République Française

CONGRèS  DU  PARLEMENT

compte rendu analytique officiel

LUNDI 28 FEVRIER 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

 Sommaire


 

Ouverture du congrès.......................................................................

Modification du titre XV
de la constitution
..............................................................................

Explications de vote..................................................................................

Charte de l’environnement........................................................

Explications de vote................................................................................

CLÔTURE DE LA SESSION DU CONGRÈS...........................................

 La séance est ouverte à quatorze heures.

 

Ouverture du congrès

M. le Président – Le Parlement est réuni en Congrès conformément au décret de M. le Président de la République publié au Journal officiel du 19 février 2005.

L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

M. le Président – Avant de donner la parole à M. le Premier ministre, j’indique que le Bureau du Congrès, lors de sa réunion du 23 février, a décidé que le scrutin aurait lieu dans les salles voisines de l’hémicycle et non à la tribune. Les délégations de vote pour ce premier scrutin cesseront d’être enregistrées à 14 heures 20.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Dès le jour de la signature du traité établissant une Constitution pour l’Europe, le 29 octobre 2004, le Président de la République a demandé au Conseil constitutionnel d’apprécier la conformité du traité à la Constitution de la République française. La décision du Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 me conduit à vous présenter un projet de loi constitutionnelle en trois volets : le premier ouvre dès maintenant la procédure de ratification du traité conformément à l’engagement pris par le Président de la République de soumettre cette ratification à référendum ; le deuxième aménage le titre XV de la Constitution pour tirer les conséquences des nouveaux engagements de la France pris dans le traité. Cette révision est évidemment subordonnée à l’entrée en vigueur du traité constitutionnel. Le dernier volet précise les modalités selon lesquelles les adhésions futures seront soumises à référendum comme l’a souhaité le chef de l’Etat.

Cette révision constitutionnelle est la conséquence d’une évolution fondamentale et positive de l’organisation européenne : l’Europe devient plus politique, plus démocratique, et le modèle français est mieux compris dans l’Union.

La révision constitutionnelle qui vous est aujourd’hui proposée présente plusieurs avancées démocratiques que nous demandions depuis longtemps. En particulier, le Parlement national accroît ses prérogatives dans l’organisation européenne. En contrôlant l’exercice de la subsidiarité, vous pourrez assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission. Vous pourrez opposer votre veto à une décision du Conseil mettant en œuvre le mécanisme de la « clause passerelle ».

Le Parlement recevra tous les projets d’actes législatifs européens, ce qui lui permettra d’émettre un avis motivé selon les modalités de l’article 88-5, que je compléterai par une circulaire qui permettra d’améliorer l’information et l’expression des deux assemblées.

D’autre part, le projet de révision constitutionnelle donne un pouvoir essentiel au peuple français qui pourra décider des nouvelles adhésions à l’Union européenne à l’avenir. L’Europe politique franchit ainsi une étape importante.

Cette disposition nous permettra de répondre, sans peur ni crispation, à la démarche du gouvernement turc.

Dans un premier temps, il appartiendra à la Turquie de prouver qu’elle veut et qu’elle peut vivre à l’européenne, c’est-à-dire en respectant nos valeurs, définies par « les critères de Copenhague ».

Ensuite, grâce à cette révision constitutionnelle, le peuple français tranchera. Il décidera, non pas a priori, sans donner la chance de l’émancipation européenne au peuple turc, mais en vérifiant si les réalités constatées correspondent aux volontés affichées. Les Françaises et les Français décideront des frontières de la nouvelle Europe.

D’autres innovations politiques proposées par le traité corrigeront certaines dérives bureaucratiques qui ont marqué l’évolution de l’organisation européenne.

La fin d’une présidence semestrielle du Conseil européen au profit d’une présidence qui peut être quinquennale, l’élection du président de la Commission par un Parlement européen aux pouvoirs renforcés, la prise en compte de deux politiques majeures pour la place de l’Europe dans le monde – les affaires étrangères et la défense –, tous ces progrès parmi d’autres – renforcement de la politique en matière de justice et d’affaires intérieures, amélioration de la coordination des politiques économiques – donneront aux institutions européennes plus de force grâce à plus de légitimité et de lisibilité.

Les conventionnels, grâce notamment à leur président Valéry Giscard d’Estaing, ont construit un projet qui laisse une grande place à la pensée française.

Le premier avantage de cette démarche est que le texte du traité, pour une fois, notamment dans ses deux premières parties, est bien écrit, lisible par tous, en net progrès par rapport à la rédaction si peu accessible du traité de Maastricht.

Les Français retrouveront dans le traité les valeurs qui sont les piliers de notre pacte républicain : la dignité de l’homme, les libertés, l’égalité, la solidarité, la citoyenneté et la justice, à travers notamment la présomption d’innocence et les droits de la défense. Ces droits fondamentaux des personnes, auxquels nos compatriotes sont traditionnellement très attachés, constituent l’armature de la « Charte des droits fondamentaux ». Chaque Française, chaque Français se retrouvera dans ce texte voisin de « la grande Déclaration » et du préambule de la Constitution de 1946.

Sur le plan social, le projet de Constitution européenne ajoute une dizaine d’articles pour faire progresser l’Europe sociale, notamment en renforçant les droits sociaux et en reconnaissant le rôle des partenaires sociaux. C’est ainsi qu’à la demande de la France, un sommet social tripartite réunira les présidences du Conseil et de la Commission avec les partenaires sociaux, avant chaque Conseil européen de printemps. De surcroît, une « clause sociale » impose la prise en compte des exigences sociales dans toutes les politiques de l’Union.

Une autre initiative française, « le Pacte européen pour la jeunesse », inscrite à l’ordre du jour du prochain sommet montre combien notre pays peut être influent au sein de l’Union.

Nos compatriotes pourront également se réjouir de voir reconnu dans le traité « le service public à la française » puisqu’il est écrit que les entreprises gérant « les services d’intérêt économique général » peuvent échapper aux règles de la concurrence si celles-ci rendent impossible l’accomplissement de leur mission.

Cette influence française dans le traité, visible par tous, confortera les sentiments de nos compatriotes vis-à-vis de l’Europe : fierté, quand il s’agit d’Airbus, d’Ariane ou d’Iter, nécessité quand il s’agit d’agriculture ou de territoires, efficacité quand la fraternité dépasse les rivalités.

Il vous est ainsi proposé de réviser le titre XV de notre Constitution pour que l’exercice des compétences de l’Union soit conforme au traité établissant une Constitution pour l’Europe.

J’ai l’honneur, au nom du Président de la République, de soumettre à votre approbation le projet de loi constitutionnelle qui, si vous en décidez ainsi, ouvrira la procédure de ratification, en France, du nouveau traité de Rome. Le grand débat populaire pour l’avenir de la France dans l’Union pourra alors s’ouvrir. Je suis sûr que la campagne référendaire, démocratique et pluraliste, permettra au peuple français de faire un choix d’histoire, un choix d’avenir.

Ce rendez-vous avec l’Histoire n’est pas partisan. Pour l’Europe, le projet constitutionnel n’est pas une étape après d’autres. C’est l’aboutissement d’une longue démarche à laquelle toutes les familles politiques représentées au Parlement ont contribué. L’Europe n’est ni de droite, ni de gauche : c’est notre avenir, notre destin. Hier le général de Gaulle et le Chancelier Adenauer, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et le Chancelier Schmidt, François Mitterrand, Helmut Kohl, Jacques Delors et aujourd’hui Jacques Chirac, Gerhard Schröder, Tony Blair, José Luis Zapatero, tous et bien d’autres ont construit, dans les difficultés mais avec détermination, le projet européen.

Il n’y a pas de projet de rechange. Les pères de l’Europe ont voulu la paix, non la guerre, la démocratie, non la dictature. Aujourd’hui, le monde est trop instable, l’humanité a besoin de l’Europe et de ses valeurs pour trouver son équilibre, car seul un équilibre multilatéral peut faire progresser la paix dans le monde : la domination conduit à l’affrontement, l’équilibre est un espoir de paix. Depuis le milieu du XXe siècle, l’Europe a fait la paix à l’intérieur de ses frontières, notre mission est aujourd’hui de construire la paix hors de ses frontières. L’Europe n’est plus un rêve. C’est une urgence. Oui, l’Europe est « la bonne réponse » aux défis du XXIe siècle. Sincèrement, la bonne réponse, c’est oui. (Applaudissements)

M. le Président – Conformément au Règlement du Congrès, l’orateur de chacun des groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat disposera de cinq minutes pour les explications de vote.

Explications de vote

M. Michel Mercier (Groupe de l’Union centriste-UDF - Sénat) - Même s’ils auraient préféré une réforme s’en tenant à la demande du Conseil constitutionnel, les sénateurs et sénatrices du groupe Union centriste-UDG du Sénat ont unanimement voté oui à cette réforme constitutionnelle et se battront pour que le oui l’emporte demain, afin que le traité soit ratifié.

Ce traité constitutionnel, c’est à la fois plus et mieux d’Europe, plus de démocratie pour l’Union européenne et, si nous le voulons, demain, pour chacun de ses Etats membres. Il permettra à l’Europe, désormais personne de droit, de protéger ses ressortissants et de garantir, grâce à la Charte des droits fondamentaux, le modèle de civilisation européen. S’il est ratifié, l’Europe ne sera plus une société des nations sans autre but que d’organiser un libre marché entre des Etats membres dont le nombre pourrait s’étendre sans limite, mais une union de peuples partageant effectivement le même vouloir-vivre. C’est parce que ce traité constitutionnel va dans ce sens que nous sommes unanimes à le soutenir ainsi que le présent projet de réforme constitutionnelle.

Pour à la fois plus et mieux d’Europe, il convient de mieux définir et de mieux affirmer les compétences de l’Union européenne. C’est chose faite avec un traité qui dispose que le droit de l’Union l’emporte sur le droit des Etats membres dans tous les domaines de compétence de l’Union, tout en affirmant le principe de subsidiarité, tant il est vrai que l’Union ne saurait tout faire. Grâce au traité, l’Union européenne sortira également de son rôle subalterne en matière diplomatique, à travers l’exercice d’une politique étrangère commune, même si bien entendu, cela reste un domaine où les Etats continuent de jouer un rôle essentiel. Enfin, l’adossement de la Charte des droits fondamentaux à la Constitution européenne permettra de défendre un modèle de civilisation auquel nous sommes tous attachés et qui, à lui, seul, justifie la construction européenne.

