COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 novembre 2004
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

puis de M. Denis Jacquat, vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Loi de finances pour 2005

· Avis action sociale, lutte contre l'exclusion et ville (M. Jean-Marie Rolland, rapporteur pour avis)


2

- Information relative à la commission

 

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Marie Rolland, les crédits de l'action sociale pour 2005.

M. Jean-Marie Rolland, rapporteur pour avis, a indiqué que son rapport porte sur les crédits de l'action sociale, de la lutte contre l'exclusion et de la ville pour 2005, ce qui correspond à un ensemble de crédits rattachés au fascicule budgétaire « Travail, santé et cohésion sociale » et couvrant les agrégats 23 « Développement social » et 24 « Intégration et lutte contre les exclusions ».

Le suivi de l'évolution des crédits entre 2004 et 2005 est rendu difficile par plusieurs opérations de transferts de moyens et par la mise en œuvre de la décentralisation. C'est ainsi, par exemple, que la décentralisation affectera fortement le périmètre de l'agrégat « Développement social » car elle a confié aux régions la formation des travailleurs sociaux et aux départements la coordination de l'action sociale en faveur des personnes âgées. Ces crédits prennent en compte l'impact du plan de cohésion sociale qui sera prochainement voté par le Parlement en prévoyant notamment des crédits pour l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et pour la dotation de solidarité urbaine.

Cet avis budgétaire aborde la question de l'accueil des mineurs étrangers isolés, qui est apparue brutalement sur la scène publique en 2001 avec certaines affaires de délinquance, notamment le pillage des horodateurs par de jeunes Roumains. Par ailleurs, l'arrivée et la rétention en zone d'attente à Roissy de mineurs ont posé question quant à la possibilité de placer des mineurs avec des adultes en quasi-détention. Selon une estimation faite par les associations, le phénomène a explosé, le nombre des mineurs accueillis passant de 200 en 1997 à 3 500 en 2003.

Le phénomène était d'abord limité à la région parisienne en raison de Roissy, mais il s'est étendu aujourd'hui aux grandes villes notamment celles ayant un port comme Marseille. Soixante-quinze nationalités ont pu être repérées mais les zones d'origine prédominantes sont la Chine, l'Afrique noire et la Roumanie.

Les associations distinguent différentes catégories de mineurs :

-- les exploités pris en charge en particulier par des filières de prostitution ;

- les mandatés par leur famille pour travailler et gagner de l'argent après avoir remboursé leur passage, parfois pour faire des études ;

- les errants qui vivaient déjà dans la rue dans leur pays d'origine ;

- les réfugiés au sens strict provenant de situations de guerre ou de conflit ethnique ;

- les fugueurs quittant une famille maltraitante ou un orphelinat.

L'existence et le rôle réel de véritables réseaux mafieux font l'objet de discussions entre les associations et la magistrature. Pour les associations il est incontestable que la criminalité organisée contrôle ce trafic alors que les magistrats soulignent qu'il est difficile de distinguer ce qui relève de la délinquance et ce qui relève plutôt de réseaux familiaux organisés pour permettre aux enfants d'atteindre l'Europe.

Les conséquences financières de cette arrivée massive de mineurs ne sont pas négligeables puisque le coût total pourrait s'élever à 35 millions d'euros. Il convient par exemple de citer le poste budgétaire de la ville de Paris qui a consacré 25 millions d'euros en 2003 pour les mineurs étrangers isolés. L'évaluation exacte du coût total de cet accueil est très difficile à réaliser en raison de la multiplicité des intervenants.

Parmi les premières mesures mises en place, on peut citer le dispositif financé par l'Etat en Ile-de-France qui comprend un établissement, le centre d'accueil et d'orientation pour mineurs demandeurs d'asile (COMIDA) créé à Boissy-Saint-Léger en novembre 1999. Ce centre géré par l'association France Terre d'Asile offre un accompagnement spécialisé aux mineurs qui y séjournent un peu plus d'un an en moyenne. Ce centre dispose de 33 places et d'un budget de 1,32 million d'euros essentiellement financé par l'Etat. A proximité de Roissy a été créé à Taverny un lieu d'accueil et d'orientation (LAO) pour les mineurs placés en zone d'attente et qu'il est impossible de reconduire dans leur pays en raison d'une demande d'asile ou de problèmes de procédure. Ce centre est géré par la Croix-Rouge, dispose d'une capacité de 30 places et d'un budget de 1,5 million d'euros. Après avoir accueilli essentiellement des Chinois, ce sont actuellement les Africains, en particulier en provenance du Congo Kinshasa, qui dominent.

