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Session ordinaire de 2005-2006

commission des finances, de l’économie générale
et du plan

réunion du mercredi 16 novembre 2005

Projet de loi de finances pour 2006

Audition de Mme Brigitte Girardin
Ministre déléguée à la coopération,
au développement et à la francophonie
sur les crédits de son ministère

PRÉSIDENCE de M. Pierre Méhaignerie,
président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan

 

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

 

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères - Dans le cadre de la commission élargie, nous examinons aujourd’hui les crédits affectés à la mission interministérielle « aide publique au développement », ce qui nous conduira à nous pencher sur l’effort que la France engagera en 2006. Mme la ministre nous exposera la répartition de ces crédits entre le ministère des affaires étrangères et celui des finances. La commission élargie entendra ensuite M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial de la commission des finances, et M. Jacques Godfrain, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Après que le Gouvernement aura éventuellement présenté des amendements, la séance se conclura par les interventions des commissaires.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie - Depuis 2002, le développement des pays du Sud constitue une priorité centrale pour le Gouvernement. Les objectifs ambitieux fixés par le Président de la République sont aujourd’hui devenus consensuels au sein de la communauté internationale. Il s’agit d’abord d’augmenter l’aide publique au développement, qui sera portée à 0,5 % de notre revenu national brut en 2007, en vue d’atteindre 0,7 % en 2012. Au cours des dernières années, notre aide a augmenté régulièrement, et ce sera encore le cas en 2006, le projet étant construit avec un objectif de 0,47 %, soit 8,2 milliards.

La communauté internationale nous rejoint dans cet objectif d’augmentation de l’aide, comme cela a été confirmé, en juillet, lors du G8 qui s’est tenu à Gleneagles. Elle se mobilise aussi, progressivement, sur les financements innovants. Plus largement, elle partage nos vues sur les objectifs ultimes de l’aide, à savoir les objectifs du Millénaire pour le développement, qui visent à réduire la pauvreté de moitié dans le monde d’ici 2015. Comme la France, la communauté internationale tient à mettre l’accent sur l’Afrique, continent qui ne bénéficie pas suffisamment des effets positifs de la mondialisation. Ces orientations se sont révélées consensuelles lors du sommet des Nations unies de septembre dernier, qui a été un succès pour la France.

L’accent mis sur le développement est bien entendu un acte de générosité, mais c’est également une nécessité, comme l’actualité le rappelle quotidiennement. Comment, si nous laissions le Sud s’enfoncer dans la pauvreté, pourrions-nous lutter contre la propagation de maladies contagieuses ? Comment pourrions-nous lutter efficacement contre le terrorisme ? Comment pourrions-nous éviter que des millions de malheureux cherchent à immigrer clandestinement en Europe ?

Au-delà, notre aide vise également à augmenter notre influence dans le monde, en particulier pour mettre en avant les idées françaises d'une mondialisation mieux régulée et de la préservation de la diversité culturelle.

Dans le format nouveau des lois de finances, la priorité donnée à l'aide au développement se traduit par deux innovations. Une mission budgétaire « aide publique au développement » a été créée, qui regroupe des crédits budgétaires des deux ministères des affaires étrangères et de l'économie, des finances et de l'industrie, et un document de politique transversale intitulé « politique française en faveur du développement » a été réalisé, qui rassemble les actions de tous les ministères actifs en ce domaine et qui dresse la liste des objectifs correspondants.

Sa réalisation a permis deux progrès essentiels. En premier lieu, il clarifie les objectifs de notre aide, qui sont ainsi regroupés autour de trois axes : mettre en œuvre les objectifs du Millénaire, promouvoir le développement à travers les idées et le savoir-faire français ; gérer efficacement l'aide publique au développement. D’autre part, ce document comporte en annexe le tableau – que vous aviez demandé avec force l'an dernier –, permettant d’établir un lien entre les crédits budgétaires que vous votez et le chiffre que nous déclarons publiquement pour notre aide publique au développement, c’est-à-dire l'objectif de 0,47 % pour 2006. Cela a représenté un travail compliqué, car les règles budgétaires et celles de l'OCDE sont très différentes.

J’en viens au volume de crédits que le Gouvernement vous propose de voter. Le projet de loi de finances confirme sa volonté de placer l'aide au développement au cœur de ses priorités. Je mettrai en exergue trois aspects : l'augmentation immédiate des moyens, la préparation de l'avenir et la meilleure efficacité de notre aide.

Vous aurez constaté que le budget de cette mission, dans un contexte budgétaire particulièrement tendu, est en augmentation, sensible, de 200 millions, soit 7 %. Comme les années précédentes, la majeure partie de cet accroissement bénéficiera à nos engagements multilatéraux, notamment à travers les Nations Unies et la Banque mondiale. En particulier, la décision de doubler, d'ici deux ans, notre contribution actuelle au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui atteindra donc 300 millions en 2007, fait de la France le premier contributeur mondial à ce Fonds, devant les Etats-Unis. Nous sommes également, depuis janvier, le premier contributeur au Fonds africain de développement et, je le rappelle, au Fonds européen de développement.

Ce recours à l'aide multilatérale est nécessaire, compte tenu de l'ampleur des défis à relever. Il nous permet d'obtenir des résultats tangibles, comme le montre l'exemple du sida, puisque le nombre de malades sous traitement anti-rétroviraux, quasi nul il y a quelques années dans les pays en développement, est passé à 1,6 million grâce au Fonds mondial. Enfin, l'aide multilatérale nous permet d'être actif et plus influent au sein d’institutions qui décaissent des sommes importantes.

Mais l'aide bilatérale n'a pas été pour autant oubliée, et j'ai entendu votre message à ce sujet. C'est le second point que je voulais mettre en avant en insistant sur ce budget qui prépare l'avenir. En effet, l'objectif de 0,5 % en 2007 et de 0,7 % en 2012 suppose la poursuite de nos efforts budgétaires. C'est pourquoi le texte prévoit de lancer déjà les projets qui permettront les décaissements futurs.

Ainsi, les autorisations d'engagement pour les projets bilatéraux – en pratique le Fonds de solidarité prioritaire et les concours sous forme de dons de l'Agence française de développement – qui étaient de 300 millions en 2002, atteindront 450 millions en 2006. Les prêts de l'Agence française de développement suivent la même voie, puisqu'ils passeront de 370 millions en 2002 à plus de 1,2 milliard en 2006. Ainsi, au total, en quatre ans, le volume des projets bilatéraux lancés aura été multiplié par 2,5, ce qui traduit une politique particulièrement volontariste.

