COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 4 Mars 2004
(Séance de  9 heures 30)

04/03/04

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Table ronde : « Des idées pour la recherche »

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a organisé une table ronde sur le thème : « Des idées pour la recherche ».

M. le président Jean-Michel Dubernard : Madame la ministre, Monsieur le Président de l'Office des choix scientifiques et technologiques, chers collègues, mesdames et messieurs, je tiens tout d'abord à vous remercier chaleureusement d'avoir répondu à l'invitation de la commission des affaires sociales, et en particulier Mme Claudie Haigneré, que je suis très heureux d'accueillir parmi nous.

L'intitulé de cette table ronde a valeur d'impératif, à l'heure où s'ouvre un espace européen de la recherche et face aux constats qui se multiplient du déclin, - relatif mais néanmoins réel -, de la recherche française. Les constats ? C'est d'abord la Cour des comptes qui, dans son dernier rapport public, diagnostique une crise de confiance du monde de la recherche et constate le manque d'efficience du dispositif central de pilotage. C'est ensuite le véritable appel au secours lancé par la pétition électronique « Sauvons la recherche » qui a recueilli à ce jour plus de 56 000 signatures et dont les responsables ont été invités. C'est enfin le phénomène observable par chacun de la fuite des cerveaux en direction de l'eldorado américain dont on peut d'ailleurs douter qu'il ne constitue un modèle parfaitement exportable. Ce sont enfin les indicateurs que constituent la quantité de publications, le nombre de brevets enregistrés ainsi que celui de prix Nobel qui situent la France en retrait, non seulement à l'égard des Etats-Unis, mais aussi par rapport à l'Allemagne ou à la Grande-Bretagne.

Pourtant beaucoup a été fait et continue de l'être par le gouvernement. En témoigne le récent plan en faveur de la recherche et de l'innovation qui a trouvé sa traduction dans la loi de finances pour 2004 au travers de mesures en faveur des investisseurs dits providentiels, dans la création du statut de jeune entreprise innovante ainsi que dans l'attractivité nouvelle donnée au dispositif du crédit « Impôt-Recherche. » Ces efforts sont-ils cependant suffisants au regard de ceux consentis par nos concurrents ? En témoignent également les mesures que vous avez annoncées la semaine dernière madame la ministre, et la large concertation que vous avez récemment initiée sur l'avenir de la recherche qui, quelle que soit la forme qu'elle revêtira pour prendre en compte d'autres initiatives, devra déboucher avant la fin du mois de juin de cette année sur des assises nationales de synthèse, prélude à la rédaction d'un projet de loi d'orientation que nous appelons tous de nos vœux.

Il est clair en effet que les maux qui affectent la recherche sont majoritairement d'ordre structurel et excèdent à ce titre - la Cour des comptes l'a bien relevé - le seul cadre budgétaire. Il s'agit des problématiques telles que la démographie des professions scientifiques, les effets de la fonctionnarisation de la recherche, l'inadaptation de la réglementation du travail au statut de jeune chercheur, l'évaluation des chercheurs et l'accent qui doit sans doute être mis davantage sur les projets que sur les travaux passés, l'autonomie des établissements publics et scientifiques dans un cadre contractuel, sans oublier le contrôle effectif du ministère de la recherche sur le budget civil de recherche et développement. Il s'agit aussi de la place croissante que doit prendre la recherche privée au sein des entreprises ou dans le cadre de fondations.

Il est enfin un sujet qui me tient tout particulièrement à cœur en ma qualité de président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - et donc en charge aussi bien de l'éducation que de la recherche. Je m'interroge tout d'abord sur la place de la recherche universitaire, lieu idéal pour sensibiliser les étudiants à la recherche, mais également pour tester un certain nombre « d'idées folles » qui naissent dans les esprits jeunes et encore sensibles à la vaste culture scientifique qu'ils ont acquis, ce qui engendre une vision plus large que chez leurs aînés très spécialisés. Je veux parler ensuite de la valorisation de la culture scientifique au sein du cursus scolaire.

Dans ce panorama agité, notre réunion de ce matin a vocation à jouer un rôle d'aiguillon, à l'instar d'une précédente table ronde consacrée à l'organisation interne de l'hôpital. Celle-ci a conduit, via la création d'une mission d'information parlementaire qui a conclu, sous la plume de son président M. René Couanau, au désenchantement hospitalier, au plan « Hôpital 2007 » présenté par M. Jean-François Mattei. Cette référence au concept de « désenchantement du monde » élaboré par Max Weber pour qualifier les effets pervers du progrès scientifique et de la rationalité « cognitive-instrumentale », me conduit aujourd'hui à m'interroger sur l'existence d'un paradoxal « désenchantement de la recherche ».

C'est donc à la recherche des voies et moyens à même d'enrayer ce processus que je vous convie. A cette fin, j'ai invité quatre grands témoins qui ont accepté de venir nous présenter leurs analyses et de leurs propositions. Il s'agit de : M. Vincent Lamour, professeur agrégé, enseignant-chercheur à l'Ecole normale supérieure de Cachan, diplômé de Berkeley, qui a moins de 30 ans et ne sait pas encore de quel côté de l'Atlantique il poursuivra ses travaux ; M. Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste, professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur, membre de l'Académie des sciences, qui représente la recherche publique ; M. Jean-Louis Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain, qui représente la recherche privée ; M. Olivier Postel-Vinay, journaliste, ancien rédacteur en chef de la revue La Recherche et auteur de l'essai Le grand gâchis, qui nous apportera sa vision large de la recherche.

A partir de leur contribution, je souhaite que le débat s'engage avec vous tous, députés et acteurs de la recherche invités, qu'ils soient directeurs d'établissements publics, scientifiques et techniques (EPST), de laboratoires, enseignants-chercheurs, représentants de syndicats ou personnalités qualifiées. Il m'a semblé en effet essentiel de tous vous rassembler autour d'une même table. La matinée va s'organiser de la manière suivante : après l'intervention de la ministre, chaque grand témoin s'exprimera pour développer son argument et ses propositions, puis un débat s'engagera avec la salle. A la fin, je procéderai à une synthèse des débats, avant que la ministre ne conclue nos travaux.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies : Mesdames, Messieurs, je suis très heureuse de pouvoir participer à ce débat essentiel sur la recherche. Vous êtes tous conscients, et je vous remercie d'y participer, qu'il intervient en effet à un moment particulièrement opportun puisque la discussion sur l'avenir de la recherche nationale est maintenant largement ouverte. Je tiens à remercier la représentation nationale de vouloir s'inscrire pleinement dans ce processus de dialogue que je souhaite le plus fructueux possible car ce débat autour de la science et de la recherche concerne la société dans son ensemble.

L'heure est donc aux diagnostics rigoureux et aux propositions constructives. Il y a maintenant plus d'un an que j'ai engagé une réflexion sur la recherche avec plusieurs membres éminents de la communauté scientifique et des représentants des établissements de recherche, des universités et des académies. Ainsi, en écho à l'intitulé de cette table ronde, je puis vous assurer que nous avons aujourd'hui, pour la recherche et grâce à cette réflexion initiée dans la sérénité, non pas seulement des idées, mais aussi des ambitions, et face au désenchantement que vous évoquiez, Monsieur le président, une espérance pour notre pays et la volonté de construire, autour de cette espérance, un élan et un projet partagés largement par nos concitoyens.

Les questions qui se posent et les raisons du malaise que traverse le monde de la recherche sont, je crois, maintenant bien identifiées. En premier lieu, les jeunes se détournent de la science et lorsqu'ils poursuivent une carrière scientifique, ils sont nombreux à choisir de travailler à l'étranger. En deuxième lieu, certains de nos laboratoires souffrent d'un manque de financement et la mobilisation actuelle, par exemple dans le domaine de la science du vivant, montre que cette communauté se sent dépourvue des moyens pour rivaliser dans ce secteur essentiel, celui-ci restant largement public alors que d'autres pays voient les financements privés, des entreprises comme des particuliers, aller vers la recherche. Par ailleurs, les résultats de notre recherche stagnent globalement, même s'ils sont excellents dans certains domaines, relativement à nos compétiteurs, tant en ce qui concerne les brevets déposés que les publications. Dans le même temps, des pays émergents dans le domaine de la recherche, comme la Chine ou l'Inde qui se hissent parmi les grandes nations scientifiques, accélérant par là la concurrence internationale. Il ne s'agit pas ici de sombrer dans le pessimisme ambiant que peut-être beaucoup voudraient me voir partager. Je suis inquiète, je suis mobilisée mais je ne suis pas pessimiste. Ce n'est pas mon tempérament et ce n'est pas une attitude digne de notre pays au riche passé scientifique et au fort potentiel, ni de la confiance que les jeunes de notre pays placent en nous. Toutefois, notre vigilance nous porte aujourd'hui à réagir.

Cela posé, comment relever ces défis ? Voilà la seule question qui doit nous préoccuper. Comment les relever mais aussi et surtout comment les relever tous ensemble ? Beaucoup de solutions viennent d'être formulées à l'occasion des nombreuses discussions des dernières semaines : accroissement des moyens accordés par l'Etat à la recherche publique, regroupements d'organismes et simplification des structures qui sont constituées par empilement au cours du temps, alignement des statuts des personnels de la recherche et de l'enseignement supérieur. Toutes ces solutions, il importe de les coordonner et de les formaliser dans un projet ambitieux pour la recherche nationale. C'est tout le sens de la loi d'orientation et de programmation dont je souhaite la discussion avant la fin de l'année, étant entendu que nous devrions pouvoir disposer de premières propositions d'ici l'été afin que le débat parlementaire ait lieu largement. Toutes ces propositions ont leurs vertus et leurs défauts, mais aucune n'a de sens si l'on ne prend pas conscience que le principal changement qui affecte notre recherche est que nous évoluons dans un monde de plus en plus compétitif. Cette donnée doit guider nos choix et nos décisions. C'est elle qui affecte fortement le comportement des acteurs de la recherche. Nos solutions n'auront d'efficacité qu'en fonction de celles que nos partenaires et compétiteurs ont mises et mettront en œuvre.

L'attractivité, l'excellence, la large diffusion des savoirs ! Voilà les maîtres mots et la seule clé des succès futurs. Attractivité des carrières tout d'abord pour les jeunes, car notre premier devoir est de donner aux jeunes scientifiques de notre pays la possibilité de s'épanouir dans la recherche sans avoir à s'expatrier même si l'expatriation a des vertus dans le domaine de la recherche. Beaucoup a été dit sur les distorsions de salaires entre notre pays et les Etats-Unis. C'est indéniable même s'il faut pondérer ce paramètre en tenant compte d'une part de la plus faible protection sociale accordée outre-Atlantique et d'autre part du caractère contractuel très largement répandu des emplois scientifiques dans ce pays. Mais ce facteur n'est pas nouveau et surtout il n'est pas le seul. Les enquêtes effectuées sur les raisons de l'exode de nos cerveaux montrent même que le salaire n'est que le quatrième facteur d'expatriation, derrière la possibilité d'avoir plus d'autonomie, de s'engager très jeune sur un projet et d'avoir des moyens performants. Toutefois, si la sécurité de l'emploi procurée par le statut de fonctionnaire a longtemps pu constituer un facteur d'attractivité suffisant pour contrebalancer le déficit de rémunération, de dynamique et de perspective dans la carrière, ce n'est plus le cas aujourd'hui. D'autres facteurs d'attractivité jouent en notre défaveur : la notoriété des établissements américains, la facilité pour un chercheur à y conduire très tôt ses recherches en toute liberté, la proximité des entreprises, la possibilité de valoriser ses découvertes, la reconnaissance de la recherche comme un facteur de création de valeur important, ou encore la capacité à accéder très rapidement à des responsabilités. Tous ces éléments doivent être mieux pris en compte dans l'avenir.

C'est donc tout un environnement de recherche attractif et compétitif qu'il nous faut créer, intégrant des rémunérations plus attractives mais aussi des déroulements de carrière souples et dynamiques, un fonctionnement facilité des laboratoires afin de se consacrer plus intensivement aux activités de recherche et non aux tâches administratives et une reconnaissance sociale plus large de la recherche. Créer de nouveaux postes aux concours d'accès aux organismes de recherche publics est sans doute, je le comprends, une réponse importante pour les jeunes venant de l'université avec leur thèse et qui veulent s'engager mais ce n'est sans doute pas la seule solution aux problèmes de notre recherche. Nos organismes recrutent plus de 500 des 11 000 docteurs issus de nos universités, il y a 3 000 postes mis au recrutement dans l'enseignement supérieur. Ce nombre est certes un paramètre important, tout du moins pour ce qui concerne la République, mais une réponse uniquement quantitative est inadaptée face aux exigences qualitatives qui se sont fait jour dans la mobilisation des chercheurs et des plus jeunes en particulier. Sinon les plus brillants continueront à partir vers d'autres cieux ou se détourneront de la science pour aller vers des professions plus gratifiantes.

Nous sommes tous convaincus que les plans de recrutement massifs ne suffiront pas et qu'il faut des réformes qualitatives pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement. Il faut en effet veiller à rendre plus attractives les carrières par plus de mobilité, de flexibilité et de capacité d'évolution. L'attractivité c'est aussi donner plus de mobilité, de flexibilité, de capacité à faire évoluer les différents temps de la carrière dans différentes structures. Nous sommes dans un système qui porte ce concept depuis longtemps, mais il n'a pas été suffisamment mis en œuvre et la réponse adaptée n'a pas encore été trouvée même si elle était présente lors de l'élaboration de la loi de 1982 et des réflexions de 1994, 1996 et 1999. Notre réflexion actuelle doit nous permettre de trouver des solutions plus concrètes pour notre modèle d'organisation de la recherche.

Tout le monde sait que de nos jours la carrière d'un chercheur n'est pas un parcours linéaire et nous devons proposer des possibilités d'évoluer, que ce soit entre les laboratoires de recherche, l'enseignement et les carrières en entreprise. Cette mobilité ne doit pas pénaliser le chercheur, mais bien au contraire doit apparaître comme un élément de valorisation de sa carrière.

Le lien entre enseignement supérieur et recherche sera au coeur de la future loi d'orientation et de programmation. Je sais, pour avoir beaucoup travailler avec des présidents d'université dans le cadre de cette réflexion, qu'ils sont prêts à proposer des évolutions qui permettront de dynamiser ce système. Un des rôles majeur de notre recherche c'est aussi de diffuser les connaissances et de faire en sorte que par la recherche on puisse mieux former, mieux faire maîtriser ces connaissances scientifiques à tout un chacun et plus particulièrement aux jeunes qui veulent s'engager dans ces carrières.

Ces passerelles entre l'université, les laboratoires de recherche existent mais de manière insuffisante et il faut travailler à les dynamiser d'autant plus que la recherche fait désormais l'objet d'une compétition internationale et qu'elle évolue dans son organisation tant nationale qu'européenne au sein de l'espace européen de la recherche.

