatés peuvent être attribués à leur exposition au rayonnement. Ayant procédé à l'examen approfondi de l'intérêt que pourraient présenter des études épidémiologiques plus poussées, le Comité consultatif est parvenu à la conclusion que la décision d'entreprendre de telles études devrait être prise par d'autres groupes d'experts constitués à cet effet ».

Les rapporteurs de la présente étude qui ne sont pas des experts et notamment pas des épidémiologistes ne peuvent que souligner et reprendre une telle conclusion, sachant en outre que les questions posées n'ont que de lointains rapports avec celles qui ont pu se poser pour la France.

3. Les essais souterrains

Les essais nucléaires souterrains aux Etats-Unis ont commencé en 1951 et se sont poursuivis jusqu'en 1992, année où six tirs ont encore eu lieu.

Le nombre d'essais s'élève à 815 auxquels s'ajoutent 24 essais conjoints anglo-américains sur le site du Nevada ; il s'agit là des éléments chiffrés fournis en 2000 par le Départment of Energy (cf. supra). L'UNSCEAR, de son côté, en a comptabilisé 908 pour les seuls essais américains dans son rapport 2000, mais en 1993, elle n'en comptait, pour le seul site du Nevada,  que « plus de 500 ». L'ouvrage de Sir Frederick Warner et René J.C. Kirchmann, Scope/59, (op. cit.) avance le chiffre de 910.

Ces écarts peuvent peut être s'expliquer par des essais comportant des tirs en salve (maximum huit charges).

Le tir le plus puissant (5 Mégatonnes) a été celui réalisé en Alaska, dans les îles Aléoutiennes à Amchitka le 6 novembre 1971 pour tester une ogive du missile Spartan. Auparavant, deux autres tirs souterrains avaient eu lieu sur cette île de 300 km2, l'un de 1 Mt à 1 200 m en octobre 1969, l'autre de 80 kt à 700 m de profondeur en octobre 1965. Il s'agit là d'exceptions puisque la plupart des essais ont été considérablement plus faibles (de la kilotonne à la centaine de kilotonnes).

On ne dispose pas d'informations détaillées sur la vingtaine d'essais qui ont eu lieu en dehors de l'Alaska et du site du Nevada. S'agissant de ce dernier, ce sont les relâchements de radionucléides dans l'atmosphère qui retiennent particulièrement l'attention et ce, pour deux catégories de circonstances très différentes : les essais militaires qui n'ont pas été complètement confinés d'une part, les tirs d'excavation (ou « cratering ») qui par définition, avec les débris qu'ils soulèvent et mettent en circulation dans l'atmosphère, sont à l'origine d'importantes émissions radioactives.

¬ Les essais souterrains militaires

Trente deux tirs au Nevada ont entraîné le relâchement de 5 000 TeraBecquerels d'iode 131 (de 1961 à 1980) ce qui est de l'ordre de cinq fois moins que les émissions dues aux essais atmosphériques. En fait, ces relâchements pendant des essais souterrains sont concentrés sur trois tirs (deux en 1962 et un en 1970) qui, à eux seuls, sont à l'origine de plus de 90 % du total des émissions (rapport UNSCEAR 1993).

La dose collective efficace d'iode 131 due aux relâchements lors de ces essais serait de 5 homme.Sv (ibidem).

Les objectifs des essais souterrains pratiqués par les Etats-Unis et les contraintes qui étaient les leurs, très différentes de celles de la France en Polynésie, les ont amenés à réaliser leurs tirs dans des conditions différentes, outre le fait essentiel que la géologie des sites n'a rien de comparable (cf. supra : essais souterrains en Polynésie sur les effets géologiques comparés).

¬ Les tirs à usage pacifique

L'idée d'utiliser des charges nucléaires pour réaliser certains travaux de génie civil s'est concrétisée par neuf tirs d'excavation sur l'ensemble des sites américains dont six au Nevada. Mais pour l'ensemble de ces essais, le DOE donne une estimation de 35 tirs (du type « plowshare »). Cette technique a connu une application beaucoup plus étendue en URSS (cf. infra). Elle ne semble pas avoir été utilisée dans d'autres pays, ce qui en tout cas est une certitude pour la Grande-Bretagne et la France. Les avantages qui en étaient attendus se sont révélés largement compensés, et au-delà, par des inconvénients tels que les émissions de radionucléides, la contamination des sites, l'absence de maîtrise géologique des effets du tir, etc...

Selon les indications du DOE cité par Scope/59 (op. cit.), les deux tirs les plus puissants : « Sedan » (16 juillet 1967) et « Schooner » (8 décembre 1968) le dernier, les puissances étaient respectivement de 104 et 30 kt, à des profondeurs de 193 et 108 mètres ; la hauteur du nuage était d'environ de 4 000 mètres. Les autres tirs ont été en puissance d'une centième de Kilotonne à 2,3 kt.

Pour le tir « Sedan », UNSCEAR (Rapport 1993), la dose collective de la population locale (180 000 habitants) a été estimée à 3 homme.Sv. Pour l'ensemble des essais souterrains (militaires et à usage pacifique), cette dose serait de 5,7 homme.Sv. La dose collective du tir « Schooner », qui a donné lieu à des retombées totales mesurées aussi en Europe, est estimée à 20 hommes.Sv.

LES ESSAIS NUCLEAIRES SOVIETIQUES

A partir de son premier essai nucléaire atmosphérique à Semipalatinsk le 29 août 1949 jusqu'aux derniers tirs souterrains sur ce site et en Nouvelle-Zemble en octobre 1990, l'URSS a effectué au total 715 essais nucléaires sur deux sites principaux, quelques sites secondaires et nombreux autres sites où notamment eurent lieu une part importante des explosions dites « tirs à usage pacifique ».

Le nombre d'essais atmosphériques s'est élevé à 219 (197 pour les Etats-Unis) avec une puissance totale de 247,3 Mégatonnes (153,8 pour les Etats-Unis). Ces données chiffrées, pour les tirs atmosphériques, sont celles de l'UNSCEAR et recoupent pour l'essentiel les sources spécialisées mais des différences de comptabilisation doivent être notées pour les tirs souterrains (cf. infra).

Ce n'est d'ailleurs que depuis une huitaine d'années que l'on dispose sur les essais soviétiques d'éléments d'informations qui vont au-delà des statistiques de tirs et des autres données de bases observables depuis l'extérieur du pays.

On a vu que pour l'ensemble des pays ayant pratiqué ou pratiquant des essais nucléaires, l'information s'est beaucoup ouverte au cours de la dernière décennie, notamment aux Etats-Unis. S'agissant de l'URSS, la situation de départ n'a rien de commun avec les trois pays occidentaux. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, la ville de Kourchatov, siège des responsables et des services ayant en charge les essais nucléaires et le polygone de Semipalatinsk lui-même, ne figurait sur aucune carte. C'est d'ailleurs L. Beria lui-même qui avait été chargé par Staline d'encadrer l'ensemble des programmes, qu'il s'agisse de la production des dispositifs nucléaires ou des essais. C'est dire l'importance première de ce programme pour les autorités soviétiques de l'époque.

Si des informations sont maintenant disponibles, notamment sur le polygone de Semipalatinsk, qui a fait l'objet d'une étude préliminaire de l'AIEA, on ne peut disposer que d'éléments parcellaires sur bien des aspects, y compris les essais souterrains, les sources existantes étant de toute façon locales13.

La consultation des données médicales et des registres d'état-civil entre 1949 et 1991 paraissent peu réalisables. Aucune étude ou même document non élaboré datant de la période des essais atmosphériques ou des vingt sept ans qui ont suivi n'est à ce jour cité par les auteurs spécialisés.

Le polygone de Semipalatinsk étant situé sur le territoire du Kazakhstan, la demande d'expertise qu'a formulé auprès de l'AIEA en 1994 ce nouvel Etat issu de l'URSS a été à l'origine d'une ouverture et de la communication de la plupart des données actuellement disponibles.

Les travaux scientifiques russes communiqués au moment de la réalisation de cette étude, puis ceux de spécialistes étrangers, permettent de savoir les conditions dans lesquelles ont eu lieu les essais et certaines des conséquences environnementales et sanitaires qu'ils ont eues. Deux autres facteurs d'ordre politique y ont contribué et y contribuent encore.

En premier lieu, après une première décision de 1993, le gouvernement de la Fédération de la Russie a fait adopter en 1995 une loi étendant le bénéfice de ces mesures de compensation aux personnes ayant été exposées aux radiations dues aux essais sur le site de Semipalatinsk, mais ces dispositions visent les personnes qui ont été victimes des retombées, effectivement importantes, dans la région de l'Altaï (ville principale : Barnaul), qui fait partie du territoire russe lui-même. Aussi, les travaux réalisés ou en cours depuis 1993 par les scientifiques russes portent-ils essentiellement sur l'Altaï.

En second lieu, la coopération entre la Fédération de Russie et les Etats-Unis dans le domaine de la sécurité nucléaire est à l'origine de la diffusion d'informations substantielles ainsi qu'en atteste un ouvrage publié en 1997 : « Derrière le rideau de fer : la gestion des déchets radioactifs dans l'ex Union Soviétique »14. Cet ouvrage centré en fait sur l'ensemble des problèmes posés par le nucléaire consacre une vingtaine de pages aux essais nucléaires.

Enfin, les travaux réalisés dans le cadre du rapport de l'AIEA ont permis de connaître certaines contributions à travers des publications ; par exemple celles de MM. C. Chenal et D. Robeau de l'IPSN (le polygone d'essais nucléaires de Semipalatinsk-Kazakhstan15.

L'approche des essais nucléaires soviétiques montre par ailleurs que si les conséquences de ceux-ci ont été importantes, à partir du site de Semipalatinsk, elles semblent sur le plan humain avoir eu des effets moins considérables que ceux des catastrophes liées aux activités nucléaires civiles ou militaires, mais qui sont hors du champ de la présente étude : Krasnoïarsk, usine de Kyshtym (1957), Tchernobyl (1986), Tomsk (1993), les naufrages de huit sous-marins nucléaires, sans parler des rejets de déchets radioactifs dans les fleuves sibériens.

Après une approche d'ensemble des essais en Union Soviétique, on présentera, comme la logique du sujet l'exige, le déroulement des faits et leurs conséquences connues site par site. Ici comme ailleurs, le développement de la technologie explique les évolutions, notamment la diversification des sites.

I - L'ensemble des essais soviétiques

Si le site de Semipalatinsk a été créé le premier en 1946, il a été utilisé jusqu'en 1962 pour les essais atmosphériques et jusqu'en octobre 1990 pour les essais souterrains.

A partir de 1955, le site de Nouvelle-Zemble, situé dans l'océan Arctique, fut en activité et c'est là qu'eurent lieu les tirs de très forte puissance. Dix essais eurent lieu depuis Kapustin Yar (Sud de l'Oural confins de la mer Caspienne), le dispositif étant tiré dans ce cas depuis un missile en altitude. Deux essais eurent lieu dans d'autres sites aux confins de la Russie et du Kazakhstan (Totsk et Aralsk). De nombreux autres lieux, en dehors de ceux qui viennent d'être cités, furent le théâtre d'explosions nucléaires : 129 sur 715. La répartition géographique de ces lieux est donnée par la carte ci-après. En effet, au-delà des essais militaires proprement dits, l'URSS pratiqua des « tirs à usage pacifique » dont le nombre n'est pas déterminé avec exactitude : de 120 à 156 selon les auteurs, ce chiffre s'imputant sur les 715 essais totaux. Il y a lieu enfin d'indiquer que le nombre de charges et de dispositifs nucléaires est plus élevé que le nombre d'essais : 796 pour 559 essais militaires, 173 pour 156 tirs à usage pacifique. Cet écart n'est pas expliqué si ce n'est d'une façon partielle par le tir de plusieurs charges simultanément ou par des expériences de sécurité. L'ouvrage précité Scope/59 (Nuclear Test Explosions) indique que les 254 charges tirées simultanément expliquent que le chiffre de 969 essais nucléaires soit parfois cité.

¬ La puissance totale de l'ensemble des tirs (atmosphériques et souterrains) s'élève à 285,39 Mégatonnes répartie géographiquement ainsi :

Semipalatinsk

Nouvelle-Zemble

Kapustin Yar, Totsk, Aralsk

Sites industriels et autres

17,42 Mt

265,34 Mt

1,03 Mt

1,60 Mt

La répartition des seuls tirs atmosphériques par site d'essais (puissances et retombées) est donnée par le tableau ci-après :

Site d'essais

Nombre d'essais

Puissance (en Mégatonnes)

Répartition de la puissance de fission (en Mégatonnes)

   

Fission

Fusion

Total

Localement et régionalemt

Dans la troposphère

Dans la stratosphère

Semipalatinsk

Novaya Zemlya

Totsk, Aralsk

Kapustin Yar

Total

116

91

2

10

219

3,74

80,8

0,040

0,68

85,3

2,85

158,8

0

0,30

162,0

6,59

239,6

0,040

0,98

247,3

0,097

0,036

0

0

0,13

1,23

2,93

0,037

0,078

4,28

2,41

77,8

0,003

0,61

80,8

Source : Rapport UNSCEAR 2000, page 205, annexe C

¬ La répartition par catégorie d'essais est donnée par le tableau ci-après :

Tirs atmosphériques, sous marins et dans l'espace

Explosions aériennes

Explosions à la surface du sol

Explosions sous-marine et

à la surface de la mer

Explosion dans l'espace

Explosion en haute altitude

Total

177

32

5

4

1

219

Tirs souterrains

En tunnel

En puits (dont 5 de cratère)

Total

245

251

496

Ces données (source : Donald J. Bradley/Battelle op. cit.) appellent quelques précisions terminologiques : les tirs souterrains sont effectués « sous le niveau du sol » à une profondeur très variable et ne sont pas nécessairement confinés ; ce n'est d'ailleurs pas le but recherché dans certains tirs du type « cratère » par exemple. Cela est à rapprocher de tirs dits sous-marins, effectués à 30 m du fond de la mer (Nouvelle-Zemble ou tirs américains aux îles Marshall).

graphique

II - Le site de Semipalatinsk

1. Le site lui-même

Le site de Semipalatinsk au Kazakhstan fut envisagé à partir de 1946 pour les essais nucléaires. Le polygone chevauche les limites de trois « oblasts » (régions) au Kazakhstan : Semipalatinsk, Pavlodar et Karaganda (cf. carte ci-après) et est proche de la frontière de ce qui est devenu la Fédération de la Russie (ex RSFSR). D'une surface de 18 000 km2 il s'étale sur 180 km du nord au sud et 140 km d'est en ouest. La ville de Kouchatov située à la limite Nord-Est du polygone était la base des personnels militaires, scientifiques et logistiques chargés des essais et comptait 30 000 personnes (un peu plus de 10 000 actuellement depuis la fermeture du polygone en 1991 et le départ de l'armée russe).

D'après l'AIEA, outre Kourchatov, deux hameaux dans la partie nord du polygone étaient habités à l'époque, une population d'environ 30 000 à 40 000 personnes vit actuellement à la périphérie immédiate dans la zone située sur la trajectoire des retombées et sur le polygone lui-même.

Sur le site lui-même, dont le caractère géographique est celui d'une vaste plaine steppique à 1 000 m d'altitude environ, ont été implantés trois réacteurs nucléaires souterrains de recherche (dont l'un en 1961 et l'autre en 1975), dont l'un était peu éloigné du point zéro principal des tirs atmosphériques. Le dernier de ces réacteurs aurait cessé de fonctionner en 1996. Des immeubles, maisons, structures d'usines, équipements de chemin de fer, ouvrages d'art, métro avaient été construits dans un rayon d'une vingtaine de kilomètres à partir du point zéro, afin d'apprécier concrètement les effets des explosions nucléaires.

2. Les caractéristiques des essais atmosphériques

Le premier tir a été celui de la première bombe atomique soviétique le 28 août 1949 (22 kt), le dernier tir atmosphérique, celui du 24 décembre 1962 (0,028 kt). Les deux essais les plus puissants sont ceux de la première bombe thermonucléaire du 12 août 1953 (400 kt) et celle à haute altitude du 22 novembre 1955 (1,6 Mt).