Le troisième volet de notre politique tend à promouvoir une aide plus efficace, car il serait déraisonnable de demander un effort au contribuable français sans améliorer l'impact de notre aide. Il s'agit tout d'abord de redonner à notre aide les marges de manœuvre qu'une gestion trop rigide lui avait enlevées. Vous avez sans doute constaté que, dans une mission dont les crédits augmentent, les charges de personnel diminuent. Ce n'est pas que l'aide au développement puisse se passer de l'action de l'homme, bien au contraire. Mais, depuis de nombreuses années, notre aide est grevée par des charges récurrentes qui limitent fortement notre capacité de pilotage. Avec ce budget, nous libérons près de 50 millions pour des projets. Il nous faudra poursuivre cet effort d'assouplissement car, aujourd'hui, notre marge de manoeuvre est plus limitée que celle de nos voisins britanniques ou allemands alors même qu’ils consacrent une part plus faible de leur richesse nationale à l'aide au développement.

Parallèlement, il nous faut améliorer la prévisibilité de notre aide, ce qui passe par l’augmentation des volumes d'autorisation d'engagement. J'ai lancé un groupe de travail, qui examinera à quelles catégories ces principes s'appliquent.

Un autre exemple intéressant est celui de l'aide alimentaire. L'an dernier, vous avez voté le regroupement de ses crédits sur le budget du ministère des Affaires étrangères, ce qui nous a permis une bien plus grande efficacité. Ainsi, en 2005, 60 % de cette aide a été achetée dans l'environnement régional, pour 30 % seulement en 2004. Cette souplesse budgétaire nous a permis d'économiser des coûts de transports inutiles et d'aider mieux ces pays. J'espère que cet exemple préfigure les gains que nous permettra la LOLF.

Au delà d'une efficacité accrue, ce déliement de notre aide alimentaire a également l'avantage d'en éliminer les effets négatifs pour les économies des pays bénéficiaires. Cet exemple me semble devoir être mis en avant, au moment où certains se permettent de critiquer la politique agricole commune de l'Union européenne, tout en déversant leurs excédents alimentaires sous forme d'aide dans les pays les plus pauvres ou en déprimant les cours mondiaux du coton par des exportations massivement subventionnées.

Avec le même objectif d'efficacité, nous avons enfin instauré une réforme importante de notre dispositif depuis 2004, en améliorant le pilotage stratégique de notre aide – qu'il appartient au ministre en charge de la Coopération, en tant que chef de file de l'aide publique au développement, de coordonner – et la lisibilité de notre action, la mise en œuvre des projets revenant à l'Agence française de développement sur la base d'instructions précises de l'Etat.

Pour la mise en œuvre de cette réforme, de nombreux outils ont été créés. Ainsi, je réunis régulièrement tous les ministères concernés dans le cadre d'une conférence d'orientation stratégique et de programmation. Nous élaborons également, pour chaque pays, sous le pilotage de nos ambassadeurs, des documents cadres de partenariat appelés à devenir de véritables plans d'action conclus entre la France et les pays que nous aidons. Il s'agit de s'engager mutuellement sur une feuille de route, pour une période de trois à cinq ans.

Ces documents doivent respecter quatre priorités. La première est d’obtenir davantage de lisibilité sur le terrain afin de rendre notre aide mieux perceptible, en mettant notamment un accent sur la francophonie ou la lutte contre l'immigration clandestine. La deuxième est de parvenir à moins de dispersion et plus de cohérence, afin de rendre nos projets plus percutants et d'être chef de file dans nos domaines d'intervention. La troisième est de rechercher une meilleure coordination avec le pays aidé mais aussi avec les autres intervenants français que sont les collectivités locales, les entreprises ou les ONG, et avec les autres bailleurs de fonds internationaux, en particulier les Européens. Nous souhaitons enfin davantage de prévisibilité, afin d'inscrire notre action dans une durée de trois ou cinq ans. Il s'agit donc de construire notre politique de coopération selon une logique de programmation et de contractualisation.

Pour conclure, je voudrais vous dire un mot des sources innovantes de financement qui trouvent leur traduction dans ce projet. Il s'agit tout d'abord de la facilité financière internationale pour la vaccination – car, en vaccinant les enfants, on fait des économies sur les traitements futurs. Cette ponction sur les budgets à venir est donc totalement justifiée.

La deuxième innovation, complémentaire, est la création d'une contribution de solidarité sur les billets d'avion. Depuis près de deux ans, les efforts de conviction de la France en ce domaine ont été incessants. Sous l'impulsion du Président de la République, nous avons obtenu l'adhésion de nombreux pays sur des déclarations de plus en plus précises et, en septembre, aux Nations unies, soixante-dix-neuf pays se sont engagés en signant une déclaration qui mentionnait cette contribution.

Déjà, trois pays sont prêts à mettre en œuvre immédiatement, un tel dispositif, que nous souhaitons affecter en priorité au secteur de la santé. Bien entendu, au-delà du noyau précurseur que nous constituons avec le Chili et le Royaume-Uni – et, bientôt, je le pense, avec le Brésil – nous devons poursuivre avec persévérance notre effort de conviction. C'est pourquoi il est important de créer le dispositif législatif approprié, dont nous mettrons les détails au point lors de la conférence ministérielle que le Président de la République a lancée pour les 28 février et 1er mars prochains.

Comme toujours pour les grandes initiatives internationales, c'est seulement dans la durée que nous prendrons toute la mesure d'une innovation aussi radicale. Mais dans ce domaine comme dans les autres, le Gouvernement montre toute sa détermination à œuvrer en faveur des pays les plus pauvres.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères - Je vous remercie, Madame la ministre. Je salue la présence d’une délégation de députés du Cameroun, qui constateront le sérieux et la sérénité de nos débats.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial de la commission des finances - Je souhaite souligner d’emblée l’importance que revêt la politique d’aide publique au développement. Comme l’a rappelé Mme la ministre, celle-ci est indispensable d’un point de vue moral, politique et économique. Il s’agit ni plus ni moins d’affirmer avec force que le marché, loin de pouvoir tout faire, est souvent dangereux pour le développement des pays les plus pauvres. Après des années de baisse et de dénigrement, l’aide publique au développement est redevenue une priorité – au moins affichée – de la communauté internationale. Toutefois, au-delà des beaux discours et des effets d’annonce, les faits sont têtus et la communauté internationale semble bien incapable de dégager les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs du Millénaire qu’elle s’est elle-même fixés en 2000. L’échec du sommet de New York de septembre dernier est sur ce point révélateur. Pendant ce temps, une partie bien trop importante de l’Afrique peine à sortir de la pauvreté et se trouve confrontée à des pandémies ou à des conflits sanglants. Je souhaite par ailleurs appeler l’attention de chacun sur la gravité des événements récents au sud de l’Europe. Face à la pression de la misère, il a fallu utiliser les armes, mais ce n’est pas en brandissant les fusils que l’on endiguera les flux d’arrivants. En outre, de telles méthodes ne sont guère compatibles avec les valeurs humanistes que nous nous faisons fort de défendre !

