République
Française
CONGRÈS
DU PARLEMENT
COMPTE RENDU ANALYTIQUE
OFFICIEL
LUNDI 17 MARS
2003
PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis
DEBRÉ
Sommaire
OUVERTURE DU CONGRÈS
2
RÈGLEMENT
2
MANDAT D'ARRÊT EUROPÉEN
2
EXPLICATIONS DE VOTE
4
DÉCLARATION DE M. LE
PRÉSIDENT DU CONGRÈS 12
ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
DE LA RÉPUBLIQUE 12
EXPLICATIONS DE VOTE
16
CLÔTURE DE LA SESSION
DU CONGRÈS 31
La séance est ouverte
à quatorze heures trente.
OUVERTURE DU CONGRÈS
M. le Président - J'ai reçu
de Monsieur le Président de la République une lettre m'informant
qu'il avait décidé de soumettre deux projets de loi constitutionnelle
au Congrès, en vue de leur approbation définitive dans
les conditions prévues par l'article 89 de la Constitution.
Le décret portant convocation du Congrès
a été publié au Journal officiel du 28 février
2003.
Je constate que le Parlement est constitué
en Congrès.
RÈGLEMENT
Le Règlement adopté par le Congrès
le 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999
demeure, par décision du Bureau du Congrès, applicable
pour la présente réunion.
MANDAT
D'ARRÊT EUROPÉEN
L'ordre du jour appelle le vote sur le projet
de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen.
M. le Président - Lors de sa
réunion du 12 mars, le Bureau a décidé que
le scrutin aurait lieu dans les salles voisines de l'hémicycle.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice -
Construire l'Europe de la justice est l'une de nos ambitions. Les Français
l'appellent de leurs voeux ; ils en attendent des progrès
concrets.
Cette loi constitutionnelle est au coeur de ce projet
collectif. Son objet est d'habiliter le Parlement à prendre les
mesures nécessaires pour assurer la mise en oeuvre, sur le territoire
français, du mandat d'arrêt européen.
Il s'agit de la quatrième révision
constitutionnelle liée à la construction européenne,
après celles de 1992 pour le traité de Maastricht, de
1993 pour les accords de Schengen et de 1999 pour le traité d'Amsterdam. Mais,
pour la première fois, la révision sera dictée
par la transposition d'un acte de droit dérivé et non
par la ratification d'un traité.
Cette nouvelle révision intervient au moment
où la Convention sur l'avenir de l'Europe se penche sur l'élaboration
d'une constitution européenne et sur son contenu judiciaire.
Le mandat d'arrêt européen marquera une nouvelle étape
de la construction de l'espace judiciaire européen.
La construction d'une Europe de la justice repose sur le principe
fondamental de la confiance mutuelle. Pour répondre aux préoccupations
quotidiennes de ses habitants, elle doit d'abord faciliter l'accomplissement
des actes juridiques des particuliers comme des entreprises.
Pour atteindre cet objectif, une harmonisation des
droits et des procédures des pays est tentante, mais il n'est
pas sûr qu'elle soit réaliste, car les traditions juridiques
constituent un élément fort du patrimoine et de la culture
d'un pays et le risque de se perdre en négociations n'est pas
négligeable.
Au demeurant, si l'harmonisation est nécessaire,
par exemple lorsque les disparités entravent la capacité
à lutter contre certaines formes de criminalité, en dehors
de ces hypothèses, l'espace judiciaire commun sera plus sûrement
et plus rapidement construit par l'application du principe de reconnaissance
mutuelle des décisions de justice. Ce principe progresse :
après avoir été supprimée en matière
civile et commerciale, l'exequatur va l'être en matière
familiale. Aujourd'hui, un objectif nouveau est fixé : créer
un « titre exécutoire européen » unique
pour rendre plus fluides les relations entre acteurs économiques
et particuliers.
C'est à ce même objectif que participe
la création du mandat d'arrêt européen. Mais l'objectif
ne pourra être atteint que si un degré élevé
de confiance réciproque existe entre les justices des Etats membres.
Ainsi, pour garantir la fiabilité des systèmes judiciaires
des nouveaux pays adhérents une intense coopération a
été développée. D'une manière plus
générale, les exigences de qualité des justices
européennes doivent s'accroître.
C'est pour cela qu'a été proposée,
dans le cadre des discussions de la Convention, la création d'un
mécanisme permanent d'évaluation de la qualité
de la justice par des experts indépendants.
La confiance réciproque repose également
sur un socle commun de valeurs et de normes minimales défini
par la charte des droits fondamentaux et la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
qui prendra plus de force encore si l'Union y adhère en tant
que telle.
Mais pour construire à un rythme raisonnable l'espace commun
de justice, des évolutions institutionnelles doivent être
envisagées. La rédaction d'une constitution pour l'Europe
en est l'occasion. Dans une Europe élargie, il ne sera plus possible
d'attendre un consensus parfait entre Etats ; le respect du principe
de subsidiarité et de la souveraineté des législateurs
nationaux doit aller de pair avec un fonctionnement dynamique de l'Union.
En particulier, il est souhaitable que la spécificité
du conseil européen des affaires intérieures et de la
justice soit consacrée. Il serait fort malsain qu'en matière
pénale, toutes les enceintes de négociation européennes
puissent décider d'incriminer et de sanctionner sans cadre cohérent.
En revanche, il est nécessaire de rapprocher
le fonctionnement des institutions européennes dans le domaine
de la coopération et du droit pénal de ce qui se fait
déjà pour le droit civil. Pour imposer à tous les
textes répressifs indispensables et garantir une coopération
judiciaire dynamique, les décisions doivent pouvoir être
adoptées à la majorité qualifiée et non
plus à l'unanimité. Il faut oeuvrer pour que la Convention
sur l'avenir de l'Europe réunisse un large accord autour de ces
principes.
J'en viens à la présente révision
constitutionnelle.
La décision-cadre du 13 juin 2002 relative
au mandat d'arrêt a été le premier instrument destiné
à faciliter la reconnaissance des décisions de justice
en matière pénale entre les membres de l'Union. Touchant
aux décisions tendant à l'arrestation et à la remise
d'une personne poursuivie ou condamnée, ce texte s'inscrit pleinement
dans la volonté de renforcer la lutte contre toutes les formes
de criminalité.
Comme l'a rappelé le Président de
la République, le mandat d'arrêt européen « permettra
à l'Europe de lutter plus efficacement contre la délinquance
organisée et le terrorisme, en adaptant nos moyens d'action à
l'ouverture des frontières de l'Union ».
A cette fin, une procédure entièrement
judiciaire sera substituée à la procédure traditionnelle
d'extradition, qui implique une décision du pouvoir exécutif.
Surtout, dès lors que les conditions prévues par la décision-cadre
seront satisfaites, les décisions des autorités judiciaires
des Etats membres seront reconnues et exécutées sur tout
le territoire de l'Union. En particulier, le mandat donnera lieu à
remise, sans contrôle du principe de la double incrimination.
Le champ d'application du mandat d'arrêt européen
est large. Il s'applique aux faits punis par la loi de l'Etat d'émission
d'une peine ou mesure de sûreté privative de liberté
d'au moins un an ainsi qu'aux peines ou mesures de sûreté
prononcées d'une durée d'au moins quatre mois. Il couvre
une liste de trente-deux infractions correspondant à des faits
graves, généralement incriminés dans tous les Etats
membres.
L'exécution du mandat d'arrêt pourra
toutefois être refusée, par exemple s'agissant de l'amnistie
de l'infraction ou de l'irresponsabilité pénale à
raison de l'âge dans l'Etat d'exécution ou de la prescription
de l'action pénale ou de l'exercice de poursuites, ou encore
du cas où la personne condamnée est résident de
l'Etat d'exécution et où ce dernier s'engage à
exécuter la peine. Ces motifs de non-exécution sont limitativement
énumérés par la décision-cadre.
Or, il est en France un principe fondamental reconnu
par les lois de la République selon lequel l'Etat doit se réserver
le droit de refuser l'extradition pour les infractions qu'il considère
comme ayant un caractère politique. La décision-cadre
ne paraît pas pouvoir en assurer le respect.
Ce risque d'inconstitutionnalité a conduit
le Gouvernement à proposer ce projet de loi constitutionnelle,
qui a été voté par les deux assemblées les
17 décembre 2002 et 22 janvier 2003, dès son examen en
première lecture.
Le projet complète l'article 88-2 de notre
Constitution en habilitant le législateur à fixer les
règles relatives au mandat d'arrêt européen.
Il ne serait pas opportun que cette habilitation soit définie
par référence exclusive à la décision-cadre
du 13 juin 2002, susceptible d'évolution. Il est donc fait
renvoi plus globalement à la définition du mandat d'arrêt
européen donnée par les actes de droit européen
pris sur le fondement de l'actuel traité de l'Union européenne,
tel que modifié par le traité de Nice.
La décision-cadre du 13 juin 2002 entrera
en vigueur le 1er janvier 2004 et le Gouvernement proposera
prochainement au Parlement des dispositions adaptant notre code de procédure
pénale. Le mandat d'arrêt européen sera alors une
réalité et, grâce à votre vote d'aujourd'hui,
la construction de l'Europe de la justice aura franchi une étape
décisive (Applaudissements).
EXPLICATIONS
DE VOTE
M. le Président - Ce
matin, nous avons déterminé par tirage au sort l'ordre
de passage des intervenants. Chaque orateur dispose de cinq minutes.
Je remercie par avance chacun de bien vouloir respecter son temps de
parole.
M. Michel Vaxès - Avant d'entamer
cette discussion, Monsieur le Président du Congrès, je
demande solennellement, au nom des parlementaires communistes et républicains,
qu'une déclaration des parlementaires français en faveur
de la paix puisse nous être soumise. Alors que nous sommes aujourd'hui
réunis en Congrès, nous ne pouvons pas nous contenter
de voter sur le mandat d'arrêt européen et la décentralisation,
alors que les Etats-Unis s'apprêtent à déclencher
une guerre meurtrière, dans les heures qui viennent, dans le
plus grand mépris du droit international et des peuples qui,
majoritairement, se sont prononcés contre. Il ne nous reste que
peu de temps pour sauver la paix. Nous devons saisir cette occasion
pour soutenir solennellement la position de la France et nous opposer
à la fin de l'ONU programmée par les Américains
(Plusieurs applaudissements)
S'agissant de ce projet de loi constitutionnelle,
permettez-moi de regretter que la France ait accepté un acte
européen dérivé non conforme à notre Constitution.
Un outil de lutte plus efficace contre la criminalité
transnationale et le terrorisme est nécessaire, et nous ne négligeons
pas les difficultés rencontrées
par les Etats pour l'extradition d'une personne en raison de la
disparité des législations. Ce n'est donc pas le principe
d'un mandat d'arrêt européen que nous réfutons,
mais ses modalités, qui comportent de sérieux risques
de dérive et n'offrent pas de garanties suffisantes quant aux
droits des personnes.
Le mandat d'arrêt européen s'inscrit
dans l'espace commun de liberté, de sécurité et
de justice prévu par le traité d'Amsterdam. Le Conseil
européen de Tampere a décidé de bâtir cet
espace en donnant la priorité à la reconnaissance mutuelle
des décisions judiciaires, tout en laissant subsister les disparités
du droit pénal dans les Etats membres. En l'absence de toute
harmonisation, le recours à des procédures d'exception,
avec tous les risques qu'elles comportent pour les libertés publiques,
devient de fait incontournable.
Les dispositions du mandat d'arrêt européen
prévoient l'application quasi automatique des décisions
pénales des Etats membres à l'ensemble de l'espace de
l'Union, tout en supprimant les différents contrôles politiques
et judiciaires.
Ainsi le mandat, qui se substituera à l'extradition,
est-il un titre d'arrestation et de remise, transmis et traité
directement par les autorités judiciaires des pays concernés.
Il supprime donc la dimension politique et intergouvernementale du mécanisme
traditionnel de l'extradition. La quasi-automaticité de la remise
de la personne, dans des délais beaucoup plus courts,
implique également de réduire le contrôle judiciaire
à sa plus simple expression : il ne portera plus que sur
la régularité formelle du document.
Les risques sont d'autant plus grands que le mandat
vise aussi bien les infractions mineures que les infractions lourdes
et que les droits des personnes seront moins protégés
que dans les procédures actuelles.
Pratiquement, toutes les infractions de notre code
pénal seront concernées, et il ne sera plus possible d'opposer
la non-extradition des nationaux ou de refuser l'extradition pour des
raisons politiques, principes essentiels de notre droit.
Pour trente-deux infractions graves, passibles dans
l'Etat d'émission d'une peine d'au moins trois ans, le principe
de la double incrimination ne sera pas respecté. Or le caractère
générique de ces infractions soulève des interrogations
au regard des principes de légalité des peines et d'égalité
entre justiciables.
Concernant les droits des personnes, le mandat d'arrêt,
dans certains cas, renonce au principe de spécialité ;
le consentement donné à la remise est en principe irrévocable.
Si la personne poursuivie a droit à un conseil et un interprète,
leur présence n'est pas obligatoire dès le début
de la procédure ; enfin, le droit au recours contre la décision
d'exécution du mandat est éludé par renvoi aux
droits nationaux.
Bien plus, la décision-cadre repose sur la
confiance mutuelle des pays membres dans leurs systèmes judiciaires.
Or il n'existe aucun mécanisme indépendant et externe
d'évaluation de la qualité de la justice. Pourrait-on
dire avec certitude que le système pénal des Etats membres
remplit les critères du procès équitable ?
Le mandat d'arrêt européen, tel qu'il
est conçu, n'est donc pas le moyen le plus adéquat de
répondre à la criminalité transnationale et porte
atteinte aux libertés publiques. Il aurait dû suivre, et
non pas précéder, la construction d'un droit pénal
européen. C'est pourquoi nous voterons contre cette révision
constitutionnelle (Plusieurs applaudissements).
M. Xavier de Roux - Alors que l'Union
européenne se veut un espace de droit, les affaires ne manquent
pas qui illustrent les difficultés rencontrées en son
sein dans la mise en oeuvre de la procédure d'extradition des
personnes condamnées ou recherchées.
Depuis le Moyen Âge, cette procédure
est en effet un ensemble de règles complexes où le dernier
mot revient toujours au pouvoir politique, parce que c'est une question
de souveraineté. Mais peut-on vivre dans un grand espace de liberté
économique sans qu'existent un minimum d'organisation judiciaire
et une confiance mutuelle ?
Le traité d'Amsterdam, modifiant le traité de l'Union
européenne, a tenté de répondre partiellement à
cette question en améliorant l'extradition entre les Etats membres.
Le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999 a supprimé
la procédure formelle d'extradition pour les personnes condamnées
et a accéléré les procédures d'extradition
pour les personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction.
