N° 260

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2002.

AVIS

PRÉSENTÉ

TOME II

DÉFENSE

DISSUASION NUCLÉAIRE

PAR M. Antoine Carré,

Député.

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Voir le numéro : 256 (annexe n° 40)

S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 5

I. -  UNE DISSUASION GARDANT UNE PLACE CENTRALE DANS LES STRATÉGIES DE DÉFENSE, MAIS DONT LE RÔLE ÉVOLUE 7

A. LA DISSUASION NUCLÉAIRE AMÉRICAINE : UNE VOLONTÉ DE FLEXIBILITÉ ACCRUE 7

B. UNE INQUIÉTANTE PROLIFÉRATION BALISTIQUE ET NUCLÉAIRE 10

C. LA DISSUASION NUCLÉAIRE FRANÇAISE : UNE POSTURE ADAPTÉE À L'ÉVOLUTION DE LA MENACE 15

1. Une dissuasion nécessaire pour faire face à l'imprévisible 15

2. Un outil d'ores et déjà adapté 16

II. - UN BUDGET 2003 PERMETTANT LA POURSUITE DE LA MODERNISATION DE L'OUTIL DE DISSUASION 19

A. UNE CROISSANCE TOUJOURS SOUTENUE DES CRÉDITS 19

B. LA POURSUITE DES PRINCIPAUX PROGRAMMES 23

1. La modernisation des deux composantes de la dissuasion 23

2. La préparation de l'avenir 31

3. Le poids du démantèlement des sites de production de matière fissile 36

TRAVAUX DE LA COMMISSION 39

INTRODUCTION

L'émergence d'un terrorisme de masse et la multiplication des crises de basse intensité, combinés à la disparition de la menace à l'est ont pu laisser penser que la dissuasion nucléaire appartenait à un autre âge et que les nouvelles menaces l'avaient contournée. Le risque de voir entamé progressivement le consensus sur l'opportunité de la détention par la France d'un arsenal nucléaire existe désormais. Une action de pédagogie et d'information doit donc être engagée.

La réflexion sur la pertinence de notre posture est légitime, compte tenu notamment des investissements considérables que représente la dissuasion. Il faut toutefois aborder le sujet en évitant deux écueils.

Tout d'abord, on ne peut accuser la dissuasion d'opérer un effet d'éviction sur les autres investissements en matière de défense. La baisse des crédits d'équipement au cours de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire résultait d'un choix politique. Le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008 montre qu'il est possible de renforcer nos capacités conventionnelles tout en conservant une capacité de dissuasion fondée sur le concept de stricte suffisance.

Ensuite, il convient de ne pas céder aux effets de mode. Dans son rapport sur le budget 2002, le précédent rapporteur, M. René Galy-Dejean, avait montré avec talent que l'arme nucléaire n'avait jamais été conçue pour dissuader le terrorisme non étatique, fût-il de masse. Selon sa formule, l'arme nucléaire est l'arme ultime et non l'arme absolue. La lutte contre le terrorisme implique des actions qui ne sont pas uniquement militaires, mais aussi de renseignement, politiques et diplomatiques.

Il n'en reste pas moins que les menaces que sont susceptibles de faire peser des Etats sur nos intérêts vitaux ont immensément évolué. Les principaux sujets de préoccupation sont désormais la prolifération des armes de destruction massive et celle des missiles balistiques capables de les délivrer.

Face à cela, notre outil de dissuasion n'est pas resté figé, bien au contraire. La France a tiré très tôt les conséquences de la fin de la guerre froide avec l'arrêt des essais, le passage à la simulation, le démantèlement du plateau d'Albion et l'arrêt complet de la production de matières fissiles. Aucune puissance nucléaire n'est allée aussi loin dans l'adaptation de ses moyens. Le dispositif retenu présente l'avantage d'une grande cohérence, aussi bien technique que doctrinale, et cette cohérence ne doit pas être confondue avec l'immobilisme.

La dissuasion vise à nous prémunir de deux types de situation.

Premièrement, si aucune menace directe ne pèse sur nos frontières ou sur celles de nos partenaires de l'Union européenne, la reconstitution d'une puissance agressive à moyen ou à long terme ne peut pas être complètement exclue. En effet, des arsenaux nucléaires importants demeurent. Dans ce contexte, la dissuasion demeure la garantie ultime de notre survie face à toute puissance majeure hostile et dotée des moyens de mettre en cause notre existence même.

Deuxièmement, il n'est plus possible de résumer le concept français à une dissuasion du faible au fort : il n'est pas exclu qu'en raison des développements de la prolifération, des puissances régionales soient à même, à l'avenir, de mettre en cause nos intérêts vitaux. Lors de son discours à l'Institut des hautes études de la défense nationale, le 8 juin 2001, le Président de la République a précisé que dans un tel cas, « le choix ne serait pas entre l'anéantissement complet d'un pays et l'inaction. Les dommages auxquels s'exposerait un éventuel agresseur s'exerceraient en priorité sur ses centres de pouvoir, politique, économique et militaire ».

La modernisation de notre arsenal a donc pour but de maintenir sa crédibilité, mais aussi d'accroître l'éventail des ripostes possibles. Pour la seconde année consécutive, le projet de budget prévoit donc une croissance significative de crédits, afin de permettre d'assurer dans de bonnes conditions cette remise à niveau sur laquelle se bâtit l'outil de dissuasion de la France pour trente ans.

I. -  UNE DISSUASION GARDANT UNE PLACE CENTRALE DANS LES STRATÉGIES DE DÉFENSE, MAIS DONT LE RÔLE ÉVOLUE

Les bouleversements stratégiques récents et l'évolution des périls n'ont pas entamé le rôle majeur qui joue l'arme nucléaire sur la scène internationale. Loin d'être obsolète, elle reste centrale dans la stratégie des puissances qui en sont dotées, tandis que certains Etats tentent d'en disposer ou consolident leur arsenal naissant. Pour les grandes puissances nucléaires, la dissuasion s'inscrit dans une évolution du contexte international marquée par une plus grande incertitude, la prolifération balistique et celle des armes de destruction massive. La fin de l'affrontement direct est-ouest permet toutefois une réduction importante des arsenaux stratégiques, comme en témoigne le traité de Moscou signé récemment par les Etats-Unis et la Russie. De ce point de vue, la France a déjà engagé l'adaptation de ses moyens (réduction à deux composantes des forces de dissuasion, arrêt des essais nucléaires, démantèlement des usines de production de matières fissiles), dans le cadre du maintien de la doctrine de stricte suffisance.

· A la suite des annonces faites par les présidents Bush et Poutine lors du sommet de Crawford en novembre 2001, les Etats-Unis et la Russie ont signé à Moscou le 24 mai dernier un traité de réduction des armes nucléaires stratégiques (Strategic offensive reductions treaty, SORT). Ce texte, en cours de ratification, fait partie du nouveau cadre stratégique entre les deux Etats.

Caractérisé par son extrême concision, le traité organise une réduction massive du déploiement des ogives nucléaires. Les deux parties se sont engagées à ramener le nombre de leurs ogives stratégiques à moins de 2 200 à la fin de 2012. Les stocks nucléaires actuels sont actuellement estimés à 11 000 ogives pour les Etats-Unis, dont 7 000 ogives stratégiques déployées, 1 000 ogives tactiques opérationnelles et 3 000 ogives placées en réserve. Pour la Russie, les estimations font état d'un total de 19 500 ogives, dont 5 000 ogives stratégiques déployées, 3 500 ogives tactiques opérationnelles et 11 000 ogives placées en réserve ().

Les stocks d'armes stratégiques déployées par la Russie et les Etats-Unis resteront malgré tout considérables au regard du volume des forces de dissuasion française, dont la dimension correspond au principe de stricte suffisance.

Par ailleurs, à la différence des précédents accords de désarmement stratégique qui visaient très précisément le nombre de vecteurs (SALT I) ou une combinaison de plafonds pour ces derniers et pour les ogives (START I)(), le traité de Moscou laisse très explicitement les deux parties libres d'organiser à leur guise la structure et la composition de leurs forces stratégiques, notamment en ce qui concerne le nombre et les capacités de leurs vecteurs. De plus, le traité n'exige pas la destruction des ogives retirées du service opérationnel. Le stockage de celles-ci est donc autorisé ce qui, combiné à la souplesse laissée aux parties pour le choix des vecteurs, permet éventuellement une remontée en puissance rapide des forces stratégiques. La souplesse en matière d'organisation des forces correspond largement à la nouvelle organisation de la dissuasion américaine. Pour la Russie, elle présente sans doute l'avantage de pouvoir organiser une large part de sa dissuasion autour d'un nombre limité de lanceurs dotés de nombreuses ogives nucléaires.

En ce qui concerne le régime de surveillance du respect de l'accord, les dispositions du traité START I de 1991 restent en vigueur, du moins jusqu'à l'expiration de ce dernier en 2009. La principale inquiétude quant aux conséquences du traité de Moscou a trait au sort des ogives nucléaires mises en réserve d'ici 2012. Toutefois, si la sécurité du stock d'armes russe fait déjà l'objet de vives interrogations, les principales inquiétudes semblent désormais davantage porter sur le stock tactique. La sécurisation des têtes stratégiques s'est améliorée et les risques de détournements d'armes nucléaires stratégiques complètes apparaissent relativement faibles. Il n'en est malheureusement pas de même en ce qui concerne les deux facteurs de prolifération que constituent les matières fissiles, de qualité militaire ou pouvant servir à la fabrication d'une « bombe sale », et les connaissances et savoir-faire des scientifiques du complexe nucléaire ex-soviétique.

· La volonté des américains d'accroître la flexibilité en matière de choix des vecteurs et afin de pouvoir effectuer éventuellement une remontée en puissance de leurs arsenaux stratégiques apparaît déterminante.

Au c_ur des préoccupations du département de la défense, figure le caractère imprévisible des menaces futures. Le rapport sur la Nuclear posture review, transmis au Congrès le 31 décembre 2001, reconnaît un rôle primordial à la dissuasion nucléaire en vue de protéger les Etats-Unis et leurs alliés d'une large palette de menaces, comprenant notamment les armes de destruction massive. Pour garder son caractère dissuasif, l'arsenal nucléaire doit être capable d'évoluer plus rapidement que lors de la guerre froide. Il doit également s'insérer dans une combinaison de moyens militaires qui permette de dissuader des adversaires dont la perception des dangers qu'ils encourent et la rationalité risquent d'être différentes de ce qui a pu être observé lors de l'affrontement est-ouest.

Parmi les Etats ouvertement considérés comme des menaces actuelles ou potentielles, figurent la Corée du Nord, l'Irak, l'Iran, la Syrie et la Libye. Les deux premiers sont une source particulière de préoccupation.