Pour en revenir à la France – et au risque de vous surprendre, je commencerai mon exposé par un satisfecit et un encouragement. Le satisfecit concerne l’application de la LOLF : celle-ci se révèle en effet très positive pour la politique d’APD, puisque c’est grâce à elle que nous nous retrouvons aujourd’hui pour discuter de ces enjeux essentiels. Les crédits d’aide ne sont plus perdus dans la masse des crédits de Bercy ou dans celle du Quai. Ils sont désormais à peu près identifiés au sein de programmes spécifiques. Bien entendu, la maquette budgétaire demeure perfectible car on peut encore remédier à certaines dispersions de crédits, mais l’essentiel est qu’il existe désormais un lieu de débat annuel – suivi d’un vote – sur l’aide publique au développement. Il s’agit d’un indiscutable succès démocratique.

L’encouragement, Madame la ministre, vous concerne plus directement : la réforme annoncée par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement – CICID – doit permettre un meilleur pilotage de notre politique d’aide. Encore faut-il pour y parvenir que le ministre chargé de la coopération soit à même d’imposer ses arbitrages aux différentes administrations concernées. Ne souriez pas, Monsieur le Premier ministre Balladur (Sourires). Je pense en particulier à la direction du Trésor, ici représentée, et qui, bien sûr, n’a rien entendu…

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères - J’espère au contraire qu’elle prend bonne note ! (Sourires)

M. le Rapporteur spécial - On a parfois le sentiment que le ministère des Affaires étrangères a abandonné une réalité contre une promesse et un pari : le Quai a en effet accepté de réduire le périmètre d’intervention du fonds de solidarité prioritaire – qui était son principal outil d’action bilatérale – au profit de l’Agence française de développement, en échange d’un rôle moteur dans le pilotage et la programmation de cette grande politique publique. Je vous engage, Madame la ministre, à faire preuve de beaucoup de ténacité, voire d’autorité pour garder la main !

Pour en venir au fond de l’action, le Président de la République s'est engagé à plusieurs reprises sur l'objectif de consacrer 0,5 % du PNB à l'aide publique au développement. Et, une fois n'est pas coutume, cette promesse pourrait bien être tenue... La faible croissance que connaît notre pays depuis quatre ans fait que le dénominateur de l'équation ne progresse que faiblement, cependant que le Gouvernement a bénéficié de la montée en puissance de l'initiative « pays pauvres très endettés » – PPTE , laquelle a conduit à des annulations de dette massives. Ces annulations de dette expliquent l'essentiel de la montée de l'APD constatée en France. Elles étaient de 520 millions en 2000 ; elles seront de 2,8 milliards cette année ; elles représentaient 11,7 % de notre aide en 2000, contre près de 35 % en 2005. Mon propos n’est évidemment pas de nier l'efficacité de ces annulations : elles permettent de réduire les dépenses budgétaires consacrées au remboursement de la dette pour les affecter aux dépenses sociales. On peut néanmoins s'interroger sur la légitimité de certaines annulations, en particulier celles portées par la Coface, qui représenteront 79 % des annulations en 2006 sans que le Parlement puisse connaître précisément l'objet des créances annulées.

Outre leur caractère parfois nébuleux, ces annulations de dette se font aux dépens des outils traditionnels d'aide publique au développement : le principe d'additionnalité – le montant des annulations de dette doit venir s'ajouter à l'effort d'aide publique au développement hors annulations de dette – n'a pas été respecté en 2003 et il ne le sera pas davantage cette année, puisque l'APD hors annulations diminue de 100 millions par rapport à 2004.

Enfin, je m'étais interrogé il y a quelques années sur la capacité du Gouvernement à dégager des crédits pour prendre le relais, une fois le sommet de l'initiative PPTE atteint. Cette interrogation a été encore repoussée, grâce au double effet de l'annulation des dettes irakiennes et nigériennes, lesquelles représentent à elles seules 1,6 milliard, soit près de 20 % de notre effort total. A cet égard, pouvez-vous nous indiquer les montants d'annulation de dettes irakiennes pris en compte au titre de l'aide publique au développement en 2006 et 2007 ?

Je souhaiterais également que Mme la ministre nous informe, dans la mesure du possible, sur le projet de taxe sur le transport aérien lancé par le Président de la République. Etes-vous déjà en mesure de préciser le calendrier ? A-t-on une idée des recettes attendues, la première année puis en année pleine ? D'autres pays envisagent-ils un dispositif analogue ?

La deuxième grande tendance budgétaire que l'on peut dégager est l'importance de l'APD multilatérale, et en premier lieu, de la contribution de la France à l’aide de l'Union européenne. Les contributions au FED explosent et, plus globalement, l'augmentation des contributions multilatérales explique l'essentiel de l'augmentation des crédits de la mission « aide publique au développement ». C'est le cas en particulier de notre contribution à l'association internationale de développement gérée par la Banque mondiale. Il est indispensable que la France retrouve des marges de manoeuvre bilatérales.

En outre, si l’on retranche de cette aide bilatérale les crédits d'écolage et d'accueil des réfugiés, dont la prise en compte au titre de l'APD est au mieux excessive, ainsi que les frais administratifs, et que l’on ne retient que les dépenses effectivement pilotables et programmables – soit la coopération technique et les prêts et dons – on ne retrouve plus qu’un milliard d'euros, soit à peu près 15 % du montant affiché.

L'enjeu, c’est que la France retrouve des marges de manœuvre au plan bilatéral et qu'elle accepte de dégager de nouveaux crédits budgétaires en faveur de cette politique essentielle qu'est l'aide publique au développement. Cela ne semble pas être le chemin pris par le Gouvernement puisque les crédits d'aide bilatérale du programme « solidarité à l'égard des pays en développement » sont en recul de plus de 100 millions. Or, il s'agit bien là des crédits que vous maîtrisez réellement, Madame la ministre ! C'est pourquoi vous ne serez pas surpris que j’émette un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.

M. Jacques Godfrain, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangèresJe ne reviens pas sur les chiffres énoncés précédemment, mais il faut tout de même saluer l'effort continu de notre pays depuis 2002 pour atteindre l’objectif de 0,7 % en 2012. Madame la ministre, parce qu’ils s'intéressent à la politique d'aide au développement, les parlementaires seront attentifs au contenu de cette aide, notamment lorsque les allégements de dette auront sensiblement diminué.