Ce traité garantit également plus de démocratie dans le fonctionnement même de l’Union. Le Parlement devient ainsi législateur de droit commun avec le Conseil des ministres, lequel aura de nouvelles modalités de fonctionnement. Ce gain de démocratie devra faire tache d’huile dans le droit de chacun des Etats. Le traité reconnaît ainsi de nouveaux pouvoirs aux Parlements nationaux. A nous de les mettre en œuvre dans les règlements de nos assemblées et de saisir l’occasion de ce traité pour renouveler le parlementarisme dans nos démocraties.

Le groupe UDF du Sénat votera cette réforme constitutionnelle et est prêt à aller au combat pour convaincre chacun de nos concitoyens de voter oui lors du futur référendum, même si nous n’en connaissons pas encore la date. (Applaudissements sur divers bancs)

Mme Nicole Borvo-Cohen Séat (Groupe Communiste Républicain et Citoyen - Sénat) – Ce projet de loi constitutionnelle aurai dû être soumis aux Français par référendum en même temps que le traité car ils forment un tout indissociable. Mais en réalité, ce Congrès est destiné à influencer le vote de nos concitoyens.

L’acharnement du Gouvernement à obtenir un vote conforme du Sénat, l’accélération du Congrès et du référendum témoignent d’une grande fébrilité. Mais nos concitoyens ne sont pas dupes. Ils font le lien entre la politique qu’ils critiquent et l’Europe ultralibérale que vous voulez constitutionnaliser. Les peuples aspirent à une Europe porteuse de valeurs de paix, de démocratie, de progrès social. C’est le choix des communistes, celui d’une Europe proposant une autre stratégie que globalisation, ultralibéralisme, et unilatéralisme.

Si les citoyens s’abstiennent massivement aux élections européennes, quand seulement trois Espagnols sur dix approuvent le traité, c’est qu’ils savent ce que signifie l’Europe d’aujourd’hui : 65 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, 20 millions de chômeurs, précarité, libéralisation des services publics, délocalisations, mise en concurrence des peuples, dépenses publiques sous le couperet du pacte de stabilité, mais aussi, d’un autre côté, financiarisation des économies et explosion des profits. Le tout couronné par le rejet des politiques et la montée de l’extrême droite dans de nombreux pays.

Le traité constitutionnel apporte-t-il des améliorations ? Non. Il consacre les traités antérieurs sur les objectifs de l’Union. Son article 1-3 dispose que l’Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée ». Au moins trois fois, la partie III – dont personne ne parle – précise que la politique économique est conduite conformément « au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Ce principe accompagne, tout naturellement, le dogme de la libre circulation des capitaux et la règle de l’unanimité pour toute décision en matière d’harmonisation fiscale, de taxation des mouvements de capitaux, de lutte contre l’évasion fiscale, ou de mesures sociales. Toute évolution et toute politique alternative sont ainsi, de fait, interdites.

De même, le traité ignore les « services publics », au profit des « services d’intérêt économique général ». Si les Etats membres voulaient lutter efficacement contre le chômage, mener des politiques d’investissements utiles, de soutien au pouvoir d’achat, de santé publique ou d’éducation ambitieuse, ils se heurteraient à lui comme à la Banque centrale européenne. La directive Bolkestein, qui fait aujourd’hui crier au scandale, découle directement des traités existants. En réalité, le texte pérennise et sacralise sous la forme d’une Constitution, qui devrait être légitimée par les peuples et très difficilement révisable, des orientations à l’œuvre depuis quinze ans avec les conséquences que l’on sait dans les domaines économique, social, culturel…

Il serait intéressant de comparer les grands principes de la Constitution française – égalité, solidarité, laïcité – et ceux du traité constitutionnel qui les ignore, mais cite 88 fois le « marché » et 68 fois la « concurrence ».

Les promoteurs du traité présentent l’inclusion de la Charte des droits fondamentaux comme une avancée. Certes, mais celle-ci n’est pas en avance sur la Charte universelle de 1948. Le droit au travail n’y est pas reconnu, seulement celui de travailler et de chercher un emploi. Le droit de grève est prévu pour les salariés et pour les employeurs. Combien de combats a-t-il fallu pourtant pour empêcher le lock-out en France ? La laïcité n’y est pas mentionnée, alors que, dans le traité, églises et communautés religieuses deviennent des interlocuteurs réguliers. L’égalité des chances des hommes et des femmes sur le marché du travail y est évoquée, mais pas celle des rémunérations. Le droit à disposer de son corps, par le biais notamment de la contraception et de l’avortement, en est absent. Aucune avancée donc pour les femmes du Portugal, de Pologne, d’Irlande. Le droit au mariage y figure, mais pas celui au divorce ! Mais, surtout, la charte n’est pas contraignante, n’assignant aucune tâche nouvelle à l’Union.

Le traité constitutionnel favorise, nous dit-on, la démocratie participative, notamment par le biais du droit de pétition. Mais la Commission européenne demeure seule maîtresse de suites à donner.

La politique de défense commune de l’Union doit être compatible avec celle de l’OTAN, dispose l’article I-41. Est-ce ainsi qu’on fera de l’Europe une puissance politique face aux Etats-Unis ?

Les pouvoirs des Parlements nationaux seraient accrus, nous dit-on. S’ils estiment que la Commission a outrepassé ses pouvoirs, il peuvent lui demander de s’expliquer ! Belle avancée !

C’est au regard du contenu du projet de Constitution que le groupe communiste, républicain et citoyen dit « non » à la révision, et « non » au traité. Si ce dernier est repoussé, tant mieux ! De nouvelles négociations s’ouvriront. Ce sera très bien pour les citoyens européens et, je n’en doute pas, cela permettra de réfléchir à une Europe plus sociale et plus démocratique, qui corresponde aux aspirations des populations. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Jacques Pelletier (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social - Sénat) – Le Président de la République a décidé de soumettre le projet de traité constitutionnel au peuple français. Ce défi est à la mesure d’un texte qui, un demi-siècle après le traité de Rome, fonde la deuxième étape de la construction européenne. La première étape s’est terminée le 1er mai 2004 avec l’adhésion de dix nouveaux membres et, en quelque sorte, la réunification du continent.

Le nouveau traité vient à point nommé pour combler une lacune et préparer l’avenir. L’Europe à vingt-cinq, qui compte 450 millions d’habitants, ne peut plus s’organiser comme l’Europe à six du Marché commun.

Après le relatif échec des traités d’Amsterdam et de Nice, nous pouvions nous attendre au pire. Pourtant, les chefs d’Etat et de gouvernement ont réussi à s’entendre sur un texte novateur, qui reprend largement le travail accompli par le Convention présidée par Valery Giscard d’Estaing, une Convention au sein de laquelle siégeaient les représentants des Etats, les parlements nationaux, la Commission et le Parlement européen.

Le caractère démocratique de cette entreprise ne peut donc pas être contesté. La création des postes de Président et de ministre des affaires étrangères donnera une crédibilité internationale à la nouvelle Union européenne. La clause sociale garantira le haut niveau d’emploi et de lutte contre l’exclusion auquel les citoyens européens ont droit.

L’extension de la majorité qualifiée rendra plus efficace le processus de décision. Le principe de subsidiarité est renforcé par la transmission systématique des propositions législatives aux Parlements nationaux. C’est important pour nous, parlementaires.

Enfin, le droit d’initiative citoyenne et le renforcement du rôle du Parlement européen font de la citoyenneté européenne une réalité, à côté des citoyennetés nationales.

Pour ces raisons, je considère que le traité constitutionnel est un bon traité qu’il faut ratifier.

Mes chers collègues, je suis entré en politique active en 1958. (Murmures) Depuis cette date, malgré les crises qui ont secoué l’Europe, j’ai toujours vu progresser l’idée d’intégration. Il serait paradoxal que la France, membre fondateur de la Communauté européenne, refuse cette nouvelle avancée.

De grâce, pas de repli frileux.

Dans le contexte mondial actuel, que représentent nos 60 millions d’habitants par rapport aux Etats-Unis, à l’Inde et surtout à la Chine ?

Je suis convaincu que seule l’Union européenne, avec ses valeurs humanistes et pacifiques, peut rendre sa place à l’homme. Pensons aux générations futures, à nos enfants, à nos petits-enfants, qui se sentent autant citoyens européens que citoyens français.

Monsieur le Président, je terminerai en citant deux grands humanistes. Victor Hugo, européen avant l’heure, disait : « Un jour viendra où vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et vos glorieuses individualités, vous vous fondrez étroitement dans une unité européenne et vous constituerez la fraternité européenne. »

Le 9 juillet 1947, devant l’Association de la presse anglo-américaine, le général de Gaulle déclarait : « Il me semble qu’il est avant tout nécessaire de refaire la vieille Europe, de la refaire solidaire, notamment quant à sa reconstruction et à sa renaissance économique dont tout le reste dépend, de la refaire avec tous ceux qui, d’une part, voudront et pourront s’y prêter et d’autre part, demeurent fidèles à cette conception du droit des gens et des individus d’où est sortie et sur laquelle repose notre civilisation. »

Les membres du Rassemblement démocratique et social européen se sentent proches de ces deux descriptions visionnaires. A part deux d’entre eux dont je respecte les convictions, ils me suivent avec enthousiasme su le chemin de la construction européenne. Nous préférons de beaucoup ce traité constitutionnel au mauvais traité de Nice. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Jean-Pierre Bel (Groupe Socialiste - Sénat) – Puisque le temps qui nous est accordé est limité, je veux dire sans attendre que le groupe socialiste du Sénat, très majoritairement, approuvera cette révision constitutionnelle, non pour son contenu mais parce qu’elle ouvre la voie à la ratification du nouveau traité portant constitution pour l’Europe.

Les militants socialistes français ont voulu cette ratification, dans une consultation à laquelle ils ont massivement participé et qui fut l’occasion d’un débat de haute tenue.

Je veux rendre hommage à tous ceux qui ont animé cette confrontation citoyenne et militante. Je salue tous mes camarades socialistes qui ont participé à ce débat avec conviction, mais toujours dans le respect de l’unité de notre formation, clé de nos victoires futures.

Si l’avenir de l’Europe démocratique et sociale est entre nos mains, la ratification de ce traité constitutionnel est la première étape.

Certes, il n’est pas parfait, mais personne ne pourra lui reprocher d’avoir été adopté dans le secret des cabinets diplomatiques. Il est le fruit d’un long travail, de discussions âpres et difficiles, de contributions nombreuses émanant des représentants des parlements nationaux, des gouvernements et des acteurs de la vie sociale. Sa méthode d’adoption constitue en elle-même une avancée pour la démocratie européenne. Ce n’est pas la seule.