La nécessité de renforcer la lutte
contre le terrorisme a tout récemment conduit à l'adoption
d'une décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen
et aux remises entre Etats membres. Celle-ci propose de substituer
au système actuel de l'extradition, confiée à
l'autorité politique, une procédure exclusivement judiciaire,
sans intervention du pouvoir politique. Le mandat d'arrêt européen
pourra être utilisé lorsque la personne recherchée
aura fait l'objet soit d'une condamnation à une peine d'emprisonnement
ferme d'au moins quatre mois, soit de poursuites pénales pour
des faits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée minimale
d'un an dans l'Etat d'émission.
Le principe de la double incrimination, selon lequel
les faits fondant la poursuite ou la condamnation doivent être
constitutifs d'une infraction dans les deux Etats concernés,
est écarté pour une liste de trente-deux infractions.
Pour les autres infractions, la remise de la personne recherchée
pourra être subordonnée à la condition que les faits
en cause constituent simplement une infraction au regard de l'Etat membre.
La décision-cadre énumère limitativement les cas
où l'autorité judiciaire d'exécution devra refuser
l'exécution du mandat d'arrêt européen ; c'est
le cas en matière de prescription ou d'amnistie. Dans tous les
cas, le refus de l'Etat membre devra être motivé.
La décision-cadre prévoit enfin que
l'autorité judiciaire d'émission communiquera
le mandat d'arrêt européen à l'autorité
judiciaire d'exécution, le cas échéant avec l'aide
d'Interpol.
La personne, une fois arrêtée, sera
informée du contenu du mandat d'arrêt européen et
elle aura la possibilité de consentir à sa remise. Elle
aura le droit de bénéficier d'un interprète et
d'un avocat. Si elle consent à son extradition, la décision
définitive sur l'exécution devra intervenir dans un délai
minimum de dix jours ; si elle n'y consent pas, dans les soixante
jours suivant l'arrestation.
La France s'est engagée, avec cinq autres
Etats, à transposer cette directive dès le premier trimestre
2003. Le Gouvernement a sollicité l'avis du Conseil d'Etat, qui
a souligné que la décision-cadre ne contrevient pas dans
sa majorité à des principes ou règles d'ordre constitutionnel.
Pour lui, la possibilité d'extrader des nationaux ne soulèverait
pas de difficulté constitutionnelle, la pratique de refus suivie
jusqu'à présent par les autorités françaises
ne trouvant pas de fondement dans un principe de valeur constitutionnelle.
De même, la règle de l'existence d'une double incrimination
ne peut être, selon lui, regardée comme l'expression d'un
principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Le Conseil d'Etat a relevé enfin que, l'amnistie et la prescription
demeurant des motifs de non-exécution du mandat d'arrêt
européen, l'essentiel de la souveraineté nationale était
préservé, cependant que la décision-cadre satisfaisait
aux exigences du droit d'asile.
Dans ces conditions, pourquoi sommes-nous rassemblés
ici aujourd'hui ? Parce que la haute juridiction a considéré
que la décision-cadre n'assurait pas suffisamment le respect
du principe constitutionnel selon lequel l'Etat doit se réserver
le droit de refuser l'extradition demandée à raison d'infractions
ayant un caractère politique. Elle a donc estimé que la
transposition de la directive nécessitait une révision
constitutionnelle préalable.
Certes, on aurait pu objecter que le considérant
12 du préambule de la décision-cadre, conçu pour
sauvegarder la souveraineté nationale, ne fait pas de distinction
entre une remise demandée dans un but politique et celle qui
l'est à raison d'infractions politiques et que l'Etat d'exécution
peut donc toujours refuser une extradition fondée sur un motif
politique. On aurait également pu noter que l'interdiction de
toute extradition pour délit politique figure expressément
dans les constitutions de l'Espagne et de l'Italie, qui s'apprêtent
pourtant à transposer la décision-cadre sans avoir modifié
pour cela leur loi fondamentale. Toutefois, le risque juridique relevé
par le Conseil d'Etat ne peut être totalement écarté.
C'est pourquoi les deux assemblées de notre Parlement ont voté
ce projet de loi constitutionnelle en termes identiques (Nombreux
applaudissements).
M. Jacques Floch - La réunion
du Congrès en ce jour risque d'être mal comprise de nos
concitoyens si nous nous séparons sans avoir proclamé
solennellement notre attachement à la paix. Monsieur le Président,
ne pourriez-vous réunir le Bureau du Congrès de manière
à permettre cette déclaration ? (Plusieurs applaudissements)
L'espace judiciaire européen, dont l'acte
de naissance pourrait être daté du 29 avril 1959,
jour où fut paraphé par les chefs d'Etat signataires du
traité de Rome la première convention d'entraide judiciaire,
manque par trop de consistance aujourd'hui. Pourtant, l'Europe ne se
résume plus à un grand marché : elle a vocation
à devenir un espace de liberté, de sécurité,
de justice, de respect des droits de l'homme - un ensemble d'Etats
de droit, où les citoyens respectent la loi et les devoirs communs.
Au moment où les traités européens
organisent la libre circulation, comment pourrait-on continuer de s'en
remettre aux relations internationales classiques pour lutter contre
le crime organisé, contre les délits transfrontaliers
et contre le terrorisme ? Certes, nous pourrions nous appuyer sur
les conventions de 1977, sur la répression du terrorisme, ou
sur celle de 1995 relative à l'extradition, mais nous ne les
avons jamais ratifiées, de sorte que nous nous contentons de
la loi du 10 mars 1927, relative à l'extradition des étrangers.
Il était donc grand temps de venir à Versailles pour faire
faire, enfin, un grand pas à l'Europe judiciaire - celle
que réclamaient les signataires de l'appel de Genève,
le 1er octobre 1996, ou les auteurs de la déclaration
d'Avignon d'octobre 1998 qui, à l'initiative d'Elisabeth Guigou,
souhaitaient placer la justice au coeur de la construction européenne.
Des progrès ont été enregistrés
grâce aux travaux de la Convention pour l'avenir de l'Europe :
ils ont trait à la reconnaissance mutuelle de nos systèmes
judiciaires, qu'ils soient issus de la Common Law ou des
droits romain ou germanique, et à l'acceptation réciproque
de nos modes d'obtention des preuves. Les discussions furent rudes et
sans complaisance, comme pourraient l'attester les sénateurs
Haenel et Badinter, mais la majorité de la Convention a compris
que la lutte contre le grand banditisme, contre les trafics et contre
le blanchiment d'argent sale passait par de tels accords.
Le mandat d'arrêt européen relève
de la même conception. Certes, il faudra que la loi ordinaire
d'application précise les modalités selon lesquelles la
France mettra en oeuvre ce grand accord européen, mais les députés
socialistes de l'Assemblée voteront cette réforme constitutionnelle.
N'est-ce pas Madame Lebranchu qui, pour la France, a mené à
bien les négociations de Tampere, les 15 et 16 octobre 1999 ?
Le Président de la République avait alors approuvé
les termes de cette négociation, déclarant que la mandat
d'arrêt européen permettrait « de lutter plus
efficacement contre la délinquance organisée et contre
le terrorisme, en adaptant nos moyens d'action à l'ouverture
des frontières ». Cette remarque bienvenue nous permet
de relever les grands défis de la construction européenne
en matière de justice et de sécurité. Approuvons
donc cette révision constitutionnelle ! (Nombreux applaudissements)
M. Xavier de Villepin -
Il ne peut y avoir de justice européenne sans une Europe
forte, fondée sur des liens de confiance étroite entre
les Etats membres. Mais, réciproquement, une Europe ne peut être
forte sans justice européenne. Si un criminel peut, dans un Etat
membre, se protéger, ne serait-ce que provisoirement, de la justice
d'un autre Etat membre, que vaudrait l'Union ?
A l'heure où se multiplient les arrestations
dans les milieux terroristes, la nécessité de coordonner
les actions judiciaires au niveau européen est devenue patente.
Les opinions publiques, inquiètes depuis les attentats du 11
septembre, imposent aux gouvernements une obligation de résultat.
A l'internationalisation du crime et de la terreur,
la réponse de la justice doit être, sinon internationale,
du moins transnationale. Comment admettre que le juge se heurte aux
frontières quand les criminels et les terroristes se jouent de
celles-ci ? Là est la justification du mandat d'arrêt
européen. Il concrétise, dans le domaine pénal,
le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice,
il est le premier pas vers cet espace de justice et de sécurité
que préconise ardemment le Président Jacques Chirac, qui,
à Strasbourg, le 6 mars 2002, suggérait même
la création d'une « police commune chargée de
poursuivre les crimes au niveau européen ».
Le caractère transnational de ce mandat va
permettre aux autorités judiciaires et policières européennes
d'agir plus efficacement - contre le terrorisme, bien sûr, mais
également contre les trafics d'armes, de drogues et d'êtres
humains.
C'est pour toutes ces raisons que le groupe UMP
du Sénat adoptera avec conviction cette révision constitutionnelle
(Applaudissements).
M. Robert Bret - Après mon collègue
Vaxès, je ne puis que déplorer le décalage entre
notre ordre du jour et les événements qui se précipitent
au Moyen-Orient. Notre Parlement s'honorerait de prendre solennellement
position en cette heure (Quelques applaudissements).
Les sénateurs communistes demeurent opposés
à cette réforme constitutionnelle, visant à autoriser
la mise en oeuvre, à partir du 1er janvier prochain,
de la décision-cadre adoptée par l'Union à la suite
des attentats du 11 septembre 2001. Cet événement
tragique a déclenché une accélération des
procédures répressives au sein de l'Union. Alors que la
ratification des textes simplifiant les procédures d'extradition
se fait attendre depuis de longues années, il n'a fallu que quelques
mois pour élaborer un arsenal juridique considérable,
pour instituer ce mandat d'arrêt européen et pour tenter
une définition du terrorisme ! Or, conçus pour répondre
à la menace terroriste, ces nouveaux instruments ont aussi vocation
à s'appliquer largement, ce qui expose à bien des dérives.
Devant la montée du terrorisme et l'internationalisation
de la criminalité, il s'impose sans nul doute de renforcer l'efficacité
des procédures transnationales. On ne saurait non plus ignorer
le cas de criminels qui utilisent la subtilité des procédures
d'extradition pour échapper à la justice. Mais l'inquiétude
ne peut être le moteur de notre action. N'est-ce pas, d'ailleurs,
ce que nous tentons de faire comprendre outre-Atlantique ? Comment
en effet ne pas voir dans la volonté américaine de « guerre
préventive » le réflexe viscéral d'un
pays touché dans son corps et son âme par les attentats
récents ? Comment ne pas s'interroger sur le refus de faire
bénéficier les détenus de Guantanamo des droits
constitutionnels américains ?
Les craintes de dérive ne sont pas de pures vues de l'esprit
et nous déplorons ne pouvoir les mentionner sans être accusés
de faciliter la vie des criminels.
Lors de la rédaction des décisions-cadres,
nous avions eu l'occasion de dire combien l'option choisie était
lourde de sens : plutôt qu'une harmonisation des droits pénaux
et un renforcement des organes judiciaires au niveau européen,
on a privilégié le développement de procédures
plus répressives et plus expéditives, si bien que le mandat
d'arrêt européen aboutit à la remise quasi automatique
de la personne à l'Etat requérant, avec un minimum de
contrôles et de garanties.
La suppression de la nécessité de
la double incrimination contribue par ailleurs à avaliser les
lois les plus répressives de chacun des Etats tout en laissant
subsister de grandes disparités entre leur droit pénal
respectif.
Or, de nombreux pays européens tendent à
criminaliser certains délits et appréhendent largement
la définition de « terrorisme ». Des actes
politiques peuvent ainsi être incriminés, sans même
que les Etats requis puissent invoquer cette circonstance pour s'opposer
à l'extradition.
C'est ce qui a motivé les réserves
du Conseil d'Etat.
Plus grave encore, les luttes sociales sont directement
menacées. On se rappellera, à ce sujet, que Mme Thatcher
a eu, en son temps, la tentation d'appliquer la loi antiterroriste à
la grève des mineurs.
De même, au niveau européen, le Sommet
de Séville a marqué une crispation en matière d'asile
et d'immigration, qui va de pair avec l'amoindrissement des libertés
individuelles - je pense à la protection vacillante des données
personnelles par le système informatique Schengen.
La sécurité doit aller de pair avec
le respect des droits : le ministre de l'intérieur l'admet
lui-même, qui s'alarme des conditions de la garde à vue,
déjà vigoureusement dénoncées à l'occasion
du vote de la loi renforçant la présomption d'innocence.
Je regrette que cet impératif n'ait pas été davantage
pris en compte lors de la présente révision constitutionnelle.
Pour ces raisons, les sénateurs communistes
ne voteront pas ce projet de loi constitutionnelle (Quelques applaudissements).
Mme Michèle André - Si cette
révision constitutionnelle suscite de légitimes interrogations
sur les rapports entre le droit constitutionnel et le droit communautaire
dérivé, elle nous donne l'occasion d'évoquer l'espace
judiciaire européen que nous souhaitons construire et de réaffirmer
combien nous tenons à l'approfondir.
La révision a pour objet de mettre en oeuvre
le mandat d'arrêt européen sur le territoire français,
conformément à la décision-cadre du 13 juin
2002. Il s'agit d'une étape essentielle de la construction d'un
espace européen de liberté, de sécurité
et de justice indispensable à la lutte contre une criminalité
organisée transfrontalière qui représente aujourd'hui
une part croissante de la délinquance. Comme le rappelait le
conseil des ministres « justice et affaires intérieures »
en mars 2000, « la sophistication croissante de nombreuses
organisations criminelles leur permet, en exploitant les anomalies des
différents systèmes, de tirer avantage des lacunes de
la loi et des différences juridiques entre les Etats membres ».
Face à de tels fléaux, une stratégie coordonnée
s'impose.
L'adoption du mandat d'arrêt européen
s'inscrit dans une évolution que les attentats de septembre 2001
ont singulièrement accélérée. Cette décision-cadre
constitue le premier texte d'envergure fondé sur la reconnaissance
mutuelle des décisions de justice pénale. Le mandat d'arrêt
européen réforme en profondeur le droit de l'extradition
et renforce la territorialité européenne par la remise
automatique d'autorité judiciaire à autorité judiciaire,
l'abandon de la double incrimination pour les infractions les plus graves
et la remise des ressortissants nationaux.
Mais il ne doit s'agir que d'une étape. La
définition d'un espace judiciaire commun digne de ce nom demande
que les efforts se multiplient, tant pour rapprocher les législations
que pour développer les actions judiciaire et policière
opérationnelles. En particulier, nous ne pourrons faire l'économie
d'une harmonisation des règles d'admissibilité de la preuve,
voire, à terme, de l'adoption d'un code de procédure pénale
commun. Pourtant, force est de constater que les propositions soumises
à la Convention européenne par le groupe de travail « liberté,
sécurité, justice » sont peu ambitieuses en
matière de coopération judiciaire et policière
pénale, et qu'il n'est guère question que de « coordination
renforcée ».