Plus de la moitié des essais atmosphériques soviétiques ont eu lieu à Semipalatinsk pour une puissance de 6,4 Mégatonnes, très faible par rapport à l'ensemble des essais soviétiques (247,3 Mégatonnes). Sur les 122 essais recensés par C. Chenal16, 35 ont été effectués sur des tours de 30 m de haut, technique beaucoup plus contaminante que celle aérienne  utilisée pour les 87 autres essais. Les deux techniques ont été utilisées concomitamment et non successivement comme dans d'autres pays mais il apparaît que les tirs sur tour, lorsqu'ils ont été pratiqués au cours des dernières années, l'étaient pour des puissances extrêmement faibles (à l'image du dernier tir de 1962). La radioactivité dispersée dans l'atmosphère à la suite de ces tirs a été estimée à 6,7 1015Bq pour le césium 137 et 3,7 1015Bq pour le strontium 90 (le total de rejet estimé des essais soviétiques s'établissant respectivement à 1,8 1017 et 1,2 1017Bq).

Une grande partie des retombées qui ont eu lieu loin, voire très loin du site, trouve son origine dans 24 tirs dont 13 tirs sur tour. Les principales contributions aux retombées radioactives locales et régionales seraient dues17 à cinq tirs dont celui de 1949 et celui du 12 août 1953, le dernier le 24 août 1956 (24 kt). D'autres auteurs ajoutent à cette liste, plus spécialement pour les retombées concernant l'Altaï, trois tirs du début 1962.

On ne dispose que de peu d'indications sur les conditions météorologiques dans lesquelles les essais se sont déroulés, celles-ci, comme l'ensemble des informations relatives à ces essais, ayant été classifiées jusqu'en 1991. Certains éléments sur le premier tir (27 août 1949) montreraient qu'il s'est déroulé dans de mauvaises conditions.

3. Les caractéristiques des essais souterrains

Il doit être rappelé que l'expression « essais souterrains » regroupe des catégories de tirs très différentes : les essais qui sont confinés, ceux qui ne le sont pas (soit involontairement, soit volontairement lesquels comprennent dans ce cas les tirs de cratère (au nombre de quatre pour ces derniers) à Semipalatinsk selon l'AIEA (cinq selon d'autres sources).

Le rapport de l'AIEA apporte les précisions suivantes sur l'ensemble des essais à Semipalatinsk et notamment sur les souterrains.

Formations géologiques prédominantes dans la zone d'essai

Site technique et situation géographique

Période des essais

 

Géologie dominante de la zone d'essais

Nombre d'essais

Site technique S

Point zéro

N 50° 26'

E 77° 59'

Site technique Ga

Degelen Mountain

N 49° 46'

E 77° 59'

Site technique Ga

Degelen Mountain

N 49° 59'

E 77° 38'

Site technique B

Balapan

N 49° 43'

E 78° 29'

Site technique B

Balapan

N 49° 56'

E 78° 29'

Premier tir

Dernier tir

Premier tir souterrain

Dernier tir

Premier tir souterrain

Dernier tir

Premier tir souterrain

Dernier tir

Premier tir souterrain

Dernier tir

29-8-1949

24-12-1962

11-10-1961

04-10-1989

10-10-1965

04-04-1980

21-10-1968

12-11-1968

15-01-1965

19-10-1989

Grès

Massif rocheux montagneux composé de granit, quartz-porphyre et syénite

Alévrolite, porphyre, grès

Argillite

Alévrolite, grès, aggloméré

Surface : 26

Air : 87

En galeries de mines : 215

En puits : 24

(y compris un relevant du programme de tirs à des fins pacifiques dans le puits Sary-Uzen)

En puits : 2

(tirs de cratère du programme de tirs à des fins pacifiques dans le puits Tel'kem and Tel'kem2)

En puits : 107

(y compris le tir à des fins pacifiques qui a créé le lac Balapan)

La carte générale du rapport de l'AIEA donne la localisation de l'ensemble des tirs et des installations techniques du polygone :

graphique

3.1. Les essais souterrains proprement dits

Les essais souterrains d'armes nucléaires ont eu lieu en galeries horizontales ou dans des puits forés spécifiquement. Les galeries sont estimées au nombre de 127 pour la zone technique G (monts Degelen) où 239 tirs ont eu lieu ; leur longueur va jusqu'à un kilomètre. Les puits, plus particulièrement pratiqués dans la zone technique B (lac Balapan) ont une profondeur de 400 m à 600 m pour la plupart (cf. figure ci-dessous extraite de l'article cité de C. Chenal - IPSN op. cit.). « Sur 125 essais dans cette zone, 120 peuvent être considérés comme réellement souterrains ».

graphique

Nombre d'essais souterrains d'armes en fonction de la puissance et de la profondeur

Les deux techniques semblent avoir été pratiquées concurremment dans le temps même si les tirs en puits ont été nettement majoritaires en fin de période.

Selon le même auteur : « Durant la période des essais souterrains, une exposition externe de la population a pu être occasionnée à la suite de treize fuites, en raison de fracturation du terrain, libérant dans l'atmosphère 7,4 1014 à 1,5 1015 Bq (3 à 4 104 Ci) de 137Cs et 9,25 1013 à 1,85 1014 Bq (2,5 à 5 103Ci) de 90Sr.

Cependant, aucune contamination résiduelle n'a été mesurée. Dans 60 % des tirs, un rejet de gaz rares a été observé dans l'atmosphère, entraînant une augmentation passagère de l'activité atmosphérique. Le 12 février 1989, 3 à 5 heures après un essais souterrain, le débit de dose à Tchagan, situé à 60 km du cite était de 23mSv par heure. L'exposition consécutive à cet « accident » estimée à 50mSv a été considérée comme négligeable ».

De son côté, M. Donald J. Bradley indique (op. cit. page 509) que « l'ensemble des essais souterrains (y compris les tirs à usage pacifique), 50% des tirs ont été complètement confinés, relâchant des gaz contenant des radionucléides à vie courte, et 1% a projeté des débris de sol dans l'atmosphère »; il apporte en outre (page 511)  des précisions concrètes sur les effets des tirs souterrains, notamment pendant la période la plus récente : « Jusqu'en 1980, les essais nucléaires souterrains du site d'essais de Semipalatinsk ont été effectués peu profondément ; toutefois, même les essais en grande profondeur sont connus comme ayant entraîné une contamination radioactive. Le 7 mai 1987, le niveau des radiations à Semipalatinsk, se trouvant à 90 km du site d'essais, atteignait 350 à 500 μR/h après une explosion en profondeur. Un milieu radioactif élevé a également accompagné les essais souterrains dans les zones adjacentes de la région d'Altaï (13 février 1989, jusqu'à 170 μR/h dans le secteur d'Uglovsky et 200 à 250 μR/h le 14 et 15 février 1989, dans les villes de Kulunda et Slavgorod). L'essai de novembre 1987 (jusqu'à 150 kilotonnes) entraîna six ruptures dans le réseau d'alimentation thermique de la ville de Gornyak (Bulatov 1993) ».

De son côté, l'UNSCEAR avait donné dans son rapport de 1993 (annexe B) des indications relevées à l'extérieur des frontières de l'URSS : « Des traces de radionucléides à vie courte résultant des essais soviétiques ont été relevées en Finlande et en Suède en 1966 et en 1971. La dose collective de la population suédoise à partir d'un tir souterrain ayant donné lieu à des fuites dans l'atmosphère à partir de Semipalatinsk en 1966 était estimé à 3 homme.Sv et à 0,1 homme Sv ou moins en sept autres cas ».

3.2. Les tirs d'excavation (ou de cratère)

¬Les cinq tirs d'excavation pratiqués sur le polygone de Semipalatinsk relèvent du programme de tirs à usage pacifique qui en a compté 124 au total répartis à travers l'ensemble de l'URSS.

¬ Le premier essai de ce type (pour toute l'URSS) a eu lieu le 15 janvier 1965 et avait pour objet de créer un lac artificiel à l'aide d'une charge de 140 kt qui a été tirée volontairement avec un rendement de 7% (environ 10 kt). Placé à 175 mètres de profondeur du fond d'un puits dans un terrain de grès légèrement humide avec un mélange de schiste et de lignite glaiseuse. Cette explosion a créé un cratère de 100 m de profondeur et d'un peu moins de 500 m de diamètre. Le lac artificiel ainsi créé dans ce cratère est situé au confluent de deux rivières dont la Tchagan qui a aussi donné son nom au lac et au tir. Le trait caractéristique de cette explosion a été le surgissement d'un nuage de terre en forme de bulbe d'un diamètre de 5 km et atteignant une hauteur de 2 500 mètres et s'étendant vers le nord-est (vers l'Altaï). La répartition du nuage avec les isodoses est données par la carte ci-dessous (extraite de Nuclear Test Explosions - Scope/59, op. cit. page 75).

graphique

Carte de la répartition des niveaux de doses après l'explosion du tir d'excavation « Chagan » (15/1/1965) en mR h-1, après vingt-quatre heures

M. C. Chenal (op. cit.) indique « que le débit de dose sur les berges de ce lac varie, suivant les endroits, de 10 à 70 μSv/heure (...) Il redevient normal à un kilomètre des berges sauf au nord où une tache de contamination subsiste (7 400 à 11 100 Bq/m2) ».

Le même auteur complète ainsi les informations sur les quatre autres tirs : « Un second lac - le lac Telkem - a été creusé artificiellement le 21 octobre 1968 à l'aide de trois « petites bombes » de 0,2 kt chacune. Aujourd'hui encore, les débits de dose y sont de l'ordre de 10 μSv par heure. Ce petit lac se trouve à 15 km du village de Sargal, 1 500 habitants. Le cinquième tir d'excavation a été effectué dans la partie sud-ouest du polygone non loin du village d'Inguedeboulak ».

Les mesures, notamment celles relatives au tir Chagan, ont été réalisées d'une part à l'époque où ces essais, particulièrement dans les heures et jours qui ont suivi, puis ultérieurement, en 1990, par des relevés aérogammamétriques.

¬ Les analyses des différents spécialistes convergent pour constater le caractère fortement contaminant de ces tirs, Chagan notamment. La situation récente (1990-1994) du polygone a donc fait l'objet de mesures de la contamination des sols y compris par relevés aérogammamétriques. Ces éléments sont présentés avec les résultats de l'étude préliminaire de l'AIEA sur les conditions radiologiques actuelles du site de Semipalatinsk.

4. Les éléments de mesure des retombées

Une précision méthodologique s'impose préalablement : compte tenu de l'existence de nombreux tirs souterrains non confinés sur une portion étendue du polygone de Semipalatinsk, le partage entre les retombées des essais atmosphériques et des souterrains au sens général de ce terme, ne peut pas être fait.

4.1. L'exposition externe

Les estimations d'exposition externe dont on dispose, essentiellement à partir de travaux de scientifiques russes et kazakhs réalisés depuis 1990, donnent des appréciations partielles mais assez représentatives sur les tirs les plus contaminants. Les éléments présentés concernent géographiquement le site, ses abords immédiats et les régions touchées jusqu'à 500 km environ, principalement vers l'Altaï.

¬ Une indication ponctuelle sur les mesures des retombées de la première période des tirs et sur l'appréciation des risques à l'époque est donnée par Bulatov (1993) cité par D. J. Bradley (op. cit. page 509) :

« Le premier essai nucléaire soviétique, d'une puissance de 22 kilotonnes, fut effectué à Semipalatinsk le 29 août 1949. Après les retombées radioactives locales, le taux de la dose radioactive dans le village de Dolon s'élevait à 200 R/hr, dans le village de Kara-Aul, le taux atteignait 250 R/hr , et à Sarzhal et Kaynar 150 R/hr. On fit retourner les habitants, qui avaient été relogés, le neuvième jour à Kara-Aul et le dix-neuvième jour à Kaynar et Sarzhal bien que le taux de la dose de radiation soit encore très élevé (25-60 mR/h). Une estimation des doses de rayonnements gamma s'élevait de 40 à 80 R/h près de l'axe du nuage des retombées radioactives dans le sud-est de la région avec une diminution progressive le long de la rivière Alay vers Barnaul-Zarinsk et au-delà vers l'oblast de Kemerovo. Différents rayons (secteurs) de l'Altay kray (région) reçurent des doses d'exposition aux rayonnements variant de 90 à 300 rems. Dans certaines villes habitées, la dose d'exposition pendant les trois premières années des essais dépassa 100 R. Au même endroit, le 12 août 1953, on fit exploser un engin de 500 kilotonnes et la population de 200 zones habitées situées autour du site d'essais fut relogée. Après l'essai, le taux de la dose sur la terre dans ces zones atteignit 150 à 250 R/hr et les gens furent autorisés à rentrer chez eux le neuvième jour (Bulatov 1993) ».

¬ Une estimation ponctuelle pour l'Altaï a été réalisée par Barkovski et al. (1995) cité par Scope/59 Nuclear Test Explosions ; elle donne les doses extérieures en mSv pour trois types de mode de vie (village de Veseloyarsk) pour le seul tir du 29 août 1949.

Durée d'intégration des doses

Vie en plein air

Fermier

Travailleur en intérieur

Pendant le passage du nuage

Pendant le premier jour

Pendant les 3 premiers jours

Au-delà

Dose totale

7,9

104

146

............

305

1,8

61

85

...........

189

1,2

21

18

...........

61

Une autre source citée par Scope/59 Nuclear Test Explosions (op. cit.) évoque pour certains secteurs du sud-ouest de l'Altaï des doses de 2500 mSv (Laborev et al.), la dose collective étant de 32 000. Plus de 70 % de la dose externe aurait été reçue pendant le premier mois après les retombées, dont 50 % pendant les quatre premiers jours. 48 des tirs atmosphériques ont affecté par leurs retombées la région de l'Altaï. Le nombre de personnes recensées à ce jour par le programme « Site d'essais de Semipalatinsk-Altaï » de la Fédération de Russie s'élève à 40 235.

¬ M. Anatoly Tsyb en 1990, alors directeur de l'Institut de recherches en médecine radiologique de l'Académie des sciences de l'URSS, rendit un rapport sur la situation du site de Semipalatinsk et au-delà. Il en ressortait que 10 000 personnes sur 85 000 habitants dans les environs du site avaient été exposés aux radiations (sur la période de 1949 à 1963 essentiellement). On évalua à 3 500 le nombre de personnes ayant reçu des doses de 20 à 37 rem, 1900 de 2 à 20 rem, le reste à moins de 2 rem ; dans le cas le plus extrême, les 90 habitants du village de Dolon auraient reçu des doses allant jusqu'à 160 rem. Au-delà du site, dans l'Altaï (à plusieurs centaines de kilomètres), la dose a été de 600 mSv pour le seul tir du 29 août 1949, 20 à 30 mSv pour celui du 7 août 1962.

¬ Le rapport présenté à l'AIEA en 1994 par MM. Dubasov et Matoushenko tire des corrélations assez voisines du précédent en indiquant que les populations les plus atteintes auraient été celles de la ville de Semipalatinsk (distante de 120 km du point zéro), de Pavlodar et de l'Altaï.

¬ Le rapport du Professeur Gusseïv, directeur de l'Institut de radioécologie (1997) est cité dans ces termes dans l'article précité de M. Christian Chenal (revue de l'IPSN) (cf. carte couleur en annexe).

« L'Institut de radioécologie dirigé par le Pr Gussiev a fait état de cartes dosimétriques montrant clairement les directions vers lesquelles les panaches radioactifs se sont déplacés. La carte montre les lignes isodoses pour les tirs ayant entraîné les expositions les plus importantes. On peut y observer les surfaces délimitées par des lignes isodoses allant de 600 mSv à 1 mSv.

Durant le tir ayant entraîné les expositions les plus importantes, celui du 29 août 1949, le débit de dose maximum, 250 mSv/h, a été mesuré à 5 km du pas de tir. Les populations situées à l'extérieur du site ont été soumises à un débit de dose de l'ordre de 100 à 150 mSv/h et auraient reçu, au total, de l'ordre de 600 mSv (...)

Les populations touchées par exposition externe peuvent être clairement identifiées. Il s'agit de celles des villages et petites villes de Kainar, Sargal, Karaul, Dolon situées à proximité du polygone, et des villes de Semipalatinsk, Oust-Kamenogorsk et Barnaul situées entre 150 et 500 km du pas de tir.

Pour neuf autres tirs considérés comme ayant entraîné des expositions significatives, aucune information suffisamment précise n'est disponible. À la suite du test du 29 août 1949, la dose délivrée à la population est estimée à 1 340 mSv à Dolon, 130 mSv à Mostic, 240 mSv à Lokot. Concernant l'explosion du 12 août 1953, la dose estimée à la population est de 420 mSv à Sargal et a pu atteindre 400 mSv à Karaul chez 191 personnes restées dans la ville malgré l'ordre d'évacuation de la population. Dans la plupart des cas, les doses reçues par la population, essentiellement dues à la composante externe, ont été délivrées pour près de 90 % le mois suivant ».