J'évoque là des pôles avec une visibilité, une masse critique, une concentration d'excellence et d'acteurs de la recherche, et bien évidemment l'université sera au cœur de ce dispositif d'organisation territoriale. Il n'y a pas de solution toute faite et les solutions émergeront de la concertation avec les différents acteurs et aussi bien entendu avec les propositions qui émaneront de la représentation nationale.

Les différentes missions de la recherche, c'est tout d'abord la capacité de recherche très exploratoire, l'acquisition de connaissances, la capacité de valoriser cette recherche dans tout ce qu'elle apportera à notre société, cette capacité d'enseignement et de transmission. J'y ajoute la diffusion de la culture scientifique car je crois que c'est un élément tout à fait important actuellement pour que chacun de nos concitoyens soit mieux sensibilisé à la recherche comme nous l'observons actuellement.

Attractivité des carrières sur le plan de la rémunération, sur le plan de la flexibilité, de la mobilité et surtout plus de responsabilité, de capacité d'intervention dans l'activité au quotidien. Tout cela va nous conduire à revoir très largement les modes d'administration de la recherche, que ce soit au sein de l'administration centrale ou des laboratoires. Les réponses ne sont pas uniquement juridiques ou statutaires, ce sont des modes de gestion à mettre en place, plus simples, plus proches d'un mode lié à l'excellence, à la performance et qui privilégient les résultats.

Privilégier les résultats cela veut aussi dire se remettre en question le système d'évaluation de notre recherche, évaluation des personnels, des projets, du système et des structures. Le rapport de la Cour des comptes qui retrace l'état de lieux de 1982 à 2002 montre qu'il y a eu accumulations de strates successives, de comités multiples, de systèmes d'évaluation différenciés. Nous devons regarder avec plus de cohérence et de coordination quels sont les outils à notre disposition pour agir sur l'administration, le pilotage et l'évaluation de notre recherche.

Cette évaluation s'inscrit dans un contexte de compétition internationale que les chercheurs connaissent bien puisque l'évaluation, par les pairs ou par la publication dans les journaux à impact scientifiques, qu'ils vivent au quotidien ne peut bien sûr plus être hexagonale mais doit être ouverte à l'Europe et à l'international. Elle doit avoir lieu à chacun des niveaux : allocation des budgets, sélection de projets, capacité à récompenser, rémunération, carrière en fonction de ses performances scientifiques.

L'attractivité est aussi devenue la règle pour le développement de la recherche des entreprises, qui est comme chacun le reconnaît, le talon d'Achille de notre pays. Il est vrai que nous avons changé d'environnement et que l'époque des groupes publics adossés à des centres nationaux de recherche mobilisés sur des grands programmes est révolue. Aujourd'hui, le capital des entreprises est international, l'offre de recherche est mondiale le marché de l'emploi scientifique également et les entreprises s'installent là où elles trouvent les conditions les plus favorables à leur développement.

Au premier rang de ces conditions, la qualité des laboratoires de recherche est essentielle. La mobilisation sur les plates-formes techniques et scientifiques au plus haut niveau mondial, des équipes de recherche performantes mais aussi mobilisées sur des objectifs, et enfin un environnement favorisant le développement de la créativité, la pluri et l'interdisciplinarité, les contacts entre équipes quel que soit le milieu dans lequel elles travaillent et la confrontation fructueuse des idées. Il y a aussi ce que l'Etat doit s'engager à garantir, à savoir un environnement juridique économique et fiscal, incitatif, dynamisant pour l'investissement de l'entreprise.

Dans le contexte international, il faut prendre en compte la volatilité de l'attractivité pour nos entreprises qui peut à tout moment être remise en cause aussi bien par des évolutions technologiques ou scientifiques qu'internationales. La montée en puissance de certains pays peut aussi modifier très vite cette attractivité.

Je reprends, Monsieur le président, ce que vous avez dit de notre plan innovation qui répond à l'impérative amélioration de l'environnement économique avec la refonte du crédit d'impôt recherche qui est un pas important mais sans doute pas suffisant, et le statut de la jeune entreprise innovante, tout à fait spécifique qui permettra des créations et une motivation de ces entreprises, mais également avec la révision du régime de la taxe professionnelle sur les investissements en recherche. Ce sont des éléments importants mais pas suffisants, il faut aller plus loin dans cette incitation.

Je reviens sur cette politique de sites territoriaux, car il est important d'insister sur le caractère local. Logique de synergie, un périmètre rapproché où l'on peut trouver à la fois la formation, l'enseignement supérieur, les laboratoires de recherche, les systèmes de valorisation de cette recherche et les entreprises qui auront un développement scientifique et technologique, facteur essentiel de compétitivité pour nos régions.

Cela ne remet pas en cause le pilotage nécessaire au plus haut niveau de l'Etat sur la coordination, la cohérence de ces structures, mais je crois que nous sommes dans un monde qui fait que ce pilotage doit aussi permettre de déléguer aux acteurs de la recherche pour avoir plus d'autonomie et de responsabilité dans l'organisation de ces activités. Le rôle de l'Etat s'exerce dans les choix stratégiques et dans la cohérence générale du dispositif de recherche, mais aussi dans la continuité car on nous reproche d'être dans un état d'esprit de démantèlement de la recherche qui s'est lentement constitué et qui a un long passé de réussite.

La continuité, c'est l'engagement que nous voulons prendre à la fin de cette année 2004, par une loi d'orientation et de programmation pour la recherche pour soutenir une politique volontariste à mettre en place avec une augmentation des moyens et la continuité dans des objectifs fondés sur l'excellence et la performance. La cohérence trouvera, quant à elle, sa réponse dans la décision prise par le gouvernement, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), de créer une mission interministérielle, enseignement supérieur-recherche qui symbolise le continuum de la recherche publique. Cette mission redonnera à la recherche ce rôle interministériel dans les choix stratégiques, les priorités. Cette dimension s'est estompée dans les années qui viennent de s'écouler et il est important qu'elle retrouve sa place centrale.

Voilà beaucoup d'éléments, de réflexion qui sont une projection vers un avenir immédiat, avec la prise en compte des difficultés spécifiques de 2003 et la réponse apportée en 2004 aussi bien en matière de budget que de préoccupation à l'égard des emplois scientifiques avec une réflexion pluriannuelle à mener dès maintenant pour assurer notre potentiel dans les années à venir.

J'aimerais que nous ayons dans cette enceinte un débat fertile et que la concertation soit très large. J'ai proposé dès le départ d'ouvrir très largement la consultation, j'ai demandé aux chercheurs des établissements publics de proposer des clarifications sur la mission, l'évolution des structures et je sais qu'ils le font avec beaucoup de volontarisme et en concertation avec leurs directeurs de laboratoire et d'équipe. Les présidents d'université sont également mobilisés pour que nous disposions de propositions émanant de l'université. Vous savez que depuis plus d'un an l'Association nationale de la recherche technique (ANRT) travaille à l'élaboration de scénarios pour l'avenir et me fera des propositions d'ici la fin du mois d'avril. Nous avons également demandé aux académies de nous faire des propositions, à la fois de prospective au niveau scientifique et de réflexion sur l'évolution des systèmes. Le gouvernement a saisi le Conseil d'analyse économique, le Conseil économique et social et le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie. Toutes ces consultations sont en cours et déboucheront bientôt sur des propositions, avant le début de l'été.

La concertation avec la communauté scientifique est à la fois souhaitée et souhaitable et tout à fait légitime ; elle s'intègre dans l'ensemble de ces réflexions afin de converger tous ensemble, avec la représentation nationale, vers une loi ambitieuse pour la recherche française.

M. le président Jean-Michel Dubernard : Je vous remercie Madame la ministre pour ce vaste panorama des réflexions en cours. Je cède maintenant la parole à quatre témoignages qui vont des aspects les plus spécifiques de la recherche française d'aujourd'hui à la vision la plus large.

M. Vincent Lamour, enseignant-chercheur  : Comment suis-je entré dans le monde de la recherche ?  J'ai d'abord suivi une classe préparatoire, intégré à l'Ecole normale supérieure de Cachan (ENS Cachan), puis suivi plusieurs stages en France, notamment chez Lafarge. Je suis ensuite parti aux Etats-Unis où j'ai passé ma thèse à l'université de Berkeley, puis suis revenu en France où j'ai pris mes fonctions d'enseignant-chercheur à l'ENS Cachan et dans un laboratoire associé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) où je travaille sur des sujets technologiques et pratiques, en particulier sur les matériaux cimentaires et les bétons.

Pourquoi un étudiant qui termine ses études en université ou dans une grande école va-t-il se diriger vers la recherche ?  Trois éléments doivent être pris en compte. Le premier est le rôle de la formation. Le deuxième, celui du secteur privé. C'est un point important, car c'est ce secteur qui rend la recherche attractive. Dans mon cas, l'industriel a su m'éclairer sur les retombées d'une recherche universitaire fondamentale. Le troisième, enfin, est le rôle des pôles de recherche.

Pour mettre en évidence les différences entre les systèmes français et américains, je vais me livrer à un match, de manière à savoir dans lequel de ces deux pays ces trois éléments sont le mieux pris en compte. A l'issue de ce match, j'expliquerai enfin pourquoi j'ai choisi la France plutôt que les Etats-Unis.

En matière de formation, d'abord, la France gagne haut la main, grâce à ses écoles normales supérieures, mais aussi à ses universités. De fait, la France met en avant la recherche dans l'enseignement plus qu'aux Etats-Unis. Pour avoir enseigné à Berkeley, j'ai pu mesurer que le système américain mettait plus en avant le pragmatisme que la théorie et que les étudiants américains étaient moins intéressés par la recherche pure. Ils paient en effet très cher leur formation et veulent en retour du concret. Or, d'après moi, la formation de base reste indispensable, et il est essentiel de continuer à bien former les étudiants. Au demeurant, la recherche américaine ne serait pas aussi performante sans les chercheurs européens ou asiatiques qu'elle recrute. Lorsqu'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que les post-docs qui ont été formés dans ses pays sont très nombreux aux Etats-Unis.

J'en viens au secteur privé. Lorsqu'on fait une thèse, il est important de savoir qu'elle sera reconnue et utile à la société. Or, si les entreprises françaises reconnaissent de plus en plus le titre de docteur, elles le reconnaissent et le valorisent moins que les entreprises américaines. De fait, de très nombreux chercheurs américains réussissent dans le secteur de l'industrie. Les Etats-Unis mettent donc l'accent sur la thèse et la valorisation de cette formation à la recherche.

Troisième point : les pôles de recherche. Les grands centres américains de recherche disposent d'énormément de moyens. Comme Mme la ministre l'a bien rappelé, les chercheurs ne sont pas d'abord motivés par le salaire, mais par les moyens dont ils disposeront pour mener leurs recherches et la qualité de l'environnement dans lequel ils travailleront. Même si un chercheur américain gagne trois fois plus que son homologue français, le salaire n'est pas le facteur déterminant du choix. Le critère reste la qualité des centres expérimentaux et des centres de modélisation qui sont dix fois plus grands, sinon plus, aux Etats-Unis, sans compter que la transdisciplinarité y est particulièrement développée. Aucun cloisonnement à Berkeley, par exemple. Les sciences pures y sont décloisonnées, et directement reliées aux sciences technologiques. L'ENS Cachan a beaucoup travaillé sur cette question, mais beaucoup reste à faire en France en matière de transdisciplinarité. En la matière, les Américains sont un exemple. Ils arrivent à faire communiquer les mathématiciens et les sociologues. C'est très important, car n'oublions pas qu'un chercheur est curieux par nature, et a envie de discuter avec ses collègues d'autres disciplines.

Enfin, la France a un retard en matière de souplesse. Les chercheurs américains, eux, disposent d'années sabbatiques qui leur permettent de voyager, de se rendre dans différentes universités pour apprendre de nouvelles techniques et de nouvelles théories. En France, même si les statuts le permettent, le système n'y incite pas, notamment pour des raisons liées à la carrière.

Au total, la France gagne en matière de formation. S'agissant du secteur privé, les Américains ont un petit avantage, dans la mesure où la reconnaissance de la thèse est plus importante. Par contre, ils remportent la mise en matière de pôles de recherche. Pour ma part, j'ai choisi la France pour la formation, car j'estime important de communiquer avec des étudiants de très haut niveau. Et si l'université de Berkeley est très réputée, ses étudiants sont beaucoup moins intéressés par la recherche pure. La France, elle, dispose d'étudiants très curieux et très intéressés par des formations théoriques.

M. Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur  : Pour faire face au drame de la recherche scientifique dans notre pays, je proposerai trois idées simples. Premièrement, valoriser l'image de la science, et faire de la recherche scientifique et de l'enseignement supérieur une priorité nationale absolue. Je tiens d'abord à rendre hommage aux plus de 56 000 signataires de la pétition collective « Sauvons la recherche », et déplorer, en dépit des multiples avertissements de la communauté scientifique depuis plus de dix ans, que seul ce type de manifestation est susceptible de mobiliser l'opinion, les médias et le pouvoir politique. J'apprécie néanmoins la volonté de dialogue manifestée par notre ministre de la recherche et l'intérêt réel du Parlement qui nous réunit aujourd'hui.

Cela posé, on doit s'interroger sur les raisons pour lesquelles la recherche scientifique et l'innovation technologique ne tiennent pas la place qui devrait leur revenir dans un pays héritier des Lumières. Pourquoi l'objectif premier de la connaissance scientifique, qui est le bien commun et le progrès de l'humanité, est-il si mal reconnu ? Pourquoi parler beaucoup plus des dangers et des risques créés par la science que de ses multiples bienfaits ? Plus grave, le monde politique et l'opinion ne sont pas suffisamment informés du fait que la recherche fondamentale est le moteur du développement technologique, donc, de l'industrie. Mon collègue Philippe Pouletty a pourtant montré le parallélisme flagrant entre investissement dans la recherche et régression du chômage. Il faut dénoncer le manque dramatique d'information qui fait, je le dis avec fermeté, que la France n'a pas, depuis vingt ans, une politique de recherche à la hauteur de ses ambitions, et cela en dépit des succès, trop peu reconnus chez nous, de ses chercheurs sur la scène internationale, de l'enthousiasme et de la détermination de ses jeunes. Pour y remédier, il est indispensable qu'une meilleure politique de l'information scientifique et technique soit mise en place. Au niveau des jeunes d'abord, et je salue le projet récent de M. Jean-Jacques Aillagon et de Mme Claudie Haigneré sur ce thème. Au niveau du grand public, ensuite, étant entendu que la recherche devrait avoir la priorité de l'information au journal télévisé et dans la grande presse. Au niveau du Parlement, enfin, en demandant que chaque parlementaire s'associe un conseiller-chercheur qui l'informe directement, comme cela se fait avec les membres de la Royal Society en Grande-Bretagne.

