COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 mai 2004
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'application des conventions prévoyant l'organisation de cours d'enseignement de la langue et de la culture d'origine et les mesures susceptibles d'améliorer cet enseignement - n° 1414 (M. Jacques Domergue, rapporteur)

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jacques Domergue, la proposition de résolution de M. Thierry Mariani tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'application des conventions prévoyant l'organisation de cours d'enseignement des langues et des cultures d'origine et les mesures susceptibles d'améliorer cet enseignement - n° 1414.

M. Jacques Domergue a tout d'abord rappelé que M. Thierry Mariani a déposé, sous les deux précédentes législatures, deux propositions de résolution identiques. La première a été rejetée le 26 février 1997 par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur le rapport de M. Jean-Paul Fuchs. La seconde a abouti à la même décision, le 10 février 1999, sur le rapport de M. Yves Durand.

La recevabilité de cette proposition n'est pas contestable. En effet la première condition posée par les textes est que soient déterminés avec précision, dans la proposition de résolution, soit les faits pouvant donner lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion. En l'espèce, la proposition de résolution visant à étudier un enseignement particulier dispensé dans le cadre du service public de l'éducation, on peut considérer que cette condition est remplie.

La seconde exigence concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre du 24 février 2004, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, qu'aucune procédure n'est en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.

Il reste à déterminer s'il convient, en opportunité, de créer ou non une commission d'enquête.

Les enseignements de langues et cultures d'origine (ELCO) sont dispensés en France, surtout dans le premier degré, par des enseignants détachés par leur pays d'origine (Maroc, Tunisie, Algérie, Portugal ou Turquie). Ils visent à permettre aux enfants d'origine étrangère d'apprendre leur langue et leur culture maternelle. Ces cours prennent place dans le cadre d'échanges interculturels et de conventions bilatérales avec les pays concernés.

Les enfants dont les familles le souhaitent bénéficient ainsi de trois heures de cours par semaine. Dans la majorité des cas, ces cours sont organisés de manière différée, c'est-à-dire hors du temps scolaire. Les enseignants, rémunérés par leur pays d'origine, sont détachés en France pour une durée de trois à six ans. Ce système fonctionne « à double sens », à savoir que des enseignants français sont de même détachés dans des pays étrangers.

Les effectifs des ELCO sont en diminution régulière et importante. Selon les chiffres communiqués par le ministère, le total général des effectifs, premier et second degrés confondus, est passé de 87 561 élèves suivant un ELCO en 1997 à 69 356 en 2003. Les enfants issus de l'immigration marocaine sont les plus nombreux à suivre ces cours.

Le dispositif s'est amélioré, même s'il faut encore le faire évoluer. Deux groupes d'experts, l'un franco-marocain et l'autre franco-algérien ont procédé à une rénovation des contenus et des méthodes d'enseignement, ces travaux ayant débouché sur la publication, au début de l'année 2000, de guides pédagogiques à l'intention des enseignants.

Selon les informations communiquées par la direction de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale, les rapports d'inspection établis au cours des cinq dernières années scolaires relatifs à l'enseignement des langues et cultures d'origine constatent l'amélioration des méthodes d'enseignement, et aucune dérive de nature à porter atteinte au respect du principe de la laïcité à l'école n'est signalée. Ces contrôles prennent soit la forme de visites de classes sans la présence d'un inspecteur étranger, soit la forme d'inspections conjointes.

Les inspecteurs de l'éducation nationale ont observé que les enseignants étrangers ont le plus souvent un bon contact avec les élèves et les apprentissages semblent réels. La bonne volonté et l'engagement professionnel paraissent manifestes. Les enseignants ELCO sont en général reconnus et appréciés par les directeurs d'écoles et les équipes enseignantes. Les rapports soulignent, dans certains cas, le rôle de médiateur que ces enseignants jouent entre les parents, les élèves et les autorités de l'école, allant de pair avec un rôle social assumé dans des banlieues difficiles

Cet enseignement ne vise plus depuis longtemps à favoriser le retour dans le pays d'origine. Aujourd'hui sa finalité est de favoriser l'épanouissement des jeunes d'origine étrangère en valorisant la langue et la culture de la famille.

Pour autant, malgré la rénovation constatée dans les contenus et les méthodes des ELCO, tout n'est pas satisfaisant dans le déroulement de cet enseignement. Deux préoccupations subsistent en effet : la non-maîtrise de la langue française par certains enseignants, essentiellement turcs, et le maintien des enseignements intégrés en lieu et place d'autres cours.

Sur le premier point, des demandes régulières sont faites par les autorités françaises en direction des Etats concernés, afin qu'ils recrutent des enseignants ayant une connaissance suffisante du français pour leur permettre de s'intégrer aux équipes pédagogiques des écoles. Cette démarche de nature diplomatique doit être encouragée et amplifiée.

Sur le second point, il convient tout d'abord de signaler que, dans le second degré, l'ELCO est toujours dispensé en activité différée en dehors des heures de cours. Cette situation est dominante, mais pas exclusive, dans le premier degré, où une circulaire pourrait opportunément rappeler qu'il n'est pas souhaitable, au regard de leur intégration dans la classe, de soustraire les élèves suivant un ELCO à certains enseignements dispensés à tous les élèves.

Mais, en raison même de la perte d'attractivité constatée pour les ELCO, une évolution plus générale est souhaitable et fait dès à présent l'objet d'expérimentations.

