N° 259

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2002

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2003 (n° 230),

TOME VII

DÉFENSE

PAR M. PAUL QUILÈS,

Député

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SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE D'INCERTITUDES
     STRATÉGIQUES CROISSANTES DANS LA DÉFINITION
     DE NOTRE POLITIQUE DE DÉFENSE
7

II - L'EUROPE DE LA DÉFENSE : UNE NÉCESSITÉ FACE AUX
     INCERTITUDES DU MONDE CONTEMPORAIN
17

III - LES CRÉDITS DE LA DÉFENSE POUR 2003: UN BUDGET ANNUEL       S'INSCRIVANT DANS UN CADRE PLURIANNUEL INCERTAIN 23

CONCLUSION 29

EXAMEN EN COMMISSION 31

Mesdames, Messieurs,

La Commission des Affaires étrangères doit aujourd'hui se prononcer sur les crédits de la défense dans le contexte particulier d'une recrudescence d'actes terroristes touchant les intérêts occidentaux : pétrolier français Limburg au Yémen, massacre de touristes à Bali.

Ainsi, un peu plus d'un an après les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme international reste plus que jamais d'actualité. Cependant, au moment où nous examinons le budget de la défense, il faut plus que jamais insister sur le fait que ce combat ne se gagnera pas uniquement par des moyens militaires. Certes, les armées y apportent une contribution utile, mais on ne peut se contenter de l'augmentation des crédits de la défense comme seule réponse à ce phénomène complexe.

Pour autant, il est clair que le terrorisme est révélateur des incertitudes stratégiques croissantes auxquelles est confronté notre appareil de défense. D'ailleurs, les attentats du 11 septembre ont accéléré la mise en place d'une nouvelle doctrine militaire américaine fondée sur une nouvelle conception de la dissuasion, sur la justification de la guerre préventive et sur l'unilatéralisme.

L'évolution du paysage stratégique aura des conséquences pour la France et pour l'Europe. Dans ce monde de plus en plus interdépendant, la tentation du repli sur soi est dangereuse. C'est pourquoi il est urgent de progresser dans la construction d'une authentique Europe de la défense. Malheureusement, ce budget, et le projet de loi de programmation militaire dont il est le prolongement - bien que ce dernier n'ait pas encore été discuté ni voté par le Parlement -, manquent d'ambition dans ce domaine.

I - LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE D'INCERTITUDES STRATÉGIQUES CROISSANTES DANS LA DÉFINITION DE NOTRE POLITIQUE DE DÉFENSE

Les attentats du 11 septembre resteront probablement comme le symbole de l'entrée dans un monde d'incertitudes, marquées par l'importance des menaces asymétriques menées par des acteurs non étatiques, et donc difficilement identifiables.

Afin de s'assurer que notre architecture de défense est adaptée au contexte environnant, il est indispensable de s'interroger sur les évolutions des données stratégiques, nombreuses dans l'année écoulée.

A - Les conséquences de l'évolution de la doctrine stratégique et militaire américaine

1) La nouvelle doctrine stratégie américaine

Les attentats du 11 septembre ont accéléré l'évolution de la pensée stratégique américaine, en germe depuis plusieurs années, notamment depuis l'arrivée au pouvoir de l'administration Bush. Cette nouvelle stratégie, résultat d'un long débat, a été finalisée dans un certain nombre de documents publiés par l'administration américaine depuis un an :

- la revue quadriennale de défense (Quadriennal Defense Review - QDR) parue en octobre 2001 constitue la première étape de la nouvelle doctrine américaine. Sans apporter de véritable révolution, la QDR insiste sur la nécessité d'adapter les armées à de nouvelles formes d'attaques asymétriques (dont le terrorisme), sur la multiplicité des menaces qui impose dorénavant une démarche « capacitaire », c'est-à-dire une planification fondée non pas sur la réponse à apporter à une ou des menaces stables et identifiées, mais sur la gamme des capacités adverses pouvant être déployées à l'encontre des Etats-Unis ou de leurs alliés. Cependant, autant la révolution a eu lieu dans la rhétorique, autant celle-ci n'apparaît pas dans l'évolution concrète préconisée pour le formatage des armées américaines. Quant à la réponse aux menaces asymétriques, celle-ci semble passer par des opérations de guerre des plus classiques.

- la revue de posture nucléaire américaine (Nuclear Posture Review - NPR) a été présentée en janvier 2002. Elle marque la rupture avec la période de l'après guerre froide dans le domaine nucléaire. La NPR de 1994 était encore fondée sur la parité nucléaire avec la Russie, mise en _uvre par les traités START. Au contraire, la NPR de 2002 insiste sur la nécessité de se prémunir contre des menaces incertaines, venant d' « Etats parias » ou de groupes terroristes, éventuellement équipés d'armes de destruction massive, contre lesquels la dissuasion aurait très peu d'effet. Ainsi la NPR élargit le concept de dissuasion en rendant plus floue la distinction traditionnelle entre le conventionnel et le nucléaire, lequel ne peut plus seul suffire à la défense du territoire contre des agressions extérieures. Par ailleurs, outre cette nouvelle distinction entre dissuasion nucléaire et dissuasion par des moyens conventionnels, la NPR innove en mettant en place une autre distinction, entre la dissuasion offensive traditionnelle, et la dissuasion défensive, via des systèmes antimissile et des mesures de protection contre une agression par des armes de destruction massive.

- la stratégie nationale de sécurité des États-Unis d'Amérique a été rendue publique le 20 septembre 2002. Elle complète les deux principaux documents, avec une portée politique beaucoup plus forte. La tonalité offensive de ce document est encore plus claire que celle de la QDR et de la NPR, qui restent avant tout des documents issus de la bureaucratie du Pentagone. Ainsi, le concept de guerre préventive est assumé (« l'Amérique interviendra avant même que la menace ne se concrétise ») alors qu'il est clairement expliqué que la dissuasion est sans effet sur les nouveaux ennemis des Etats-Unis. Ainsi, la doctrine stratégique officielle des Etats-Unis, le document étant préfacé par le Président Bush, est en contradiction totale et assumée avec la charte des Nations unies, et notamment avec le principe de non emploi de la force, sauf cas de légitime défense ou dans le cadre d'un emploi collectif autorisé par le Conseil de sécurité.

La philosophie stratégique des Etats-Unis est ainsi fondée sur la croyance que, dans un monde dangereux, seule la force militaire peut permettre de faire avancer les valeurs attaquées par les ennemis de la démocratie et de l'Occident. Les fondements de ce nouvel unilatéralisme sont donc l'accent mis sur la prévention (preemption en anglais) par rapport à la dissuasion, qui passe par le développement de systèmes antimissile et par la justification de guerres préventives, et aussi le développement d'une approche capacitaire. Cette démarche s'oppose à la démarche fondée sur une menace préalablement identifiée et, en conséquence, les alliances perdent leur raison d'être dès lors que l'ennemi n'est plus désigné par son identité ou son projet. C'est ce que le Secrétaire à la défense américain Donald Rumsfeld a résumé abruptement en disant « c'est la mission qui définit la coalition, et non l'inverse », ce qui revient à dire que les Etats-Unis ne connaissent d'alliés que de circonstance.