Je ne reviens pas non plus sur les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à examiner les crédits affectés à l'aide publique au développement. Leur présentation dans le cadre de la mission interministérielle est plus claire et nous permet de mieux cerner les enjeux. Je regrette simplement que les documents transversaux nous soient parvenus si tard, même si j'ai conscience de la difficulté de recueillir l'ensemble des données utiles. Il faut progresser en ce domaine.

Je tiens à saluer à mon tour l’initiative du Président de la République tendant à taxer les billets d’avion au profit du développement, même si elle représente un risque pour l’équilibre des comptes des compagnies aériennes opérant sur notre sol. Elle présente en effet le grand mérite de faire réfléchir les dirigeants des pays développés sur leurs responsabilités.

Je m’attacherai plus particulièrement à cinq points : la réforme de notre système d'aide publique au développement, les négociations commerciales qui se déroulent actuellement dans le cadre du cycle de Doha, l'épargne des migrants, le rôle des collectivités locales dans la coopération avec le Sud et la place de notre pays dans la région de plus en plus stratégique qu’est le Golfe de Guinée.

Dans le cadre de la réforme de notre système d'aide au développement, le ministère des Affaires étrangères remplit désormais une fonction d'orientation stratégique de la politique en matière d'aide au développement. Tout du moins en théorie ! Dans la pratique, le poids de l'Agence française de développement est encore fort, en dépit des décisions qui ont été prises dans le cadre du CICID. Je sais que les structures se mettent en place et que cela prend du temps. Je souhaiterais néanmoins savoir quelles sont aujourd'hui les inerties auxquelles on est confronté dans la réforme de l'aide publique au développement. Quel est le rôle exact de l'Agence française de développement dans cette réforme ? Je voudrais également savoir ce que vous envisagez pour que le point de vue du ministère des Affaires étrangères – lequel doit désormais fixer les orientations de la politique d'aide – puisse être non seulement entendu – c'est la moindre des choses – mais aussi suivi par l'Agence.

J'ai déjà eu l'occasion d'interroger le ministre des Affaires étrangères sur la position de la France et de l'Union européenne dans le cycle de négociation de Doha, lequel s'est fixé comme objectif « le développement grâce au commerce ». Je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles M. Mandelson négocie au nom de l'Europe. Il serait d'ailleurs utile que nous puissions avoir des informations plus précises que celles dont nous avons disposé jusqu’à présent.

Je souhaite aussi vous interroger sur la manière dont notre diplomatie entend défendre à la fois le respect de notre agriculture, qu'il n'est pas question de brader, et les intérêts des pays du Sud, très agricoles, qui ont besoin de tirer des revenus décents de leurs productions. A cet égard, je voudrais prendre l'exemple du marché du coton. La production de coton fait vivre aujourd'hui 10 millions de personnes en Afrique de l'Ouest et du Centre. Elle représente 5 à 10 % du PIB et 30 % des recettes d'exportations des pays de la région. Le prix de revient du coton africain est inférieur de près de 50 % à celui des pays développés – je pense en particulier aux États américains du Texas et de la Louisiane. Or, on constate que les subventions américaines ont un effet dévastateur pour les pays producteurs d'Afrique. Des subventions américaines de près de 4 milliards de dollars garantissent ainsi un prix représentant le double des cours mondiaux, ce qui conduit à une perte de revenus de 250 millions de dollars par an pour les pays africains selon la Banque mondiale elle-même. La filière cotonnière dans l'Afrique de la zone franc risque de disparaître si nous n'y prenons garde, ce qui serait catastrophique pour l'économie de ces pays. J’observe au passage que la crise ivoirienne tire l’une de ses sources dans la baisse des revenus cotonniers dans la région du nord.

Sur ces sujets, nous ne devons pas nous laisser impressionner par la propagande du groupe de Cairns, qui mène une campagne très active en faveur d'un libre échangisme effréné. Le commerce a ses vertus, mais les pays du Sud ont également besoin de protections contre un mouvement de mondialisation qui peut faire des ravages. L'Union européenne doit contribuer à assurer un équilibre au plan mondial.

C'est pourquoi je souhaite savoir quelle est la politique de l'Union européenne et de la France au sujet des produits de base. Quelles sont nos positions, à quelques semaines de la réunion de Hong Kong ? Quel soutien allons-nous apporter aux initiatives africaines engagées par le groupe des quatre – Burkina Faso, Mali, Bénin et Tchad – et relayées aujourd'hui par 25 pays ?

Je voudrais également, puisque l'occasion m'en est donnée, revenir sur un projet qui m'est cher, ainsi qu'à mon collègue Jean-Pierre Brard : il s’agit de l'épargne des migrants. L'année 2005 a été celle de la microfinance et du microcrédit. Les réunions se sont succédé, à l'ONU mais également en France sous la présidence de M. Chirac en juin dernier. Ces initiatives ont constitué de grands succès, et ce n’est que justice car la question du microcrédit est essentielle pour développer les économies des pays du Sud. Trop d'habitants de ces pays n'ont pas la possibilité d'accéder à des financements pour monter leurs projets, souvent de taille modeste mais essentiels dans les régions en question. En 2004, j'ai déposé, avec Jean-Pierre Brard, une proposition de loi tendant à valoriser l'épargne des migrants ce qui serait un moyen de répondre, au moins en partie, aux besoins d'investissement local. Chaque travailleur émigré aide en moyenne cinq à six personnes dans son pays natal ; on peut ainsi considérer que 200 à 250 millions de personnes à travers le monde bénéficient du soutien d'un ami ou d'un parent travaillant à l'étranger. Le FMI estimait le volume de ces transferts, au bas mot, à 105 milliards de dollars en 1999. Or, ces flux financiers sont encore trop peu dirigés vers des investissements productifs sur place. Il s'agirait donc de les orienter vers des projets économiques permettant de démultiplier l'effet de ces transferts.

Nous proposons, avec M. Brard, d'aider à orienter ces placements grâce à des taux de rémunération incitatifs dans le cadre d'accords avec les banques qui seraient chargées de collecter l'épargne et, via la Caisse des dépôts, de l'affecter à des fonds dont la gestion serait assurée dans le cadre d'accords bilatéraux. Cette proposition n'est pas fantaisiste. Je souhaite donc savoir pourquoi le Gouvernement y reste sourd et n'engage apparemment aucune réflexion à ce sujet. J'insiste auprès de vous, Madame la ministre, pour que vous me fournissiez une explication précise et claire et non, comme vos prédécesseurs, une simple réponse d'attente. Ne négligeons pas les intérêts des millions d’actifs des pays pauvres présents sur notre sol, sinon la réalité continuera de nous rattraper et les troubles que nous déplorons actuellement dans nos banlieues perdureront.