Le rapport précité indique que « les forces nucléaires américaines continueront à garantir la sécurité de leurs partenaires, particulièrement dans le cas de menaces avérées ou suspectées d'attaques nucléaires, biologiques ou chimiques ou dans le cas de développements militaires imprévus ».

Si l'arme nucléaire est destinée à jouer encore un rôle central, ne serait-ce qu'en raison du maintien d'un arsenal stratégique considérable, elle s'inscrit dans une capacité de dissuasion plus large. La « nouvelle triade » ainsi définie comprend :

- des systèmes de frappe offensive, nucléaire et conventionnelle ;

- des défenses actives et passives, afin de réduire les risques d'attaque limitée, voire accidentelle ;

- une infrastructure de défense plus réactive, afin de s'adapter rapidement aux nouvelles menaces.

On notera que la Nuclear posture review n'exclut pas une éventuelle reprise des essais nucléaires, dans un avenir indéfini. Le rapport précité indique en effet que certains problèmes concernant le vieillissement des stocks ne sont pas exclus et que le maintien de la crédibilité de l'outil de dissuasion conduira à évaluer périodiquement l'opportunité d'une reprise des essais.

La volonté d'accroître les capacités défensives explique l'effort consenti en vue de la création d'une défense antimissile crédible.

L'obstacle que pouvait constituer le traité ABM (Anti-ballistic missile treaty) de 1972 a été levé : le retrait des Etats-Unis de ce traité a été annoncé le 13 décembre 2001 et il est devenu effectif six mois après cette notification.

Le programme de défense antimissile est donc plus que jamais une réalité tangible. Le projet de Missile Defense (MD) vise à rassembler dans une architecture globale le système National Missile Defense (défense du territoire) prévu par la précédente administration et les programmes de Theatre Missile Defense. Il est prévu de déployer une première capacité rudimentaire d'urgence dès 2004-2005. Elle comprendra des moyens d'interception de missiles intercontinentaux en Alaska (moins de 10 intercepteurs), des moyens terrestres (PAC-3) et navals (système rudimentaire naval) d'interception de missiles balistiques de théâtre et un premier avion Air Borne Laser, au stade prototype, pour l'interception des missiles dans leur phase propulsée.

Afin de souligner la priorité donnée par l'administration Bush à la MD, la Ballistic Missile Defense Organisation (BMDO) a été transformée début 2002 en Missile Defense Agency (MDA), désormais responsable de l'ensemble des développements en matière de défense antimissile.

Dans le cadre du programme Ground Based Midcourse Defense (GMD), depuis juillet 2001 ont été menés trois essais réussis d'interception, le dernier ayant eu lieu le 15 mars 2002, sur un total de huit essais. Le GMD devrait servir de dispositif embryonnaire pour la protection du territoire américain dès 2004, avec la construction de cinq silos d'intercepteur à Fort Greeley (Alaska).

Outre les incertitudes techniques inhérentes à un programme d'une telle ampleur, une des grandes inconnues du programme de défense antimissile réside dans son coût. A ce jour, les prévisions sont très aléatoires. Un rapport du Congressional Budget Office (CBO) commandé par le Sénat des Etats-Unis et publié le 31 janvier dernier a procédé à un essai d'évaluation du coût de chacune des composantes du système.

Le programme d'intercepteurs basés à terre nécessiterait entre 23 et 64 milliards de dollars sur la période 2002-2015, en fonction du nombre de missiles intercepteurs déployés, tandis que la composante navale représenterait pour sa part 43 à 55 milliards de dollars. Quant au système d'interception laser spatial, il coûterait entre 56 et 68 milliards de dollars pour la période allant de 2002 à 2025. Ces estimations ne tiennent pas compte des 9 milliards de dollars d'ores et déjà engagés entre 1996 et 2001.

De telles sommes tendent à inquiéter les autres composantes des forces armées américaines, qui craignent un effet d'éviction de leur propre budget.

De fait, le Sénat a fait part de son opposition à financer le programme de défense antimissile au niveau demandé dans le projet de budget. Au cours du débat budgétaire 2003, la commission des forces armées du Sénat a proposé de réduire de 813 millions de dollars le budget accordé à la MD, sur un total de 7,3 milliards prévus pour 2003. Le Congrès a en définitive adopté une mesure proposée par la Chambre des représentants, consistant à laisser l'administration choisir l'affectation de cette somme pour des actions de lutte contre le terrorisme ou pour le programme MD.

Si les coûts du programme sont l'objet de débats, sur le fond un large consensus existe outre-Atlantique sur la nécessité du développement du programme de défense antimissile, tant pour compléter la palette des éléments de dissuasion que pour maintenir et accentuer l'avance technologique considérable dont disposent actuellement les Etats-Unis. De ce point de vue, si l'Europe ne dispose pas des moyens suffisants pour développer un programme comparable, elle doit s'adapter à cette nouvelle donne et donner une véritable impulsion à ses programmes de défense antimissile de théâtre, pour des raisons de besoins opérationnels, mais aussi pour ne pas perdre le savoir-faire et les capacités industrielles en la matière.

La prolifération des armes de destruction massive concerne un nombre croissant d'Etats, souvent situés dans des zones connaissant de fortes tensions, et recouvre des menaces très diverses (armes chimiques, biologiques, nucléaires, missiles balistiques). L'objet de ce rapport n'est pas d'effectuer une analyse exhaustive de ces menaces (). Toutefois, il n'est pas inutile d'apporter un éclairage sur l'évolution des programmes nucléaires et balistiques. Ceux-ci constituent actuellement les principales menaces potentielles sur l'Europe. Ils peuvent également contribuer à aggraver des crises régionales, comme en témoigne la forte tension entre l'Inde et le Pakistan.

● Non juridiquement reconnue comme Etat doté d'armes nucléaires, l'Inde détient une capacité nucléaire avérée. Après un premier essai en 1974, l'Inde a procédé en mai 1998 à cinq essais nucléaires souterrains lui permettant de valider les engins de son programme nucléaire militaire.

 L'Inde vise à constituer une « force de dissuasion minimale » fondée sur trois composantes, terrestre, aérienne et navale. Le projet de doctrine, rendu public le 17 août 1999, mentionne notamment que l'arsenal nucléaire dissuasif devra se composer de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, 60 missiles Agni et 40 Pritvhi.

L'Inde maîtrise les filières permettant la production de matières fissiles de qualité militaire (enrichissement de l'uranium par ultracentrifugation, retraitement pour isoler le plutonium), ce qui lui donne la capacité de produire des armes nucléaires de première génération ou des armes à fission exaltée, voire thermonucléaires selon les Indiens. Grâce à ses deux réacteurs, un stock de plutonium de qualité militaire de plusieurs centaines de kilogrammes a pu être accumulé, suffisant pour réaliser entre 25 et 100 armes selon les estimations, avec une capacité  d'assemblage de plusieurs dizaines de bombes dans un délai très court.

L'Inde dispose des vecteurs susceptibles de délivrer ces armes. Outre la composante aérienne, constituée par des avions de combat classiques, l'Inde a lancé au début des années 80 un programme ambitieux. Celui-ci vise à développer une large gamme de missiles allant du missile stratégique sol-sol Agni, d'une portée de 2000 km, testé le 11 avril 1999 puis le 17 janvier 2001 et le 25 janvier 2002 (avec une portée de 700 km pour cet essai), aux missiles sol-sol de courte portée Pritvhi, dont il existe une version navalisée. Les missiles Prithvi ne seraient pas dotés de tête nucléaire. Les premiers missiles Agni auraient été livrés aux forces à la mi-2002. D'autres missiles de la famille Agni seraient à l'étude, il s'agit de projets baptisés Agni-III (3 700 km de portée), Agni-IV (4500 km de portée). Ces missiles possèderaient des capacités améliorées et seraient capables d'atteindre les principaux centres chinois.

Enfin, les Indiens projettent de compléter leur arsenal avec une composante navale. Ils ont en projet la construction d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engin. Initialement prévu pour être lancé en 2004, ce projet se heurte pour l'instant à la difficulté de maîtriser la réalisation du réacteur nucléaire naval.

Le Pakistan a lancé son programme nucléaire militaire dès 1971. Les 28 et 31 mai 1998, répondant aux essais indiens, il a testé six engins nucléaires à uranium-235. Le Pakistan n'adhère pas à la politique de non prolifération mise en place avec le TNP en 1970, qu'il juge discriminatoire et il n'a pas signé le traité d'interdiction des essais nucléaires de 1996 (TICE). Islamabad a déclaré un moratoire sur les essais nucléaires, mais indique qu'il sera dénoncé si l'Inde procède à de nouveaux essais. Selon plusieurs estimations, le Pakistan posséderait 35 à 100 têtes nucléaires. La doctrine du Pakistan semble tendre vers la possibilité d'un emploi en premier, en cas de défaite conventionnelle face à l'Inde et d'invasion du territoire.

S'agissant des vecteurs, outre les avions à double capacité nucléaire et conventionnelle, le Pakistan a développé un important programme balistique. Après les difficultés rencontrées pour la mise au point des missiles Hatf-1 et Hatf-2 à propulsion solide, le Pakistan s'est tourné vers la Chine, auprès de laquelle il a acquis, au début des années 90, des M-11, missiles de portée légèrement inférieure à 300 km et dont la capacité d'emport est de 500 kg. Grâce à l'aide de la Chine, le Pakistan produirait un missile à propergol solide copié sur le M-11 chinois, le Hatf-3. Par ailleurs, il existe un programme d'un autre missile à carburant solide, le Shaheen ou Hatf-4. Cet engin, d'une portée de 750 km pour une charge d'une tonne, pourrait utiliser la technologie du missile M-9 chinois. Le Pakistan développerait enfin une version améliorée du missile Shaheen, le Shaheen-2, qui n'a pas été testé en vol mais dont les performances seraient proches de celles de l'Agni-2 indien, soit 2 000 km.

Le Pakistan a procédé, en mai 2002, à un nouvel essai tir de missile balistique désigné sous le nom de Ghauri ou Hatf-5. Cet engin, à ergols liquides, aurait une portée théorique d'environ 1 500 km et une charge utile de 700 kg. Il a également procédé les 4 et 8 octobre 2002 au tir de deux missiles Hatf-4 (ou Shaheen-1).

En Asie, la prolifération nucléaire et balistique est également le fait de la Corée du Nord.

Toutefois, l'état d'avancement du programme nucléaire nord-coréen reste très difficile à évaluer.