2) Les premières manifestations de la nouvelle doctrine américaine

Ce serait une erreur de croire qu'une évolution doctrinale induit automatiquement des effets concrets sur l'organisation des armées, de l'arsenal nucléaire... Le Pentagone est soumis à des pesanteurs bureaucratiques, à son propre gigantisme et à toutes sortes de conservatismes qui font qu'au total, l'appareil militaire américain n'est pas bouleversé, en dépit de la rhétorique politique. La richesse des Etats-Unis permet ainsi de financer, grâce à une hausse du budget de la défense de 14 % en 2003, de nouvelles priorités, notamment la recherche et les essais des futurs systèmes antimissile, sans avoir à réduire les autres programmes. Pour autant, s'il ne faut pas exagérer les effets de la nouvelle doctrine des Etats-Unis sur l'organisation de sa défense, elle a néanmoins déjà eu des conséquences majeures sur sa politique extérieure.

a) Désarmement, défense antimissile et rapprochement stratégique avec la Russie

Incontestablement, les attentats du 11 septembre ont eu un impact décisif dans la décision de mettre définitivement en _uvre le programme de défense antimissile, le Missile Defense ou MD, héritier du National missile defense ou NMD né sous l'administration Clinton. A première vue, cela peut apparaître paradoxal car ces attentats ont été commis au moyen d'armes par destination, à savoir des avions civils, et non avec des armes de destruction massive. De même, un système antimissile aurait été sans effet sur la diffusion de lettres infectées par le bacille du charbon. Cependant, au-delà des conséquences directes de ces tragédies, les attentats du 11 septembre ont révélé la vulnérabilité du territoire américain à des attaques de ses ennemis, pour la première fois depuis Pearl Harbour, donnant apparemment raison à ceux qui pensent que la dissuasion ne suffit plus à assurer la sécurité des Etats-Unis. Certes, le lancement effectif de la MD ne lève aucunement les doutes sur son efficacité future, que ce soit face à une menace partant du territoire américain lui-même, comme les attentats du 11 septembre, ou même face à une attaque balistique.

En dépit de ces incertitudes, la nouvelle posture stratégique américaine s'est déjà traduite par des conséquences de premier ordre. C'est ainsi que les Etats-Unis ont annoncé leur retrait, le 13 juin 2002, du traité ABM avec un préavis de six mois. Ce traité signé en 1972 avec l'URSS constituait le fondement d'une doctrine fondé sur la dissuasion, celle la destruction mutuelle assurée, puisqu'il interdisait la mise au point de système d'interception des missiles, lesquels auraient eu pour conséquence de remettre en cause l'équilibre de la puissance, que l'on appelait pendant la guerre froide l'équilibre de la terreur.

Dans le même temps, les Etats-Unis ont conclu, le 13 mai 2002, avec la Russie, un accord de réduction des deux tiers de leurs arsenaux nucléaires stratégiques, à un niveau de 1 700 à 2 200 ogives de chaque côté. La portée de cet accord est en réalité limitée puisque le traité ne contraint pas à une destruction des têtes nucléaires qui pourront être stockées, et donc éventuellement redéployées. Mais, sa signature a permis un spectaculaire rapprochement américano-russe. Elle intervenait en effet quelques jours avant que ne soit créé le nouveau Conseil OTAN/Russie, révélatrice de la nouvelle politique de Washington en terme d'alliances.

b) Une politique étrangère unilatéraliste

Par ailleurs, les perspectives d'intervention en Irak afin de démanteler un éventuel arsenal d'armes de destruction massive, et surtout pour renverser un régime ennemi, relèvent totalement de la nouvelle doctrine américaine sur l'emploi de la force, en contradiction avec la charte des Nations unies. Si ce concept de guerre préventive est réellement mis en _uvre, les risques de déstabilisation sont immenses puisque l'emploi de la force ne répondra plus à des critères stricts mais à des appréciations totalement subjectives.

Plus globalement, les Etats-Unis semblent avoir renoncé à la diplomatie et au multilatéralisme comme outil de résolution des conflits au profit de la force militaire. On ne peut ainsi que constater le contraste entre l'activisme de l'ancien Président Clinton dans la recherche d'une solution politique au conflit israélo-palestinien et la politique de George W. Bush, qui dévie rarement d'un soutien à Ariel Sharon. Pour autant, les causes des conflits demeurent et ceux-ci ne pourront être réglés que par la coopération, ce que semble refuser l'actuelle administration américaine, comme le montrent le retrait de la signature au statut de la Cour pénale internationale, le refus de ratifier le protocole de Kyoto ou encore le refus persistant d'accepter un protocole de vérification à la Convention sur les armes biologiques de 1972.

Alors que la mondialisation rend illusoire la recherche de solutions nationales à des problèmes globaux, tels que la lutte contre le terrorisme, le choix de solutions unilatérales apparaît contre-productif. C'est avant tout par la coopération en matière de renseignement, en matière judiciaire et policière qu'il sera par exemple possible d'agir sur les réseaux terroristes, et non en préparant des actes de guerre contre des Etats dont aucun lien avec des organisations terroristes n'a pu être avéré.

c) La remise en cause du rôle de l'Alliance atlantique

Dans la mesure où les Etats-Unis sont, pour reprendre la formule d'Hubert Védrine, la seule « hyperpuissance », la mise en _uvre de leur nouvelle doctrine stratégique a une incidence sur l'ensemble des Etats de la planète, et notamment sur le continent européen. En effet, ce dernier ayant été le principal enjeu de la guerre froide, le dépassement définitif de celle-ci remet donc en cause l'architecture stratégique de l'Europe, et donc de sa principale organisation dans le domaine de la sécurité, l'Alliance atlantique.

En effet, au cours de l'année écoulée, et d'ici la fin de 2002, l'Alliance atlantique aura connu une évolution substantielle de son rôle. Tout d'abord, suite aux attentats du 11 septembre, les États membres de l'Alliance atlantique ont mis en _uvre pour la première fois la garantie prévue par l'article 5 du Traité pour considérer que cette « attaque contre un » était une « attaque contre tous ». Pourtant, cette proclamation de solidarité n'a eu aucune conséquence pratique, puisque la campagne militaire en Afghanistan a été menée par les Etats-Unis sans recours à l'OTAN, sans véritable coordination avec les Alliés européens, les Américains se contentant d'accepter au cas par cas des propositions de participation, pour des raisons souvent plus politiques que militaires.

Cela s'explique en grande partie par la vision du monde de la nouvelle administration américaine, qui trouve beaucoup plus confortable de mener des actions sans avoir à en discuter avec ses alliés, contrairement à ce qu'ils avaient dû faire pendant les opérations militaires au Kosovo en 1999. Ainsi, la politique étrangère et de défense des Etats-Unis s'exerce dorénavant en dehors du cadre préalable fixé par les alliances, ce qui va compliquer le positionnement traditionnel de certains pays européens d'une alliance permanente avec les Etats-Unis comme seule fondement de leur politique étrangère et de défense. Il est d'ailleurs probable que c'est pour répondre à ces inquiétudes grandissantes que le secrétaire américain à la défense, Donald Rumsfeld, a proposé, lors de la réunion des ministres de la défense de l'OTAN à Varsovie le 24 septembre dernier, la création d'une nouvelle « Force de réaction rapide » qui pourrait compter jusqu'à 20 000 soldats.

En outre, les inquiétudes sur le rôle opérationnel de l'OTAN sont amplifiées par les perspectives d'élargissement de l'Alliance et de rapprochement avec la Russie. Le sommet de Prague les 21 et 22 novembre prochains devrait confirmer ce mouvement en entérinant l'adhésion de sept nouveaux membres. Toute organisation, en étendant son périmètre d'intervention, a nécessairement vocation à perdre de la substance. Ce phénomène ne devrait pas être évité dans l'élargissement de l'OTAN, d'autant qu'il s'accompagne d'un rapprochement avec la Russie. Ainsi, les frontières de l'OTAN se confondent de plus en plus de celles de l'OSCE ; ses missions vont avoir tendance à devenir de plus en plus politiques, et de moins en moins militaires. A posteriori, cette tendance justifie la position traditionnelle de la France vis-à-vis de l'OTAN, mais elle complique la position des plus atlantistes de nos partenaires, et rend ainsi plus nécessaire que jamais le développement d'une véritable Europe de la défense.