Il convient de citer le travail remarquable des cinq associations conventionnées à cette fin :

Enfants du Monde-Droits de l'Homme qui gère au Kremlin-Bicêtre un foyer ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre ;

Aux captifs la libération qui conduit des actions de repérage, accueil de jour et soutien socio-éducatif ;

Arc 75 qui offre une prestation d'hébergement temporaire avec trois hébergements et un soutien socio-éducatif ;

France Terre d'Asile qui dispose de solides moyens d'accompagnement juridique et prend en charge les « mineurs-majeurs », ceux dont l'expertise d'âge osseux est incertaine ou contredit leurs papiers ;

Parada qui est spécialisée sur le public très particulier des jeunes Roumains.

Le dispositif parisien permet environ 300 prises en charge par an pour un coût de 2,5 millions d'euros à la charge de l'Etat.

Après l'accueil proprement dit, certaines autres associations prennent le relais comme par exemple la Fondation des Orphelins apprentis d'Auteuil qui s'est spécialisée dans la formation professionnelle de ces jeunes.

Pour tenir compte de l'afflux des mineurs isolés, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 a introduit la notion d'administrateurs ad hoc désignés par le parquet pour tout mineur retenu en zone d'attente ou demandant l'asile politique. Cette mesure vise à garantir aux mineurs une représentation juridique afin de défendre au mieux leurs intérêts.

Pour répondre au problème particulier posé par les jeunes Roumains, qui peuvent entrer légalement sur le territoire de l'Union européenne en raison des accords de Schengen, un accord intergouvernemental franco-roumain a été signé le 4 octobre 2002. Il vise essentiellement à mettre en place un groupe de liaison opérationnelle entre les administrations judiciaires, policières et sociales des deux pays afin de lutter contre les réseaux d'exploitation des mineurs et faciliter le retour vers le pays d'origine. Cet accord a permis d'aider la Roumanie à mettre en place une justice spécifique aux mineurs et à financer, sur des crédits européens du programme AGIS, une étude concernant l'Italie, l'Espagne, la Roumanie et le Maroc, visant à mieux connaître le parcours de ces mineurs isolés. Même si cet accord n'a pas permis de nombreux retours de mineurs dans leur pays, il est important pour préparer l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne.

Le phénomène des mineurs isolés a fait l'objet d'un rapport du préfet Bertrand Landrieu en juin 2003, dans lequel il préconise le retour d'un plus grand nombre possible de mineurs dans leur pays. Cette orientation est souhaitable pour préserver les liens familiaux et sera un élément important de dissuasion pour les filières clandestines de passage. Le rapport propose aussi de créer une zone d'attente spécifique aux mineurs à Roissy et de sanctionner les compagnies aériennes qui refusent de rapatrier les mineurs sans papier, en les contraignant à consigner le montant des amendes dues pour l'embarquement de mineurs en situation irrégulière. Il souligne par ailleurs la nécessité de revoir un article du code civil qui prévoyait que tout mineur confié à l'aide sociale à l'enfance (ASE) pouvait obtenir la nationalité française lors de sa majorité, cette mesure automatique encourageant les filières mafieuses. Le rapport prône également la mise en place d'une cellule spécialisée dans la recherche de l'autorité parentale pour identifier les parents vivant dans l'espace Schengen.

La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a marqué une évolution. Les sanctions financières contre les compagnies qui ne s'assurent pas de la possession par leurs passagers des documents de voyage nécessaires ont été durcies : augmentation du montant des amendes, extension aux voyageurs en transit, obligation d'une consignation préalable de l'amende possible dans le cas de mineurs. Une condition de durée de trois ans en cas de placement à l'ASE, pour l'accès à la nationalité française des mineurs, a été introduite.

Mais ce dispositif est encore incomplet. Les mesures législatives et réglementaires déjà prises ou envisagées (systématisation des visas de transit aéroportuaire, obligation pour les compagnies aériennes à transmettre aux autorités la liste de leurs passagers) et surtout l'adaptation des pratiques policières (multiplication des contrôles « porte d'avion » qui permettent d'identifier à coup sûr la provenance des passagers irréguliers et la compagnie responsable, coopération avec les pays de départ,...) ont permis de réduire grandement la pression qui s'exerçait à l'aéroport de Roissy. Mais tel n'est pas le cas ailleurs en région parisienne, et même sur l'ensemble du territoire.

Les réponses apportées jusqu'à présent, tant en matière de réglementation que de dispositif d'accueil, restent incomplètes et perdent encore de leur efficacité du fait de l'incertitude ou de l'inadaptation des règles de droit.

