COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 novembre 2004
(Séance de 16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

puis de M. Georges Colombier, secrétaire

SOMMAIRE

 

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- Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, M. Christian Jacob, ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville, et M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale

- Examen du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, (discussion générale) (Mme Françoise de Panafieu et M. Dominique Dord, rapporteurs)







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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, M. Christian Jacob, ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville, et M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

Le président Jean-Michel Dubernard a accueilli les ministres en pronostiquant que le plan de cohésion sociale présenté aujourd'hui constituera certainement, en matière de politique sociale, l'un des temps les plus forts de la législature.

Le projet de loi de programmation examiné aujourd'hui traduit les engagements de ce plan. Il comporte des mesures législatives dans de très nombreux domaines : l'organisation des services de l'emploi, l'accompagnement des jeunes sans qualification, la relance de l'apprentissage, la simplification des contrats aidés dans le cadre de la politique de l'emploi, l'accompagnement des restructurations, le logement, le surendettement, la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes au travail et l'accueil des étrangers.

Ce plan a aussi le mérite d'engager financièrement l'Etat pour cinq ans : il prévoit, par exemple, la mise en place de 300 maisons de l'emploi, l'entrée d'un million de titulaires des minima sociaux en contrats d'avenir ou encore la construction de 500 000 nouveaux logements sociaux.

Face à la variété des thèmes concernés par la cohésion sociale, il va falloir dégager aujourd'hui les principales lignes de force de ce projet et mettre en lumière les grands débats qu'il justifie.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, a tout d'abord précisé que le projet de loi adopté par le Sénat n'est qu'un des éléments du plan de cohésion sociale conçu par les six ministres concernés. Ce plan conjugue ambition, en raison de la nature du sujet traité, et humilité dans le contenu des sujets traités.

Par exemple, il ne prévoit pas une grande réforme fiscale mais se contente d'apporter une aide financière aux villes en difficulté. Il ne réforme pas l'institution scolaire mais apporte une aide aux enfants en difficulté dès la maternelle. Le diagnostic social de la France révèle l'attribution d'un pourcentage élevé du PIB en faveur des actions de protection sociale mais, en regard, des taux de performance très faibles. Le RMI par exemple avait été conçu pour 300 000 bénéficiaires, il concerne aujourd'hui entre 1,1 et 1,2 million de personnes et le taux de sortie en est très faible.

Le plan de cohésion sociale tire les conséquences d'un système à bout de souffle. En matière de logement conventionné, la production a été réduite de moitié et dans le même temps le nombre de logements insalubres a été multiplié par trois. Le taux de logements vacants est en forte hausse dans les quartiers déshérités et les écarts de niveau de vie se creusent. Le programme aura une durée de vie de cinq ans. Il est adossé au plan de rénovation urbaine mis en œuvre il y a dix-huit mois et qui vise à casser les ghettos et à améliorer la qualité de vie dans les cités. Sur le même modèle, le plan de cohésion sociale comprend une vingtaine de programmes contenus dans le projet de loi.

Le domaine de la cohésion sociale est si complexe que les arbitrages lui ont toujours été défavorables au cours des dernières années : c'est pourquoi il faut désormais une action forte, lisible, durable, ce à quoi répond une loi de programmation. Il s'agit à la fois de réparer les blessures sociales et de préparer l'avenir en s'appuyant sur une ressource principale qui est la ressource humaine, à savoir les 4 millions de personnes en difficulté. La France a le taux d'activité le plus faible d'Europe, particulièrement chez les jeunes et les plus de 50 ans. Elle va devoir affronter le choc démographique des années 2007 à 2012 qui va se traduire par une surchauffe de l'emploi et un déficit de main-d'œuvre.

Le plan comporte plusieurs axes. Tout d'abord celui de l'emploi, pour lequel beaucoup de structures existent ; mais celles-ci manquent de transparence dans le domaine de la prévision des besoins et de l'accompagnement. Il faut réactiver et optimiser le fonctionnement et le rôle des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), des missions locales, des collectivités locales et des partenaires sociaux. La France a le plus faible taux de personnel pour accompagner les demandeurs d'emploi et c'est la raison de la création des maisons de l'emploi qui seront, selon des formules adaptées, à la disposition des élus locaux. Il faut également simplifier les contrats aidés et les rendre adaptables quant à la durée et aux taux de financement. Un nouveau dispositif géré au plus près des besoins et mêlant emploi et formation est constitué par les contrats d'avenir. Ils sont prévus pour une durée de deux plus une année avec l'objectif d'une sortie beaucoup plus rapide à chaque fois que c'est possible. Le taux de sortie visé devrait atteindre 67 %. Ils s'adressent aux bénéficiaires des minima sociaux.

Le second axe vise le problème des jeunes car les jeunes de seize à vingt-quatre ans connaissent un taux de chômage de 60 %, ce qui est intolérable. Trois dispositifs sont proposés :

- La relance de l'apprentissage est engagée, avec une formule permettant de concilier l'intérêt de l'enseignement des lycées technologiques et professionnels et celui des centres de formation d'apprentis, sous le contrôle d'un tuteur présent à toutes les étapes et jusqu'à la fin du contrat ; la reprise d'un certain nombre de mesures du Livre blanc de 2003 consacré à l'apprentissage confèrent en outre aux apprentis un véritable statut.

- L'accès par l'alternance aux trois fonctions publiques pour les jeunes très éloignés de l'emploi, pour lesquels un tiers des postes seront réservés, est encouragé.

- La prise en compte du problème du logement, qui connaît une crise aussi grave qu'en 1954 tant en ce qui concerne la quantité que la qualité, et de l'hébergement d'urgence. La production des logements locatifs sociaux s'élevait en 1999 à 38 430 logements alors que la France sait produire jusqu'à 80 000 logements locatifs sociaux par an. Il faut aussi réhabiliter le parc des logements privés vacants qui compte 2 millions de logements. L'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) a mis en route un programme de réhabilitation et de remise sur le marché de 40 000 logements par an. Il faut ensuite relancer l'accession sociale à la propriété et doubler ou même tripler la production de logements locatifs sociaux de 1999, pour atteindre un rythme de 120 000 logements conventionnés par an. Le déblocage de 210 millions d'euros par l'Union d'économie sociale pour le logement (UESL) dans le cadre de la convention passée avec l'Etat est une avancée significative.

La politique de rénovation urbaine mise en place il y a dix-huit mois fonctionne bien, avec des commandes de travaux pour un coût de 6,250 milliards d'euros en 2004 ; 70 % des conventions de rénovation urbaine seront signées avant fin 2004 et la réfection des quartiers pourrait finalement s'élever à 20 ou 30 milliards d'euros. Le présent projet de loi prévoit une augmentation du programme de rénovation urbaine qui va atteindre 40 milliards d'euros dont 4 milliards à la charge de l'Etat.

Il s'agit également de rétablir une véritable égalité des chances. Sans prétendre au grand soir de la fiscalité locale, il faut venir en aide aux 130 ou 140 villes orphelines. La dotation de solidarité urbaine (DSU) doit être multipliée par deux, soit une augmentation de 600 millions d'euros. Il faut en finir avec ces villes où résident un très grand nombre de jeunes et qui sont totalement déficitaires.

Ce projet de loi comprend en outre des mesures concernant l'enseignement qui ont pour objectif de corriger certains dysfonctionnements sociaux perturbant gravement la scolarité des enfants. Des crédits d'un montant de 500 000 euros seront dégagés pour permettre dans certaines zones comme celles éligibles à la DSU ou constituant des zones d'éducation prioritaire (ZEP) de mettre en place des cellules d'accompagnement pour épauler les parents ayant des difficultés à jouer leur rôle éducatif. Ces équipes devraient rassembler un représentant des parents d'élèves, un élu local, un élu du département et un représentant des caisses d'allocations familiales.

Concernant l'égalité des chances, il convient de saluer la signature de chartes pour favoriser la lutte contre les discriminations dans le milieu professionnel. Plusieurs entreprises se sont mobilisées pour faciliter l'intégration des jeunes issus de l'émigration et il convient de s'interroger pour savoir si le Parlement souhaite encadrer plus étroitement ce dispositif novateur.