B - La lutte contre le terrorisme international : une action nécessairement multiforme

Si la référence constante dans la rhétorique de l'administration américaine à la nécessité de mener une « guerre contre le terrorisme » peut se comprendre, compte tenue de l'ampleur des attentats du 11 septembre, elle comporte néanmoins l'inconvénient de sous-entendre que le terrorisme peut être vaincu par des moyens uniquement militaires. Nous avons montré dans un rapport récent que la lutte contre le terrorisme international était une action multiforme, qui devait comporter une intervention sur les causes de ce phénomène et mêler des aspects militaires, policiers, judiciaires, diplomatiques...

Certes, l'appareil de défense doit prendre toute sa place dans le dispositif de lutte contre le terrorisme : il doit ainsi contribuer à la défense du territoire national contre des attaques terroristes et participer si nécessaire au démantèlement de réseaux terroristes hors de nos frontières.

a) La contribution à la défense du territoire et des intérêts nationaux

Les armées doivent tout d'abord contribuer à la défense du territoire et des intérêts nationaux contre des agressions de type terroriste. Nous avons vu que le terrorisme constitue une menace asymétrique, qu'il ne s'agit pas d'un type de conflit classique interétatique dans lequel l'outil militaire est prépondérant. Pour autant, les armées doivent, au même titre que d'autres institutions, jouer tout leur rôle dans la lutte contre le terrorisme.

En effet, elles contribuent traditionnellement à des tâches de sécurité intérieure, bien évidemment par l'intermédiaire de la gendarmerie, mais aussi par la participation des militaires au Plan Vigipirate, entraînant ainsi une augmentation de leur charge de travail. C'est d'ailleurs aussi pour pouvoir faire face à la nécessité de contribuer à des tâches de sécurité intérieure dans le contexte d'une armée professionnalisée que la loi du 22 octobre 1999 a créé un corps de réserve opérationnelle, devant compter 100 000 personnes en 2015. Au 1er janvier 2002, les volontaires n'étaient que 24 788. C'est pourquoi le rapport déjà cité avait proposé d'accélérer la constitution des réserves opérationnelles, afin de seconder les forces actives dans la protection et la surveillance des lieux publics sensibles. L'objectif retenu dans le projet de loi de programmation militaire est d'atteindre 82 000 réservistes en 2008. Pour y parvenir, un dispositif doté de 85,83 millions d'Euros sur la période (10,27 millions d'Euros en 2003) a été retenu afin d'accroître l'attractivité de la réserve (création d'une prime d'incitation au volontariat, financement d'un dispositif de formation militaire initial).

Par ailleurs, la protection des intérêts français contre le terrorisme peut nécessiter l'utilisation de moyens strictement militaires. La mission d'information de la Commission de la Défense nationale et des forces armées avait ainsi mis en avant la nécessité de prévoir la modernisation des systèmes de missiles de moyenne portée destinés à protéger les sites les plus sensibles (bases militaires, usine de La Hague...). Le nouveau MICA (missile d'interception de combat aérien) remplacera d'ici 2008 toute la gamme des missiles air-air en service. De même, la protection des intérêts français en dehors du territoire national peut passer par des moyens militaires, notamment la protection de notre flotte de commerce par la marine nationale dans les eaux internationales.

b) Le développement des moyens de renseignement

La lutte préventive contre le terrorisme nécessite une connaissance parfaite du phénomène, des réseaux, de l'environnement culturel et humain des membres des organisations terroristes. La réussite de ces missions repose sur l'efficacité des services de renseignement, sur leur polyvalence, qui les conduit à ne pas privilégier systématiquement les sources de renseignement automatisé sur le renseignement humain. Il est certain que les services de renseignement chargés du territoire national (Renseignements généraux, Direction de la surveillance du territoire) sont plus particulièrement concernés par ce type de missions. Néanmoins, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui dépend du ministère de la défense, a un rôle fondamental en ce qui concerne la connaissance des phénomènes terroristes en dehors du territoire national. Or, les attentats du 11 septembre ont montré le caractère de plus en plus transnational du terrorisme, rendant décisive l'acquisition du renseignement extérieur, ainsi que le développement de la coopération internationale dans ce domaine. L'augmentation des crédits de la DGSE de presque 5 % dans le projet de loi de finances pour 2003 va donc dans le bon sens.

2) La participation au démantèlement des réseaux terroristes internationaux

L'opération Enduring freedom a été décidée, planifiée et presque entièrement conduite par les Etats-Unis, même si la « coalition contre le terrorisme » comprenait de nombreux pays, dont certains, comme la France, ont participé militairement aux opérations.

Contrairement à ce qui a pu être dit parfois, la contribution militaire française a été loin d'être négligeable. Le Président Bush lui- même a cité la France en premier dans son discours du 11 mars 2002 qui faisait le bilan de la lutte contre les réseaux terroristes. L'engagement de l'armée française, l'opération Héraclès, a été décidé dès le 3 octobre, il a pris plusieurs formes :

- une contribution maritime, par la mise à disposition des forces navales de l'Océan Indien

- une participation aux missions de reconnaissance aérienne grâce à deux mirages IV P et deux ravitailleurs basés aux Emirats arabes unis

- une participation aux missions terrestres : sécurisation par une compagnie renforcée d'un hôpital militaire et de l'aéroport pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire à Mazar-el-Charif ; entre le 2 décembre 2001 et le 31 janvier 2002. Ensuite, 520 hommes (opération Pamir) ont participé à la Force internationale d'assistance et de sécurité

- une participation aux missions aériennes offensives : l'arrivée sur zone du porte-avions Charles de Gaulle, le 18 décembre seulement pour cause de période d'entretien, a alors permis aux super-étendards qu'il transporte d'être les seuls avions de combat non-américains (200 heures de vol en 262 missions). Parallèlement, après de délicates négociations avec le Tadjikistan, 6 mirages 2000 D ont mené des opérations depuis ce pays à partir du 27 février.

Ainsi, la participation française a été utile, notamment du fait de sa variété. Néanmoins, la conduite des opérations a révélé un certain nombre de carences. En termes de maîtrise du renseignement, la domination des Etats-Unis a été totale et a été décisive dans le succès des opérations. Aujourd'hui une capacité de projection autonome dépend de la capacité à maîtriser l'information sur le terrain.

Les opérations en Afghanistan ont également révélé les carences de la France, et de l'Europe, en ce qui concerne les capacités de frappes dans la profondeur, de permanence du groupe aéronaval et de capacités de projection de forces. Dans ce dernier domaine, l'armée de l'air ne peut couvrir aujourd'hui que 40 % des besoins des armées et ses Transalls, dont les plus anciens seront retirés en 2006, sont vieillissants. Une accélération du programme A400 M est donc indispensable.

Les attentats du 11 septembre ont été la confirmation des transformations profondes du contexte stratégique décrites déjà dans le Livre blanc de 1994 et qui ont justifié le Modèle d'armée 2015. Ce modèle privilégie les missions de projection et d'action, indispensables dans un monde multipolaire traversé par de nombreuses crises régionales. Le terrorisme fait partie de ces facteurs de déstabilisation qui impliquent de disposer de capacités de projection en dehors du territoire national afin de pouvoir combattre de telles menaces.

La nature de telles opérations concernant la lutte contre le terrorisme vise à démanteler des réseaux terroristes basés dans des pays étrangers, voire à attaquer les installations militaires d'un Etat soutenant le terrorisme. Elles dépendent donc tout d'abord d'une bonne maîtrise du renseignement strictement militaire. On rappellera qu'en France la Direction du renseignement militaire (DRM) fut créée en 1992, à la suite de la guerre du Golfe, afin de palier les carences du dispositif de renseignement français en opération, notamment dans des zones où la France n'est pas traditionnellement présente. Dans ce domaine, il est clair que les Européens connaissent un retard certain par rapport aux Etats-Unis, notamment dans l'utilisation des satellites et des drones, qui ont joué un rôle majeur en Afghanistan. L'armée française va se doter de drones MCMM (multi-capteurs multi-missions) et MALE (moyenne altitude longue endurance), qui ne seront disponibles qu'à partir de 2008 et 2009. S'il est bien un domaine où la coopération européenne est une nécessité absolue, c'est bien celui du renseignement, et notamment spatial. La France n'arrivera pas seule à maîtriser ce domaine et l'Europe elle-même ne doit pas rester dépendante des Etats-Unis pour son renseignement si elle veut construire une défense digne de ce nom.