Et alors que les Etats européens ont montré
leur ambition avec le mandat d'arrêt et la création d'Eurojust,
la proposition d'instituer un procureur européen chargé
de poursuivre toute atteinte aux intérêts financiers de
l'Union ne fait pas l'unanimité.
Or, Eurojust ne doit pas nous priver d'un parquet européen.
La coordination des poursuites et des enquêtes relatives aux infractions
impliquant plusieurs Etats est nécessaire pour qu'aucun sanctuaire
ne subsiste sur le sol de l'Union. Il est du devoir de la Convention
d'inclure la création d'un parquet européen dans son projet
de constitution. Le vote de la révision constitutionnelle exprime
la volonté des socialistes de créer un espace de liberté,
de sécurité et de justice. Cette même volonté
doit s'exprimer avec force au-delà du mandat d'arrêt européen,
et soutenir sans plus attendre la création d'un parquet européen
(Applaudissements).
M. Pierre Albertini - La construction
d'une Europe judiciaire est une nécessité. Le nécessaire
respect du droit doit inciter l'Union européenne à se
doter de moyens globaux d'investigation et de répression pour
lutter plus efficacement contre des criminels qui se jouent des frontières.
Dès 1977, le Président Giscard d'Estaing souhaitait voir
instituer l'extradition automatique. L'idée a cheminé
lentement, trop lentement, puisqu'il a fallu attendre 1992 pour que
le traité de Maastricht reconnaisse « le troisième
pilier ». Des conventions ont ensuite été signées,
en 1995 et en 1996, mais sans que de réels progrès soient
accomplis, et c'est le traité d'Amsterdam qui a le mieux défini
les objectifs à atteindre : réprimer la criminalité
organisée, le terrorisme et le trafic des personnes et des stupéfiants,
notamment par l'extradition. Les attentats du 11 septembre 2001 ont
renforcé la prise de conscience qu'une solidarité plus
active était nécessaire au sein de l'Union européenne,
et la décision-cadre du 13 juin 2002 marque un progrès
incontestable en ce qu'elle supprime tout risque de protection douteuse
et qu'elle prévoit l'émission d'un mandat d'arrêt
européen pour une trentaine d'infractions.
Le risque de contradiction avec notre droit décelé
par le Conseil d'Etat nous conduit à une révision constitutionnelle
dont le groupe UDF approuve l'inspiration. L'Union européenne
doit en effet se doter de règles communes, fondées sur
des valeurs partagées, et créer cet espace de liberté,
de sécurité et de justice que chaque Européen appelle
de ses voeux, car c'est bien une certaine conception de la personne qu'il
faut préserver.
Pour autant, il ne s'agit aujourd'hui que d'une
première approche, le texte n'ayant qu'un objet réduit,
et une formule plus générale aurait évité
l'impressionnisme juridique auquel nous nous condamnons nous-mêmes.
La question qui nous préoccupe est en effet bien plus vaste que
le seul mandat d'arrêt européen : il s'agit de définir
l'Europe de demain. Comment la voulons-nous ? Le groupe UDF milite
en faveur d'une Union européenne plus présente en matière
de défense, de politique extérieure et de justice. Cela
ne passe certes pas par une uniformisation du droit et des procédures
pénales, qui serait contraire aux traditions des Etats membres,
mais par une harmonisation garantissant mieux la primauté du
droit. Il est grand temps de constituer cet espace politique où
la justice et l'équité sociale auront toute leur place
et fonderont cette communauté de citoyens que nous appelons de
nos voeux et que les seuls échanges commerciaux ne susciteront
pas (Applaudissements).
M. Pierre Fauchon - Comment ne
pas se féliciter de la décision-cadre ? Il faut saluer
la suppression de la nécessité d'une double incrimination
et le fait que la procédure, parce qu'elle sera entièrement
contenue dans un cadre judiciaire, échappera à des influences
hétérogènes. Il n'empêche que bien des interrogations
subsistent, notamment en raison de la disparité des législations
nationales.
S'agissant, précisément, des perspectives
européennes futures en matière de droit pénal et,
notamment, de lutte contre la criminalité organisée, le
groupe de l'Union centriste est favorable au renforcement de l'Europe
de la justice. Un espace judiciaire cohérent suppose l'harmonisation
des incriminations et la mise en commun des moyens d'investigation ;
autrement dit, Europol doit devenir une véritable police européenne.
Les poursuites seront communautarisées par la création
d'un parquet central spécialisé et par l'adoption de règles
communes de procédure. Enfin, communautarisation des contrôles
et des garanties exigées par le respect des droits de l'homme,
ce qui suppose l'extension des pouvoirs de la CJCE.
En dépit des nombreuses impulsions données
par le Conseil européen, peu de progrès ont été
accomplis en ce domaine où l'on reste le plus souvent au stade
de la coopération. Si améliorée qu'on l'imagine,
la coopération ne saurait atteindre le niveau d'efficacité
permettant de rattraper le retard qui ne cesse de se creuser. Si on
avance pas à pas, la criminalité, elle, avance à
grands pas. A ce régime, nous serons toujours en retard d'une
guerre ! (Murmures) Qu'il n'y ait pas d'équivoque
dans mon propos... On a cru pouvoir surmonter ces difficultés
en proclamant le principe général de la reconnaissance
mutuelle, en vertu duquel toute décision d'une instance judiciaire
devrait être reçue par tous les Etats membres. On se doute
que la reconnaissance mutuelle ne peut avoir dans l'immédiat
que valeur de principe, sans être en lui-même porteur d'une
véritable efficacité.
Selon les échos qui nous parviennent de la
Convention européenne sur l'avenir de l'Europe, le groupe de
travail qui réfléchit à ces problèmes reste
empêtré dans les mécanismes intergouvernementaux,
en particulier pour tout ce qui relève de l'opérationnel,
et ce en dépit des efforts de nos amis Haenel, Lequiller, Badinter
et Floch. Il faut espérer que la Convention reprendra cette réflexion
à la base et qu'elle prendra conscience que, dans la lutte contre
une criminalité grandissante, ce ne sont pas seulement des intérêts
financiers qui sont en jeu mais le sort d'êtres humains, traités
en esclaves ou exploités, pour ne pas parler du terrorisme !
Le temps du palabre et des préalables est
révolu, sauf à admettre qu'il est plus urgent de cultiver
nos particularismes que de lutter contre le crime ! En décembre
2002, la France et l'Allemagne ont adopté des propositions communes
novatrices qui tranchent avec la timidité du groupe spécial
de la Convention sur l'avenir de l'Europe.
A la lumière des précédentes
délibérations de nos assemblées comme du présent
débat, il est permis de dire que le Parlement français
est animé de la même lucidité que son gouvernement
et de la même résolution. Le Gouvernement peut poursuivre
sa marche en avant ; il est assuré de notre soutien, et
spécialement de celui du groupe de l'Union centriste du Sénat
(Nombreux applaudissements).
M. Nicolas Alfonsi - Alors que l'impératif
de la construction européenne a contraint les bastions de la
souveraineté nationale à rendre les armes les uns après
les autres, des îlots de résistance demeurent. Tel est
le cas des questions de justice, de police, d'immigration et d'asile.
Depuis l'appel en faveur d'un espace judiciaire
européen lancé par la France en 1977, les citoyens assistent
à une course de lenteur en ces domaines, que rien ne justifie
sinon une certaine forme de « nationalisme juridique et policier. »
De l'affaire Rezala à l'affaire Henry, les insuffisances
de la coopération judiciaire en matière d'extradition
ont frappé les opinions publiques. Comment expliquer que des
terroristes échappent à la justice en bénéficiant
de frontières pénales alors qu'il n'existe plus de frontières
au sein de l'espace européen ? Et comment justifier que
des pays ouverts pour les criminels restent fermés pour les policiers
qui les poursuivent ? Comment, enfin, expliquer aux petites et
moyennes entreprises qui n'ont pas les moyens de recourir à l'arbitrage
qu'elles se heurteront à des obstacles juridiques dans un espace
qui n'a plus de barrières commerciales ? C'est toute la
crédibilité de la construction communautaire qui est en
jeu !
Si les traités de Maastricht et d'Amsterdam
ont ouvert des perspectives, la coopération judiciaire est restée
marquée du sceau de la défiance mutuelle, chaque Etat
demeurant persuadé que son système est le plus civilisé.
Le Conseil européen de Tampere a certes fait
du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice
« la pierre angulaire de la coopération judiciaire
en matière tant civile que pénale au sein de l'Union »,
mais cette véritable révolution n'a pas eu de traductions
concrètes. Récemment, nombre de magistrats déploraient
encore des manifestations d'un protectionnisme dépassé
en matière policière et judiciaire. Au reste, ils n'ont
pas attendu les décisions politiques pour collaborer ! Il
aura fallu les événements du 11 septembre 2001 pour convaincre
les Etats européens d'en finir avec ces combats d'arrière-garde.
On a pris conscience soudain que les frontières intérieures
de l'Union n'étaient plus des « frontières d'efficacité »,
pour reprendre l'expression heureuse du commissaire Antonio Vitorino.
Sous la menace terroriste, l'opinion a enfin compris que la défense
de valeurs communes suppose une confiance forte en leurs systèmes
juridiques respectifs.
La décision-cadre relative au mandat d'arrêt
européen, adoptée le 13 juin 2002, est le premier instrument
qui met en oeuvre ce principe.
Les membres du groupe du RDSE se félicitent
de ces évolutions. Le mandat d'arrêt européen constitue
un progrès majeur. Son large champ d'application, l'abandon conditionné
de la double incrimination, l'extradition des nationaux, ainsi que la
judiciarisation de la procédure, représentent d'incontestables
avancées au regard du droit extraditionnel classique. Puisse-t-il
permettre d'exaucer le voeu formé en 1764 par Cesare Beccaria
« de ne trouver aucun lieu sur la terre où le crime
puisse demeurer impuni ».
M. Christian Poncelet, Président
du Sénat - Très bien !
M. Nicolas Alfonsi - La création
d'un espace judiciaire appelle, à brève échéance,
d'autres innovations telles que l'instauration d'un parquet européen
ou l'attribution de vraies compétences opérationnelles
à Europol. À cet égard, nous ne pouvons que regretter
la timidité des travaux de la Convention.
Vouloir tout harmoniser est évidemment illusoire,
voire prométhéen. L'espace judiciaire européen,
en gestation, ne se conçoit pas comme la renaissance d'un jus
commune, fondé sur la subordination de tous les systèmes
aux normes venues d'une seule tradition - celle du droit romain ou celle
de la Common Law - mais comme la coordination progressive de
toutes les traditions juridiques nationales autour de principes communs.
Le groupe RDSE souhaite que la décision-cadre
relative au mandat d'arrêt européen soit transposée
dans les plus brefs délais. Conscients que la construction communautaire
est une tâche de longue haleine, ses membres, Européens
convaincus, soutiennent unanimement ce projet de loi constitutionnelle
(Nombreux applaudissements).
M. le Président - Nous en avons
terminé avec les explications de vote. Je vais maintenant mettre
aux voix le projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt
européen.
Le scrutin est ouvert.
La séance, suspendue
à 15 heures 40, est reprise à 16 heures 35.
M. le Président - Voici le résultat du scrutin
sur le projet de loi constitutionnelle :
Nombre de votants : 880
Nombre de suffrages exprimés : 875
Majorité requise pour l'adoption
du projet de loi constitutionnelle : 525
Pour : 826
Contre : 49
Le Congrès a adopté le projet de loi
constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen, approuvé
à la majorité des trois cinquièmes des suffrages
exprimés.
Le texte sera transmis à M. le Président
de la République.
(Applaudissements sur de très nombreux
bancs).
DÉCLARATION
DE M. LE PRÉSIDENT DU CONGRÈS
M. le Président - A l'heure où
nous sommes réunis en Congrès, et alors que la menace
d'un conflit armé en Irak est plus que jamais présente
dans nos esprits, je souhaite, en tant que Président du Congrès,
en accord avec le Président du Sénat, et en votre nom,
réaffirmer la nécessité absolue d'un désarmement
de l'Irak par des voies pacifiques et sous l'égide des Nations
unies, comme le Président de la République l'a souligné
à de nombreuses reprises (Applaudissements prolongés
sur de très nombreux bancs).
ORGANISATION
DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
L'ordre du jour appelle le vote sur le projet
de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée
de la République
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre -
Je salue, Monsieur le Président du Congrès, votre initiative
d'adresser, en ce jour, un message de paix pour soutenir les initiatives
diplomatiques de notre pays. Il importe, en cette situation troublée,
que le message de la France puisse être entendu jusqu'au dernier
moment. Nous pensons en effet qu'il existe toujours une autre solution
que la guerre. Et l'une des meilleures façons de se battre pour
la paix est de faire en sorte que notre calendrier national ne soit
pas soumis aux exigences extérieures.
J'ai l'honneur, au nom du Président de la République,
de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle
relative à l'organisation décentralisée de la République.
Dans ce cadre solennel du Congrès, devant l'ensemble de la représentation
nationale, je suis heureux, quinze jours après avoir annoncé
les orientations du Gouvernement à Rouen, de vous proposer la
modification de notre Constitution, modification qui constitue le socle
de notre réforme.
J'avais annoncé en octobre que le Gouvernement
se donnait cent cinquante jours pour engager de façon irréversible
l'acte II de la décentralisation, en modifiant la Constitution,
en organisant un débat, lui-même décentralisé,
et en décidant des transferts de compétence. A plusieurs
reprises il m'a été demandé, avant le vote de la
réforme institutionnelle, de préciser notre projet en
matière de décentralisation. Celui-ci est maintenant précis
et public. Moins de cinq mois après notre engagement, la phase
constitutionnelle s'achève au moment précis de la synthèse
du débat et du début du travail sur la loi d'expérimentation
et de transfert des compétences.
La Constitution, c'est la loi des lois, la colonne
vertébrale de notre « vivre ensemble », de
notre pacte républicain : il appartient au Constituant de
la faire vivre. Nous ne voulons pas la VIe République.
La Ve République du général de Gaulle
et de Michel Debré a donné à notre pays la stabilité
institutionnelle qu'il a si longtemps recherché (Applaudissements
sur de nombreux bancs). Mais nous pensons aussi que ce texte de
1958, proche de celui de 1946 en ce qui concerne les collectivités
locales, a besoin d'évoluer et peut, maintenant que l'autorité
de l'Etat est solidement établie, être complété
pour renforcer la démocratie locale.
Maurras, polémiquant avec Clemenceau au tout
début du siècle dernier, disait que « la République
ne peut décentraliser », et se réjouissait de
cet aveu de faiblesse. Je suis aujourd'hui convaincu du contraire :
notre République peut se décentraliser. J'ai même
la conviction qu'elle sera d'autant plus forte qu'elle sera décentralisée.
Une République décentralisée sera une République
humanisée.