Après de longues et nombreuses tractations bilatérales avec Washington, un accord cadre avait été signé à Genève le 21 octobre 1994 par les Etats-Unis et la République démocratique populaire de Corée. Il devait entraîner un gel de toutes les activités nucléaires militaires nord-coréennes, en échange de la construction de deux réacteurs nucléaires à eau légère de 1 000 mégawatts par le consortium KEDO (Korean Peninsula Energy Development Organization). Cette construction, qui a commencé en août 1997, durera une dizaine d'années. Toutefois, l'état réel du programme nord-coréen d'accès au plutonium est mal connu, l'AIEA n'ayant pas encore été autorisée à accéder aux combustibles stockés pour y faire des prélèvements. Les estimations quant à la quantité de plutonium de qualité militaire que la Corée du Nord a pu produire avant l'accord de 1994 sont cependant relativement concordantes : elle aurait pu détourner suffisamment de plutonium pour développer un engin nucléaire.

Par ailleurs, la Corée du Nord constitue l'un des Etats les plus préoccupants en raison de sa politique de vente de missiles complets, mais aussi de technologies balistiques. Selon les informations fournies au rapporteur, elle aurait, en tant que plus gros proliférateur de missiles balistiques, encaissé depuis 1987 l'équivalent de plus d'un milliard de dollars. Sa clientèle est essentiellement constituée par l'Iran et la Syrie.

Le 31 août 1998, la Corée du Nord a essayé en vol un engin balistique. Cet engin, comprenant plusieurs étages propulsifs, aurait survolé le Japon avant de s'abîmer dans l'Océan Pacifique, à moins de 2 000 km de son point de lancement. Les essais de missiles balistiques de longue portée ont fait depuis lors l'objet d'un moratoire, conclu avec les Etats-unis, lequel doit toutefois arriver à terme en 2003.

Dans le domaine des vecteurs, la Corée du Nord a développé plusieurs types de missiles dérivés du Scud (Hwasong-5, Hwasong-6, No Dong de 1 000 km de portée, Taepo Dong 1 dont la portée est de 1 300 km). La Corée continuerait à travailler à la mise au point du Taepo Dong 2, missile dont la portée est estimée à 3 500 km.

● Au Proche et au Moyen-Orient, la prolifération balistique est également préoccupante.

La Syrie déploie toujours des efforts importants pour se procurer certaines armes de destruction massive, ainsi que des missiles balistiques. Elle a notamment acquis auprès de la Corée du Nord des missiles Scud C, ainsi que la technologie de production correspondante. La Syrie dispose de trois types de missiles balistiques capables d'emporter des munitions NBC : le SS-21 MOD 3 (120 km de portée et 450 kg de charge utile), le Scud B (300 km et 1 000 kg) et le Scud C (500 km et 770 kg).

Si elle ne détient pas d'armes NBC, depuis 1989 l'Arabie Saoudite possède entre 20 et 50 missiles CSS-2 fournis par la Chine, à charge conventionnelle et de portée intermédiaire (charge utile de 2 150 kg acheminée à 2 800 km), donc capables d'atteindre le sud de l'Europe.

L'Iran ne possède aujourd'hui aucune arme nucléaire, mais est soupçonné de vouloir mettre en _uvre clandestinement un programme nucléaire militaire sous couvert du développement de son industrie nucléaire civile (construction de la centrale de Bushehr avec l'aide de la Russie). Il s'efforce d'acquérir toutes les technologies et les équipements en rapport avec le nucléaire, y compris des réacteurs de recherche et de puissance qui pourraient soutenir indirectement son programme d'armement nucléaire ou être réorientés au profit de celui-ci et lui permettre de former ses propres experts. Les contrôles de l'AIEA n'ont toutefois pas permis de détecter des preuves concrètes de l'existence d'un programme nucléaire militaire, mais l'agence de Vienne ne peut aujourd'hui inspecter que les sites nucléaires déclarés par l'Iran. L'Iran nie les intentions qu'on lui prête et met en avant les futurs besoins en énergie du pays pour justifier les investissements considérables qu'il met en _uvre pour développer son industrie nucléaire, malgré les importantes réserves en pétrole et surtout en gaz naturel dont il dispose.

Il possède des aéronefs et des missiles pouvant tirer ou emporter des armes de destruction massive. Sa panoplie de missiles comprend des Scud B et C produits localement, dont la portée et la charge utile sont respectivement 300 km/1 000 kg et 500 km/700 kg. L'Iran a manifesté son intérêt pour des vecteurs plus modernes et de portée supérieure, comme le No Dong nord-coréen. Israël et les Etats-Unis font par ailleurs état d'une coopération avec des experts russes pour la mise au point de missiles Shahab-3 et -4, d'une portée respective de 1 300 km et de près de 2 000 km. Ce programme balistique n'a connu que peu d'essais en vol réussis et le déploiement de ces missiles ne devrait pas intervenir à court terme.

L'Irak est actuellement l'un des Etats proliférateurs suscitant une forte inquiétude. S'agissant de son programme nucléaire et balistique, le rapporteur a reçu les éléments d'information reproduits dans l'encadré ci-après :

L'Irak aurait eu la possibilité technique de préparer un premier engin nucléaire dès 1993 s'il ne s'était pas engagé dans la conquête du Koweït en août 1990. L'Irak a vu une partie de ces infrastructures nucléaires détruites par les raids alliés durant la guerre du Golfe et les destructions d'après-guerre ordonnées par l'ONU ont parachevé le démantèlement des installations dédiées au nucléaire militaire. Jusqu'à décembre 1998, l'AIEA appliquait un programme de contrôle à long terme sous les auspices de l'ONU (résolutions 687 et 715) qui interdit à l'Irak de reconstruire son infrastructure nucléaire. Depuis la crise de la fin de 1998, les inspections sur place sont interrompues mais l'Irak a récemment fait preuve d'un peu de bonne volonté en proposant une négociation sur un éventuel retour des inspecteurs du désarmement. Ce pays possède l'expertise scientifique, technique et humaine pour reprendre un programme nucléaire militaire.

Avant la guerre du Golfe, l'Irak avait fait passer la portée de ses Scud d'origine soviétique de 300 km à 600 km. De 1984 à 1989, l'Irak a aussi participé au programme Condor II en compagnie de l'Egypte et de l'Argentine. Depuis 1991, conformément à la Résolution 687 des Nations Unies, tous les missiles irakiens dont la portée excède 150 km ont été détruits. Toutefois, l'Irak peut avoir réussi à dissimuler quelques éléments de missiles Scud.

Source : ministère de la défense

Le caractère partiel des renseignements tirés des reconnaissances aériennes et spatiales rend indispensable un déploiement au sol d'inspecteurs de l'ONU. L'expérience de l'UNSCOM a montré que, s'il était impossible de récupérer et de détruire 100 % des armes de destruction massive, une partie restant dissimulée avec succès, les inspections permettaient une réduction de la menace avec une efficacité souvent supérieure à celle de frappes militaires plus ou moins bien ciblées.

Pour l'essentiel, la menace que constitue la prolifération balistique est actuellement localisée au Moyen-Orient et en Asie. Elle est donc géographiquement plus proche de l'Europe que des Etats-Unis, ce qui rend assez paradoxale la différence de perception qui peut encore se manifester entre les Etats-Unis et l'Europe sur l'opportunité et l'ampleur des programmes de défense antimissile.

Si la menace directe et massive sur nos intérêts vitaux semble donc s'être éloignée, le maintien d'une dissuasion nucléaire adaptée et crédible reste un élément indispensable de la politique de défense de la France face à une menace extérieure plus imprévisible qu'auparavant.

Dans son discours prononcé le 8 juin 2001 devant l'IHEDN, le Président de la République a tracé les grandes lignes de la politique de défense de la France et a rappelé le caractère central de la dissuasion nucléaire dans la stratégie française. Comme il l'a précisé, la dissuasion « est aujourd'hui, grâce aux efforts consentis de manière continue depuis le général de Gaulle, un fondement essentiel de notre sécurité et elle le restera encore dans le nouveau contexte stratégique où elle garde tout son sens et toute son efficacité ».

Le contexte stratégique en Europe a radicalement changé avec la disparition de la menace à l'Est. Aussi, aujourd'hui, la France ne se connaît-elle pas d'adversaire désigné et aucun moyen nucléaire français n'est-il désormais ciblé. Cependant, nos forces nucléaires doivent fournir la capacité d'infliger des dommages inacceptables à tout Etat qui s'en prendrait à nos intérêts vitaux, « en toutes circonstances et quelles que soient la localisation ou la nature de la menace » (discours précité du Président de la République).

Deux types de situation sont ainsi visés.

L'absence de menace directe pesant sur nos frontières ou sur celles de nos partenaires ne permet pas d'exclure la reconstitution d'une puissance agressive, et ce d'autant plus que des stocks d'armes nucléaires importants restent opérationnels. Aussi, la dissuasion reste-t-elle la garantie ultime de notre survie face à toute puissance majeure hostile et dotée des moyens de mettre en cause notre existence même.

Il a été reconnu, dès 1994, que d'autres types de menaces sur les intérêts vitaux de la France pourraient apparaître du fait de la prolifération des armes de destruction massive. Dès lors, la modernisation de l'arsenal nucléaire français doit prendre en considération les armes balistiques et de destruction massive dont se dotent certaines puissances. Ainsi n'est-il plus possible de résumer le concept français à une dissuasion du faible au fort : il n'est pas exclu qu'en raison des développements de la prolifération, des puissances régionales soient à même, à l'avenir, de mettre en cause nos intérêts vitaux. Lors de son intervention précitée à l'IHEDN, le Président de la République a précisé que dans un tel cas, « le choix ne serait pas entre l'anéantissement complet d'un pays et l'inaction. Les dommages auxquels s'exposerait un éventuel agresseur s'exerceraient en priorité sur ses centres de pouvoir, politique, économique et militaire ». Il s'agit, à cet égard, d'adapter la menace dissuasive à l'enjeu du conflit - qui ne serait pas, face à une puissance régionale, notre survie même. Nos forces nucléaires doivent être en mesure de menacer de tels objectifs de manière crédible, afin de garantir la dissuasion en toutes circonstances. A cet égard, de par sa souplesse d'emploi, sa capacité d'adaptation de la frappe à la menace et sa réversibilité, la composante aérienne de la dissuasion, bientôt dotée de l'ASMP-A, constitue un outil particulièrement performant.

La France conserve donc « la capacité de marquer, le moment venu, à un adversaire éventuel, à la fois que nos intérêts vitaux sont en jeu et que nous sommes déterminés à les sauvegarder ». Ce concept correspond à ce que l'on appelait, au temps de la guerre froide, l'ultime avertissement. Dans des crises plus complexes que par le passé, y compris face à un adversaire qui pourrait se méprendre sur notre détermination, ce concept est tout aussi pertinent qu'il ne l'était dans le scénario d'une agression massive en Europe. Il est la contrepartie de l'incertitude qui existe sur la délimitation de nos intérêts vitaux.