La capacité de projection est fonction de la mobilité de nos forces. L'Afghanistan l'a bien montré, en révélant encore une fois les carences en terme de transport. A cet égard, la réalisation du programme A 400 M est un impératif stratégique. La projection, dans le domaine aéronaval, passe également par des capacités permanentes, qui ne soient pas dépendantes des aléas de l'entretien des bâtiments : c'est le problème de notre porte-avions Charles de Gaulle, dont les périodes d'entretien ne permettent pas à la France de disposer de façon permanente d'un groupe aéronaval à la mer. Mais encore une fois, il faut rappeler que, si problème capacitaire il y a, il doit être traité dans le cadre de la construction de l'Europe de la défense. Il faut d'ailleurs noter que les « conférences d'engagement des capacités » n'ont pas estimé qu'il y avait de carence européenne en la matière.

Enfin, l'efficacité d'une frappe dans la profondeur est liée à l'existence de forces spéciales, capables notamment d'aller débusquer les repères et camps d'entraînement des terroristes.

II - L'EUROPE DE LA DÉFENSE : UNE NÉCESSITÉ
FACE AUX INCERTITUDES DU MONDE CONTEMPORAIN

A - Une lente mise en place

1) De la PESC à la PESD : rapide historique de l'Europe de la Défense

L'idée d'une Europe de la défense est très ancienne, mais elle avait été durablement mise de côté suite à l'échec de la Communauté européenne de défense en 1954. L'OTAN est alors devenu pour la majorité des Etats d'Europe de l'Ouest l'horizon indépassable de leur politique de défense. Sans remettre radicalement en cause ce sentiment, la chute du rideau de fer a relancé le débat sur cette question. Des initiatives, encore timides, ont alors été prises, telles la création de la brigade franco-allemande en 1991, ou la réactivation de l'UEO en 1992 (Union de l'Europe occidentale) avec l'engagement de remplir de façon autonome un certain nombre de missions, dites de Petersberg, dans le cadre de la gestion des crises (évacuation de ressortissants, missions humanitaires, missions de maintien de la paix, missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix).

Parallèlement, le traité de Maastricht, signé en 1992, a doté l'UE d'une politique de sécurité commune (PESC) et confié la mise en _uvre des aspects militaires de celle-ci à l'UEO, consacrée comme organe de défense de l'Union et moyen de renforcement du pilier européen de l'OTAN. En effet, la mise en place d'une contribution européenne en matière de défense n'était alors nullement considérée comme un vecteur d'autonomie, mais comme un moyen de consolider le pilier européen de l'OTAN, ce qui sera confirmé par le sommet de l'Alliance de Bruxelles en 1994 et la création du concept de Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), forces « séparables mais non séparées » des forces de l'OTAN permettant aux européens d'utiliser ces forces pour des opérations autres que celles de défense collective, mais sous le contrôle politique et stratégique de l'Alliance, et donc indirectement des Etats-Unis.

Le traité d'Amsterdam en 1997 a approfondi cette relation et ajouté expressément les opérations de gestion de crise (missions de Petersberg) aux responsabilités de l'Union.

Cependant, en dépit des intentions affichées, qui ont pu expliquer le retour de la France au sein du conseil des ministres et du comité militaire de l'OTAN, la constitution d'un pilier européen de l'OTAN est restée davantage au stade du slogan que de la réalité. Le refus américain de laisser à un européen la direction du commandement Sud de l'OTAN a été une illustration claire de ce constat.

A partir de là, la construction de l'Europe de la défense a connu un tournant majeur dans ses finalités puisque, à partir du somment franco-britannique de Saint-Malo (4 décembre 1998), se met progressivement en place la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Le texte de la déclaration de Saint-Malo décrit bien les enjeux de la PESD en estimant que « l'Union européenne a besoin d'une capacité d'action autonome, reposant sur des forces militaires crédibles et les moyens de décider leur emploi. Pour qu'elle puisse agir dans des circonstances où l'ensemble de l'OTAN ne serait pas impliquée, l'Union doit disposer de structures appropriées, d'une capacité d'analyse des situations, de source de renseignement et des moyens de planification stratégique, sans duplication inutile ».

Lors du Conseil européen de Cologne (juin 1999), les Quinze endossent la démarche franco-britannique en affirmant que l'Union doit jouer « tout son rôle sur la scène internationale » et décident de mettre en place les institutions nécessaires à l'évaluation des situations de crise - le Comité politique et de sécurité (COPS), le Comité militaire de l'UE (CMUE) et l'état major militaire de l'UE (EMUE), qui ont été rendus permanents au Conseil européen de Nice en décembre 2000. A Helsinki, en décembre 1999, les Européens s'engagent sur un objectif de capacités militaires qui consiste à pouvoir déployer d'ici 2003 jusqu'à 60 000 soldats, dans un délai de 60 jours et pendant un an.

2) Les évolutions récentes

Force est de constater que l'Europe de la défense a cessé de progresser après un départ prometteur. En effet, ces progrès avaient été rendus possibles par la nouvelle approche britannique sur la question. Or, le Gouvernement de Tony Blair, par ailleurs aligné sur les Etats-Unis sur la question irakienne, est dorénavant beaucoup moins allant. Se fondant sur ce constat, le Premier ministre belge, M. Guy Verhofstadt, a ainsi pu affirmer dans une lettre adressée à MM. Jacques Chirac et Tony Blair, que l'Europe de la défense « piétine » et qu'il était nécessaire de « renouer avec l'esprit de Saint-Malo ».

Certes, lors du Conseil européen de Laeken, en décembre 2001, la PESD a été déclarée opérationnelle, c'est-à-dire « capable de conduire des opérations de gestion de crise ». Pour autant, cette décision faisait suite à une conférence d'amélioration des capacités, tenue en novembre 2001, qui avait constaté un certain nombre de lacunes et mis en _uvre un plan pour essayer d'y remédier d'ici 2003.

En conséquence, l'Union européenne devra être en mesure de mener à bien à partir de cette date certaines des « missions de Petersberg ». D'ores et déjà, sous présidence espagnole, l'UE a décidé de mettre en place au 1er janvier prochain une mission de police en Bosnie-Herzégovine (MPUE), en relève de l'International Police Task Force de la mission actuelle des Nations unies. Mais d'un point de vue strictement militaire, le caractère effectivement opérationnel de la PESD sera vérifié si l'UE se montre en mesure d'assurer la relève de l'OTAN en Macédoine.

B - Passer à la vitesse supérieure

1) Des progrès nécessaires dans de nombreux domaines

Les progrès réalisés dans le domaine institutionnel ne pourront avoir de signification que s'ils se concrétisent en des réalisations communes, notamment dans les domaines où des carences ont été constatées.

Les Européens se sont tout d'abord lancé dans une démarche capacitaire, afin de répondre aux missions de Petersberg. L'objectif est de réunir dans un délai de 60 jours de 50 à 60 000 hommes, avec des moyens aériens et navals adéquats et de maintenir ce niveau de forces sur un théâtre d'opérations pendant un an. Les contributions des différents Etats (la France contribuera pour un cinquième environ) ont été annoncées lors de deux conférences « d'engagement des capacités » (novembre 2000) et « d'amélioration des capacités » (novembre 2001). Cette dernière a permis de recenser les lacunes et de lancer un plan d'action (ECAP : European capacity action plan) afin de compléter ou d'acquérir la quarantaine de capacités déficitaires identifiées.