Quant aux articles de ce projet de loi de programmation qui traitent des plans sociaux dans les entreprises, il convient de souligner qu'ils résument les points de consensus qui sont apparus entre les partenaires sociaux. Jusqu'ici les mesures d'accompagnement des plans sociaux étaient l'apanage des grandes entreprises alors que les autres salariés étaient souvent mis devant le fait accompli d'une fermeture de leur usine sans pouvoir bénéficier de congés de conversion. Les points d'accord entre partenaires sociaux sont aujourd'hui importants, ils concernent la nécessité de prévoir la dégradation économique de l'entreprise, d'assurer une formation pour reconvertir les salariés et de mettre en place des congés de conversion d'une durée de huit mois. En revanche aucun accord n'a pu être trouvé sur la définition de la mutation économique qui autorise des mesures de reclassement du personnel. Le gouvernement n'a pas voulu définir dans ce projet de loi la notion de mutation économique et juge préférable de laisser le soin à la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation de fixer des critères objectifs en la matière.

En conclusion ce projet de loi repose sur l'idée fondamentale qu'il ne peut exister de développement économique durable sans une dimension sociale. Les personnes sont au cœur du système économique et doivent rester la pierre angulaire de toutes les politiques. Un pays développé comme la France ne peut se satisfaire du nombre croissant de laissés pour compte du système économique et notre système social doit gagner en efficacité pour réinsérer ces personnes.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le ministre pour cette présentation synthétique et a tenu à souligner que le texte n'est pas aussi complexe que certains ont voulu le dire et a une cohérence interne : il affirme une ambition certaine, celle d'œuvrer à la cohésion sociale pour en finir avec la marginalisation de nombreux quartiers.

A la demande de M. Gaëtan Gorce, qui a souhaité que la discussion des articles du projet de loi en commission ne se poursuive pas le mercredi 17 novembre après-midi comme prévu, car le budget de l'emploi est discuté à ce moment-là en séance publique, le président Jean-Michel Dubernard a indiqué que cette réunion est avancée au mardi 16 novembre à 21 h 30, la date des autres réunions demeurant inchangée.

Après l'exposé du ministre, Mme Françoise de Panafieu, rapporteure, s'est félicitée de l'aspect global de ce texte qui traite à la fois des questions d'emploi, de logement et d'égalité des chances, soulignant qu'elle a organisé quarante auditions et que ses interlocuteurs ont trouvé très positif que l'ensemble des aspects de l'insertion sociale soit traité dans ce texte.

Concernant l'emploi, il est urgent de faire coopérer l'ANPE et l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) afin de fédérer leurs efforts pour la réinsertion des chômeurs. Il convient en effet de déplorer des aberrations telles que la non-compatibilité des logiciels entre ces deux structures qui ont pourtant une mission commune.

La création de maisons de l'emploi est une mesure novatrice et les expériences menées dans certaines villes comme Rueil-Malmaison ou la région Rhône-Alpes prouvent l'efficacité d'une fédération des initiatives pour l'emploi. Certaines interrogations sont apparues cependant en raison de la flexibilité laissée à ces futures structures sans que l'on sache si ces maisons de l'emploi seront des structures nouvelles ou s'il sera possible de fédérer des organismes existant. De même, il faut se demander ce qu'il en sera de leur structure juridique : pourront-elles être organisées sous la forme d'un groupement d'intérêt public ?

En ce qui concerne le service public de l'emploi, qui reçoit enfin sa consécration législative, il y a une interrogation sur l'échelon intermédiaire entre la maison de l'emploi et le niveau national. Plusieurs interlocuteurs ont souligné l'importance de l'échelon régional, notamment pour les formations des demandeurs d'emploi : comment seront coordonnées les actions de l'Etat, des régions et de l'ANPE et des acteurs de l'alternance ? Ne faut-il pas imaginer un instrument de coordination régionale ?

La question du contrôle des demandeurs d'emploi est un sujet très sensible. La définition de l'emploi convenable est particulièrement délicate, mais l'idée que la contrepartie de l'indemnisation doit consister en une recherche active d'emploi est bien mieux admise. Il y a aussi un agacement évident chez les gestionnaires de l'assurance chômage, patronat et syndicats, quant au traitement fait par les services de l'Etat à leurs signalements de situations douteuses. On ne peut que se demander si le dispositif proposé peut évoluer pour concilier encore mieux le respect des droits des demandeurs d'emploi - on peut penser à une procédure collégiale - et plus d'efficacité et de reconnaissance de l'action des services des ASSEDIC.

La réforme des contrats aidés et leur inscription dans une programmation ambitieuse sont réellement appréciées par la plupart des personnes auditionnées. Un effort important de simplification est opéré. Mais ne faut-il pas aller plus loin, même si l'on n'atteint pas le contrat unique d'insertion ? Il existe trois grandes familles de dispositifs d'insertion : ceux que l'Etat pilote et finance à des degrés divers, qui peuvent être mis en œuvre par des collectivités locales, comme le contrat d'avenir ; ceux que gèrent les partenaires sociaux, comme les contrats de qualification devenus de professionnalisation, qui bénéficient principalement mais pas uniquement aux jeunes ; ceux que des collectivités territoriales, notamment des régions, envisagent de lancer de leur côté. Pourrait-on imaginer, par exemple, que le principe d'activation des minima sociaux qui caractérise les RMA et contrats d'avenir puisse s'appliquer à tout contrat dès lors qu'il répondrait à certaines prescriptions en matière d'accompagnement, de formation et de suivi individualisé ?

S'agissant du contrat d'avenir, il faut prêter attention à ce que le dispositif que l'on établira soit opérationnel, afin d'atteindre l'objectif d'un million de personnes qui en bénéficieront. A cet égard, on peut s'interroger sur le dispositif de pilotage associant départements et communes ou intercommunalités, sans désigner de collectivité « chef de file ». Sans la désignation d'une collectivité compétente et responsable, on peut craindre de grosses difficultés juridiques : que se passera-t-il là où de grosses communes, des agglomérations, seront en désaccord avec le département sur la manière d'orienter et de gérer le dispositif ?

Par ailleurs, la convention de contrat d'avenir devra être signée par cinq personnes : l'autorité attribuant l'aide, c'est-à-dire le maire ou le président du conseil général ; le représentant de l'Etat ; l'employeur ; le titulaire du contrat ; enfin, même s'il n'est pas nommé, le représentant de la collectivité qui verse le minimum social qui sera activé. Ne faut-il pas trouver un dispositif plus simple ?

S'agissant de l'apprentissage, le projet présenté affiche un objectif ambitieux et prometteur : 500 000 apprentis d'ici quelques années, ce qui représente un réel progrès pour l'emploi des jeunes. Il faut saluer le travail réalisé par le Sénat concernant la rénovation du statut de l'apprenti qui prévoit notamment la création d'une véritable « carte d'apprenti », au même titre que pour tout étudiant, et qui aménage les modalités de rémunération de l'apprenti ou la fiscalité qui y est applicable.

L'incitation à l'apprentissage se veut également financière. Les interlocuteurs ont manifesté leur scepticisme face aux dispositions envisagées. L'économie générale du dispositif - un crédit d'impôt venant en contrepartie de la suppression des exonérations au titre de la taxe d'apprentissage et de la création d'une contribution au développement de l'apprentissage par le projet de loi de finances pour 2005 - est bien comprise au plan macroéconomique. Mais qu'en sera-t-il au plan microéconomique, dans chaque entreprise ? Quel chiffrage et quelles estimations ont pu être réalisés ? Ne doit-on pas craindre que le nouveau crédit d'impôt soit à l'origine de certaines inégalités parmi les bénéficiaires ?

Par ailleurs, la suppression des exonérations au titre de la taxe d'apprentissage ne va-t-elle pas engendrer de la part des entreprises, comme le craint le Conseil économique et social dans son avis du 31 août 2004, des transferts financiers au détriment de la formation tout au long de la vie ?

L'annonce d'un dispositif de financement de l'apprentissage plus simple et plus transparent est accueillie par tous de manière favorable. Les lois de 1996 et 2002 ont eu des effets positifs mais la méthode utilisée ici se caractérise par une réelle ambition : conclusion de contrats d'objectifs et de moyens au service d'un développement qualitatif et quantitatif de l'apprentissage, établissement du principe de l'intermédiation obligatoire des organismes collecteurs de taxe d'apprentissage pour tout versement avec maintien du principe de libre affectation, renforcement des contrôles sur l'ensemble de ces sommes et établissement d'un droit de suite au profit des corps d'inspection jusque dans les organismes bénéficiaires - sans même évoquer davantage ici la réforme du mécanisme dit du barème.