S'agissant de l'appréciation de l'atteinte à ces derniers, le Président de la République a souligné qu'il « tiendrait compte naturellement de la solidarité croissante des pays de l'Union européenne ». Cette contribution potentielle à la sécurité de nos partenaires et alliés est la troisième fonction de notre arsenal nucléaire.

Enfin, toutes les armes nucléaires françaises sont considérées comme stratégiques. En effet, « par essence, l'arme nucléaire est différente ». L'unicité de notre doctrine, et celle de notre arsenal nucléaire, est un trait fondamental de la politique française de dissuasion. La dissuasion est une, quelles que puissent être les circonstances dans lesquelles elle pourrait avoir à s'exercer.

La dimension de l'arsenal nucléaire français a été ajustée très tôt à la nouvelle situation stratégique. L'abandon de la composante terrestre, avec le démantèlement des installations du plateau d'Albion, l'arrêt de la production de matières fissiles et le choix de la simulation ont constitué une adaptation de grande ampleur. L'outil nucléaire correspond donc bien actuellement au principe de stricte suffisance.

· La dissuasion repose désormais sur deux composantes

La première, et la plus importante, est constituée par la force océanique stratégique (FOST). Elle comprend les sous-marins lanceurs d'engins (SNLE), dont deux sont actuellement de nouvelle génération, et les vecteurs qu'ils emportent (missiles M45).

La deuxième composante est aéroportée : il s'agit des missiles air-sol à moyenne portée (ASMP), mis en _uvre par les Super Étendard et Mirage 2000 N.

Ces deux composantes sont en cours de modernisation. Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 _) prévoit une poursuite de l'effort déjà entamé.

Ainsi, le troisième SNLE-NG devrait être admis en service opérationnel fin 2004, tandis que le quatrième, Le Terrible, devrait être livré en 2010. Il importera le nouveau missile M 51.

Le nouveau missile ASMP amélioré (ASMP-A) devrait pour sa part remplacer le modèle actuel fin 2007. Il sera emporté par le Mirage 2000N et, ensuite, par le Rafale dans ses versions armée de l'air et marine.

· Le programme de simulation est essentiel pour le maintien de la crédibilité de nos forces de dissuasion. Dès 1991, la direction des applications militaires (DAM) du commissariat à l'énergie atomique (CEA) s'est préparée à l'arrêt des expérimentations en proposant le programme Palen. Celui-ci comprenait deux volets : la mise au point des filières d'armes robustes, c'est-à-dire présentant une fiabilité tolérante aux écarts de modélisation ou de réalisation, et le passage à la simulation.

Lors de la dernière campagne d'essais nucléaires, en 1995 et 1996, ces deux volets ont donné lieu à des expérimentations. Des formules d'armes robustes on pu être ainsi validées et de nombreuses données techniques et scientifiques ont aussi été acquises au bénéfice de la simulation.

Avec la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, la communauté chargée du maintien de la disponibilité opérationnelle des armes nucléaires en service et de la mise au point des têtes futures, les têtes nucléaires aéroportée et océanique (TNA et la TNO), doit faire face à un immense défi, à la fois scientifique et humain.

Le rapporteur reviendra en détail sur l'enjeu que représentent les programmes de simulation.

· Le développement d'une protection contre des missiles de théâtre est pris en compte dans le projet de loi de programmation militaire. A l'horizon 2010, la France devrait disposer d'une première capacité de protection des sites d'une force déployée sur un théâtre d'opération extérieure contre les missiles balistiques rustiques qui, comme on l'a vu précédemment, prolifèrent dans des zones instables.

Les missiles pris en considération dans cette capacité d'interception auraient une portée inférieure ou égale à 600 km. La capacité technique sera bâtie à partir des programmes existants, principalement au travers d'une évolution des systèmes sol-air moyenne portée (SAMP).

De plus, la France participe à l'étude de faisabilité menée dans le cadre de l'OTAN concernant la défense contre les missiles de théâtre, balistiques et de croisière, de portée inférieure ou égale à 3 500 km. Lancée en avril 2000, elle doit déboucher fin 2002 sur des recommandations d'architecture possible et définira la nature de l'effort à fournir pour doter l'OTAN des systèmes de défense adéquats pour les théâtres d'opération. La participation de la France à ce programme s'inscrit principalement dans une volonté de complémentarité entre les études de défense contre les missiles balistiques de théâtre entreprises au niveau national et celles de nos alliés, européens et américains. Elle est essentielle pour obtenir l'interopérabilité nécessaire en matière de défense antimissile en opération avec nos alliés.

II. - UN BUDGET 2003 PERMETTANT LA POURSUITE DE LA MODERNISATION DE L'OUTIL DE DISSUASION

Pour la deuxième année consécutive, les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire connaissent une forte augmentation, en raison de la montée en puissance des grands programmes destinés à moderniser nos capacités et à assurer ainsi la pérennité de l'ensemble technique et doctrinal au-delà de l'horizon 2015.

Pour 2003, les crédits consacrés à la dissuasion représentent au total 2 962,6 millions d'euros de crédits de paiement et 3 401,8 millions d'euros d'autorisations de programme. Ces montants représentent des progressions de respectivement 11,7 % et de 35,1 %. On rappellera qu'en 2002, la dissuasion avait déjà bénéficié d'une vigoureuse croissance de ses moyens, de 11,7 % pour les crédits de paiement et de 22,9 % en autorisations de programme.

Le tableau ci-après détaille la répartition de ces crédits par chapitre et article ().

L'organisation et le poids budgétaire de la dissuasion en 2002 et 2003

(en millions d'euros)

Gouverneur

Chapitre et article

Montant des AP

Montant des CP

Évolution des crédits en %

Transfert

     

LFI 2002

PLF 2003

LFI 2002

PLF 2003

AP

CP

au CEA(1)

Air

51-71/11

    Forces nucléaires- direction des systèmes d'armes

199,64

186,60

86,97

118,20

- 6,53

35,91

non

 

51-71/12

    Véhicules forces nucléaires

6,71

8,20

3,20

4,60

22,24

43,71

non

   

Total air

206,35

194,80

90,17

122,80

- 5,60

36,19

 

Marine

51-71/31

    Programme SNLE-NG

280,66

622,16

278,64

302,49

121,68

8,56

oui

 

51-71/32

    FOST hors SNLE-NG

218,61

175,65

162,63

146,69

- 19,65

- 9,80

oui

 

51-71/33

    Programme de transmissions FOST

10,13

10,02

19,35

13,52

- 1,09

- 30,11

non

 

51-71/34

    MCO SNLE-Direction des systèmes

20,58

22,21

20,58

19,69

7,92

- 4,35

non

   

    d'armes

             
 

51-71/35

    Aéronautique navale-adaptation des

2,97

7,08

0,00

1,56

138,21

n.s.

non

   

    moyens aériens

             
 

51-71/36

    MCO SNLE-Service de soutien de la flotte

173,62

258,27

165,15

200,09

48,76

21,15

oui

                 
 

51-71/37

    Opérations de soutien de la FOST

5,79

49,24

3,81

35,87

749,99

841,09

oui

 

 

Total marine

712,36

1 144,63

650,16

719,90

60,68

10,73

 

DGA

51-71/51

    Armement et propulsion nucléaires

992,75

977,10

809,38

891,75

- 1,58

10,18

oui

 

52-81/57

    Etudes amont domaine nucléaire

39,79

35,98

39,18

34,38

- 9,57

- 12,25

non

 

54-41

    Infrastucture

 

 

 

 

 

   
 

 

Total DGA

1 032,54

1 013,08

848,56

926,13

- 1,88

9,14

 

Etat

51-71/61

    Charges nucléaires

225,01

268,64

217,85

267,96

19,39

23,00

oui

major

51-71/62

    Missiles stratégiques

165,10

151,42

170,74

160,79

- 8,29

- 5,83

non

des armées

51-71/63

    Transmissions nucléaires

54,12

48,38

21,50

30,35

- 10,60

41,21

non

 

51-71/64

    Programme M51

71,65

220,71

550,95

561,09

208,04

1,84

non

 

51-71/67

    Programme ASMP-A

44,21

341,39

98,28

159,28

672,21

62,08

non

 

52-81/62

    Etudes technico-opérationnelles

2,13

2,54

3,05

2,54

19,07

- 16,66

non

 

52-81/63

    Lutte contre la prolifération

0,00

0,79

0,00

0,79

n.s.

n.s.

 

 

Total EMA

562,23

1 033,88

1 062,36

1 182,81

83,89

11,34

 

TOTAL

2 513,48

3 386,39

2 651,25

2 951,25

34,73

11,33

 

(1) Le transfert peut être partiel.

La présentation par chapitre et article ne permet que très imparfaitement de distinguer la répartition des financements par programme. Le tableau ci-après permet donc de disposer d'une vision plus synthétique.

les crédits budgétaires de la dissuasion en 2002 et 2003 :
répartition par programme

(en millions d'euros courants)

 

Autorisations de programme

Crédits de paiement

Evolution en %

2002

2003

2002

2003

AP

CP

SNLE-NG

280,7

622,2

278,6

302,5

121,7

8,6

Adaptation M 51 des SNLE-NG

93,5

136,6

87,2

100,5

46,2

15,3

M 51

71,7

220,7

551,0

561,1

208,0

1,8

M 4 & M 45

0

0

9,1

2,3

0

- 74,4

TNO

60,2

75,5

60,3

73,1

25,4

21,2

ASMP amélioré

44,2

341,4

98,3

159,3

672,2

62,1

TNA

54,7

73,0

52,4

69,2

33,4

- 5,2

Simulation

396,1

388,2

319,5

335,1

- 2

4,9

Programme RES

102,3

102,3

53,8

101,9

0

89,4

SYDEREC

0

0

3,7

6,9

0

88,4

TRANSFOST (étape 2)

0,7

0

7,2

3,8

- 100

- 46,4

Source : ministère de la défense

Les crédits destinés à la dissuasion au sein du titre V restent très importants : ils représentent 22,3 % des crédits d'équipement, soit une proportion très comparable à celle prévue pour 2002. Cette continuité dans l'effort doit être soulignée. Par la nature des matériels et programmes qui la sous-tendent, la dissuasion nucléaire nécessite un effort budgétaire régulier. Sa crédibilité étant déterminante pour son efficacité, l'étalement des programmes et les abattements aveugles sur les crédits lui sont particulièrement dommageables. Les dépenses relatives à la dissuasion sont donc peu susceptibles de faire l'objet d'ajustements conjoncturels. De ce fait, elle a été relativement épargnée lors de l'exécution de la précédente loi de programmation militaire, sa place très particulière dans le système institutionnel ayant également joué un rôle certain.

Le tableau ci-après récapitule les écarts entre la programmation et les crédits de paiement effectivement inscrits.