Officiellement, il est considéré que l'objectif de 2003 fixé à Helsinki sera atteint. Pour autant, les capacités stratégiques associées (commandement et contrôle, renseignement, transport stratégique) à l'objectif proprement dit (déploiement sur un an de 50 à 60 000 militaires) sont indispensables à l'autonomie de l'Union européenne pour la conduite de gestion de crises. Or, il est impossible de savoir quand l'Union européenne atteindra cette autonomie, sans laquelle le concept de PESD perd une grande partie de sa pertinence.

La déclinaison de cet objectif global en capacités militaires, existantes et à créer, constitue l'un des chantiers importants de la PESD, et les réflexions actuelles en matière de politique européenne d'armement doivent s'inscrire dans cette démarche capacitaire et y contribuer. En effet, dans un cadre budgétaire contraint, il est indispensable d'utiliser au mieux nos ressources, d'éviter les doublons et de réaliser des synergies : cela passe par une action européenne plus audacieuse dans le domaine de l'armement.

Certes, des réalisations ont eu lieu, notamment dans le domaine institutionnel (création de l'OCCAR), et dans le domaine industriel, où le Gouvernement de Lionel Jospin a su favoriser la création de deux grands groupes européens : Thalès (électronique de défense) et EADS (aéronautique). Pour autant, l'armement reste encore une prérogative nationale et les progrès de la construction européenne dans ce domaine sont lents. Il suffit pour s'en convaincre de constater les vicissitudes du projet d'avion de transport A400 M, projet pourtant indispensable afin d'assurer des capacités de projection de nos armées, mais dont les Italiens se sont retirés et sur lequel la volonté allemande semble fluctuante. Dans le domaine de l'armement, les initiatives existent donc, mais elles sont trop dispersées et manquent d'une cohérence que seule pourrait leur donner une Agence européenne de l'armement (AEA), projet ancien mais toujours reporté. Le 16 mai 2002, les ministres de la défense du Groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO) ont entériné le processus évolutif prévoyant la création de l'AEA, dès que les conditions requises seront réunies et qu'un consensus politique aura été obtenu. Il ne reste qu'à espérer que ce processus ne sera pas trop long. Mais, encore une fois, il ne faut pas oublier que l'AEA ne serait qu'un outil au service d'une politique européenne de l'armement, qu'il convient donc au préalable de définir.

Dans le domaine du renseignement, la coopération européenne s'organise au travers de l'état-major de l'Union européenne (EMUE) et de sa division renseignement. Mais, ne disposant d'aucun capteur, cette division dépend entièrement des informations fournies par les Etats membres. Il s'agit donc plus d'une simple coordination du renseignement que d'une source européenne autonome. Il reste donc à mettre sur pied une véritable chaîne européenne du renseignement, notamment en opération, qui ne soit pas une simple juxtaposition des chaînes nationales, voire leur duplication, ainsi que le pratique l'OTAN.

Pour l'instant, les progrès de l'Europe de la défense ont essentiellement consisté à mettre en place une simple contribution européenne à la politique de défense de ses Etats membres. Pour franchir un cap, il faudrait au contraire définir une authentique politique européenne de défense. L'évolution serait alors qualitative, et non simplement quantitative.

En effet, dire que l'augmentation des crédits de défense de la France prévue par ce projet de loi de finances et par le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008, constitue en soi une contribution à la construction de la défense de l'Europe est très excessif. Un tel discours s'explique par l'approche essentiellement quantitative du projet de loi de programmation militaire, qui prend trop peu en compte l'indispensable approche européenne.

C'est pourquoi il faut innover et faire de la construction de l'Europe de la défense un véritable sujet de débat politique, et non plus seulement technique. Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe sont une occasion unique à saisir. Avant de définir les moyens dont l'Europe a besoin, il est indispensable de s'interroger sur les finalités d'une Europe de la défense : par exemple, alors que l'Europe va s'élargir jusqu'aux portes de la Russie, il est décisif de savoir s'il existe une garantie de sécurité entre les Etats de l'Union européenne. Peut-on en effet imaginer que des pays qui partagent une législation, une monnaie, un espace économique communs ne seraient pas tenus de combattre pour assurer l'intégrité territoriale d'un Etat membre victime d'une agression ? Or actuellement, en dehors du concept de Petersberg, l'Europe n'a pas de doctrine d'emploi de la force militaire.

Ce débat politique est vital pour l'avenir de l'Europe de la défense. Si celle-ci se limite à des négociations techniques sur les lacunes capacitaires dans tel ou tel domaine, sujet certes important et qu'il ne faut pas négliger, elle ne progressera pas. Que ce soit dans le domaine douanier, économique ou monétaire, l'Europe n'a pu se construire que parce qu'un objectif final ambitieux, dont l'échéance est parfois fixée, était connu préalablement. Pour s'exprimer, l'ambition ne doit pas attendre des progrès préalables mais, au contraire, c'est son expression qui contraindra à faire des progrès concrets.

La première priorité doit donc être de définir les objectifs de l'Europe en matière de défense. La seconde en est la conséquence logique : c'est d'assurer la traduction des bonnes intentions affichées en réalisations concrètes. C'est pourquoi je demande depuis plusieurs années que les Européens fondent leur politique de défense sur un Livre blanc européen, qui préciserait l'analyse stratégique de l'Union européenne, les menaces auxquelles elle peut être confrontée et les réponses qu'elle envisage.

Ensuite, sur la base de ces analyses, il faudra définir en commun les moyens nécessaires en évitant les doublons inutiles et en utilisant les synergies. Aucun pays européen n'a aujourd'hui les moyens de développer seul tous les systèmes d'armes et de financer la recherche dans tous les domaines. Il nous faudra donc programmer les équipements qui seront utilisés en commun, les équipements qui pourront être mis à disposition en cas d'opérations communes et les équipements à réaliser en commun.

III - LES CRÉDITS DE LA DÉFENSE POUR 2003:
UN BUDGET ANNUEL S'INSCRIVANT DANS
UN CADRE PLURIANNUEL INCERTAIN

A - Le premier budget d'une programmation 2003-2008 pas encore définie

1) Loi de programmation militaire et lois de finances : un ordre logique à respecter

La programmation de l'effort de la Nation est un effort à long terme, compte tenu des délais nécessaires au lancement des grands programmes d'armement - on rappellera pour mémoire que la décision de construire le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle fut prise en 1985 -, à la gestion des personnels et de leur carrière, à l'évolution du paysage géostratégique. Les décisions en matière militaire doivent donc se prendre, non dans la précipitation, mais plutôt dans le cadre d'une réflexion d'ensemble, formalisée dans des documents tels que le Livre blanc sur la défense de 1994 ou le modèle d'armée 2015 (qui date de 1996).

S'il est utile que les priorités françaises en matière de défense soient connues sur le long terme, il est également indispensable de savoir quelles en seront les conséquences concrètes à moyen terme. C'est là l'objet des lois de programmation militaire, qui doivent permettre aux acteurs économiques de la défense (administration centrale, états-majors, industriels...) de disposer d'une lisibilité de l'évolution du système de défense.

Les lois de programmation militaire sont donc un instrument indispensable de la crédibilité de notre système de défense, à condition qu'elles ne deviennent pas un simple outil d'affichage politique d'objectifs d'autant plus ambitieux qu'ils sont non contraignants.

La difficulté principale d'une loi de programmation militaire tient à l'articulation entre celle-ci et les lois de finance annuelles qui, seules, autorisent en fin de compte les dépenses. Or le contexte du projet de loi de finances pour 2003 augure mal de la mise en _uvre de la programmation sur la période 2003-2008.

En effet, la situation dans laquelle nous nous trouvons est pour le moins paradoxale : il nous est demandé de nous prononcer sur les crédits pour 2003, alors même que la programmation pour les années 2003 à 2008 n'est pas encore entrée en vigueur ni même votée. L'argument selon lequel le budget 2003 s'inscrit pleinement dans le cadre du projet de loi de programmation militaire adopté par le Conseil des ministres le 11 septembre 2002 n'est pas acceptable, car ce serait faire peu de cas du débat démocratique qui aura lieu à l'occasion de son examen par le Parlement. Quel sens, en effet, aura ce débat, alors que nous nous serons déjà prononcés sur les crédits attribués lors de la première annuité de la période ?