Des questions demeurent quant à la spécificité des contrats d'objectifs et de moyens. Quelle est la philosophie propre à l'établissement de ces contrats ? Comment adapter ces mesures relatives à l'apprentissage à la réalité des besoins en emploi des entreprises ?

M. Jean-Paul Anciaux, qui fut rapporteur de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie, sera certainement amené, compte tenu de son expérience en la matière, à interroger le ministre sur la coordination entre l'enseignement professionnel et l'apprentissage et il développera donc la prise en compte par le présent projet de cet aspect de la formation des jeunes.

En matière de logement, l'intérêt majeur de ce projet de loi réside dans le fait que l'ensemble des segments du secteur social du logement est concerné, de l'hébergement d'urgence jusqu'au parc privé. Il faut saluer la programmation des crédits sur cinq ans, visant à créer 500 000 nouveaux logements d'ici 2009, qui sera complétée par le programme national de rénovation urbaine tel qu'il a été prévu par la loi du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

Quelle sera la contribution respective des multiples partenaires qui interviennent pour financer le logement social, collectivités locales, mouvement HLM, 1 % logement, Caisse des dépôts et consignations ? Comment convaincre les collectivités locales de travailler de concert sur ce sujet ?

Ce projet de loi s'inscrit par ailleurs dans un contexte législatif foisonnant pour le logement social : la future loi de programmation pour la cohésion sociale doit être complétée d'une autre loi dite « habitat pour tous », dont les contours ne sont pas encore entièrement connus. Par ailleurs, la loi sur les libertés et responsabilités locales, adoptée le 30 juillet 2004, va profondément et durablement modifier la définition et la mise en œuvre de la politique du logement, puisqu'elle sera désormais déclinée au niveau territorial. Enfin, l'Agence nationale de rénovation urbaine, créée en 2004 pour mettre en œuvre le programme national de rénovation urbaine, distribue également des aides à la construction, à la rénovation et à la démolition de logements locatifs sociaux. Comment s'articuleront les dispositions du projet de loi et celles des autres textes ? N'y a-t-il aucun risque de multiplication des guichets et d'incohérences ?

S'agissant de l'accueil d'urgence et de l'hébergement, le texte distingue clairement l'accueil d'urgence et l'hébergement d'insertion et favorise la création de places pérennes. Comment envisager de meilleures conditions d'accompagnement des personnes logées en hébergement d'urgence et comment accueillir les ménages qui ne peuvent prétendre accéder au logement social parce qu'ils sont, soit en attente d'une régularisation administrative de leur situation, soit en situation irrégulière ?

Quant au logement locatif social, le gouvernement entend utiliser plusieurs moyens dans ce secteur : la construction de nouveaux logements dans des conditions de financement favorables, la poursuite du programme de rénovation urbaine, la production d'une offre foncière suffisante et la solvabilisation des ménages. Pourquoi le projet de loi ne comporte-t-il pas de programmation de crédits destinés à la réhabilitation des logements locatifs sociaux, la dégradation matérielle du parc précédant toujours une dégradation sociale des quartiers ?

L'exonération prévue de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant 25 ans, au lieu de 15, sera-t-elle intégralement compensée par l'Etat et strictement limitée aux opérations menées à bien au titre du programme ? Concernant la mobilisation du foncier, même si aucune disposition n'apparaît dans le projet de loi, qu'en est-il de la mise sur le marché de terrains publics, actuellement détenus par quelques grands ministères (équipement, défense...) ?

S'agissant enfin de l'amélioration du parc privé, les dispositions de programmation des aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) sont très importantes pour l'avenir du logement locatif en France. En effet, à côté des bailleurs sociaux, notre pays doit disposer d'un parc locatif privé plus dynamique, mieux entretenu. Il convient de se féliciter du message adressé par ce projet de loi aux bailleurs privés qui seront ainsi incités à réinvestir dans le secteur de la location intermédiaire, voire sociale. La crainte des impayés conduit certains propriétaires à refuser de louer leur logement à des ménages modestes : ne pourrait-on imaginer, lorsque les logements font l'objet d'un conventionnement avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, la mise en place d'un système de garantie pour les propriétaires qui acceptent de loger des ménages sous conditions de ressources et plafond de loyers ? L'affectation d'une partie du produit de la contribution sur les revenus locatifs à une caisse de garantie ne serait-elle pas envisageable ?

Concernant l'égalité des chances en matière d'éducation, il est urgent de revaloriser l'image de l'apprentissage qui doit retrouver ses titres de noblesse. Il est en effet indispensable de trouver des solutions adaptées pour éviter que des jeunes sortent sans qualification du système scolaire et n'aient d'autre solution que de percevoir des minima sociaux.

En conclusion, ce texte doit être salué pour son ambition et son originalité, mais sa réussite dépendra largement de la capacité à mettre en œuvre une véritable programmation financière. Cet aspect est particulièrement délicat compte tenu de la situation des finances publiques mais l'impératif de la cohésion sociale exige un effort sans précédent en la matière.

M. Dominique Dord, rapporteur, a indiqué qu'il a la charge des dispositions contenues dans la lettre rectificative qui sont consécutives à la suspension de la loi de modernisation sociale, tout en étant directement en phase avec l'objet même du projet de loi de programmation. Le licenciement économique est au cœur des relations sociales et il en est le sujet le plus difficile car le plus conflictuel. Le projet de loi propose donc de renforcer la sécurité des salariés tout en permettant l'adaptation des entreprises.

Dans ce but, il convient que les entreprises puissent anticiper au maximum les situations susceptibles de déboucher sur des licenciements économiques. A cet égard, l'obligation de réunir tous les trois ans les partenaires sociaux dans l'entreprise est une proposition qui doit être saluée et qui n'a fait l'objet d'aucune objection lors des auditions des rapporteurs.

Il convient également de favoriser autant que possible le dialogue au cours des procédures de licenciement économique. La généralisation de l'accord de méthode, expérimenté en application de la loi du 3 janvier 2003, va en ce sens. Concernant la définition du licenciement économique, il est souhaitable que la jurisprudence de la Cour de cassation soit confortée par les travaux préparatoires et les débats de la présente loi. En matière de reclassement, le projet de loi propose une avancée importante en donnant aux salariés des plus petites entreprises le même type de protections que celles dont bénéficient les salariés des plus grandes entreprises. Par ailleurs, en dépit de la polémique sur les délais de recours concernant les procédures de licenciements, le projet de loi propose un compromis raisonnable en fixant ce délai à un an.

Les partenaires sociaux ont compris qu'il n'y avait pas de volonté de revanche de la part du gouvernement. Les dispositions du projet de loi de programmation sont équilibrées et établissent une juste mesure entre les multiples revendications sociales. Il ne sera pas proposé de remettre en cause le fruit de ce dialogue entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Toutefois, trois questions restent posées :

- Concernant les accords de méthode, des accords de branche sont-ils envisageables afin de couvrir les PME et, dans l'affirmative, selon quelles modalités ? Par ailleurs, les accords de méthodes doivent-ils avoir une durée de vie illimitée ou peut-on prévoir leur renégociation de manière périodique, par exemple tous les cinq ans ?

- Concernant le bilan et le mode d'évaluation, le Sénat a ajouté un article au projet de loi qui va dans le bon sens. Quelle est l'appréciation du gouvernement à son sujet ?

- Dans les conventions de reclassement personnalisé, l'Etat ne sera pas le seul partenaire à s'engager. Comment inciter l'employeur et l'assurance chômage à s'engager ?

M. Georges Mothron, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, a indiqué qu'il fondera son rapport sur les enseignements de son expérience de député élu dans une banlieue parisienne très urbanisée et de maire d'une ville de 100 000 habitants dont le territoire possède des zones urbaines sensibles (ZUS), des zones d'éducation prioritaires (ZEP) et des zones où le taux de logement social dépasse les 40 %. Ce rapport sera inspiré de la vie de tous les jours et soutiendra le projet de loi de programmation dont les dispositions marquées par une grande homogénéité constituent une réponse attendue depuis longtemps par ceux qui cherchent à éviter une explosion sociale dans les cités.

M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, a fait valoir que le projet de loi est marqué par un grand volontarisme. Alors que les lois du marché ne peuvent pas tout régler, il est du devoir des pouvoirs publics de s'impliquer dans le travail de cohésion sociale. La commission des finances souhaite avant tout ne pas créer de nouvelles procédures administratives ou de nouvelles structures qui s'ajoutent à celles existantes. Il convient de donner aux acteurs locaux non pas des moyens supplémentaires mais le maximum de souplesse et des instruments dont l'utilisation peut être facilement adaptée aux situations locales.