Écart entre les prévisions
de la loi de programmation militaire 1997-2002
et les crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale

(en millions d'euros 2002)

 

Crédits
programmation

Crédits loi de finances initiale

Ecart entre crédits programmation
et crédits loi de finances initiale

 

Annuité

Cumul

Annuité

Cumul

Par annuité

Sur les montants cumulés

1997

3 023,22

3 023,22

3 020,39

3 020,39

- 0,09 %

- 0,09 %

1998

2 980,84

6 004,06

2 639,71

5 660,10

- 11,44 %

- 5,73 %

1999

2 929,16

8 933,22

2 626,91

8 287,01

- 10,31 %

- 7,23 %

2000

2 872,75

11 805,97

2 482,78

10 769,79

- 13,57 %

- 8,77 %

2001

2 822,59

14 628,56

2 401,79

13 171,58

- 14,90 %

- 9,96 %

2002

2 789,82

17 418,38

2 651,60

15 823,18

- 4,95 %

- 9,16 %

L'effort consenti en 2002 a permis de réduire l'écart entre les crédits programmés et les crédits inscrits, qui avait eu tendance à s'accroître de manière continue de 1997 à 2001. Il n'en reste pas moins que les crédits consacrés à la dissuasion sur longue période ont sensiblement diminué, comme le souligne le tableau ci-après.

l'érosion tendancielle des crédits ouverts en loi de finances initiale
pour la dissuasion nucléaire depuis 1990

 

En millions d'euros courants

En millions d'euros 2003

Autorisations de programme

Crédits de paiement

Crédits de paiement

1990

4 774,7

4 891,9

5 942,1

1991

4 770,3

4 729,6

5 580,2

1992

3 984,4

4 553,0

5 267,0

1993

3 321,7

4 027,7

4 553,7

1994

3 188,3

3 311,4

3 681,9

1995

2 967,3

3 162,6

3 458,7

1996

2 817,1

2 965,4

3 196,8

1997

3 001,6

2 873,4

3 058,2

1998

2 516,6

2 534,9

2 672,9

1999

2 033,2

2 534,3

2 657,9

2000

2 808,6

2 417,1

2 561,1

2001

2 049,3

2 373,3

2 435,4

2002

2 518,0

2 651,6

2 678,1

PLF 2003

3 401,8

2 962,6

2 962,2

Source : ministère de la défense

La baisse tendancielle des crédits illustre l'ampleur de l'adaptation opérée depuis 1995. Caractérisée par le respect du principe de stricte suffisance, son adaptation aux menaces perçues et sa cohérence d'ensemble, la dissuasion nucléaire doit désormais faire face à la montée en puissance des programmes destinés à assurer sa modernisation en profondeur.

Les principaux programmes financés au travers du présent projet en matière de dissuasion ont été définis dès 1996 et aucun changement n'a été opéré récemment s'agissant des calendriers prévisionnels de développement et de mise en service ni de cible finale. Le modèle d'armée 2015 prévoit une modernisation en profondeur, afin de doter la France de deux composantes totalement renouvelées, avec :

- une composante océanique reposant sur une flotte de quatre SNLE-NG, armés de missiles balistiques M 51 équipés d'une nouvelle tête, la tête nucléaire océanique ;

- une composante aéroportée, fondée sur le couple Rafale-ASMP amélioré.

Quant à la validité des armes, elle sera garantie par le programme de simulation.

Les moyens futurs des forces nucléaires

 

1996

2002

Modèle de référence (2015)

Dissuasion nucléaire

5 SNLE dont 1 NG

4 SNLE dont 2 de nouvelle génération

4 SNLE-NG

1 lot TN 75

2 lots TN 75

3 lots TNO(3)

Mirage 2000 N/ASMP

Mirage 2002 N/ASMP

 

18 Mirage IV P/ASMP

Super Etendard ASMP

Rafale ASMP-A

Super Etendard ASMP

   

Simulation

 

LMJ(1) phase 1 (Lil)(2) Airix

LMJ(1) pleine puissance

(1) Laser mégajoule.
(2) Ligne d'intégration laser.
(3) Tête nucléaire océanique.

Il n'en reste pas moins que leur état d'avancement technique nécessite une progression significative des crédits, tout particulièrement en ce qui concerne les autorisations de programme.

En raison de sa capacité à exercer en permanence la mission de dissuasion, la force océanique stratégique (FOST) constitue le principal instrument de la politique de dissuasion de la France. Avec la réduction de la posture opérée pour tenir compte de la fin de la guerre froide, un sous-marin est en permanence en patrouille, tandis qu'un second est en mesure de le suppléer. Les deux autres sont en entretien, de courte ou de longue durée.

Pour maintenir les capacités, une modernisation d'ensemble est à l'_uvre, qu'il s'agisse du programme SNLE-NG, des vecteurs (programme M 51), des têtes (TNO) ou de la propulsion (programme RES). Par ailleurs, le poids du maintien en condition opérationnelle (MCO) tend à s'accroître et la maîtrise des coûts en la matière devra faire l'objet d'une attention soutenue.

● Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE)

La FOST est actuellement composée de quatre SNLE :

- deux d'entre eux, l'Indomptable et l'Inflexible, sont des sous-marins du type le Redoutable, admis au service actif en 1976 et 1985. Ces deux bâtiments, qui ont un déplacement de 7 900 tonnes en surface et de 9 000 tonnes en plongée, mesurent 128,7 mètres de long pour 10,6 mètres de large ;

- les deux autres sont des SNLE de nouvelle génération. Le Triomphant, prototype et premier SNLE-NG, a été admis au service actif le 21 mars 1997 ; le Téméraire a rejoint la FOST en 1999. Ces sous-marins de nouvelle génération sont plus longs et beaucoup plus lourds que leurs prédécesseurs : longs de 138 mètres, pour un diamètre de 12,5 mètres, ils ont un déplacement en surface de 12 640 tonnes et de 14 120 tonnes en plongée. D'une surface habitable de 240 m², ils peuvent accueillir 111 hommes. Quant à la vitesse de déplacement, elle est sensiblement supérieure à celle des bâtiments de la génération précédente.

Cette dernière est appelée à disparaître progressivement. Ainsi, à la fin de l'année 2004, l'Indomptable sera retiré, après 28 ans de service opérationnel, pour céder la place au troisième SNLE-NG, le Vigilant, actuellement en construction à Cherbourg. Ensuite, en 2010, le Terrible achèvera la relève entre les deux générations de sous-marins lorsque l'Inflexible, en service depuis 1985, sera retiré de la FOST.

Le calendrier du programme SNLE-NG

SNLE/NG

Commande

Essais officiels

Service actif

LE TRIOMPHANT

18 juin 1987

30 juin 1994

21 mars 1997

LE TEMERAIRE

18 octobre 1989

28 juillet 1998

23 décembre 1999

LE VIGILANT

27 mai 1993

décembre 2003

décembre 2004

LE TERRIBLE
(en version M 51)

28 juillet 2000

juillet 2009

juillet 2010

Si l'échéance de 2010 ne semble pas poser de problème, celle de 2004 doit faire l'objet de toute l'attention nécessaire. Le maintien de la posture suppose en effet le respect du calendrier de sortie d'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du Triomphant, ainsi que celui d'admission au service actif du Vigilant.

Pour 2003, les crédits destinés à la FOST, hors SNLE-NG, s'élèvent à 175,65 millions d'euros en autorisations de programme (- 19,6 %) et à 146,69 millions d'euros en crédits de paiement (- 9,8 %), poursuivant, mais dans une moindre mesure, la baisse des crédits observée l'an passé et correspondant au déroulement nominal des programmes.

En revanche, alors que les dotations prévues pour le programme SNLE-NG avaient légèrement baissé en 2002, elles connaissent une forte augmentation en 2003. Les autorisations de programme représentent 622,16 millions d'euros, soit une hausse de 121,7 %. La croissance des crédits de paiement est de 8,6 %, avec un montant total de 121,68 millions d'euros. Ces évolutions de crédits s'expliquent par la montée en puissance du programme de construction du troisième SNLE-NG et par une estimation plus réaliste des coûts, laquelle conduit à un réajustement des crédits pour près de 314 millions d'euros.

· Les missiles balistiques mer-sol

Les vecteurs de la FOST sont actuellement constitués pour l'essentiel par le M 45, ultime version du missile M4. Il s'agit d'un missile mer-sol balistique stratégique de masse totale de 35 tonnes, piloté par une centrale inertielle et propulsé par propergol solide. Il est constitué de deux étages propulsifs et d'une partie haute, composée d'une case propulsive et d'espacement, du système d'emport et de largage des têtes nucléaires, d'aides à la pénétration et d'une coiffe. C'est cette dernière qui différencie le M45 des versions précédentes : elle emporte des aides à la pénétration et la tête nucléaire TN75.

Celle-ci est nettement plus petite et moins lourde que la TN 71 qui la précédait. Thermonucléaire, elle développe une énergie du même ordre que celle de la TN 71, soit environ cent kilotonnes. Elle présente des qualités de furtivité et de durcissement très améliorées qui lui confèrent d'excellentes capacités de pénétration. Le troisième et dernier lot de TN 75 destiné à remplacer le lot de TN 71 est en cours de constitution.

A l'horizon 2010, les M45 devraient commencer à être progressivement remplacés par le M51. Le quatrième SNLE-NG, le Terrible, en sera doté dès son admission au service actif. Ce programme de modernisation essentiel pèse lourdement sur les crédits destinés à la dissuasion.

En vue du remplacement à terme des M 45, le lancement du développement du programme missile M 5 a été décidé à la fin 1992. En février 1996, dans un contexte stratégique moins menaçant, un souci d'économie a conduit le Président de la République à réorienter le programme vers un missile moins ambitieux, le M 51. Pour dégager des économies budgétaires supplémentaires, les dates et la logique de mise en service du missile ont été modifiées début 1998.

S'inscrivant dans un contexte de stricte suffisance, les principaux objectifs du programme M 51 demeurent ceux du programme M 5, à savoir :

- garantir la sûreté et la sécurité nucléaires du système d'arme par l'utilisation de technologies convenables ;

- améliorer l'invulnérabilité des SNLE de nouvelle génération, notamment par l'augmentation des zones de patrouille ;

- maintenir des capacités de pénétration face aux défenses antimissiles balistiques envisageables à l'horizon 2030 ;

- assurer une capacité d'adaptation à l'évolution des menaces et des missions.

Le missile M 51 est un missile de masse totale maximale de 56 tonnes, guidé par inertie et propulsé par propergol solide. La portée de référence du missile avec un chargement complet en têtes nucléaires et en aides à la pénétration est de l'ordre de 6 000 km.