Ce texte crée la communauté de destin nécessaire à l’émergence d’un espace public européen. Il institue, avec la Charte des droits fondamentaux, un socle de valeurs partagées par tous les citoyens d’Europe : respect des droits de l’homme, de l’égalité entre les hommes et les femmes, des libertés syndicales et du droit de grève, protection des salariés en cas de licenciement abusif…

Il renforce la démocratie au sein de l’Union : extension de la majorité qualifiée, renforcement des pouvoirs du Parlement européen, contrôle du principe de subsidiarité par les parlements nationaux, reconnaissance d’un droit de pétition aux citoyens européens.

Pour la première fois, l’Union européenne se donne pour objectif d’assurer le plein emploi et le progrès social. Pour la première fois, un traité européen reconnaît la notion d’économie sociale de marché et dote l’Europe d’une base juridique solide pour la défense des services d’intérêt général.

Comme beaucoup d’entre vous, j’aurais souhaité qu’on puisse aller plus loin et plus vite. Mais ce traité ne constitue que le cadre de notre action future, il ne détermine pas le contenu d’une politique. Il est un point de départ, en aucun cas un point d’arrivée. Rien ne sert de faire de l’Europe un alibi commode pour justifier de l’inefficacité de l’action publique. Ne faisons pas de la contrainte européenne un prétexte facile.

Je le dis à mes amis : le 21 avril ne trouve pas son origine à Bruxelles. Il nous appartiendra de nous battre pour donner un contenu social aux politiques publiques européennes. Comme l’a dit François Hollande : « L’Europe n’est pas l’abdication de la volonté politique », au contraire. Nous sommes déterminés à combattre la politique libérale du Gouvernement, à lutter contre le démantèlement de nos services publics, à empêcher la remise en question des 35 heures et à réduire le chômage.

Non, ce traité n’est pas un horizon indépassable. Certes, l’Europe est aujourd’hui majoritairement à droite. Mais nous voyons poindre le printemps du changement, hier en Espagne, aujourd’hui au Portugal, en attendant d’autres victoires.

Le groupe socialiste du Sénat a combattu les dispositions instituant un référendum obligatoire pour tout élargissement ultérieur. Ni nécessaires, ni opportunes, elles portent atteinte aux prérogatives du Parlement comme à celles des futurs Présidents de la République. Nous avons souhaité améliorer le contrôle parlementaire des processus d’adhésion. Nous nous sommes heurtés à une fin de non-recevoir et nous le regrettons.

La toujours jeune démocratie espagnole s’est prononcée pour le oui à 80 %, avec une abstention trop forte, faute d’enjeu. Dans quelques semaines, les Français à leur tour se rendront aux urnes. Prenons garde au sentiment d’avoir tout dit. Nos concitoyens ignorent en grande partie le contenu et les enjeux du texte.

Notre responsabilité est grande. Les socialistes n’entendent pas se dérober. Ils répondront de la manière la plus claire qui soit : par un oui de gauche, un oui socialiste, un oui qui nous amènera à redoubler d’énergie pour sanctionner ce gouvernement qui reste sourd aux demandes des Français. C’est dans cet esprit que les sénateurs socialistes approuvent cette révision constitutionnelle, première étape vers l’Europe que nous voulons. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

Mme Marie-George Buffet (Groupe des député-e-s- Communistes et Républicains - Assemblée nationale) - Il nous est demandé de modifier la Constitution de notre République. Une telle décision n’est jamais banale. La révision qui nous est proposée aujourd’hui revêt un caractère historique. Il s’agit d’inscrire dans la Constitution, pour les décennies à venir, un projet de traité qui impose le principe de concurrence à toute politique économique et sociale. Nous connaissons le résultat : bradage des services publics, casse de l’emploi, destruction des droits sociaux, écrasement des retraites et de l’assurance-maladie…

Nous allons, par notre vote, prendre une décision essentielle alors que le peuple n’a pas été consulté ! Nous allons voter alors qu’il ne dispose pas de tous les éléments d’information lui permettant de se prononcer en toute connaissance de cause, et que toutes les rumeurs courent à propos de la date de la consultation.

Dix peuples seulement sur vingt-cinq vont être consultés par référendum. Dans notre pays, est-ce l’abstention qui va l’emporter faute de débats démocratiques ? Soyons attentifs : si l’Europe se construit sans et contre les peuples, de nouveaux dangers se profilent pour la démocratie et la coopération entre les nations. N’ajoutons pas de la distance entre l’Europe et les citoyennes et citoyens, entre les politiques menées et les aspirations.

Il faut donner du temps au débat citoyen, contribuons à ce que les Françaises et les Français soient actrices, acteurs d’une Europe en prise avec leurs aspirations.

C’est pourquoi, vous me permettrez, au nom des députés communistes et républicains, d’écorner la tonalité consensuelle des interventions et de porter ici le non à cette révision constitutionnelle, le non au projet du traité constitutionnel, pour ouvrir la porte à une autre Europe, à une politique progressiste en France et en Europe.

Ce non est la voix d’une part importante de notre peuple, qui peut être majoritaire demain car elle résiste et porte l’espoir.

Beaucoup a été fait pour présenter le oui comme incontournable. On nous dit : c’est oui ou le chaos ! Il faudra trouver d’autres arguments pour convaincre.

La dynamique du non, quant à elle, est nourrie par la découverte du texte lui-même, les colères engendrées par les politiques libérales, menées en France et en Europe, mais aussi l’espoir en d’autres choix pour une autre vie ici et dans les vingt-cinq autres pays de l’Union.

Dire non, c’est penser que l’Europe a mieux à proposer que la mise en concurrence des salariés et des peuples !

Le non est porté par les hommes et par les femmes qui agissent contre le chômage, les bas salaires.

Le non est porté par celles et ceux qui ne veulent plus se voir niés à coups de discriminations. Le non est porté par les agriculteurs inquiets pour l’avenir de leur exploitation familiale. Le non est porté par celles et ceux qui rêvent d’autre chose pour les droits qu’une Charte par trop minimaliste et surtout n’ouvrant « aucune compétence ni tâche nouvelle pour l’Union ». Le non est porté par celles et ceux qui défendent les services publics contre le tout marchand.

Pendant des années, les directives européennes ont pesé sur les choix gouvernementaux, elles ont été inscrites dans notre droit, et aujourd’hui, il faudrait croire que cela n’a rien à voir avec la politique intérieure ! Mais celles et ceux qui luttent ont bien compris que la matrice de la politique du Gouvernement était tout entière inscrite dans le texte de M. Giscard d’Estaing.

Ils ne veulent pas voir l’alternative politique clouée au sol demain par ces chaînes libérales. En effet, l’heure n’est-elle pas plutôt à une harmonisation des droits par le haut, à de grands services publics, à une Banque centrale européenne au service de l’emploi, à une Europe solidaire et accueillante, à une Europe actrice d’une autre mondialisation ?

Enfin, à l’heure de la célébration du soixantième anniversaire de la Libération, comment ne pas s’inquiéter de l’imposante contradiction entre les grandes réformes sociales édifiées à l’époque et les logiques libérales européennes qui les broient désormais, entre l’élan de paix d’alors et la tentation atlantisme d’aujourd’hui ?

L’Europe a perdu son chemin : il faut dire non pour lui redonner du sens. Celui d’une Europe du progrès social, de la démocratie et de la paix. Celui d’une Europe qui réponde aux attentes populaires.

Vous l’aurez compris, nous ne pouvons accepter ces modifications constitutionnelles, qui préjugent de l’opinion de notre peuple.

Notre non porte sanction des politiques libérales, notre non est un vote d’espoir. En votant non, les députés veulent ouvrir la porte à des changements en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Mme Anne-Marie Comparini (Groupe de l’Union pour la Démocratie française – Assemblée nationale) – Puisque nous n’avons que cinq minutes, mon intervention ne portera que sur la Constitution pour l’Europe, qui, même si elle comporte quelques lacunes, est une avancée majeure pour nous, Européens. J’en parlerai avec d’autant plus de satisfaction que l’UDF réclamait déjà en 1999 un système institutionnel capable de rendre l’Europe plus démocratique, plus efficace et plus lisible. Il nous semblait en effet vain de vouloir un projet européen sans avoir les institutions aptes à le promouvoir auprès de nos concitoyens.

Aujourd’hui avec la Constitution nous accédons à une étape décisive, qui nous fera progresser vers plus de démocratie. Une étape bien utile, car l’Europe a besoin de la participation des Européens pour répondre au déficit démocratique. Mais aussi pour se rapprocher de sa vision fondatrice. L’Europe a été créée non pour coaliser des Etats, mais pour unir des hommes. Or, son fonctionnement intergouvernemental explique en partie le peu de familiarité des citoyens avec elle. C’est donc un grand pas que la Constitution fait faire. En organisant un rééquilibrage au profit des Parlements européens et nationaux, elle donne aux citoyens la possibilité d’apporter un soutien actif aux questions européennes qui ne doivent plus leur être étrangères.

Une étape décisive aussi parce que la Constitution symbolise notre envie d’agir ensemble autour d’un projet clair. Nous entendons souvent « à quoi sert l’Europe ? » Eh bien, disons-le : l’environnement mondial nous impose de ne pas assister les bras croisés à la montée de grandes régions économiques, au profond changement social et technologique qui trouble nos concitoyens et à l’émergence de périls inédits, qui menacent notre sécurité intérieure et extérieure. Ces défis importants seront relevés à une autre échelle que celle de nos Etats. Cette autre échelle, nous avons la chance de l’avoir, c’est l’Europe. Mais il faut qu’elle ait un minimum d’instruments de gouvernance.

Là encore, la Constitution répond à ces critiques. Elle assure enfin une identification de ses dirigeants et de leurs responsabilités. Avec le rétablissement du Conseil européen dans sa fonction politique, avec la mise en place d’une gouvernance économique – car l’euro ne fait pas à lui seul l’économie – et avec des outils diplomatiques et militaires, pour marquer le monde de son influence et faire respecter le droit à sa sécurité.

Enfin la Constitution nous fait progresser vers un espace social commun. L’Europe a besoin d’être présente par sa puissance mais aussi par son modèle socio-économique, car nos concitoyens demandent, avec raison, que nous trouvions des solutions européennes pertinentes aux problèmes qui les préoccupent. A-t-on vu sur tous les bancs que la Constitution est le premier texte européen qui assigne à l’Union des objectifs sociaux et qui reconnaît les syndicats et les services publics ? Et dit-on assez fortement – assez pour que les commissaires européens l’entendent – que nous voulons atteindre par l’harmonisation des objectifs qui permettront d’élever tous les peuples de l’Union à notre niveau de vie, et non pas le contraire ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous sommes impatients d’expliquer aux Français les changements bienvenus qu’apporte la Constitution européenne ! Encore faudrait-il que la date du référendum français soit connue !