¬ L'ouvrage précité de Sir F. Warner et René J.C. Kirchmann (Scope/59 Nuclear Test Explosions) résume ainsi l'évaluation de la contamination humaine : « Au cours des essais nucléaires atmosphériques, une moyenne de 344 000 résidents, essentiellement dans la région de Semipalatinsk, ont été exposés au rayonnement. Une moyenne de 28 000 personnes ont reçu des doses de plus de 1 Sv provenant de passages de nuages radioactifs et de retombées radioactives au sol (cf. tableau ci-après). Après 1962, seule cette population exposée a fait l'objet de recherches « tous azimuts » sur les effets des rayonnements à court et long terme. Une moyenne de 37 200 résidents de la région de Semipalatinsk auraient pu recevoir des doses de 0,35 à 1,00 Sv. La majorité de la population, soit 280 000 personnes, a reçu des doses allant de 0,07 à 0,35 Sv ».

Population autour du site d'essais de Semipalatinsk

Et répartition par tranche de doses

Equivalent de dose

(mSv)

Population

(103)

Age

0-19 ans

20 ans

> 1000

350-999

70-349

< 70

Total

28,0

37,2

157,0

222,0

344,0

14 560

17 856

81 640

113 220

161 120

13 440

19 344

75 360

108 780

182 880

Le chiffre minimal de 300 000 personnes surexposées aux radiations est confirmé par d'autres spécialistes.

4.2. L'exposition interne

Les estimations sur ce point sont à la fois beaucoup plus rares et assez divergentes. L'exposition interne est donnée comme marginale par certains, proche voire plus élevée que l'exposition externe par d'autres.

Une source kazakh de 1997 citée par Scope/59 Nuclear Test Explosions fournit les éléments suivants pour les populations du Kazakhstan vivant à proximité du site d'essais durant la période 1949-1962 :

Doses estimées d'irradiation externe et interne reçue par les populations
dans et autour du site de 1949 à 1962

graphique

Plus largement, comprenant aussi des villes plus éloignées, le tableau ci-dessous (Laborov et al. cité également par Scope/59 Nuclear Test Explosions) donne l'estimation des doses efficaces à la thyroïde reçues pour l'ensemble des essais dans le polygone par les habitants de la ville de Semipalatinsk, de celle d'Ust-Kamengorsk (située un peu plus loin que cette dernière), de Kurchatov à la périphérie du site et de Chagan, lieu dit sur le site où ont eu lieu des tirs d'excavation :

Doses efficaces à la thyroïde reçues sur le site et en périphérie

graphique

Ces sources ne fournissent pas d'indications sur les doses à la thyroïde auxquelles ont pu être exposés des enfants qui sont, et de beaucoup, les sujets qui courent le plus de risques avec les retombées d'iode 131 (cf. essais du Nevada). Toutefois, le rapport Tsyb donne quelques estimations de 2 à 6 Gy pour la période 1949-1953. Une autre source (Rosenson et al.)18 indique que des doses de 20 000 mSv à la thyroïde d'iode 131 auraient été atteintes notamment avec le tir du 7 août 1962.

L'UNSCEAR lui-même dans son rapport 2000 (op. cit.) indique (page 175) que « la dose absorbée à la thyroïde par l'ingestion d'iode radioactive est très incertaine mais est estimée à un niveau aussi élevé que 8 Gy pour des enfants au hameau d'Akbulak ». Le niveau très élevé de telles doses, s'il est avéré, n'a pu qu'avoir des effets graves dont on ne trouve guère de mention. L'UNSCEAR conseille la prudence dans l'interprétation des résultats sur le Kazakhstan et l'Altaï en notant les décalages entre les résultats pour ces deux régions.

Sous ces réserves, et compte tenu du caractère limité des deux documents par la période qu'ils couvrent (pas de données antérieures au début des années soixante) et par l'amplitude géographique (« dilution » des effets des retombées par la prise en compte de celles l'ensemble de la population de l'URSS et non des zones contaminées) les deux graphiques ci-après donnent un aperçu de l'évaluation de la dose d'irradiation interne moyenne reçue par la population d'URSS (rapport présenté en 1994 par M. Barkhodanov cité par MM. D. Robeau et  C. Chenal, op. cit.)

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Evolution de l'incorporation moyenne de 137Cs dans l'organisme humain en Union Soviétique entre 1963 et 1985

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Evolution de l'incorporation moyenne de 90Sr, par gramme de calcium, dans l'organisme humain et par tranche d'âge en Union Soviétique entre 1961 et 1985

5. Les conséquences sanitaires

5.1. Approche générale

Près de quarante ans après les derniers essais atmosphériques et une douzaine d'années après la fin des essais souterrains, à la lumière des éléments relatifs aux retombées qui viennent d'être indiqués, il est très difficile de fournir des indications concrètes même ponctuelles (cf. rapport de l'UNSCEAR).

L'ouvrage « Nuclear Test Explosions - Scope/59 » (op. cit.) indique en ces termes qu'une recherche avait été engagée entre 1957 et 1960 :

« Peu de résultats de recherches ont été publiés concernant les effets des essais nucléaires sur la santé de la population à la périphérie du polygone de Semipalatinsk au Kazakhstan. La raison en est que, pendant toute la période des essais, de 1949 à 1989, seuls les experts militaires ont été autorisés à effectuer des mesures de rayonnement de portée limitée, telles que les mesures de dose d'irradiation au sol. De 1957 à 1960, l'Académie Nationale des Sciences du Kazakhstan et le Ministère de la Santé du Kazakhstan ont affecté une équipe de chercheurs à la région de Semipalatinsk avec mission d'étudier les conséquences des essais nucléaires pour la santé. Il n'a été fait usage d'aucune méthode épidémiologique pour les études comparatives Bien qu'il ait été constaté que les villages périphériques présentaient, par rapport aux villages-témoins, une prévalence supérieure de symptômes tels qu'hémorragies branchiales, hémorragies des conjonctives de la bouche et des parties génitales, dystrophie des muqueuses, asthénie généralisée et syndrome du côlon irritable, altération de l'état sanguin périphérique, cataracte juvénile etc., tout rapport de ces symptômes avec la radioactivité fut rejeté lors d'une réunion de synthèse sur les résultats obtenus par les équipes de recherche, qui eut lieu à Moscou en 1961. Depuis lors, les institutions du Kazakhstan ne furent autorisées à effectuer aucun travail de recherche jusqu'à l'indépendance de la République ».

Le même ouvrage, tire les conclusions suivantes dans son chapitre sur les effets sur la santé des essais nucléaires :

"Un décompte provisoire des doses collectives reçues par les populations fortement affectées par les retombées locales des tirs atmosphériques indique un chiffre de 40 000 homme.Sv pour environ 100 000 personnes. En utilisant les coefficients de risque UNSCEAR (UNSCEAR, 1994) pour les expositions à forte dose/fort débit de dose, on peut estimer à environ 4000 la surmortalité due au rayonnement résultant de ces expositions. Sur la base de données provisoires provenant de l'ancienne URSS, la plupart des cas se seraient produits à la suite d'expositions au voisinage de Semipalatinsk. Ces extrapolations laissent prévoir un degré considérable de morbidité excédentaire et de surmortalité pour les décennies à venir. Il est nécessaire de consacrer de nouveaux efforts, particulièrement dans les zones de l'ancienne URSS jusqu'à présent mal étudiées, à l'évaluation sérieuse des expositions et des conséquences pour la santé, et à la mise en place d'un système de soins et d'indemnisation au bénéfice des victimes des essais ».

5.2. Les recherches récentes

Parmi les quelques recherches récentes qui ont pu être réalisées ou engagées depuis 1990, celles de l'Institut de recherche scientifique pour la médecine nucléaire et l'écologie du Kazakhstan a donné lieu à une communication d'étape du symposium d'Hiroshima en 1996 (B. Gusseïv, R. Rosenson et Zh. Aylkassumova).

Portant sur l'incidence des cancers dans les districts autour du site d'essais de Semipalatinsk, cette étude épidémiologique se fonde sur la prémisse que la principale contribution à la dose efficace cumulée (70 %) provient des essais de 1949 à 1956. La dose équivalente efficace calculée pour le groupe exposé s'étage de 870 mSv à 4470 mSv avec une moyenne de 2 000 mSv ; la dose pour le groupe de contrôle (situé à 300 km du sud-est du site) est estimée à 70 mSv. Chaque groupe compte environ 10 000 personnes.

L'ouvrage précité (Nuclear Test Explosions - Scope 59, page 201-204) en donne la présentation suivante :

« L'évolution temporelle de l'incidence de cancers dans le groupe principal et dans le groupe témoin a été étudiée de 1956 à 1994 avec des intervalles de 5 ans. Le groupe d'âge de 40 ans et plus, d'une importance critique pour les études de cancer, était complété chaque année par des individus âgés de 20 à 39 ans, et commence progressivement à être complété par des individus du groupe initial de 0 à 19 ans. Compte tenu du fait que le groupe d'âge 0-19 ans se composait en 1990-1994 d'individus nés après 1971, il est certain que certains individus appartenant au groupe principal n'ont pas reçu une dose de rayonnement assez importante pour permettre de tirer des conclusions statistiquement significatives, malgré la variation aléatoire des effectifs. L'importance des échantillons de population fluctuait en fonction des taux de décès et de naissance ainsi que des migrations naturelles. Alors que les individus arrivant d'autres régions étaient exclus du groupe principal, les arrivants en provenance d'autres zones étaient intégrés dans les statistiques du groupe témoin. Il est essentiel de tenir compte, dans le groupe principal, du nombre d'habitants du village de Dolon, qui est tombé de 1300 en 1960 à 100 ou 150 en 1985. Ce groupe a été complété par des personnes venues d'un autre village situé à 125 km. de Dolon, mais a reçu une dose d'au moins 3 Sv à la suite du premier tir effectué le 29 Août 1949.

Au stade initial de 1956, les indices officiels d'incidence du cancer dans le groupe principal et le groupe témoin étaient respectivement de 61.7 et 63.6 cas pour 100 000 habitants, ce qui indique une sous-déclaration considérable des décès par suite de cancer. A partir des années 1960 à 1970, l'incidence du cancer dans les deux groupes augmentait régulièrement. Dans le groupe principal, après que niveau initial eut été multiplié par 1.5 en 1960 (passant de 7 à 11; voir tableau ci-après) on constatait un quadruplement rapide dans les années précédant 1965, pour atteindre un maximum de 36 dès avant 1970. Dans le groupe témoin, le taux d'incidence demeurait pratiquement constant, sans différer statistiquement de celui du groupe principal. A partir de 1975, l'incidence oncologique dans le groupe principal recommençait à augmenter pour atteindre en 1990 un deuxième maximum de 354 cas pour 100 000 habitants. Le risque relatif par rapport au groupe témoin était de 2.35 (p = 0.005). A partir de 1990, l'incidence oncologique dans le groupe principal plongeait à nouveau pour atteindre 215 cas pour 100 000 habitants. Dans le groupe témoin, le niveau d'incidence du cancer pour la même période ne montrait pas de changement significatif. La structure de l'incidence oncologique était dominée par les tumeurs localisées dans le tractus gastro-intestinal; dans cette structure, les carcinomes de l'_sophage constituaient l'affection principale, bien qu'on ait enregistré une importante modification de la structure de morbidité oncologique au cours de la période d'étude. D'après les statistiques nationales du Kazakhstan, le cancer de l'_sophage dans la population de la région de Semipalatinsk est une pathologie locale dont le niveau spontané est trois à quatre fois supérieur à la moyenne nationale. Lorsqu'arriva 1970 (14 ans après 1956), il avait atteint un maximum de 186 cas par 100 000 habitants. Parmi les membres du groupe témoin, l'incidence du cancer de l'_sophage avait progressé moins vite. Depuis 1975, on a observé une décroissance régulière de l'incidence du cancer de l'_sophage dans le groupe principal, avec un taux statistiquement égal à celui du groupe témoin ».

Incidence des tumeurs cancéreuses (1956-1994)

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Incidence de tumeurs cancéreuses et risques relatifs

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6. La situation radiologique actuelle du site d'essais

Certaines études effectuées depuis une dizaine d'années permettent de cerner les éléments d'appréciation de la situation radiologique et sont citées en référence de l'étude de l'AIEA qui a elle-même procédé à des analyses sur le terrain dans le cadre de ce qui est « une évaluation préliminaire et des recommandations pour une autre étude ».

6.1. Les études réalisées en 1990-1994

¬ Les relevés aérogammamétrique réalisés en 1990-1991 (Dr. Sonagoulov, Pr. Seisebaïev, cités par C. Chenal, Accidents et catastrophes nucléaires dans l'ex URSS, 2001) fait état de plusieurs zones contaminées dans le polygone :

- une zone centrale comportant principalement deux bandes de terrain de 100 km et 80 km de long, et respectivement de 6 à 8 et 4 à 5 km de large, déterminées par une isoligne de 18 500 Bq/m2 (0,5 Ci/km2) avec des contaminations maximales de 74 000 Bqm2 (2Ci/km2) et 185 000 Bq/m2 (5Ci/km2) ;

- la zone du lac Chagan de 56 km2 à la périphérie immédiate du lac, le niveau de contamination peut atteindre 1,85 106 Bq/m2 (50Ci/km2) ;

- la zone des Monts Degelen, au sud du polygone : la radioactivité moyenne des sols y est de 14 800 Bqkm2 (0,4Ci/km2) sur 12 km2 et 74 000 Bq/m2 (2Ci/km2) sur 24 km2.

¬ Les travaux précités (Dubasov et al. 1994) donnent en outre une mesure de la situation en bordure du site d'expérimentation indiquant qu'avec une hypothèse de répartition de la radioactivité uniforme, la contamination ne peut excéder 18500 Bq/m2 (0,5 Ci/km2) de 137Cs, 11 000 Bq/m2 (0,3 Ci/km2) de 90Sr, 3 000 Bq/m2 (0,08 Ci/km2) de 239Pu.

Les valeurs relatives au 90Sr ne coïncident pas avec les relevés faits par la mission de l'AIEA en juillet 1994 ; elles coïncident en revanche pour le plutonium à Dolon où ont été mesurés des niveaux de 30 à 250 Bq/kg soit 100 fois le niveau des retombées mondiales.

Les campagnes de mesures effectuées en 1993-94 par l'AIEA ont permis de préciser la contamination des sols par places. Ainsi la carte ci-après pour le cesium illustre-t-elle la situation des différents points :

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Activités de 137Cs (Bq.kg-1) dans les sols prélevés sur le polygone de Semipalatinsk

Concernant les débits de dose, l'ouvrage précité de D. Robeau et C. Chenal indique : « Les débits de dose au niveau des taches les plus contaminées varient entre 10 et 7 μSv par heure, soit 100 à 500 fois le débit de dose par exposition externe dû à la radioactivité naturelle. Les débits de dose sont très variables en dehors de ces taches, ils peuvent représenter jusqu'à 20 fois le débit de dose par exposition externe dû à la radioactivité naturelle. Les données de l'AIEA sont peu nombreuses concernant les mesures sur le polygone ».

¬ Les prélèvements biologiques réalisés par les experts lors de la deuxième mission de l'AIEA en 1994 « ont confirmé la puissance du césium et du strontium mais à des niveaux cependant faibles : en moyenne 13 Bq.Kg-1 pour le premier et 61 Bq.Kg-1 pour le second » (D. Robeau et C. Chenal ibidem).

La même source indique, concernant la contamination des eaux : « Des etudes mécaniques ont montré que les perturbations hydrogéologiques dues aux essais souterrains (fissures et microfissures) n'ont pas touché le milieu au-delà de 500 m du point de tir.

Les mesures faites sur les eaux de surface et les eaux de puits dans le bassin versant des Monts Dégelen à l'Irtysh n'ont pas montré de contamination significative. Elles sont en général inférieures à 0,5 Bq.l-1 et ne dépassent pas 2 Bq.l-1. Cette contamination est attribuée à la lixiviation des sols par les eaux de pluie ou de fonte des neiges. La contamination de cette eau ne pose pas de problème sanitaire pour les populations.

Il est par contre certain que des activités résiduelles importantes sont présentes dans les poches créées par les explosions souterraines. Il est admis que l'activité présente est fixée dans les roches vitrifiées par la chaleur de l'explosion et par conséquent considérée comme non transférable. On ne peut cependant pas exclure qu'à long terme, une part de cette activité soit transportée par les eaux souterraines présentes dans ces poches ».