A compter de 2015, la version M 51.2, dotée de la TNO en cours de développement, entrera en service. Par sa précision, sa furtivité, son allonge et ses capacités de pénétration, le M 51 marquera un véritable saut technologique, absolument nécessaire pour répondre à l'impératif d'adaptation précédemment évoqué. Le bien-fondé de ce programme est donc indiscutable. Il vise à faire face à l'obsolescence programmée des M 45. De plus, des considérations géostratégiques se conjuguent à cet impératif technique : avec la prolifération des armes de destruction massive dans plusieurs régions du monde, parfois très éloignées, la France se doit de disposer de missiles d'une portée suffisante, ainsi que d'un niveau technologique crédible pour faire face à l'évolution des défenses.

D'un point de vue technique, le programme M 51 se déroule normalement, même si le programme d'essais a subi des retards.

Il comporte tout d'abord une phase de chasse sous l'eau, à partir du caisson Cétacé. Ces textes auront lieu au plus tôt en mai 2003. Par ailleurs, il est désormais prévu de procéder aux tirs aériens à partir du centre d'essais des Landes. Le programme de cinq essais débutera par un premier tir aérien en 2005. A cet effet, il est prévu de construire une piscine de grande profondeur, d'environ 60 mètres. Le surcoût total des modifications du programme d'essai s'élève à environ 20 millions d'euros, intégralement provisionnés dans le projet de loi de programmation militaire.

Les incertitudes sur le déroulement du programme étaient jusqu'à récemment avant tout d'ordre budgétaire. Comme l'avait souligné le précédent rapporteur, malgré une augmentation de 32,8 % des autorisations de programme en 2002, il était patent que leur montant était insuffisant pour faire face aux échéances mécaniques du programme.

De ce fait, le contrat portant sur la tranche conditionnelle n° 1 entre EADS et la DGA ne pouvait être signé à l'échéance prévue, soit le 27 décembre 2002. Cette rupture de la continuité contractuelle entraîne, en l'état du contrat, le versement d'un million d'euros par jour de pénalités par le ministère de la défense à l'industriel ; si elle se poursuit au-delà de 3 mois, le contrat est considéré comme annulé et une pénalité supplémentaire de 65 millions d'euros sera exigible par EADS.

L'insuffisance des crédits faisait peser une hypothèque importante sur l'exécution de la loi de programmation militaire 2003-2008 et il est exact que le présent projet ne règle pas directement cette question. Même si les progressions de crédits consacrés au M 51 sont très importantes, avec une croissance de 208 % des autorisations de programme, ceux-ci restent insuffisants pour assurer la signature du contrat précité.

Toutefois, la question semble devoir être réglée avant la fin de 2002. Lors de son audition par la commission le 8 octobre dernier, le général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées, a indiqué que les autorisations de programme correspondant à la tranche de développement du M 51 seront inscrites dans le projet de loi de finances rectificative de fin d'année.

· Le programme des réacteurs d'essais

La gestion des programmes de propulsion navale nucléaire relève d'une organisation particulière, le service technique mixte des chaudières nucléaires de propulsion navale (STXN), qui regroupe le bureau des chaufferies nucléaires de DCN, le bureau matériel-énergie-propulsion de l'état-major de la marine et les personnels rattachés au directeur délégué à la propulsion navale du CEA, soit 43 personnes (huit pour la marine, six pour la DGA et 29 pour le CEA).

Cinq missions précises lui ont été assignées :

- renforcer la coopération entre les trois organismes étatiques en rassemblant les compétences spécifiques acquises par chacun au cours du temps ;

- assurer la cohérence des actions concernant la sûreté nucléaire et le retour d'expérience dans la marine, des premières études de faisabilité jusqu'au démantèlement du dernier système de propulsion nucléaire correspondant ;

- soutenir l'action du CEA pour la maîtrise d'ouvrage déléguée des études amont et des réacteurs à terre ;

- assister les directeurs de programme de la DGA dans leur rôle de maîtrise d'ouvrage pour les chaufferies nucléaires ;

- établir et suivre les contrats de maîtrise d'_uvre conclus principalement avec la société Technicatome et l'établissement d'Indret de DCN sur la base de relations contractuelles.

C'est au STXN qu'il revient de mettre en _uvre le programme de réacteur d'essais (RES), programme destiné à remplacer le RNG (réacteur de nouvelle génération) qui a permis, depuis 1975, la mise au point des chaudières nucléaires embarquées et la qualification des c_urs ou des générateurs de vapeur, dont la fin de vie est prévue pour 2005.

Au total, le STXN gère donc non seulement les crédits destinés à couvrir l'entretien des chaudières existantes, mais également ceux qui financent les études et le développement des programmes futurs. En 2003, il est prévu de transférer au CEA 133 millions d'euros d'autorisations de programme et 128 millions d'euros de crédits de paiement au titre de la propulsion nucléaire, ce qui représente une augmentation de respectivement 11,8 % et de 26,7 %.

· Le maintien en condition opérationnelle

L'efficacité de la dissuasion dépendant très étroitement de la crédibilité des forces mises en _uvre, le maintien en condition opérationnelle (MCO) joue un rôle particulièrement important. Comme l'indique le tableau ci-après, les montants de crédits en jeu sont d'ailleurs considérables.

Les crédits de MCO des systèmes d'armes concourant à la dissuasion depuis 1998

(en millions d'euros courants)

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

SNLE (a)

136,59

181,11

189,80

181,11

171,90

185,20

196,5

165,3

197,10

188,50

268,4

210,5

Missiles

144,52

144,06

120,74

135,68

73,20

161,10

113,4

131,8

139,50

111,60

131,7

122,4

Têtes

36,28

35,98

30,34

30,18

34,00

29,60

18,7

18,8

24,20

25,90

36,6

34,3

Total composante
océanique

317,40

361,15

340,88

346,97

279,10

375,90

328,6

315,9

360,80

326,0

436,7

367,2

                         

Missiles

48,48

53,66

43,91

54,12

32,00

46,50

34,91

34,1

32,80

42,20

31,1

37,3

Têtes

7,47

7,32

9,60

9,30

8,20

8,00

5,8

6,6

6,60

6,40

5,6

5,6

Total composante aéroportée

55,95

60,98

53,51

63,42

40,20

54,50

40,7

40,7

39,40

48,60

36,7

42,9

                         

Transmissions

21,04

18,60

10,37

23,93

10,50

12,20

4,9

8,5

15,50

14,00

15,0

15,7

Autres (b)

254,28

227,15

239,80

243,46

229,00

223,00

163,9

220,9

272,40

187,00

264,7

243,2

                         

Total dissuasion

648,67

667,88

644,55

676,26

558,8

665,60

538,1

586,0

688,1

575,6

753,1

669,0

(a) SNLE et environnement, y compris communications spécifiques.

(b) Dont la part imputable à la dissuasion des dépenses relatives aux avions des forces aériennes stratégiques.

Source : ministère de la défense.

Pour 2003, les autorisations de programme augmentent de 9,4 %, tandis que les crédits de paiement progressent de 16,2 %. Cette croissance très importante résulte principalement de l'augmentation du coût de l'entretien des SNLE-NG.

L'IPER d'un SNLE-NG représente le double du coût supporté pour l'entretien d'un navire de la génération précédente. La première IPER du Triomphant s'est ainsi révélée beaucoup plus chère que prévu. Le devis initial était de 1,5 milliard de francs, contre 650 millions de francs pour un SNLE-M4. Après négociation, il est passé à 1,025 milliard de francs. Le coût est désormais estimé aux alentours de 1,2 milliard de francs (182,94 millions d'euros).

Cette dérive résulte de plusieurs facteurs. Tout d'abord, les SNLE-NG sont des bâtiments plus imposants et techniquement beaucoup plus avancés. Ensuite, les exigences des autorités de sûreté nucléaire sont sans cesse croissantes. Enfin, les délais d'immobilisation ont été allongés en raison des difficultés croissantes de DCN résultant de son manque de cadres.

La capacité nucléaire aéroportée des forces aériennes stratégiques (FAS) est intégralement maintenue et assurée par trois escadrons de Mirage 2000 N armés du missile ASMP, associés à l'escadron de ravitailleurs C-135. Par son allonge, sa souplesse et ses capacités démonstratives, cet ensemble cohérent apporte complémentarité et diversification à nos moyens stratégiques.

A partir de mi-2007, l'ASMP, arrivé en fin de vie opérationnelle, sera remplacé par le missile ASMP amélioré (ASMP-A), qui associera un vecteur dérivé de l'ASMP actuel, mais modernisé, auquel sera associée une tête nucléaire de nouvelle génération, la tête nucléaire aéroportée (TNA).

Ce missile thermonucléaire pourra être emporté par les Mirage 2000 N et les Rafale au standard F 3 air et marine.

L'ASMP-A reprend les grands principes d'architecture de son prédécesseur : missile à stratoréacteur à deux entrées d'air latérales et à accélérateur intégré à poudre. L'ensemble aérodynamique et propulsif est toutefois de conception entièrement nouvelle. L'ASMP-A bénéficie de l'ensemble des progrès acquis depuis la mise en service de l'ASMP qui lui confèrent, par rapport à son prédécesseur, des portées, des durées d'emport et des capacités de pénétration accrues.

Le premier porteur sera donc le Mirage 2000 N puis, à partir de 2008, un deuxième escadron nucléaire sera constitué avec des avions Rafale. Le troisième escadron, équipé de Mirage 2000 N, recevra l'ASMP-A en 2009. Le scénario ainsi défini permet de préserver la capacité nucléaire pendant la transition entre les systèmes ASMP et ASMP-A.

L'exercice 2003 se caractérise par une très forte croissance des crédits alloués aux FAS qui sont gouvernés, d'une part, par l'armée de l'air pour les vecteurs, les transmissions et l'infrastructure spécifiques, et, d'autre part, par l'état-major des armées pour les missiles et les têtes nucléaires.

Le budget des forces aériennes stratégiques en 2002 et 2003

(en millions d'euros courants)

Gouverneur

Chapitre - Article

Autorisations de programme

Crédits de paiement

Evolution 2002/2003 (en %)

LFI 2002

PLF 2003

LFI 2002

PLF 2003

AP

CP

Air

51-71-11/12

206,35

194,80

90,17

122,80

- 5,60

36,19

EMA

51-71 - 61/62/65

138,27

457,98

220,59

278,42

231,22

26,22

Total général

344,62

652,78

310,76

401,22

89,42

29,11

Source : ministère de la défense

Ces crédits sont destinés à financer :

- l'évolution des Mirage 2000 N vers le standard K3 et le Rafale pour l'intégration de l'ASMP-A (standard F3) ;

- la rénovation de l'avionique des ravitailleurs C-135 ;

- le maintien en condition opérationnelle des avions et de l'infrastructure ;

- l'évolution des transmissions des Mirage 2000 N, des transmissions spécifiques FAS et des systèmes de préparation de mission ;

- le développement, l'acquisition et le maintien en condition opérationnelle des véhicules de transport d'armes.