En réponse aux rapporteurs et rapporteurs pour avis, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, a donné les éléments d'information suivants :

- Le gouvernement a choisi la souplesse au risque même d'inquiéter les partenaires sociaux. Ainsi, le projet de loi de programmation n'impose-t-il aucune forme juridique aux maisons de l'emploi qui peuvent donc être constituées sous la forme d'une association, d'un groupement d'intérêt public ou même de manière immatérielle par une mise en réseau électronique. Il en va de même des dispositifs de réussite éducative, qui peuvent être constitués par la caisse des écoles, un groupement d'intérêt public, un établissement public local d'enseignement ou toute autre structure. Toutefois le gouvernement a choisi d'être plus directif en matière de contrats d'avenir car tous les dispositifs antérieurs ont échoué. Pour être efficace, il convient de forcer l'engagement écrit d'une collectivité territoriale financeur, de l'Etat, d'un employeur et d'un salarié bénéficiaire ; quant à l'option sur la gestion entre le département et le niveau communal, elle vise à garantir la mise en œuvre des contrats d'avenir même en cas de blocage d'une collectivité. Le gouvernement sera cependant pragmatique : si au bout de six mois d'application il s'aperçoit qu'il est nécessaire de faire évoluer le mécanisme, il le proposera. Mais sans attendre il est indispensable de mettre en place cette procédure afin d'arrêter de créer des emplois publics précaires ou dégradés qui perpétueraient les échecs passés.

- La suggestion de M. Dominique Dord, rapporteur, relative aux accords de méthode de branche est intéressante ; de même, la proposition relative à la limite de durée de ces accords est à étudier.

- S'agissant du reclassement, il se fait évidemment avec l'accord des partenaires sociaux par l'intermédiaire d'une convention nationale des partenaires sociaux. Il convient de rappeler que la négociation interprofessionnelle a dégagé de nombreux points d'accord ; elle a essentiellement échoué sur la définition du licenciement économique. L'efficacité du reclassement exige en outre la mobilisation de tous les acteurs dans le bassin de reconversion. Une mission a été constituée afin d'étudier la possibilité de créer dans chaque ville quelque chose ressemblant à une caisse d'intégration locale, sur le modèle italien. Il est essentiel de faire jouer les mécanismes d'anticipation et de mobiliser les acteurs publics et privés.

- Concernant l'apprentissage, la disposition du projet de loi de finances pour 2005 portant création d'une contribution au développement de l'apprentissage, dont le taux doit passer de 0,06 % à 0,18 % de la masse salariale en trois ans, est proposée en accord avec les entrepreneurs ; elle rencontre les besoins des entreprises. Son taux restera inférieur à celui en vigueur en Allemagne. Il faudra compléter l'effort financier par un rapprochement avec l'enseignement professionnel. L'objectif est d'aboutir à 500 000 apprentis, mais les besoins des entreprises existent à hauteur de 600 ou 700 000 apprentis. L'opération bénéficiera aux entreprises, notamment aux petites entreprises de moins de six salariés qui profiteront des mécanismes d'exonération.

- Le Sénat a effectué un travail remarquable : le projet de loi a dû être rédigé rapidement et le Conseil économique et social a accepté de travailler durant l'été ; hors de son examen par le Sénat, 250 amendements ont été adoptés.

- La forme que devra revêtir la maison de l'emploi reste à déterminer : il y aura sans doute un modèle différent pour chaque ville ou pour chaque pays.

- Le dossier unique du demandeur d'emploi sera bien imposé dans le cadre de la convention nationale. Il faut mettre fin à une certaine gabegie et à la multiplicité des « back offices » administratifs.

- Enfin, s'agissant des contrats aidés, on pourrait effectivement aller jusqu'au bout de l'activation.

M. Marc-Philippe Daubresse, ministre délégué au logement et à la ville, a apporté les précisions suivantes :

- Dans le domaine de la politique du logement, tous les leviers d'action sont utilisés, qu'il s'agisse du projet de loi ou de dispositions spécifiques, dont la plus récente est le nouveau barème du prêt à taux zéro (PTZ).

- Le financement des opérations mobilise tous les acteurs : l'Etat, les bailleurs sociaux et les organismes collecteurs du 1 % logement, par le biais de la convention passée avec l'Union d'économie sociale pour l'habitat (UESL), le but étant d'aboutir à la territorialisation des objectifs. Dès l'adoption de la loi, une convention sera signée avec les bailleurs sociaux, représentée par l'UESL. La Caisse des dépôts et consignations a par ailleurs accepté de déconcentrer ses prêts. La négociation relative aux conventions de délégation des aides à la pierre sera conduite avec les collectivités locales.

- La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ne vient pas contrarier cette nouvelle politique de logement.

- En sus des dispositions « logement » de ce projet de loi, le gouvernement déposera bientôt un projet de loi « habitat pour tous ». Si le plan de cohésion sociale est une réponse adaptée, d'autres actions sont nécessaires, notamment en ce qui concerne l'accession à la propriété, l'urbanisme et le foncier. A titre d'exemple, est-il nécessaire de durcir les pénalités prévues à l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, pour les communes qui ne veulent absolument pas construire de logement social ? Faut-il à l'inverse renforcer les incitations destinées aux maires bâtisseurs ? Ces modifications appellent une concertation préalable. Sur le foncier, l'Etat doit montrer l'exemple : ainsi, une convention a été conclue afin de récupérer les terrains auprès d'organismes publics, particulièrement auprès de Réseau ferré de France (RFF). Cependant, cela ne suffit pas. Il reste à déterminer le prix d'équilibre social de la cession de ces terrains.

- S'agissant de la réhabilitation, les dispositifs existants mobilisent déjà des crédits d'un montant significatif qui permettent la réhabilitation de 40 000 logements. Il faut maintenir l'effort. L'investissement sera accompagné par des crédits bonifiés à 2,95 % de la Caisse des dépôts et consignations.

- L'exonération de la taxe foncière sur le bâti , portée de 15 à 25 ans, sera compensée intégralement par l'Etat, conformément à un amendement voté au Sénat.

- Concernant l'habitat privé, le problème central est de rendre confiance aux bailleurs privés. Il existe certes des mécanismes d'assurance en cas d'impayés mais les organismes concernés font du « scoring » (le coût de l'assurance est plus élevé pour les bailleurs louant sous condition de ressources et de plafond de loyer), ce qui n'est pas acceptable. Il faudrait effectivement mutualiser le risque locatif sans alourdir le dispositif par de nouvelles taxes.

- L'article 59 du projet de loi procède à une réforme en profondeur de la dotation de solidarité urbaine.

M. Christian Jacob, ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, a souligné que 472 millions d'euros sont budgétés au profit du crédit d'impôt en faveur de l'apprentissage. Même si l'on prend en compte la création de la contribution au développement de l'apprentissage, le solde s'élève encore à environ 280 millions d'euros. Au plan microéconomique, une entreprise de moins de dix salariés peut voir ses coûts augmenter de 380 euros, mais l'existence d'un crédit d'impôt de 1 600 euros lui permet de rester « gagnante ». Enfin, même les entreprises qui ne paient pas d'impôt sont, au total, bénéficiaires.

Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, a expliqué que le gouvernement souhaitait renforcer les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Ainsi l'article 40 du projet accorde une priorité en matière de logements sociaux pour les personnes en CHRS. Des places en maisons relais sont créées de manière pérenne : 4 000 places sont créées en CADA, ce qui permet d'éviter l'hébergement en hôtel, formule à la fois inhumaine et très coûteuse ; 1 800 places seront créées en CHRS. A terme, l'objectif est de disposer d'environ 100 000 places, chiffre auquel s'ajoutent 6 000 places d'hiver. L'effort financier annuel atteint 768 millions d'euros en 2005 et 3 938 millions d'euros sur cinq ans.

M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, a apporté les précisions suivantes :

- Concernant le statut de l'apprenti, le Sénat a adopté, entre autres, le principe d'une carte d'apprenti ouvrant droit à réductions tarifaires. Cette disposition avait été écartée par le Conseil d'Etat, qui avait considéré qu'elle ne relevait pas de la loi.

- Dès la fin du mois de juillet, les négociations sur le contrat de travail de l'apprenti ont été entamées. Elles portent à la fois sur la rémunération de l'apprenti et les « à-côtés ». Le nouveau Fonds de développement et de modernisation de l'apprentissage devrait financer des actions d'amélioration des conditions de vie.