6.2. Une appréciation d'ensemble

¬ La conclusion générale de l'ouvrage précité (D. Robeau et C. Chenal) à l'issue du chapitre consacré au polygone d'essai, et ce principalement sur la périphérie, est la suivante :

« De cette approche dosimétrique globale et encore incomplète des territoires contigus au polygone, on peut tirer les renseignements suivants :

· Le problème majeur semble lié aux conséquences à long terme des irradiations externes et internes liées aux explosions aériennes et plus particulièrement au sol, principalement dans les années 1949 et 1953.

· La contamination résiduelle actuelle semble très faible notamment en ce qui concerne le césium mais la contamination due au plutonium n'est pas précisée.

· Une partie importante de la population a été exposée dans les années 1950-1960. Les doses reçues par les habitants des villages situés à proximité du site d'essais nucléaires sont de l'ordre de 2 Gy et probablement supérieures à certains endroits. Cette exposition a touché des villes importantes situées de 150 à 500 km du site, principalement Semipalatinsk, Oust-Kamenogorsk et Pavlodar au Kazakhstan, Barnaul en Russie. Les conséquences de ces expositions ne sont pas connues.

· Pour l'avenir, le problème principal est celui de la contamination qui résulterait de la mise en culture et de la reprise de l'élevage sur le polygone où l'on sait que la contamination résiduelle est en certains endroits très importante. Aucune mesure de protection des populations de ce site n'a été prise jusqu'à présent, afin d'éviter les effets d'une contamination de ces populations, via la chaîne alimentaire ».

6.3. Le rapport de l'AIEA

Le gouvernement du Kazakhstan a saisi l'AIEA après le forum de mai 1993 tenu à Vienne sur le renforcement des structures de sécurité nucléaire et radiologique dans les états issus de l'ex-URSS.

Les missions sur le terrain se sont déroulées en novembre 1993 et juillet 1994. La publication officielle du rapport est datée de novembre 1998. Le document lui-même, d'une trentaine de pages, s'intitule : « Conditions radiologiques du site d'essais de Semipalatinsk, Kazakhstan : évaluation préliminaire et recommandations pour une autre étude ».

Les travaux sur lesquels cette évaluation s'appuie et ceux qui ont été directement réalisés dans le cadre du rapport ayant été indiqués ou évoqués précédemment en tant que de besoin, on se limitera ici essentiellement à citer les conclusions et recommandations après avoir rappelé quelques éléments résumés du préambule qui cadrent l'objet du rapport :

« Préambule :

Ce rapport présente les conclusions d'une étude des conditions radiologiques actuelles sur l'ancien site d'essais nucléaires de Semipalatinsk, au Kazakhstan, étude menée par une équipe d'experts internationaux sous les auspices de l'A.I.E.A. L'étude a été lancée en réponse à une demande du gouvernement du Kazakhstan qui sollicitait l'assistance technique de l'A.I.E.A. Les objectifs de cette étude consistaient à évaluer les doses de radiations actuelles et éventuellement futures imposées aux habitants de la zone du site d'essais nucléaires de Semipalatinsk et des établissements humains contigus, afin de conseiller une action corrective si celle-ci est appropriée et de recommander si une autre évaluation radiologique de la zone se justifie (...).

L'évaluation est par nature une estimation préliminaire. Elle ne constitue pas une enquête radiologique globale du site, lequel couvre une très grande superficie, mais détermine plutôt les sujets nécessitant une autre étude afin de pouvoir acquérir une compréhension totale de la situation radiologique sur le site. L'étude porte sur l'évaluation des conditions radiologiques actuelles pour les personnes vivant à l'intérieur du site d'essais et à proximité directe de celui-ci. Elle ne s'attache pas à l'évaluation des doses de radiations ayant pu être reçues dans le passé, suite aux essais nucléaires, par les populations habitant dans la région ou aux effets de ces doses sur ces populations ».

Les observations générales qui précèdent les conclusions point par point sont ainsi précisées :

« Le site d'essais de Semipalatinsk couvre une très grande superficie de terres sur laquelle ont été menées diverses activités associées aux explosions nucléaires et en complément de celles-ci. Dans ce rapport, l'attention est portée sur des lieux qui, en raison de leur population ou de leurs niveaux d'activité résiduelle, pourraient être importants en termes d'irradiation actuelle des personnes y vivant. Une évaluation radiologique détaillée de l'ensemble du site d'essais et de toutes les activités impliquant des radiations nécessiterait des ressources très importantes et dépassant celles dont dispose l'A.I.E.A. »

Les conclusions point par point relatives à la situation sur le site lui-même sont les suivantes :

« 1 On estime qu'il existe un nombre suffisant de preuves pour indiquer que la plus grande partie de la zone présente peu ou pas de radioactivité résiduelle suite aux essais nucléaires. Les secteurs du Point Zéro et du Lac Balapan qui sont tous les deux fortement contaminés sont des exceptions évidentes.

2. Les mesures effectuées au Point Zéro sont suffisantes pour déterminer la structure de la contamination. Elles révèlent en particulier que la contamination est relativement localisée Une étude similaire est recommandée afin de définir la répartition de la radioactivité résiduelle autour du Lac Balapan.

3. I1 est assez évident que les niveaux de contamination peuvent également être importants sur les autres sites d'excavations nucléaires plus petits, tels que ceux de Telkem et de Sary-Uzan. Toutefois, les données disponibles sont insuffisantes pour en tirer des conclusions sûres. De plus amples détails concernant les essais entrepris sont nécessaires pour identifier d'autres zones potentiellement affectées. Des programmes de surveillance radiologique pourraient ensuite être mis en place, selon les besoins.

4. Les missions n'ont pas pu corroborer l'existence de résidus d'actinides provenant des essais nucléaires manqués. Une description de la nature des essais manqués, des conditions à l'époque ainsi que des données à l'appui sont nécessaires avant de pouvoir envisager d'autres recherches.

5. Il n'existe aucune restriction d'accès au site d'essais de Semipalatinsk et une réoccupation limitée du site a déjà commencé. Une évaluation de l'irradiation des personnes se rendant quotidiennement au Point Zéro ou au Lac Balapan a été entreprise. Celle-ci indique des irradiations annuelles dans la région de 10 mSv, principalement dues à une irradiation externe.

6. Il ne se trouve jusqu'à présent aucun établissement humain dans les secteurs du Point Zéro ou du Lac Balapan. Si, à l'avenir, ces secteurs venaient à être habités en permanence, les irradiations annuelles prévisibles seraient de l'ordre de 140 mSv/a. L'exposition externe est la principale voie d'exposition (65% de la dose totale), suivie de l'ingestion de nourriture produite localement (31%) et de l'inhalation de radionucléides remis en suspension (4%).

7. La dose annuelle estimée pour des conditions d'occupation permanente au Point Zéro et au Lac Balapan est supérieure au niveau auquel il est jugé qu'une intervention doit de toute façon avoir lieu. Une action corrective pour les zones situées immédiatement autour du Point Zéro et du Lac Balapan est par conséquent considérée comme nécessaire. Cette action est recommandée afin d'éviter l'exposition des futurs habitants de ces zones. Elle doit aussi assurer que l'exposition courante aux rayonnements des personnes vivant dans le site d'essais nucléaires ou se rendant régulièrement dans ces zones est réduite.

8. Il est conseillé que l'action corrective la plus appropriée en ce moment consiste à restreindre l'accès dans les zones du Point Zéro et du Lac Balapan ».

Les conclusions sur la situation à l'extérieur du site sont ainsi résumées dans le rapport lui-même :

« Les mesures effectuées autour du site d'essais pendant les missions de l'A.I.E.A. étaient relativement compatibles avec les études menées dans cette zone par des organisations du Kazakhstan et de l'ex-Union soviétique. L'on considère donc que les données disponibles sont suffisantes pour faire une évaluation préliminaire des conditions radiologiques à l'extérieur du site d'essais de Semipalatinsk. Une exception toutefois concerne l'approvisionnement en eau potable. Les missions de l'A.I.E.A. n'ayant pas analysé l'ensemble de l'approvisionnement en eau potable et n'ayant pas pu estimer la sécurité future de l'approvisionnement, une étude hydrologique est conseillée afin d'examiner s'il est possible à l'avenir que des radionucléides provenant des essais souterrains apparaissent dans les sources d'eau potable locales. En fonction des résultats de cette étude, un programme de surveillance de l'eau potable peut être opportun.

Dans la plupart des zones, les niveaux de doses d'exposition externe et l'activité du sol sont les mêmes ou approximativement les mêmes que les niveaux de base d'autres régions ou pays où aucun essai d'armes nucléaires n'a eu lieu. La dose annuelle réelle estimée reçue par des personnes se trouvant à l'extérieur du site d'essais nucléaires et provenant de la radioactivité résiduelle est au maximum de 0,1 mSv (ce qui donne une dose réelle totale de 2,5 mSv/a lorsque l'exposition à des sources naturelles de radioactivité est incluse). Les irradiations réelles sont vraisemblablement plutôt de l'ordre de quelques microsieverts par an, niveau de dose très proche de la moyenne globale suite aux retombées radioactives. Sur la base de ces témoignages, l'on considère qu'une intervention visant à réduire l'exposition aux radiations des personnes se trouvant à l'extérieur du site d'essais de Semipalatinsk n'est pas justifiée. »

Ces remarques s'appliquent à la zone extérieure et contiguë au site où l'AIEA a effectué ses relevés et travaux. Elles ne s'appliquent pas aux zones plus lointaines dont on a vu qu'elles ont subi des retombées significatives à l'époque des essais (villes d'Ust-Kamenogorsk, de Semipalatinsk, de Pavlodar et région de l'Altaï).

III - Les tirs d'activités pacifiques

Le nombre indiqué par M. Donald J. Bradley (op. cit. page 504) pour ces tirs d'activités pacifiques s'élève à 156, confirmé par d'autres sources, répartis selon le même auteur en :

- 124 explosions (avec 135 charges) dites « industrielles souterraines ou d'essais de technologies de tirs à usage pacifiques »,

- 32 explosions (avec 38 charges) dites « d'essais de charges nucléaires industrielles pour des usages pacifiques », ce qui peut laisser également supposer qu'elles n'étaient pas nécessairement souterraines.

La distinction délicate entre ces deux catégories au sein de l'ensemble des tirs d'activités pacifiques ainsi que des problèmes de traduction semblent être à l'origine des décomptes différents que l'on rencontre suivant les auteurs.

La localisation de ces explosions est extrêmement diversifiée sur l'ensemble du territoire soviétique, la Sibérie orientale en étant toutefois presque totalement exemptée, de même que le Caucase, les pays baltes, le Tadjikistan et le Turkménistan : la carte de l'ensemble des tirs (cf. page 157) le montre clairement. On compte approximativement la totalité de ces tirs pour chacune des Républiques ayant composé l'URSS :

- 114 en Russie (ex-RSFSR)

- 36 au Kazakhstan

- 3 en Ouzbékistan

- 2 en Ukraine

- 1 au Turkménistan

Aucune information n'a été publiée concernant les quantités spécifiques de radioactivité dégagées dans les réseaux d'eaux de surface dues à ces différents types d'explosion ; la plupart des essais furent souterrains, de puissance très variable (de moins de 0,1 kt à 100 kt). Selon le ou les objectifs du ou des tirs, la profondeur des tirs est très variable : de quelques mètres jusqu'à plus de mille mètres.

Les cinq tirs d'excavation (ou de cratère) pratiqués à Semipalatinsk (cf. supra) sont compris dans le décompte ci-dessus.

¬ Selon M. Donald J. Bradley (page 512), citant M. Bulatov (1993) les objectifs de ces tirs étaient les suivants :

« · expériences de formation de cratères et de déplacement de terre (comme pour le canal des rivières Pechora-Kam et le village d'Udachnyy à Yakutia-Sakha, et la vallée de la rivière Chagan dans l'oblast de Semipalatinsk),

· formation de cavités dans les mines de sel pour stocker du pétrole et, si possible, des déchets radioactifs liquides,

· augmentation de l'émission de gaz et contrôle de l'écoulement de pétrole brut (comme à Ust-Balyk dans l'oblast de Tyumen, au gisement de Grachevskiy à Bashkortostan),

· tirs souterrains sous contrat du Ministère de la géologie aux fins d'essais sismiques de la croûte et du manteau terrestres (39 explosions),

·remise en état après des accidents et des feux survenus dans des puits de pétrole jaillissants (quatre explosions),

· destruction d'armes nucléaires tactiques de faible puissance en les allumant sur des territoires isolés, y compris ceux affectés à ce que l'on appelle les «entreprises forestières commerciales militaires »,

· développement du processus de destruction des armes chimiques en utilisant des engins nucléaires. »

Les éléments suivants, présentés par le même auteur citant lui-même entre autres des sources russes, permettent de mieux saisir la diversité et l'importance de ces tirs, ainsi qu'une partie de leurs conséquences :

« · 0blast de Murmansk - Trois explosions nucléaires pacifiques furent mises en _uvre sur la péninsule de Kola près de Kirovsk afin d'augmenter la production de minerai d'apatite utilisé pour produire des phosphates. De grandes crevasses et des amoncellements de graviers peuvent encore être observés aujourd'hui à l'extérieur de la mine. Des niveaux élevés de certains isotopes ont été mesurés dans une rivière, située juste en dessous de la mine, qui s'écoule dans le Lac Imandra.

· 0blast d'Arkhangelsk (à l'exclusion du site d'essais de Nouvelle-Zemble) - Plusieurs explosions nucléaires pacifiques furent effectuées, certaines en lien avec des essais sismiques de la croûte terrestre. Une explosion nucléaire pacifique fut déclenchée dans la région autonome des Nenets dans la partie nord de la région d'Arkhangelsk, pour éteindre un feu d'éruption d'un puits de gaz au champ de Kumzhinsokoye, ayant brûlé pendant plusieurs années (Nilsen et Bohmer 1994) ; il ne le fut malheureusement pas, tenu compte de la faible densité du sol tourbeux, et l'explosion se produisit au-dessus du sol au lieu d'être souterraine comme prévu. En conséquence, l'estuaire de la rivière et une immense superficie de terrain sec furent contaminés. Au lieu d'avoir un seul puits en feu, six nouveaux foyers furent allumés et il ne fut pas possible de les éteindre rapidement. (Uryadovyy Kuryer, 17 juillet 1992).

En 1971, 1,3 Ci de l37Cs au total se dégagea de l'explosion souterraine Globus-1 de 2,3 kilotonnes, contaminant 2 600 km3. Le même type de dégagement se produisit lors de l'explosion de Globus-2 dans l'oblast d'Arkhangelsk (Rapport d'Etat russe 1994).

· Oblast de Perm - En 1969, deux explosions nucléaires souterraines, d'une puissance de 7,6 kilotonnes chacune, furent dans le gisement pétrolier d'Osinskiy (oblast de Perm) pour stimuler la production pétrolière. Cette tentative fut appelée le projet Grifon. Une contamination au tritium a été détectée dans l'eau et les produits dérivés du pétrole à une distance de 10 km de diamètre autour des puits (Rapport d'état russe 1994). Les essais effectués sur le gisement pétrolier d'Osinskiy en septembre 1969 augmentèrent la production pétrolière de 0,5 million de tonnes, entraînant un bénéfice de 4 millions de roubles, cependant quelques années plus tard, de l'eau radioactive commença à s'écouler des puits épuisés. Une irradiation gamma élevée et 137Cs + 90Sr furent détectés sur ces sites, et de petites rivières proches des gisements contiennent des sédiments contaminés. La terre contaminée a été enfouie, la construction d'un site d'enfouissement spécifique étant planifiée pour les vannes et la robinetterie (Bulatov 1993).

En plus des essais effectués au champ de pétrole d'Osinskiy à une profondeur de 1 200 m, des essais furent aussi réalisés au champ de pétrole de Gaeja (deux en 1984, deux en 1987) à une profondeur de 2 000 m (Oborin et Mikchailov, octobre 1996 ; Minatom et MOD 1996). Apparemment, des dégagements en surface se produisirent, dus à des forages ultérieurs dans les champs de pétrole ainsi qu'à la contamination d'eau souterraine provenant de puits d'injection d'eau de décharge défectueux (Bulatov 1993). Actuellement, on observe des niveaux d'activité de rayonnements gamma en surface de 60 à 300 (μR/hr. Des efforts sont faits actuellement pour développer des microorganismes afin de nettoyer des zones en surface contaminées par des emulsions de pétrole / d'eau (Oborin et Mikchailov, octobre 1996).