Au titre de la coopération décentralisée, je viens de recevoir une délégation de parlementaires camerounais qui m'ont fait connaître leur attachement aux actions de coopération engagées par les collectivités locales françaises. Que compte faire le Gouvernement pour préserver ce type de coopération, alors que certaines juridictions ont estimé récemment qu’elle ne pouvait pas entrer dans le champ normal des compétences des collectivités territoriales et que le Sénat a adopté, le 27 octobre, une proposition de loi destinée à sécuriser l’action extérieure de ces collectivités ? Je crois que, pour les projets de terrain, ces coopérations décentralisées sont primordiales.

Un mot enfin du Golfe de Guinée, même si cela sort un peu du cadre de l’aide publique au développement. Riche en énergies fossiles, il est au centre des attentions, notamment des Américains et des Chinois. Quelle est la place de la France dans cette région ? Quelle politique y mène-t-elle ?

J’inviterai tout à l’heure mes collègues à voter ce budget qui traduit tout l’intérêt de la France pour les pays du Sud.

M. Richard Cazenave - M. Jacques Godfrain a posé d’excellentes questions, qui s’inscrivaient d’ailleurs moins dans le cadre de ce budget que dans celui de son environnement technique et commercial. Mais il est évident que des contradictions entre notre aide publique au développement et les négociations internationales pourraient ruiner nos efforts. Il importe donc de savoir comment ces négociations se déroulent et quel est leur impact sur l’économie des pays en développement.

Je m’étonne par ailleurs que certains aient l’air de bouder leur plaisir et s’apprêtent à voter contre un budget qui, dans un contexte difficile, accroît considérablement l’effort en faveur du Sud, alors qu’ils votaient naguère sans rechigner de bien moins bons budgets.

M. le Rapporteur spécial - C’est reparti…

M. Richard Cazenave - Pourquoi seriez-vous les seuls à donner des leçons ? Avec vous, dans une économie européenne florissante, l’aide publique au développement s’était cassé la figure jusqu’à 0,35 % du PNB !

Certes, les bons résultats sont obtenus cette année en partie grâce à l’annulation de la dette. Certains semblent considérer qu’il ne s’agit pas vraiment d’une aide, mais pourquoi n’y ont-ils pas recouru autrefois ? Les gouvernements des pays concernés sont heureux que par ces annulations, nous leur donnions les moyens de prendre de nouvelles mesures dans le domaine social et de soutenir des projets de développement local.

C’est donc avec enthousiasme que le groupe UMP votera ce budget, d’autant que sa reconfiguration dans le cadre de la LOLF élargit le champ d’investigation des parlementaires, ce qui renouvelle quelque peu l’intérêt de l’exercice budgétaire.

Il me semble toutefois que pour atteindre les objectifs de 0,5 % du PNB en 2007 et de 0,7 % en 2012, nous aurions besoin de davantage de prévisibilité. Sans doute ne vous sera-t-il pas possible, Madame la ministre, de nous donner un éclairage au-delà de 2006, mais il serait utile qu’un groupe de travail comportant des parlementaires se penche sur la programmation de la montée en puissance des autres instruments, bilatéraux et multilatéraux, de l’aide au développement. Cela nous éviterait d’être confrontés dans l’avenir à des sauts qualitatifs brutaux.

M. Jean-Louis Dumont - J’ai apprécié la capacité d’analyse et de proposition de nos deux rapporteurs, chacun dans son rôle. Voilà qui montre la bonne santé démocratique de nos commissions.

Je partage ce qu’a dit M. Emmanuelli sur le PNUD. Nous avons été nombreux ces dernières années à nous inquiéter du manque de crédits et de l’absence de la France dans cet organisme, qui appelle souvent au secours. Son document annuel, qui mériterait d’être mieux connu, permet de bien mesurer l’évolution et l’efficacité des crédits affectés aux grandes politiques humanitaires de solidarité et leurs effets sur les conditions de vie dans les pays en développement.

Il est vrai que les collectivités locales se sont engagées depuis longtemps dans la coopération décentralisée, qui permet aussi de faire mieux comprendre par la population la nécessité de la solidarité. Cette nouvelle vision est souvent plus efficace que les grandes opérations menées par l’Etat et on peut donc s’étonner des critiques portées par les chambres régionales des comptes. Nous devons être attentifs à cette dérive de contrôleurs qui refusent d’être eux-mêmes contrôlés et qui se permettent de plus en plus souvent de porter un jugement sur l’opportunité des politiques menées.

Je souhaiterais par ailleurs savoir, Madame la ministre, où en sont les changements annoncés pour l’AFD : le conseil de surveillance, auquel je participe en tant que suppléant, prévu la semaine dernière a été reporté à demain. Je suis en outre frappé par le rôle que jouent habituellement les tutelles sur les décisions que prend ce conseil, comme si l’essentiel était la logique administrative qui n’est pourtant pas vraiment gage d’efficacité et de rapidité de réaction. Certes, l’AFD est capable de se mobiliser et ses capacités ont évolué ces dernières années, mais il y a encore trop de freins à son action. Il faut espérer que la LOLF permettra d’être plus efficace.

J’avais l’an dernier posé des questions à la suite des grands incendies en Nouvelle-Calédonie. Je comprends mieux, après ce qu’a dit M. Cazenave, pourquoi je n’ai jamais eu de réponse…

M. Richard Cazenave - Ça n’a rien à voir ! Vous ne supportez pas la critique !

M. Jean-Louis Dumont - Nous avons constaté que les secours locaux disposaient de peu de matériel et la solidarité n’a pas pu jouer, dans la mesure où l’Australie était également frappée. Je souhaite donc savoir si des mesures ont été prises à la suite de ces événements.

S’agissant de l’Afrique noire, j’ai été frappé par l’indifférence avec laquelle a été accueillie l’invasion de criquets, qui aura aussi des conséquences sur les récoltes suivantes.

De façon générale, si ce budget évolue de façon satisfaisante, il faudra mesurer en fin d’année la mobilisation réelle des crédits et la qualité des interventions. L’annulation de la dette fait l’objet de certaines critiques, y compris au sein des pays bénéficiaires, car elle fait que les crédits prévus dans le cadre de l’aide au développement ne sont plus affectés.