Cela posé, un effort financier exceptionnel doit être réalisé immédiatement en faveur de la recherche, pour en faire une priorité nationale, effort financier qui n'atteindra une haute compétitivité internationale que s'il s'allie celui de l'Europe. Sur ce point, la création d'un Research Council européen dont la France serait un des principaux partenaires est essentielle.

Deuxième idée : privilégier les recherches dans les sciences de la vie et de la santé. La spirale inquiétante des dépenses de santé, les difficultés rencontrées par nos personnes âgées comme par nos jeunes, les risques d'épidémie par des agents infectieux nouveaux, la lutte contre le handicap et l'illettrisme, et pour une meilleure éducation, bref, la qualité de vie de nos concitoyens relèvent directement de la recherche dans les sciences de la vie et de la santé, en particulier des neurosciences. Quand on sait que 30 % des dépenses en santé publique sont dues à des troubles du système nerveux, on comprend pourquoi les dépenses de recherche dans les sciences de la vie et de la santé ont doublé tous les cinq ans depuis quinze ans aux Etats-Unis. Pourquoi pas en France, alors ? Force est de constater que la biologie est le parent pauvre de la recherche scientifique, le développement des industries pharmaceutiques et des biotechnologies, notamment celles qui reposent sur l'emploi de cellules souches embryonnaires. Aucun gouvernement depuis vingt ans n'a introduit les réformes nécessaires, ni rendu explicite ses choix budgétaires en matière de recherche scientifique. Pourquoi, en particulier, cette indifférence aux sciences du vivant ? Quelques chiffres. Superphénix : 10 milliards d'euros pour le contribuable ; projet Laser mégajoule de Bordeaux : 1 milliard d'euros ; projet International thermonuclear experimental reactor (ITER) : plus de 5 milliards de dollars en 1998 au plan mondial, sans parler des crédits gaspillés en vols habités spatiaux, en navette spatiale obsolète, dont les utilités scientifiques sont fort contestables. Elles l'étaient déjà pour le Général de Gaulle !

Et pourtant, on constate à la lecture du budget du CNRS pour 2004, qui sera rendu public le 31 avril 2004, que les crédits consacrés aux très gros équipements sont en très forte hausse, 42 % soit une augmentation de 22,8 millions d'euros. Qu'en est-il des crédits des sciences de la vie au CNRS avec seulement les 65 millions d'euros attribués à ses laboratoires ? Augmentent-ils de 42 % ? Bien sûr que non ! Je note 0 % pour mon laboratoire dans la lettre reçue du CNRS ce 25 février dernier. On ne s'étonnera pas que les premiers signataires de la pétition soient d'abord des chercheurs travaillant dans les sciences de la vie et de la santé !

Mes propositions sont simples : d'une part rendre autonome le département des sciences de la vie du CNRS et le réunir à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et à la direction des sciences du vivant du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), de manière à créer un Institut national des sciences de la vie et de la santé, avec une ligne budgétaire propre qui puisse être débattue par le Parlement face aux dépenses exorbitantes que je viens de citer. Cette idée avait d'ailleurs été avancée dès 1994 par M. Griscelli. D'autre part, doubler différentiellement en cinq ans les crédits de la recherche dans les sciences de la vie et de la santé : un coût total très modeste pour nos contribuables comparé à ITER ou Superphénix.

Troisième et dernière idée. S'il est particulièrement heureux de constater que l'Europe et, en particulier la France, possède encore un vivier de jeunes chercheurs en sciences de la vie parmi les plus élevés du monde, il est affligeant de réaliser le peu de considération dans lesquels on les tient dans notre pays. Une réforme du statut de chercheur paraît donc indispensable. On peut considérer avec raison que la titularisation - la tenure des anglo-saxons - soit recommandée seulement au grade de professeur associé. Mais si l'on veut offrir des contrats de cinq ans aux jeunes qui souhaitent devenir indépendants, ceux-ci doivent être substantiels et reconnaître l'excellence scientifique de manière incontestable au niveau international. Quant aux rémunérations, faut-il rappeler qu'elles sont de deux à trois fois supérieures pour les jeunes les plus talentueux en dehors de nos frontières ? Elles doivent être immédiatement élevées à ce niveau dans notre pays, étant entendu que les contrats doivent être accompagnés de crédits de soutien aux laboratoires, en particulier de postes de techniciens et de post-doctorants, comme cela est déjà le cas pour les postes à cinq ans de l'Institut Pasteur, les postes Actions thématiques et incitatives sur programmes et équipes (ATIPE) CNRS ou les postes Avenir INSERM. Ma proposition, là aussi, est simple : doubler immédiatement le nombre de ces postes après sérieuse revalorisation.

Par ailleurs, si l'excellence scientifique doit être reconnue, et ce, au plus haut niveau international, cette exigence est plus difficile à réaliser pour un pays modeste comme le nôtre. Cela dit, ce n'est ni en maintenant une proportion élevée d'élus dans les commissions, ni en créant des laboratoires géants comme le suggère un projet récent de réforme du CNRS que cela pourra se faire. Visibilité internationale ne s'identifie pas dans les sciences de la vie avec gigantisme, au contraire. Une réflexion vraiment sérieuse s'impose sur ce thème.

Enfin, pour terminer, je veux insister sur l'importance cruciale de l'enseignement supérieur dans la formation à la recherche et dans le développement de la recherche elle-même. Un meilleur partage des responsabilités doit être trouvé entre chercheurs et enseignants supérieurs, et pourquoi pas, un statut commun. Revaloriser nos universités et promouvoir leur excellence au niveau international, en particulier européen, doit être directement au programme de l'effort national en faveur de la recherche scientifique.

Au total, je suis malgré tout optimiste. Mais la condition essentielle est que le monde politique, Gouvernement et Parlement, le soit également et en donne les moyens à la communauté scientifique.

M. Jean-Louis Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain : En deux mots, je veux rappeler que Saint-Gobain est un groupe leader dans tous ses métiers en Europe, dans le domaine du verre, des céramiques industrielles, des plastiques de haute performance et la distribution des matériaux de construction. Son chiffre d'affaires s'élève à 30 milliards d'euros, il emploie 172 000 personnes pour un résultat net de 1 milliard d'euros. Il est présent dans cinquante-quatre pays, vingt-quatre il y a quinze ans. Ses dépenses de recherche s'élèvent à 300 millions d'euros, étant entendu que ses dépenses d'essais réalisés dans les usines, pour lesquels il emploie 2 500 personnes, doublent ce chiffre. Alors que la France ne représente plus pour lui que 20 % de la production, il continue d'effectuer 70 % de ses recherches dans l'hexagone, et ceci en raison de l'histoire, mais aussi par pur volontarisme. Il a ainsi mis en place son dernier laboratoire à Cavaillon, alors que la Catalogne lui offrait un pont d'or. Je ne cacherai cependant pas que le prochain sera implanté à Shanghaï.

Ceci posé, le partage entre recherche publique et recherche privée est assez clair. La recherche publique ? C'est le développement des connaissances. Le privé ? Il doit les transformer en technologie. Pour notre part, nous sommes tout prêts à entretenir des rapports financiers avec la recherche publique, dans les limites de notre intérêt. Comment imaginez, d'ailleurs, de grandes fondations de mécénat de la recherche avec le niveau d'impôt français  ? Une telle ambition serait irréaliste avec notre niveau d'impôt ! La France a fait le choix du passage par la dépense publique et l'impôt.

S'agissant de la recherche publique, je partage le diagnostic des chercheurs. Le budget de la recherche français est le seul à stagner, sans compter que la situation matérielle des laboratoires laisse pantois l'industriel que je suis. M'exprimant à titre personnel, j'indique qu'il y a de quoi être surpris lorsqu'on sait que 1,5 milliard vient d'être donné aux restaurateurs, alors que les organismes de recherche manque de crayons !

La ministre de la recherche estime que le secteur privé ne fait pas assez de recherche. Mais chacun doit bien se rendre compte de la situation. Des groupes comme Saint-Gobain, Lafarge, Michelin et Peugeot ne sont-ils pas à la pointe de l'effort de recherche dans leur secteur ? Si la France ne fait pas de recherche, c'est parce que, faute de véritable politique industrielle, elle a échoué à implanter certains secteurs sur son territoire, qu'il s'agisse des biotechnologies, des ordinateurs et , pour une large part, des semi-conducteurs. Des chiffres ? Je vous renvoie à une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), relative aux parts des vingt principales sociétés mondiales. En matière de biotech ? Celle de la France est nulle, contre 1,5 % pour l'Union européenne. En matière d'ordinateurs ? La part de la France est une nouvelle fois nulle, contre 0,81 % pour l'Union européenne. En matière de logiciels ? La part de la France est de 1 %, contre 8 % pour l'Union européenne. En matière de semi-conducteurs ? La part de la France est de 3 % grâce à ST Microelectronics. Taïwan fait pourtant autant que la France ! La France a échoué, parce qu'elle a cru qu'elle pouvait suivre la voie américaine et refusé une voie plus conforme à son histoire, consistant à faire émerger dans certains domaines des champions nationaux. N'est-ce pas ainsi qu'on a pu créer les Airbus, mettre en place le programme nucléaire, les télécommunications et d'autres ? Or, dans les dernières années, force est de constater que nous n'avons rien fait dans les domaines porteurs.

Pourquoi ? Parce que nous avons laissé faire les lois classiques du marché et que nous n'avons pas suivi la voie japonaise de concentration et de recherche des champions. Nous allons le payer cher, et le rattrapage sera très difficile. Notre pays va enregistrer une accentuation des délocalisations, et ne les remplacera pas par des emplois à forte valeur ajoutée, ni dans le domaine industriel, ni dans le domaine des services. Désormais, en effet, Saint-Gobain peut faire de la recherche de très haute qualité en Chine et en Inde, pour un coût équivalent à 20 à 25 % du coût français. Pour un laboratoire de vingt-cinq personnes en France, nous pouvons nous offrir le même en Chine ou en Inde avec cent chercheurs remarquables. La Chine, en effet, forme des chercheurs de grande qualité, qui travaillent pour les coûts que je viens de citer, et en forme autant que la France et l'Allemagne réunies ! Face à cette situation, la prise de conscience me paraît bien insuffisante. Que sera la France dans la division future internationale du travail ? Là où elle aura mis ses priorités, c'est-à-dire dans l'agriculture, le tourisme et l'agro-alimentaire. Sans un effort de prise de conscience et un renversement des priorités, voilà la tendance !

Mais, au-delà des critiques, il convient de faire un certain nombre de propositions. Qu'attendons-nous donc pour réunir en un seul centre tous les laboratoires des grandes écoles de Paris ? Nous disposerions ainsi d'une réelle taille critique ! L'Ecole des Mines l'a proposé ! La création d'un tel pôle me paraît urgente, avec spécialisation des laboratoires et niveau d'excellence. Il me paraît également indispensable de multiplier les incitations pour mettre en place des laboratoires mixtes avec le CNRS. De tels laboratoires sont reconnus sur le plan scientifique, et les industriels assurent les moyens matériels qui manquent cruellement. Qu'attendons-nous également pour lever la loi du cumul, de manière à nous permettre d'embaucher de jeunes chercheurs du CNRS ou de l'INSERM comme consultants  ? Nous sommes prêts à payer les conseils d'excellents chercheurs ! Nous ne pourrons pas tripler le salaire des très grands jeunes chercheurs de talent si vous ne supprimez pas cette contrainte. Soutenez enfin les bourses Conventions industrielles de formation pour la recherche (CIFRE), et réfléchissons à un même schéma pour tous les post-docs. C'est parfaitement possible !

Cela posé, la recherche française, comme vos actions, Madame la ministre, ne sont pas assez focalisées. Mettez donc en œuvre les programmes en vous inspirant de la Defense advanced research project agency (DARPA) aux Etats-Unis ou du Massachusetts institute of technology (MIT). Nous connaissons les sujets et leurs modalités d'élaboration. Pourquoi alors avoir arrêté la mise en œuvre de grands programmes de recherche sur le mode américain ? Pourquoi saupoudrer et conserver l'existant ? Il faut plus de volontarisme, de sélectivité et de concentration, étant entendu que le programme de recherche européen est inefficace ! Rien qu'un saupoudrage multinational ! Il est impératif de jouer notre rôle pour le repenser ! La bonne aide pour l'industrie ? C'est l'aide à la recherche remboursable. L'aide indifférenciée du crédit de recherche me paraît inadaptée ! Vous dépensez des centaines de millions de francs pour des recherches qui n'irrigueront aucun secteur. Faites un peu moins de crédits de recherche, mais davantage de recherche focalisée, avec des grands programmes. Arrêtez de réserver l'aide aux petites et moyennes entreprises (PME) ! Rien de contradictoire à cela. Il faut aider les PME, mais vous avez cessé d'aider les grands groupes. Or, ces derniers sont les seuls porteurs de défis pour le futur. Nous sommes dans une stratégie de rattrapage qui exige un réseau de champions. Quant au contexte juridique pour l'attractivité dont vous avez fait état, je me permets de signaler que le principe de précaution, tel qu'il est actuellement rédigé et dont l'inscription est prévue dans la Constitution, est extraordinairement dangereux pour l'attractivité.

Au total, une fois dressé le diagnostic, il s'agit de retrouver les enthousiasmes que la France a connus à l'époque du général de Gaulle et du président Pompidou.

M. Olivier Postel-Vinay, journaliste : Ne souhaitant pas donner dans la langue de bois, je limiterai mon propos à trois points essentiels.

Le premier, que l'on apprend à l'école, est de distinguer entre le conjoncturel et le structurel. La conjoncture ? Il s'agit du désarroi de la communauté des chercheurs du secteur public, qui sentent le sol se dérober sous leurs pieds et réagissent de manière malheureusement corporatiste, en s'adressant à la puissance tutélaire pour demander de l'argent et des postes. Que dit de ce point de vue la pétition des chercheurs qui n'a hélas pas été analysée en bonne et due forme dans la presse ? Intitulée « Sauvons la recherche », cette pétition, foncièrement conservatrice et dans laquelle on retrouve toute l'emphase de la rhétorique syndicale, entend s'opposer au « démantèlement » de la recherche publique, à « l'abandon de la recherche fondamentale par l'Etat ». Le gouvernement ? Il serait en train de « fermer le secteur de la recherche publique », les chercheurs se proposant « d'agir collectivement contre une destruction programmée de l'appareil de recherche français ».