On doit regretter également l'absence de dimension européenne, et même nationale, des réponses apportées. Alors que l'Union européenne progresse activement dans la voie d'une harmonisation des systèmes d'asile et envisage même la mise en place d'une véritable politique commune sur les lieux d'accueil aux frontières, la question des mineurs isolés n'est pas posée à Bruxelles car les systèmes de protection des mineurs sont très variables d'un Etat à l'autre.

Il ne s'agit pas seulement, en effet, d'éventuels demandeurs d'asile, mais aussi, dans certains pays comme la France, de personnes susceptibles d'acquérir la nationalité assez facilement - et nul n'envisage à court terme une harmonisation des droits de la nationalité - et de mineurs, ce qui renvoie à tous les systèmes nationaux différents de protection ou de sanction des mineurs : intervention ou non d'une décision de justice dans les placements, existence ou non de juridictions spécialisées (enfants, affaires familiales,...) et organisation de celles-ci, conceptions différentes du traitement de la délinquance des mineurs et de la majorité pénale, etc.

A l'échelon national, force est de constater que le problème des mineurs isolés se diffuse de plus en plus sur le territoire. Cependant, jusqu'à présent, la réponse organisée en matière d'accueil, avec une certaine implication de l'Etat, ne couvre guère que l'Ile-de-France.

Dans certains départements brutalement confrontés au problème, la situation est devenue conflictuelle. L'absence de places dans les foyers de l'ASE ou le refus du conseil général d'y accueillir certains jeunes conduit à les loger à l'hôtel, aux frais de l'Etat dans le cadre du dispositif d'urgence. Cette solution souvent coûteuse et qui ne garantit aucun accompagnement est déjà regrettable s'agissant d'adultes, elle l'est plus encore pour des mineurs.

Après la mise en place du dispositif propre à la région parisienne, un début d'organisation se met en place ailleurs. Dans quelques départements, par exemple la Sarthe, des conventions de bonnes pratiques concernant les procédures à suivre en cas de signalement d'un mineur (détermination de l'identité et conditions d'un test éventuel d'âge osseux, conditions de prise en charge par l'ASE, etc.) ont été passées entre institutions intéressées, en premier lieu les conseils généraux et les parquets, mais on constate le plus généralement un manque de cohérence dans les interventions des différentes administrations.

Les difficultés d'identification, de qualification et de domiciliation des mineurs isolés subsistent. Les mineurs étrangers constituent un public particulièrement difficile pour des administrations et des juridictions soucieuses d'identifier et de « catégoriser » leurs usagers.

Beaucoup de mineurs, notamment délinquants, portent des surnoms et les documents issus des pays d'origine sont difficiles à authentifier ; cela dépend souvent de la bonne ou de la mauvaise volonté des ambassades.

La question de l'âge, et donc de la qualification de mineur, est sans doute la plus difficile. Longtemps très incertains, les tests d'âge osseux, du moins ceux pratiqués à Paris à l'hôpital Trousseau, sont maintenant moins contestés suite à un travail d'affinement et d'adaptation des abaques aux différentes populations. De toute façon, quels que soient les résultats de ces tests, il appartient aux juges des enfants de trancher la question de l'âge par tout moyen. La situation des « mineurs-majeurs » dont l'expertise n'est pas claire ou contredit des documents d'identité et d'état-civil, est entachée d'incertitude et la tendance consiste à leur refuser symétriquement les avantages dont ils pourraient bénéficier en tant que mineurs, mais aussi en tant que majeurs (titre de séjour, contrat jeune majeur,...).

La question de l'« isolement » réel des mineurs se pose aussi régulièrement, notamment en cas de délinquance.

La question de la domiciliation en France est certes moins grave, mais se pose par exemple pour la détermination des ressorts de juridiction. A Paris, la mise en place de juges des enfants spécialisés sur les mineurs isolés a d'abord été liée à ce problème : il n'était pas possible de rattacher ces jeunes sans domicile fixe à tel ou tel secteur géographique de compétence. La domiciliation détermine aussi l'ASE responsable et constitue donc une base féconde de contentieux pour les départements qui veulent contester des placements faits à leurs dépens.

L'entrée d'un mineur dans le système de protection des pouvoirs publics peut se faire par la voie pénale, la voie judiciaire civile, elle-même subdivisée en deux, ou la voie administrative et il en résulte souvent un problème de compétence de l'instance saisie :

- au pénal, le juge des mineurs privilégie les mesures éducatives, d'une nature souvent très proche de celle des mesures civiles ;

- le juge des enfants, statuant au civil, place ou fait bénéficier de mesures d'assistance éducative le mineur estimé en danger ;

- le mineur pour lequel l'autorité parentale est vacante donne lieu à l'ouverture d'une tutelle prononcée par le juge des tutelles ;

- l'article L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit l'accueil en urgence des mineurs par l'ASE en l'absence de représentant légal pouvant donner son accord, sous réserve d'en informer immédiatement le parquet, puis la saisine du juge au bout de cinq jours sans remise de l'enfant à sa famille ou l'accord de son représentant pour le placement.