Il semble encore trop souvent que la vision des ONG impliquées directement sur le terrain diffère de celle de l’Etat. Sans doute faudrait-il se doter d’une capacité d’évaluation de l’efficacité de l’aide au développement afin de voir où les crédits sont les plus utiles.

Enfin, je regrette que certains projets éligibles aux aides, notamment relatifs à l’eau et à l’assainissement, cheminent avec trop de lenteur, alors que nous disposons, en particulier en Lorraine, de compétences en ingénierie pour les mener à bien.

Mme la Ministre déléguée - M. Emmanuelli a parlé d’échec du sommet de New York. Mais, alors que la France plaide depuis très longtemps, dans l’indifférence générale, en faveur de l’aide au développement et de l’Afrique, ces dernières ont enfin été mises au cœur de l’agenda international et 80 % de la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement concernent l’aide au développement. Si on met les choses en perspective, on s’aperçoit donc que nous sommes enfin parvenus à intéresser la communauté internationale à ces problèmes, ce qui est une bonne chose.

Je partage par ailleurs votre sentiment : on ne lutte pas contre l’immigration clandestine à coups de mitraillette et de mesures répressives. Le discours permanent du Président de la République est qu’il faut agir sur les pays sources et donc aider le Sud à se développer.

Vous m’avez invitée à être ferme dans mon rôle de chef de file de l’aide au développement dans le cadre de la réforme décidée avant que je prenne mes fonctions et qu’il me revient de mettre en œuvre. Vous connaissez ma ténacité et ma détermination et vous pouvez donc être assuré que je jouerai pleinement le rôle interministériel qui m’a été confié au sein de la Conférence stratégique d’orientation et de programmation, où l’ensemble des ministres décide des politiques qui sont ensuite déclinées en projets par l’AFD.

Vous m’interrogez sur l’annulation de la dette irakienne. Pour qu’elle ne perturbe pas la lisibilité de l’aide publique au développement, nous utilisons la facilité prévue par l’accord du Club de Paris en ventilant l’impact de cette créance de 5 milliards – dont la moitié en majorations de retard – sur la période 2005 à 2008. Les montants prévus sont de 510 millions pour 2005, 200 millions pour 2006, 550 millions pour 2007 et 570 millions pour 2008, les estimations pour ces deux dernières années pouvant être modifiées en fonction du taux de change et de la mise en œuvre de l’accord. Il est possible que d’autres pays veuillent procéder comme nous. En tous cas, cette dette militaire n’a pas de lien direct avec l’aide publique au développement.

Pour ce qui est de la taxe sur les billets d’avion, nous aurons une réunion fin février ou début mars pour fixer les modalités de son entrée en vigueur, à laquelle nous souhaitons procéder dès 2006. Le niveau de cette taxe est modeste, de quelques euros sur les vols intra-européens et quelques euros supplémentaires pour la classe affaires. Selon nos hypothèses, pour la France seule, son produit en année pleine pourrait atteindre 200 millions d’euros. Nous poursuivons nos efforts pour mobiliser de nombreux autres Etats, et si nous y parvenons, ce produit pourrait atteindre 10 milliards de dollars par an. Il est urgent de trouver des sources innovantes pour financer le développement, les besoins étant estimés, selon tous les experts, à 50 milliards de dollars supplémentaires par an, dont 25 milliards pour l’Afrique. Les annulations de dette pour les pays les plus pauvres ne représentant que 1,5 milliard par an, on mesure l’effort à faire. Une taxe sur les billets d’avion est particulièrement intéressante : le transport aérien augmente de 5 % par an, et ces quelques euros, comparés aux taxes d’aéroport et aux taxes pour la sécurité, n’auront aucun impact sur le trafic ni sur la concurrence. En revanche, c’est là une façon simple sur le plan technique de mobiliser des ressources importantes, stables et prévisibles. Nous souhaitons les affecter aux actions pour la santé et à la lutte contre les pandémies, notamment en Afrique, et l’on sait combien la prise en charge des traitements contre le sida nécessite une telle stabilité.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères – Si tous les pays au monde suivent l’exemple de la France, quel sera le produit global de cette taxe ?

Mme la Ministre déléguée - Le minimum estimé est de 10 milliards de dollars.

M. le Rapporteur spécial – Avec les Etats-Unis ?

Mme la Ministre déléguée – En fait nous proposons un système extrêmement souple. Si certains Etats ne veulent pas nous suivre, et on peut penser que les autorités américaines auraient du mal à le faire, nous envisageons également la possibilité d’une taxe volontaire. Les compagnies aériennes, y compris aux Etats-Unis, pourraient proposer aux passagers de contribuer ou non pour une somme modique à de grandes causes, comme la lutte contre les pandémies en Afrique. Compte tenu de ce qu’est le charity business aux Etats-Unis, ce serait certainement productif.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères - Je retiens donc la somme de 10 milliards face à 50 milliards de besoin.

Mme la Ministre déléguée - Ces 10 milliards sont une évaluation.

En ce qui concerne le rôle de l’AFD, Monsieur Godfrain, vous connaissez les principes de la réforme. Le ministère définit et pilote des politiques, l’AFD est l’opérateur qui monte les projets. Comme toute réforme, elle se passera bien si l’on s’en donne les moyens. En tant que titulaire d’un autre ministère, j’ai déjà exercé pendant trois ans la tutelle sur l’AFD et tout se passait bien. J’ai la ferme volonté de continuer à exercer cette tutelle avec la même vigilance afin que les politiques décidées soient mises en œuvre sur le terrain le plus correctement possible. Au cours des quatre derniers mois, sur des cas précis, je n’ai pas constaté de problème particulier.

M. Michel Bouvard - Nous avons confiance en votre fermeté. Mais la mission d’information sur la LOLF avait recommandé que l’on donne à l’AFD le statut d’opérateur public au sens de la LOLF. Cela aurait évidemment amélioré les possibilités de contrôle du Parlement sur les effectifs de l’AFD, ses moyens et leur mise en œuvre. La Cour des comptes fait la même observation dans son rapport sur l’exécution de la loi de finances pour 2004. Nous aimerions une réponse positive du Gouvernement sur ce point, l’AFD ayant tous les caractères d’un opérateur public au sens de la LOLF. Lui en reconnaître le statut améliorerait la transparence et permettrait au Parlement de soutenir le Gouvernement dans sa fermeté.

Mme la Ministre déléguée – En effet, il y a eu débat sur ce point. L’AFD, opérateur pivot de l’aide publique au développement, n’est pas un opérateur public si l’on s’en tient aux critères de la réforme budgétaire. Un tel opérateur doit en effet exécuter une politique de l’Etat contrôlée par l’Etat, financée par lui au moyen d’une subvention ou d’une taxe et avoir vocation à participer à une première étape de consolidation comptable auprès de l’Etat. Ce n’est pas le cas de l’AFD ni de la majorité des EPIC. L’AFD est aussi un établissement financier et , de ce fait, n’entre pas dans le périmètre des administrations publiques.