Par ailleurs, nous ne craignons pas le débat sur la Constitution. Mais encore faudrait-il que le Président n’accélère pas trop le calendrier, au risque de desservir l’Europe !

Quoi qu’il en soit, nous participerons à la campagne avec énergie et convictions, et puisque nous appellerons à voter oui à la Constitution européenne, nous votons pour cette révision qui en est l’antichambre. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Jack Lang (Groupe Socialiste - Assemblée nationale) – Dans le processus référendaire qui s’ouvre, l’Europe regarde notre pays. Depuis cinquante ans, la France a été en grande partie son inspiratrice, elle a conçu ses ambitions et a soutenu la plupart de ses réalisations. Faudrait-il renoncer, au moment où s’accomplit, même imparfaitement, voire très imparfaitement, un idéal que nous n’avons cessé de porter, à unir nos nations par un texte démocratique, social et laïque ?

Apprécions plutôt à sa juste mesure ce moment rare que nous avons le privilège de vivre ensemble : l’Europe se dote d’une architecture nouvelle, tandis que se referment les blessures de la guerre froide.

Pour les socialistes, cette avancée historique s’accomplit en pleine fidélité avec les principes de l’internationalisme. Au sein même de mon parti, l’ampleur du débat démocratique menée pendant trois mois a été à la mesure des enjeux. Quel qu’ait été leur vote individuel – et chacun mérite le respect ‑ , les militants socialistes ont tous exprimé un même attachement aux valeurs communes de justice et de progrès.

Ce traité n’est pourtant qu’une étape. Il est le prélude à de nouvelles ambitions pour la France et pour l’Europe, à de nouveaux changements à entreprendre, ici et ailleurs. Le oui des socialistes est donc un oui de combat, pour la démocratie, pour le progrès social, pour la jeunesse et pour l’avenir.

Un combat pour la démocratie, cela va de soi. L’Europe, notre maison commune, est le plus solide rempart contre les barbaries et l’obscurantisme. Avec ce traité s’écrit une nouvelle page de la démocratie européenne. Puisse un jour cet élan démocratique conduire notre pays à entreprendre à son tour la rénovation de sa démocratie.

Un combat pour le progrès social, car l’ensemble des partis sociaux-démocrates européens et la confédération européenne des syndicats ont obtenu la reconnaissance par ce traité des droits sociaux, des services publics, de la diversité culturelle, du plein emploi, du développement durable. Avec la Charte des droits fondamentaux, c’est la première fois que se construit en droit international, à l’échelle d’un continent, un ordre normatif aussi ample. Faudrait-il faire la fine bouche ?

Mais là encore, ce n’est qu’une étape, une première victoire. Nous n’en resterons pas là. La feuille de route des futurs combats socialistes est claire : obtenir un traité social européen, une loi-cadre pour les services publics, un gouvernement économique, et puis, chaque jour, à chaque instant, mener la lutte contre le chômage, contre la précarité, contre la mondialisation sauvage. Et le jour venu, nous conduirons, ici et ailleurs, de puissantes politiques publiques, industrielles, scientifiques, pour redonner souffle à notre économie. Rien dans ce texte n’interdit à un gouvernement qui le veut, à l’Union européenne qui le voudrait, de mener des politiques de transformation sociale.

Notre oui est enfin un oui de combat de la jeunesse. Aux nouvelles générations qui doutent, l’Europe peut offrir des perspectives neuves, un vrai projet de civilisation, de nouvelles frontières intellectuelles et morales. Ce que nous avions engagé avec par exemple l’harmonisation européenne des diplômes ou les bourses de mobilité, nous devons l’amplifier : offrir à chaque jeune fille et à chaque jeune homme la chance de pouvoir vivre et de travailleur dans un autre pays. Des liens d’amitié ainsi créés naîtra ce vouloir vivre ensemble qui donnera à l’Europe politique l’âme qui lui manque encore. L’investissement intellectuel est le premier investissement économique et politique d’un pays ou d’un continent. Construire une Europe de l’intelligence, de la science et de la jeunesse : voilà un grand projet mobilisant les énergies des générations à venir.

Comment imaginer que notre pays puisse tourner le dos à l’Europe ? Le non serait une négation de nous-mêmes. Il reviendrait à effacer notre histoire, à briser ce que nous avons bâti depuis cinquante ans. La France a besoin de l’Europe. L’Europe a besoin de la France.

Alors, moins que jamais, nous ne devons abdiquer, renoncer, hésiter. Comme à chaque rendez-vous avec le peuple, c’est notre destin que nous mettons entre ses mains.

Le oui auquel nous l’invitons est certes un oui de raison, de bon sens et de responsabilité, mais c’est aussi un oui de cœur et d’espérance. L’Europe est une partie de nous-mêmes (Applaudissements sur divers bancs).

M. Pascal Clément (Groupe de l’Union pour un Mouvement populaire – Assemblée nationale) – Dans quelques mois, nous allons franchir l’étape essentielle qui dotera l’Europe d’un traité constitutionnel. Le Président de la République a décidé que la ratification de ce texte devra être autorisée par le peuple souverain et, en préalable, le Conseil constitutionnel a souhaité que notre Constitution nationale soit révisée, comme cela avait été fait pour les traités de Maastricht et d‘AmsterdaM. Certains ne voient par conséquent dans la présente révision qu’un simple préalable pour organiser la consultation du peuple français. Mais réviser la norme suprême de notre droit n’est jamais anodin, surtout lorsqu’il s’agit de permettre l’entrée en vigueur d’un texte qui porte lui-même le nom de Constitution.

Je veux le redire avec force : par cette révision, nous ne modifions pas la hiérarchie des normes françaises et la place de notre Constitution à son sommet. Le terme même de « traité constitutionnel » mérite quelques explications : soyons clairs, le texte reste un traité interétatique et si la France en respecte les stipulations, ce en sera pas parce que le droit européen prime désormais, mais parce que notre République aura librement choisi de le ratifier. Il ne s’agit en aucun cas d’entériner on ne sait quel auto dessaisissement de pouvoir constituant, et le traité ne constitue nullement l’acte fondateur d’une entité confédérale où la France renoncerait à exercer sa plein et entière souveraineté.

La Convention pour l’avenir de l’Europe a su proposer un texte ambitieux et réaliste, tendant à rendre plus proches et plus efficaces les institutions de l’Europe à 25. A ce titre, il accorde une place prépondérante aux parlements nationaux, notamment dans l’exercice des prérogatives tendant à faire respecter le principe de subsidiarité.

Les auteurs du traité ont voulu privilégier les procédures efficaces et rapides, et donc dans cet esprit qu’il nous est proposé de réécrire l’article 88-5 de notre Constitution. Un débat s’est ouvert à cette occasion sur l’étendue de la faculté donnée aux Parlements nationaux de voter des résolutions. Si nous voulons tous accroître les pouvoirs de contrôle de nos assemblées sur les affaires européennes, il était de notre devoir de ne pas attenter à l’équilibre de nos institutions. Aussi sommes-nous finalement parvenus à un compromis satisfaisant, tendant à accroître sensiblement nos prérogatives sans mettre à mal l’équilibre des pouvoirs.

Il ne faut pas mélanger les problèmes. Certes, nous n’avons pas tous la même interprétation de l’article 2 du projet de révision disposant que « tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un Etat à l’Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République ». Certains contestent la validité juridique de ces dispositions : peuvent-ils sérieusement mettre en cause leur nécessité politique ? Assurément non ! Il est indispensable que toute nouvelle candidature soit soumise à référendum. Ainsi, les opposants à l’adhésion de la Turquie se trompent de combat lorsqu’ils plaident pour le rejet de la Constitution européenne afin de marquer leur hostilité. Les deux problèmes feront tout simplement l’objet de deux débats référendaires distincts.

M. Bernard Accoyer - Très bien !

M. Pascal Clément - Pour toutes ces raisons, c’est d’enthousiasme que le groupe UMP votera cette révision constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Hubert Haenel (Groupe Union pour un Mouvement populaire – Sénat) – Cette révision constitutionnelle est là pour ouvrir des voies. Tout d’abord, elle ouvre la voie à l’approbation du nouveau traité, qui est l’acte refondateur dont l’Union élargie avait besoin. Avec le traité constitutionnel, nous renforçons les bases de l’entreprise commune engagée il y a un demi siècle ; en même temps, nous donnons à l’Union une capacité de décision adaptée aux réalités de l’Europe des vingt-cinq, bientôt des vingt-huit.

Mieux fonctionner à vingt-cinq et pouvoir aller de l’avant à quelques-uns : tel est l’objectif à atteindre. Une Europe plus large a besoin d’institutions fortes.

C’est une Union plus solide qui se dessine, mieux à même de s’affirmer dans les relations internationales. Il y a quarante ans, le général de Gaulle déclarait : « Il faut à l’Europe des institutions qui l’amènent à former un ensemble politique, comme elle en est déjà un dans l’ordre économique ». En substance, c’est ce programme que nous réalisons aujourd’hui. (« Très bien ! » sur divers bancs)

Le traité constitutionnel donne aussi une réponse à la question de l’identité européenne, puisqu’il la définit comme une communauté de valeurs et d’objectifs, reposant sur des héritages partagés ; et ces orientations communes, qui sont précisées au début du traité constitutionnel, expriment une synthèse entre valeurs sociales et libérales ou, si l’on préfère, entre « concurrence, coopération et solidarité, pour reprendre une formule chère à Jacques Delors. (« Excellent ! » sur divers bancs)

On fait donc un mauvais procès au nouveau traité, lorsqu’on l’accuse d’imposer un virage libéral à l’Europe. Le traité constitutionnel met en avant la notion d’économie sociale de marché » : or cette notion, lancée par la démocratie chrétienne allemande en 1949 et accepté par la social-démocratie allemande dix ans plus tard, renvoie au modèle du « capitalisme rhénan », qui fait une large place au dialogue entre les partenaires sociaux, et non pas au modèle plus libéral du « capitalisme anglo-saxon ».

Cessons donc de faire peur à nos concitoyens en leur expliquant que le nouveau traité instaure la loi de la jungle en Europe. C’est le contraire qui est vrai. L’ancien conventionnel que je suis peut en témoigner. Nous devons convaincre les Français en difficulté qu’ils n’ont rien à gagner d’une Europe en crise, au contraire. Si le non l’emportait, l’échec ne serait pas l’échec du pouvoir ou de telle ou telle formation politique mais l’échec de la France.

