ASSEMBLÉE NATIONALE

 15 février 2006

(17 heures 03)

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M O T I O N  D E  C E N S U R E

 

(déposée en application de l'article 49, alinéa 2, de la Constitution)

La présente motion de censure que défendent les députés socialistes, radicaux de gauche, Verts et divers gauche va bien au-delà d’une opposition au verrouillage de la délibération parlementaire par l’exécutif, à travers l’usage de l’article 49-3. Son ambition est de porter le débat sur l’avenir du modèle social devant les Français et d’éclairer les choix qui s’offrent à la Nation entre la conception d’une société de la précarité mise en œuvre par la majorité UMP et le projet de nouvelles sécurités proposé par la gauche.

 Nommé il y a huit mois pour sauver un pouvoir sanctionné à maintes reprises par le corps électoral depuis 2002, le Premier ministre a poursuivi et aggravé la politique de son prédécesseur. Paupérisation et endettement de l’État, flexibilité du travail et stagnation du pouvoir d’achat, inégalités fiscales et ponctions sociales. A la mauvaise gestion des comptes du pays, s’est ajoutée une volonté de rupture avec les principes sociaux de la République. Rupture jamais avouée, toujours habillée des manteaux de la modernité, désormais mise à jour à travers le démantèlement du code du travail.

 Le premier motif de censure du Gouvernement, ce sont ses résultats. La France va mal. Toujours plus mal. La croissance dépasse à peine 1,4 %, en 2005, au lieu des 2,5 % prévus. Le déficit du commerce extérieur atteint des niveaux record. L’investissement et la création d’emplois dans le secteur marchand demeurent désespérément atones. La pauvreté et l’exclusion gagnent sans cesse du terrain, comme le montre la progression régulière du nombre des Rmistes. Quant à la baisse statistique du chômage, dont se prévaut le Premier ministre, elle n’est nullement le fruit d’une stratégie volontariste. Elle est le sous-produit des radiations de chômeurs, de la vague de départs en retraites et du rétablissement des dispositifs d’emplois aidés.

Dans cette grave situation que traverse notre pays, la responsabilité du Gouvernement est engagée. Ses décisions ont découragé la demande des ménages et dégradé la compétitivité des entreprises. Mais il pousse le cynisme jusqu’à utiliser le droit social comme bouc émissaire de ses propres échecs. Toutes les dispositions, qui ont fondé des relations du travail équilibrées entre les entreprises et les salariés, sont l’une après l’autre abattues. Avec le « contrat nouvelle embauche » pour les entreprises de moins de 20 salariés et son frère jumeau, le « contrat première embauche » pour les jeunes de moins de 26 ans, le droit de licenciement devient pratiquement sans entraves. Période d’essai de deux ans, résiliation du contrat sans motivation, préavis et indemnités de rupture limitées, allocations chômage réduites. Ce bouleversement du droit du travail annonce l’acte de décès du contrat à durée indéterminée et place le salarié en état de sujétion permanente vis-à-vis de son employeur.

       Jamais les mots exprimés par un pouvoir n’ont été autant démentis par ses actes. Tel est le second motif de la motion de censure.

 Que veut dire l’égalité des chances quand le projet de loi qui porte ce nom défait l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, autorise l’apprentissage à 14 ans, légalise le travail de nuit à 15 ans, supprime les allocations familiales pour les familles en grande détresse ? Que veut dire la priorité éducative quand le Gouvernement « dépose le bilan » des zones d’éducation prioritaire et multiplie les filières d’exclusion ? Que veut dire « l’engagement national pour le logement » quand la seule réponse de la majorité UMP à l’envolée des prix et des loyers est de briser l’obligation faite aux communes de construire des logements sociaux. Que veut dire « l’immigration choisie » quand le projet du ministre de l’Intérieur multiplie les insécurités administratives, sociales et familiales pour les étrangers installés régulièrement sur notre territoire ? Que veut dire la croissance sociale, quand le déclassement individuel s’agrège au sentiment de déclin ? Que veut dire l’action, quand elle se confond à ce point avec la réaction ?

 Enfin, c’est la méthode même du Gouvernement, à travers le projet de CPE, qui appelle la condamnation, la plus ferme, de l’Assemblée nationale.

 Conçu seul et sans concertation par le Premier ministre, il a méconnu l’obligation de négociation avec les partenaires sociaux imposée par la loi sur le dialogue social. Présenté en urgence sous forme d’amendement, il a bafoué les recommandations du Conseil constitutionnel encadrant l’abus de procédures exceptionnelles. Adopté sans vote par le recours au 49-3, il a méprisé la délibération parlementaire.

 Ce pouvoir a une méthode : le coup d’éclat permanent qui dévoie les institutions. Il a une réalité : le désordre, le déclin et la division des Français. La crise des banlieues –unique dans sa durée et son intensité- mais aussi l’opposition massive du monde du travail et de la jeunesse témoignent de ces fractures toujours plus grandes. A la demande d’égalité répond la précarité. A l’exigence de justice répond l’arbitraire.

 Pour tous ces motifs, l’Assemblée nationale censure le Gouvernement en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution. C’est d’un nouveau Contrat social et politique dont la France a besoin.

 La présente motion de censure est appuyée par les 145 signatures suivantes :

 MM. Jean-Marc AYRAULT, François HOLLANDE, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Mme Martine BILLARD.

 Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Daniel BOISSERIE, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARRILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, François DOSÉ, René DOSIÈRE, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Louis DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Mme Odette DURIEZ, MM. Henri EMMANUELLI, Claude EVIN, Laurent FABIUS, Albert FACON, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Mme Geneviève GAILLARD, M. Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaëtan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Élisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, M. Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Éric JALTON, Serge JANQUIN, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Guy LENGAGNE, Mme Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Victorin LUREL, Louis-Joseph MANSCOUR, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, MM. Christian PAUL, Germinal PEIRO, Jean-Claude PEREZ, Mme Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mmes Ségolène ROYAL, Odile SAUGUES, MM. Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE.

 MM. Jean-Pierre DEFONTAINE, Paul GIACOBBI, Joël GIRAUD, Simon RENUCCI, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO.

 MM. Yves COCHET, Noël MAMÈRE.

 M. Emile ZUCCARELLI.