Accueil > Documents parlementaires > Amendements
Version PDF
ART. 12 ter
N° 350
ASSEMBLÉE NATIONALE
17 novembre 2006

PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE - (n° 3338)

Commission
 
Gouvernement
 

AMENDEMENT N° 350

présenté par

M. Mamère, Mme Billard et M. Yves Cochet

----------

ARTICLE 12 ter

Supprimer cet article.

EXPOSÉ SOMMAIRE

I. – Sur la compétence de principe du juge judiciaire :

Incontestablement, la mise en demeure de quitter les lieux, émise par le préfet est un acte administratif.

Les contentieux d'annulation et de réformation des décisions des autorités publiques sont réservés au juge administratif pour autant que ne sont pas en cause les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel en date du 23 janvier 1987 Conseil de la Concurrence (224 DC).

Or l'autorité judiciaire est en vertu de l'article 66 de la Constitution garante du respect des libertés individuelles au titre desquelles figure le principe d'inviolabilité du domicile.(voir notamment décisions Conseil Constitutionnel 12 janvier 1977 fouille des véhicules (75DC) et 29 déc 1983 et 29 déc 1984 perquisitions fiscales (164 DC et 184 DC).

En outre, il est de jurisprudence constante que la caravane des gens du voyage constitue leur domicile dont l'inviolabilité est consacrée par l'article 184 du code pénal (notamment CE, 2 déc 1983 Ville de Lille c/ ACKERMANN).

L'évacuation forcée des résidences mobiles du terrain sur lequel elles se trouvent constitue une violation du domicile en ce que ce dernier est de fait déplacé sous la contrainte. À titre comparatif, il convient en effet de souligner que le principe d'inviolabilité du domicile s'applique non seulement en matière de perquisitions mais aussi de simples visites domiciliaires (voir notamment Conseil Constitutionnel 29 déc 1983 et 29 déc 1984 perquisitions fiscales 164 DC et 184 DC et Cour de Cassation 23 mars 1993, Société Santerne).

Le présent projet prévoit donc, en contradiction avec le principe précité, de confier le contentieux relatif à cette procédure à la compétence du juge administratif.

II. – Sur le principe de l'inviolabilité du domicile :

Si la prévention de l'atteinte à l'ordre public est également un principe à valeur constitutionnelle, il doit être concilié avec les libertés individuelles dont le principe de l'inviolabilité du domicile (Conseil Constitutionnel 19-20 janvier 1981 Sécurité et liberté - 127 DC - Conseil Constitutionnel 29 déc 1983 et 29 déc 1984 perquisitions fiscales 164 DC et 184 DC - Conseil Constitutionnel 13 mars 2003 loi pour la sécurité intérieure 467 DC).

a) L'intervention du juge judiciaire

La conciliation de ces deux principes exige que les opérations menées le soient "sous la responsabilité et sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire" (Conseil Constitutionnel 29 déc 1983 et 29 déc 1984 perquisitions fiscales 164 DC et 184 DC).

Ainsi l'évacuation des résidences mobiles portant nécessairement atteinte au principe d'inviolabilité du domicile, il résulte de la jurisprudence constitutionnelle qu'elle ne peut avoir lieu qu'au moyen d'une saisine préalable de l'autorité judiciaire et sous le contrôle effectif sur l'entier déroulement de la procédure par cette dernière.

Appliquant avec rigueur ce principe, la Cour de Cassation a censuré, par un arrêt rendu en 1993 (C.Cass 23 mars 1993, Société Santerne), une autorisation de visite domiciliaire délivrée par le président du tribunal de grande instance alors que celui-ci n'avait pas désigné lui-même les officiers de police judiciaire chargés d'assister à l'opération, laissant ce soin au commissaire de police.

b) La protection du domicile

En outre, le Conseil Constitutionnel par une décision en date du 13 mars 2003 loi pour la sécurité intérieure (467 DC) a rappelé la nécessaire conciliation entre les exigences constitutionnelles que sont la prévention d'atteintes au droit de propriété et à l'ordre public avec l'exercice des libertés constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté d'aller et venir, le respect de la vie privée et l'inviolabilité du domicile.

En l'espèce était prévue la création d'un délit relatif au stationnement irrégulier des résidences mobiles des gens du voyage. Le Conseil Constitutionnel a contrôlé le respect de cette conciliation par des dispositions prévues en matière répressive. Il ne fait aucun doute que les exigences issues de cette nécessaire conciliation doivent s'appliquer a fortiori dans le domaine de la prévention visé par le présent projet.

Si le Conseil a ainsi pu estimer que cette conciliation était en l'espèce respectée s'agissant de la création des peines complémentaires de suspension du permis de conduire et la confiscation des véhicules automobiles utilisés pour commettre l'infraction, c'était sous la réserve que cette dernière ne concerne pas les véhicules destinés à l'habitation (considérants 70 à 72).

III. – Sur le principe d'égalité devant la justice :

Le droit au recours contre la mise en demeure d'évacuer le terrain prévu par le présent projet est enfermé dans le délai fixé par la mise en demeure pour quitter les lieux. Ce délai ne peut être inférieur à 24 heures.

Ainsi ce projet de loi rompt l'égalité des citoyens devant la justice, rappelé récemment par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 2005 loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (510 DC) (voir considérant 22) en ce qu'il institue un délai de recours qui varie selon le délai laissé aux destinataires de la mise en demeure pour quitter les lieux.

L'exigence qui s'impose au législateur en cette matière est de ne pas procéder à des distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense.

En l'espèce le projet viole ce principe en instaurant des délais de recours qui pourront dans certains cas être très brefs (24 heures) et ne pas permettre l'exercice effectif des droits de la défense des justiciables.

Une telle différence est en outre injustifiée en ce sens que le délai est fixé discrétionnairement par le préfet et ne résulte d'aucune distinction de situation prévue par la loi.