En réalité, le traité constitutionnel contient plus de garanties qu’aucun des textes qui l’ont précédé.

Mais le sens de la présente révision, ce n’et pas seulement de permettre l’approbation du traité constitutionnel, mais aussi d’ouvrir la voie à un cours nouveau dans la construction européenne, où le principe de subsidiarité devra être l’un des principes directeurs de l’Union.

Si les citoyens s’éloignent de l’Europe, c’est parce qu’elle en fait souvent trop... ou pas assez ! Le traité constitutionnel permet de recentrer la construction européenne vers ses domaines d’intervention essentiels : la lutte contre la grande criminalité transfrontalière, une police et une justice européenne opérationnelles, la maîtrise de l’immigration, une défense européenne autonome ; alors, les citoyens comprendront mieux l’Europe, et du même coup s’y retrouveront davantage.

Nos deux assemblées vont désormais disposer d’instruments efficaces pour opérer ce recentrage. Elles auront désormais un rôle direct dans le processus de décision européen.

Le traité constitutionnel ouvre la voie d’une Europe plus démocratique, plus légitime, plus efficace, plus opérationnelle, plus contrôlable et plus responsable. Une Europe qui pourra peser dans les affaires du monde. Ainsi, l’Europe répondra aux attentes fortes de nos concitoyens. En dehors de l’Europe, la France ne peut exercer son pouvoir d’influence. Sans la France, l’Europe n’est plus l’Europe.

C’est dans cet esprit que le groupe UMP du Sénat votera sans réserve le projet de loi soumis au Congrès. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. le Président – Nous en avons terminé avec les explications de vote. Le scrutin sur l’ensemble du projet de loi constitutionnelle est ouvert pour trente minutes dans les huit bureaux de vote installés à proximité de l’hémicycle.

La séance, suspendue à 15 heures 15, est reprise à 15 heures 55.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : .................................. 892
Suffrages exprimés : .................................. 796
Majorité requise pour l’adoption
du projet de loi constitutionnelle :................. 478
(trois cinquièmes des suffrages exprimés)
Pour l’adoption : ........................................ 730
Contre : ...................................................... 66

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Il sera transmis à M. le Président de la République. (Applaudissements).

L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre  J’ai à nouveau l’honneur de proposer à votre approbation une évolution essentielle de notre Constitution, cette fois pour y adosser la Charte de l'environnement. Inscrire dans notre Constitution le droit à un environnement préservé, c’est engager la France, pour elle-même, mais aussi pour les autres nations.

Le Président de la République a eu, à Johannesburg, les mots forts, les mots justes : oui, la « maison brûle » ; oui, la planète se réchauffe dangereusement ; oui, l’érosion de la biodiversité s’accélère. Les exemples sont hélas nombreux. Les menaces écologiques s’accumulent. Les Français ne comprendraient pas que nous différions l’adoption de cette Charte, étape fondamentale de notre engagement pour le développement durable.

Se préparer à l’adoption de la Constitution européenne, comme vous venez de le faire, était indispensable pour notre engagement européen ; approuver la Charte de l'environnement l’est tout autant, pour le rôle pionnier de la France dans le monde. Le Congrès fait preuve de clairvoyance : il examine aujourd’hui deux sujets fondamentaux pour notre devenir. L’adoption de la Charte est une étape décisive pour l’histoire des droits dans notre pays. Grâce à la volonté indéfectible du Président de la République, la Charte élève le développement durable au plus haut niveau de notre édifice juridique, à l’égal de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. Ce texte fondateur n’a rien de partisan.

La France devient ainsi le premier pays à consacrer au droit de l’environnement une déclaration constitutionnelle complète. La mission de la France a toujours été de montrer le chemin des principes fondamentaux du progrès humain. Car le développement durable n’est pas la crainte du progrès, c’est au contraire l’assurance que le développement de nos sociétés sera pérenne, grâce à la prise de conscience du besoin absolu de concilier développement économique, progrès social et protection de l’environnement. Il ne s’agit pas d’une nouvelle philosophie abstraite, mais d’une maxime d’action et d’une volonté d’anticipation. En développant les éco-industries, en favorisant la croissance des énergies non émettrices de gaz à effet de serre, en développant les recherches sur les transports propres, nous réorientons notre activité économique vers l’avenir tout en protégeant notre environnement.

La Charte qui vous est proposée aujourd’hui est le fruit d’une longue maturation. Dirigée par le grand paléontologue Yves Coppens, menée à l’abri de toute influence partisane, la réflexion qui l’a précédée, coordonnée avec la société civile, a été exemplaire. Les améliorations apportées par vos Assemblées ont permis de l’enrichir et de la préciser, et je veux ici saluer le travail accompli par vos commissions et leurs rapporteurs.

Le premier article de la Charte est emblématique de cette nouvelle conception de l’environnement. En reconnaissant le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, nous consacrons l’avènement d’une écologie humaniste, qui n’oppose en rien l’homme et la nature. Protéger l’environnement, c’est protéger l’homme et son enfant. C’est une exigence absolue de nos concitoyens. Il fallait y répondre. C’est l’objet du plan national santé-environnement adopté en juin 2004.

Grâce au débat parlementaire, l’article 5 concernant le principe de précaution a été précisé d’une façon qui incitera probablement le législateur à compléter notre droit positif.

Trop de propos erronés ont été à l’origine tenus sur le sens et la portée de ce principe. Il est défini dorénavant très clairement, ce qui en garantira l’application et évitera tout risque de mauvaise interprétation.

Le principe de précaution n’est pas une menace, c’est un « principe d’action, exceptionnel, pour risques exceptionnels », comme l’écrit Hubert Reeves. Un seul exemple : le réchauffement climatique. Les scientifiques du monde entier nous annoncent un réchauffement compris entre 1,5 et 6 degrés d’ici à la fin du siècle ; devons-nous attendre qu’ils précisent leurs chiffres pour agir ? Bien évidemment, non !

C’est pourquoi, avec le « plan climat », nous appliquons strictement le protocole de Kyoto, et nous nous engageons dès maintenant à aller au-delà, à militer pour « Kyoto plus ». Le crédit d’impôt, dès aujourd’hui, pour favoriser des économies d’énergie et l’utilisation d’énergies renouvelables, demain la pile à combustible, la séquestration du carbone ou le photovoltaïque grâce à un effort de recherche sans précédent, sont des engagements qui ne peuvent être renvoyés à plus tard. Même si nous ne connaissons pas encore tout de l’intensité du réchauffement, de ses conséquences précises, nous devons agir sans attendre le stade des certitudes scientifiques.

Notre génération possède déjà le néfaste pouvoir de condamner les suivantes. La Charte que je vous invite à adopter aujourd’hui marque donc un engagement définitif pour que la logique de préservation de notre environnement soit présente dans l’ensemble de nos politiques. Il n’est plus temps de s’interroger sur la question de savoir si nos politiques de recherche, de développement économique, de formation, doivent ou non intégrer la protection de l’environnement. La réponse est claire : c’est oui. Le développement durable doit devenir un levier puissant pour notre développement scientifique, technique et industriel et donc pour l’emploi.

Nous le devons aux Français, qui n’acceptent plus que l’on oublie la préservation de l’environnement quand on améliore les transports, l’habitat ou les activités économiques. Lorsque l’on décide, comme je viens de le faire, de tripler la production de biocarburants, on offre un nouveau débouché aux productions agricoles, et on intègre l’acte de production agricole dans la stratégie de lutte contre l’effet de serre.

Notre engagement pour le développement durable se fait en pleine cohérence avec nos engagements européens et internationaux.

La cohérence est d’abord européenne, puisque le projet de Constitution européenne prévoit pour la première fois l’intégration des exigences de protection de l’environnement et de développement durable. La politique européenne de l’environnement sera fondée sur les principes de précaution, de prévention et de correction ; si vous en décidez ainsi, la France va les intégrer dès maintenant dans sa Constitution.

Elle fait mieux : elle précise et donne une portée concrète à ces principes afin d’influer dorénavant sur l’ensemble de la législation. Elle y ajoute le principe de réparation des dégradations causées au milieu lui-même, ainsi que le devoir de former et d’informer l’ensemble des Français. Des citoyens éclairés sur les enjeux fondamentaux pour le devenir de la planète, c’est la garantie d’un débat démocratique, rationnel et responsable, à la hauteur de ces enjeux. Nous suivons ici le conseil d’Edgar Morin : « si on éduque pour le futur, on éduque en même temps le futur, on aide le futur à prendre un chemin qui ne soit pas catastrophique ».

La Charte est également conforme à notre engagement international puisque nous ne gagnerons le combat pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique qu’en mobilisant l’ensemble des pays développés, et en aidant les pays moins avancés à se développer de manière plus respectueuse de l’environnement que nous ne l’avons fait nous-mêmes au cours de notre histoire. Dans cette perspective, nous ajouterons un « fonds carbone » qui, venant compléter notre aide au développement, nous permettra d’agir sur des sites particulièrement émetteurs de gaz carbonique. En animant le processus international de préservation des forêts du bassin du Congo, en relançant une initiative pour la préservation des récifs coralliens, nous participons à la protection des milieux exceptionnels pour leur biodiversité.

L’intégration de la Charte de l’environnement dans notre socle constitutionnel est la marque la plus crédible de l’engagement de la France en faveur d’une gouvernance mondiale de l’environnement – de cette organisation des Nations unies pour l’environnement laquelle nous travaillons. La dynamique internationale est heureusement largement lancée sur ces sujets : Rio, Kyoto en sont les preuves tangibles. L’article 10 de la Charte marque la détermination de la France à aller dans cette direction.

Adosser la Charte de l’environnement à notre Constitution, ce n’est pas une réaction de peur devant l’avenir, c’est un acte de responsabilité. Nous ne pourrons pas dire à nos enfants : « Je ne savais pas ». Deux personnalités, aux compétences écologiques respectées, écrivaient tout récemment : « Voter pour la Charte, c’est ouvrir des possibles. La rejeter, c’est dramatiquement restreindre l’avenir ». Vivons notre responsabilité comme un devoir d’avenir. (Applaudissements)

explications de vote

M. Christophe Caresche (Groupe socialiste – Assemblée nationale) – La Charte de l’environnement n’est pas un texte comme les autres. C’est une réforme constitutionnelle qui revêt une dimension symbolique forte, voulue comme telle par le Président de la République. C’est pourquoi nous ne comprenons pas les conditions dans lesquelles nous l’examinons aujourd’hui.