« La France vient du fond des âges,
elle vit, les siècles l'appellent ». Cette mission
historique, exprimée et vécue par le général
de Gaulle, nous engage. La période que nous vivons donne du sens
à cet appel. Il faut aujourd'hui alléger la France de
ses lourdeurs pour qu'elle puisse toujours exprimer ses valeurs.
N'oublions pas les doutes du printemps dernier,
ces Français sceptiques sur le fonctionnement de la République,
se réfugiant dans l'abstention ou, pis, dans l'exaspération,
ces Français qui reprochent à l'action politique, publique,
administrative, une certaine impuissance.
Les Français veulent que la proximité
permette de gérer la complexité. Ils veulent que la responsabilité
permette de rétablir le lien qui se distend entre les élus
et les citoyens. Ils aiment l'Etat, ils aiment leur maire, il aiment
tout ce qui met du lien dans leur vie, de la cohésion dans la
société, mais ils veulent un Etat et une administration
efficaces.
Dans une période difficile, le Gouvernement
a cherché à répondre aux aspirations politiques
des Français. Les Français avaient d'abord exprimé
avec force leur besoin d'ordre. Il fallait que la République
soit à nouveau maître chez elle, qu'elle rétablisse
ses valeurs. Telle a été la priorité du Gouvernement
pendant le premier semestre de son action. Nous avons rétabli
l'autorité républicaine, renforcé la justice, la
police, l'armée. Et les résultats, dix mois après,
sont là. La délinquance, l'insécurité reculent.
La justice est engagée dans un vaste mouvement de réforme.
Et la France est d'autant plus forte, après le vote de la loi
de programmation militaire, pour défendre la paix
dans le monde qu'elle n'a pas fait le choix du pacifisme.
Mais les Français, s'ils ont besoin d'ordre,
ont aussi besoin de mouvement. Ils savent que l'immobilisme est la plus
grande menace pour notre pacte républicain, qu'il affaiblit l'Etat,
notre démocratie sociale, notre système de retraite, notre
système de santé, nos entreprises publiques. Sous l'impulsion
du Président de la République, nous voulons donc être,
aujourd'hui, l'expression du mouvement.
Pour engager ce mouvement, la révision constitutionnelle
que je vous demande de ratifier aujourd'hui, conformément à
l'article 89 de la Constitution, va nous offrir des leviers majeurs
de réforme.
Le premier de ces leviers, c'est le principe de
subsidiarité et de proximité. L'urgence est de définir
le niveau pertinent de l'exercice des responsabilités. La République
reste unitaire, elle n'est pas fédérale, mais elle doit
adapter, dans notre ordre institutionnel, le principe de subsidiarité.
Ce principe doit nous guider dans la juste répartition des compétences :
« les collectivités territoriales ont vocation à
prendre les décisions pour l'ensemble des compétences
qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon » ;
« l'organisation de la République est décentralisée ».
Ces principes doivent figurer dans notre Constitution.
En effet, cette dernière n'est pas seulement
un outil pour les juristes, c'est aussi ce texte qui réunit les
valeurs de la République. C'est pour cette raison que notre loi
fondamentale affirme la dimension sociale de la République, exprime
notre devise, affiche notre drapeau et protège notre langue.
Je crois le moment venu d'ajouter à ces valeurs la recherche
de la proximité. Le cadre national n'est pas remis en cause par
le lien local ; au contraire, les libertés locales renforcent
le lien national, la démocratie de proximité renforce
la République.
Cet article aura bel et bien un effet juridique :
il empêchera de recentraliser les compétences bien exercées
au niveau local. Et il empêchera de transférer des compétences
aux collectivités tout en les privant de toute marge de manoeuvre
et en corsetant leur action par des normes trop tatillonnes.
Le deuxième levier de cette réforme,
c'est le droit à l'expérimentation. La Constitution le
reconnaîtra tant à l'Etat qu'aux collectivités locales.
Nous avons trop tendance à privilégier les grandes réformes,
les grands plans, les grandes lois, au risque d'échouer pour
avoir voulu transformer trop rapidement, trop brutalement notre corps
social. Il faut être plus pragmatique, accepter l'idée
que des expérimentations permettent à certaines collectivités
d'aller plus vite que d'autres, pour évaluer, ensemble, de nouvelles
solutions.
Sur ce point, une révision de la Constitution
était nécessaire, pour ouvrir, mais aussi pour encadrer
la possibilité de déroger temporairement au principe d'égalité.
Le Parlement restera le garant du processus. Il autorisera, en amont,
l'expérimentation ; il l'évaluera en aval. Et il
n'y aura pas d'expérimentation lorsque seront en cause « les
conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou
d'un droit constitutionnellement garanti ».
Autoriser trois agglomérations, trois communautés
urbaines à mettre en oeuvre une politique du logement en expérimentant
de nouvelles règles d'emploi des PLA, des PALULOS ; autoriser
deux régions à s'investir dans une politique commune de
santé ; tester, grandeur nature, de nouveaux dispositifs
d'aménagement du territoire ou d'urbanisme : je ne vois
là rien qui menace l'unité de la République. Je
suis même sûr que ces expérimentations seront fécondes
et qu'elles nous permettront de mieux préparer les réformes
dont notre pays a besoin.
Troisième levier de changement : le principe de participation
populaire, le développement de la démocratie locale. Nous
avons, là aussi, besoin de modifier la Constitution pour favoriser
la participation des citoyens aux décisions locales. Ainsi le
nouvel article 72-1 créera trois outils nouveaux de démocratie
locale.
En premier lieu, le droit de pétition permettra
aux électeurs de saisir une assemblée délibérante.
En deuxième lieu, grâce au référendum local,
les élus pourront décider de soumettre un projet de délibération
qui relève de leur compétence à la décision
de leurs électeurs. Enfin, par la consultation locale, le législateur
pourra interroger les électeurs avant de créer ou de modifier
un statut particulier ou les limites d'une collectivité.
Ces trois outils permettront de resserrer le lien
entre les élus et les électeurs, de renforcer la démocratie
participative, gage d'une décentralisation durable. D'ici un
an, j'en suis sûr, plusieurs référendums territoriaux
auront eu lieu.
Nous avons aussi voulu tracer un nouveau cadre financier
pour garantir l'autonomie financière et développer la
péréquation. Comme le Président de la République
s'y était engagé, nous avons engagé la rénovation
du cadre financier de l'action des collectivités
territoriales. La Constitution fixera donc désormais quatre
principes.
Le premier est celui d'autonomie financière :
les collectivités « disposent librement de leurs ressources,
dans les conditions fixées par la loi ».
Le deuxième, très important, est celui
de juste compensation : les transferts seront financés loyalement.
Chaque transfert de compétence s'accompagnera du transfert des
moyens humains et financiers correspondants. Nous voulons sincèrement
rétablir la confiance entre l'Etat et les collectivités.
Le juge constitutionnel empêchera les décentralisations
de charges qui n'auront pas été préalablement financées
(Applaudissements sur plusieurs bancs).
Troisième principe : l'autonomie fiscale.
La part des ressources propres des collectivités dans le total
de leurs ressources devra être « déterminante ».
En privilégiant le transfert des recettes
fiscales sur celui des dotations, nous responsabiliserons les élus,
qui pourront rendre des comptes aux contribuables sur les dépenses
financées par l'argent public. Des élus dotés d'une
liberté d'initiative, mais qui rendent des comptes aux électeurs,
voilà notre conception de la décentralisation. Et je suis
sûr qu'ainsi la pression fiscale baissera ! (Exclamations
et rires sur plusieurs bancs). Oui, parce qu'elle est fondée
sur la responsabilité, cette réforme est faite pour que
la pression fiscale diminue (Applaudissements sur de nombreux bancs).
Enfin, nous inscrivons dans la Constitution le principe
de péréquation. Il reviendra au Parlement de corriger
les inégalités de ressources, mais la République
des proximités ne sera pas la République des inégalités.
Ce principe, chacun y est attaché ; il est très important
pour l'équilibre politique et pour l'architecture administrative
que nous voulons.
Sur tous ces points, nous prenons les engagements
les plus formels, nous les
inscrivons dans la Constitution et nous acceptons de nous placer
sous le contrôle du juge constitutionnel (Applaudissements
sur de nombreux bancs).
Dernier grand levier de réforme, le droit
à la spécificité, c'est-à-dire la possibilité
d'adapter le statut des collectivités, en métropole et
outre-mer.
En métropole, la possibilité de créer
des collectivités à statut particulier en lieu et place
des collectivités de droit commun permettra d'apporter des réponses
appropriées si des demandes s'expriment en Corse, en Ile-de-France
ou dans d'autres collectivités. J'ai la conviction que la Corse
doit être à la pointe de la décentralisation. Elle
est pionnière en la matière et elle doit exploiter toutes
les possibilités offertes par la Constitution. Avec Nicolas Sarkozy,
nous avons pris, et nous continuerons à prendre les dispositions
spécifiques nécessaires, pour adapter ses compétences,
ses ressources et son organisation à sa situation...
M. Michel Charasse - Explosive !
M. le Premier Ministre - ...particulière.
Nous nous donnons les moyens de prendre de nouvelles initiatives.
Enfin, nous redéfinissons totalement le cadre
institutionnel de l'outre-mer, en lui donnant souplesse et lisibilité,
puisque la Constitution réaffirme solennellement l'appartenance
des différentes collectivités d'outre-mer à la
France et à la République (Applaudissements).
Toutes ces dispositions en faveur du changement
seront prolongées par des lois organiques et ordinaires afin,
comme je l'ai annoncé à Rouen, de nous engager effectivement
vers la République de proximité que les Français
attendent.
Je veux vous exprimer les convictions que je tire
des vingt-six assises territoriales qui viennent de se dérouler,
mais aussi d'une expérience personnelle de vingt ans comme élu
local et du travail accompli dans de nombreuses instances de réflexion
sur la décentralisation, notamment au sein de la commission présidée
par Pierre Mauroy.
Je l'ai entendu, les Français aiment l'Etat.
Nous ne voulons pas organiser son désengagement mais au contraire
lui donner les moyens de répondre à leurs attentes. La
décentralisation lui permettra de se recentrer sur ses responsabilités.
L'Etat, à trop vouloir faire, a fini par négliger ce que
lui seul peut faire. Je crois en l'Etat, mais je veux un Etat fort et
capable d'autorité dans ses missions régaliennes, un Etat
efficace et capable d'humanité dans ses missions de solidarité,
un Etat stratège, un Etat régulateur, pas un Etat ankylosé.
Cette réforme est la
première étape d'une ambitieuse réforme de
l'Etat.
Le Parlement doit rester le garant de la réforme.
Le pouvoir législatif ne sera ni éclaté, ni dispersé.
Nous nous donnons les moyens de transformer notre architecture territoriale,
en permettant ainsi à nos régions, par exemple, d'acquérir
une dimension européenne ; mais elles ne pourront le faire
contre le Parlement, seulement en accord avec lui.
Vous autorisez et vous contrôlerez les expérimentations
dans le domaine législatif. Au vu des résultats, vous
déciderez de les généraliser, de les abandonner
ou de les modifier.
Vous déterminerez les ressources dont pourront
disposer librement les collectivités territoriales et vous assurerez
l'égalité des Français devant les droits fondamentaux.
Vous déciderez de l'évolution des
collectivités à statut particulier et des collectivités
d'outre-mer.
Vous serez, pour le Gouvernement, des alliés
précieux et constructifs pour la réforme de l'Etat.
Je le crois, nous nous retrouverons tous pour que
vive cette réforme.
Je pense vraiment que l'on a eu tort, au début
des années 1980, de porter un regard partisan sur les lois Defferre-Mauroy
(« Très bien ! » sur plusieurs bancs).
Elles n'étaient pas partisanes. Elles avaient leur force,
elles ont cependant dû être régulièrement
adaptées.
Je vous propose aujourd'hui l'acte II de la décentralisation.
Il a sa force, il devra lui aussi faire l'objet d'adaptations.
Les Français savent reconnaître les
limites des clivages politiques. Ils savent que « la constance
est la plus haute expression de la force ». L'erreur des uns
hier sera, peut-être, l'erreur des autres aujourd'hui ! Le
temps fera son oeuvre, il assurera la constance et la sagesse l'emportera.
L'essentiel est que, grâce aux responsabilités
nouvelles qui sont aujourd'hui données aux acteurs de terrain,
la République se rapproche de son inspirateur : le peuple
de France (Applaudissements prolongés sur de nombreux bancs).
EXPLICATIONS
DE VOTE
M. Jacques Pelletier - La représentation nationale dans
son ensemble est aujourd'hui réunie - un peu en décalage
avec l'actualité - pour réviser notre Constitution et
y introduire enfin un droit des collectivités territoriales.
Cette révision de grande envergure tend à libérer
notre société grâce à une nouvelle architecture
des pouvoirs et à une remise en ordre de la démocratie
locale.
Ce texte pose les fondements de la « République
des proximités » voulue par le Président de
la République et chère à notre Premier ministre.
L'enjeu de cette relance de la décentralisation
est bien de replacer le citoyen au coeur de l'action publique et ainsi
de le réconcilier avec la res publica.
Certes, la tâche n'est pas facile : elle
réclame de la part du Gouvernement, comme de tous les élus,
courage, conviction et responsabilité. Mais la réussite
s'impose, tant ce grand chantier doit permettre de réformer l'Etat,
de rénover les modalités de l'action publique et de refonder
notre démocratie.
Le choc du 21 avril 2002 a révélé
une crise du politique, plus profonde que ce que nous pouvions imaginer.
De ma très longue expérience de parlementaire,
je n'ai pas gardé le souvenir d'une telle perte de confiance
des citoyens dans leurs institutions et leurs représentants.
Cette véritable « fracture politique »,
traduction d'un divorce entre la population et sa représentation
au sein des assemblées locales, nationales ou européenne
a de multiples causes ; certaines simplement conjoncturelles, d'autres
structurelles.
Pour sortir de cette crise, il faut certainement
modifier des comportements et des pratiques qui peuvent apparaître
obsolètes, mais il faut surtout modifier le rapport, vieux de
plus de deux cents ans, entre l'Etat et le citoyen. En effet si le second
a beaucoup changé dans ses attentes et ses capacités depuis
la Révolution, le premier n'a que très peu renouvelé
ses grands principes et ses façons d'administrer.
L'Etat français demeure centralisateur, protecteur,
paternaliste, et il n'est pas bien loin du « despotisme administratif »
que redoutait déjà Alexis de Tocqueville en 1840.
La France apparaît en bien des domaines comme
une « société bloquée ». La
décentralisation de 1982, que la gauche a eu le grand mérite
de mener à bien, était nécessaire mais elle n'est
plus aujourd'hui suffisante, comme l'ont montré les débats
des assises des libertés locales.
C'est pourquoi, il y a un peu plus d'un an, les sénateurs
du Rassemblement démocratique et social européen ont constitué
un groupe de travail sur la relance de la décentralisation.