Trois explosions nucléaires furent réalisées le 23 mars 1971, dans le rayon (secteur) de Cherdyn près de la réserve naturelle de Pechora-Ilych. Les explosifs furent mis à feu dans des puits spéciaux légèrement à l'écart à une profondeur de 130 m environ (Bulatov 1993), à 20 km de la ville de Krasnovichersk, à 300 km au nord-est de Perm (Nucleonics Week, 9 mai 1991). L'objectif des trois explosions de 15 kilotonnes était de créer la fondation du canal de dérivation de Pechora-Kama. A la place, un lac fut formé et le cratère révèle une irradiation s'élevant jusqu'à 2 500 μR/hr (Bulatov 1993). Le lac mesure 400 m de large et 600 m de long et est signalé comme présentant des doses de 1,5 rem/hr mesurées en surface et de 5 rem/hr à une profondeur de 12m (Nucleonics Week, 9 mai 1991). Les dimensions de la formation de retombées radioactives étaient de 7 km de long et de 1, 5 km de large (Bulatov 1993).

· Bashkortostan - En 1965, un essai nucléaire souterrain fut effectué sur le gisement pétrolier de Bashkortostan (Bulatov 1993). Un explosif nucléaire aurait été également utilisé pour stopper un feu incontrôlé dans un puits de gaz près de Boukhara (Nucleonics Week, 9 mai 1991).

· Oblast d'Astrakhan - Nombreuses explosions de faible puissance dans des dépôts salins en forme de dômes.

· 0blast de Tyumen - Des explosions nucléaires souterraines furent réalisées dans cet oblast, dont cinq sur le gisement pétrolier de Sredne-Balykskiy. L'une d'elles, dans le bassin de Yugana, s'est accompagnée de la libération de radionucléides en surface et provoqua une contamination à grande échelle du territoire.

· Région de Krasnoyarsk - Dix explosions souterraines environ y furent effectuées ; deux d'entre elles prés du lac Lama (qui alimente en eau la ville de Norilsk et ses villes satellites de Taliakh et Kayyerkan), et deux à une distance de 30 à 40 km de Tura, capitale de l'Evenk. L'explosion près du village de Yermakovo (près de la rivière Igarka) s'est accompagnée de la libération de matières radioactives. Une autre explosion a été signalée à l'embouchure de la rivière Kataramba.

· Yakutia-Sakha - Une explosion directionnelle souterraine fut effectuée en 1975, à 5-6 km au nord-est de la ville d'Udachnyy et sous l'autorité des chantiers locaux de traitement des minerais afin de former un remblai qui remplacerait un barrage volumineux (on estimait que 3 000 à 5 000 mégatonnes de TNT seraient économisées). Le résultat fut la formation d'une dépression qu'il a fallu combler. Après une explosion dans la même région (50 km d'Aykhal) en 1978 (l'explosion Kristall à une profondeur de 100 m), le nuage de rejets aurait parcouru des milliers de kilomètres. A Tayga, l'irradiation dans la forêt morte dépasse 750 μR/hr et un site d'enfouissement nucléaire doit y être maintenu. Une explosion près de Tas-Yuryakh créa un site de stockage de pétrole souterrain de 10 000 m3. Le territoire du bassin Vilyuy de Yakutiae a été officiellement désigné comme zone de désastre écologique. Parmi les causes, une série d'essais nucléaires souterrains est retenue.

Plusieurs explosions ont eu lieu dans cette région à des fins d'exploration sismique profonde de la croûte terrestre (Bulatov 1993) :

- Gorizont-4 : août 1975, 130 km au sud-ouest du village de Tiksi avec une profondeur d'explosion de 500 m.

- Kraton 3 : août 1978, 50 km au sud d'Aykhal, à une profondeur de 600 m, entre les rivières Lena et Illioui (Bulatov 1993 ; Nucleonics Week, 7 novembre 1991) explosion accompagnée de la libération accidentelle de produits de fission dans l'atmosphère et de la formation d'une zone de contamination de 0,450 km2. Les plus forts niveaux de taux de dose d'irradiation au rayonnement gamma s'élevèrent à 214 μR/hr en 1993 (Rapport d'état russe 1994).

- Kimberlit-4 : août 1979, 170 km au nord-est d'Olekminsk avec une profondeur d'explosion de 1 000 m.

· Trans-Baykal - La population locale fut relogée à la suite du tir de Rift-3 (explosions à une profondeur de 860 m et d'une puissance déclarée de 10 kilotonnes environ) près du village de Barakhan, à 50 km au nord-est du centre du rayon (secteur) d'Osa.

· Kazakhstan - (...) Dans l'oblast de Guryev, on procéda à 25 explosions nucléaires souterraines de faible puissance (5 - 15 kilotonnes) dans les strates de sel de 1980 à 1984, et à 16 essais entre 1968 et 1974 dans le secteur d'Azgir. La contamination sur les lieux des essais nucléaires souterrains dans le rayon (secteur) de Baygaminsky, région de Mangyshlak (trois essais à une profondeur de 400 à 740 m laissèrent d'énormes cratères), et dans l'oblast de Chimkent (rayorts de Suzakskiy et de Kyzylkum) est en cours d'étude. Dans l'oblast de Chimkent, des concentrations anormales de 90Sr et de l37Cs furent détectées dans 39 puits souterrains, fournissant la preuve de la contamination des eaux souterraines (Bulatov 1993). Suite aux essais réalisés dans les gisements de sel d'Azgir, neuf cavités durables de 1,2 millions de m3 furent formées, et un essai entraîna la formation d'un cratère effondré de 500 m de diamètre et allant jusqu'à 18 m de profondeur. Quelques gaz radioactifs se dégagèrent pendant ces essais. Actuellement, cinq des cavités sont remplies d'eau salée provenant d'une zone aquifère voisine, et la cavité répondant le mieux aux exigences requises pour la formation d'installations de stockage est actuellement utilisée pour stocker la terre contaminée provenant des opérations menées sur le site de Bolshoi Azgir. Le tableau ci-après fournit des détails sur les essais effectués et la radioactivité dégagée à Bolshoi Azgir (Krivokhatskiy et coll. 1993).

Date

Profondeur (m)

Puissance d'explosion de l'essai (en kt)

Durée des rejets après l'essai

Rejets

(en Ci)

22 Avril 1966

1er Juillet 1968

22 décembre 1971

29 juillet 1976

30 septembre 1977

17 octobre 1978

18 décembre 1978

17 janvier 1979

14 juillet 1979

24 octobre 1979

160

600

1 000

1 000

1 500

1 000

900

1 000

1 000

1 000

- 1,1

- 25

< 70

< 60

< 10

< 60

- 100

< 60

< 15

< 30

- 12 minutes

- 30 minutes

--

1 an

- 4 heures

4,25 ans

--

- 60 minutes

4,25 ans

3,4 ans

190 000

5 400 000

--

500

120 000

200

--

4 000 000

40

5

¬ D'autres applications des explosions nucléaires ont été réalisées ou envisagées. Ainsi, pour décharger des déchets industriels toxiques dans la cavité ou les « crevasses allongées », jusqu'à 200 mètres à partir de la cheminée, créées par l'explosion d'un dispositif de 10 à 20 kt. Selon M. Donald J. Bradley (op. cit. page 517) : « Ce concept a déjà été démontré par deux explosions réalisées à titre d'essai -il y a plus de 15 ans - (l'une d'elle de toute évidence dans des strates remplies d'eau hautement minéralisée). Plus de 20 millions de m3 de déchets liquides comprenant 1000 tonnes de « résidus » solides furent refoulés dans l'une de ces cavités sur une période de 13 ans. Plus de 150 000 m3 de déchets toxiques qui comprenaient une grande quantité de particules en suspension et de « substances résineuses » furent refoulés dans l'autre cavité sur une période de cinq ans ».

Le même auteur indique qu'une société « International Cletek Corporation », qui aurait été créée en décembre 1990, a tenté à l'époque « de mettre sur le marché des dispositifs thermonucléaires de tirs souterrains pour la destruction de déchets chimiques et industriels ». Malgré la fermeture du site d'essais de Semipalatinsk par M. Michael Gorbatchev et M. Nursultan Nazerbaïev, puis celui de Nouvelle Zemble par M. Boris Eltsine (1991), ce projet semble avoir été poussé pendant quelques années encore, notamment pour l'élimination de combustibles de réacteurs endommagés de sous-marins nucléaires qui ne sont plus susceptibles d'être retraités (ibidem).

IV - Le site d'essais de Nouvelle-Zemble

1. Présentation générale

Sur le site d'essais du Nord, appellation en usage à l'époque des essais, les éléments d'informations sont plus difficiles à réunir que sur le site de Semipalatinsk où, depuis 1990, des spécialistes de divers horizons ont pu, certes tardivement, effectuer des recherches. En fait, à l'exception de ce qui pouvait être observé de l'extérieur, on a commencé à recueillir des indications tangibles qu'à partir de 1992-1995. Les décomptes des tirs souterrains ne coïncident pas toujours selon les auteurs, de même que la localisation.

Au total, selon M. Donald J. Bradley (op. cit. page 503), 130 essais nucléaires ont eu lieu en Nouvelle-Zemble dont 91 atmosphériques. En l'absence d'information, on peut néanmoins supposer qu'après les effets considérables des tirs de 1953 à Semipalatinsk et notamment celui de la première bombe thermonucléaire le 12 août (400 kt), l'installation d'un site où l'on pourrait effectuer des tirs d'une puissance sans rapport avec ce qui avait eu lieu jusque là devenait urgent. Le site de Nouvelle-Zemble où l'on pouvait en outre pratiquer des tirs sous-marins, entra en service en septembre 1955 ; le premier tir aérien en septembre 1957 et le dernier le 25 décembre 1962 et le dernier souterrain le 24 octobre 1990.

Le site du Nord comprenait en fait deux pas de tirs distants de près de 200 km d'une part la baie de Chernaya au sud de l'île où ont eu lieu un petit nombre d'essais sous-marins notamment entre 1955 et 1957 et entre 1973 et 1975. Tous les autres essais atmosphériques ont été réalisés dans le détroit de Matotchkine qui sépare les deux îles constituant la Nouvelle-Zemble. Des essais souterrains semblent s'être déroulés majoritairement sur la partie nord du site d'essais de Nouvelle-Zemble (28 tirs au moins), le reste sur la partie sud jusqu'en 1975.

1.1. Les essais atmosphériques

Les 91 essais atmosphériques de Nouvelle-Zemble représentent une puissance totale de 239,6 Mégatonnes, soit 97 % de la puissance des essais atmosphériques soviétiques et près de 55 % de la puissance dégagée par la totalité des essais atmosphériques mondiaux (440 Mt). La part d'énergie de fusion est de 158,8 Mt et celle de fission de 80,8 Mt. La répartition de la puissance de fusion a donné 77,8 Mt dans la stratosphère, 2,93 Mt dans la troposphère et 0,036 Mt en retombées locales et régionales.

Cette répartition s'explique logiquement par le type de tirs auxquels il a été procédé en Nouvelle-Zemble : à l'exception de six essais, tous les autres ont été réalisés « par air » (cf. UNSCEAR) sans autre précision mais semble-t-il à une altitude suffisante pour minimiser les retombées. Les tirs les plus considérables auraient été réalisés par avion, le plus puissant de tous à 50 Mégatonnes le 30 octobre 1961 avec une explosion à 3 500 mètres d'altitude. La puissance de ce dernier tir dépasse de 11 Mt la somme de la puissance total des essais atmosphériques chinois (20,72 Mt), français (10,2 Mt) et britanniques (8,05 Mt). D'après certains spécialistes, ce tir aurait en fait eu une puissance de 58 Mt. Cinq essais soviétiques en Nouvelle-Zemble ont dépassé le tir américain le plus puissant (15 Mt) qui se trouve avoir été le tir « Bravo » lequel s'est traduit par l'accident le plus grave pour les Etats-Unis. Ces cinq tirs ont eu lieu au cours de la période de la reprise des essais en 1961-62 et ont totalisé une puissance de 138,6 Mt.

Les six essais atmosphériques qui n'ont pas été effectués en altitude sont trois essais sous-marins réalisés par 30 mètres de fond dont au moins un sur des cibles constituées de vieux navires de guerre (cf. « Crossroads » à Bikini en 1946) en 1955, 1957 et 1961 ; pendant les mêmes périodes, deux essais à la surface de l'eau et un à la surface du sol ont eu lieu (52 kt en tout pour ces essais). Comme tous les essais de ce type, ces six tirs ont entraîné une substantielle contamination locale, ce qui ne paraît par avoir été le cas des essais d'altitude.

1.2. Les essais souterrains

Au-delà des indications déjà fournies (cf. supra) sur leur localisation, les informations dont on dispose donnent un éclairage sur la puissance de ces tirs. En ce qui concerne la zone d'essais sud du site de Nouvelle-Zemble, entre 1973 et 1975, outre des tirs de l'ordre de 50 à 70 kt, ont eu lieu les plus puissants des tirs souterrains : entre 3,5 et 4 Mégatonnes en octobre 1973 et deux autres de l'ordre du Mégatonne. Sur la partie nord du site, 28 tirs au moins ont été effectués. Selon M. Donald J. Bradley (op. cit. page 504), « sur l'ensemble des essais souterrains, dont il évalue le nombre à 42, 15 ont été totalement confinés, 25 ont été accompagnés de relâchement de gaz inertes et 2 ont conduit à des situations de radiations anormales » (selon un rapport de l'OTAN de 1995 qu'il cite).

2. Les incidences des essais

2.1. La mesure de la radioactivité

¬ L'ensemble des explosions

Les mesures données par l'ouvrage précité (M. Donald J. Bradley page 506) sont les suivantes pour le césium, le strontium et le tritium, émis par les essais sur le site de Nouvelle-Zemble, rapportées à l'ensemble des essais atmosphériques dans le monde :

Site

Rejets 137Cs (PBq) (Ci)

Rejets 90Sr (PBq) (Ci)

Rejets 3H (PBq)

Nouvelle -Zemble

Monde entier

410

910

(11,1 M Ci)

(24,6 M Ci)

270

600

(7,3 M Ci)

(16,2 M Ci)

150 000

240 000

(4 054 M Ci)

(6 486 M Ci)

(Le rapport de l'OTAN indique qu'en raison de la décroissance, l'activité mondiale de césium (137Cs) restante est à peu près, en 1995, égale à 600 Pétabecquerels ou 16,2 MCi. Les calculs correspondants pour le strontium (90 Sr) et le tritium (3H) donnant une radioactivité au niveau mondiale de 10,5 MCi et 23 330 MCi respectivement).

Les mesures par aérogammamétrie et analyses radiologiques montrent, d'après les mêmes sources, que pour l'ensemble du territoire des sites d'essais, le niveau de dose d'exposition aux rayons gamma est à peu près le même que le rayonnement naturel ; la contamination par les radionucléides d'origine artificielle n'est supérieure que marginalement au « bruit de fond » naturel. Une exception, sans autre précision, à cette situation est fournie par les zones où les essais ont eu lieu au début de la mise en service du site, soit environ sur 10 km2. La situation de l'une de ces trois zones s'explique par un tir souterrain non confiné d'août 1987 ; il en serait de même d'un autre de 1969. Une deuxième zone, plus importante semble avoir été contaminée par un tir en surface (septembre 1957) dont la trace s'est étendue sur 1500 km avec un niveau d'activité maximal relevé à 300 mr/heure en 1964 et qui à « l'épicentre » était encore de 200 mr/heure en 1990. L'ensemble des essais nucléaires souterrains auraient entraîné l'émission de 2 500 à 5 000 Ci de césium 137 à la surface du sol.

¬ Les essais nucléaires sous-marins (trois à 20 kt chacun selon l'IPSN) en 1955, 1957 et 1961, auraient dégagé environ 350 TBq de césium 137, 230 TBq de strontium 90, et 60 TBq de plutonium 239 ; l'activité des deux premiers radionucléides se serait abaissée en 1995, respectivement de 150 TBq de césium, 100 TBq de strontium.

Les côtes de la Nouvelle-Zemble connaissent par ailleurs une importante contamination radioactive avec notamment les immersions de déchets auxquelles il a été procédé de 1959 à 1993 sur un ensemble de 8 sites (carte Est) à de faibles profondeurs (de 12 à 120 mètres en moyenne) ; les éléments les plus contaminants étant constitués par des réacteurs de sous-marins ou d'autres navires, avec ou sans leur combustible, les fleuves sibériens (Ob, Irytch, Iéniéséï) en aval des sites où ont eu lieu des accidents nucléaires majeurs (Techa, Mayak, Tomsk) ayant entraîné des rejets importants, se jettent en mer de Kara à l'est de la Nouvelle-Zemble.