Si l’objectif était de valoriser son adoption, pourquoi l’avoir inscrite en même temps que la révision constitutionnelle liée au traité constitutionnel européen, au risque d’affaiblir la portée de ces deux textes et de semer la confusion ? Il n’y avait aucune nécessité à débattre dans la précipitation de la Charte de l’environnement, sujet qui méritait à lui seul une réunion du Congrès, qui aurait pu se tenir dans quelques semaines. Faut-il voir dans ce télescopage les ambiguïtés et les contradictions du Président de la République et de sa majorité en matière d’environnement ?

Dans ce domaine, Monsieur le Premier ministre, vos actes sont rarement en accord avec les intentions que vous affichez. Nous vous demandons de renoncer définitivement au gel des crédits de l’Agence de la maîtrise de l’environnement et de l’énergie, et pas seulement cette année. Nous vous demandons de rétablir les subventions aux associations écologistes. Nous vous demandons de prendre une position claire et nette contre les OGM – actuellement, votre gouvernement poursuit devant les tribunaux les présidents de région qui ont pris des arrêtés interdisant ces substances !

L’introduction du droit à l’environnement dans notre Constitution représente un progrès indéniable que nous approuvons. C’est consacrer le droit à l’environnement au même titre que les droits de l’Homme ou les droits sociaux. Certains ont pu s’en étonner ou même s’en offusquer, mais c’est la même urgence, la même nécessité qui, il y a un peu plus de deux siècles, conduisaient à la reconnaissance des droits de l’Homme ; qui, il y a soixante ans, consacraient les droits sociaux.

Les menaces qui pèsent sur l’environnement et sur la planète exigent une prise de conscience et une réponse à la mesure de leur gravité. Elles doivent nous conduire à rompre avec une logique productiviste qui a trop longtemps marqué les esprits. La constitutionnalisation du droit à l’environnement contribuera à cette prise de conscience, et surtout elle donnera un fondement et une cohérence juridiques à un droit qui, pour l’essentiel, s’est développé par la jurisprudence.

Vous avez, pour cela, choisi une méthode inédite et singulière : « l’adossement » d’un texte, d’une « charte », à la Constitution. Cette méthode donnera une grande latitude au juge constitutionnel : c’est lui, en définitive, qui validera les principes contenus dans la charte et les interprétera - avec une compétence scientifique qui, à mon sens, reste à démontrer !

Il eût mieux valu, comme le proposait la commission Coppens dans l’une de ses recommandations, un texte constitutionnel court, complété par une loi organique qui aurait donné toute sa place au législateur ; d’autant que les contradictions et incohérences qui se sont exprimées parfois fortement au sein de la commission Coppens n’ont pas été surmontées dans le texte qui nous est soumis.

La Charte de l’environnement apparaît parfois restrictive, en retrait par rapport au droit actuel, et parfois aventureuse.

Restrictive : pourquoi le principe pollueur-payeur n’y figure-t-il pas explicitement ? Est-ce pour ne pas effrayer ceux qui auraient à l’appliquer ? Au moment où les Français découvrent les profits réalisés par Total alors que cette société a participé a minima à la réparation des dommages qu’elle a causés, l’absence de ce principe dans la Charte est un très mauvais signal.

Aventureuse : comment expliquer, alors que l’application de tous les autres principes est renvoyée à la loi, l’introduction du principe de précaution avec application directe ? Le principe de précaution pourra être invoqué directement devant les tribunaux ; ce sont donc les juges qui auront la lourde responsabilité de définir les conditions de son application, c’est la jurisprudence qui répondra aux questions que nous avons posées, notamment sur le champ d’application de ce principe.

Nul doute que le législateur sera saisi tôt ou tard pour apporter des précisions, mais il aurait été plus sage de le faire dès aujourd’hui. A aucun moment le Gouvernement n’a accepté la discussion parlementaire : ce texte était à prendre ou à laisser. Expédié en une seule lecture ! Nous l’examinons aujourd’hui, presque en catimini, comme si le Gouvernement avait eu peur des parlementaires, et d’abord de sa propre majorité (Exclamations).

Ce débat est inachevé et nous sommes convaincus qu’il faudra le reprendre. Mais, en responsabilité, nous ne prendrons pas le risque de faire échec à cette réforme constitutionnelle, nous ne voterons pas contre. Nous ne participerons pas au vote. (Applaudissements).

M. François Sauvadet (Groupe de l’Union pour la Démocratie Française – Assemblée nationale) – Cette Charte de l’environnement a suscité à la fois beaucoup d’espoirs et beaucoup de réserves qui n’ont pas toutes été levées lors de la discussion à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Nous sommes dans une situation un peu paradoxale : le sentiment est unanime sur ces bancs qu’il est nécessaire, et ô combien, d’intervenir sur un sujet qui nous concerne tous et qui concerne l’avenir de nos enfants, la protection de notre environnement ; en même temps, dans tous les groupes, le débat a été très animé sur la solution qui nous est proposée aujourd’hui.

Nous avons également beaucoup discuté de ce fameux principe de précaution prévu par l’article 5, qui deviendra d’application directe. Les risques qu’il fait encourir à la recherche et à l’innovation mais également les risques de judiciarisation ont été maintes fois évoqués par les parlementaires, les scientifiques, les constitutionnalistes et les experts. Les améliorations apportées par voie d’amendement n’ont pas apaisé toutes les craintes, ce dont a d’ailleurs témoigné le vote des deux Assemblées.

Nous craignons également de nous trouver dans une situation difficile vis-à-vis de nos partenaires européens car le traité européen comporte un chapitre consacré à l’environnement : en effet, les dispositions de la Charte, et en particulier son article 5, risquent de soulever des problèmes de cohérence avec ce qui est et sera en vigueur dans d’autres pays d’Europe. Or la cohérence, notamment en matière de sécurité alimentaire, est impérative. Si nous voulons en outre éviter des distorsions de concurrence, en particulier dans les filières agricoles et agro-alimentaires, nous devons aborder les préoccupations environnementales d’une manière commune afin de peser plus significativement au sein de l’OMC.

Le Gouvernement a voulu situer la Charte sur le même plan juridique que la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, deux textes qui ont placé l’homme au cœur du pacte républicain. Le souci de développement durable, qui constitue une nouvelle éthique politique le justifie.

L’approche environnementale ne doit pas ignorer les besoins vitaux des populations qui souffrent de la famine, des exodes : précaution ne doit pas rimer avec abandon. Nous devons également entendre les habitants des territoires ruraux qui se sentent délaissés : ils ne veulent pas que leurs terroirs soient transformés en musées. Nous ne devons pas nous payer de mots : la protection de l’environnement implique des actions fortes. Nous devrons ainsi faire preuve d’audace en matière de carburants d’origine agricole, de ferroutage, de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Une majorité du groupe UDF de l’Assemblée nationale votera la Charte, malgré les réserves que j’ai exprimées. Certains de mes collègues ne nous suivront pas et ils doivent être entendus. En tout état de cause, une prise de conscience était nécessaire afin de laisser à nos enfants un patrimoine naturel et environnemental digne de ce nom et c’est tous ensemble que nous devrons nous atteler à la tâche. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet (Groupe de l’Union pour un Mouvement Populaire – Assemblée nationale) - Trente ans ont passé depuis les premières initiatives en faveur d’une constitutionnalisation du droit à l’environnement. Plus de trente ans ont été nécessaires pour parvenir à la sacralisation d’un droit écologique. Dans le prolongement de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et des droits économiques et sociaux de 1946, la Charte est la troisième étape de la construction de notre architecture constitutionnelle. Le Président de la République avait d’ailleurs clairement fixé l’objectif le 3 mai 2001 à Orléans en associant le droit à un environnement protégé et la défense des libertés publiques.

Ce texte est historique et devrait tous nous rassembler. De Georges Pompidou à Jacques Chirac, nombreux furent ceux qui ont voulu conférer à ce droit le caractère de liberté publique constitutionnellement garantie. Jean Foyer, Gaston Defferre, Edgar Faure, Jean Lecanuet, Laurent Fabius, Ségolène Royal, Edouard Balladur, Noël Mamère, Roselyne Bachelot, Yves Cochet, Julien Dray, Christine Boutin, André Santini, Michel Barnier, tous ont présenté une initiative ou déposé une proposition de loi allant dans le sens de la constitutionnalisation.

Cette Charte est indispensable et répond aux grands impératifs écologiques : lutte pour la biodiversité, contre l’effet de serre et les pollutions multiples dont l’impact sur notre santé est de mieux en mieux reconnu. Au-delà, l’inscription constitutionnelle du droit à l’environnement, c’est l’affirmation du droit des générations futures. Si nous ne manquons pas de grandes lois, leur portée normative est en effet trop faible. L’environnement est curieusement absent des matières énumérées à l’article 34 de la Constitution. Le texte qui nous est soumis corrige cet anachronisme. Cette révision constitutionnelle s’inscrit dans un vaste mouvement de prise de conscience : en ce 28 février commence l’an un d’un siècle qui sera confronté à d’immenses enjeux environnementaux. Les associations l’ont compris en jouant un rôle moteur ; les experts ont été consultés et sous l’impulsion du Premier ministre, un travail considérable d’écoute, d’évaluation et de proposition a été accompli. Tous ces échanges ont renforcé l’originalité de la Charte : l’idée de son adossement à la Constitution, sa concision et sa clarté, le juste partage entre un principe de valeur constitutionnelle – le principe de précaution – et des objectifs de valeur constitutionnelle, impliquaient l’intervention du législateur. Ces novations juridiques considérables ne figurent dans aucune constitution étrangère.

La Charte permet en outre de sortir des incertitudes jurisprudentielles actuelles en procurant une sécurité juridique nouvelle. Elle permet de repenser le progrès en reconnaissant l’incertitude, l’indétermination et l’imprévisibilité qui lui sont inhérents. Elle affirme enfin une nouvelle façon d’appréhender la responsabilité, l’un des enjeux principaux du droit moderne.

La Charte répond à l’ambition du Président de la République de replacer la France à l’avant-garde des nations. Cette capacité d’imposer de grands principes constituants organisant les valeurs démocratiques est en effet encore plus importante aujourd’hui qu’hier. Nos société sont traversées par des conflits délicats qui remettent en cause notre modèle juridique. La Charte confirme l’imagination et la détermination dont nous savons faire preuve. Aucun pays ne doit unilatéralement nous imposer des codes nouveaux.