Nous savions que le contexte post-électoral
qui allait suivre serait favorable à une grande réforme,
tant le système de 1982 était devenu insuffisant, et le
besoin de proximité grandissant.
Au mois de juin, nous avons livré nos propositions,
visant à adapter les collectivités territoriales aux enjeux
de la « nouvelle gouvernance » : recentrer
l'Etat sur ses pouvoirs régaliens et sa mission de régulation
des politiques publiques ; maintenir les départements ;
favoriser l'émergence de sept ou dix grandes régions ;
consacrer la notion de « chef de file » dans la
répartition simplifiée des compétences ; assurer
l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Comme votre projet de réforme, Monsieur le
Premier ministre, notre corpus de propositions reposait sur un
réel rééquilibrage des pouvoirs centraux et locaux.
L'ambition de cette révision constitutionnelle est de permettre
que tout ce qui relève de la gestion quotidienne incombe, aux
termes des lois organiques et ordinaires à venir, aux collectivités
locales, l'Etat se consacrant exclusivement à ses fonctions régaliennes
et à ses missions d'orientation, de contrôle et d'évaluation.
L'Etat moderne tant attendu gouvernera, conduira
une politique, mais ne sera plus omnipotent et gestionnaire. Pour paraphraser
le titre d'un ouvrage célèbre de Michel Crozier, je dirai
que l'Etat moderne sera un Etat modeste, l'action revenant aux collectivités
et aux élus de terrain.
Cette révision introduit dans la Constitution
un volet ambitieux sur les collectivités territoriales et consacre
dans notre loi fondamentale l'existence des régions. Dès
l'article premier, nous introduisons le principe de « l'organisation
décentralisée de la République », en
donnant ainsi une valeur constitutionnelle aux grands principes de la
décentralisation.
Le nouvel article 37 de la Constitution autorisera
des expérimentations. Cela permettra, en libérant l'initiative
locale, d'accroître le dynamisme de nos territoires, soumis à
une compétition à l'échelle des régions
d'Europe.
L'article 7 du projet tend à garantir l'autonomie
financière des collectivités territoriales qui signifie
tout simplement pour une collectivité la capacité d'agir
sur son niveau de ressources et d'arbitrer entre ses dépenses.
Elle implique l'instauration de mécanismes efficaces de redistribution :
autonomie et péréquation sont indissociables, et c'est
probablement sur cette question que se jouera la réussite de
la réforme.
Mon groupe, sous l'impulsion de mon collègue
Gérard Delfau, a constitué un groupe de travail sur le
thème de la péréquation des ressources entre les
collectivités.
Nous entendons, dans les semaines à venir,
faire des propositions sur ce sujet.
La décentralisation a trop souvent été
considérée comme une simple réforme institutionnelle,
voire perçue comme un retour aux féodalités locales
ou encore comme une façon de masquer les déficits de l'Etat.
Or une véritable relance de la décentralisation
permettra de réformer l'Etat et de refonder le lien fort qui
doit unir le citoyen à la « chose publique »,
pour se rapprocher de la « démocratie des petits espaces »
dont parlait Alexandre Soljenitsyne.
Votre texte, Monsieur le Premier ministre, est un
texte fondateur. C'est bien de l'acte II de la décentralisation
qu'il s'agit. A l'exception de quelques-uns de mes collègues,
qui regrettent l'absence d'un dispositif de péréquation
clairement inscrit dans la Constitution, mon groupe votera cette révision
constitutionnelle (Nombreux applaudissements).
M. André Chassaigne - Permettez-moi
tout d'abord de saluer le message de paix du Président du Congrès
et du Premier ministre (« Très bien ! »
sur plusieurs bancs).
Le groupe des députés communistes
et républicains s'est clairement prononcé en faveur d'une
nouvelle étape de la décentralisation.
Pour nous, celle-ci doit cependant répondre
aux besoins de la population et à la demande de démocratie
de proximité ; elle doit garantir la participation effective
du plus grand nombre à la gestion publique. La décentralisation
conciliera ainsi démocratisation et coopération, l'Etat
restant évidemment responsable de la cohésion nationale
comme d'un développement équilibré et solidaire
des territoires.
Pour progresser vers une démocratie participative,
il faut une refonte de nos institutions qui rapproche les pouvoirs des
citoyens et fasse des élus les relais efficaces des préoccupations
populaires. Cette exigence de démocratie appelle certes une rupture
avec les institutions de la Ve République, mais
aussi, et avant tout, de nouvelles conquêtes démocratiques,
dans les quartiers et communes : ce n'est assurément pas
grâce à des conseils régionaux bicolores, d'où
auront été exclues toutes les minorités, que ces
conquêtes pourront s'effectuer (« Très bien ! »
sur plusieurs bancs). Il faudra aussi construire une nouvelle fiscalité
locale et mieux répartir les ressources des collectivités
locales, afin qu'elles puissent exercer au mieux leurs compétences,
en pleine autonomie.
A l'évidence, notre engagement en faveur
de la décentralisation ne peut nous amener à soutenir
le présent projet, qui menace les fondements mêmes de la
République. Il est en effet marqué par une conception
rétrograde de la démocratie et, contrairement à
ce que vient de dire le Premier ministre, par la crainte que les citoyens
puissent s'approprier des pouvoirs démocratiques. Le développement
de la démocratie locale et participative y est oublié,
le droit de pétition et le droit de vote des étrangers
aux élections locales y sont ignorés, et c'est par ordonnances
que des lois de la métropole pourront être étendues
aux collectivités d'outre-mer. De plus, ce texte induira un recul
pour ce qui est de la libre administration des collectivités :
l'introduction du principe de subsidiarité dans la Constitution
remet implicitement en cause les clauses de compétence générale
et risque donc d'interdire toute intervention dans les domaines ne relevant
pas spécifiquement des compétences d'attribution.
En revanche, ce texte donne des gages au Sénat :
il lui confère une primauté nouvelle pour l'examen des
textes ayant trait aux collectivités territoriales. Ce privilège
accordé à une chambre élue au suffrage universel
indirect marque un recul de la démocratie représentative
(Exclamations sur plusieurs bancs). Aussi le projet ne conforte-t-il
en rien les libertés publiques.
En revanche, il remet en cause le principe d'égalité
devant la loi, qui est au coeur de notre pacte républicain. L'introduction
du droit à l'expérimentation et l'octroi aux collectivités
d'un véritable pouvoir réglementaire engendreront en effet
de graves distorsions entre les territoires, risquant de conduire à
une France morcelée. Soumettre les citoyens à des règles
différentes selon leur lieu de résidence, n'est-ce pas
renoncer aux principes d'unité et d'indivisibilité de
la République ? N'est-ce pas cesser de reconnaître
les citoyens comme égaux en droits ?
Le refus d'inscrire dans la Constitution le principe d'égalité
devant le service public est révélateur du désengagement
de l'Etat et de son indifférence à l'égard des
territoires ruraux. En fait de décentralisation, on ne nous propose
qu'un remodelage du territoire autour des seules métropoles régionales.
On tient de grands discours sur la ruralité, mais on ferme succursales
de la Banque de France, recettes des finances, services hospitaliers,
maternités, bureaux de poste, écoles et aéroports
régionaux... (Applaudissements sur plusieurs bancs ;
exclamations sur d'autres). Peut-on parler de décentralisation
quand on assiste à un tel déménagement de nos territoires ?
(Mêmes mouvements)
Ce projet aggravera aussi le déficit de solidarité
entre les territoires. Non plus que la liberté et l'égalité,
la fraternité ne sortira pas grandie de cette réforme !
La concurrence entre régions s'aiguisera, la décentralisation
du pouvoir économique favorisant nécessairement les mieux
dotées au détriment des plus pauvres.
La teneur des dispositions financières de
la réforme confirme cette indifférence aux valeurs de
solidarité : la notion n'est abordée qu'en rapport
avec le pouvoir fiscal des collectivités et le problème
de la nécessaire réforme des impôts locaux n'est
pas posé ; or les inégalités de bases d'imposition
entre collectivités limitent bien plus la libre administration
que la centralisation de l'impôt ! La simple évocation
de dispositifs de péréquation est un progrès bien
trop timide.
La liberté oubliée, l'égalité
bafouée, la fraternité délaissée :
ce sont bien les fondements de la République qui sont aujourd'hui
menacés ! (Exclamations sur plusieurs bancs)
Nous ne sous-estimons donc pas l'ampleur de cette
réforme : ce que pose cette loi constitutionnelle, ce sont
les principes d'un véritable projet de société
qui dépasse le strict objectif de décentralisation. Si,
d'ailleurs, l'on a jugé que le cadre actuel de la Constitution
ne permettait pas de franchir une nouvelle étape de la décentralisation,
c'est bien qu'il ne s'agissait pas simplement de cela, mais, en fait,
de modifier l'architecture administrative et institutionnelle de notre
République.
Cette loi, disais-je, est un véritable projet
de société : un projet de régression sociale
et démocratique ! Elle s'inscrit dans la perspective d'une
Europe fédérale soumise aux dogmes libéraux du
traité de Maastricht. Le transfert de nouvelles compétences
aux collectivités vise avant tout à réduire les
dépenses publiques et sociales.
Ce texte dessine ainsi une France où l'Etat
se bornera à exercer ses prérogatives régaliennes
et répressives. Tout comme la privatisation de nos services publics,
il atteste de la détermination du
Gouvernement à détruire tous les liens de solidarité
construits par l'Etat. Il s'inscrit ainsi dans un projet ultra-libéral,
fondé sur la déréglementation, sur les privatisations,
sur l'affaiblissement des budgets sociaux, sur les attaques contre la
sécurité sociale et les retraites et sur l'aggravation
des inégalités...
Cette réforme, est-ce étonnant, a
reçu le soutien du Medef (Exclamations sur plusieurs bancs).
Le patronat a bien compris qu'on voulait mettre à sa disposition
les institutions de la République et l'Etat, au nom d'une prétendue
efficacité.
La République, ce sont pour nous des valeurs
à incarner. On ne doit pas l'instrumentaliser. Elle ne doit être
au service de personne. C'est pour cette raison aussi que nous n'acceptons
pas de mêler une disposition d'organisation administrative aux
principes fondamentaux inscrits dans l'article premier de la Constitution.
Une réforme de cette ampleur aurait exigé
qu'on prenne le temps du débat démocratique. Mais vous
avez préféré la faire voter en urgence, en tenant
les citoyens à l'écart du débat. Les parlementaires
n'ont pu obtenir aucune précision sur les domaines concernés
par cette décentralisation. Nous attendons donc les lois organiques
avec d'autant plus de vigilance que la première liste des transferts
annoncés confirme toutes nos craintes.
Cette défiance à l'égard de
nos concitoyens a même conduit le Président de la République,
contrairement à ses promesses de campagne, à réunir
ce Congrès plutôt que d'organiser un référendum. Or,
selon l'esprit de la Constitution, le Congrès ne doit être
réuni que pour des lois constitutionnelles mineures. Un référendum
s'imposait pour ce texte important.
Nous ne souscrivons donc ni à votre démarche
ni au fond de ce projet, que nous ne voterons pas. Les parlementaires
communistes et républicains, tout comme les populations qu'ils
représentent, resteront attentifs et se mobiliseront lors de
la discussion des lois organiques, avec pour objectif de vous empêcher
de réaliser vos desseins rétrogrades (Applaudissements
sur plusieurs bancs).
Mme Nicole Borvo - En ce moment grave, je tiens à vous remercier,
Monsieur le Président du Congrès, d'avoir accepté
que le Parlement adresse un message de paix à nos concitoyens
(Applaudissements sur plusieurs bancs).
Le grand débat public sur la décentralisation
auquel il était permis de croire après la promesse faite
par le Président de la République d'organiser un référendum
sur le sujet, ce grand débat, donc, n'aura pas lieu. Cette réforme,
dont vous nous avez répété, Monsieur le Premier
ministre, qu'elle servirait à rapprocher les citoyens des décisions,
sera finalement ratifiée à Versailles, en catimini !
Quel mépris de notre peuple !
Mais, s'il en est ainsi, c'est que cette réforme
est lourde de conséquences et que des voix ne cessent de s'élever,
y compris dans votre majorité, pour s'inquiéter de ce
remodelage à marche forcée de nos institutions. Ces craintes
sont légitimes : votre réforme met profondément
en question nos institutions et nos services publics.
Comme l'a relevé le Président de l'Assemblée
nationale, l'article premier annonce « la République
en morceaux » (Murmures sur divers bancs) : là
où il était dit que « la France est une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale »,
vous voulez en effet ajouter : « son organisation est
décentralisée ». Un projet commun, solidaire,
un contrat entre les citoyens fondé sur l'égalité
et la solidarité est ainsi ravalé au rang de principe
d'organisation territoriale !
L'Etat renvoie aux collectivités territoriales
le soin de répondre aux besoins d'éducation, de santé,
de logement, sans leur en fournir les moyens. Il se décharge
ainsi de ses responsabilités premières : assurer
l'égalité entre citoyens et la cohésion sociale.
Il crée les conditions d'un éclatement de la République,
d'un retour des féodalités.
Dans la presse, M. Devedjian a donné
le mode d'emploi de cette réforme : « Si les citoyens
ne sont pas contents, ils manifesteront devant la mairie plutôt
que devant la préfecture... (Exclamations sur divers bancs).
Si une collectivité veut augmenter la dépense, libre
à elle, quitte à s'en expliquer devant ses administrés » !
Libre à elle également, ajouterai-je, de supprimer des
services utiles ou de les privatiser pour le plus grand profit de certains
groupes !
Or, nul n'ignore que la soumission du service public
aux règles du marché met en péril la cohésion
territoriale.
Cette remise en cause du rôle de l'Etat est
conforme à une construction européenne ultra-libérale
et fédérale : partout où elle s'oppose aux
forces du marché, il s'agit de défaire la capacité
d'intervention de la puissance publique, mais aussi les garanties collectives
que sont la sécurité sociale, les retraites par répartition,
la primauté de la loi sur le contrat...
Des transferts annoncés, il ressort que le Gouvernement,
tout engagé à réduire les dépenses publiques
et les impôts pour les ménages les plus aisés, transfère
les dépenses de solidarité nationale vers les collectivités
locales et donc les citoyens eux-mêmes.
Il vous faut donc passer votre projet en force,
et c'est pourquoi les assemblées territoriales élues n'ont
pas été consultées. Les critiques du Conseil d'Etat,
les inquiétudes des élus locaux et des agents publics
ont été balayées et les assises n'ont été
qu'un simulacre de concertation sur un projet déjà bouclé.
Une même absence de démocratie a caractérisé
la réforme des modes de scrutin, dont le Garde des Sceaux a souligné
dans la presse le lien étroit avec la révision constitutionnelle.
De fait, il y a une grande cohérence entre
les deux réformes, celle des modes de scrutin étant destinée
à asseoir durablement votre pouvoir dans les régions.