M. le Rapporteur spécial – J’ai cru comprendre qu’il y avait un autre argument aux yeux de la direction du Trésor : l’AFD est endettée, et l’on préfère que sa dette ne vienne pas grossir celle de l’Etat…

M. Michel Bouvard - M. Emmanuelli invoque là une raison certainement profonde. Nous poursuivrons ce débat, étant donné la position de la Cour des comptes.

Mme la Ministre déléguée - M. Godfrain m’a également interrogée sur le cycle de Doha et notamment sur le coton. Nous sommes mobilisés pour rappeler en permanence qu’il s’agit d’un cycle de développement et pour consolider le traitement de préférence commerciale des pays les moins avancés. En ce qui concerne précisément le coton, les producteurs africains n’obtiennent pas une juste rémunération à cause des subventions à l’exportation que perçoivent les agriculteurs américains. Tant qu’il en sera ainsi, nous ne pourrons guère avancer. Mais nous nous efforçons de soutenir la filière et nous aurons une réunion à ce sujet à Bruxelles le 23 novembre, ainsi qu’un séminaire à Dakar les 24 et 25 novembre. Je peux déjà faire état de quatre avancées. D’abord, nous plaidons pour la mise en place, dans ce secteur, de la facilité de choc exogène du FMI, qui s’élève à 600 millions de dollars par an. En second lieu, la France mène des travaux sur le lissage des variations des prix du coton – ce sera l’objet du séminaire de Dakar. Ensuite, nous mobilisons des financements pour cette filière par l’intermédiaire de l’AFD, avec déjà 100 millions d’euros d’engagement dans les pays de la zone Franc. L’Union européenne soutient également financièrement les actions pour améliorer la qualité et la productivité. Enfin, dans le cadre des négociations de l’OMC, nous soutenons bien sûr l’ensemble des pays producteurs dans leurs efforts pour améliorer leur situation.

S’agissant de l’épargne des migrants, Monsieur Godfrain, votre proposition n’est nullement tombée dans l’oubli. Au contraire, elle est tout à fait séduisante, et nous y travaillons dans le cadre du co-développement qui intéresse de plus en plus de nos partenaires européens. Mais telle qu’elle est rédigée, elle pose des problèmes techniques. En particulier, passer par des structures essentiellement étatiques pourrait décourager les migrants. Il faudrait que d’autres établissements, notamment le Crédit mutuel, et peut-être le Crédit coopératif, s’y intéressent. Nous sommes prêts à en discuter de nouveau avec vous.

Vous vous êtes également intéressé, ainsi que M. Dumont, à la coopération décentralisée. C’est un volet essentiel de l’aide publique au développement et dans le document cadre de partenariat, qui est le nouvel instrument de la coopération, je souhaite que l’on ne se limite pas à l’aide bilatérale ou multilatérale, mais que l’on inclue l’aide privée et toute la coopération décentralisée. En mutualisant les efforts, nous ne pourrons qu’être plus efficaces. Il se posait un problème d’insécurité juridique pour les collectivités locales qui mènent de telles opérations. Le Sénat a adopté le 27 octobre dernier en première lecture une proposition qui règle le problème et que vous aurez à examiner.

Le Golfe de Guinée est une zone particulièrement importante pour la France. Elle comporte des pays anglophones aussi bien que francophones et nous n’y menons pas une politique unique.

Nous sommes très présents dans les pays francophones, comme le Cameroun – j’en profite pour saluer moi aussi nos amis qui sont ici. Mais notre aide monte aussi en puissance dans les pays anglophones comme le Ghana. Le point commun entre ces pays est souvent leurs ressources pétrolières. Nous faisons tout notre possible pour favoriser la politique de transparence, dans le cadre de l’initiative de transparence des industries extractives : le Gabon, le Nigeria et le Congo y ont adhéré.

M. Cazenave a évoqué les efforts à accomplir en matière de prévisibilité de l’aide. J’ai mis en place un groupe de travail interministériel, afin que nos engagements puissent être programmés sur plusieurs années, et je vous tiendrai naturellement informés de ses réflexions. Quant aux annulations de dettes, elle sont par nature imprévisibles puisqu’elles dépendent des progrès des discussions des pays concernés avec le FMI et du rythme de leurs réformes.

Monsieur Dumont, le projet de décret sur le nouveau statut de l’AFD est en cours d’examen au Conseil d’Etat. La réunion du Conseil de surveillance a été reportée pour attendre son avis, et il n’y a pas d’autre interprétation à en tirer. Quant aux ONG, je suis consciente du rôle essentiel qu’elles jouent dans notre dispositif de coopération. L’aide qui passe par elles est intégrée dans nos documents cadres de partenariat. Vous savez que 80% des aides doivent être concentrées sur trois grands secteurs, et les premiers documents cadres de partenariat, qui sont presque prêts, désignent quasiment tous l’eau et l’assainissement comme un secteur prioritaire. L’eau est en effet au centre de toute politique de santé et d’éducation.

Mme Henriette Martinez – L’engagement financier de la France est capital, et conforme aux objectifs du Président de la République, mais l’efficacité de notre aide publique au développement dépend également de la cohérence du dispositif. Vous avez souligné l’importance des documents cadres de partenariat. En matière de santé, il est primordial qu’ils relaient les priorités du Gouvernement. Ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, seul le Niger, dans toute l’Afrique de l’Ouest, a retenu la santé comme priorité. Il est vrai qu’il détient de tristes records en matière de fécondité et de pauvreté. Le Niger a été l’objet d’un programme de santé novateur qui fait référence désormais dans le monde entier, financé par la France et mis en œuvre par des praticiens tunisiens. Sa réussite est avérée et le Niger l’a généralisé. Sommes-nous assurés que les 15 millions que nous investissons dans le programme de santé nigérien, auxquels s’ajoutent 27 millions de dollars de la Banque mondiale, seront utilisés de façon optimale pour la population ? Il faut, par exemple, donner la priorité aux ressources humaines plutôt qu’au béton, même si l’engagement du président nigérien de construire mille centres de santé devait en souffrir. La France a-t-elle les moyens de poser cette exigence ?