2.2. Les conséquences observées

Ainsi que le soulignent plusieurs auteurs, notamment Sir Fréderick Warror et Rese JC. Kirchmann (Nuclear Test Explosions - Scope/59 op. cit. page 157), il y a très peu d'informations sur les doses locales et régionales résultant de ces essais et il est probable que les doses locales aux habitants en dehors du site soient relativement basses pour deux raisons :

- sauf les quelques exceptions signalées, tous les tirs ont eu lieu à des altitudes élevées, voire très élevées ;

- la Nouvelle-Zemble, dans la zone polaire, est isolée et était presque inhabitée. Archangelsk, la ville la plus importante dans la région, est distante de près de 1000 km.

Des quelques éléments d'informations disponibles aujourd'hui (car des études sont en cours), il apparaît que la conséquence la plus préoccupante est la contamination des lichens par césium 137 et le strontium 90 à la base de la chaîne alimentaire lichens-rennes-hommes. Les particularités du lichen (structure, absence de racines, etc...) montrent qu'avec une surface d'adsorption qui est de 2 à 100 fois plus importante que l'herbe, il concentre considérablement le césium. Pour les 30 000 personnes d'un groupe critique d'habitants répartis dans l'extrême nord et employées dans l'élevage des rennes et les activités connexes, les doses (internes) absorbées étaient voisines de 10 mSv. Un ensemble de 300 000 personnes réparties de Mourmansk jusqu'en Iakoutie est moins sérieusement concerné.

Le taux de cancers digestifs est très élevé dans ces régions mais le régime alimentaire pourrait en être la cause, indépendamment de la consommation de viande de renne ; par ailleurs on ne dispose pas d'éléments épidémiologiques spécifiques.

V - Les autres sites d'essais

L'ensemble des sites où il a été procédé à des tirs souterrains militaires ou pour un usage pacifique ont été précédemment traités. Seuls les essais militaires atmosphériques réalisés en dehors des sites de Semipalatinsk et de la Nouvelle-Zemble restent à évoquer :

1. Kapustin Yar

Onze essais militaires ont été effectués depuis Kapustin Yar qui est un pas de tir pour missiles situé dans la région d'Astrakhan. Dix de ces essais ont eu lieu du 19 janvier 1957 au 1er novembre 1962. Les sept premiers tirs étaient effectués avec des bombes atomiques de puissance limitée (0,12 kt à 1 kt) sauf une (40 kt) ; les trois derniers étaient des tirs thermonucléaires (300 kt) qui, comme les deux derniers de la première série, ont été effectués dans la haute atmosphère. Aucun effet local ou régional de ces essais par missile n'était à attendre.

En revanche, pour le tir qui a eu lieu le 2 février 1956 par missile à Aralsk au Kazakhstan, une partie de la puissance de fusion a été dégagée au niveau local et régional. Cette bombe, de très faible puissance (0,03 kt) a en effet été lancée par missile depuis Kapuskin Yar mais l'explosion a eu lieu, délibérément ou par accident, à Aralsk, au centre du Kazakhstan.

2. Totsk

L'essais réalisé à Totsk, aux confins du sud de l'Oural, était d'un genre spécifique. M. Donald J. Bradley (op. cit. page 154) en donne la description suivante :

« Le 14 septembre 1954, à l'occasion d'exercices militaires courants près de Totsk dans la région d'Orenburg, un engin nucléaire de 40 kilotonnes explosa a une altitude de 350 m. Environ 40 000 soldats furent exposés dans cet exercice faisant partie d'une expérience pour étudier les effets des armes nucléaires (Los Angeles Times, 2 septembre 1992 ; Minatom et MOD 1996). Deux zones de contamination résultèrent de l'explosion : la zone épicentrale de l'explosion de 20 km de rayon et une 'trajectoire' de contamination de 210 km de long dans la direction nord-est. Ces zones comprenaient 57 villages d'une population totale de 39 000 personnes. De récentes études de santé humaine ont montré un taux plus élevé de mortalité par cancer pour ce groupe de populations que pour celui de la population rurale de la région d'Orenburg (Boev et coll., octobre 1996). Peu de temps après l'explosion, des exercices militaires furent dirigés à cet endroit à environ 10 km de Totsk. L'explosion détruisit également des forêts dans un rayon de 1 à 1,5 km. (Spaseniye, juillet 1992). »

Dans la région d'Orenburg, à 70 km du point zéro, la dose externe engagée maximale a été de 10 mSv et la moyenne de la dose externe engagée pour la population de 3 mSv (20 000 personnes dans la zone prise en considération).

LES ESSAIS NUCLEAIRES BRITANNIQUES

Les essais nucléaires britanniques présentent plusieurs spécificités qui méritent d'être signalées d'emblée spécialement dans une perspective comparative. Tout d'abord, ils ont été les moins nombreux si l'on excepte douze expériences de sécurité puisqu'on a compté 21 essais atmosphériques (données UNSCEAR notamment) et 24 essais souterrains.

En deuxième lieu, la puissance totale a été très limitée : 8,05 Mégatonnes pour les atmosphériques (10,2 pour la France et 20,7 pour la Chine), 2 Mégatonnes pour les souterraines. En troisième lieu, l'ensemble des essais atmosphériques s'est écoulé sur une période courte par rapport aux puissances nucléaires ayant procédé à des campagnes d'essais : six ans (1952-1958). Enfin, malgré cette ampleur limitée des essais britanniques, atmosphériques en particuliers, ils ont lieu dans une multiplicité de sites.

Ces caractéristiques déterminent quelque peu la recherche d'incidences qui paraissent à la fois ponctuelles et limitées.

I - De nombreux sites pour les essais les plus limités : les essais atmosphériques

Les 21 essais atmosphériques ont eu lieu sur cinq sites différents dont le tableau général ci-dessous donne la répartition et les caractéristiques en puissance notamment.

Site d'essais

Nombre d'essais

Puissance (en Mégatonnes)

Répartition de la puissance de fission (en Mégatonnes)

   

Fission

Fusion

Total

Localement et régionalemt

Dans la troposphère

Dans la stratosphère

Monte Bello Island

Emu

Maralinga

Malden Island

Christmas Island

Total

3

2

7

3

6

21

0,1

0,018

0,062

0,69

3,35

4,22

0

0

0

0,53

3,30

3,83

0,1

0,018

0,062

1,22

6,65

8,05

0,050

0,009

0,023

0

0

0,07

0,049

0,009

0,038

0,56

1,09

1,76

0,0007

0

0

0,13

2,26

2,39

(source : Rapport de l'UNSCEAR 2000 annexe C)

1. Les débuts : Monte Bello puis Emu et Maralinga

A la recherche d'un site sûr et adapté, éloigné de toute population importante, le Royaume-Uni a envisagé dès 1950 de réaliser ses premiers essais en Australie. Les perspectives d'une coopération avec les Etats-Unis avaient aussi permis de penser que ces expérimentations pourraient se faire sur un territoire sous contrôle américain : Enewetak aux îles Marshall où les essais américains avaient eux-mêmes lieu à ce moment, ou au Nevada, où il commençaient. Les contacts qui durèrent plus d'un an dans cette perspective, n'aboutirent pas, pour deux raisons semble-t-il : exigences des Américains quant à la communication de certaines caractéristiques des armes et quant à la limitation de la puissance à 25 kt par tir. L'accord fut donc confirmé entre la Grande-Bretagne et l'Australie, les îles Monte Bello, archipel situé au large des côtes Nord-Ouest de l'Australie étant retenu.

¬ Le premier tir eu lieu le 30 octobre 1952. D'une puissance de 25 kt, le dispositif fut tiré à 30 mètres sous l'eau dans le lagon d'une île de l'archipel de Monte Bello sous une frégate afin, notamment, de tester les effets d'une explosion nucléaire sur un navire de guerre (cf. opération Crossroads à Bikini en 1946 et tirs sous-marins en Nouvelle-Zemble).

¬ Les deux essais suivants eurent lieu dans un tout autre site en octobre 1953 à Emu, au milieu du désert d'Australie du sud à 900 km environ d'Adélaïde avec des puissances très limitée : 10 et 8 kt (sur tour à 30 m au sol). Le premier de ces essais, dans des conditions météorologiques médiocres, semble avoir été à l'origine de retombées notables.

¬ Aucun essai n'eut lieu en 1954 et 1955. Les deux essais suivants furent réalisés de nouveau aux îles Monte Bello le 16 mai 1956 et le 19 juin 1956, ce dernier à 98 kt étant le plus puissant tiré en Australie, et étant encore évalué à 60 kt dans certains documents de référence.

¬ Des négociations avec le gouvernement de Canberra préciseront fin 1955 l'accord qui permit à la Grande-Bretagne d'installer un véritable site d'essais à Maralinga dans le désert d'Australie du sud, au sud d'Emu, lieu des essais de 1953, à un peu moins de 900 km d'Adélaïde.

Sept tirs de bombes nucléaires eurent lieu à Maralinga : 4 entre le 27 septembre et le 22 octobre 1956 et 3 entre le 14 septembre et le 9 octobre 1957 pour une puissance totale de 61,5 kt. Les expériences de sécurité, dont 12 sont comptées dans certaines statistiques s'ajoutent à ce nombre (cf. infra). Quatre tirs ont été réalisés sur tour (à une trentaine de mètres du sol), un au niveau du sol, un par avion (3 kt à 150 m de hauteur) et la dernière (25 kt) par ballon à 300 m de hauteur, ouvrant ainsi la voie à une technique pouvant limiter fortement la contamination.

2. Le stade du thermonucléaire : les îles Malden et Christmas

L'Australie ayant exclu dans l'accord formalisé en 1955-56 que des essais de bombes thermonucléaires puissent avoir lieu sur son sol (à Maralinga ou ailleurs), le gouvernement britannique choisit alors les îles Malden et Christmas pour poursuivre ses essais. Malden était alors une île corallienne inhabitée de 8 m de large sur 6 km de long située sous l'Equateur à 1600 km dans le Nord-Ouest de Bora-Bora (Polynésie française). Christmas (dénommée aujourd'hui Kiritimati) située à 700 km plus au Nord et au-dessus de l'Equateur, appartient à l'Archipel des « Line Islands » et fait partie de la République de Kiribati. L'île de Christmas elle-même est l'un des plus grands, sinon le plus grand atoll de l'Océan Pacifique (57 km x 39 km). Cet atoll est situé à 1800 km au Sud d'Hawaï et à 2 200 km de Tahiti.

¬ La première bombe thermonucléaire britannique (300 kt de puissance totale dont 100 kt pour la fusion) fut tirée le 15 mai 1957 comme les deux suivantes au large de Malden par avion à un peu plus de 2000 mètres d'altitude (720 et 200 kt).

¬ A Christmas furent réalisés six essais, tous thermonucléaires, pour une puissance totale de 6,7 Mégatonnes au minimum du 8 novembre 1957 au 23 septembre 1958. Le deuxième fut le plus puissant à 3 Mt. Trois d'entre eux furent, comme à Malden, tirés en altitude à partir de bombardiers Valiant, trois auraient été tirés sous ballons (plusieurs ballons pour un dispositif à 500 m de hauteur). Une autre série d'essais atmosphériques était prévue lorsque le gouvernement britannique décida en novembre 1958 de se joindre à la position prise par les Soviétiques et les Américains en faveur d'un moratoire de ce type d'essais. Contrairement aux deux superpuissances, la Grande-Bretagne ne recommença pas ces essais en 1961-62 lorsque celles-là les reprirent avec des puissances de tir extrêmement considérables.

¬ Christmas continua toutefois à servir de site d'essais puisque lors de la reprise des essais américains en avril 1962, ceux-ci y furent réalisés en vertu des accords de coopération passés avec le gouvernement britannique. Ces tirs aériens, semble-t-il, (ou par ballons) furent au nombre de 24 pour une puissance totale de 23,3 Mégatonnes entre le 25 avril et le 11 juillet 1962, six tirs ayant été égaux ou supérieurs à 1 Mégatonne, les plus puissants eurent lieu le 30 juin (7,65 Mt.) et le 11 juillet (3,88 Mt), soit en deux tirs davantage que la totalité des essais atmosphériques français ou britanniques.

Cette coopération anglo-américaine s'est également traduite par la réalisation de la totalité des essais souterrains britanniques (24 tirs) sur le site du Nevada (cf. infra).

3. Appréciations d'ensemble

Les dégagements de puissance de fission aux niveaux local et régional ont été perceptibles lors des essais de surface ou sur tour à Monte Bello, Emu et Maralinga, comme sur d'autres sites étrangers, ce que les informations disponibles permettent de juger. Les déplacements vers d'autres sites insulaires et plus isolés encore, le choix de techniques de tirs réellement moins ou non contaminantes, l'accent étant mis ici sur les tirs aériens davantage que sous ballon, ont permis d'éviter des risques substantiels que l'on peut rencontrer même avec de faibles puissances (cas du Nevada et de Semipalatinsk). On doit remarquer toutefois qu'à l'exception de Maralinga et d'Emu, aucun des autres sites n'a fait l'objet, semble-t-il, d'expertise ou à tout le moins d'étude.

II - Les incidences générales : les retombées

¬ Pour Malden et Christmas les retombées ont été minimales, ainsi que le confirme l'UNSCEAR (Rapport 2000 Annexe C)

¬ Australie : reconstitution des doses.

Différents travaux dans les années cinquante et l'étude de MM. Wise et Moroney (1985 et 1992) permettent de donner quelques éléments d'appréciation.

Les doses externes des retombées locales ne sont pas directement disponibles pour les essais de 1952 à juin 1956 (Monte Bello et Emu). Les doses corps entier d'irradiation externe sont estimées à moins d'un mGy dans toutes les localités habitées qui ont fait l'objet d'une surveillance mesurée.

Les sept tirs de 1956 et 1957 (séries dénommées Buffalo et Antler) ont donné lieu aux estimations suivantes pour quelques localités (85 localités ayant été prises en compte) :

Dose externe moyenne corps entier estimée des retombées locales des essais
à Maralinga (Wise et Moroney, 1985)

graphique

A partir de ces données et en intégrant les autres essais rapportés aux puissances des tirs, les doses moyennes d'irradiation externe de la population australienne dans son ensemble se révèlent très basses : 0,0011 mGy pour la série « Mosaïque » (deux tirs de juin 1956 à Monte Bello), 0,004 pour la série « Buffalo » et 0,0031 mGy pour la série « Antler » à Maralinga).

Les doses d'irradiation interne sont données pour l'ensemble des douze tirs par le tableau ci-dessous (Wise et Moroney 1985)

Moyenne des doses équivalentes résultant des essais britanniques en Australie (1952-1957)

graphique

L'équivalent de doses effective individuelle moyenne s'établit à 0,007 mSv pour la totalité des essais effectués en Australie. Le chiffre de 700 homme.Sv pour l'Australie peut se comparer avec les 200 000 homme.Sv évalués à partir des essais sur le polygone de Semipalatinsk au Kazakhstan.

A côté des expositions aux retombées locales et régionales lors des essais dont il apparaît en tout état de cause qu'elles ont été faibles pour l'ensemble de la population, des effets plus substantiels pour l'environnement ont été enregistrés sur le site de Maralinga, dus notamment aux expériences de sécurité qui y ont été menées.

Vos rapporteurs ont effectué en septembre 2001 une mission en Australie à Canberra, Adelaïde et Melbourne où siège l'autorité de sûreté nucléaire (ARPANSA) chargée notamment du suivi des sites d'essais et des travaux de décontamination.

Ils ont été reçus avec courtoisie et efficacité par les représentants de l'ARPANSA et ceux du Ministère des affaires étrangères et du commerce, du Ministère des anciens combattants (Commonwealth Department of Veterans'Affairs) ainsi que par les experts qui ont participé aux évaluations et au suivi des travaux à Maralinga.

L'ambassade de France en Australie a contribué de la même façon à l'organisation de la mission et à sa réalisation dans d'excellentes conditions.

Une visite technique de l'ensemble du site de Maralinga, y compris le secteur de Taranaki (cf. infra) a eu lieu le 12 septembre 2001. Elle a permis de prendre la mesure non seulement de l'opération d'ensemble de la décontamination, mais encore de la situation de départ (1967) et des évaluations et expertises intermédiaires.

III - La décontamination du site de Maralinga

Outre les 21 essais atmosphériques qualifiés « d'essais majeurs », la Grande-Bretagne a procédé à 12 essais de sécurité qui ont comporté un léger dégagement énergétique nucléaire et qui se sont tous écoulés dans le même secteur, celui du désert du Sud australien, principalement à Maralinga et très accessoirement à Emu. D'autres expérimentations s'ajoutent à ces 12 explosions et ce sont au total 550 expérimentations, assez diverses, auxquelles il a été procédé de 1953 à 1963, et en de nombreux endroits sur le même site de Maralinga dont la surface était de 32000 km2. Ces essais visaient notamment à s'assurer de la sécurité des bombes en cas d'accident de transport, au combat, et des comportements des différents éléments composant le dispositif.