Mais pour étayer leurs accusations, les signataires avancent de bien maigres arguments. Ils invoquent une diminution conjoncturelle des crédits qui leur sont alloués et la baisse du nombre de postes de fonctionnaires ouverts cette année aux concours de recrutement. Or, ce n'est pas la première fois que des coups d'accordéon se produisent, inévitables au demeurant dans le système absurde qui est le nôtre où toute évolution des crédits affectés à un laboratoire et tout recrutement de chercheurs dépend mécaniquement de l'évolution annuelle du budget de l'Etat. Ces coups d'accordéon désignent un problème structurel autant que conjoncturel, et il est regrettable que les chercheurs n'aient pas saisi l'occasion de le souligner.

Les signataires invoquent aussi le fait que le ministère de la recherche leur paraît multiplier les opérations de financement de caractère discrétionnaire. Mais c'est là une vieille habitude du ministère. De ce point de vue, rien de nouveau sous le soleil ! Là encore, le problème soulevé désigne un trait permanent de notre système de gouvernance de la recherche. Il aurait été utile de le souligner, au lieu de ne mettre en avant que des effets immédiats.

La réalité, c'est encore une fois le désarroi des chercheurs. Mais ce désarroi est dû à des raisons qui vont bien au-delà de cette conjoncture banale. Ce que les chercheurs sentent, sans être en mesure d'en proposer l'analyse, c'est le déclin de la recherche française, publique et industrielle, déclin étayé par de multiples indicateurs, statistiques, internationaux, qui se rejoignent et se recoupent. Ce que les chercheurs ressentent douloureusement, c'est la fuite des cerveaux, fuite vers d'autres formations et d'autres métiers que la recherche, et fuite vers l'étranger. Ce qu'ils sentent mais se refusent à admettre, c'est la faillite d'un système auquel ils ont adhéré et qu'ils cherchent désespérément à « sauver », disent-ils, alors que ce système est appelé, selon toute vraisemblance, à être profondément transformé. Ce sont en effet les structures mêmes du dispositif français de recherche qui sont mises en cause par les chiffres du déclin, et très concrètement bousculées par la pression de la compétition internationale. Des structures qui ne sont ni de droite ni de gauche, qui plongent leurs racines dans la vieille histoire de France, jusqu'à la monarchie absolue. Il nous faut admettre que ces structures sont aujourd'hui archaïques : elles ont fait leur temps.

Mais, et ceci est mon deuxième point, ces structures aujourd'hui obsolètes ne peuvent être comprises et modifiées que si l'on prend pleinement conscience de leur dimension culturelle. En voici seulement deux exemples que je tire du texte de la pétition. Celui-ci indique d'abord : « Comme l'objectif de la recherche fondamentale est le développement des connaissances, indépendamment de toute rentabilité escomptée, elle ne peut être soutenue, pour l'essentiel, que par des financements publics ». C'est largement vrai, mais aussi largement faux. Dans certains pays, comme le savent très bien les signataires de la pétition, la recherche fondamentale est aussi efficacement financée par des fonds d'origine privée. La plus puissante université du monde, tout le monde le sait - je veux parler d'Harvard -, est une université privée, en bonne partie alimentée par des fonds privés, où quelques chercheurs français de haut niveau sont très heureux de travailler dans des conditions peu imaginables en France. D'ailleurs, même en France, nous n'aurions pas d'Institut Pasteur ni d'Institut Curie sans les importants dons privés qui ont permis la création de ces fondations et assurent aujourd'hui une part non négligeable de leurs ressources. Dire que la recherche fondamentale ne peut être soutenue que par des financements publics est une formule qui ne serait pas comprise de l'autre côté de l'Atlantique. Vérité en deçà de l'Atlantique, erreur au-delà ... Or, cette formule suppose résolue par avance, par la négative, la question d'une plus grande ouverture possible du système français de recherche aux financements d'origine privée.

Mon second exemple du poids de la dimension culturelle est peut-être plus fondamental. Le texte de la pétition, en effet, ignore la question des universités, pour ne s'intéresser qu'aux organismes publics de recherche, CNRS, INSERM et autres, institutions bien françaises, pour ne pas dire franchouillardes. Cela est caractéristique. En France, en effet, l'université est seulement considérée comme une sorte d'appendice du système de recherche. Or dans tous les pays, sans exception, qui arrivent en tête des indicateurs internationaux évaluant les performances scientifiques, l'université est le cœur du système. Pourquoi n'est-ce pas le cas en France ? Cette question ne devrait-elle pas être placée au cœur du débat actuel ? Pourquoi ne l'est-elle pas ? Le fait que les chercheurs ne semblent pas en mesure de poser clairement ce sujet désigne à mon sens un obstacle de nature culturelle.

Mais les obstacles culturels, cela se travaille. Ce sera mon troisième point. Dans tous les pays, et spécialement dans les pays très centralisés, comme le nôtre, les choses ne bougent vraiment que lorsque la glaise culturelle est pétrie, remaniée par le politique. Or sur cette question de la recherche scientifique, nous assistons depuis trente ou quarante ans en France à une démission du politique. Tout compte fait, me semble-t-il, cette démission est la cause motrice du déclin actuel de la recherche française. Ce que j'entends par démission, c'est à la fois un manque de réflexion et un manque de courage, qui interdisent de prendre la mesure des points névralgiques, ceux sur lesquels il convient de se concentrer si l'on veut éviter la formation de cercles vicieux et, au contraire, susciter des cercles vertueux.

Le déficit de la réflexion et du courage a, par exemple, conduit la droite à laisser s'installer la fonctionnarisation des chercheurs à la fin des années 1970, puis la gauche à prendre une mesure aberrante qui consistait à sceller cette fonctionnarisation par une loi. Nous payons aujourd'hui le prix de quantité de non-décisions et de décisions plus ou moins aberrantes qui ont été prises ou non depuis une vingtaine d'années du fait de la démission du politique. Or cette démission me paraît plus évidente que jamais. Nous sommes en effet confrontés à deux silences assourdissants. Le premier est celui du sommet de l'Etat : ni le Président de la République, ni le Premier ministre, ni le ministre de l'Education nationale, qui a en charge la recherche, ne donnent le sentiment d'avoir mené une réflexion de fond sur cette question de la recherche et de l'enseignement supérieur. C'est dommageable. Le second silence est celui de la représentation nationale. Je salue d'autant plus l'initiative de M. Jean-Michel Dubernard qu'elle est isolée. Mis à part quelques rares députés et sénateurs, le Parlement français ne comprend pas les problèmes de la recherche française, ne s'y intéresse pas et donc ne s'y attaque pas. C'est une tradition, il est vrai.

Mais je voudrais terminer sur une note plus positive, pour dire deux choses. La première est que malgré tout, je perçois des signes d'une évolution des esprits. De plus en plus d'acteurs ou d'observateurs influents sont aujourd'hui convaincus qu'un exercice de remise à plat de l'ensemble du système de recherche et d'enseignement supérieur s'impose. D'après le directeur de l'Institut Pasteur, M. Philippe Kourilsky, « notre système est bancal : il faut le revoir dans son ensemble ». La seconde est pour engager des cercles vertueux, les réformes sont possibles. Il en est une relativement aisée à mettre en œuvre. C'est une idée que j'agite depuis longtemps et dont je vois qu'elle est reprise aujourd'hui par un nombre croissant d'observateurs. Il s'agit de créer une fondation publique destinée à devenir peu à peu le principal instrument de financement de la recherche fondamentale.

M. le président Jean-Michel Dubernard : Le débat est ouvert.

M. Pierre André Périssol, député : Je veux d'abord vous remercier, Monsieur le président, d'avoir organisé un tel débat. M. Beffa souhaite un effort pour la recherche privée, mais je n'ai pas compris ses arguments. J'entends bien qu'il est nécessaire d'augmenter la part de la recherche privée, en complètement de la recherche publique. Mais quelles mesures concrètes proposez-vous pour atteindre cet objectif ? 

M. le président Jean-Michel Dubernard : Aucune honte, pour moi, dans le pourcentage du PIB que le pays consacre la recherche publique. En matière de recherche privée, les choses sont loin d'être identiques...

M. Claude Griscelli, conseiller d'Etat en service extraordinaire : J'ai été chargé d'une mission sur la recherche biologique et médicale par Claudie Haigneré, Luc Ferry et Jean-François Mattei en février 2003, preuve que la ministre de la recherche avait déjà la volonté, dans la sérénité, d'ouvrir la réflexion pour tenter d'améliorer le système. Les 120 auditions auxquelles nous avons procédé ont été l'occasion d'analyser le potentiel et les maux de notre système de recherche. De nombreuses propositions du rapport que j'ai remis hier au ministre rejoignent celles de M. Changeux. Elles tendent à des modifications structurelles et à une coordination obligatoire des organismes de recherche et de l'université. Elles tendent également à la mise en place, à l'image de l'Institut Pasteur, de grands instituts, à des liens plus approfondis entre recherches biologique et médicale, au profit du patient; à un schéma nouveau de carrières, tant l'actuel est inadapté, avec des contrats attractifs et de qualité. Il s'agit aussi de modifier profondément l'évaluation. Le copinage étant beaucoup trop fort en la matière, l'évaluation doit devenir européenne et ne plus rester franco-française. Le rapport entend également distinguer l'évaluation des hommes pour les carrières et les projets, et financer fortement les projets. Il estime enfin que la recherche biologique et médicale est un parent trop pauvre du système de recherche français.

Au total, le potentiel du pays est indiscutable. Ses universités sont excellentes, malgré toutes les critiques que l'on peut faire. Ne gâchons donc pas nos chances, étant entendu qu'il me paraît indispensable de s'engager dans un statut unique.

Mme Chloé Farrer, post-doctorante : Je viens de m'engager dans un post-doc en France, après en avoir suivi un aux Etats-Unis. Ma question sera très simple et concrète. Madame la ministre, vous avez la volonté d'augmenter les postes de contrat à durée déterminée (CDD), alors que ceux-ci ne sont pas très attractifs. Sans parler du salaire, que se passera-t-il après un CDD ? Les contractuels n'auront-ils pour unique choix que de concourir une nouvelle fois à un concours qu'ils ont moins de 5 % de chance de  réussir ? Si la France n'a pas la volonté de titulariser ses contractuels de façon quasi automatique, comme cela se fait aux Etats-Unis, il sera pour moi plus attractif d'aller travailler aux Etats-Unis. Quelle politique comptez-vous mener en la matière ?

M. Etienne-Emile Beaulieu, président de l'Académie des sciences : Si je suis ici ce matin, c'est parce que cette réunion est très importante, mais aussi parce que l'actualité est particulièrement difficile. La désespérance d'un grand nombre de chercheurs doit être considérée avec la plus grande attention. Au demeurant, ils ont exprimé leurs inquiétudes d'une manière exceptionnelle. Jamais nous n'avions vu plus de 50 000 chercheurs signer une pétition pour exprimer un désarroi d'autant plus profond que la société ne comprend pas les enjeux du problème, à l'heure ou d'autres secteurs récolent facilement 1,5 milliard d'euros.

Or, sans chercheurs, pas de recherche. Je ne me livrerai pas à la genèse du conflit que nous sommes en train de vivre, sauf pour rappeler que plusieurs scientifiques, en particulier ceux de l'Académie des sciences, ont tiré la sonnette d'alarme et appelé au dialogue, tant le système exige d'être profondément modifié. Les chercheurs qui se sont révoltés ne sont pas des révolutionnaires : ce sont des gens qui sont perdus dans une société qui ne les accepte pas suffisamment. Voilà le fond de la question ! La remise en cause est absolument nécessaire. Et il ne faudrait surtout pas laisser assimiler le mouvement de protestation des chercheurs à un soulèvement corporatiste. Ne laissons pas croire que des chercheurs ne sont que des gens qui défendent les intérêts d'un groupe !

Avec le vice-président de l'Académie des sciences, M. Edouard Brézin, nous venons de prendre l'initiative, devant le blocage du dialogue entre les représentants du collectif de la recherche et le gouvernement, de tenter une médiation sans préalable, sans mandat de qui que ce soit. La situation, en effet, exige de renouer le fil du dialogue. Car ne pas se parler serait la plus grave atteinte à l'esprit et à l'action.

Dans cet esprit, la ministre a proposé plusieurs mesures positives, cependant refusées par les chercheurs qui les jugent insuffisantes. Voilà pourquoi il est essentiel de se reparler. C'est le but essentiel de notre action qui se fait dans l'urgence, étant entendu qu'une démission en masse des chercheurs de leur poste de directeur de laboratoire serait catastrophique pour le pays.

Pour l'heure, je ne peux rien dire des résultats des négociations en cours. Cela dit, je reste optimiste, tant je crois que l'occasion qui se présente ne doit pas être ratée. A court terme, nous pouvons réussir ! Notre médiation a été acceptée par l'Académie des sciences, qui l'a votée à l'unanimité lors de son comité secret de mardi après-midi dernier, demandant à son président et à son vice-président d'agir. Nous nous appuyons sur des études de fond, en cours de rédaction, dirigées par un groupe de discussion auquel participe Jean-Pierre Changeux. Il ne s'agit pour l'heure que de discuter de la relance d'un dialogue, étant entendu que le problème de l'université est central, que la diversité des carrières devra être prise en compte, tant il est vrai qu'elles ne se gèrent pas de la même manière selon les secteurs de recherche. Mais la plus grande difficulté est que la qualité de nos universités est insuffisante. Bien sûr, l'université française a une grande tradition et les meilleurs universitaires font de la recherche. Bien sûr, il faut redéfinir les liens entre l'université et la recherche, et se diriger vers un corps unique d'enseignant-chercheur, avec la possibilité de détachement modulable dans la recherche et l'enseignement.

S'agissant de l'Europe, un Conseil européen de la recherche est en discussion. Sans l'Europe, en effet, il ne se passera rien de fondamental. Le budget de l'INSERM, ne l'oublions pas, s'élève à moins de 500 millions d'euros. Aux Etats-Unis, celui du National institutes of health (NIH), qui n'a pas tellement de personnel permanent, s'élève à 27 milliards de dollars ! Pour fonctionner, le Conseil européen de la recherche doit disposer de moyens suffisants, et 2 milliards d'euros annuels ont été demandés par le comité mis en place par la présidence danoise voilà un an. Par ailleurs, il faut savoir, et nous en parlions encore récemment avec le professeur Gago, ancien ministre de la recherche du Portugal, qu'il est indispensable que ce Conseil dispose d'une ligne budgétaire indépendante et qu'il soit géré par les chercheurs eux-mêmes. Rendons donc hommage à la ministre Claudie Haignerie, qui a su défendre de manière remarquable cette position devant le conseil des ministres européens. Pour autant, travaillons aussi à améliorer le système français.

M. le président Jean-Michel Dubernard : Merci d'avoir rendu hommage à Mme la ministre, d'avoir parlé de l'Europe et d'avoir souligné que le mouvement actuel des chercheurs n'avait rien de corporatiste.

M. Daniel Garrigue, député : Si des moyens supplémentaires sont indispensables pour la recherche, la situation française n'est pas catastrophique. Lorsqu'on compare notre situation à celle de nos voisins européens, en effet, on s'aperçoit que la France est plutôt bien placée. Il faudra en tenir compte pour la future loi d'orientation et de programmation.