Vous qui parlez tant de démocratie locale,
Monsieur le Premier ministre, vous instituez la bipolarisation de la
vie politique, qui tuera le pluralisme et exclura toujours plus de Français
de l'exercice de la citoyenneté. Vous avez refusé le débat
public sur la décentralisation comme vous avez imposé
au Parlement cette réforme des modes de scrutin rejetée
par tous les partis politiques, à l'exception de la seule UMP.
Vous évoquez souvent les inégalités
entre les régions, oubliant qu'il s'agit surtout d'inégalités
sociales. Mais il est à craindre que, les régions entrant
dans une logique de concurrence, ces inégalités se creuseront
encore. Alors qu'aujourd'hui, dans le cadre national, une certaine redistribution
s'opère, cette solidarité disparaîtra.
Les risques sont d'autant plus grands que notre
pays vit l'une des plus graves crises sociales des quinze dernières
années : Daewoo, Metaleurop, Air Lib, Giat, EADS, Canal Plus :
les plans sociaux se succèdent, la croissance s'effondre. Privatisations
et dérégulations sapent les fondements de la République.
L'exclusion d'une part croissante de la population met en cause l'égalité
des citoyens. Et quelle est votre réponse, Monsieur le Premier
ministre ? Vous supprimez des emplois publics ! C'est particulièrement
choquant quand, dans le même temps, les entreprises et les institutions
financières sont exonérées de toute responsabilité
en matière de solidarité nationale, de développement
des territoires et d'emploi.
Des dizaines de milliers d'emplois publics sont
menacés et les transferts de compétences vont contribuer
à restructurer l'emploi public, à précariser les
recrutements, les statuts, le champ des missions, participant ainsi
au remodelage libéral de la société française.
M. Delevoye tente de convaincre les 150 000 fonctionnaires
qu'il veut transférer qu'ils n'ont rien à perdre. L'exercice
est manifestement difficile ! Quant à M. Ferry, il a fait
l'éloge, devant les organisations syndicales, des transferts
et des expérimentations
concernant les 110 000 ATOSS. Le résultat est que ces
organisations refusent pour l'instant de poursuivre la discussion, tout
comme les personnels de l'éducation qui manifesteront demain.
Quant aux personnels de l'équipement, ils feront grève
début avril s'ils ne sont pas entendus. De récentes catastrophes
ont montré leur dévouement et leur efficacité.
Que se passera-t-il quand ils ne pourront plus assurer la cohérence
des interventions ?
Les agents publics ne sont pas opposés par
principe à la décentralisation, à condition qu'elle
permette une réelle amélioration du service public et
un rapprochement du pouvoir de décision.
Mais ils refusent d'être mis devant le fait
accompli et de devoir discuter des modalités de transfert sans
qu'aucune réflexion n'ait été engagée sur
l'évolution de leurs missions et de celles de l'Etat. Ils craignent,
à juste titre, pour l'avenir du service public lui-même.
Il est urgent de les entendre.
Monsieur le Premier ministre, d'aucuns ont tenté
d'opposé les décentralisateurs, dont vous seriez, et les
centralisateurs que seraient tous ceux qui s'opposent à votre
projet. En réalité, il y a de la décentralisation
deux conceptions fondamentalement différentes, l'une d'essence
libérale et fédérale, l'autre solidaire et citoyenne.
Nous sommes convaincus qu'un vrai projet politique
de décentralisation est possible dans le cadre d'une cohésion
sociale et territoriale renforcée, permettant de réduire
les inégalités. Il suppose l'essor de la démocratie
participative et de la citoyenneté, l'essor des coopérations
et des mutualisations entre les territoires et tous les acteurs du développement,
à l'opposé de la concurrence. C'est un autre choix de
société.
Le groupe communiste et républicain refuse
toute remise en cause du projet républicain, solidaire, fruit
de longues décennies de luttes démocratiques et sociales.
C'est pourquoi nous voterons résolument contre
ce projet de loi (Applaudissements sur plusieurs bancs).
M. Jean-Claude Peyronnet - Monsieur
le Premier ministre, vous avez tellement voulu ce texte, qu'emporté
par votre élan, vous en avez présenté, en votre
seul nom, le premier projet au Sénat, omettant celui du Président
de la République ! C'était une faute de néophyte
puisque la décentralisation a plus de vingt ans et qu'elle est
d'abord, contre vos amis, l'oeuvre de Gaston Defferre, Pierre Mauroy
et François Mitterrand. Loin de reculer au cours de la législature
précédente, elle a fortement progressé par quatre
grands textes sur l'intercommunalité, l'aménagement du
territoire, la rénovation urbaine et la démocratie de
proximité que vous annonciez devoir supprimer et que, finalement,
vous vous contentez d'ajuster.
Parallèlement, vous avez lancé une
prétendue consultation sur les transferts de compétences
dont les conclusions, connues dès l'origine, ont été
présentées dans la quasi-indifférence à
Rouen il y a quelques semaines.
Mieux aurait valu consulter le peuple que réunir
ces assises convenues où moins d'un pour cent des invités
ont pu s'exprimer ! Mais comme pour la révision constitutionnelle,
vous avez préféré le débat entre spécialistes
à la consultation populaire. Voilà pourquoi nous sommes
réunis en Congrès, en dépit d'une promesse de référendum.
Je remercie M. le Président du Congrès
de sa déclaration, mais il n'empêche que ce débat,
en ce jour si grave, a quelque chose de dérisoire. Il ne fera
pas la « une » du Washington Post ;
plus ennuyeux, il risque de ne pas faire non plus la « une »
des grands médias français. Car, outre la guerre, les
Français pensent à autre chose et vous avez réussi
ce paradoxe de faire que, sur un sujet si important, notre Congrès
apparaisse comme une opération de diversion face aux grands problèmes
de l'heure, comme le chômage ou les attaques de prison à
l'arme lourde. Et ils ne vous croient pas lorsque vous affirmez que
cette réforme apportera un point de croissance supplémentaire.
Qui pourrait vous croire, d'ailleurs, lorsque vous parlez même,
selon la presse, d'un point de croissance « par an ».
Ces points sont-ils cumulables ? Et pendant combien de temps cette
formidable machine à produire de l'emploi nous apportera-t-elle
tant de bienfaits ?
Sur la forme, ce projet est médiocre, quelquefois mal écrit,
d'une lourdeur qui ne convient guère à la majesté
nécessaire à un grand texte fondateur dont la principale
qualité doit être la simplicité et la proclamation
des grands principes. Introduire à l'article premier, par souci
d'affichage, que l'organisation de la République est décentralisée,
c'est introduire une idée biaisée sinon fausse car c'est
l'organisation territoriale qui est décentralisée mais
pas toute la République - ni son Président ni son Parlement !
Surtout, c'est élever la simple organisation administrative au
même niveau d'honneur et de nécessité que les grands
principes qui fondent notre démocratie : l'indivisibilité
de la République, l'égalité devant la loi, la laïcité...
Ce n'est pas digne, et c'est très dangereux. Qui nous dit qu'un
jour le juge auquel, ici comme ailleurs, vous laissez une trop grande
marge d'appréciation, ne sera pas amené à trancher
entre ces principes érigés au même rang et qu'il
ne le fera pas au bénéfice de la décentralisation
et au détriment de l'égalité ou de l'unité
de la République ? Qui nous dit qu'à un moment ce
juge ne privilégiera pas, concernant l'enseignement, la décentralisation
au détriment du principe fondateur de laïcité ?
Ce texte porte aussi la marque des divergences entre
les composantes d'une majorité que vous avez pourtant obligée
à marcher au son du clairon. Sur nombre de sujets - financement,
intercommunalité, subsidiarité ... - bien des réticences
se sont exprimées qui n'ont pas passé le cap des propositions
de la commission des lois ou des discussions de couloir. Le résultat
est une rédaction trop souvent incertaine, voire contradictoire.
Ainsi, sur la tutelle, vous affirmez, sous notre pression, dans la lignée
des lois Defferre, qu'il ne peut pas exister de tutelle d'une collectivité
sur une autre. Mais aussitôt, vous introduisez une restriction !
Je le proclame donc, la tutelle d'une collectivité sur une autre
est impossible, et elle l'est d'autant plus que vous avez catégoriquement
refusé de garantir la liberté de toutes les collectivités !
Et au profit de qui cette tutelle ? Des départements peut-être,
des régions sans doute mais sûrement pas des communes !
Monsieur le Premier ministre, nous sommes fondamentalement
décentralisateurs et nous l'avons prouvé dans la discussion
de ce projet en faisant des propositions que vous avez rejetées
par frilosité, qu'il s'agisse de l'élargissement du corps
électoral local aux résidents non communautaires ou de
la reconnaissance des groupements de communes à fiscalité
propre. Nous sommes décentralisateurs, mais pas au prix de l'abaissement
de l'Etat. Nous n'avons pas votre conception de la subsidiarité.
Vous proclamez que les collectivités ont « vocation
à prendre les décisions qui peuvent le mieux être
mises en oeuvre à leur échelon ». Outre que ce
« mieux » sera source de conflits tranchés
par le juge et non par la loi, cette « vocation »
nous trouble. Pour vous, par une sorte de prédestination quasi
religieuse, le local prime le national, les compétences de l'Etat
n'étant plus que résiduelles. C'est notamment pourquoi
nous vous reprochons votre fédéralisme, dont votre refus
obstiné de dresser
la liste des compétences régaliennes, non transférables,
est une preuve. Nous ne nous lasserons pas de poser cette question :
quel est, selon vous, le bloc intangible de compétences régaliennes
non transférables ? Est-ce seulement par refus d'inscrire
l'évidence dans la Constitution que vous avez refusé d'accepter
notre amendement proclamant que l'Etat est le garant de la solidarité
nationale ?
Ce principe d'égalité est mis à
mal par l'expérimentation, et vous jonglez entre expérimentation
et dérogation. Ce n'est pourtant pas la même chose !
Expérimenter prépare la réforme, déroger
autorise des exceptions généralisées qui peuvent
nous conduire à vivre dans un pays à l'unité éclatée
en vingt-six territoires aux lois et règlements différents.
Surtout, expérimenter « pour une durée limitée »
est légitime, mais déroger « pour une durée
limitée » est dangereux : si, par dérogation
à la loi littorale, vous acceptez des constructions au bord de
l'eau pour cinq ans, que ferez-vous ces cinq ans écoulés ?
M. Marc-Philippe Daubresse - C'est vraiment
parler pour parler !
M. Jean-Claude Peyronnet - Ce principe
d'égalité est gravement mis à mal à l'article
4 puisque la création de collectivités à statut
particulier « en lieu et place » de celles existantes
prévoit la suppression de certains niveaux administratifs. Pourquoi
pas ? On a longtemps pensé que les victimes probables seraient
les départements ! Depuis votre discours de Rouen, on sait
que le risque est pour les communes !
Il faut en finir avec ce double langage, par lequel vous vous dites
le défenseur des 36 000 communes mais aussi d'une intercommunalité
de plus en plus poussée ! La loi Chevènement ouvrait
la voie, vous vous y engouffrez. Demain on pourra remplacer toutes les
communes d'un département par leurs groupements érigés
au rang de collectivité à statut particulier. Il est temps
de définir, comme pour l'Etat, un bloc de compétences
communales suffisantes pour assurer la survie de ces foyers de vie démocratique
qui sont notre culture même. Cela ne semble pas être votre
souci ! D'une façon générale, je ne trouve
pas très convenable cette façon de laisser s'organiser
la carte administrative locale au gré des arrangements, des rapports
de force ou des appétits. Ce n'est pas digne d'un Etat structuré.
Là comme ailleurs, il est temps que le Parlement retrouve sa
force de proposition et fixe cette carte, si nécessaire.
Enfin, l'Etat jouera-t-il son rôle en matière
financière en sachant assurer la péréquation ?
Et inscrire le principe dans la Constitution ne garantit rien, et votre
tendance à organiser une véritable compétition
entre les territoires n'est pas de nature à nous rassurer. Au
reste, comment y arriver sans engager une véritable réforme
fiscale ? Dans votre discours de Rouen, vous n'avez évoqué
que le transfert de la TIPP aux régions et aux départements,
en feignant d'ignorer que le juge constitutionnel pourrait être
conduit à le condamner, au motif que la part de la fiscalité
dans les ressources des collectivités doit rester déterminante.
Selon vous, à l'issue d'une modulation qui reste bien hypothétique,
la fiscalité des régions serait transférée
aux départements. Est-ce là la grande réforme fiscale
annoncée ?
Quant aux garanties pour les collectivités,
on est loin des ambitions initiales. Avec vos collègues sénateurs,
vous souhaitiez en son temps, Monsieur le Premier ministre - et
une de vos propositions de loi l'atteste - que l'Etat attribue
aux collectivités « des ressources garantissant la
compensation intégrale et permanente des charges transférées ».
C'était bien ! Mais au bout du compte, votre majorité
s'apprête à valider un simple transfert des charges affectées
par l'Etat à l'exercice de la compétence antérieurement
au transfert, c'est-à-dire à peu près rien !
Songez aux répercussions d'un tel dispositif sur l'entretien
de nos routes nationales ! Il est pour le moins fâcheux que
vous n'ayez tiré aucune leçon de vingt ans de décentralisation !
Monsieur le Premier ministre, nous ne voterons pas
votre texte car il n'est pas bon. Long sans être précis,
il laisse une trop large part au pouvoir d'interprétation du
juge, et ne garantit pas plus la péréquation que l'autonomie
financière des collectivités. Surtout, il est dangereux
pour les principes fondateurs de notre démocratie tels que l'égalité
des citoyens ou la solidarité entre les territoires.
Nul doute que vous aurez la majorité pour
le voter mais le débat ne sera pas clos pour autant. Laissez
s'exprimer vos propres amis et les lois annoncées viendront clarifier
les choses ! Soyez assuré de notre volonté de préciser
tous les enjeux de la réforme et de notre vigilance quant à
ses conséquences (Applaudissements sur plusieurs bancs).
M. Michel Mercier - L'organisation
décentralisée de l'Etat rapproche le citoyen de la décision
publique. Elle lui promet de mieux contrôler le pouvoir des élus,
et, le cas échéant, de le limiter. L'expérience
acquise depuis 1982 nous l'enseigne : la décision publique
est plus efficace lorsqu'elle est prise localement. De fait, seule la
décentralisation garantit l'égalité réelle
des citoyens, rompant avec l'égalité formelle que produit
l'uniformité.
Le groupe de l'Union centriste fait de la décentralisation
la pierre angulaire de sa philosophie politique. Dès lors, si
constitutionnaliser
aujourd'hui notre droit public local peut apparaître comme
une réaction un peu tardive, en réalité, cette
réponse est plus nécessaire que jamais. Inscrire la décentralisation
dans la norme suprême, c'est atteindre un point de non-retour :
la République reconnaît sa diversité et en fait
une force. Elle ne craint plus ses collectivités locales.