Cette Charte conditionne notre survie et doit s’imposer comme une référence mondiale. Telle est l’ambition que nous vous proposons de partager avec le groupe UMP, avec enthousiasme et conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Fortassin, (Groupe du Rassemblement démocratique et social européen - Sénat) – A l’évidence, l’impératif de protection de l’environnement est partagé par un très grand nombre de nos concitoyens. Elu d’un département dont la richesse principale repose sur le patrimoine naturel, je ne peux qu’être très favorable à l’idée. Pour autant, si je prends acte de la volonté du Président de la République et du Gouvernement d’adosser cette Charte à la Constitution, je suis relativement circonspect : il y a dans ce texte une emphase inutile, un lyrisme parfois superfétatoire et, si j’ose dire, une incantation normative qui ne s’imposaient pas. Cet assemblage hétéroclite de bons sentiments scientifiques et philosophiques me rend perplexe. Je considère que la loi Lepage de 1996 qui précisait que chacun à le doit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé était déjà un élément positif (Sourires) et que la loi montagne, la loi littoral, ou bien encore la loi Barnier étaient autant d’instruments qui auraient permis de protéger efficacement l’environnement… à condition d’être appliquées. On a voulu aller plus loin, soit… encore que l’on puisse se demander s’il ne s’agit pas d’un coup médiatique. (Murmures sur divers bancs) Il existe en effet un important décalage entre la volonté affichée du Président de la République et du Gouvernement de faire de la protection de l’environnement l’un des chantiers prioritaires de la législature, et la relative faiblesse du texte qui nous est soumis.

Cette Charte de l’environnement est appelée à faire partie de notre bloc de constitutionnalité, mais ne fera-t-elle pas bien pâle figure aux côtés de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789, dont les principes républicains figurent au fronton de nos édifices publics, et du préambule de la Constitution de 1946, sur lequel se sont fondés tous les progrès sociaux de la seconde moitié du XXe siècle ? Permettez-moi de penser que ces deux textes sont supérieurs à cette Charte (Rires sur divers bancs), mais il ne s’agit après tout que d’une appréciation personnelle… D’aucuns verront peut-être dans ce jugement quelque arrogance. Il n’en est rien. Mon hostilité à cette Charte vient essentiellement de son article 5. En effet, le principe de précaution, s’il peut se justifier sur le plan philosophique, est dangereux.

Tout groupe social a droit à l’écoute, au respect de sa différence et à la liberté d’expression… (Applaudissements sur divers bancs)

M. le Président – Malgré votre grand talent, Monsieur Fortassin, vous arrivez au terme du temps de parole qui vous a été imparti. 

M. François Fortassin – Ce sont les manifestations de mes collègues qui m’empêchent de m’exprimer en toute sérénité.

Ce que je crains avec cette Charte, c’est la judiciarisation de la vie publique et la multiplication des contentieux. Personnellement, je voterai contre cette révision constitutionnelle, sachant que, dans le groupe RDSE du Sénat, certains feront de même, tandis que d’autres s’abstiendront et d’autres voteront pour. Je dois dire aussi combien je regrette que dans le même temps où l’on nous soumet ce texte, on diminue les crédits de l’ADEME et laisse décliner le trafic marchandises de la SNCF. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Patrice Gélard (Groupe Union pour un mouvement populaire - Sénat) – La Charte de l’environnement prendra sans doute place aux côtés de la Déclaration de 1789 et du préambule de 1946. Cette innovation est bienvenue même si certains pensent que l’on aurait pu se dispenser de la proclamation liminaire de l’article 2, sans portée juridique.

L’adoption de cette Charte s’impose en raison de nos engagements européens et internationaux, mais aussi pour clarifier notre droit en matière d’environnement. Il nous fallait intégrer dans notre bloc de constitutionnalité les droits de l’homme de la troisième génération, comme l’ont déjà fait de nombreux Etats aux Constitutions nouvelles.

Cette Charte, qui ne pose pas de principes nouveaux, a le mérite de définir des droits et des devoirs qui devaient être juridiquement clarifiés et constitutionnellement garantis. Ainsi en est-il du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, du droit d’accéder aux informations sur l’environnement et de participer à l’élaboration des décisions publiques en ce domaine. En contrepartie de ces droits sont instaurés de nouveaux devoirs comme celui de participer à la préservation de l’environnement, d’en prévenir les atteintes, de limiter les conséquences de celles-ci et de répondre des dommages causés.

Avec cette Charte, les autorités publiques se trouvent investies d’une nouvelle mission, celle de respecter le principe de précaution, face aux risques non encore confirmés scientifiquement, mais potentiels au vu des connaissances du moment. Cette responsabilité nouvelle leur fait obligation de stimuler la recherche scientifique et de prendre toutes mesures provisoires afin de parer à ces risques éventuels. Elles sont aussi tenues de garantir le développement durable, lequel concilie protection de l’environnement et progrès économique et social. La Charte insiste également sur le devoir d’éducation et de formation à l’environnement, ainsi que sur la nécessité de soutenir la recherche et l’innovation en ce domaine. Elle affirme la volonté des générations actuelles de préparer l’avenir des générations futures en sauvegardant les équilibres de notre planète, en responsabilisant les décideurs et les usagers, pour le mieux-être de l’ensemble de la population. Sa ratification par le Congrès confère également de nouvelles responsabilités au Parlement, lequel doit être le garant de son application.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP du Sénat, dans son immense majorité, votera cette Charte de l’environnement. (Applaudissements sur divers bancs)

M. André Chassaigne (Groupe des député-e-s communistes et républicains –Assemblée nationale) – Notre bonne vieille Terre est malade et nos sociétés sont en train de la détruire. Nous en avons à peine conscience, semble-t-il, alors qu’il serait urgent de réagir. Les difficultés rencontrées pour la ratification du protocole de Kyoto montrent combien la gravité de la situation échappe à certains. Et, hélas, l’appât du profit porte de rudes coups à l’environnement (Murmures sur divers bancs). Il n’est que de penser aux compagnies pétrolières, aux producteurs d’amiante, aux lobbies anti-ferroviaires ou aux destructeurs du littoral. Ce douloureux constat confirme la nécessité d’intégrer, au plus haut de la hiérarchie des normes, les problématiques liées à la protection de l’environnement. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre vote sur ce projet de loi constitutionnelle.

En 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fut complétée par le préambule dit de 1946, qui proclamait des droits économiques et sociaux. Aujourd’hui, il devient urgent de compléter ce bloc de constitutionnalité en intégrant aux valeurs qui fondent notre pacte républicain, notre attachement au respect de l’environnement.

C’est pourquoi cette Charte aurait pu faire consensus si elle n’avait été ainsi verrouillée. La méthode utilisée par l’exécutif pour l’imposer quasiment en l’état n’est pas sans rappeler, en ce château de Versailles, l’époque où les rois octroyaient, généreusement, des chartes constitutionnelles (Murmures sur plusieurs bancs). Inéluctablement, ce fait du prince ne pouvait qu’entraîner les carences aujourd’hui observées dans ce texte. Son préambule relève, pour l’essentiel, de considérations trop générales, quand ce n’est pas tout simplement réductrices. L’absence de toute référence concrète à l’épuisement des ressources naturelles montre bien que l’on refuse de s’interroger sur la viabilité d’un système économique qui repose sur le pillage de notre planète au nom d’intérêts privés et sur la marchandisation de toute activité. On parle de « développement durable », sans préciser ni la signification de cette notion galvaudée, ni les contours d’un quelconque modèle alternatif de développement. Quant à la définition et aux modalités de mise en œuvre du principe de précaution, elles sont pour le moins opaques s’agissant d’un texte juridique, a fortiori d’un texte constitutionnel. En effet, l’article 5, objet de tant de controverses, traduit une grande méfiance à l’égard du progrès scientifique et technique, et pourrait empêcher des avancées importantes pour l’humanité.

N’oublions pas que le dévoiement de l’esprit scientifique, à l’origine de tant de dérives, n’est pas le fait de la science elle-même, mais bien plutôt de ce que Condorcet appelait un « système social combiné pour la vanité » !

Mais, cet article nous préoccupe surtout parce que d’application directe, il ne permettra pas de dissiper l’incertitude juridique actuelle. Le refus de la majorité de renvoyer formellement à la loi ses modalités d’application ne pourra qu’engendrer des contentieux multiples.

Seule une loi pourrait définir le seuil à partir duquel un risque de dommage justifie la mise en œuvre de ce principe de précaution. Elle pourrait aussi définir la nature de l’intervention démocratique, préciser la place de la recherche et indiquer les personnes compétentes pour apprécier la réalité des risques.

Enfin, comment ne pas s’interroger sur la capacité du Gouvernement à appliquer concrètement les principes proclamés dans cette Charte, intégrée dans notre Constitution le jour même où celle-ci est soumise à la Constitution européenne ? En institutionnalisant le libéralisme européen destructeur d’environnement, comment réorienter dans un sens écologique la politique économique de la France ?

Quelle contradiction fondamentale que d’intégrer dans la Constitution la protection de l’environnement, au moment où vous applaudissez les profits faramineux de Total, où vous autorisez des entorses à la loi littoral ou le développement des pavillons de complaisance, où le budget de l’écologie se réduit comme peau de chagrin !

Cette Charte de l’environnement est, certes, nécessaire. La placer en préambule de notre Constitution serait un signal fort.

Mais compte tenu des imperfections du texte et des conditions dans lesquelles il nous est soumis, les députés communistes et républicains sont conduits à s’abstenir. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

Mme Catherine Tasca (Groupe socialiste – Sénat) – Modifier la loi fondamentale de la République est un acte grave. Il y faut de la clarté. Or, en décidant d’ajouter à l’ordre du jour de ce Congrès la question de la Charte de l’environnement, le Président de la République a choisi la confusion. Aux yeux de tous, ce Congrès devait être consacré en exclusivité à la modification du titre XV de la Constitution, préalable à la ratification du traité constitutionnel européen. Nous avons soutenu cette révision et nous nous réjouissons de son adoption, qui ouvre la voie à la consultation des Français par référendum.

Mais il n’est pas acceptable de confondre les enjeux, ni de vouloir passer en force. Le projet de Charte de l’environnement n’est pas un texte satisfaisant. Même les Verts, auxquels le Règlement ne permet pas de s’exprimer et qui voteront ce texte, même les Verts ne sont pas dupes. Ils déplorent la « frilosité » du texte et connaissent « les méfaits de l’action gouvernementale ».

La protection de l’environnement et la défense du développement durable figurent au cœur de nos idéaux socialistes : pour nous, tout homme a droit à un environnement de qualité et il faut préserver les générations futures des risques en la matière. Mais s’il est utile de faire entrer dans la Constitution le droit à l’environnement, nous considérons que le texte qui nous est proposé dessert ses objectifs.

Il manque d’ambition : le principe de précaution ne s’applique pas aux personnes privées, ce qui exclut les entreprises, le plus souvent à l’origine de la pollution.