Par ailleurs, le problème essentiel me paraît être celui des mécanismes de financement et d'organisation de la recherche. Le recours à la procédure d'appel à projet me paraît bien insuffisant dans notre pays, alors qu'elle est largement utilisée par les Etats-Unis et nos voisins européens. Il est donc indispensable de bien différencier les instruments de financement de la recherche. Les grands projets ? On sait bien les mettre en œuvre, comme l'Europe, d'ailleurs. Qu'on songe, par exemple, au nucléaire ou au spatial. Mais certains secteurs exigent de nouveaux instruments, tout particulièrement les sciences du vivant, les nanotechnologies, les biotechnologies ou les technologies de l'information qui appellent des sources de financement et demandent une réactivité très forte, tant la recherche avance rapidement. Enfin, l'émulation doit être mieux prise en compte.

Je veux enfin indiquer que la délégation à l'Union européenne à laquelle j'appartiens a reçu Mme la ministre, en présence des représentants français au Parlement européen, et travaille de manière très active sur les problèmes de recherche à l'échelon européen et la comparaison des systèmes de recherche. En matière de recherche européenne, il faut éviter le saupoudrage auquel se livre parfois le Programme cadre de recherche et de développement technologique (PCRD). La Commission vient de remettre en avant la notion de centre d'excellence. Il me paraît indispensable de la soutenir, étant entendu que l'idée d'un conseil européen de la recherche est extrêmement intéressante.

En conclusion, je veux évoquer le principe de précaution. Ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, mais il faudra engager un très large débat sur la question et ne pas se séparer des autres pays européens sur ce problème.

M. le président Jean-Michel Dubernard : Merci d'avoir rappelé que les députés travaillent aux enjeux de la recherche au sein de la délégation européenne, mais aussi de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Mme Marion Guillou, directrice générale de l'INRA : Comme directrice de l'Institut national de la recherche agronomique, je voudrais parler de recherche finalisée. Celle-ci, en effet, doit traduire en questions de recherche les attentes de la société, qu'il s'agisse des partenaires politiques ou économiques, des consommateurs ou des citoyens. Cela suppose de mobiliser et d'assembler les disciplines nécessaires dans des structures ou des programmes. Une telle exigence suppose plusieurs conditions. Il faut d'abord travailler l'insertion dans le milieu et la manière de poser les questions à ces différents types de public. Augmenter la consommation de fruits et légumes en France, comme certains nous le demandent, ne va pas de soi. Les réponses peuvent être économiques, gustatives, ou relever de l'organisation des filières. Nous demander comment diminuer l'emploi des produits phytosanitaires dans l'agriculture suppose de mobiliser l'agronomie, la sélection variétale et les pratiques des agriculteurs. Il faut également travailler à organiser des structures plus pérennes, réfléchir au rôle des programmes, aux compétences à mobiliser et à l'évaluation. On parle beaucoup d'excellence depuis ce matin, mais qu'est-elle ? Comment la juger ? Par rapport à des missions et des objectifs fixés ? Pour moi, l'excellence peut être thématique, académique. En matière d'efficacité aussi, l'excellence peut s'exprimer. Or, ces trois types d'excellence doivent se juger selon des critères et des personnalités différentes.

Cela posé, le contexte change, tant au plan régional, social, européen qu'international, nous imposant de proposer des évolutions, et notamment en matière de priorités, étant entendu que nous n'avons pas, à l'échelon français, les moyens de l'universalité des thèmes. Le contexte nous impose également de réfléchir aux relations entre les structures et les programmes, à la question des ressources humaines, la mobilité devant être plus grande, et les recrutements diversifiés. Sur ce point, et à titre personnel, je ne vois pas en quoi un corps unique d'enseignant-chercheur pourrait permettre de résoudre ces défis. Le contexte nous impose enfin de réfléchir à l'évaluation.

Au total, la recherche finalisée est prête aux évolutions et au changement, dans un contexte changeant.

M. Bernard Charpentier, professeur d'université : George Gusdorf soulignait que l'université était une utopie, et que cette dernière était une manière de lutter contre le renoncement. Or, d'après un classement chinois, Paris VI ne se classe qu'à la soixante-cinquième position des 500 premières universités, Paris XI à la soixante-douzième, alors que nous faisons à peu près 70 % de la recherche du pays et que nous accueillons 95 % d'étudiants. Mais il est vrai que, contrairement à ce qu'on entend souvent dire, la France n'a pas de culture universitaire et n'a que quarante ans d'expérience en la matière. Par contre, la France a une culture d'école et de micro-école. Monsieur Lamour, vous êtes un élève d'école, et vous enseignez dans une école prestigieuse, mais qui aurait pu s'associer à d'autres instituts. Force donc est de constater que l'université est en déshérence, surtout lorsqu'on sait que l'une d'entre elle a dû fermer son chauffage pendant trois semaines l'hiver dernier.

Cela posé, le pays compte plus de 2 millions d'étudiants, 1,4 million pour l'université. Mais sans perspective de carrière, sans salaire attrayant et faute de moyens ils se dirigent de plus en plus vers HEC, l'ESSEC ou Sup de Co, à tel point que l'université en vient à se demander si elle ne devient pas une sorte de parking. Pourquoi ? D'une part parce que, à la différence de ses collègues européennes ou américaines, l'université française n'est pas un moyen de structuration. D'autre part, parce que la France compte vingt organismes de recherche pour soixante millions d'habitants, contre trois aux Etats-Unis pour quatre fois plus d'habitants. Enfin, le rapport de la Cour des comptes a bien mis en lumière le manque de pilotage en la matière.

Pendant de nombreuses années, le politique a donné la priorité au nucléaire civil et militaire, à la physique lourde et à la construction aéronautique. Longtemps, la France a été un pays d'innovation. Force est cependant de constater que l'imitation est à l'ordre du jour, comme en témoigne le livre de Nicolas Baverez sur le déclin de la France.

Pour ma part, je suis plutôt favorable à la création de grands pôles, associant les grands EPST, les universités et les partenaires industriels, étant entendu qu'il y a un lien capital entre la recherche, l'enseignement et la culture, la formation, la sélection et l'orientation. C'est le grand avenir de l'université française, laquelle doit être repensée en association avec l'ensemble des partenaires, qu'ils soient publics et privés. Longtemps, le monde académique a été éloigné du monde industriel. On sait que c'était parfois pêcher que d'aller travailler pour l'industrie, et l'on connaît l'isolement scolastique de l'université de Paris.

J'espère donc que la réunion d'aujourd'hui permettra d'avancer dans les voies du réformisme, étant entendu que j'adhère à tous les propos des grands témoins, à ceux de mon collègue M. Claude Griscelli, également, me ralliant ainsi à Gramsci qui préférait l'optimisme de l'action au pessimisme de l'âme.

M. Jean-Alain Chayvialle, directeur d'unité INSERM : La recherche me paraît être un enjeu trop crucial pour le faire dépendre d'une mouvance politique. M. Postel-Vinay a évoqué les coups d'accordéon, et force est de reconnaître que nous sommes en train de vivre une situation très difficile, typiquement due à ce type de mécanismes. Les intentions des pouvoirs publics sont sans doute louables, mais elles n'ont pas été annoncées. Et l'on sent que l'opinion publique n'est pas loin de penser que les chercheurs coûtent trop chers, que certains d'entre eux deviennent improductifs à partir d'un certain âge et qu'il est indispensable de rentabiliser l'effort de recherche, sans compter que la philosophie des grandes équipes de foot est de plus en plus présente, certains entendant imposer aux équipes des grandes vedettes nationales. Tout cela est à l'origine d'un malaise indiscutable. Au demeurant, voilà vingt ans que je dépense une grande partie de mon énergie à comprendre le sens des politiques de nos gouvernements en la matière, et pourquoi des crédits attribués sont ensuite gelés. Par rapport à d'autres pays, nous sommes très résistants ! On parle toujours de la politique et de la justice. Pourquoi ne pas parler plus de politique et de recherche ? Pour ma part, j'attends que les grandes décisions soient annoncées à l'avance, pour que les jeunes aient le temps de s'y préparer. Les chercheurs vieillissants pourraient être de très bons encadrants. Or, où est la passerelle avec l'université que l'on évoque depuis vingt ans ? Je ne la vois toujours pas ! Croyez-vous aussi qu'un chercheur médiocre deviendra un universitaire brillant ? Il faut arrêter les songes creux, et mettre en avant une réflexion qui échappe aux aléas politiques et rendra compte devant la nation des moyens consacrés pour que les jeunes puissent développer leur potentiel.

M. Jean-Pierre Door, député : Je veux indiquer à M. Postel-Vinay que tous les parlementaires sont loin d'être désintéressés par le désenchantement des scientifiques et de la recherche. Dès le début du mois de janvier, en effet, l'office parlementaire des choix technologiques et scientifiques a réuni ici même des grands scientifiques. A cette occasion, nous avons pu constater que la température était montée de façon très importante. M. Axel Kahn, M. Yves Coppens et de nombreux chercheurs étaient présents. Les parlementaires n'ont donc pas cassé le thermomètre. C'est pour cette raison que je suis très heureux que le professeur Dubernard ait pu organiser cette réunion. Il faut impérativement renouer le dialogue !

Par ailleurs, j'ai bien lu dans Le Monde l'article du professeur Beaulieu. Il s'agit d'un article extrêmement profond, très intelligent et très rassurant, et j'ai été content de l'entendre ce matin. C'est la preuve que l'optimisme est toujours présent et que certains liens peuvent se tisser. Comme parlementaires, nous donnons tous nos encouragements à Mme la ministre, car comme médecin, je suis persuadé que nous parviendrons à faire retomber la température et à guérir la maladie des scientifiques.

Mme Estelle Durand, vice-présidente de la Confédération des jeunes chercheurs : Le débat d'aujourd'hui n'est pas le premier à être organisé sur l'avenir de la recherche. Mais comme d'habitude, je constate que les jeunes chercheurs sont très peu présents et qu'on leur demande peu leur avis, alors qu'il s'agit de leur avenir.

Pour moi, les CDD sont complètement en inadéquation avec les espérances, les aspirations et les demandes des jeunes chercheurs. Il me paraît donc indispensable de les impliquer fortement dans les décisions qui concernent leur avenir. La Confédération des jeunes chercheurs dont je suis vice-présidente est une structure qui regroupe trente-cinq associations de doctorants et existent depuis 1996. Des difficultés à nous faire entendre ? Nous en avons déjà rencontrées beaucoup. Depuis quelque temps, il semble qu'on nous entende un peu plus, et j'espère que le dialogue se poursuivra.

M. Yves Matillon, professeur des universités : J'ai dirigé pendant douze ans l'Agence nationale pour l'évaluation en santé. J'ai également été chargé d'une mission interministérielle par M. Ferry et M. Mattei sur l'évaluation des compétences. Je voudrais faire trois remarques thérapeutiques, étant entendu que nous partageons tous le diagnostic et que nous estimons tous indispensables de redonner du sens au sujet. Comment dès lors trouver des modes opératoires pour l'avenir ?

Plusieurs orateurs ont parlé de saupoudrage. Sur ce point, je partage totalement le diagnostic de M. Beffa. Le saupoudrage correspond en effet à la répartition d'unités spécifiques, toutes chargées de missions très particulières. C'est la conséquence ou la cause de notre incapacité à gérer l'interdisciplinarité. L'origine est culturelle, étant entendu que nous ne sommes pas des anglo-saxons et que nous sommes persuadés de faire ce qu'il y a de meilleur au monde. Il me paraît donc indispensable de disposer de modes opératoires nous permettant de favoriser les interactions autour de l'interdisciplinarité et les regroupements.

S'agissant des métiers, on ne pourra pas échapper aux discours misérabilistes ou à celui tourné vers le « toujours plus » sans envisager les conditions d'une meilleure recherche. Cela passe par la responsabilisation des acteurs, la reconnaissance des métiers, et la modification des statuts. Il faudra stimuler une approche de la gestion des métiers, étant entendu que la vie professionnelle ne s'écoulera plus pendant quarante ans dans le même domaine et au même endroit. Voilà pourquoi il faudra savoir reconnaître celui qui sait prendre des risques.

S'agissant enfin de l'évaluation, je veux rappeler que le comité national d'évaluation des universités a une expérience de vingt ans, les organisations sanitaires, dix ans. Contrairement aux anglo-saxons, l'évaluation est vécue en France comme un alibi parfait et procède du discours incantatoire. En clair, elle s'applique aux autres, jamais à soi-même. Voilà pourquoi il est indispensable de trouver les mécanismes d'une réelle évaluation et de ne pas accepter la médiocrité lorsqu'elle est patente.

M. Christian Bréchot, directeur général de l'INSERM : Je limiterai mon intervention au collectif. En la matière, il faut se mettre d'accord et ne pas oublier qu'une fraction de conservateurs et de corporatistes se sont, dans les années passées, opposés à toute réforme. Cela dit, de nombreux chercheurs sont tout à fait ouverts aux réformes, ont soutenu une direction comme la mienne et les mesures proposées par la ministre. Au demeurant, la majorité des jeunes chercheurs est d'accord pour une politique de carrière, et souhaite qu'un recrutement soit précédé par un contrat jeune-chercheur. Bien sûr, un certain pourcentage de jeunes chercheurs sont contre ce type de contrat, mais ils sont minoritaires.

Quant à l'intégration dans l'Europe, elle est fondamentale. La Commission européenne a organisé à Florence en juillet dernier une première réunion qui a abouti à une communication sur les carrières européennes. Peut-être sera-t-elle vécue dans l'avenir comme la conférence de Bologne l'a été pour les modèles logiques des données (MLD). En septembre, une réflexion se mettra en place pour la mise au point de recommandations. La concertation doit permettre à la France de jouer un rôle très important, car nous ressentons tous que nous avons des difficultés, mais aussi une capacité à proposer un modèle très intéressant au plan européen, avec cette balance entre emplois temporaires et permanents.

S'agissant des ressources humaines et du problème de la mobilité, je suis entièrement d'accord avec les directions données en matière de statut d'enseignant-chercheur. Le statut, ne l'oublions pas, permet de faire déjà beaucoup. M. Beffa juge nécessaire d'assouplir la notion de contrat de consultance et avec l'industrie. Mais beaucoup peut déjà être fait. A l'INSERM, par exemple, et avec le soutien de Mme la ministre, nous avons mis en place des contrats d'interface avec les hôpitaux et l'université, et nous cherchons à faire de même avec l'industrie, les agences sanitaires et l'international. Nous pouvons obtenir une attractivité, une mobilité et une flexibilité extrêmement importante, en les associant au maintien du statut permanent.