Ce sont principalement 24 kg de plutonium et 100 kg de berylium qui ont été répandus à travers le site de Maralinga, spécialement dans le secteur de Taranaki, et plus particulièrement lors des expérimentations réalisées à la fin de la période.

En 1967, le gouvernement britannique fit mener une opération de « nettoyage final » du site de Maralinga étant postulé qu'il ne devrait pas y avoir d'établissement humain significatif à l'avenir. On a alors labouré et dispersé les éléments les plus dangereux dans les délais les enterrant à une très faible profondeur pour « diluer » la radioactivité.

En 1985, la Commission royale sur les essais nucléaires britanniques en Australie a tout d'abord signalé que le nettoyage de 1967 (« opération Brumby ») avait été mené dans la hâte, pour atteindre des objectifs politiques, et dans certains cas, avait aggravé la situation pour toute future opération de décontamination (« clean-up »). Elle a constaté ensuite la nécessité d'une véritable décontamination aux frais de la Grande-Bretagne et dans la perspective de rendre le site à nouveau habitable pour les Aborigènes. Des examens gammaspectrométriques par voie aérienne permirent en 1987 de compléter les expertises et de préciser notamment la contamination par le césium 137 et l'américium 241.

A la lumière des expertises et des options possibles qu'elles ont dégagées, il a été conclu un accord entre le gouvernement fédéral australien, celui d'Australie du Sud, les représentants Aborigènes locaux et le gouvernement britannique au terme duquel ce dernier prendrait en charge 50 % du coût de l'opération de décontamination dont le total s'est élevé à 100 millions de dollars australiens, et sur le plan technique l'ensemble du site devrait pouvoir de nouveau être habité par ses habitants, les Aborigènes, selon leur mode de vie traditionnel, ce qui impliquerait que dans certains secteurs le passage et la chasse soient libres, mais que l'installation sédentaire y soit proscrite. Cette option a été retenue par les Aborigènes eux-mêmes. 90 % de la surface du site est donc de nouveau accessible sans restriction, le maximum de la dose annuelle étant de 1mSv ; pour les 120 km2 à accès restreint, la dose ne dépasse pas 5mSv.

La réalisation technique a impliqué sur trois secteurs principaux dont celui de Taranaki, le raclement de 2,15 km2 de sol contaminé au plutonium et l'enfouissement sous des couches de 5 mètres de terre non contaminée. Des véhicules pressurisés spéciaux ont été nécessaires pour se protéger des poussières de plutonium. Aucune irradiation mesurable n'a été enregistrée, la surveillance individuelle des véhicules ayant été systématique.

Par ailleurs, dans l'ensemble des opérations de décontamination et de réaménagement était prévue la vitrification dans des puits de ces déchets radioactifs, et autres, abandonnés sur le site. Il s'agissait d'une vitrification in situ réalisée avec un dispositif conçu spécifiquement. Onze puits de débris furent ainsi testés, mais un accident technique intervenu lors des travaux (sans victime ni irradiation) entraîna l'arrêt de cette méthode de retraitement, l'incertitude quant au contenu des puits expliquant l'événement, car les expérimentateurs britanniques n'avaient pas laissé d'informations, et rendant risquée la reprise du processus. 36 autres puits ont ainsi été vidés, puis leur contenu brûlé ; celui-ci s'étant finalement révélé beaucoup moins radioactif qu'on ne le supposait.

IV - La recherche d'incidences sanitaires

L'absence d'incidence connue et constatée sur les populations en Australie ayant été rappelée, la question des personnels militaires ou civils ayant participé aux essais a été soulevée, en Australie, en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande. En effet, 22.300 personnes ont été décomptées comme ayant pris part d'une manière ou d'une autre, aux essais sur les trois sites australiens (Monte Bello, Emu et Maralinga) et sur les deux sites insulaires relevant de la souveraineté britannique (Malden et Christmas) ; elles étaient principalement de nationalité britannique, mais il y avait également des Australiens, des Néo-Zélandais (au titre de la Marine), et quelques Canadiens et Fidjiens.

1. Les éléments factuels

La répartition de ces personnels, presque exclusivement militaire, était la suivante : 40 % pour l'armée de l'air, 30 % pour la marine, 27 % pour l'armée de terre et 3 % de civils. Environ les trois quarts des participants militaires aux essais ne furent présents sur le site, quel qu'il soit, que pour un seul d'entre eux, mais pour une petite minorité, cette présence alla jusqu'à 8 essais. Le nombre de « personnes/séjour » s'élève à 27 500, sachant qu'en effet une personne peut avoir effectué plus d'un séjour sur l'un de ces sites et est donc comptée pour autant une fois que de séjours.

Les informations relatives aux expositions proviennent de l'AWE (Atomic Weapon Establishment). Les dosimètres avaient été étalonnés en Roentgen, la convention de conversion a été établie à 1 R = 10 m Sv dose équivalente corps entier.

Le minimum enregistrable était pour la plupart des essais en Australie : 0,2 mSv, mais dans certains cas 0,3 voire 0,5 mSv (deux premiers essais à Christmas).

Si la surveillance dosimétrique individuelle a été effectuée pour 96 % des personnels lors du premier essai (Hurricane en 1952 à Monte Bello), elle s'est située entre 50 % et 70 % à Emu et Maralinga, elle n'était plus que de 14 % lors des derniers (série Grapple en 1958) ; la politique dans ce domaine avait en effet évolué et seules les personnels les plus exposés étaient à la fin suivies individuellement.

Sur les 5686 personnes enregistrées par l'AWE, 3422 sont mentionnées avec une dose nulle et 2264 avec une dose non nulle. 483 sont mentionnées avec des doses de 5 mSv à 50 mSv et 81 au-dessus de 50mSv.

La répartition entre les trois armes (ainsi que l'AWE) pour les personnels ayant reçu les radiations est donnée par le tableau ci-après.

Effectifs et dose collective en homme.mSv répartis en niveaux de dose et par unité

graphique

Plus de la moitié de la dose collective totale (16 995 homme.mSv) a été reçue par des aviateurs (RAF) avec 9 915 homme.mSv, les personnels de l'AWE ont reçu 3 858 homme.mSv. Parmi les cinq groupes les plus exposés et isolés pour les besoins de l'étude épidémiologique, figuraient en effet les pilotes d'avions pénétrateurs du nuage et les équipes de décontamination de ces appareils.

La Commission royale sur les essais nucléaires britanniques en Australie (Canberra 1985), remarqua à ce sujet que les instructions de vol dans le nuage pour effectuer les prélèvements, de même que les procédures de décontamination au sol n'ont fait l'objet de prescriptions bien adaptées au risque qu'à partir des essais de septembre 1956 à Maralinga (série Buffalo).

La répartition des doses collectives par série d'essais indique qu'outre le premier essai (Hurricane, un seul tir avec 2 470 homme.mSv) c'est la dernière série (Grapple Z à Christmas) qui totalise la dose la plus élevée : 3 814 homme.mSv, suivie de la série Buffalo (septembre 1956) avec 2 156 homme.mSv.

2. Les études épidémiologiques

2.1 L'étude au NRPB

L'étude essentielle concernant les participants aux essais nucléaires britanniques ont été réalisées en deux temps par le NRPB (National Radiological Protection Board, Conseil National de Protection radiologique). En effet, une première étude dont la période de prise en compte s'arrêtait au 1er janvier 1984 a été poursuivie par la poursuite des mêmes travaux, sur des effectifs dont la détermination a encore été affinée et ce jusqu'au 31 décembre 1990. La nouvelle étude a été publiée en novembre 1993.

L'essentiel du résumé détaillé de l'étude montre nettement l'absence d'impact notable de la participation aux essais sur les risques sanitaires connus par les intéressés avec toutefois un léger risque de survenance de leucémie pendant les premières années après les essais.

« Une étude de suivi a été précédemment réalisée sur la santé des personnes ayant participé aux essais et programmes d'expérimentation britanniques d'armes nucléaires dans l'atmosphère qui se sont déroulés en Australie et dans l'océan Pacifique entre 1952 et 1967. Les participants ont été identifiés d'après les archives du Ministère de la Défense et un groupe témoin correspondant a été sélectionné d'après les mêmes archives. On a alors comparé dans les deux groupes les taux de mortalité et la fréquence du cancer déterminés d'après les certificats de décès et les registres nationaux de déclaration du cancer. Les chiffres de décès observés ont également été comparés avec ce qu'ils auraient été si ces personnes avaient connu les taux de décès enregistrés pour tous les individus des mêmes âges pendant les mêmes années en Angleterre et au pays de Galles. Les résultats de cette étude ont abouti à trois hypothèses : [premièrement,] que la participation aux essais pouvait avoir entraîné de légers risques de leucémie (en excluant la leucémie lymphatique chronique) et de myélome multiple, [deuxièmement,] que la participation aux essais n'entraînait pas un risque décelable de tout autre cancer ou de toute autre affection ayant un taux de mortalité appréciable, [troisièmement,] que les participants aux essais fumaient moins que d'autres individus comparables des forces armées britanniques ou employés par l'Établissement des armes (AWE).

La présente étude prolonge le suivi des participants aux essais ainsi que des témoins à raison d'une période de 7 années supplémentaires, afin de contrôler les trois hypothèses résultant de l'étude précédente et de poursuivre l'examen des effets à long terme de la participation aux essais sur la santé. Les individus étudiés sont, d'une part, ceux ayant fait l'objet de l'étude antérieure, plus une centaine d'autres participants découverts dans les documents d'archives du Ministère de la Défense depuis l'étude précédente, moins quelque quinze cents hommes dont le risque d'exposition aux radiations n'était pas supérieur à celui du grand public. Au total, 21 358 participants aux essais et 22 333 témoins ont ainsi été étudiés, parmi lesquels 99,8 % ont été suivis jusqu'au 1er janvier 1991.

Les 2488 décès supplémentaires parmi les participants aux essais et les témoins qui ont été enregistrés lors de la période supplémentaire de suivi après le 31 décembre 1983 ont fourni des données permettant de contrôler ces hypothèses. Pendant la période supplémentaire, les taux de mortalité dus à toutes les causes et à tous les néoplasmes, ainsi que le taux d'incidence de tous les néoplasmes ont été très similaires dans les deux groupes.(...) Seuls 6 nouveaux décès par leucémie ont été observés chez les participants aux essais, à comparer aux 10,55 prévisibles d'après les taux nationaux et le RR de la fréquence de leucémie chez les participants aux essais par rapport aux témoins au cours de la période supplémentaire a été de 0,64 (1C de 90 %, 0,28 à 1,44). Trois décès supplémentaires par myélome multiple ont été observés parmi les participants aux essais, à comparer aux 6,50 prévus d'après les statistiques nationales et le RR correspondant de la fréquence de leucémie chez les participants aux essais par rapport aux témoins a été de 0,71 (1C de 90 %, 0,22 à 2,07). Pour tous les néoplasmes et toutes les autres affections, la mortalité comparée aux taux de mortalité nationaux a été exceptionnellement faible au cours des 10 années après le début de la participation aux essais (taux de mortalité normalisés = TMN) de 0,72 et 0,54 respectivement), ce qui s'explique en partie par la sélection d'hommes de bonne constitution et en bonne santé pour la participation aux essais. En outre, on peut supposer que les effets éventuels de la participation aux essais sur la fréquence de néoplasmes autres que la leucémie sont concentrés dans la période postérieure aux 10 premières années après le début de la participation aux essais. Les indices d'effets à long terme éventuels de la participation aux essais ont, donc, été recherchés après avoir exclu les 10 premières années d'observation. Il a été constaté que la mortalité parmi les participants aux essais demeure faible après cette exclusion pour tous les néoplasmes et pour toutes les autres causes de décès (TMN de 0,84 et 0,82, respectivement) et les taux chez les participants aux essais et chez les témoins demeurent très similaires (RR = 0,97, 1C de 90 % 0,91 à 1,04) pour la fréquence de tous les néoplasmes et RR = 1,02, 1C de 90 % 0,96 à 1,08 pour la mortalité due à toutes les causes de décès autres que les néoplasmes). (...)

Pour la leucémie, la probabilité d'un effet éventuel de l'exposition aux radiations est plus forte dans la période de 2 à 25 ans après les essais que 10 ans ou plus après ces essais. Dans la période de 2 à 25 ans après les essais, 20 décès par leucémie ont été observés contre 16,29 prévisibles d'après les taux nationaux (p = 0,38). La fréquence est significativement supérieure à celle des témoins (RR = 3,45, 1C de 90 % 1,72 à 7,10), mais le risque n'est pas concentré parmi les personnes le plus susceptibles d'avoir été exposées aux radiations, ni parmi celles ayant participé à un essai particulier et l'excédent paraît devoir être attribué principalement à un déficit chez les témoins, dont la mortalité a été anormalement faible (TMN = 0,34 au cours de la période de 2 à 25 ans), alors qu'elle a rejoint le taux de mortalité national pendant la période supplémentaire de suivi (TMN = 0,98 pour la période du 1 janvier 1984 au 31 décembre 1990).

La conclusion est que la participation au programme d'essai d'armes nucléaires n'a pas eu un effet décelable sur l'espérance de vie des participants, ni sur leur risque de développer un cancer ou d'autres affections. L'excédent des chiffres de leucémie parmi les participants aux essais par rapport aux témoins au cours de la période de 2 à 25 ans après les essais est probablement dû au hasard, même si l'on ne peut écarter totalement l'hypothèse que la participation aux essais ait pu entraîner un léger risque de leucémie dans les premières années après les essais. Les hypothèses suggérées par une étude antérieure selon lesquelles les participants pourraient avoir subi de légers risques de myélome multiple et que les participants pourraient avoir moins fumé que les témoins correspondants ne sont pas confirmées par les données supplémentaires exploitées et les écarts paraissent maintenant probablement dus au hasard ».

2.2 L'étude sur les marins néo-zélandais

Les 528 marins néo-zélandais recensés comme ayant participé aux essais nucléaires en 1957 et 1958 aux îles Malden et Christmas (série Grapple) ont fait l'objet d'une étude épidémiologique19 prenant en compte toute la période depuis les essais jusqu'en 1987, puis d'une étude complémentaire, comme pour celle du NRPB (cf. supra) étendant la période étudiée jusqu'à 1992.

Ces marins étaient pour l'essentiel affectés aux navires chargés principalement des tâches météorologiques et en second lieu de fonctions diverses : sécurité, sauvetage-surveillance, prélèvement d'échantillons, d'eau notamment. Ces navires étaient postés de 20 à 150 miles du point zéro au moment du tir.

La cohorte des 528 marins ayant participé aux essais a été comparée à un groupe de 1 504 autres marins néo-zélandais n'ayant pas participé aux essais.

La conclusion de la première étude (1990) peut être ainsi résumée : bien que les effectifs soient faibles, les déductions pour la leucémie sont similaires à celles qui ont été faites dans l'étude sur les participants britanniques. Ainsi, un petit nombre de leucémies et éventuellement quelques autres cancers hématologiques, peuvent avoir résulté de la participation aux essais.

La seconde étude (1997) conforte cette déduction en ajoutant que ce suivi complémentaire renforce la constatation qu'il n'y a pas augmentation de risques de cancer non hématologique ou pour d'autres causes de mortalité non cancéreuse pour les participants aux essais.

2.3. l'éventuel recours à des « techniques radiobiologiques »

Le recours à des indicateurs biologiques d'exposition ou de risque fait l'objet de suggestions de la part de diverses associations en vue d'identifier des personnes qui, ayant participé à des essais nucléaires, auraient été irradiés sans en avoir connaissance par ailleurs. Ces propositions sont plus particulièrement faites au sujet des essais britanniques et en particulier des personnels néo-zélandais.

Sans entrer dans une revue détaillée des techniques qui sont ainsi évoquées, on peut indiquer ici que parmi les quatre catégories d'analyses radiobiologiques envisagées, trois d'entre-elles sont à exclure d'emblée soit parce qu'elles ne peuvent viser que des expositions à de fortes, voire très fortes doses, et qu'il n'y a pas de relation dose-effet qui puisse être établie, soit parce que les observations faites ne sont pas spécifiques d'une exposition radiologique et qu'en outre certaines situations peuvent fausser les résultats (tabagisme). En tout état de cause, les interprétations sont souvent impossibles.