Ensuite, le principe du pollueur-payeur, réclamé depuis longtemps par les associations de défense de l’environnement, n’y figure pas explicitement. Les entreprises ne pourront être sanctionnées qu’au titre de la « contribution à réparation ».

Par ailleurs, ce texte mal rédigé accroît l’insécurité juridique. Ainsi, l’article 5 de la Charte, consacré au principe de précaution et applicable aux seules personnes publiques, n’est limité ni dans le temps, ni dans l’espace, ce qui risque de provoquer la mise en cause systématique de l’Etat et des collectivités locales, mais encore de dépouiller le Parlement au profit du juge.

On peut aussi s’interroger sur les conséquences de ces dispositions sur la recherche et l’innovation.

Nous sommes partisans d’une opposition constructive. Si les droits et les prérogatives du Parlement avaient été respectés, si nous avions eu un débat plus complet, nous aurions pu parvenir à un large compromis, incluant l’extension du principe de précaution aux entreprises, la reconnaissance explicite du principe du pollueur-payeur et la définition des conditions d’application du principe de précaution.

Mais comment croire à la sincérité du Gouvernement quand on voit la réalité de sa politique ? Ainsi, les crédits de la recherche diminuent alors que nous avons besoin d’une recherche fondamentale publique forte et indépendante des intérêts des industriels. De même, le Gouvernement s’abstient de lutter efficacement contre les effets désastreux de la pollution automobile, prenant le risque d’un décalage frappant entre le discours et les actes. Nous ne cautionnerons pas ce double langage. L’inscription de la défense de l’environnement au rang des principes essentiels de notre loi fondamentale aurait mérité mieux que ce texte approximatif, qu’il faudra à l’avenir préciser, consolider et faire passer dans la réalité.

Pour autant, les socialistes estiment que l’environnement ne doit pas payer les inconséquences de l’action gouvernementale. Nous ne ferons donc pas obstacle à l’inscription de cette Charte dans notre ordre constitutionnel. Les membres du groupe socialiste du Sénat ne prendront pas part au vote. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mme Evelyne Didier (Groupe Communiste, Républicain et Citoyen – Sénat) – Née de la prise de conscience d’experts scientifiques et de citoyens avertis, voulue par le Président de la République, proposée par la commission Coppens et amendée par le Parlement, la Charte de l’environnement viendra, s’il en est décidé ainsi, compléter les textes fondamentaux qui gouvernent le droit français.

Comment ne pas souscrire à une telle démarche ? Et pourtant…

Pour nous, le respect de l’environnement est indissociable des droits de l’Homme. C’est pourquoi nous défendons un développement durable, humain et solidaire qui nécessite une révolution de nos systèmes de valeurs.

Le débat sur le texte lui-même est clos. Je n’y reviendrai donc pas. Je veux indiquer toutefois que notre abstention, au Sénat, fut notamment motivée par la réduction de la portée du principe de précaution et par la demande de vote conforme, présentée par le Gouvernement.

Nos réserves tenaient aussi à l’attitude paradoxale de cette majorité qui veut ouvrir des droits nouveaux, alors qu’elle s’attaque systématiquement à tous les droits fondamentaux existants et qu’elle réduit à chaque occasion la portée des lois antérieures en matière d’environnement. Cette majorité invoque le peuple français et le prive d’un référendum. Elle adopte cette Charte sans enthousiasme, sans donner tout l’élan qui conviendrait, plus contrainte que convaincue par la pertinence de la démarche.

Oui, nous nous appuierons sur ce texte, s’il est adopté, pour défendre le droit des citoyens à vivre dans un environnement équilibré, respectueux de la santé. Est-ce donc anormal de demander que la santé des salariés ne soit pas mise en danger par les produits qu’ils manipulent, tels l’amiante ou les éthers de glycol ?

Oui, nous demanderons aux industriels, avec les populations concernées, de prévenir les atteintes à l’environnement et, en cas de nécessité, de réparer tous les dégâts causés.

Est-ce donc aberrant de demander à des entreprises comme Metaleurop ou Métal Blanc de ne pas empoisonner le milieu, ou à Total, qui vient d’annoncer des bénéfices historiques, de sécuriser ses activités maritimes ?

Oui, nous défendrons la recherche, afin qu’on lui donne les moyens d’accroître nos connaissances en matière de risques.

Oui, nous veillerons à ce que le progrès social et la protection de l’environnement ne soient pas les oubliés du développement.

Oui, nous inviterons les citoyens à ne pas être seulement des consommateurs, mais les acteurs de leur propre vie.

Oui, nous défendrons l’idée d’une Europe solidaire, qui prépare et préserve l’avenir des générations futures, d’une Europe qui donne un sens au progrès.

Le projet de loi constitutionnelle n’est pas exempt de critiques et nous sommes conscients que tout reste à faire. Il faudra des lois, des moyens, et une politique volontariste qui ne soit pas le parent pauvre du budget de la nation.

De ce point de vue, le projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques sera, pour nous, une première occasion de vérifier si cette Charte constitue, pour cette majorité, un pas vers une conversion sincère.

En tout état de cause, vous pouvez compter sur notre groupe pour demander l’application de ce texte.

Afin de dénoncer le hiatus entre la Charte et l’action du Gouvernement, et compte tenu des circonstances dans lesquelles nous avons été amenés à nous prononcer, le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat, dans sa grande majorité, s’abstiendra, dans le prolongement du vote émis au Sénat sur le texte lui-même. (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Yves Détraigne (Groupe de l’Union centriste–UDF – Sénat) – Après un premier vote qui vient d’introduire dans notre Constitution les dispositions ayant fait l’objet d’un vote conforme au Sénat, nous allons nous prononcer sur la Charte de l’environnement qui, elle aussi, a fait l’objet d’un vote conforme à la Haute assemblée. Si le vote conforme est une procédure difficile à admettre en temps ordinaire, que dire s’agissant de lois constitutionnelles, et ce même si la révision de la Constitution est malheureusement devenue chose courante dans notre pays ? Comment admettre, en effet, qu’on inscrive dans notre loi fondamentale des dispositions qu’on a sciemment refusé d’enrichir ?

Même si cette procédure peut laisser un goût amer, on ne peut cependant être contre un texte qui inscrit le droit à un environnement sauvegardé au rang de nos principes constitutionnels. Face aux risques que fait courir aux générations futures le réchauffement de la planète, nous n’avons pas le droit de rester indifférents aux questions écologiques. Il nous appartient donc de faire le maximum pour concilier développement économique et préservation de l’environnement.

On ne peut donc qu’être d’accord avec le considérant de la Charte qui affirme que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation », ou encore avec son article 6 qui dispose que « les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social », même si l’on peut considérer que ces dispositions ont valeur déclarative plutôt que normative.

Certes, au travers de la notion de développement durable qui est aujourd’hui largement acceptée, un certain nombre de principes figurant dans la Charte sont déjà intégrés dans la prise de décision, chez les responsables publics comme chez les entrepreneurs privés. Ainsi, l’inscription de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution ne révolutionnera-t-elle pas la situation. En revanche, on peut espérer qu’elle jouera un rôle d’accélérateur dans la prise en compte des impératifs environnementaux et aidera à anticiper et prévenir les problèmes écologiques de demain.

Il reste toutefois que ce texte soulève un certain nombre de problèmes. S’il satisfait ceux qui pensent que la France a vocation à éclairer le monde, il n’en contient pas moins des dispositions qui risquent de créer des difficultés dont notre économie aurait pu se passer. A-t-on par exemple bien mesuré les conséquences de l’article 5, relatif au principe de précaution ? En introduisant dans la Constitution ce principe, qui sera d’application directe, on risque d’encourager la contestation de décisions relatives au lancement de recherches dans des domaines encore mal connus ou à la mise en place de projets pilotes.

Quand on sait que les procédures préalables à la création d’entreprises sont de plus en plus lourdes et contraignantes, on peut s’interroger sur l’opportunité d’inscrire au sommet de notre ordre juridique un principe qui risque de donner lieu à des procédures dilatoires. Ce peut aussi être la source de nouvelles complications, conduisant la recherche et l’innovation à déserter notre pays.

Ne sommes-nous pas en train d’adresser un signal négatif à ceux qui veulent entreprendre ? A vouloir être des précurseurs, ne risquons-nous pas d’affaiblir la compétitivité de notre pays ? C’est dans un cadre européen – au minimum – que le principe de précaution aurait dû être défini.

Alors que de nombreux décideurs – notamment les élus que nous sommes – se plaignent de la judiciarisation croissante de notre société, on peut se demander si nous ne sommes pas en train de favoriser cette regrettable évolution.

On m’objectera que le principe de précaution est déjà inscrit dans le code de l’environnement et qu’il sera désormais mieux encadré. Permettez-moi de rester sceptique face à cet argument, car en fait, lorsque la communauté scientifique sera divisée, on laissera désormais au juge le soin de trancher. Je ne suis pas sûr que le Parlement ait lieu de s’en réjouir.

Mais comme l’environnement est une valeur à laquelle nous sommes attachés, la majorité du groupe de l’Union centriste votera la Charte, tandis qu’une autre partie, dont je suis, ne la votera pas, considérant que ce texte correspond surtout à un effet d’annonce, est juridiquement trop flou et fait peser des risques sur notre économie.

Que l’on soit pour ou contre, il faudra en tout état de cause veiller à ce que l’interprétation de la Charte n’entraîne pas un passage du « tout économique », justement décrié, à un « tout environnemental », qui pourrait causer des dommages irréversibles à notre économie. (Applaudissements)

M. le Président - Nous en avons terminé avec les explications de vote. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l’environnement.

Le scrutin est ouvert.

La séance, suspendue à 17 heures 5, est reprise à 17 heures 35.

M. le Président - Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :

Nombre de votants : .................................. 665
Suffrages exprimés : .................................. 554
Majorité requise pour l’adoption
du projet de loi constitutionnelle :................. 333
(trois cinquièmes des suffrages exprimés)

Pour l’adoption : ........................................ 531
Contre : ...................................................... 23

Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (Applaudissements sur de nombreux bancs). Il sera transmis à M. le Président de la République.

CLÔTURE DE LA SESSION DU CONGRÈS

M. le Président – Le Congrès a épuisé l’ordre du jour pour lequel il avait été convoqué.

Je déclare close la session du Congrès du Parlement.

La séance est levée à 17 heures 40.

                    Le Directeur du service                                    Le Directeur du service
                des comptes rendus analytiques                         des comptes rendus analytiques
                                du Sénat                                               de l'Assemblée nationale
                            René FABRE                                            François GEORGE

 


© Assemblée nationale