La flexibilité ? On n'en n'a pas encore suffisamment parlé. Quelles que soient les constructions que l'on peut imaginer - et j'adhère aux propositions de M. Jean-Pierre Changeux en matière de réorganisation - des règles relativement simples, relevant de décrets, permettraient à nos organismes de recherche de répondre bien mieux à leurs missions. Pourquoi n'est-il pas possible de mettre au point des contrats temporaires, qu'il s'agisse de contrats de chercheurs ou d'ingénieurs, sur les dotations de base des unités, comme le font d'ailleurs les anglo-saxons ? Pourquoi n'est-il pas possible de donner de façon simple des primes à des niveaux différentiels aux chefs de projets, mais également aux membres des équipes, aux ingénieurs et aux techniciens ? Pourquoi n'est-il pas possible de modifier le fonctionnement de nos commissions scientifiques, de manière à ce qu'elles puissent d'emblée s'adapter à cette idée très intéressante d'agence d'évaluation et de fondation s'intégrant dans un domaine européen ?

Au total, on a le sentiment que l'on pourrait aboutir rapidement à des modifications très sensibles de fonctionnement de nos organismes de recherche. Vos services, Madame la ministre, y travaillent activement, et la communauté est dans sa majorité prête à évoluer. Il faudra cependant savoir respecter la diversité. Comme Mme Marion Guillou, je suis souvent frappé du fait qu'on a trop tendance à réfléchir de façon globale. L'INSERM, faut-il le rappeler, n'est pas le CNRS qui n'est pas l'INRA. Chaque organisme a ses spécificités qui doivent être prises en compte.

M. Daniel Schmitt, directeur d'unité INSERM : Je veux intervenir sur le problème de l'évaluation. Madame la ministre, vous avez rappelé nos trois missions : la production des connaissances, la valorisation de nos résultats et la diffusion des savoirs. Or, comment sont évaluées nos réponses à ses trois missions ? La mission d'acquisition des connaissances ? Elle est évaluée par la publimétrie. Il s'agit d'un problème qui mériterait discussion compte tenu de la dictature actuelle des facteurs d'impact et des index de citations. Mais surtout, la valorisation et la diffusion des savoirs sont mal ou pas du tout prises en compte dans la carrière des chercheurs et dans les laboratoires, alors qu'elle permettrait d'apporter une réponse partielle, mais réelle, aux deux problèmes que vous avez soulevés : la part industrielle de la recherche en France et l'attraction des jeunes vis-à-vis des carrières scientifiques. Nous savons faire ce travail, mais il n'est malheureusement pas évalué. Je suggère donc qu'une grille d'évaluation soit élaborée, à l'image de ce que font les Canadiens, de manière à prendre compte les utilisateurs de nos recherches.

M. Jean-Michel Fourgous, député : Avant d'être député, j'ai été ingénieur au CNRS où j'ai rédigé dix-neuf rapports scientifiques. J'en remercie le contribuable, mais je ne peux pas dire à quoi ils ont servi et s'ils ont une utilité sociale. Lorsqu'on sait que le déficit du pays s'élève à 1 000 milliards d'euros, il faut bien être conscient de ce type de questions, et il était important d'organiser un dialogue, de manière à tous parler ensemble. Pour ma part, j'ai démissionné du CNRS et créé une petite entreprise de vingt-deux personnes. Je n'arrivais pourtant pas à y faire travailler de chercheurs. Le CNRS a certes des défauts, mais on y trouve une extraordinaire qualité d'intelligence et de talent. Tout cela donne l'impression d'un grand gâchis. Les chercheurs ont des méthodes d'évaluation peu appropriée, quand les entreprises peuvent proposer des sujets de recherches particulièrement attractifs, aux débouchés extraordinaires. C'est la synergie entre la recherche publique et privée qui pose problème en France. Nous devons tous le résoudre, car c'est l'enjeu essentiel de sortie du débat que nous avons aujourd'hui.

Mme Angela Sirigu, directrice de recherche au CNRS : Je suis directeur de recherche au CNRS, et j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt le discours de Mme la ministre. Vous avez parlé d'excellence et d'attractivité. C'est la preuve que vous êtes très détachée du quotidien des laboratoires. Il vous suffirait pourtant de cliquer sur le site web du CNRS pour vous rendre compte qu'une recherche d'excellence s'y fait, comme à l'INSERM, d'ailleurs et que de nombreux chercheurs de ces organismes publient dans Nature ou Science. Mais savez-vous comment nous faisons nos recherches ? Avec l'argent des Américains ! Je travaille au CNRS, en effet, et j'ai pourtant pu bénéficier d'un grant de la National science foundation (NSF) car le budget qui nous est alloué est dérisoire ! J'ai signé mon contrat avec la NSF en septembre 2003 : au 1er octobre, j'ai disposé de mon argent. L'ASI ? Je l'ai eue en 2001, et j'ai touché une première tranche fin 2003. Entre temps, trois secrétaires se sont succédé à votre bureau, et je ne sais plus à qui demander des renseignements sur la dernière tranche qui ne m'a pas encore été réglée ! Nous sommes obligés d'aller chercher l'argent ailleurs ! Sans compter qu'on enregistre de nombreux retards dans le domaine des sciences de la vie, et notamment en matière d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. J'utilise beaucoup ces techniques, comme de nombreux collègues. Or, nous sommes obligés de nous expatrier à l'étranger, et notamment aux Etats-Unis, pour faire nos manips ! La France compte aujourd'hui seulement deux IRM dédiés exclusivement à la recherche, quand le Japon en compte un dans pratiquement tous ses laboratoires. Aux Etats-Unis ? On ne les compte plus ! A l'institut des sciences cognitives du CNRS où je travaille, j'entends parler d'une possible acquisition d'un IRM depuis les années 1980 ! A Lyon, un IRM a été commandé voilà six mois, mais on découvre aujourd'hui qu'on ne dispose pas de crédits pour construire le bâtiment qui va l'accueillir. Et l'on parle de le mettre dans un camion ! Faire de la recherche d'excellence ? Oui ! A condition d'en avoir les moyens !

M. Jean-Marie Hombert, directeur du département des sciences de l'homme de et de la société au CNRS : Mme la ministre a indiqué que les organismes de recherche étaient en train de travailler à des projets de réforme d'organisation. Le directeur général du CNRS et son président ont en effet proposé en début de semaine un projet pour l'évolution de cet organisme. Il s'agit d'abord de clarifier les missions du CNRS. Cet établissement a maintenant soixante-cinq ans, et il était utile d'adapter ses missions au contexte actuel, de manière à mieux le positionner face à la recherche universitaire. Il s'agit ensuite de formuler plusieurs propositions concernant notre politique d'établissement et l'organisation de nos structures pour mettre en œuvre cette politique. Les premières concernent la déconcentration de notre fonctionnement. De nombreux orateurs ont remarqué que le fonctionnement de la recherche était parfois éloigné du terrain. Le CNRS propose donc de se déconcentrer, en inter-régions, de manière à être au plus près des laboratoires, à mieux saisir les spécificités des pôles régionaux, et surtout, à mieux mettre en œuvre le décloisonnement des disciplines, qu'il s'agisse du décloisonnement entre théorie et application, mais aussi entre sciences dures et humaines. Une autre mesure concerne l'évaluation. Nous évoluons en effet dans un système extrêmement curieux : une partie des équipes est évaluée par le comité national du CNRS, qui compte aussi de nombreux universitaires, une autre partie l'est par des équipes exclusivement universitaire. Ce système à deux niveaux est extrêmement dommageable pour notre vision de l'ensemble du dispositif français. Assez systématiquement, les équipes universitaires sont considérées comme deuxième catégorie par rapport aux équipes qui sont évaluées au CNRS. C'est dommageable pour l'ensemble du pays. Nous proposons donc un renforcement des politiques d'université.

Nous proposons enfin d'ouvrir le dispositif d'évaluation. Il s'agit d'évaluer les équipes universitaires et celles du CNRS, mais aussi qu'elles s'ouvrent plus largement vers l'extérieur.

Le CNRS, nous en sommes très conscients, doit être beaucoup plus attractif s'il souhaite accueillir les meilleurs chercheurs, notamment étrangers. Nous nous sommes donc fixés à 2015 l'objectif d'avoir 25 % de nos chercheurs non français.

M. le président Jean-Michel Dubernard : Qu'en pensent nos grands témoins ?

M. Olivier Postel-Vinay, journaliste : L'ensemble des interventions témoigne d'une nette évolution des esprits. Les choses bougent ! Et je constate bon nombre de convergences entre les propos des uns et des autres, en particulier s'agissant du recentrage de la recherche vers l'université, d'efforts à faire pour reconfigurer les espaces de recherche, grâce à des campus, et de la mise en place d'un système se rapprochant de près ou de loin du train or track anglo-saxon. Le saupoudrage des crédits au prorata des chercheurs et des laboratoires doit être remplacé par un système de financement sur projet et évalué par les pairs.

M. Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur : L'idée de campus me paraît excellente, à condition que les évaluations se fassent au niveau des groupes de recherche qui portent bel et bien un projet. Or, le rapport du CNRS parle de gros laboratoires, ce qui m'effraie beaucoup !

La gestion des grands organismes de recherche est un sujet central, qu'il faut examiner très attentivement; en particulier s'agissant de la compétition entre l'INSERM et le CNRS que j'ai vécue de très près. De telles compétitions sont absurdes, et l'idée d'un regroupement des instituts de recherche dans les sciences de la vie, incluant l'INSERM, le CNRS, l'INRA et la direction des sciences du vivant du CEA me paraît excellente.

S'agissant des fondations et de la recherche privée, je veux rappeler que la recherche biologique en Angleterre doit un de ses grands succès à la fondation Welcome qui, à elle seule, double les crédits attribués aux sciences de la vie. La France, elle, ne dispose d'aucune structure de cette nature. Le développement de fondations me paraît un aspect très positif pour le pays, à condition d'arriver à le gérer.

Beaucoup d'entre nous sommes des universitaires. Les relations avec l'université doivent impérativement être développées. Le statut commun ? C'est une piste à explorer.

J'aimerai enfin avoir des réactions s'agissant de la gestion des grands programmes d'équipement. Des sommes colossales sont en jeu. Or, personne n'est intervenu sur le sujet. Je souhaite que la représentation nationale nous informe des choix budgétaires consacrés à ces énormes équipements. Pour favoriser le dialogue entre la représentation nationale et les scientifiques, j'ai également évoqué l'idée de la Royal society qui consiste à associer à chaque parlementaire un chercheur. Je souhaite avoir l'avis de la représentation nationale sur ce point.

M. Jean-Louis Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain : La notion de continuité me paraît essentielle. En matière de recherche, les coups d'accordéon sont contraires à l'efficacité. Il est donc indispensable de s'engager à sortir des schémas d'annuité et de mettre en place une gestion par grands programmes. C'est une des premières réformes absolument essentielles.

Ceci posé, je ne considère pas qu'il y a un déficit systématique des dépenses de recherche privée en France. Il y a simplement un déficit d'industrie à haute intensité de recherche. Voilà le diagnostic ! La conséquence est évidente : ne faisons pas d'aides indifférenciées, mais mettons en place des aides sectorialisées, dans le cadre de programmes contractuels, dans lesquels les champions - et ce peut être des PME - pourront être porteurs du programme, avec l'engagement de dépenser de l'argent. Arrêtons donc de donner de l'argent par le système du crédit d'impôt : focalisons davantage sur des fonds existants. Bien entendu, le mieux serait de faire les deux, mais je me place dans un contexte de pénurie budgétaire. Abandonnons le saupoudrage indifférencié, et revenons à des stratégies focalisées, avec des entreprises capables de le supporter et de vrais enjeux pour l'avenir. Ces vingt dernières années ? Nous avons fait exactement l'inverse, en pensant que le marché pourvoirait à tout. En témoigne notre déficit de création d'entreprises dans les domaines des technologies de l'information. En la matière, un changement de politique est indispensable.

M. le président Jean-Michel Dubernard : En matière de technologies médicales aussi.

M. Jean-Louis Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain  : En la matière, la nationalité a une certaine importance. Si le regroupement des deux grands laboratoires dans lesquels la France est présente dans ce domaine ne se fait pas, vous pourrez faire une croix sur une bonne partie de la recherche médicale française !

M. Vincent Lamour, enseignant-chercheur : L'enjeu européen est essentiel, en effet. Toutes les réformes doivent s'engager dans une démarche européenne. Quant à l'aspect culturel et aux comparaisons des systèmes, il ne faut pas oublier que les approches culturelles vis-à-vis de la recherche sont différentes. L'approche anglo-saxonne part de l'exemple pour généraliser alors qu'en France, c'est l'inverse. Ne calquons pas les modèles, mais prenons bien en compte les spécificités des cultures, et notamment de la nôtre.

M. Bernard Bigot, haut commissaire à l'énergie atomique : Les difficultés de la recherche française, bien entendu, ne datent pas d'aujourd'hui. Elles éclatent au grand jour sous l'effet d'une double cause. D'une part, on n'a pas su adapter nos structures aux évolutions du contexte. D'autre part, la compétition internationale s'intensifie très durement. Sur ce point, je partage largement le diagnostic de M. Beffa. STM, par exemple, vient de décider de développer ses recherches, d'engager 2 000 chercheurs en quatre ans, et de les faire travailler en Chine et en Inde. Quant aux Américains, ils mènent une politique agressive pour attirer des chercheurs de qualité qu'ils ne forment pas eux-mêmes. La compétition est donc une réalité qui impose de réunir les conditions d'émergence de champions. Or, la France ne réunit pas toujours les conditions pour atteindre cet objectif, même s'il ne faut pas faire preuve de catastrophisme, la France ayant en matière de recherche des atouts incontestables.

Ceci posé, il me paraît indispensable de savoir choisir les secteurs dans lesquels nous avons l'ambition ou le besoin de gagner et de compter. En la matière, la France rencontre des difficultés à mettre en place des procédures de choix claires pour la communauté scientifique, comme pour les autorités publiques et privées. Par ailleurs, il me paraît indispensable de favoriser l'émergence de projets qui soient élaborés par les chercheurs eux-mêmes. En la matière, je crois beaucoup à la notion d'équipe. C'est un des moyens de répondre au clivage largement évoqué entre organismes et universités. Une équipe, en effet, a l'avantage de réunir l'ensemble des gens susceptibles de s'intéresser à un projet. Il faut aussi favoriser l'émergence de projets venant des organismes. Il faut les mobiliser, mieux identifier les missions, en y associant le monde de l'entreprise. En la matière, la culture d'appel à projets me paraît très insuffisante. Une fois qu'un projet est arrêté, il est indispensable d'identifier les moyens nécessaires à sa réalisation. Il faut enfin évaluer de manière comparative, en affectant, une fois le projet sélectionné, les moyens à la hauteur nécessaire. Chaque acteur en capacité de financement doit s'engager !