Il est vrai que, par le passé, l'exercice de programmation a connu bien des avatars, avec des budgets votés en dehors du cadre d'une loi de programmation, et d'autres ne respectant pas les objectifs de dépenses fixés quelques années auparavant. Mais, justement, alors que ces lois de programmation manquent parfois de crédibilité, le Gouvernement aurait pu choisir un calendrier moins critiquable.

2) Un budget qui s'inscrit d'ores et déjà dans une perspective pluriannuelle

Bien que la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 n'ait pas encore été votée par le Parlement, les crédits de la défense pour 2003 s'inscrivent dans une perspective pluriannuelle. Il nous faut donc d'ores et déjà aborder la question du projet de loi de programmation militaire, tel qu'il a été présenté en conseil des ministres le 11 septembre dernier.

Ce projet de loi de programmation est tout entier sous-tendu par une logique quantitative. Il prévoit que les crédits d'équipement s'élèveront à 88,9 milliards d'euros sur la période 2003-2008, soit une annuité moyenne de 14,8 milliards d'euros, supérieure de près d'un milliard d'euros par rapport à la loi de programmation 1997-2002. A partir de là, deux questions se posent.

Tout d'abord, cette ambition affichée dans un contexte budgétaire contraint n'est-elle pas illusoire ? Comment s'assurer de la crédibilité de ce projet de programmation ?

Ensuite, n'y a-t-il pas une contradiction entre le discours affiché sur la nécessité de penser notre défense dans un cadre européen, et l'exercice qui consiste à programmer de façon isolée les priorités de nos armées ? Si l'Europe de la défense était vraiment une priorité, il serait inconcevable de définir le format de la défense française à long terme sans concertation préalable avec nos partenaires européens sur les priorités que nous donnons, en commun, à nos systèmes de défense. Les menaces auxquelles la France est confrontée, nous l'avons montré, concernent tout autant les autres pays de l'Union européenne, et les moyens d'y répondre ne trouveront une efficacité que s'ils sont imaginés et conçus en coopération. D'où le v_u que nous avons formulé de mettre en _uvre rapidement un Livre blanc européen sur la défense, qui définirait les équipements communs, ceux qui peuvent être mis à disposition, et ceux qui, tout en restant nationaux, seront conçus en commun... Ce n'est qu'après avoir mené une telle réflexion qu'il devrait être envisageable de fixer les programmes d'armement à long terme. Or nous faisons la démarche inverse, alors qu'il aurait été possible de présenter une programmation transitoire de quelques années, en attendant la définition des besoins au niveau européen.

La question du second porte-avions est assez emblématique de l'approche du projet de loi de programmation militaire : une solution européenne, la coopération avec le Royaume-Uni, n'est considérée que comme l'une des options alors que la contribution éventuelle de cet équipement aux besoins de l'Europe de la défense n'a pas fait l'objet d'une analyse en profondeur.

Ainsi, en dépit de l'effet d'affichage que permet la promesse d'une augmentation des dépenses d'équipement, ce projet de loi de programmation manque d'une véritable ambition pour notre politique de défense.

B - Les grandes orientations du projet de loi de finances pour 2003

1) Une augmentation des crédits de 7,5 %

La loi de finances pour 2003 prévoit l'inscription de 31,07 milliards d'Euros de crédits, en crédits de paiement, hors pensions, contre 28,91 milliards en loi de finances initiale pour 2002, soit une augmentation de 7,5 %.

Les crédits d'équipement connaissent en 2003, première année d'application de la future loi de programmation militaire, l'augmentation la plus importante (+ 11,2 % à 13,64 milliards d'euros). Ils concernent notamment, pour 2,6 milliards d'euros, l'entretien des matériels, dont la dégradation de la disponibilité pose de sérieux problèmes. Sous la précédente législature, la Commission de la défense nationale et des forces armées avait eu l'occasion à plusieurs reprises de faire part de son inquiétude sur ce sujet, par exemple en ce qui concerne l'entretien de la flotte. L'augmentation des crédits inscrits au titre V vise également à renforcer les capacités opérationnelles de nos armées, dans la ligne de l'évolution de l'appareil de défense de la France depuis une dizaine d'années, ce qui permettra notamment d'améliorer les capacités de projection en dehors du territoire national.

Les crédits de fonctionnement et de rémunération représentent 56 % des dépenses envisagées pour 2003, en hausse de 4,7 %. Le maintien d'un niveau élevé de crédits au titre III semble nécessaire afin de consolider la professionnalisation des armées et améliorer les conditions de vie et de travail du personnel. En effet, le choix fait en 1996 d'une armée professionnelle ne pouvait qu'être budgétairement coûteux, contrairement à ce que certains ont pu alors penser. Ce choix exige une capacité d'attraction de l'armée et des conditions de travail, de carrière et de reclassement susceptibles de fidéliser les nouvelles recrues.

2) Le problème persistant du financement des Opérations extérieures (OPEX)

La participation de la France à des opérations extérieures de maintien ou de rétablissement de la paix, généralement dans le cadre d'un mandat de l'ONU, est un aspect important de notre action diplomatique. Il serait donc normal qu'à l'occasion de l'examen pour avis des crédits de la défense, la Commission des affaires étrangères se penche plus particulièrement sur le financement de ces opérations. Or, cela nous est impossible puisque les surcoûts liés aux OPEX ne sont pas provisionnés dans la loi de finances initiale mais régularisés par une loi de finances rectificative.

Incontestablement, ces dépenses sont par nature imprévisibles, même si d'année en année, des opérations perdurent, ou en tout cas se renouvellent. Cependant, il existe dans le budget de l'Etat de nombreuses autres dépenses imprévisibles dont le financement est néanmoins prévu (crédits pour dépenses accidentelles, éventuelles...). Depuis plusieurs années, les parlementaires demandent qu'il soit mis fin à cette anomalie qui déroge au principe fondamental de l'autorisation parlementaire préalable de la dépense. Devant la Commission de la défense, le 9 juillet 2002, la Ministre de la défense, Mme Michèle Alliot-Marie, a estimé qu'« en ce qui concerne les opérations extérieures », elle souhaitait « provisionner une partie de leur coût dès le vote de la loi de finances initiale, le cas échéant en remplacement de crédits qui n'ont pas leur place au sein du budget de la défense ». Ces dépenses, qui se sont élevées à 380 millions d'euros dans la loi de finances rectificative pour 2002, ne figurent malheureusement toujours pas dans la loi de finances pour 2003. Ceci est d'autant plus regrettable que l'augmentation des dépenses de fonctionnement en cours d'année, même présentée dans une loi de finances rectificative, se traduit généralement par une réduction regrettable des dépenses d'équipement.

CONCLUSION

Malgré quelques aspects positifs que j'ai soulignés, je ne voterai pas ce budget, essentiellement parce qu'il ne répond pas à l'enjeu essentiel pour notre sécurité qu'est la construction de la défense européenne et parce qu'il ne tient pas assez compte des évolutions actuelles du contexte stratégique.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2002, la Commission a examiné pour avis les crédits de la Défense pour 2003.

M. Paul Quilès, Rapporteur pour avis, a tout d'abord indiqué que la loi de finances initiale pour 2003 prévoyait l'inscription de 31,07 milliards d'euros de crédits pour le ministère de la Défense, contre 28,91 milliards en loi de finances initiale pour 2002, soit une augmentation de 7,5 %.