Le plan de développement des langues vivantes étrangères à l'école primaire offre une occasion sans précédent de faire évoluer les ELCO. L'enseignement de l'arabe, du portugais, de l'italien ou du turc, comme langue vivante 1 dans le cadre de la généralisation de l'enseignement des langues étrangères à toutes les classes du primaire et en dernière année de maternelle peut apparaître très souhaitable, à la fois pour répondre à un réel besoin de diversification linguistique face à la suprématie de l'anglais et pour accorder à ces langues un statut valorisant.

Une commission d'enquête ne serait pas le bon moyen de favoriser ces évolutions, dans la mesure où elle constitue un instrument lourd, même s'il est vrai que, dans certains cas, des problèmes réels se posent et portent atteinte au bon fonctionnement des établissements.

La désignation d'un parlementaire en mission semble, en revanche, une bonne réponse. M. Robert Pandraud a été ainsi chargé, par décret du 24 mai, d'une mission temporaire auprès du ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, aux fins d'améliorer les connaissances relatives à l'immigration et à l'intégration. Dans la lettre de mission que le Premier ministre a adressée à M. Robert Pandraud, il est précisé que le dispositif ELCO devra être inscrit dans la mission « afin que les élèves puissent bénéficier de la reconnaissance de leur parcours linguistique de l'école au lycée. Une évaluation du dispositif ELCO sera réalisée dans la perspective de son évolution vers un enseignement de langue vivante étrangère » M. Robert Pandraud devra remettre son rapport au plus tard le 15 octobre 2004.

On ne peut que se féliciter de cette décision, qui répond, de manière adaptée, à une préoccupation légitime de M. Thierry Mariani.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Thierry Mariani a remercié le rapporteur de cet exposé très complet, en rappelant effectivement que sa proposition de résolution est la troisième de ce type. Peut-être la création d'une commission d'enquête apparaît-elle comme un instrument disproportionné, mais encore convient-il de rappeler qu'une loi a bien été récemment adoptée sur la question de l'interdiction du port du foulard dans les établissements scolaires, qui n'impliquait directement que 50 à 80 personnes. Or en l'espèce, 50 000 élèves sont concernés.

La mise en œuvre de tels cours résulte d'une simple lettre du ministère de l'éducation nationale, adressée au maire pour lui faire savoir, par exemple, que le consulat du Maroc a demandé à un enseignant de dispenser un cours à un horaire donné dans un établissement. Ainsi s'organise un enseignement, en dehors de tout contrôle pédagogique.

La différence est certes grande selon que ces cours sont différés après les horaires habituels, ou sont intégrés, en venant se substituer à d'autres cours, alors même que ces élèves d'origine étrangère, parfois déjà en difficulté, bénéficieraient plus utilement de l'enseignement commun. Certes, le nombre d'élèves concerné est en diminution. Il n'en demeure pas moins vrai - 28 % des ELCO étant intégrés - qu'environ 5 000 élèves d'origine marocaine sont soustraits trois heures par semaine aux enseignements suivis par les autres élèves, ce qui peut constituer pour eux un handicap scolaire. Comment dès lors s'étonner d'une mauvaise intégration scolaire et de l'existence de retards dans la scolarité ?

Le rapporteur a précisé qu'il dispose d'une liste des inspections effectuées dans les établissements : c'est ainsi, par exemple, que depuis 1998 trois inspections ont eu lieu en Corse du Sud et deux à Toulouse. Certes, ce nombre est encore insuffisant. Mais il n'est pas possible d'affirmer que ces évaluations sont inexistantes.

M. Thierry Mariani a objecté que les contrôles, mis en œuvre récemment, n'ont pas eu lieu dans le Vaucluse depuis une dizaine d'années, alors même que 7 000 à 8 000 élèves sont concernés. Or il n'est pas acceptable que des enseignants employés par des Etats étrangers dispensent des cours à des élèves en dehors de tout contrôle. La mission confiée à M. Robert Pandraud constitue donc une bonne nouvelle, même si on ne peut en conclure que le problème est réglé. Le 26 février 1997, M. Jean-Paul Fuchs avait jugé opportun que la commission se saisisse de cette question, mais aucune mission d'information n'avait alors été créée. Le 10 février 1999, M. Yves Durand avait relevé que l'application d'accords internationaux pouvait être considérée comme suffisante pour régler ces questions ; or les années qui ont suivi ont démontré le contraire.

Il reste donc à espérer qu'une quatrième proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête ne sera pas nécessaire. Il est inacceptable que certaines matières soient enseignées hors de tout contrôle. Ces enseignements ne peuvent subsister dans ces conditions, sauf à engendrer des dérives, tel, par exemple, l'enseignement portant sur les religions. Il conviendra donc de faire, à l'issue de la publication du rapport établi par M. Robert Pandraud, un bilan de la situation.

Mme Chantal Bourragué a indiqué qu'elle a reçu des plaintes de parents d'enfants d'origine maghrébine, qui auraient subi des pressions de la part d'enseignants pour que leurs enfants suivent des cours portant sur leur culture d'origine.

Le rapporteur a rappelé que ces cours sont facultatifs et ont lieu uniquement à la demande des familles.

Après avoir rappelé qu'il a cosigné la proposition de résolution, M. Georges Colombier a indiqué qu'il se rallie à la proposition du rapporteur.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié M. Thierry Mariani d'avoir participé à la réunion de la commission. Il a ensuite rappelé les termes de la lettre de mission du Premier ministre adressée à M. Robert Pandraud, qui prévoit l'évaluation du dispositif d'enseignement des langues et des cultures d'origine et son évolution vers l'enseignement précoce des langues vivantes étrangères.

Il serait souhaitable que les commissaires entendent M. Pandraud après la remise de son rapport.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 1414.

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