Seule une catégorie de techniques d'examen radiobiologiques pourrait correspondre à l'objectif recherché à défaut de répondre pleinement à la question. Il s'agit des analyses hématologiques du type FISH visant l'instabilité génomique par un suivi des « anomalies stables » (ou des réarrangements chromosomiques).

Ces analyses peuvent en effet permettre de retrouver la trace d'irradiations anciennes, de plusieurs décennies par exemple, mais il y a quand même une limite temporelle dans la mesure où, à côté des « réarrangements » qui sont caractéristiques d'une irradiation ancienne, peuvent, avec le vieillissement, apparaître des réarrangements qui se mêlent aux premières sans être pour autant repérables.

Par ailleurs, pour que ces réarrangements ou anomalies stables soient lisibles pour la recherche d'une contamination, il faut que cette dernière ait été importante, à partir d'un seuil situé entre 200 et 300 mSv, et reçue en une seule fois.

On voit donc que pour la France, même le pilote de Vautour le plus exposé (180 mSv) de tous les essais, n'aurait pas été repéré par un tel examen. Il faut en outre disposer d'un groupe de référence pour comparaison systématique.

Enfin, ce type d'examen qui est coûteux, n'a rien d'inédit puisqu'il est pratiqué depuis une vingtaine d'années sur les victimes du bombardement d'Hiroshima. Il pourrait, en fait, s'adresser à des populations ou des personnels militaires qui ont été sérieusement exposés, et à leur insu, dans des conditions où aucune information ne leur était donnée quant aux risques accidentels ou non qu'une activité nucléaire, et pas seulement militaire, a gravement menacé dans un passé lointain mais pas trop lointain non plus.

LES ESSAIS NUCLÉAIRES CHINOIS

Dernière grande puissance nucléaire à avoir engagé des essais en 1964, la Chine a aussi été la dernière à réaliser un tir atmosphérique le 16 octobre 1980.

Tous les observateurs s'accordent à constater la rapidité de ses progrès tant pour l'arme elle-même que pour les vecteurs utilisés.

Les essais ont été réalisés sur un site unique en Chine (sous réserve de tirs de missiles depuis un pas de tir spécifique) contrairement à toutes les autres puissances nucléaires qui en ont changé ou qui ont disposé simultanément de deux ou de plusieurs sites d'essais.

Le nombre d'essais atmosphériques auxquels la Chine a procédé (22) reste très limité et du même ordre que celui de la Grande-Bretagne (21 si l'on en exclut les essais de sécurité). Elle a par contre cumulé, avec 22 Mégatonnes, une puissance totale qui dépasse nettement celle de la France (10,2) et de la Grande-Bretagne (8,1) réunies. Si l'on y ajoute, toujours en terme de puissance totale, les essais souterrains, le rapport entre les trois pays reste voisin :

- Chine : 22 Mt

- France : 13 Mt

- Grande-Bretagne : 10 Mt

Après la présentation des conditions dans lesquelles les essais ont été réalisés, on abordera la question des incidences de ceux-ci.

I - Conditions de réalisation des essais

Créé en 1959 dans une région complètement désertique de la province du Sinkiang, le site d'essais nucléaires du Lob Nor est, de beaucoup, le plus étendu de tous avec 100 000 km2 (Semipalatinsk : 5 180, Nevada : 3 500). Les premières localités peuplées en dehors du site se trouvent à 400 km dans l'Est de celui-ci. Tous les types d'essais ont pu y avoir lieu.

1. Les essais atmosphériques

¬ Les vingt deux essais atmosphériques se sont répartis à peu près régulièrement de 1964 à 1980, une concentration étant toutefois notable en 1966 (3 tirs) et entre 1976 et 1978 (six tirs).

Les essais atmosphériques représentent 93 % de l'ensemble de la puissance des essais réalisés en Chine. Les essais les plus importants ont été concentrés sur la période 1967-1970 où sur les 5 tirs qui ont eu lieu, 4 atteignèrent 3 Mégatonnes. Deux tirs importants ont eu lieu après cette période : celui de l'année 1973 (2,5 Mt) et le plus puissant de tous (4 Mt) en novembre 1976. Les seize autres tirs représentent ainsi 2,2 Mt ce qui correspond à une majorité de tirs autour de 20 kt chacun. La première bombe à hydrogène intervint en juin 1967 (6ème tir atmosphérique) avec une puissance de 3 Mt, alors qu'avaient eu lieu en 1966 deux tirs avec des « bombes dopées » (lithium 6).

Les périodes de tirs sont regroupés principalement sur deux périodes : septembre-octobre (près de 40 % de l'ensemble des tirs), et mai-juin (25 %), les conditions climatiques pourraient expliquer cette concentration.

¬ Les techniques de tirs ont été majoritairement aériennes, soit par avion (cas notamment de la première bombe à hydrogène) à 3 000 mètres d'altitude, soit par missile à des altitudes très variables. Le tir sur tour (30 mètres, puis 100 mètres à partir du deuxième essai de ce type) ne fut pratiqué que 6 fois. A l'instar de ce qui avait été réalisé à Semipalatinsk, de nombreux éléments d'équipements urbains ont été construits sur le polygone dans le périmètre relativement proche du point zéro pour des expérimentations ; comme sur la plupart des sites, du matériel militaire (véhicules, avions, etc...) a également été exposé dans ce cadre.

2. Les essais souterrains

Au nombre de 22, leur puissance cumulée est de 1,5 mégatonne environ. Après un premier essai en 1969, le deuxième n'est intervenu qu'en 1975 et une nouvelle interruption d'octobre 1978 à octobre 1982. Le dernier a eu lieu en juillet 1996. Une grande majorité des essais semble avoir été réalisée dans des puits très profonds. Le plus puissant tir souterrain chinois (de 650 kt) a eu lieu en mai 1992. Aucun phénomène de « cratère » ne semble avoir été observé. Quelques tirs en tunnel ont également eu lieu.

II - Les incidences éventuelles

¬ Les indications dont on dispose actuellement sont très limitées ainsi qu'en atteste le rapport de l'UNSCEAR 2000 (annexe C) ci-après mais elles permettent de préciser l'orientation générale de retombées par rapport à la puissance dégagée :

« Les informations concernant les dépôts locaux consécutifs à ces essais sont limitées. Des ballons furent utilisés pour suivre la trajectoire des nuages de déchets, et des instruments aéroportés et basés au sol furent utilisés pour contrôler les niveaux de radiation. Des estimations des irradiations furent réalisées sur une zone située dans la direction du vent à une distance de 800 km. Les estimations des irradiations externes dans des villes, plus ou moins grandes, dans un rayon de 400 à 800 km du site d'essais de la province de Gansu allaient de 0,02 à 0,11 mSv (tableau ci-après), avec une moyenne de 0,04 mSv pour trois essais, ce qui représentait plus de 90 % de la dose résultant de tous les essais chinois. On supposa une occupation des maisons à 80 % et un facteur de protection des bâtiments de 0,2. Une évaluation rétrospective des doses basée sur un échantillonnage des sols fut réalisée de 1987 à 1992. La dose engagée provenant du 137Cs fut estimée de l'ordre de 1,5 à 10 mSv dans la province nord-ouest de Gansu »20 ».

Estimation des doses efficaces d'exposition externe dans les localités situées de 400 à 800 km sous le vent du site d'essais du Lob Nor

Localité

Population

Distance du site

(km)

Dose absorbée dans l'air (mGy)

Dose efficace

(mSv)

Xihu )

Anxi )

Tashi )

Qiaowan

Yumenzhen )

Yumanshi )

Jinta

Jiayuguan

60 000

Village

159 000

99 000

89 000

500

500

560

600

740

720

0,07

0,06

0,10

0,14

0,12

0,02

0,45

0,44

0,2

0,2

0,3

0,04

0.03

0,006

0,11

0,11

Depuis la fin des années cinquante, une surveillance de la radioactivité à travers la mesure d'ensemble des rayonnements β a été assurée sur différents points du territoire chinois. Ce graphique ci-dessous retrace ainsi l'évolution de la radioactivité. Il montre notamment un maximum en 1962 qui, selon SCOPE/59 (op.cit), « était le résultat des retombées précoces des explosions d'armes nucléaires en 1962 en Asie Centrale ». Ces plus petits pics intervenues en 1966, 1971, 1973 et 1977 enregistrent la contamination radioactive des essais nucléaires menés en Chine pendant ces années-là ».

graphique

La position du site de Semipalatinsk et les retombées à l'origine desquelles il se trouve lors de toute la période des essais atmosphérique (1949-1962) ainsi que divers types de tirs souterrains non confinés expliquent en effet cette situation. La carte présentée dans le rapport de l'UNSCEAR 2000 (Annexe C) illustre bien cette situation des deux sites d'essais l'un par rapport à l'autre :

graphique

Le cercle pointillé intérieur donne la distance à 500 km du centre des sites, le cercle tireté, la distance de 1000 km. Les zones ayant fait l'objet de mesures particulières (Altaï et Gansu) sont signalées par des ellipses

¬ Des contaminations par l'iode 131 ont été relevées dans certaines régions de Chine. Les trajectoires des retombées se sont naturellement révélées dépendantes de la situation météorologique et de l'évolution du temps ; la dispersion peut ainsi se révéler aléatoire. Le tableau ci-dessous, présenté par Scope/59 (op. cit.) donne un aperçu de ces dépositions dans certaines régions chinoises où celles-là ont été les plus fortes :

Retombées d'Iode 131 en kBq m-2 dans certaines régions de Chine

Nombre d'essais (et date)

Région

Retombées d'Iode 131

4 (27 octobre 1966)

5 (28 décembre 1966)

12 (7 janvier 1972)

15 (17 juin 1974)

18 (17 novembre 1976)

22 (16 octobre 1980)

Xi'an

Shenyang

Lanzhou

Lanzhou

Hohhot

Xining

0,33

4,8

5,1

10

0,22

10

Source : Liu Ying and Zhu Changshou - 1996

Les estimations de doses à la thyroïde pour des adultes sont données par le tableau ci-après. Les doses pour les enfants doivent être multipliées par un facteur d'au moins 10 (cf. Nevada étude du NCI) :

Région

Dose à la thyroïde (mGy)

Dose efficace (mSv)

Changchum

Shenyang

Taiyuan

Xi'an

Hangzhou

Changsha

Nanning

Hohhot

Xining

Lanzhou

0,16

2,2

0,059

0,14

0,15

0,11

0,097

0,97

2,0

2,5

0,0081

0,11

0,003

0,0072

0,0077

0,0054

0,005

0,05

0,1

0,13

Source : Liu Ying and Zhu Changshou - 1996

LES ESSAIS NUCLEAIRES EN INDE ET AU PAKISTAN

Les essais nucléaires de l'Union indienne et ceux du Pakistan étant tous souterrains et réalisés dans un « climat » d'hostilité, donc de secret, les incidences éventuelles de telles expérimentations, au demeurant en nombre très limité à ce jour, six pour chaque pays, sont pour le moins difficiles à saisir. On ne peut que rappeler ici les éléments factuels qui caractérisent ces tirs souterrains.

I - L'Inde

Le premier essai nucléaire indien a eu lieu en 1974, dans le désert du Rajasthan (Pokran). Sa puissance indiquée était de 12 kt et semble avoir été ultérieurement révisée à la baisse (8 kt). Le gouvernement indien qui l'avait présenté comme une « explosion pacifique » avait pris des dispositions particulièrement orientées vers un confinement absolu de ce tir ; il ne semble pas, d'ailleurs, qu'un relâchement dans l'atmosphère ait été relevé.

Dans la même région ont eu lieu du 11 au 13 mai 1998 cinq autres tirs souterrains. Ils ont été présentés par les autorités indiennes de la manière suivante : un premier essai, effectué le 11 mai 1998 concernait trois engins : l'un à 12 kt environ, un autre, thermonucléaire à 43 kt et enfin un engin subkilotonnique. Le surlendemain, deux engins de 0,2 et 0,6 kt auraient été tirés simultanément. Ces indications de puissance ont été contestées par des centres d'observation sismique étrangers, français entre autres. L'Inde elle-même a corrigé ses premières estimations en indiquant que la puissance totale des trois premiers tirs se situeraient entre 25 et 30 kt.

II - Le Pakistan

Le Pakistan a procédé à six essais au total le 28 et 30 mai 1998, moins de vingt jours donc après les cinq essais indiens de 1998. La puissance totale aurait été de 50 kt (une de 25 kt, deux de 12 kt et trois subkilotonniques). Pour ce pays également, les relevés extérieurs donnent des puissances inférieures, entre 6 et 16 kt pour la première série et 4 à 6 kt pour la seconde. Ces essais ont eu lieu dans la région de Chagaï (province du Balouchistan), non loin de la frontière afghane.

1 Nombre communiqué par le Department of Energy des Etats-Unis en décembre 2000 et auquel correspond le chiffre de 1 149 « détonations » selon cette même source. L'UNSCEAR, quant à elle, a retenu précédemment le chiffre de 1127 essais.

2 Premier essai de bombe atomique le 16 juillet 1945

3 Dont le tir souterrain le plus puissant réalisé par les Etats-Unis

4 Robinson et Al. 1996, cité par Scope (59) : Sir Frederick Warner et René J.C. Kirchmann Nuclear test explosions, Environnemental and Human impacts (2000)

5 Johson et al. 1996, cité par Scope (59)

6 Rapport du groupe consultatif de l'AIEA 1998 (cf. infra)

7  Aux termes du rapport lui-même, l'examen international poursuivait un triple objectif :

« - Evaluer les conditions radiologiques sur l'atoll de Bikini en République des îles Marshall, en tenant compte des informations transmises par le gouvernement de la République.

- Vérifier s'il est ou non nécessaire de confirmer les informations disponibles sur l'état radiologique actuel de l'atoll.

-Déterminer s'il est ou non nécessaire d'intervenir pour prendre des mesures curatives aux fins de protection contre les radiations et, dans l'affirmative, la nature, l'étendue et la durée d'une pareille intervention ».

8 ACHRE : Comité consultatif américain sur l'expérience des radiations sur l'homme institué par le Président CLINTON en 1994 dont le rapport a été publié à la fin de l'année 1995 (cf. infra)

9 ces chiffres de source américaine (Department of Energy) sont légèrement différents de ceux de l'UNSCEAR (86 au lieu de 100 en raison de classement différent de tirs de cratère à faible profondeur et vraisemblablement de tirs simultanés).

10 Cf. infra

11 Anspaugh, L.R. and Church, B.W. (1986) Historical estimates of external gamma exposure and collective gamma exposure from testing at the Nevada Test Site. I. Test series through Hardtack II, 1958. Health Physics.

Anspaugh , L.R., Ricker, Y.E., Black, S.C., Grossman. R.F., Wheeler. D.L., Chruch, B.W. and Quinn, V.E. (1990) Historical estimates of external exposure and collective external exposure from testing at the Nevada Test Site. II. Test series after Hardtack II, 1958, and summary. Heath Physics.

12 F. Owen Hoffman a fait cette déclaration étant auditionné le 16 septembre 1998 soit un an après la publication du rapport du NCI et au moment où la teneur du rapport de l'IOM/NRC était déjà connue ; il a été l'un des quatre consultants du comité IOM/NRC auteur de ce dernier rapport.

13 A l'exception des tirs à Semipalatinsk après 1959, les autorités chinoises ayant mis en place en 1960 un dispositif de mesure des retombées qui affectaient leur territoire.

14 Ouvrage réalisé par Pacific Norhwest National Laboratory/Institut Battelle pour le Département de l'énergie des Etats-Unis, coordonné par M. Donald J. Bradley, Editeur David R. Payson/Battelle Press.

15 In Catastrophes et accidents nucléaires dans l'ex Union Soviétique - IPSN - coordinateur M. Daniel Robeau - Ed. EDP - Sciences 2001

16 C. Chenal Le polygone d'essai nucléaire de Semipalatinsk. Op. cit.

17 Dubasov et al. 1994 cité par Nuclear Test Explosions Scope (59)

18 R. Rosenson, B. Gusseïv, M. Hoshi, Y. Satow (1996) : sommaire résumé des études sur les radiations sur les habitants de la région de Semipalatinsk de 1953 à 1997. Symposium de Nagasaki - Elsevier cité par Scope/59.

19 Auteur principal Neil Pearce « Cancer Courses and control » (1990). Rapid Science publishers 1997. « Suivi complémentaire des participants de Nouvelle-Zélande aux essais britanniques d'armes nucléaires dans le Pacifique ».

20 UNSCEAR - Rapport 2000 - Annexe C