Cette hausse concerne avant tout les crédits d'équipement (+ 11,2 % à 13,64 milliards d'euros) afin notamment d'améliorer l'entretien des matériels et de relancer la politique de l'armement, comme annoncé dans le projet de loi de programmation militaire 2003/2008. Les crédits de fonctionnement et de rémunération sont en hausse de 4,7 %. Le maintien d'un niveau élevé semble nécessaire afin de consolider la professionnalisation des armées et d'améliorer les conditions de vie et de travail du personnel. Une armée professionnelle est en effet coûteuse, contrairement à ce que certains ont pu penser en 1996.

M. Paul Quilès a estimé que, d'un strict point de vue quantitatif, ce budget était donc conséquent, mais qu'il ne levait pas toutes les incertitudes, notamment le lien entre loi de programmation et lois de finances annuelles. Il a considéré qu'il était anormal, peu respectueux des droits du Parlement et inquiétant pour la crédibilité de la programmation militaire de se prononcer sur les crédits pour 2003, alors même que la loi de programmation pour les années 2003 à 2008 n'est pas encore entrée en vigueur ni même votée.

Par ailleurs, ce budget ne s'inscrit pas dans une réflexion stratégique à long terme car il constitue un prolongement des analyses du Livre blanc de 1994 et du Modèle Armée 2015 défini en 1996, alors que le contexte géostratégique a profondément évolué.

Tout d'abord, même si la réponse au terrorisme ne saurait être uniquement militaire, les armées doivent contribuer à la lutte contre ce fléau en apportant une contribution à la sécurité intérieure, par leurs activités de renseignement ou en démantelant des réseaux terroristes en dehors du territoire national, ce qui exige une amélioration de nos capacités de projection, ce qui reste encore essentiellement du domaine du v_u pieux.

M. Paul Quilès a ensuite décrit les grands axes de l'évolution de la pensée stratégique américaine qui sont mal pris en compte dans les réflexions françaises actuelles sur la défense. Les fondements de cette nouvelle doctrine sont l'accent mis sur la prévention par rapport à la dissuasion, qui passe par le développement de systèmes antimissile et par la justification de guerres préventives. En matière militaire, cette stratégie repose sur une approche capacitaire : la planification ne doit plus répondre à un scénario précis, mais permettre de se préparer à faire face à toutes les hypothèses. Dans cette optique, il n'y a pas de menace préalablement identifiée et, en conséquence, les alliances perdent leur raison d'être, dès lors que l'ennemi n'est plus désigné par son identité ou son projet, ce qui revient à dire que les Etats-Unis définissent leurs alliés en fonction des circonstances.

M. Paul Quilès a ajouté que cette doctrine avait commencé à se concrétiser, comme le prouve par exemple la décision de mettre définitivement en _uvre le programme de défense antimissile, le Missile Defense, en se retirant du traité ABM et en concluant un accord de désarmement nucléaire avec la Russie. En politique étrangère, les Etats-Unis deviennent de plus en plus unilatéralistes, que se soit dans leur politique vis-à-vis de l'Irak, au Proche-Orient ou s'agissant de la Cour pénale internationale, ou encore du refus de ratifier le protocole de Kyoto.

Cette nouvelle doctrine américaine se traduit également par une remise en cause de fait du rôle de l'Alliance atlantique. A la suite des attentats du 11 septembre, les Etats membres de l'Alliance atlantique ont mis en _uvre pour la première fois la garantie prévue par l'article 5 du Traité. Pourtant, cette proclamation de solidarité n'a eu aucune conséquence pratique pendant la campagne militaire en Afghanistan. En outre, les inquiétudes sur le rôle opérationnel de l'OTAN sont amplifiées par les perspectives d'élargissement de l'Alliance et de rapprochement avec la Russie. Le sommet de Prague les 21 et 22 novembre prochains devrait confirmer ce mouvement en entérinant l'adhésion de sept nouveaux membres. Les frontières de l'OTAN vont se confondre de plus en plus avec celles de l'OSCE et ses missions auront tendance à devenir de plus en plus politiques et de moins en moins militaires.

M. Paul Quilès a estimé que les évolutions du contexte stratégique rendaient illusoire l'objectif d'une autosuffisance militaire. Pourtant, ce budget ne donne pas de véritable signe d'une volonté de construire une authentique Europe de la défense, qui sera seule à même de répondre aux nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés.

En effet, l'Europe de la défense a cessé de progresser, après un départ prometteur dans la lancée du sommet franco-britannique de Saint-Malo : la PESD (politique européenne de sécurité et de défense) a alors vu le jour suite aux décisions prises aux conseils européens de Cologne ou d'Helsinki. L'évolution indispensable devra être qualitative, et non simplement quantitative. C'est pourquoi il faut innover et faire de cette construction un véritable sujet de débat politique, et non plus seulement technique. Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe sont une occasion à saisir. Avant de définir les moyens dont l'Europe a besoin, il est indispensable de s'interroger sur les finalités d'une Europe de la défense : par exemple, alors que l'Europe va s'élargir jusqu'aux portes de la Russie, il est décisif de savoir s'il existe une garantie de sécurité entre les Etats de l'Union européenne.

M. Paul Quilès a indiqué que la première priorité devrait être de définir les objectifs de l'Europe en matière de défense, et la seconde en toute logique, serait d'assurer la traduction des bonnes intentions affichées en réalisations concrètes. Il a rappelé que, depuis plusieurs années, il demandait que les Européens fondent leur politique de défense sur un Livre blanc européen, qui préciserait l'analyse stratégique de l'Union européenne, les menaces auxquelles elle peut être confrontée et les réponses qu'elle envisage. Ensuite, sur la base de ces analyses, il faudra définir en commun les moyens nécessaires en évitant les doublons inutiles et en utilisant les synergies.

M. Paul Quilès a conclu en précisant que, en dépit de quelques aspects positifs, il ne voterait pas ce budget, essentiellement parce qu'il ne répond pas à l'enjeu essentiel pour notre sécurité qu'est la construction de la défense européenne et parce qu'il ne tient pas assez compte des évolutions actuelles du contexte stratégique.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a considéré que l'examen des crédits du budget de la défense constituait un exercice complexe dans la mesure où il est symbolique en matière de politique étrangère et de défense de rechercher le consensus le plus large possible en France afin de réunir les forces politiques autour de ces deux enjeux majeurs. C'est la raison pour laquelle il s'est dit choqué par les conclusions du Rapporteur qui, traditionnellement, doit faire la synthèse de la position de la Commission des Affaires étrangères. En effet, l'avis de la Commission des Affaires étrangères est très important car le système de défense de la France constitue l'outil de sa politique étrangère.

Par ailleurs, il a estimé que le Rapporteur avait tort de considérer que l'analyse et le contenu du Livre blanc sur la défense de 1994 étaient dépassés. Il a fallu attendre 1994 pour tirer les conclusions des conséquences stratégiques et opérationnelles du système communiste et d'un nouveau système de défense fondé sur le double objectif de la sécurité et de la puissance qui est aujourd'hui celui de notre politique extérieure. A l'époque il en est résulté la nécessité de tenir davantage compte d'une logique de projection de nos forces pour résoudre des conflits régionaux soit menaçant directement la sécurité française ou européenne soit pour intervenir simplement. On ne peut cependant pas dire que le préalable de la réflexion stratégique n'a pas été opéré et que les problèmes liés au terrorisme, aux capacités et à la projection extérieure n'étaient pas envisagés.

S'agissant de l'articulation entre loi de programmation militaire et examen budgétaire, M. Renaud Donnedieu de Vabres a considéré que présenter une loi de programmation militaire ambitieuse témoignait du courage politique du Gouvernement qui reconnaît un certain nombre de priorités. Se pose ensuite le problème de l'exécution annuelle. Il est évident que le calendrier budgétaire conduit le Parlement à délibérer du budget de la défense avant tout débat sur la loi de programmation militaire. Mais l'important est qu'il n'y ait pas d'incohérence entre ce budget et la loi de programmation militaire, ce qui est le cas aujourd'hui.