Au total, il faut faire confiance aux chercheurs, faciliter l'usage des moyens, mettre en avant une logique d'évaluation a posteriori, en couplant évaluation et décision. Il faudra faire un effort considérable en matière de reconnaissance et de gestion des hommes, et construire des alliances. Pour l'heure, nous ne savons pas construire des alliances, faute de logique de projets. Enfin, comme l'a bien dit M. Beffa, la continuité est un facteur essentiel.

M. Jean-Yves Chapelon, directeur d'unité INSERM : Je veux témoigner des difficultés que l'on rencontre dans la gestion des moyens qui proviennent de différentes sources. J'ai pour ma part disposé d'un financement du NIH qui a fonctionné pendant des années et qui m'a été supprimé la semaine dernière pour des raisons administratives que j'ai bien du mal à comprendre. La simplification administrative est un impératif ! Les chercheurs ne peuvent plus continuer à travailler avec des administrations qui épient sans cesse leur travail, leur mettent des bâtons dans les roues, alors qu'elles devraient les seconder.

M. Bernard Pau, directeur du département des sciences de la vie au CNRS : Le CNRS est porteur d'un projet important visant à modifier ses logiques d'organisation, de manière à améliorer sa visibilité européenne et internationale. Il s'agit de renforcer ses recherches, au bénéfice de l'interdisciplinarité, et de rassembler des équipes interdisciplinaires au sein de campus de dimension importante. Une telle ambition n'est nullement incompatible avec une logique de projets et pourrait se concrétiser au bénéfice du renforcement du poids stratégique central du CNRS comme établissement national de recherche à vocation européenne.

Dans ce cadre, le CNRS est également porteur d'une nouvelle analyse économique de l'innovation. Nous en avons grandement besoin, à la fois pour crédibiliser notre recherche publique, mais aussi pour apporter notre contribution au développement de l'industrie. Ce modèle est d'ores et déjà applicable dans le domaine pharmaceutique. Ce dernier, vous le savez, rencontre une crise extrêmement grave en Europe et en France, étant entendu qu'il s'agit d'un secteur qui a un besoin extrêmement important d'innovations, et que nous sommes, nous, secteur public de recherche, en capacité et en responsabilité, en nous appuyant sur nos capacités fondamentales, de permettre le développement de l'innovation.

Ceci posé, je ne voudrais pas noircir le constat sur l'insuffisance de la valorisation. A la tête d'un revenu de redevances de 50 millions d'euros annuels, le CNRS est tout simplement dans le peloton de tête de l'innovation pour le secteur académique. Et nous souhaitons faire cinq fois mieux. Par ailleurs, nous ne pouvons plus nous appuyer uniquement sur les modèles économiques que sont le partenariat direct avec les groupes industriels ou la création d'industrie. Il a en effet montré ses limites, même dans le domaine des biotechnologies. Nous sommes donc porteurs d'un modèle nouveau, qui consiste à créer le premier pont continu et complet de détection de l'innovation jusqu'à la mise au point d'un produit préindustrialisé, par une structure autoporteuse, bénéficiant d'un financement important d'origine privée. Il s'agit de rendre ce service au secteur académique, de soutenir sa recherche fondamentale précompétitive autour du premier brevet, de faire mûrir l'innovation, et d'amener dans les quinze prochaines années huit médicaments nouveaux sur le marché grâce au partenariat avec l'industrie pharmaceutique. Ceci est porteur d'un grand espoir de valorisation et de création de valeur, d'un grand espoir aussi de soutien à notre industrie pharmaceutique qui sera capable de créer les 20 000 emplois scientifiques qui nous manquent dans le domaine des sciences de la vie, et d'un grand espoir pour la recherche publique, pour qu'elle puisse adosser sa capacité fondamentale à ce nouveau modèle.

Bien évidemment, ce modèle n'est pas privatif. Il est porté par le CNRS et son partenaire principal, l'Institut Pasteur. Il est ouvert à la communauté scientifique, notamment à l'INSERM.

M. Michel Rieu, conseiller scientifique au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage : Madame la ministre, je veux témoigner de la difficulté à promouvoir des secteurs émergents de la recherche. Je suis actuellement le conseiller scientifique du conseil de prévention et de lutte contre le dopage. Vous le savez, il s'agit d'une autorité administrative indépendante, créée à l'unanimité de la représentation parlementaire. Cet organisme, complètement indépendant de tout pouvoir politique, est constitué de neuf membres, comprenant des représentants de chacune des grandes académies. Il est présidé par un conseiller d'Etat.

Cet organisme a une mission de recherche, à la fois dans le domaine de la prévention et dans celui de la détection. Prévenir, d'abord, c'est essentiellement avoir une meilleure connaissance des processus biologiques et physiopathologiques qui vont accompagner la pratique de l'activité physique intensive. Ce modèle est exceptionnel, car il permet d'analyser les processus adaptatifs mis en jeu par l'organisme sain, en réponse à ce type d'agression programmée. Sur le plan fondamental, il conduit à une analyse des voies de signalisation qui régulent l'expression génétique qui sous-tend cette adaptation. Sur le plan appliqué, il augmente la lisibilité scientifique qui correspond à la politique de lutte contre la sédentarité, à l'heure actuelle un véritable enjeu de santé publique. Quant à la détection, il s'agit de la mise en chantier de stratégies très originales qui doivent dépasser de loin le simple cas de la chasse pharmaco-toxicologique.

Or, actuellement, on ne peut que déplorer l'absence totale de niches pour développer ce type de démarches émergentes. Et j'en viens à regretter un organisme auquel j'avais appartenu voilà bien longtemps, la DGRST, qui encourageait justement ce type d'action, de manière à faire émerger des secteurs scientifiques qui jusqu'alors étaient négligés.

M. Pierre Lombart, directeur d'unité INSERM : Le président Beaulieu et M. Chayvialle ont évoqué avec force et conviction le désarroi des acteurs de la recherche, dont je fais moi-même partie comme directeur d'unité de recherche en sciences humaines à Lyon. Ne le caricaturons pas, ne le sous-estimons pas ! Je ne me sens ni révolutionnaire, comme beaucoup de mes collègues, ni corporatiste, et certainement pas opposé à une nécessaire réflexion sur les évolutions inévitables de nos structures et de nos statuts. Je souhaite simplement, madame la ministre, que cette table ronde ne se termine pas sans que nous connaissions le message que vous souhaitez nous faire passer, et ce à quelques jours de la date du 9 mars où plusieurs d'entre nous seront amenés à demander une décharge de fonctions administratives, puisque c'est malheureusement la seule possibilité de nous faire entendre.

M. Patrick Charnay, directeur d'unité INSERM : Je suis directeur d'une unité de recherche INSERM et souhaite donner l'opinion d'un chercheur de base, signataire de la pétition. Je partage les conclusions émises par MM. Changeux, Beaulieu et Beffa. Il ne s'agit pas d'un mouvement corporatiste. Cette crise sans précédent trouve son origine dans le fait que la recherche, particulièrement la recherche fondamentale, n'est plus une priorité nationale. Les difficultés conjoncturelles des deux dernières années ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

Cela posé, l'absence de lisibilité de certaines perspectives me paraît un point essentiel. C'est particulièrement clair en matière de CDD. Mettre en place des postes de CDD sans disposer d'une programmation à long terme du recrutement des chercheurs me paraît très inquiétant. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe des CDD, mais sa mise en œuvre, qui s'est révélée très inquiétante, d'insister sur la nécessité de disposer d'une programmation pluriannuelle de l'effort de recherche et de disposer d'un lissage des recrutements sur le temps. En la matière, les coups d'accordéon sont très déstabilisants. D'excellents doctorants de mon laboratoire, se demandent d'ailleurs s'ils poursuivront leur recherche en France.

Je veux également souligner l'accord qui existe dans la communauté scientifique pour réformer en profondeur le système. Nous sommes face à une opportunité remarquable de le faire. Pour cela, il sera indispensable de rétablir la confiance, de manière à effectuer la réforme de manière conjointe, dans le dialogue, avec les acteurs de la recherche.

Quant à la recherche fondamentale et la recherche privée, il s'agit de deux domaines qui se fertilisent de manière mutuelle. La preuve ? Dans le domaine de l'industrie pharmaceutique, par exemple, un grand nombre d'entreprises européennes sont en train de délocaliser leur effort de recherche vers les Etats-Unis. Pourquoi ? Parce qu'il existe dans ce pays des centres de recherche fondamentale de très haut niveau, qui leur fournissent des informations et un vivier de jeunes chercheurs très importants. On ne saurait donc décider de développer la recherche en misant uniquement sur la recherche privée. Celle-ci ne peut être dissociée de la recherche fondamentale, cette dernière devant être renforcée de façon considérable pour renforcer la recherche privée.

Enfin, avoir la possibilité d'avoir des recrutements dans la recherche privée est un élément essentiel pour le développement de la recherche fondamentale. Il faut un vivier de jeunes doctorants vers le privé.

M. Sylvain Collonge, président de la Confédération des jeunes chercheurs : La question de la souplesse et de la flexibilité a été abordée. Il s'agit là d'un discours sur une réalité en grande partie fantasmée, comme si tous les chercheurs étaient fonctionnaires et crispés sur leur statut de fonctionnaires. Un seul chiffre qui figure sur le site web du ministère de la recherche : on compte déjà 27 % de CDD dans l'emploi scientifique, qu'il s'agisse de chercheurs ou d'ingénieurs, à comparer avec les 10 % d'intérims qu'on trouve dans les autres secteurs de la recherche. La souplesse existe déjà, sans compter que ces données ne prennent pas en compte la situation bancale de jeunes chercheurs, que les statistiques ignorent. Ajouter encore des CDD n'améliorera certainement pas la situation. Les jeunes chercheurs ? Ils veulent des emplois stables - pas forcément de fonctionnaires -, avec des perspectives d'évolution et des moyens pour faire de la recherche. A trente ans, après déjà cinq, six, voire sept ans d'emploi précaire, un CDD à 2 000 euros, sans perspective d'évolution ou d'embauche stable, ce n'est pas attractif du tout !

Sur ce sujet, la confédération des jeunes chercheurs vous a remis un rapport accablant, madame la ministre, sur les conditions de travail illégales dans lesquelles se retrouvent de milliers de jeunes chercheurs, situation qui perdure au demeurant depuis de nombreuses années. Notre rapport contient un grand nombre de propositions. Vous avez annoncé le lancement d'un travail interministériel. J'espère que, contrairement aux mesurettes que vous annoncez pour les doctorants, les décisions issues de ce groupe de travail seront à la mesure de la gravité de la situation !

M. Gabriel Baverel, directeur d'unité INSERM : Comme directeur d'unité Inserm à Lyon et observateur de terrain, la notion de campus me paraît essentielle, car elle permet une coordination qui respecte la diversité de chacun, l'interdisciplinarité indispensable, étant entendu que la notion d'équipe doit être la base de l'activité de recherche. L'évaluation pose un problème. N'oublions pas, en effet, que l'évaluateur est l'évalué d'hier et peut-être celui de demain. Enfin, la cohérence dans les programmes d'équipement est essentielle. De gros équipements arrivent, alors que le personnel ne suit pas toujours et que le financement du fonctionnement n'est pas toujours assuré. Pour ma part, je ne dispose que de 20 % des crédits prévus sur 2002 et 2003. Comment être compétitif dans ces conditions, même lorsque nos projets sont d'envergure ?

M. Eric-Olivier Le Bigot, physicien: Je suis actuellement chargé de recherche aux CNRS, après avoir passé un peu plus de deux ans aux Etats-Unis. Je voudrais donc contribuer à la réflexion sur la fuite des cerveaux. J'ai personnellement choisi la France, alors que mon épouse est américaine. Pour simplifier, aux Etats-Unis, le travail est beaucoup plus attractif, mais la vie est bien meilleure en France.

Professionnellement, la vérité est criante : les crédits pour l'achat de matériel, pour les voyages et les conférences, l'embauche de post-doc, sont très faibles en France, comparés à ce qu'ils sont aux Etats-Unis. Il suffit de visiter les laboratoires : les graffitis de Jussieu n'ont rien à voir avec ce qu'on trouve aux Etats-Unis. On cite souvent 1 % du PNB pour la recherche. J'insiste qu'il faut les décortiquer, en fonction des affectations. En France, le budget de la recherche, c'est un quart de ces 1%, et d'autres branches y contribuent beaucoup : le nucléaire, le spatial et l'aéraunautique. Après avoir déduit les salaires, il reste beaucoup moins d'argent qu'aux Etats-Unis. C'est un véritable problème !

Autre point qui me fait regretter les Etats-Unis : le cloisonnement des laboratoires. L'université de Jussieu dans laquelle je travaille est extrêmement cloisonnée par rapport à l'institut dans lequel je travaillais aux Etats-Unis. C'est très dommageable, dans la mesure où on n'a pas l'impression de participer à la même aventure entre laboratoires. D'un point de vue très concret, le partage des ressources, notamment informatiques n'est pas effectué, et empêche des communications fructueuses entre laboratoires.

Ceci posé, la France a beaucoup d'attraits, et notamment son système éducatif et la qualité relative des prestations sociales, qui compensent la faiblesse des salaires. Il existe cependant quelques raisons professionnelles pour revenir, et notamment le CDI qui a un attrait pour la qualité de vie privée, et pour la liberté scientifique qu'il donne. Je suis désolé des postes de CDD créés, surtout lorsqu'on sait que les concours sont déjà très sélectifs. Et je ne suis pas sûr que les CDD permettent d'aider les chercheurs à se motiver. Je suis enfin revenu en France pour la grande qualité de ses chercheurs.

M. Philippe Régnier, directeur d'unité INSERM : Je représente un laboratoire et une discipline qui peuvent passer pour ancienne, puisque je m'occupe de littérature française et plus particulièrement de saint-simonisme. M. Beffa rendait tout à l'heure hommage au président Pompidou, normalien et agrégé en lettres classiques, qui avait bien compris le monde de l'industrie, preuve que la littérature peut parfois être utile.

Ceci posé, je voudrais rendre hommage au caractère national du CNRS qui, dans cette affaire, est capable de surmonter les clivages disciplinaires, les routines d'enseignement, pour donner les moyens de travailler sur des objets neufs. Nous sommes dispersés sur tout le territoire national, et si des collègues arrivent à se regrouper sur une région, comme nous avons su le faire en Rhône-Alpes, et à fédérer des efforts sur un objet, ils sont capables d'équilibrer les recherches parisiennes dans le même domaine. Pour faire beaucoup de bibliographie, je peux témoigner que nous nous rivalisons avec les grandes universités américaines. Mais force est de reconnaître que, pour l'heure, nous n'avons rien à proposer à nos jeunes collègues, issus des écoles normales supérieures. En termes de moyens, nous sommes comme les mathématiciens : nous n'avons pas besoin de grand-chose. Par contre, en termes de postes, la situation est dramatique, surtout lorsqu'on sait que le CNRS n'a qu'un poste et demi à espérer pour la philosophie, un seul poste de maître de conférence pour ma propre discipline. Que voulez-vous qu'on fasse dans de telles conditions ? Comment nous projeter vers un avenir ?