Pour l'essentiel, la très forte progression des autorisations de programme s'explique par les crédits consacrés à l'ASMP-A (chapitre 51-71, article 67). Les autorisations de programme prévues pour ce programme passent de 44,21 millions d'euros à 341,39 millions d'euros (+ 672,2 %), tandis que les crédits de paiement progressent de 62,1 %. Il est en effet prévu de notifier en juillet prochain la deuxième tranche de développement de ce missile.

Les premiers essais réalisés au banc en 2002 ont donné toute satisfaction et une première campagne d'essais à l'appontage est en cours. Techniquement, le programme s'exécute dans de bonnes conditions et aucun dépassement de devis n'a été constaté.

Le coût prévisionnel d'ensemble du programme est de 1 302,5 millions d'euros, dont 106 millions d'euros au titre de la conception et 1 197 millions d'euros au titre de la réalisation.

Le tableau ci-après récapitule l'évolution des crédits qui lui ont été consacrés, hors adaptations des futurs porteurs.

Bilan Financier de l'ASMP-A
De 1997 a 2003

(en millions d'euros courants)

 

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Autorisations de programme en LFI

28,20

28,05

41,04

113,57

39,18

44,21

341,39

Crédits de paiement en LFI

3,66

11,89

21,11

31,4

71,5

98,27

159,28

Autorisations de programme consommées

28,2

0

29,4

306,9

0

58,9(a)

 

Crédits de paiement consommés

0

7,0

12,0

23,6

84,3

89,5(a)

 

(a) Prévisions fin avril 2002.
Source : ministère de la défense.

La crédibilité de la dissuasion à long terme repose sur le maintien des capacités techniques et d'évolution, ce qui implique de porter toute l'attention nécessaire aux crédits d'études. Par ailleurs, depuis la fin des essais, c'est le programme de simulation qui doit permettre de garantir le bon fonctionnement des têtes actuelles et futures.

En raison du caractère très complexe des équipements nucléaires, les études amont ont un rôle décisif dans la définition et le résultat des programmes.

Actuellement, les principaux sujets de recherche sont les suivants :

- la maîtrise de la durée de vie des propulseurs en phase opérationnelle ;

- l'adaptation des performances opérationnelles face à l'évolution de la menace, avec des travaux portant sur la pénétration des missiles balistiques, le profil de vol des missiles aérobies, incluant en particulier un démonstrateur de superstatoréacteur (capacité de vol à mach 8), la précision des systèmes d'armes nucléaires, la discrétion des SNLE, la lutte sous la mer et la guerre des mines, les performances et la survie des transmissions nucléaires ;

- la sûreté nucléaire, avec notamment des travaux sur la connaissance des réponses des propulseurs à poudre aux diverses agressions et sur l'amélioration des méthodologies d'acquisition de la sûreté ;

- le maintien de la capacité nationale en matière de conception et de réalisation des armes nucléaires et la simulation du fonctionnement de ces armes ;

- l'amélioration des connaissances sur le fonctionnement des réacteurs de la propulsion navale (aspects système, sécurité nucléaire et facteurs humains, combustibles et c_urs, technologie et composants des réacteurs).

L'enveloppe de crédits initialement prévue pour la période couverte par la précédente loi de programmation militaire représentait 1,629 milliard d'euros d'autorisations de programme et 1,64 milliard d'euros de crédits de paiement pour les armes nucléaires et la propulsion navale.

Comme l'indique le tableau ci-après, les sommes qui ont été affectées à ce domaine sont significativement moindres.

Les études amont du domaine nucléaire :
dépenses réalisées et estimées de 1997 à 2002

(en millions d'euros courants)

DÉPENSES

1997 (réalisé)

1998 (réalisé)

1999 (réalisé)

2000 (réalisé)

2001 (réalisé)

2002 (LFI)

Total 97-02

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

AP

CP

Recherches et EA d'armes (1)

48

51

73

70

71

75

72

68

63

63

62

60

389

387

Simulation (1)

153

157

53

47

63

63

77

60

80

66

83

88

509

481

EA propulsion navale (1)

9

8

8

9

5

6

6

5

5

4

5

4

38

36

EA matières nucléaires (1)

9

8

7

7

0

0

3

3

4

4

8

7

31

29

Total armes
et propulsion (1)

219

224

141

133

139

144

158

136

152

137

158

159

967

933

EA nucléaires hors armes (2)

58

100

43

65

31

68

30

37

42

30

40

39

242

339

(1) Crédits transférés au CEA.
(2)
AP engagées et paiements.

Source : ministère de la défense.

Selon les explications fournies par le ministère de la défense, pour le total des « recherches et études amont d'armes », l'exécution diffère notablement de l'objectif fixé par la loi de programmation militaire en raison d'évolutions de périmètre. En effet, les travaux initialement prévus ont été redéfinis dans leur contenu et leur répartition d'imputation budgétaire. Ainsi, le financement de ces travaux a été ramené à environ un milliard d'euros, réparti de la façon suivante :

- environ 610 millions d'euros pour les pré-études au développement des TNA et TNO ;

- environ 390 millions d'euros pour des études adaptées, afin de répondre aux besoins de développement des armes en utilisant seulement la simulation.

Pour le total des « études amont nucléaires » (hors armes et propulsion nucléaire navale), l'écart résulte des décisions prises lors de la revue des programmes de 1998 qui ont conduit à une réduction des crédits. Cette revue a retenu un abattement de 20 % des études amont consacrées à la dissuasion (hors études confiées au CEA), pour permettre notamment la montée en puissance des développements de nouveaux systèmes d'armes (M51 et ASMP-A). Les mesures prises dans ce domaine consistent principalement à étaler dans le temps les travaux prévus, sans remettre en cause les rendez-vous importants avec les programmes :

- l'effort a été maintenu sur les études liées à la pénétration des missiles balistiques, à l'invulnérabilité des sous-marins et à la composante aérobie, secteurs prioritaires pour la crédibilité de la force de dissuasion ;

- les nouvelles études de durée de vie et d'amélioration des gros propulseurs à poudre, dont le retour sur investissement paraissait le plus faible, ont été lancées en 2001.

Pour 2003, les crédits relatifs aux études amont en matière nucléaire sont répartis comme l'indique le tableau ci-après.

Les Etudes Amont en 2003

(en millions d'euros courants)

Chapitre-article

Objet

AP

CP

51-71/51

Recherches et études amont d'armes

64  

63  

Simulation du fonctionnement des armes nucléaires

70  

70  

Etudes amont propulsion navale

0  

0  

Etudes matières nucléaires

14  

14  

TOTAL

148  

147  

52-81/57

Etudes amont nucléaire (hors armes)

36  

34  

Source : ministère de la défense.

On remarquera que l'enveloppe prévue au titre du chapitre 51-71 diminue de 6,3 % en autorisations de programme et de 7,5 % en crédits de paiement. Les études amont hors armes (chapitre 52-81, article 57) baissent dans des proportions supérieures (- 10 % en autorisations de programme et - 12,8 % en crédits de paiement).

Compte tenu de l'importance de ces crédits pour la préparation de l'avenir, il conviendra de préserver un flux suffisant de crédits année après année.

À la suite de la décision de moratoire sur les essais nucléaires prise en 1991 par le Président de la République, la direction des applications militaires (DAM) du CEA a élaboré le programme Palen, visant à préparer l'arrêt des essais au travers de la mise au point d'armes robustes et du passage à la simulation. De ce point de vue, la cohérence et la crédibilité de la posture ont pu être assurées par les essais de la dernière campagne de tir, en 1995 et 1996, qui a permis de disposer de l'ensemble des données nécessaires.

La simulation consiste à reproduire, à l'aide d'expériences ou par le calcul, les phénomènes rencontrés au cours du fonctionnement d'une charge nucléaire. Le but visé est de disposer d'un ensemble de logiciels décrivant les différentes phases du fonctionnement d'une arme nucléaire et reposant sur une représentation des lois physiques mises en jeu. La validation globale en sera obtenue par recalage sur les résultats des essais nucléaires passés. Les deux principaux moyens techniques sont la machine radiographique Airix, pour la visualisation détaillée du comportement dynamique de l'arme, et le laser mégajoule (LMJ), pour l'étude de nombreux processus physiques élémentaires dont celle des phénomènes thermonucléaires. Le projet LMJ recouvre deux investissements majeurs : la ligne d'intégration laser (Lil), actuellement en cours de montage, et le laser mégajoule (énergie totale des faisceaux lasers de deux mégajoules).

Les puissances de calcul nécessaires à l'horizon 2010 sont estimées à 2 000 fois celles dont disposait la DAM en 1996. La première phase du projet Tera a été respectée, avec la livraison d'une machine capable de soutenir un téraflop (soit 1 000 milliards d'opérations) par seconde. La livraison des deux autres machines (10 et 100 téraflops/seconde soutenus) s'effectuera en 2006 et 2009. La DAM dispose ainsi de l'outil de calcul le plus puissant d'Europe et le quatrième au monde. Il s'agit d'un instrument remarquable qui doit être considéré comme un grand investissement national. Tout en respectant les impératifs de sécurité, la DAM l'a déjà mis à la disposition de la recherche civile et fait preuve d'une profonde volonté de partage des capacités de calcul dont elle dispose.

Pour 2003, les crédits de paiement consacrés au LMJ progressent en raison de la construction du bâtiment devant l'abriter et du passage en phase de réalisation de ce laser. Les dotations passent de 140,4 millions d'euros en 2002 à 160,88 millions d'euros, soit une augmentation de 14,6 %. Les autorisations de programme sont pour leur part pratiquement stables (- 0,8 %).

Le coût total du LMJ est estimé à 2 137 millions d'euros au coût des facteurs de janvier 2002. Les crédits consommés au 31 décembre 2001 s'élèvent à 482,5 millions d'euros.

Outre son coût financier, le programme de simulation représente un véritable défi humain. La cohérence d'ensemble du programme repose largement sur le maintien des compétences malgré le renouvellement inévitable des équipes du fait de la durée du programme. L'encadré ci-après détaille les enjeux de cette mutation.

LA PROBLÉMATIQUE DU RENOUVELLEMENT DES ÉQUIPES

La mise en _uvre de la simulation pour la conception, la maintenance et le renouvellement des charges nucléaires suppose l'existence d'un ensemble de compétences qui vont des domaines les plus ouverts des sciences et des techniques au cercle restreint des concepteurs confirmés des charges nucléaires, en passant par les experts du domaine particulier des armes et ceux qui ont une maîtrise plus globale de caractère pluridisciplinaire.