- Depuis 1983, différentes lois ont renforcé la compétence de la région en matière d'apprentissage. C'est pourquoi l'Etat va signer des contrats d'objectifs et de moyens avec ces collectivités. Ces conventions porteront sur cinq objectifs : l'adaptation de l'offre, la personnalisation de l'offre, l'amélioration des conditions de vie, le préapprentissage et le programme de mobilité européenne.

- S'agissant des dispositions relatives à la taxe d'apprentissage, les entreprises seront gagnantes grâce au mécanisme du crédit d'impôt, qui procurera un gain évalué à 472 millions d'euros. Il s'agit plus que d'une simple compensation. Le mécanisme du crédit d'impôt permet de s'adapter à chaque employeur. Il pénalise les entreprises qui ne jouent pas le jeu. A titre d'exemple, en 2005 une entreprise de 70 salariés compensera ses coûts nouveaux par la présence d'un seul apprenti.

- Les risques évoqués par la rapporteure sur le financement de la formation tout au long de la vie doivent être relativisés. La possibilité d'imputation de certaines dépenses d'apprentissage sur la participation au titre de la formation professionnelle continue préexistait au présent projet. En outre, les partenaires sociaux ont eux-mêmes prévu que les fonds de la formation professionnelle continue puissent financer certaines dépenses de fonctionnement en matière d'apprentissage, aux termes de la loi du 4 mai 2004 ;

- Le gouvernement a également le souci de la souplesse nécessaire de la gestion. A ce titre, les 2 000 référents prévus sont des équivalents temps plein, les missions locales préférant souvent des prestataires. Ces missions locales pourront d'ailleurs porter juridiquement les maisons de l'emploi.

M. Denis Jacquat a tout d'abord souligné l'importance des emplois aidés. Outre qu'ils participent grandement à la vie sociale, ils redonnent à leurs titulaires un rythme de vie, les réintègrent dans la société, leur permettent de disposer d'un peu d'argent avant de les ramener vers un emploi stable. Toutefois, l'expérience de ce type d'emplois dans les zones sensibles a montré que leur efficacité dépend largement de la simplicité et de la rapidité de la procédure les entourant ainsi que du coût différentiel de ces emplois. Il faut que celui du contrat d'accompagnement dans l'emploi soit le plus bas possible : à cet égard, le passage du coût mensuel, pour les chantiers d'insertion, de 21 euros à 125 euros et le caractère dégressif de l'aide de l'Etat peuvent laisser craindre une certaine frilosité des associations et collectivités employeurs. Le même constat avait d'ailleurs été dressé lors du débat sur la création du revenu minimum d'activité au profit du secteur non marchand et l'expérience a montré que ces craintes étaient fondées.

Par ailleurs, la mise en place d'un dispositif de faillite personnelle sur le modèle de celui existant en Alsace-Moselle montre que les expérimentations locales peuvent être riches d'enseignement et méritent d'être généralisées. Il en va sans doute de même pour le préapprentissage, parfois décrié, qui fonctionne déjà très bien dans cette même région. Enfin, s'agissant du logement, il importe de prêter une attention particulière à la mobilisation des crédits nécessaire à la réhabilitation des logements, question sensible pour les bailleurs ; il s'agit de traiter le problème du « vacant diffus ».

M. Maxime Gremetz a d'emblée souligné que la réunion d'aujourd'hui ne lui permettrait guère de rendre compte des multiples questions soulevées lors de la soixantaine d'auditions qu'il a réalisées à l'instar des rapporteurs et qu'il se contentera de trois observations à caractère général, réservant les questions pour le débat en séance :

- Si l'on ne peut que se réjouir de la programmation de 12,8 milliards d'euros sur cinq ans, force est de constater le mauvais départ pris dans cette démarche puisque seul 1 milliard d'euros est prévu pour l'année 2005. La montée en charge du plan de cohésion sociale ne semble que virtuelle.

- On évoque parfois à l'occasion de ce texte le retour à l'emploi. Il s'agit là d'un terme impropre et mieux vaudrait parler de retour à l'activité. On ne peut en effet invoquer le développement de l'emploi quand, dans le même temps, on favorise les licenciements individuels et collectifs, on allège les procédures et on réduit le rôle et le droit des salariés et de leurs représentants. Avant de modifier la législation, mieux vaudrait réfléchir aux bornes posées par la jurisprudence, y compris constitutionnelle, en supprimant par exemple les mécanismes de consultation et les possibilités de suspension introduites en 1973. La réintégration ordonnée par les juges des salariés de Wolber et de Michelin, cinq ans après la disparition de leur entreprise, devrait inciter à la prudence sur ce point.

- Sur le logement, on se doit de rappeler les engagements pris par le gouvernement, dans le cadre du programme quinquennal de rénovation urbaine, de procéder à 200 000 démolitions, 200 000 reconstructions et 200 000 réhabilitations. Il faut comparer ces objectifs avec les chiffres effectivement constatés cette année à savoir 23 000 démolitions et 21 000 reconstructions. Sans doute faut-il savoir faire preuve d'un peu d'utopie mais il convient de ne pas négliger la recommandation de Marx selon laquelle point trop n'en faut.

En conclusion, si l'on ne peut qu'être d'accord avec certains des objectifs affirmés, même si le texte a été aggravé au dernier moment par les dispositions contenues dans la lettre rectificative, on ne peut qu'être incrédule sur la réalité de ces objectifs et plus encore sur celle des moyens proposés. Aussi le groupe des député-e-s communistes et républicains proposera-t-il une série d'amendements porteurs de mesures concrètes.

M. Francis Vercamer a souhaité, en ce jour du quinzième anniversaire de la chute du mur de Berlin, que le plan de cohésion sociale du gouvernement apporte davantage de cohésion sociale dans notre pays que la réunification n'en a apporté en Allemagne. Ce plan est assurément intéressant en terme de solidarité. Règle-t-il pour autant le problème de fond, celui de l'éloignement croissant entre un monde économique qui paye le montant exigé par la solidarité et un monde parallèle qui vit de celle-ci ? Par exemple, on ne discerne pas dans ce texte la création de véritables passerelles qui permettraient à l'issue d'un parcours d'insertion de revenir dans l'emploi durable. Sans doute faut-il procéder à des réformes plus profondes, comme celles que défend le groupe UDF, telles qu'un transfert des charges sociales de la masse salariales sur la valeur ajoutée. Il est indispensable que les entreprises s'impliquent.

S'agissant des discriminations, voici vingt ans qu'elles existent et l'on constate malheureusement que le problème n'est toujours pas réglé. Il est tout à fait dommage que le texte ne reprenne pas l'expérience menée par l'ANPE de curriculum vitae (CV) anonymes, alors que l'on sait bien que les CV sont actuellement un facteur majeur de discrimination et que leur anonymisation a par exemple permis au Québec d'éradiquer toute discrimination.

M. Patrick Roy a tout d'abord protesté contre les conditions d'examen du projet de loi alors que le texte adopté par le Sénat vient seulement d'être distribué. De même, il n'est pas normal que sur des sujets aussi vitaux, son examen soit mené au pas de charge. A titre d'exemple, on peut regretter que la convocation aux auditions de la rapporteure datée du 3 novembre pour une réunion le 4 ne parvienne que le 5 ou le 6.

M. Maxime Gremetz a indiqué n'avoir pas reçu cette convocation.

M. Patrick Roy a considéré qu'au-delà de ces méthodes de travail, on doit regretter l'unanimisme qui règne sur ce texte dont le gouvernement explique qu'il n'a pas vocation à tout résoudre et dont on a effectivement le sentiment qu'il ne résoudra rien, voire qu'il aggravera les problèmes. Alors qu'il devait aborder l'ensemble du champ des politiques concourant à la cohésion sociale, on note l'oubli de nombreuses questions fondamentales : par exemple la santé et l'école en sont totalement absentes.

Au-delà des discours d'auto-congratulation entendus jusqu'à présent, le gouvernement et la majorité seraient bien inspirés de se demander si leur exercice du pouvoir depuis deux ans et demi ne joue pas un rôle majeur dans le fait que la misère n'a jamais été aussi forte en France.