En revanche, il y a eu des évolutions très positives ces dernières années. La recherche s'est organisée, des maisons des sciences de l'homme se sont mises en place. Et tout d'un coup, nous sommes faces à un trou noir. Nous ne pouvons plus rien dire à ceux qui attendent à la porte des laboratoires. Dans notre discipline, nous avons réussi à créer un laboratoire de littérature française du XXème siècle, adossé à une bibliothèque qui engrange les manuscrits littéraires modernes. Tous les pays étrangers nous envient ! Nous pouvons concrétiser nos ambitions, à condition de faire preuve de volontarisme.

M. Laurent Gouzenes, société ST Microélectronics : L'attractivité de la France est très bonne dans le secteur de la recherche et du développement, comme le prouve les 2 000 personnes embauchées depuis dix ans dans mon secteur. L'excellence des chercheurs français est réelle, et avec le temps, nous avons réussi à créer des réseaux de recherche extrêmement efficaces. Nous avons ainsi une soixantaine de laboratoires qui marchent très bien. Cela dit, ils manquent de moyens. Or, la collaboration entre l'industrie et la recherche trouve toute sa dimension lorsqu'on sait que l'industrie est capable de fournir des moyens lourds et puissants à la recherche et de passer à l'industrialisation des résultats de recherche de façon très rapide.

Il ne suffit pas de dépenser de l'argent. Encore faut-il bien le dépenser. Il me paraît donc indispensable de travailler au rapprochement entre l'industrie et la recherche. Un des premiers moyens, qui ne coûtent presque rien, est de systématiser les échanges entre ces deux secteurs par la présence d'industriels dans les conseils scientifiques des laboratoires. Ceux-ci devraient réunir des chercheurs et des industriels français, mais aussi européens, de manière à mieux communiquer et que chacun puisse se comprendre.

Contrairement à M. Beffa, je pense que le crédit impôt recherche est un bon outil qui compense à peine la taxe professionnelle acquittée via la valeur ajoutée sur la recherche et développement. Pour ma part, je suis pour la création d'un crédit impôt partenariat qui consisterait à déduire de la taxe que les entreprises payent, 50 % du montant des contrats qu'elles passent avec les laboratoires. Cela permettrait d'accrocher de façon très forte les deux secteurs, par un intérêt fiscal bien compris.

Plusieurs orateurs ont parlé de grands programmes. En la matière, force est de constater que la recherche n'a plus de visibilité par rapport au grand public. Pourquoi le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) n'imposerait-il d'ailleurs pas aux chaînes d'organiser une heure d'émission scientifique à des heures de grande écoute ? Plus largement, en matière politique, il existe encore de grandes causes nationales, qu'il s'agisse de l'énergie, de la santé, ou de l'accès à l'information. Les défis sont immenses en la matière, qui permettraient de mobiliser conjointement l'industrie des réseaux de PME, les grandes entreprises, les laboratoires.

Au total, je souhaiterai qu'une réflexion soit menée sur ces grandes causes, de manière à développer la recherche en France.

Mme Grazuela Schneier, directrice de recherche au CNRS: Je suis de nationalité argentine, formée aux Etats-Unis, actuellement directeur de recherche au CNRS et à l'origine d'un groupement de recherche. Au lieu de parler du mot expatriation, pourquoi ne pas mettre en avant la notion « d'impatriation », tant la recherche française a une tradition d'accueil ? Le problème se pose de manière particulière pour les sciences humaines et sociales, dans la mesure où il existe une sorte de génie français, une tradition culturelle extrêmement forte en la matière, qu'on ne saurait comparer à l'empirisme anglo-saxon. Ne l'oublions pas !

M. Christian Trepo, directeur d'unité INSERM : Je veux témoigner de la crise sans précédent que connaît la recherche, preuve qu'elle a été sacrifiée par les arbitrages ministériels, les sciences de la vie plus que d'autres. Il s'agit désormais d'une crise de confiance et de procès d'intention, à telle enseigne que les dernières mesures que vous avez annoncées, madame la ministre, sont dévoyées. Tout est devenu objet de défiance. Il est donc impératif de renouer le dialogue, et nombreux sont les chercheurs qui sont convaincus de la nécessité de réformer.

Cela dit, il existe une opportunité de rebondir, et nombreux sont les personnes de bonne volonté. Pour ma part, je lance un appel à la souplesse. Je n'en rajouterai pas une couche sur les nombreux blocages. Si l'on ne profite pas de la crise actuelle pour mettre de la souplesse dans le système, il n'y a pas de compétition possible. Je suis mille fois pour l'Europe, à condition de ne pas oublier la bureaucratie bruxelloise. L'expérience de contrats européens amène à être critique en la matière. La prudence s'impose donc !

M. Claude Birraux, député, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : Ce débat a été très intéressant. Cela dit, je ne suis pas totalement au clair sur les problèmes. J'entends bien le désarroi des uns et des autres, mais je n'ai pas compris comment ils entendaient faire évoluer le système. Il ne s'agit pas, d'après moi, d'opposer la physique à la biologie, mais force est de constater que notre débat est symptomatique de notre incapacité à mettre les choses à plat.

Bien des attentes sont contradictoires. On aspire au changement, tout en voulant perpétuer un système dont on se rend compte qu'il ne fonctionne pas bien. Le système de l'accordéon ? Voilà vingt ans que j'en entends parler. J'ai même connu une époque où les organismes de recherche étaient obligés de s'adresser aux banques pour boucler leur budget ! Par ailleurs, la recherche fondamentale doit-elle être obligatoirement financée par des fonds publics ? Le débat n'a pas été engagé. Qu'elle est la situation de nos voisins européens ? Quels sont les statuts des chercheurs étrangers ? On se plaint des lourdeurs administratives, mais en même temps, on s'accroche comme à une bouée de sauvetage au statut de fonctionnaire et à une vision administrative de la recherche. Comment évaluer ? Dans les collectivités locales, une note inférieure à 19,5 ou 19,4 est une sanction. Est-ce vraiment ce que l'on cherche et ce que l'on veut ? J'ai donc bien des interrogations. La loi organique sur les lois de finances pourra peut-être changer la donne. Aux Etats-Unis, je le rappelle, chaque directeur de grands organismes comme de grandes administrations défendent leur budget devant les commissions du Parlement, non devant un cabinet ministériel.

Enfin, n'opposons pas les PME aux grandes entreprises. Les PME ont également besoin d'innovation. Le crédit d'impôts n'est peut-être pas un outil adapté. Reste qu'elles ont besoin de recherche collective, de manière à répondre aux exigences des grandes entreprises.

M. Jean-Louis Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain : Je n'ai pas voulu opposer les PME et les grandes entreprises, mais simplement rappeler que certains défis ne pouvaient être révélés que par les grandes entreprises. Or, le contexte de pénurie impose une resectorialisation des actions.

M. Jean-Pierre Changeux, professeur au Collège de France et à l'Institut Pasteur : Je suis un peu déçu par la prise de position du président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui ne nous a pas dit sur quelle base les choix majeurs allaient se faire. Il ne s'agit pas d'opposer la physique à la biologie, mais simplement d'avoir une politique à la hauteur des exigences internationales. Et je n'ai toujours pas compris comment les choix seraient opérés par le Parlement, alors qu'il me paraît indispensable qu'ils soient débattus devant le Parlement.

Un orateur a mentionné la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST). Lorsque j'étais jeune chercheur, j'y ai trouvé un intérêt considérable, et c'est grâce à elle que j'ai pu créer mon groupe de recherche.

M. Olivier Postel Vinay, journaliste : Jean-Pierre Changeux a évoqué la fondation Welcome. Cela dit, comme toujours, dans les débats sur la recherche, je suis frappé par le peu de références sur les expériences positives menées à l'étranger, pas seulement aux Etats-Unis, mais dans de petits pays européens. Pour une réflexion de fond, tendant à une remise à plat du système français, nous aurions intérêt, comme l'ont fait les Suisses à la fin de la seconde guerre mondiale, à organiser des missions de personnes compétentes et de bonne volonté qui pourraient aller regarder ce que les Anglais appellent les best practice.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies : Oui, le gouvernement considère que la recherche est une priorité nationale. Oui, le gouvernement est profondément convaincu que cette priorité doit être soutenue sur le long terme. Oui, le gouvernement est décidé à y consacrer les moyens nécessaires. Voilà trois affirmations fortes que je voulais faire devant vous. Car le débat d'aujourd'hui a bien mis en évidence la volonté d'évoluer, le malaise aussi devant le système actuel. Nous devons donc, en confiance, nous employer à élaborer des propositions, à partir d'un débat structuré, de manière à parvenir de façon concrète et pragmatique à des résultats.

Quelles évolutions proposées à notre système ? Bien entendu, il n'existe pas de modèle idéal qu'il suffirait de transposer. Pour autant, nous aurions intérêt à réfléchir à quelques éléments unanimement appréciés et mis en avant. Je pense en particulier à l'effort considérable à faire dans le domaine des sciences du vivant. Il ne s'agit pas d'un élément de structure, mais d'un élément qui doit être bien pris en considération. J'ai bien entendu le message !

J'ai relu de façon très précise la loi de 1982 initiée par M. Chevènement. Beaucoup de bonnes mesures avaient été prévues, mais n'ont pas été mises en application. Au-delà de la réflexion, il faut être vigilant à chaque instant. Cela dit, l'unanimité existe pour faire un effort considérable sur certains enjeux. Des choix très forts ont été faits voilà quelques années, en matière de nucléaire, d'aéronautique, de recherche spatiale. Nous n'avons pas à revenir sur ces ambitions et cette excellence encore tout récemment démontrée. Par contre, nous n'avons pas su prendre certains virages. Certaines sciences ont changé et exigent d'y consacrer davantage de moyens.

L'unanimité existe aussi s'agissant de la notion américaine de national science fondation, ou des fonds publics de financement d'autres pays sur des grands projets, avec des évaluations internationales, une liberté et une rapidité de mise en oeuvre des projets, ces derniers intégrant les infrastructures et le potentiel humain. Des réflexions existent dans le domaine des sciences biomédicales. Il n'est pas question de casser des structures existantes. Ce n'est pas le propos. Par contre, il faut se donner les moyens de disposer de leviers extérieurs pour faire évoluer les structures dans les meilleures conditions de coordination et de fonctionnement. On parle de décloisonnement. Pourquoi ne pas s'inspirer de certaines mesures de gestion propre à l'entreprise pour faciliter la gestion de nos laboratoires. Je sais la lourdeur des contrôles a priori de chacune des actions à mener pour les directeurs d'équipe. Pourquoi ne pas envisager des modes de gestion beaucoup plus souple ?

Il s'agit donc de remettre à plat sans tout casser, en se posant les vraies questions. Nous en sommes tous convaincus. Les jeunes chercheurs que j'ai reçus à plusieurs reprises m'ont longuement interpellé au sujet des carrières. En la matière, on ne saurait reprocher au gouvernement de ne pas être sensible aux préoccupations des jeunes et d'avoir un regard tout particulier sur le sujet. Les nombreuses actions qu'il a entreprises en témoignent, comme la détermination à aller plus loin qu'il a clairement affichée. Nous sommes d'ailleurs en train de leur proposer une date pour la semaine prochaine pour réfléchir aux perspectives d'évolution des statuts, et à la reconnaissance du jeune chercheur en cours de formation. Et je ne reprendrai pas les mesures que j'ai annoncées tout récemment, tout particulièrement destinées aux jeunes, tant en termes d'allocation de recherche, de postes supplémentaires ou de revalorisation de l'attractivité des formes proposées à l'emploi.

Rien n'a été dit aujourd'hui sur la prospective. Il ne faut pas l'oublier, car lorsqu'on est amené à faire des choix, et vous l'avez tous très bien dit, il faut donner à tous la chance d'accéder à l'excellence. Pour ma part, je n'ai jamais remis en cause l'excellence de la recherche française. Encore faut-il donner à tous la capacité d'y accéder. Cela nécessite non seulement l'évaluation, des choix, en termes de grands équipements, de secteurs, de modes opératoires. Mais ces choix doivent aussi reposer sur des exercices de prospective. J'observe qu'ils sont bien faits dans de nombreux pays qui nous entourent, mais pas suffisamment en France. C'est un élément sur lequel on doit travailler, pour savoir anticiper et permettre l'éclosion de secteurs émergents. Cela est fait au sein des organismes, encore faut-il le faire à tous les niveaux d'interaction.

Cela posé, il faut rétablir le dialogue. J'espère que nous y parvenons. C'est notre volonté, et une réunion comme celle d'aujourd'hui est une façon d'y parvenir. Il faut ensuite élaborer ensemble des propositions, avec la volonté politique de rédiger une loi d'orientation et de programmation. Je me suis battue pour obtenir cet engagement de programmation et de pluriannualité, aussi bien en termes de recrutement que de moyens financiers. C'est essentiel dans notre réflexion. Enfin, il faudra mettre en œuvre les propositions. Sur ce point, la représentation nationale aura un rôle important à jouer. Quant à l'Etat, il a trois missions fortes : définir la stratégie, avec concertation des acteurs, en sachant garder cohérence et coordination, en sachant déléguer, aussi. L'Etat doit être un partenaire, un partenaire des organismes, des universités, des régions, de l'Europe et des agences internationales, étant entendu que la recherche ne saurait être un élément d'aménagement du territoire. L'Etat, ne l'oublions pas, est enfin un acteur. C'est lui qui propose les moyens, les allocations budgétaires, et qui doit être le garant de l'équilibre entre d'une part la recherche fondamentale, l'application de la recherche, l'innovation, le transfert, entre ce qui relève du financement public et privé, et d'autre part entre les activités militaires et les activités civiles. Ce dernier point n'a pas été évoqué, mais je sais que beaucoup y réfléchisse au sein de la représentation nationale. Une recherche équilibrée également entre nos pôles d'excellence nationaux à intégrer dans une recherche européenne et internationale. En la matière, l'Etat joue un rôle important, étant entendu que donner à tous les moyens d'accéder à l'excellence et à se réaliser implique un minimum d'élitisme.

Les chercheurs comme les enseignants-chercheurs savent que la compétition internationale exige de tendre vers une telle ambition. Je suis sûre qu'elle est partagée par chacun. Donnons-nous en les moyens, et n'ayons pas seulement l'ambition de nos moyens. Travaillons donc ensemble, et merci d'en avoir proposé aujourd'hui les germes, dans la transparence.

M. le président Jean-Michel Dubernard Madame la ministre, mesdames et messieurs, je vous remercie.


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