La formation et le renouvellement de ces personnels soulèvent des difficultés dont l'acuité est fortement liée au degré de spécialisation des métiers des armes nucléaires. Tout d'abord, les ingénieurs et scientifiques travaillant sur des sujets ouverts ou peu protégés sont disponibles sur le marché du travail et donc faciles à recruter. Ensuite, les experts des armes disposant de compétences scientifiques ou pluridisciplinaires devront nécessairement acquérir leur savoir-faire au CEA/DAM. Les programmes d'armes et l'activité de simulation leur apporteront un cadre approprié avec toutefois des limitations dans certains domaines comme le thermonucléaire qui ne pourront être traitées de manière satisfaisante qu'après l'obtention de l'ignition avec le laser mégajoule, c'est-à-dire après 2011. Enfin, le maintien d'un groupe de concepteurs confirmés au sein de la DAM est certainement le problème le plus aigu dans le contexte inhérent à l'arrêt des essais nucléaires. Ce sujet a concentré l'essentiel des réflexions en matière de formation des personnes et de pérennité des compétences.

A l'époque des essais nucléaires, les concepteurs pouvaient disposer des idées nouvelles et audacieuses pour les futures générations d'armes dans la mesure où l'essai nucléaire venait sanctionner leurs prévisions et la qualité de leur jugement. En l'absence d'essai nucléaire, la conception des armes ne peut reposer que sur les connaissances acquises, et notamment les expérimentations nucléaires passées, et sur les capacités des outils prédictifs de la simulation.

La disparition du recours à l'essai nucléaire accroît considérablement la difficulté de la tâche pour se prononcer sur la capacité des candidats au métier de concepteur de manière générale pour juger le travail des concepteurs. La DAM a pris rapidement conscience de la dimension du problème et a mis en place une formation adaptée en impliquant fortement les concepteurs confirmés. Il est en effet indispensable que ceux qui ont vécu les essais nucléaires participent à la formation des jeunes concepteurs et portent un jugement sur leur connaissance des expériences passées et des règles de l'art.

A partir d'un cursus théorique, numérique et expérimental ad-hoc, l'acquisition des compétences nécessaires au métier de concepteur s'articule en trois étapes correspondant successivement à :

- la formation en physique de base pour les armes (deux à trois ans) ;

- la formation à la physique des armes en symbiose avec un tuteur spécialiste du domaine (trois ans) ;

- la formation au métier de concepteur au sein d'une équipe constituée comprenant des concepteurs confirmés (deux ans).

Les prestations et les qualités du candidat sont évaluées par un jury à la fin de la deuxième et de la troisième étapes avec, à la clé, la délivrance du label de concepteur confirmé.

La pérennité des capacités de la DAM en matière de conception, de maintenance et de renouvellement des armes nécessite un vivier d'une vingtaine de concepteurs confirmés, la permanence de ce format étant assurée par le biais de la formation. Le nombre de concepteurs confirmés ayant participé aux essais nucléaires décroît rapidement par érosion naturelle liée aux départs en retraite. En 2002, ils ne seront plus que dix et en 2019 ils auront tous quitté la DAM. Ce constat justifie les mesures prises en matière de formation compte tenu des délais (huit à neuf ans) pour devenir concepteur.

Pour l'instant, la DAM a pu recruter 90 ingénieurs en 1997 et 1998, 61 ingénieurs en 1999, 105 ingénieurs en 2000 et 93 ingénieurs en 2001.

Source : ministère de la défense

La France a complètement cessé de produire des matières fissiles de qualité militaire en 1996. Un programme de démantèlement est donc en cours pour les deux sites de production concernés : Marcoule et Pierrelatte.

· Le démantèlement de l'usine de Pierrelatte constitue le plus court des deux programmes.

Annoncée par le Président de la République en février 1996, la fermeture des usines d'enrichissement par diffusion gazeuse (UDG) de Pierrelatte a été rendue possible par le fait que la France dispose désormais des quantités d'uranium très enrichi nécessaires pour atteindre le niveau de suffisance qu'elle s'est fixé pour sa dissuasion. Le démantèlement a été engagé sur la base des directives données par le ministre de la défense et le ministre de l'industrie, lesquelles associaient l'exploitant nucléaire Cogema à cette opération.

L'arrêt des productions est intervenu fin juin 1996. Les premières opérations de récupération des matières nucléaires contenues dans l'usine ont été menées en 1997 et 1998. Les opérations de mise à l'arrêt définitif de l'usine se sont achevées fin 2000. La phase de qualification du démantèlement du 1er janvier 2000 à juin 2002 a permis de mettre au point un scénario cohérent (procédés de démantèlement, traitement et évacuation des déchets de faible et moyenne activité) et d'évaluer avec précision le coût total de l'opération. Le passage en phase de réalisation industrielle du démantèlement a été décidé en comité mixte armées-CEA du 9 juillet 2002. Les opérations doivent s'effectuer sur une période aussi courte que possible afin de réduire les coûts et leur achèvement est prévu fin 2007.

Le coût prévisible du programme s'établit à 501,4 millions d'euros et les ressources nécessaires annuellement au cours de la période 2003-2008 sont comprises entre 39 et 42 millions d'euros de crédits de paiement. A ce jour, aucun dépassement de crédit et aucun retard n'ont été constatés.

Les personnels de Cogema initialement employés dans les UDG ont été reconvertis, dans la mesure du possible, dans les opérations de démantèlement et d'assainissement. Près de 250 employés de Cogema, sur un effectif global à Pierrelatte de 670 agents, sont aujourd'hui concernés par cette opération.

· Le démantèlement de l'usine de Marcoule est d'une tout autre ampleur, puisque le programme doit s'étaler sur 40 ans.

La production de plutonium de qualité militaire sur l'unique site français habilité a été arrêtée en octobre 1991, les stocks ayant atteint le niveau de suffisance.

On rappellera que l'usine UP1 de production de plutonium de Marcoule, qui appartient à Cogema, a été mise en service en 1958 et a fonctionné jusqu'à la fin de l'année 1976 exclusivement pour les programmes militaires. A partir de cette date, elle a progressivement réservé une part d'activité croissante pour le retraitement des combustibles des réacteurs civils graphite-gaz. En 1995, la part défense ne représentait plus que 30 % de l'activité et la disparition de la filière graphite-gaz a entraîné la cessation d'activité d'UP1 en 1997.

Les directives données par les ministres de l'industrie et la défense consistent respectivement à :

- mettre en place une structure client (anciens utilisateurs de l'usine de retraitement UP1) pour la gestion des opérations, action qui s'est traduite par la création en juillet 1996 d'un groupement d'intérêt économique (GIE Codem) associant EDF, le CEA agissant pour son compte et celui du ministère de la défense, ainsi que Cogema ;

- à confier le rôle d'opérateur principal des travaux à Cogema.

La contribution financière des partenaires de Codem aux travaux de démantèlement et d'assainissement s'établit au prorata des activités passées réalisées à leur profit. Sur l'ensemble des opérations, le financement moyen attribuable à chacun des partenaires est le suivant : EDF (45 %), Défense (40 %), CEA (5 %) et Cogema (10 %).

Les opérations de démantèlement et d'assainissement ont pour objectif d'aboutir au déclassement des installations nucléaires de base en installations classées pour la protection de l'environnement jusqu'au niveau 2 de la définition de l'agence internationale de l'énergie atomique. Elles consistent à :

- procéder à la mise à l'arrêt définitif de l'usine UP1 (1998 à 2005) ;

- démanteler UP1 (2002 à 2020) ;

- reprendre et reconditionner les déchets accumulés sur le site et consécutifs à l'activité de l'usine de retraitement UP1 (1999 à 2020) ;

- démanteler les ateliers supports (2020 à 2030) ;

- évacuer les déchets de haute activité vers un site national approprié dont la mise à disposition n'est envisagée qu'à l'horizon 2030 (de 2030 à 2040).

Le coût total des opérations de démantèlement et d'assainissement consécutives à la production du plutonium sur le site de Marcoule est considérable : il est évalué à 5,6 milliards d'euros hors taxes. Sur la base d'une quote-part moyenne de 40 %, la part supportée par le ministère de la défense s'élève à 2,3 milliards d'euros hors taxes. Il reste cependant difficile d'établir une estimation précise du coût final des travaux sur une période aussi longue. Les actions sur le court terme de mise à l'arrêt et de démantèlement d'UP1 ainsi que du reconditionnement des déchets sont bien définies, mais les opérations qui se dérouleront de 2020 à 2040 ne pourront être confirmées que beaucoup plus tard sur la base de l'acquis des premiers travaux et des décisions qui auront été prises par le législateur sur l'avenir des déchets.

· La charge financière globale de ces deux programmes est donc particulièrement lourde. Le tableau ci-après récapitule l'évolution des crédits qui leur ont été consacrés depuis 1997.

(en millions d'euros courants)

   

1997

1998

1999

2000

2001

LFI 2002

PLF 2003

Marcoule

AP

33,2

61,0

68,1

60,0

68,2

65,4

23,5

CP

13,9

52,1

68,1

60,0

67,8

40,2

23,6

Pierrelatte

AP

85,5

29,4

24,1

47,1

12,8

66,0

19,3

CP

88,9

37,7

42,0

39,7

38,1

39,3

9,0

Source : ministère de la défense.

La diminution apparente des crédits pour 2003 s'explique par le fait que les charges financières relatives au démantèlement des installations de Marcoule et de Pierrelatte seront également prises en compte, à partir de 2003 (à hauteur de 79,4 millions d'euros en AP et CP), par des ressources extérieures provenant d'un fonds de démantèlement. Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 prévoit que ce fonds sera mis en place avant l'été 2003.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Antoine Carré, les crédits de la dissuasion nucléaire pour 2003 au cours de sa réunion du mardi 15 octobre 2002.

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la dissuasion nucléaire pour 2003.

*

Au cours de sa réunion du mercredi 16 octobre 2002, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la défense pour 2003, les membres du groupe socialiste s'abstenant.

N° 0260 - 02 - Avis de M. Antoine Carré sur le projet de loi de finances pour 2003 - Dissuasion nucléaire


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© Assemblée nationale

() Source : Arms control association, cité dans Arms control today, juin 2002.

() Le traité START I (Strategic arms reduction treaty) de 1991, en vigueur jusqu'en 2009, limite les arsenaux des deux Etats à 6000 ogives et 1600 vecteurs stratégiques.

() Sur les questions relatives à la prolifération, on pourra utilement se référer au rapport de MM. Pierre Lellouche, Guy-Michel Chauveau et Aloyse Warhouver, La France et les bombes, n° 2788, onzième législature.

() N° 187.

() Les différences sur le total des crédits s'expliquent par l'absence de prise en compte dans le tableau des crédits des chapitres 54-41-Infrastructure et 66-50-Subventions consacrés à la dissuasion, non individualisés dans les documents budgétaires.