M. Denis Jacquat s'est insurgé contre ce dernier propos, le jugeant « nul ».

M. Gaëtan Gorce a jugé ce commentaire déplacé et demandé à M. Denis Jacquat de le retirer.

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que le projet de loi a été déposé dès le 15 septembre sur le bureau du Sénat et adopté le vendredi 5 novembre, ce texte modifié étant immédiatement disponible en version papier provisoire ou sur les sites des assemblées. La liste des auditions a été envoyée à tous les commissaires et affichée sur la porte de la salle de la commission.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, a donné les éléments d'information suivants.

- Le secteur non marchand bénéficiera de deux dispositifs. La mise en place du contrat d'accompagnement dans l'emploi sera par nature longue puisqu'elle fera l'objet de négociations site par site entre les élus locaux et les services de l'Etat. La durée moyenne de ce contrat se situera entre 18 et 24 mois et le taux d'accompagnement sera défini localement avec beaucoup de souplesse en fonction des moyens disponibles.

- Si l'incrédulité de M. Maxime Gremetz ne porte que sur le niveau des moyens affectés, c'est sans doute qu'il approuve le projet sur le fond.

- L'enveloppe de 12,8 milliards d'euros constitue un cap majeur qui se décline en programmes annuels à hauteur de 3 milliards d'euros.

- Le démarrage du dispositif était à l'origine prévu pour mars-avril 2004 en raison du grand nombre de consultations à effectuer. Il s'avère qu'y a une avance de cinq mois sur le calendrier prévu et on peut dès lors envisager pour la première année des crédits à hauteur de 2 milliards d'euros.

- Le contrat d'avenir est bien entendu un enjeu crucial qui mérite toute l'attention. L'articulation avec la formation est particulièrement complexe et c'est la raison pour laquelle il faudra du temps avant de trouver un rythme de croisière.

- Le prêt à taux zéro est d'ores et déjà lancé et requiert 1 milliard d'euro.

- Une loi de programmation est nécessaire afin de verrouiller les étapes successives.

- L'objectif poursuivi est le retour à l'emploi.

- L'idée d'une TVA sociale, telle que celle en place au Danemark, proposée par le président de la commission des finances du Sénat, mérite d'être expertisée. Elle ne couvrira jamais, de toute façon, toutes les dépenses sociales. Il n'y a pas d'interdit quand le nombre de chômeurs est ce qu'il est.

- Les mesures concernant le logement ne sont opérationnelles que depuis neuf mois et elles ont déjà permis la reconstruction de 21 000 logements sociaux et 23 000 démolitions, ce qui constitue des résultats tout à fait remarquables. A cet égard les différents chiffres avancés pour la démolition, la reconstruction et la réhabilitation sont parfaitement fongibles.

- Le programme qui est chiffré à 40 milliards d'euros est copiloté par les partenaires sociaux et l'Etat.

- En ce qui concerne les plus démunis, il est faux de dire que ce gouvernement a accru leur nombre alors que le précédent gouvernement avait supprimé l'aide personnalisée au logement (APL) en cas d'impayés de loyers et rendu possible 165 000 expulsions par an.

- La santé fait à l'évidence partie de la cohésion sociale et le gouvernement complètera son plan en ce sens.

M. Maxime Gremetz s'est interrogé sur la sincérité des mesures annoncées, quand, dans le même temps, le Premier ministre annonce la fin accélérée du dispositif emplois jeunes.

M. Bernard Perrut a souligné la prise de conscience et la volonté qui sous-tendent ce projet. Les maîtres mots en sont la souplesse, l'adaptation aux nécessités du terrain et l'objectif d'égalité des chances dont l'Etat est garant sur l'ensemble du territoire. Les maisons de l'emploi doivent être davantage envisagées comme une manière de travailler plutôt qu'en termes de structure. En ce qui concerne les trois volets du plan, plusieurs questions se posent :

- Comment identifier les besoins en termes d'emploi aux différents niveaux ?

- Comment associer les branches professionnelles, et à quel niveau, à la gestion prévisionnelle des emplois ? Il est clair que le bassin constitue un territoire pertinent du point de vue économique et social. La territorialisation des politiques de l'emploi est importante.

Il reste beaucoup à faire dans le domaine des réseaux d'accueil car sur le terrain on se heurte parfois à des refus d'unifier les guichets de l'ANPE et des missions locales.

- Selon quels critères seront recrutés les 7 500 référents appelés à travailler dans ces maisons ?

- Comment seront pris en compte les acteurs de l'insertion par l'activité économique dans le cadre des nouveaux contrats aidés ?

Les dispositions relatives à l'apprentissage sont importantes et prennent en compte les besoins des chefs d'entreprises. Mais la question se pose d'assurer davantage de mixité pour l'accès aux différentes filières. L'égalité des chances doit être assurée pour les jeunes avec un regard particulier à destination des femmes, quel que soit leur âge.

Les missions locales voient leur existence reconnue dans le code du travail au sein du service public de l'emploi. Il s'agit là d'un élément très fort même si on aurait pu aller plus loin et les promouvoir en qualité de quatrième pilier du service public de l'emploi. Il existe en effet des conventions entre l'ANPE et ces missions. La question se pose de l'articulation entre le dispositif proposé dans ce projet et les initiatives développées par ailleurs au sein de plusieurs régions en matière d'emploi. Il est nécessaire, afin que s'exerce la cohésion sociale, que l'Etat soit garant de l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire.

Les nouvelles formes de contrats aidés, comme le contrat d'avenir, sont difficiles à comprendre et à mettre en œuvre en raison de leur complexité et du grand nombre de signatures qu'ils requièrent. Les contrats jeunes en entreprises se sont développés, mais quel est leur avenir ?

Après avoir dressé le constat de l'augmentation inquiétante de la misère et de l'exclusion depuis plusieurs années et souligné qu'en dépit des bonnes intentions affichées par ce projet de loi, la question importante demeure celle des moyens qui lui seront effectivement accordés, Mme Muguette Jacquaint a posé les questions et formulé les observations suivantes :

- Qu'en est-il des centres d'hébergement d'urgence, dont on déplore aujourd'hui un manque criant, alors qu'un nombre croissant de femmes est victime de violences, auxquelles il est important d'apporter un réel accompagnement psychologique et social ?

- S'agissant du logement locatif social, est-il envisagé de mettre en place des dispositifs plus coercitifs afin que certaines communes ne puissent plus continuer à refuser la construction de ces logements sur leur territoire, car il s'agit là d'un impératif de solidarité et non seulement de cohésion sociale ?

- Des précisions pourraient-elles être apportées concernant les modalités d'application effective des différentes dispositions législatives visant à lutter contre les discriminations, auxquelles est aujourd'hui confronté un nombre important de jeunes en raison de leur origine ou de leur sexe, ce qui constitue une exclusion inadmissible en matière d'emploi ?

- Plusieurs associations locales œuvrant actuellement dans le domaine de l'insertion par l'activité économique ont également fait part de leurs inquiétudes quant aux modalités selon lesquelles elles seront prises en compte dans les dispositifs d'insertion prévus par le projet de loi.

- Enfin, comme l'ont regretté plusieurs associations familiales, le versement de l'aide personnalisée au logement (APL) d'un montant minime, parfois moins de 15 euros par mois, n'est pas toujours effectué, en raison de charges administratives jugées trop élevées, alors qu'il s'agit pourtant d'un droit, ce qui est profondément incompréhensible pour les familles concernées. Il serait donc souhaitable que l'APL puisse leur être versée à la fin de l'année afin de leur permettre de faire face à la croissance des charges locatives, liée notamment à l'augmentation des tarifs de l'électricité et prochainement du gaz.

Concernant le problème de l'apprentissage, M. Georges Colombier a tout d'abord souligné l'intérêt présenté par l'introduction, lors de la lecture au Sénat, du préapprentissage, parmi les objectifs des contrats d'objectifs et de moyens, prévus par l'article 16 du projet de loi, entre l'Etat, les régions, les organismes consulaires et les organisations représentatives d'employeurs et de salariés. Cela permettra d'accroître les chances de réussite de la formation et de réduire les risques de rupture des contrats d'apprentissage ensuite. Dès lors, de quelle façon peut-on assurer un meilleur financement de ces dispositifs ? Serait-il par exemple opportun d'affecter une part des dépenses effectuées au titre de la formation professionnelle continue aux dispositifs de préapprentissage ?

En outre, si les apprentis sont souvent majeurs en droit, ils restent néanmoins dépendants de leur famille. Or cette réalité est inégalement reconnue par les centres de formation d'apprentis (CFA). Il semble donc nécessaire que des dispositions soient envisagées afin d'améliorer la formation des familles concernées qui doivent être à même de soutenir effectivement l'apprenti.