Le texte donne également des garanties financières
aux collectivités, et un contenu au principe de leur libre administration.
Désormais, le Conseil constitutionnel pourra statuer sans ambiguïté :
la République est décentralisée, il n'y aura plus
lieu de se demander jusqu'où ne pas aller trop loin dans l'exercice
local de telle ou telle compétence.
M. Christian Poncelet, Président
du Sénat - Très bien !
M. Michel Mercier - Autre élément
majeur de la réforme, le droit à l'expérimentation.
Désormais, si un dispositif expérimenté localement
ne donne pas les résultats attendus, il sera facile d'y renoncer
sans que les fondements de notre République en soient ébranlés !
L'action politique n'en sera que plus efficace.
La République reste unitaire mais elle délègue
à ses collectivités tout ce qui peut être plus valablement
traité par l'échelon local.
Tel est le cadre que vous nous proposez. Encore
faut-il en préciser le contenu. Le groupe de l'Union centriste
sera très vigilant sur deux points : quelles sont les compétences
à déléguer ? Dans quelles conditions la délégation
s'opère-t-elle ?
Il faut que la délégation soit claire,
afin que les responsabilités des élus soient bien identifiées.
La décentralisation tend à rendre les élus plus
responsables mais il faut pour cela que les compétences transférées
le soient par blocs bien constitués. Le citoyen doit savoir qui
fait quoi.
J'en viens aux conditions financières de
la délégation. Le texte prévoit de doter les collectivités
de moyens suffisants pour couvrir les charges constatées au moment
du transfert. Soit, mais il faut aller plus loin. Les attentes de nos
concitoyens seront plus fortes si la compétence est exercée
par l'échelon local. S'ils se sont accommodés du défaut
d'entretien des routes nationales par l'Etat, ils seront bien plus exigeants
lorsqu'une collectivité en aura la charge (Applaudissements
sur plusieurs bancs). Nous comptons sur vous pour que les moyens
soient distribués en toute loyauté.
La fiscalité locale doit évoluer en
profondeur. Il faut transférer les impôts aux collectivités,
et pas seulement le produit d'impôts d'Etat réparti
selon une clé plus ou moins équitable. Les collectivités
doivent aussi garder la maîtrise des bases et des taux (Mêmes
mouvements). Les lois organiques devront dire quels impôts
transférer et dans quelles conditions.
Il est tout aussi essentiel que l'Etat « transférant »
n'impose pas les modes de gestion des nouvelles compétences.
M. Pierre Méhaignerie - Tout
à fait !
M. Michel Mercier - On ne pourra réformer
l'Etat que si les collectivités peuvent exercer en toute liberté
leurs nouvelles attributions.
En retrouvant ses territoires, la République
retrouve force et vigueur. Forte de la confiance de nos concitoyens,
la France sera mieux à même d'entraîner nos partenaires
vers l'Europe puissante et unie qui nous manque tant aujourd'hui.
Le groupe de l'Union centriste tout entier votera
la réforme constitutionnelle, qui tend à réconcilier
les Français avec leurs institutions (Applaudissements sur
de nombreux bancs).
M. Pascal Clément - Permettez-moi
un bref rappel historique : en 1800, Napoléon marqua définitivement
le paysage administratif français en créant, par la loi
du 18 pluviôse an VIII, des agents uniques représentant
directement le Gouvernement dans les départements. De l'institution
de ces préfets, Napoléon dira : « Je veux
que de ce jour date le bonheur des Français » (Sourires).
A l'aube d'une nouvelle architecture des pouvoirs,
qui tourne le dos à cette conception centralisatrice, aurons-nous
la même prétention ? Tenons le pari et reconnaissons
au moins que le Gouvernement a choisi la méthode appropriée !
Je ne reviendrai pas sur le texte, car le Premier ministre en a fait
une présentation détaillée et j'évoquerai
pour ma part la concertation qui a suivi la phase parlementaire, dans
les régions, d'octobre à janvier. Cette consultation nationale
a rassemblé plus de 58 000 personnes et le débat
a été riche puisque six cents propositions y ont été
débattues, dont plus du tiers émane de la société
civile. Il y a dans ces chiffres matière à démentir
ceux qui prônent l'immobilisme, au motif que le débat sur
la décentralisation n'intéresserait pas les Français !
Faire le choix de la décentralisation, ce
n'est pas choisir les collectivités locales contre l'Etat, les
élus locaux contre le pouvoir central. Il ne s'agit pas d'une
querelle de pouvoirs : les Français savent que la décentralisation
est une chance pour l'Etat ; que la décentralisation,
c'est la réforme de l'Etat.
Elle seule peut permettre, par une meilleure définition
des compétences, d'identifier clairement les responsabilités.
Elle seule peut améliorer le service public, par la proximité
qu'elle induit entre citoyens et décideurs. Elle seule peut vaincre
les résistances et les archaïsmes qui conduisent l'Etat
à l'attentisme.
Certes, tout cela a un coût, ce qui inquiète
les Français. Beaucoup d'entre eux craignent une hausse importante
des impôts locaux. La réforme ne sera acceptée que
si elle s'accompagne d'une réflexion globale sur la fiscalité :
dans cette perspective, le transfert aux collectivité locales
d'impôts au produit dynamique doit être cohérent
avec les compétences transférées : ainsi,
le transfert aux régions et aux départements de la taxe
intérieure sur les produits pétroliers correspondra aux
nouvelles compétences transférées à ces
collectivités en matière d'infrastructures. Je plaide
également pour que les départements, dont la vocation
sociale sera affirmée, puissent se voir attribuer une partie
de la CSG. Je souhaite que cette proposition soit étudiée
de façon approfondie, même si je suis conscient qu'une
telle réforme ne peut être mise en place à court
terme. Surtout, le Parlement devra rester très vigilant sur ce
point, ces transferts de fiscalité ne doivent pas aboutir à
accroître la pression fiscale globale. Permettant de rationaliser
l'action publique, la décentralisation doit être source
d'économies. Des choix seront nécessaires, qui conduiront
l'Etat à se concentrer sur ses missions fondamentales.
A cet égard, le nouvel article 72 de la Constitution
disposera que « les collectivités territoriales ont
vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent
le mieux être mises en oeuvre à leur échelon ».
Dénommée à tort principe de subsidiarité,
cette règle a été comparée à celle
figurant à l'article 5 du traité instituant la Communauté
européenne. La comparaison est abusive. En effet, le principe
communautaire de subsidiarité correspond à une logique
fédérale, qui n'a que peu à voir avec l'organisation
unitaire de notre territoire. En droit communautaire, la subsidiarité
vise à protéger les Etats nationaux, alors que notre nouvelle
organisation institutionnelle vise à décentraliser un
Etat unitaire. Le principe dynamique ainsi énoncé doit
induire un mouvement du haut vers le bas, l'objectif recherché
étant à la fois l'efficacité de l'action publique
et la proximité de la décision.
Cette adéquation des compétences à
l'échelon local, imposée dorénavant par l'article
72 de la Constitution, exige une nouvelle distribution des moyens. Disant
cela, j'évoque notamment la question des personnels, qui suscite
bien des inquiétudes. Il ne peut être question d'accroître
les compétences des collectivités locales sans doter celles-ci
des moyens en personnels afférents. La cohérence de l'action
publique exige en effet que les fonctionnaires soient placés
sous l'autorité de ceux qui sont responsables de leur action.
Les compétences croisées, qui caractérisent encore
trop souvent notre organisation institutionnelle et permettent à
une collectivité locale de disposer des services de l'Etat pour
conduire des actions qui lui incombent en propre, sont source de confusion
et de dilution des responsabilités. Les transferts de personnels
devront bien évidemment se faire dans la concertation et dans
le respect des principes fondamentaux qui garantissent la neutralité
de la fonction publique. Je suis persuadé que les fonctionnaires
sauront relever les nouveaux défis de la décentralisation ;
ils ont en effet tout à gagner à exercer dans des structures
à taille humaine, où les objectifs leur seront plus perceptibles.
Cette révision constitutionnelle n'est qu'une
première étape. Comme l'écrivait en effet Michel Crozier
en 1992, « si l'Etat central ne change pas, la
décentralisation perd l'essentiel de sa vertu ».
Il faudra en l'occurrence faire preuve d'initiative et d'imagination,
dans le respect des valeurs de solidarité qui ont fait la force
de l'Etat unitaire.
Le vote d'aujourd'hui a pour objet, en donnant à
la décentralisation un ancrage constitutionnel, d'en approfondir
la réalité et de garantir qu'elle pourra se poursuivre
dans le respect de l'autonomie des collectivités locales.
La réforme permettra ainsi de prendre en
compte l'attachement des Français à leurs territoires,
leur volonté de s'exprimer sur ce qui les concerne et d'améliorer
leurs conditions de vie, ainsi que leur exigence d'avoir pour interlocuteurs
des élus responsables, sans pour autant méconnaître
leur désir unanime d'unité nationale.
Monsieur le Premier ministre, le groupe UMP de l'Assemblée
nationale vous soutiendra avec enthousiasme dans la poursuite d'une
réforme que les Français appellent de leurs voeux (Applaudissements
sur de nombreux bancs).
Mme Ségolène Royal - Si
nous sommes aujourd'hui réunis en Congrès, c'est tout
d'abord parce que le chef de l'Etat a renoncé, contrairement
à ce qu'il avait promis, à soumettre cette réforme
constitutionnelle au référendum (« Eh oui ! »
sur plusieurs bancs ; murmures sur d'autres). Nul doute que,
s'il s'était agi d'une réforme concrète, améliorant
les services rendus et faisant reculer les inégalités,
vous n'auriez pas eu peur du vote populaire !
Alors que vous aviez prévu cinq heures de
débat sur ce texte à l'Assemblée nationale, nous
vous en avons imposé quarante-huit. Le groupe socialiste vous
a d'abord donné acte d'une conviction régionaliste, se
réjouissant même de voir la droite se rallier à
la décentralisation... après l'avoir violemment combattue
durant les années 1980. Aujourd'hui, pourtant, deux sentiments
dominent : la déception et l'inquiétude.
La déception tout d'abord. Un an après
votre arrivée aux responsabilités, rien de concret n'a
été fait s'agissant d'une réforme que vous aviez
pourtant qualifiée de « mère de toutes les réformes ».
Aucun transfert simple de compétences, accompagné des
ressources correspondantes, n'a été effectué. Vous
avez pourtant su trouver la conviction politique et la méthode
pour faire adopter la réforme des scrutins européens et
régionaux. Pourquoi n'avez-vous pas fait au service de la France
ce que vous avez pu faire au service de l'UMP ? (Applaudissements
sur plusieurs bancs ; protestations sur d'autres)
Vos mots sont usés avant même d'avoir
servi. Proximité, dites-vous, mais pour nous, un service public
de proximité, c'est un service public présent sur l'ensemble
du territoire. Or, vous allez en sens inverse, en programmant la suppression
de 30 000 emplois dans les établissements scolaires à
la prochaine rentrée, quand ce n'est pas votre ministre de l'éducation
qui remet en question la scolarisation dès deux ans à
la maternelle. Les femmes, qui ont déjà tant de mal à
concilier vie familiale et vie professionnelle, apprécieront !
Consultation, aviez-vous dit. Mais qui donc avez-vous
consulté avant de décider le transfert de 110 000
ATOSS, en dépit de l'engagement pris envers eux de ne rien faire
sans les avoir consultés ? Avez-vous seulement débattu
avec eux de leurs missions, de leur rôle crucial auprès
des élèves ? La question est en effet de savoir comment
la décentralisation permettra de réduire les inégalités
et de lutter contre l'échec scolaire (Interruptions sur plusieurs
bancs).
Péréquation, aviez-vous dit encore.
Mais comment pourriez-vous être crédibles, alors que vous
avez affaibli l'un des seuls dispositifs existants, à savoir
la dotation de solidarité urbaine ?
Clarté, aviez-vous enfin promis. Et sur ce point, notre seule
référence est votre discours de Rouen. Et là, tout
y est passé ! Pas un seul domaine n'a échappé
à votre appétit décentralisateur : formation,
emploi, santé, logement social, RMI, handicapés, routes,
agriculture... et j'en passe ! (Mouvements divers) Ajoutez
à cela une louche d'expérimentation et un zeste de dérogation,
et nous aurons bien le « grand bazar » annoncé
par Jean-Louis Debré ! (Applaudissements sur plusieurs
bancs)
Vous annoncez, par exemple, la décentralisation
de la médecine scolaire. Bonne idée, l'Etat ayant fort
mal rempli ses obligations en ce domaine. Mais voyons de plus près
ce qu'il en est : les assistantes sociales et les médecins
scolaires seront décentralisés, mais non les infirmières
scolaires, et l'Etat reprendra en charge les campagnes de vaccination,
que les départements assurent aujourd'hui parfaitement. Ce sera
bel et bien la pagaille !
Autre exemple : les régions pourront
désormais financer les équipements hospitaliers. Mais
au prix de quelles inégalités entre les territoires ?
Les malades devront-ils se déplacer d'une région à
l'autre pour aller se faire soigner dans un hôpital mieux doté ?
La question est d'autant plus pertinente que quatre régions détiennent
à elles seules plus de la moitié de la richesse nationale
(Applaudissements sur plusieurs bancs). Que malades et étudiants
doivent se déplacer pour gagner les régions les mieux
dotées, est-ce là votre conception de la proximité ?
Autre exemple encore : vous allez décentraliser
les routes nationales afin de satisfaire quelques présidents
de conseils généraux (Protestations sur plusieurs bancs).
Comment feront, alors, les départements auxquels leur potentiel
fiscal ne permet déjà pas de garantir la sécurité
sur les routes départementales ?
Bref, dans ce « grand bazar »,
où chacun s'occupe de tout, une seule chose est certaine :
l'Etat pourra réduire ses dépenses (Applaudissements
sur plusieurs bancs). Ce n'est pas de décentralisation qu'il
s'agit mais de débudgétisation. De combien vont augmenter,
en revanche, les impôts locaux ? Il n'y a que vous, Monsieur
Raffarin, pour croire qu'ils baisseront ! (Exclamations sur
plusieurs bancs)
Notre déception se double d'inquiétude.
N'organisez-vous pas tout simplement l'insécurité territoriale ?
(Mêmes mouvements) Vous vous êtes obstinément
refusé à inscrire dans la Constitution les principes d'égalité
devant les services publics, de compensation financière ou encore
de démocratie participative. Nous vous avons demandé,
en vain, de prévoir des transferts évolutifs. Vous vous
êtes contenté de faire vaguement référence
aux notions de péréquation et d'autonomie fiscale. Mais
que signifie l'autonomie fiscale dans des territoires où il n'y
a rien à taxer, si ce n'est davantage d'inégalités
de ressources, et donc de développement ?