Toujours en matière de santé, si nous sommes assurés que nos engagements envers le Fonds mondial de lutte contre le sida seront tenus, il faut veiller à ce qu’ils ne représentent pas l’intégralité de notre effort. Déjà deux tiers de nos crédits sont absorbés par le sida ! Les 50 millions prévus par an pour les autres maladies seront-ils bien dégagés ? Seule l’amélioration de la santé détournera les forces vives de l’Afrique subsaharienne de l’objectif de venir coûte que coûte en Europe. La pandémie du sida est certes un drame, mais il ne faut pas lui donner une priorité absolue sur toutes les autres maladies. En Afrique subsaharienne, la rougeole tue chaque année autant d’enfants que le sida. La différence est qu’un vaccin existe, qui coûte 80 centimes d’euro. Il faudrait moins de 250 000 euros par an pour vacciner les enfants : c’est bien peu, en comparaison des 300 millions du sida ! Et le paludisme tue à lui seul un million d’enfants africains chaque année. Il ne faut pas oublier ces fléaux et je vous remercie des préoccupations que vous exprimez en matière de santé.

Mme Gabrielle Louis-Carabin – Vous vous êtes rendu compte, Madame la ministre, en vous rendant à Haïti, de l’extrême pauvreté et de l’instabilité politique du pays. L’immigration constitue l’unique espoir des Haïtiens, qui partent pour la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe ou l’Amérique. La solidarité est donc essentielle. Une impulsion nouvelle doit être donnée pour la reconstruction du pays. Pour réduire l’immigration, il faut soutenir des projets concrets et cohérents de développement durable. Des fonds européens viennent d’être débloqués pour soutenir l’effort de démocratisation mené par le gouvernement haïtien ; je pense d’ailleurs que les élections se dérouleront dans de bonnes conditions. Pouvez-vous nous donner des précisions sur l’aide française à Haïti ? C’est une question vitale pour nos régions.

Mme la Ministre - Les problèmes de santé sont essentiels en Afrique. Vous savez que 80 % de notre aide au développement sont concentrés sur trois secteurs prioritaires. Lorsqu’un pays choisit de ne pas retenir la santé parmi eux, il reste encore 20 % qui peuvent lui être consacrés. Vous avez évoqué le partenariat exemplaire que nous avons institué au Niger avec la Tunisie. Je me suis rendue au Niger en septembre, et j’ai mesuré les problèmes structurels qu’il connaît, notamment en matière de reproduction et de malnutrition. Le Niger détient le record du monde de la démographie : les femmes y ont en moyenne huit enfants et les problèmes de malnutrition infantile sont structurels plutôt que dus à une crise alimentaire. Sur mille enfants de moins de 5 ans, trois cents meurent chaque année de malnutrition.

Je ne crois pas qu’il y ait une telle volonté de « faire du béton ». Les centres de santé sont assez bien répartis sur le territoire. C’est de ressources humaines qu’ils manquent, de médecins et d’infirmiers, qui sont essentiels pour prendre les patientes en charge et les éduquer à la nutrition. Notre volonté d’agir en la matière est partagée par les autorités nigériennes. J’ajoute que, les jeux de la francophonie se tenant en décembre à Niamey, nous réfléchissons à faire un geste supplémentaire de solidarité francophone dans le domaine de la santé.

Nous avons doublé notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, ce qui fait de nous le premier contributeur, mais je vous rappelle que la tuberculose et le paludisme, font également des ravages en Afrique. Sans nous lancer dans une compétition sur l’ampleur de l’hécatombe, je souligne que le sida tue trois millions de personnes par an dans le monde, dix mille par jour. Les personnes touchées sont condamnées. Le sida touche en priorité les 14-49 ans, soit la population qui crée la valeur ajoutée et participe au développement du pays, et il représente une véritable pandémie en Afrique, avec une croissance qui ruine toute politique de développement. Mais les aides du Fonds mondial ne sont pas entièrement déséquilibrées en faveur du sida. Nous faisons également des efforts dans d’autres cadres. Ainsi, nous participons à l’initiative qu’a lancée l’OMS sur la rougeole en Afrique et contribuons pour 15 millions au GAVI, l’alliance mondiale pour la vaccination. Dans le cadre du financement innovant du développement, nous sommes associés aux facilités financières internationales accordées pour les vaccins –  entre 80 et 100 millions par an seront consacrés à la vaccination.

J’étais à Haïti il y a quelques semaines. La coopération, qui avait été mise en sommeil en 2001, a été reprise en 2004. En Haïti comme ailleurs, nous donnons la priorité à l’Etat de droit, à la bonne gouvernance et à la sécurité, et donc au maintien de l’ordre, et notre effort de coopération ne se relâche pas. Ainsi, dix millions sont versés au titre du ministère des affaires étrangères par le biais de trois fonds de solidarité qui concernent l’aide éducative, l’aide alimentaire et l’aide budgétaire. A cela s’ajoutent dix millions de l’AFD au titre de la santé, de la lutte contre le sida, de l’adduction d’eau et d’électricité et de l’assainissement. Enfin, la coopération régionale s’exerce à partir des départements français des Amériques, et quatorze projets sont en cours, qui relèvent du fonds de coopération régionale. Je mentionnerai en particulier les relations entre les administrations haïtiennes concernées et le CHU de Fort-de-France, l’Institut Pasteur de Guyane en matière de paludisme, ainsi que les accords passés entre l’Université d’Antilles-Guyane et celle d’Haïti. J’espère bien sûr que la coopération se renforcera encore entre la France et Haïti, et surtout qu’Haïti retrouvera un climat de sérénité après les élections prévues le 27 décembre et l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement en février prochain. Comme vous l’avez souligné, l’Union européenne a débloqué 72 millions en faveur d’Haïti, dont 10 millions d’aide budgétaire, et nous mobilisons la communauté internationale en faveur de ce pays dans toutes les instances appropriées.

J’ai noté, au cours de ma visite aux Antilles, que l’immigration clandestine, qui affecte au premier chef la Guadeloupe, ne provient pas de l’ensemble du territoire d’Haïti mais principalement de la région des Nippes. Nous élaborons donc avec les autorités haïtiennes un projet de coopération ciblé vers cette région, afin de dissuader les départs. Je souhaite d’ailleurs procéder de même avec les autres régions de départ de l’immigration clandestine – Anjouan, aux Comores, par exemple, pour ce qui concerne l’immigration clandestine vers Mayotte –, car l’on traitera plus efficacement le problème en le prenant à la source.

M. Édouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères – Je vous remercie, Madame la ministre, de vos réponses précises. Nous allons prendre congé de vous, mais j’invite les membres des deux commissions à rester pour voter sur les crédits que vous nous avez présentés.

 

La séance de la commission élargie est levée à 11 heures 15.

 

 

 

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