Après avoir salué la qualité de ce projet de loi réaliste, M. Jean-Paul Anciaux a formulé les observations suivantes :

- Si la création de maisons de l'emploi est une idée excellente, il convient néanmoins de veiller à ce qu'elles ne rencontrent pas les mêmes difficultés que les guichets uniques d'accueil, d'information et d'orientation, qui se rapprochent de celles-ci et qui ont été mis en place dans certains territoires. Par exemple, une maison de l'emploi et de la formation a été créée dans la ville d'Autun depuis plus de dix ans et a permis de réunir différents acteurs, parmi lesquels l'ASSEDIC, l'ANPE, le centre d'information et d'orientation (CIO), le centre de validation des acquis de l'expérience, ainsi que des antennes de l'Association nationale de la formation professionnelle des adultes (AFPA) et des groupements d'établissements scolaires (GRETA).

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette expérience et en premier lieu l'idée qu'il n'est sans doute pas suffisamment efficace de fédérer au sein d'une structure virtuelle l'ensemble des acteurs. Il paraît de surcroît essentiel que les maisons de l'emploi s'appuient sur une analyse des besoins locaux et réalisent un véritable travail de terrain au sein des bassins d'emploi. Par ailleurs, si le concept est bon, sans doute serait-il préférable de procéder d'abord à la labellisation, au suivi et à l'évaluation de ces structures avant que de procéder à la signature d'une convention de financement. Qu'en est-il enfin des modalités de labellisation des structures actuelles ?

- S'agissant de l'apprentissage, plusieurs dispositions de ce projet de loi vont incontestablement dans le bon sens et notamment la réforme de ses modalités de financement ainsi que l'amélioration du statut des apprentis et du tutorat. Le dispositif actuel pêche toutefois en amont par une insuffisante adaptation de l'orientation professionnelle. A cet égard, un partenariat avec le ministère de l'éducation nationale pourrait permettre de renforcer l'information des élèves à ce sujet. Il est par ailleurs préférable de parler non pas d'apprentissage mais de formation professionnelle initiale par alternance et il faut souligner qu'il existe actuellement un problème de répartition sur le territoire des moyens entre l'apprentissage et l'enseignement professionnel et technique. Associer ces deux filières permettrait, par exemple, d'éviter des doublons en matière d'équipement. La courbe démographique va, de plus, s'inverser en 2006 et engendrer des besoins importants dans les entreprises.

- Il convient par ailleurs de rappeler que le dispositif proposé prévoit deux types de contrats aidés, dans les secteurs marchand et non marchand, qui s'inscrivent dans le cadre d'une démarche graduée de formation et d'insertion dans la vie professionnelle.

- S'agissant du logement étudiant, il serait utile d'avoir des précisions sur la mise en œuvre des préconisations du rapport de janvier dernier sur le logement étudiant et les aides personnelles au logement concernant la réhabilitation de 70 000 logements étudiants et 50 000 constructions nouvelles : en effet, compte tenu des difficultés qui semblent être rencontrées aujourd'hui sur le terrain, ces objectifs pourront-ils être atteints ?

- Enfin, quelles sont les attentes personnelles du ministre concernant l'introduction de la possibilité de conclure des contrats d'apprentissage pour des personnes de plus de 25 ans dans l'optique d'une création ou d'une reprise d'entreprises ?

M. Michel Liebgott a regretté le « dérapage » verbal de M. Denis Jacquat à l'issue de l'intervention de M. Patrick Roy, mettant les propos tenus sur le compte d'un agacement provoqué par l'absence de politique social du gouvernement. Le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale que le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, présente aujourd'hui à la commission ne peut faire oublier que la politique sociale a été absente des préoccupations gouvernementales depuis 2002. Dès l'exercice 2003, une part importante des crédits en faveur de l'action sociale a été gelée. Récemment, l'Union nationale interprofessionnelle des œuvres et organismes sanitaires et sociaux (UNIOPSS), n'hésitait pas à affirmer qu'elle venait de vivre « deux années effrayantes ».

Deux politiques sont possibles, l'une à dominante sociale, l'autre fondée sur le tout économique. Le gouvernement a choisi cette dernière voie en privilégiant la logique de l'offre. Le résultat est là : 400 000 chômeurs supplémentaires et, pour la première fois depuis 1993, l'emploi recule avec 70 000 emplois en moins en un an. La situation est grave. Sur l'examen de ce texte, le gouvernement a demandé l'urgence ; de fait, elle est absolue. Les faits sont têtus. La politique d'emplois aidés menée par le gouvernement de M. Lionel Jospin a été vigoureusement critiquée par l'actuelle majorité. Il n'empêche, celle-ci a indéniablement contribué à relancer, grâce au retour à l'activité, de nombreuses personnes en situation précaire.

Ces dispositifs ne servent donc pas à rien, comme certains tentent de le faire croire, ainsi ce juge au tribunal correctionnel de Nancy qui ose répondre à un jeune prévenu l'informant qu'il a obtenu un contrat emploi solidarité (CES) dans une collectivité locale après avoir raté son certificat d'aptitude professionnelle (CAP) d'électricien - le compte rendu d'audience est rapporté par le Républicain Lorrain du 25 octobre 2004 - : « C'était pas assez intello pour vous, le CAP, c'est ça, [ironise le juge]. Tenez, reprenez votre papier [il lui tend du bout des doigts]. Un CES, comme vous dites, c'est rien du tout. Ca sert à employer les bons à rien. C'est du social ! C'est fait pour les handicapés sociaux comme vous ! Voilà ce que vous êtes devenu. A vingt-et-un ans, bravo ! Belle ambition ! » ; et, après que le prévenu lui a indiqué qu'il avait également occupé un poste d'éclairagiste sous le régime des intermittents du spectacle, le juge d'ajouter : « C'est un métier, ça, intermittent du spectacle ? [pouffe le président]. Pour moi, c'est une tentative de devenir fonctionnaire, nuance ! ».

Par ailleurs, tout en étant prêt à entendre le ministre, comment faire confiance à un gouvernement qui a annoncé la création de contrats d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) qui n'ont jamais vu le jour, qui a lancé à grand renfort de publicité le revenu minimum d'activité (RMA) dont, un an après son entrée en vigueur, on ne compte pas plus de 150 titulaires sur le plan national ? Comment dès lors croire le ministre lorsqu'il affirme que la dotation de solidarité urbaine augmentera suffisamment pour financer les dispositions prévues dans le projet de loi dès l'année prochaine, et non en 2009, comme cela est plus vraisemblable ? En conclusion, le désir de croire aux propositions du ministre se heurte à un scepticisme naturel, partagé d'ailleurs par une partie importante de la majorité qui ne croit pas elle non plus à ce texte ou bien, ce qui est différent, ne souhaite pas qu'aboutissent les propositions qu'il contient.

M. Marc Bernier a salué la possibilité prévue à l'article 13 du projet de loi de conclure un contrat d'apprentissage pour des personnes de plus de vingt-cinq ans souhaitant reprendre ou créer une entreprise. La France sera en effet confrontée, dans les prochaines années, à un important choc démographique. Il convient d'encourager, y compris financièrement, tout moyen permettant d'y faire face.

Aux différents intervenants, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, a apporté les précisions suivantes :

- Un amendement permettant la reconnaissance légale des bassins d'emploi serait effectivement le bienvenu. Quant à la taille de ces derniers, il serait souhaitable qu'elle tienne compte des réalités géographiques. On peut raisonnablement estimer que les bassins d'emplois correspondent au ressort de trois agences locales pour l'emploi c'est-à-dire qu'ils réunissent, grosso modo, une population de 300 000 personnes.

- Il appartiendra au référent de définir, par anticipation, le profil des demandeurs d'emplois qui correspondent le mieux aux besoins des entreprises en privilégiant une approche fondée sur une confiance mutuelle entre tous les acteurs concernés. Les référents seront donc recrutés en fonction de leurs compétences et les jeunes seniors ont toute leur place dans ce dispositif.

- Concernant le respect des structures existantes, le gouvernement s'est engagé sur ce point. En contrepartie, il n'acceptera pas, le cas échéant, que certaines administrations refusent de mettre en œuvre la nouvelle politique de synergie. D'ores et déjà, il est expressément prévu que le futur directeur général de l'ANPE devra avoir le profil pour se conformer et mener à bien cette feuille de route.