Dans le prolongement de ce débat, M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé que si une novation institutionnelle devait être proposée, elle pourrait consister à demander que toutes les fonctions régaliennes de l'Etat fassent l'objet d'une loi de programmation et d'une démarche pluriannuelle, tout en interdisant au Gouvernement de remettre en cause, par voie réglementaire sans consulter le Parlement, l'exécution pluriannuelle d'une loi de programmation.

A propos de la construction de l'Europe de la défense, il a souligné combien il était important que la France soit un partenaire solide. Il a également partagé l'idée d'un livre blanc européen sur la défense. Cependant, tout Européen convaincu devrait se réjouir de la position française qui vise à redonner une capacité pour agir efficacement dans le cadre européen. Il n'en demeure pas moins que la vraie question qu'il aurait fallu poser au Gouvernement au moment des événements de Bosnie, du Kosovo et d'autres opérations extérieures, était de savoir pendant combien de semaines, avec les matériels, les hommes et les crédits prévus, la France est capable de projeter. La réponse aurait sans doute été mauvaise pour la fiabilité du système français de défense.

En conclusion, M. Renaud Donnedieu de Vabres a rappelé qu'un échange et un partage des responsabilités entre majorité et opposition étaient une belle chose pour la politique extérieure de la France et vis-à-vis des ses armées.

M. Jacques Myard a tout d'abord souligné combien il était dur de critiquer un bon budget quand on est dans l'opposition. Puis il a estimé qu'il était urgent que la France reprenne son effort de défense et s'est félicité que la décision ait été prise de redonner à notre pays une certaine crédibilité en termes militaires. Tout le monde se souvient en effet des sarcasmes qui ont émané ces dix dernières années de certains milieux, notamment l'OTAN, sur le niveau de nos forces.

En matière de défense européenne, il a considéré que l'Europe de la défense existait. Elle s'appelle l'OTAN. Néanmoins, plus la France affichera une crédibilité militaire, plus elle fera prendre conscience à ses partenaires qu'il s'agit là d'une affaire européenne et plus elle les entraînera à faire eux aussi un effort dans ce domaine. Mais il est clair que cet effort ne peut se faire que dans un cadre intergouvernemental et non pas communautaire.

Il n'en demeure pas moins qu'il faut maintenant évaluer les menaces et cela commande que pour infléchir la stratégie européenne la France puisse compter dans le débat qui s'ouvre.

M. François Loncle a dit approuver les conclusions du Rapporteur, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une divergence mineure sur quelques milliards ou quelques choix d'armement qui sont contestés, mais de l'orientation politique de la défense et de la sécurité que la France veut résolument placer dans le cadre européen. En la matière, la priorité absolue demeure le cadre européen dans lequel doit désormais s'inscrire la politique de sécurité et de défense de notre continent.

M. Paul Quilès a répondu aux intervenants.

Sur la forme, il a rappelé que l'opposition, quelle qu'elle soit, n'avait pas toujours voté le budget de la défense. Ce qui est important, c'est qu'il y ait consensus sur les objectifs de la politique de défense entre la majorité et l'opposition, mais il est normal qu'il existe des divergences sur les moyens de mise en _uvre de ces objectifs.

Sur le fond, le Livre blanc de 1994 évoquait le terrorisme, mais pas le terrorisme international, tel qu'il s'est révélé lors des attentats du 11 septembre 2001, qui ont changé la donne comme on peut le constater au travers des évolutions doctrinales en cours aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

En ce qui concerne l'OTAN, il n'est pas sérieux de dire qu'elle constitue une organisation de défense européenne, car chacun sait que c'est un outil au service des Etats-Unis. De plus, l'OTAN ne fonctionne plus, comme l'a montré l'absence de conséquences à la seule mise en _uvre de l'article 5 suite aux attentats du 11 septembre 2001. Aujourd'hui, c'est la question de la nature et de la forme des alliances qu'il faut poser, il s'agit d'un vrai sujet.

L'Europe de la défense est un objectif largement approuvé, mais il est temps de le mettre en _uvre concrètement. Les choix budgétaires opérés isolément par la France, sans concertation avec nos partenaires, ne le permettent pas : par exemple, le projet de loi de programmation militaire prévoit que la France disposera en 2015, échéance lointaine, d'un second porte-avions, sans que jamais ne soit ouvert un débat sur l'utilité de cet équipement dans un cadre européen.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que le rapport de M. Paul Quilès contenait nombre d'informations et de jugements qui peuvent être largement partagés, mais s'est dit perplexe devant quelques points.

Il s'est tout d'abord demandé comment l'on pouvait faire grief au Gouvernement de soumettre un projet de budget qui tient compte des orientations du projet de loi de programmation militaire qui sera discuté dans quelques semaines.

De même il s'est étonné que l'on puisse à la fois reprocher à ce budget d'appliquer le Livre blanc sur la défense de 1994, en disant qu'il est dépassé, et la loi de programmation militaire 2003-2008 qui n'a pas encore été débattue.

Enfin, sur l'Europe, il a considéré que le Rapporteur avait raison de dire qu'il faudrait un livre blanc européen sur la défense, mais encore faudrait-il commencer par décider si on veut faire cette Europe de la défense.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a rappelé qu'il y avait, d'une part, un calendrier politique et, d'autre part, un calendrier budgétaire. Aujourd'hui c'est le vote du budget qui est en cours, la loi de programmation militaire est connue mais elle n'est pas votée et l'Europe de la défense demeure une inconnue. Il faut donc, dans l'état actuel des choses, doter la France des moyens militaires nécessaires et, à cet égard, le projet de budget pour 2003 correspond aux intérêts de la France.

M. Paul Quilès a précisé qu'il ne reprochait pas à ce budget de s'inspirer du projet de loi de programmation militaire mais que celui-ci aurait dû être adopté auparavant, ce qui était parfaitement possible. Pour être en adéquation avec un futur Livre blanc européen, cette loi de programmation aurait pu être transitoire, ce qui aurait donné du poids et de la crédibilité à une demande française visant à la rédaction d'un tel document. A l'inverse, le vote d'une loi de programmation sur cinq ans indique que la France s'engage seule sur cette durée. Or, l'Europe a besoin pour avancer d'un minimum de volontarisme politique.

M. Pierre Lequiller a jugé que la volonté politique de faire avancer l'Europe de la défense était affirmée très nettement par la hausse des crédits militaires. Cet effort budgétaire prouve bien que la France veut la construction d'une Europe de la défense et, à l'intérieur de la Convention pour l'avenir de l'Europe, cette hausse est d'ailleurs considérée comme importante pour préparer la réflexion sur ce thème.

Contrairement à l'avis du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2003.

N° 0259 - 07 - Avis de M. Paul Quilès sur le projet de loi de finances pour 2003 - Défense


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© Assemblée nationale

« Une menace asymétrique est exercée par un acteur étatique ou non, disposant d'un potentiel militaire inférieur et qui cherche à contourner nos défenses et à exploiter nos vulnérabilités par tous les moyens possibles, y compris non militaires » - Définition figurant dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire 2003-2008.

Voir le rapport d'information sur les projets américains de défense antimissile que j'ai réalisé en mars 2001 au nom de la Commission de la défense nationale et des forces armées (n°2961, XIème législature)

Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie

Rapport n°3460 (XIème législature) de la Commission de la Défense, Combattre le terrorisme international, par MM. Paul Quilès, René Galy-Dejean et Bernard Grasset

L'organisation conjointe de coopération en matière d'armement a été créée le 12 novembre 1996 et dispose de la personnalité juridique depuis 2001. Elle réunit la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie. Les Pays-Bas, l'Espagne et la Belgique envisagent de la rejoindre.

Rapport d'information n  3302 (XIème législature).de MM. Charles Cova et Jean-Noël Kerdraon, au nom de la Commission de la défense, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'entretien de la flotte (3 octobre 2001).

Voir rapport d'information n°2237 (XIème législature) de M. François Lamy, au nom de la Commission de la Défense, sur le contrôle parlementaire des opérations extérieures.