Pour nous, ce qui « fait France », ce sont des
territoires diversifiés mais solidaires, c'est réussir
à l'école, se faire soigner, protéger son environnement,
se déplacer, bénéficier des prestations sociales
dans les mêmes conditions, sur tout le territoire. Cela s'appelle,
tout simplement, la République ! (Applaudissements sur
plusieurs bancs)
Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la
TIPP. Vous prétendez, Monsieur le Premier ministre, faire bénéficier
ainsi les collectivités locales d'une ressource dynamique. Mais
comment notre pays respectera-t-il l'engagement du Président
de la République de lutter contre l'effet de serre, s'il ne réduit
pas sa consommation d'essence ?
M. Marc-Philippe Daubresse - C'est un
discours de pétroleuse !
Mme Ségolène Royal - Ressaisissez-vous !
(Exclamations sur plusieurs bancs) Ne gâchez pas cette
belle et grande idée qu'est la décentralisation !
S'il s'agit d'améliorer réellement et concrètement
la vie de nos concitoyens, de conjuguer liberté et solidarité,
de garantir la complémentarité entre des capacités
d'action locale mieux affirmées et un Etat garant du bien commun,
vous nous trouverez toujours à vos côtés. Mais si
la réorganisation que vous proposez signifie plus d'idéologie,...
M. Pascal Clément - Vous pouvez
parler !
Mme Ségolène Royal - ...moins
d'Etat, plus de marché, la concurrence de tous contre tous, la
domination des territoires les plus forts et les plus développés,
les socialistes, attachés à une République solidaire,
diront non à cette réforme ! (Applaudissements
sur plusieurs bancs)
M. Henri de Raincourt - Nous vivons un temps fort
de la Ve République. Cette révision constitutionnelle
va au-delà d'un simple ajustement technique, car elle touche
au fondement même des relations de l'Etat avec le territoire de
la nation. Le principe général qui figurera à l'article
premier de la Constitution établira de façon irréversible
la décentralisation comme principe fondamental de l'organisation
de notre République. C'est d'autant plus important que la France
a longtemps vécu dans une tradition centralisatrice, tant sous
la monarchie que sous les républiques qui se sont succédé
depuis plus de deux cents ans. Aujourd'hui, le processus de modernisation
de la Ve République implique une évolution
des relations entre l'Etat central et les collectivités. Cette
modernisation atteint sa plénitude grâce aux modifications
qui nous sont proposées. Leur objectif n'est pas seulement d'instaurer
entre l'Etat et ses territoires une nouvelle relation, mais de libérer
les énergies pour dynamiser les réserves de créativité
que recèlent nos régions, nos départements et nos
communes.
Les sénateurs se félicitent que leur
rôle constitutionnel de représentants des collectivités
territoriales soit concrètement reconnu dans le processus de
réforme des relations entre l'Etat, les élus locaux et
les populations. La démocratie ne consiste pas simplement à
appliquer des lois fixées une fois pour toutes : encore
faut-il que ces lois épousent les mutations sociales et économiques.
C'est sur ce constat simple que se fonde ce texte.
Lorsque j'étais étudiant, un ouvrage
était paru, qui avait frappé les esprits : Paris
et le désert français. La France suffoquait alors
sous l'hypercentralisation parisienne. Quelques décennies plus
tard, grâce à des mesures de décentralisation, nous
constatons que, loin de défaire la République, elle en
a stimulé les capacités. Désormais, les collectivités
territoriales, au contact permanent des préoccupations des populations,
pourront mieux guider le développement harmonieux et équilibré
des territoires. Cette révision
constitutionnelle est donc le couronnement d'une longue histoire
positive, qui a amélioré le niveau et la qualité
de vie de la population, ainsi que la vie démocratique.
Ces textes répondent à nos souhaits.
Ainsi, le principe de non-tutelle d'une collectivité sur une
autre complète la notion, nouvelle, de « collectivité
chef de file », en excluant toute hégémonie
et en favorisant les synergies. Nous sommes également favorables
au droit à l'expérimentation et, surtout, à la
reconnaissance constitutionnelle de la compensation financière
des transferts de compétences. Quel changement par rapport aux
dotations de l'Etat décidées comme pour le financement
de l'APA ! (Applaudissements). La réforme constitutionnelle,
que nous nous apprêtons à voter, renforcera la République.
Celle-ci sera ainsi plus fonctionnelle, puisque l'Etat se concentrera
davantage sur ses missions régaliennes. Elle sera aussi plus
moderne, car de nouveaux espaces de liberté et de responsabilité
vont s'ouvrir, qui permettront aux élus locaux d'explorer des
voies inédites. L'expérimentation ne saurait en aucune
façon altérer les fondements de la République,
bien au contraire, elle permettra d'anticiper puis de vérifier
la pertinence des nouvelles compétences qui seront progressivement
transférées aux échelons les plus adaptés.
Cette République sera plus moderne aussi
car la gestion quotidienne ne sera plus synonyme d'uniformité
mais de pluralité.
Dans le même ordre d'idées, le principe
de subsidiarité stimulera l'ingéniosité économique
et sociale en rationnalisant les processus de décision. En ouvrant
des nouveaux droits à nos concitoyens - droit de pétition,
référendum local -, c'est aussi un rapprochement entre
l'Etat, les élus et la population qui s'opérera. En recentrant
l'Etat sur ses missions fondamentales, nous renforçons sa fonction
de garant de l'égalité des chances, d'arbitre et de régulateur,
au bénéfice d'une meilleure gestion et d'un meilleur service
public. Ainsi redéployé, l'Etat aura plus d'autorité
pour réduire les inégalités, pour assurer la solidarité
entre les territoires, pour offrir aux Français plus de justice,
de sécurité et de formation.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP du Sénat
a décidé d'adopter cette révision constitutionnelle.
C'est avec confiance que nous attendons l'application des mesures qui
en découleront, auxquelles nos concitoyens sauront leur donner
leur pleine mesure.
La décentralisation, comme la démocratie, est toujours
à perfectionner. Il y aura donc de nouveaux chantiers à
ouvrir. A l'issue du Congrès, notre nouvel horizon nous porte
au 1er janvier 2004, date des premiers transferts de
compétences et des premières expérimentations.
L'année 2003, grâce à l'engagement
du Président de la République et à votre détermination,
Monsieur le Premier ministre, restera dans l'histoire politique de la
France comme l'année d'une nouvelle territorialité de
la République et celle du printemps de l'Etat (Applaudissements
sur de nombreux bancs).
M. Pierre Albertini - Ce projet trace
le cadre nécessaire pour adapter nos institutions aux besoins
de notre temps. La Constitution de 1958 avait pour but de stabiliser
les deux branches de l'exécutif afin d'éviter les errements
du régime précédent. Depuis lors, la construction
progressive de l'Europe, l'interdépendance économique,
l'avènement de la société de l'information ont
mis en évidence la nécessité de rompre avec une
vision centralisée du pouvoir. Le général de Gaulle
a été le premier à l'exprimer avec force mais la
coalition des conservatismes a ruiné la régionalisation
qu'il avait audacieusement proposée. Sans doute, avait-il raison
trop tôt...
C'est seulement au lendemain de l'alternance politique
de 1981 que furent votées, d'ailleurs à la hussarde, les
lois de 1982 qui marquent une rupture avec le paysage administratif
antérieur. Chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître
que, sur le fondement de ces nouveaux principes, les collectivités
territoriales ont atteint l'âge de la maturité. Elles l'ont
prouvé en participant à l'effort d'équipement du
pays, en mettant en place de nouveaux services, tout en maîtrisant
leur fiscalité et leur endettement.
Pourquoi une nouvelle étape de décentralisation
est-elle aujourd'hui nécessaire ?
D'abord, parce que la force des habitudes pousse
les administrations centrales à tenter de récupérer
subrepticement les attributions ou les moyens transférés.
Trop longtemps, elles ont voulu faire croire qu'elles étaient
seules dépositaires de l'intérêt général,
alors que les choses sont évidemment plus nuancées.
Ensuite, parce que le foisonnement des initiatives,
l'exigence de proximité et de participation exprimée par
nos concitoyens imposent désormais une nouvelle répartition
des pouvoirs et des responsabilités. Les assises des libertés
locales, organisées dans les régions de métropole
et d'outre-mer, l'ont montré avec évidence.
Certes, la décentralisation n'est pas une fin en soi. Ce
n'est qu'une technique pour mieux assurer le développement de
notre société. Mais aujourd'hui, elle est un puissant
levier de réformes.
Au niveau local, elle permet une administration
de nature nouvelle, fondée sur la proximité et la responsabilité
des élus et des services qu'ils dirigent. Ce n'est pas un hasard
si le maire est, de loin, l'élu le plus populaire de France :
acteur et témoin de la vie de sa commune, il en assume les succès
comme les échecs.
Au niveau national, la décentralisation favorisera,
indirectement, une réforme de l'Etat, toujours lente et douloureuse
à conduire. Le Premier ministre ne s'y est pas trompé
lorsqu'il déclarait à Rouen, le 28 février,
qu'elle aiderait l'Etat à se « concentrer sur ses responsabilités
propres ». Les vrais décentralisateurs veulent un Etat
régulateur des grands équilibres et des solidarités,
mais aussi garant des missions régaliennes - défense,
sécurité, justice - qu'il accomplit, aujourd'hui
imparfaitement, la dispersion n'étant guère génératrice
d'efficacité et c'est pourquoi, nous attendons beaucoup de la
réflexion engagée depuis quelques mois et des transferts
de compétences et de ressources que cette révision constitutionnelle
va permettre.
Celle-ci se décompose en trois grands chapitres.
Le premier concerne l'organisation décentralisée
de la République. Outre la reconnaissance constitutionnelle des
régions, des collectivités à statut particulier
et de l'ensemble des collectivités d'outre-mer, il comporte plusieurs
principes nouveaux : la subsidiarité qui conduira le législateur
à favoriser, chaque fois que c'est possible, une administration
de proximité ; la notion de chef de file qui, dans les actions
conjointes, permettra à une collectivité de piloter l'ensemble ;
l'expérimentation qui, encadrée par la loi ou par le règlement,
autorisera à déroger, pendant une durée limitée,
aux dispositions en vigueur. Même si ces principes peuvent paraître,
en l'état, un peu abstraits à nos concitoyens, ils vont
dans la bonne direction. L'unité n'est pas l'uniformité.
Notre aspiration à l'égalité ne saurait anéantir
par avance les initiatives locales. La vision géométrique
d'un jardin à la française est révolue - nous
savons, ici à Versailles, de quoi nous parlons ! (Sourires)
Le deuxième chapitre a trait à l'autonomie
financière des collectivités locales. C'est celui qui
mobilise le plus les élus, soucieux d'exercer leurs
compétences avec les moyens financiers et fiscaux correspondant
à la diversité des sollicitations auxquelles ils doivent
faire face. Nos concitoyens, qui savent que l'argent sort toujours de
la même poche, s'en soucient évidemment un peu moins. Le
texte qui nous est proposé pose le principe que les recettes
fiscales et les autres ressources propres des collectivités représentent
une part « déterminante » de leurs ressources.
Nous avions proposé le qualificatif « prépondérante »,
à la fois plus précis et plus exigeant. Par ailleurs,
la correction des inégalités de richesse entre les collectivités
devrait être effectuée par une « péréquation »,
verticale et horizontale. Convenons cependant que c'est le contenu des
lois organiques ou ordinaires à venir qui donnera la vraie réponse
aux questions qui agitent les élus locaux. Vous avez envisagé,
Monsieur le Premier ministre, de transférer aux collectivités
une part de la TIPP, mais l'assise de cette taxe peut-elle être
territorialisée ? Ne pourrait-on pas étudier un impôt
local sur tous les revenus, à l'instar de la CSG ?
A ces incertitudes, qui devraient être dissipées
dans quelques mois, s'ajoute celles qui s'attachent à la jurisprudence
qu'établira le Conseil constitutionnel au fil des années.
Le troisième chapitre, qui est à mon
sens le plus moderne, introduit dans notre Constitution de nouveaux
mécanismes de participation. Le droit de pétition, le
référendum, jusqu'ici strictement limité par l'article
11, la consultation, à l'initiative des collectivités
elles-mêmes ou du Président de la République, s'agissant
de l'outre-mer, constituent des innovations intéressantes. Toute
la question est de savoir si elles seront ou non utilisées, l'élargissement
du référendum, réalisé en 1995 étant
resté virtuel. Quoi qu'il en soit, l'initiative locale, désormais
reconnue, devrait permettre de s'interroger sur la pertinence des limites
territoriales des collectivités. En Normandie, par exemple, nous
espérons bien donner la parole aux électeurs sur le format
de leurs deux régions, à mon sens injustement séparées
en 1955.
Enfin, la réussite de la décentralisation
suppose deux conditions supplémentaires.
Tout d'abord, la décentralisation doit être
compréhensible par les Français. Ils doivent se l'approprier
car elle est faite pour eux, non pour les élus ou pour les fonctionnaires.
Or jusqu'ici, le débat est resté quelque peu hermétique.
Dans votre discours de Rouen, Monsieur le Premier ministre, vous avez
tracé des perspectives. Elles mériteront d'être
expliquées, illustrées dans les mois à venir. A
la vision d'un enchevêtrement des compétences et des financements
doit se substituer une perception claire des responsabilités
et des vocations principales des collectivités territoriales.
Vous travaillez à structures territoriales constantes :
commune, intercommunalité, département, région.
Ce ne serait pas un handicap si chacun de ces niveaux avait la capacité
humaine, logistique, financière de répondre aux défis,
mais nous en doutons. C'est pourquoi les incitations à la coopération
et au regroupement, sur la base de projets de développement,
doivent être multipliées. Nous avons besoin d'entités
puissantes et, en même temps, d'un maillage fin de services de
proximité. Cette exigence correspond, en milieu rural comme en
milieu urbain, aux aspirations des Français. Elle conditionne
la performance, la compétitivité, l'équilibre des
territoires et des hommes (Applaudissements sur de nombreux bancs).
L'UDF apportera toute sa contribution à ce débat.
M. le Président - Le scrutin
est ouvert.
La séance, suspendue
à 18 heures 35,
est reprise à 19 heures 15.
M. le Président - Voici le résultat
du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :
Nombre de votants : 873
Nombre de suffrages exprimés : 862
Majorité requise pour l'adoption du
projet de loi constitutionnelle : 518
Pour l'adoption : 584
Contre : 278
Le Congrès a adopté le projet de loi
constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée
de la République, approuvé à la majorité
des trois cinquièmes des suffrages exprimés (Applaudissements
sur de nombreux bancs). Il sera transmis à M. le Président
de la République.
CLÔTURE
DE LA SESSION DU CONGRÈS
M. le Président - Le Congrès
a épuisé l'ordre du jour pour lequel il avait été
convoqué.
Je déclare close la session du Congrès
du Parlement.
La séance est levée
à 19 heures 20.
© Assemblée nationale |