- Il convient d'observer qu'un dispositif existe pour prendre en charge, de manière confidentielle, les jeunes femmes en danger.

- Sur la question des discriminations, il est bien évident que la politique passée de la France en la matière était notoirement insuffisante et que, en conséquence, le pays ne dispose pas, à l'heure actuelle, de tous les outils nécessaires pour combattre le fléau. La création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, actuellement en cours de discussion au Parlement, constituera une forme importante de réponse à ce « cancer » qui ronge la France. D'autre part, le gouvernement a décidé d'engager des discussions avec les entreprises publiques et privées qui doivent aboutir à l'engagement des acteurs économiques en faveur de contrats de bonne conduite prenant la forme de chartes de la diversité. Le gouvernement s'accorde deux ans pour mener à bien cette mission. Ce délai passé, si aucun résultat satisfaisant n'est obtenu, il reviendra au Parlement de légiférer.

- En matière de construction de logements sociaux, autant le gouvernement sera conciliant avec les collectivités locales qui ont engagé un plan dont la réalisation a pris du retard, autant il sera d'une extrême rigueur envers celles qui manifestement « traînent les pieds ». Sur ce point, il convient de reconnaître les effets positifs des obligations posées par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

- Sur la question de savoir si les maisons de l'emploi doivent prendre la forme d'une structure en tant que telle ou bien si elles peuvent simplement prendre la forme d'accords entre différentes administrations, sans autre existence matérielle, le gouvernement n'a pas encore arrêté de décision. Une chose est sûre, ces maisons de l'emploi ne doivent pas être « bidon ».

- La formation initiale en alternance dans le cadre de l'Education nationale est bien évidemment une des priorités de ce gouvernement. Si la problématique n'apparaît pas dans le projet de loi, c'est que le gouvernement a souhaité que le grand débat sur l'école aille à son terme et embrasse toutes les questions relevant, comme cette dernière, du champ de l'éducation nationale. Il n'en demeure pas moins que l'importance de la formation dans la cohésion sociale n'a pas échappé au gouvernement ; en témoigne la réunion de ce matin à l'hôtel de Matignon où les recteurs réunis autour du Premier ministre ont évoqué la question. D'ores et déjà, les régions ont mis des moyens importants à la disposition des lycées techniques et professionnels. L'objectif est désormais de développer au mieux ce type de formation depuis le CAP jusqu'au diplôme d'ingénieur.

Enfin, on peut regretter que l'intervention de M. Michel Liebgott ne comporte aucune question mais constitue en réalité un prélude au discours qu'il prononcera en séance publique. Il s'est ensuite étonné de ce que le député ait pu déplorer l'absence d'une politique de relance de la consommation de la part du gouvernement, alors même que celui-ci a décidé la plus forte augmentation du SMIC depuis sa création. Le gouvernement socialiste avait quant à lui limité l'évolution du SMIC et ponctionné les crédits destinés à la construction des logements sociaux pour financer sa politique. Face à un sujet transversal et qui touche aussi fortement au fondement même du pacte républicain, on pourrait espérer un plus grand soutien de la part de l'opposition, comme cela a d'ailleurs été le cas au Sénat où le groupe socialiste a voté en faveur des mesures sur le logement. M. Jean-Louis Borloo a rappelé que déjà, lors de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, il avait été taxé d'« illusionniste », de « Harry Potter » de la politique. Mais aujourd'hui, tout le monde constate que les promesses d'hier ont été tenues et que ce qui naguère était considéré comme une utopie fonctionne.

En réponse aux différents intervenants, Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, a donné les éléments d'information suivants :

- L'insertion par l'activité économique a donné des résultats probants. Aujourd'hui, 1 000 entreprises d'insertion, 900 associations intermédiaires et 1 600 chantiers d'insertion existent. En outre, le projet de loi de programmation fait passer la capacité d'accueil dans les entreprises d'insertion de 11 000 à 15 000 postes sur trois ans, relève l'aide à l'accompagnement des associations intermédiaires et crée un accompagnement spécifique des chantiers d'insertion, qui ont reçu une base légale lors de la discussion au Sénat.

- Le programme d'insertion par l'activité économique représente une dépense de 66 millions d'euros pour 2005 et 428 millions sur la période d'application du plan de cinq ans.

- Concernant l'hébergement d'urgence, le dispositif actuel comprend 20 000 places d'accueil d'urgence complétées par 30 000 places de CHRS et 15 000 places de CADA. Le plan de cohésion sociale améliorera l'hébergement. Le gouvernement souhaite tout d'abord ne plus faire systématiquement appel à l'hôtel. Des crédits supplémentaires sont également inscrits pour les cinq ans à venir : 2 500 places ont été créées en 2003 et sont pérennisées pour les cinq prochaines années. D'autres places sont créées : 5 500 places d'hôtel ne seront donc plus nécessaires à terme.

- La priorité de l'hébergement d'urgence sera donnée aux femmes victimes de violences conjugales ou d'abandon familial.

En réponse aux différents intervenants, M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, a donné les éléments d'information suivants :

- Un des objectifs des contrats d'objectifs et de moyens, mais aussi du Fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, est la personnalisation des parcours de formation. D'ores et déjà, il est demandé aux tuteurs dans les centres de formation d'apprentis d'associer les familles.

- Un autre objectif de ces contrats et du fonds est l'innovation pédagogique, qui recouvre le préapprentissage permettant de fournir une formation initiale de qualité. Il bénéficiera de l'intervention du fonds national de développement et de modernisation en raison du coût des mesures. Les financements du fonds seront fournis contrat par contrat, pour tenir compte des spécificités de chaque métier.

- La parité entre les hommes et les femmes relève également de l'innovation pédagogique. C'est une priorité encore réaffirmée récemment par le Chef de l'Etat. Il faut permettre à des branches professionnelles de se féminiser davantage, ce qui peut avoir un coût.

- La reprise d'entreprises est le troisième front de l'innovation pédagogique : 500 000 petites entreprises qui doivent changer de patrons dans les quinze ans à venir doivent pouvoir le faire en toute sécurité. Le contrat de professionnalisation est un outil disponible ainsi que le contrat d'apprentissage pour les professions très réglementées exigeant des diplômes spécifiques car la formation initiale qu'il offre est particulièrement bien adaptée. Le financement de ces dispositifs sera assuré par l'Etat comme il est prévu.

- Concernant les rapports avec l'Education nationale, à la rentrée 2005, la classe de troisième de découverte professionnelle offrira trois heures de découverte pédagogique des métiers aux collégiens. La mise en place des maisons de l'emploi permettra, en outre, d'associer les services d'orientation et d'information.

- La loi relative aux responsabilités et libertés locales du 13 août 2004 a renforcé la place des plans régionaux de développement des formations professionnelles dans lesquels l'Etat jouera un rôle actif. Ils combineront lycées professionnels et centres de formation d'apprentis au moyen des campus des métiers et de l'installation des CFA dans les locaux des lycées.

- Concernant les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), le Sénat les a intégrées dans le code du travail. Certains amendements allaient plus loin. Le gouvernement y a été défavorable parce qu'il s'agissait de placer les missions locales dans le « premier cercle » du service public de l'emploi qui regroupe les organismes bénéficiant d'un monopole.

- Les contrats jeune en entreprise sont un succès : le nombre de 200 000 contrats sera approché à la fin de l'année 2004, et il s'agit de contrats à durée indéterminée. Le plan de cohésion sociale accroît l'aide au chef d'entreprise quand il embauchera des jeunes sans qualification.

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Puis la commission a examiné, sur les rapports de Mme Françoise de Panafieu et M. Dominique Dord, le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

M. Georges Colombier, président, a souligné la durée exceptionnelle - plus de trois heures - et la qualité des échanges avec les cinq ministres présents, tous les nombreux députés présents qui le souhaitaient ayant pu s'exprimer longuement.

M. Françoise de Panafieu, rapporteure, estimant que le débat a été très complet et la discussion nourrie, n'a pas souhaité redévelopper son point de vue et a proposé de renvoyer la suite du débat à l'examen des amendements en commission, en accord avec M. Dominique Dord, rapporteur.

M. Maxime Gremetz a souhaité que la discussion générale se poursuive la semaine prochaine en commission.

M. Georges Colombier, président, a rappelé que la commission examinera les amendements mardi 16 novembre à 16 h 15 et 21 h 30, mercredi 17 novembre à 9 h 30 et jeudi 18 novembre à 9 h 30.

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