La coexistence des deux canaux donne une double chance aux mineurs ou supposés tels qui, après avoir été rejetés par l'ASE, peuvent solliciter un juge des enfants.

Même si les enjeux doivent être relativisés - les mineurs devant de toute façon être accueillis par l'ASE, que ce soit au titre du placement prononcé par un juge des enfants ou de la tutelle conférée au président du conseil général - l'incertitude juridique entretient un certain désordre dans un contexte de litiges permanents entre gestionnaires de foyers d'accueil et certains conseils généraux sur le thème : qui paye et quoi ? Des parquets, notamment celui de Paris très concerné, ont adopté une position de principe, mais les pratiques sont hétérogènes sur le territoire et des juridictions supérieures ont pris des positions opposées.

La question du statut particulier des zones d'attente, du particularisme des procédures qui s'y appliquent, des problèmes juridiques que cela pose, n'est pas nouvelle et se trouve compliquée par des décisions de justice contradictoires. En 2002, 71 % des mineurs placés en zone d'attente ont finalement pénétré sur le territoire national, les décisions de levée de placement en zone d'attente étant pour la plupart motivées par des irrégularités procédurales. Mais la même année, les trois quarts de ces décisions, quand elles étaient frappées d'appel par le préfet, ont été infirmées par la cour d'appel ; en 2003 ce fut la totalité.

Une nouvelle incertitude juridique concernant le statut des mineurs étrangers en zone d'attente est apparue récemment. Depuis le 22 août 2004, des juges des enfants du tribunal de Bobigny ont pris au moins quatre ordonnances de placement provisoire de mineurs (supposés tels) qui se trouvaient retenus dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy : trois fois, les mineurs ont été confiés par ces décisions à des parents résidant en France, une fois à l'ASE. Les juges des enfants ont fondé leurs décisions sur la situation de danger dans laquelle se trouveraient ces jeunes s'ils étaient renvoyés dans leur pays (en l'espèce des pays effectivement « troublés » : Congo-Kinshasa, Congo-Brazzaville et Côte d'Ivoire) ou dans un cas, s'ils étaient « lâchés dans la nature » en France (en invoquant un risque d'exploitation). Une des ordonnances évoque aussi le droit à la vie familiale protégé par la Convention internationale des droits de l'enfant pour justifier que le jeune soit confié au seul membre de sa famille pouvant l'accueillir, lequel se trouve vivre en France. Cependant, le maintien en rétention des mineurs concernés avait naturellement été décidé chaque fois par le juge des libertés et de la détention, conformément à l'article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : au-delà des quarante-huit premières heures, renouvelées éventuellement une fois, l'intervention du juge est nécessaire. Il en est résulté une situation ingérable pour les policiers en charge de la zone d'attente : devaient-ils laisser sortir les enfants confiés à l'ASE ou à des parents, ou les garder en rétention et ensuite, le cas échéant, les réacheminer ? Des décisions diverses ont été prises : un adolescent a pu entrer sur le territoire ; les autres ont été reconduits en Afrique.

Le parquet a fait appel de plusieurs des ordonnances de placement contestées et il appartiendra aux juridictions supérieures - cours d'appel, voire Cour de cassation - de trancher définitivement la question, qui renvoie à plusieurs points de droit délicats. Le juge des enfants peut-il intervenir en zone d'attente, compte tenu du statut ambigu de celle-ci sur le territoire français mais avant la « frontière » ? Doit-il apprécier le danger en fonction de la situation présente du mineur placé en zone d'attente ou de sa situation future s'il est renvoyé dans le pays d'origine ?

Ces problèmes illustrent bien la difficulté juridique posée par les mineurs étrangers qui relèvent à la fois du droit des étrangers et de celui de l'enfance en danger.

Par ailleurs, la justice des mineurs est largement dépourvue de moyens face aux jeunes étrangers délinquants du fait de la difficulté à les identifier et les retenir, a fortiori à identifier les adultes qui se cachent derrière eux.

En l'absence de centres éducatifs fermés à Paris et dans la mesure où l'incarcération est naturellement rare, les réponses aux actes de délinquance sont faibles et les audiences se déroulent trop souvent en l'absence des intéressés. Le recours à la procédure de jugement à délai rapproché, instituée par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, peut être une réponse possible à l'« évaporation » des prévenus avant les audiences. Cependant, elle ne peut être engagée que pour des mineurs déjà connus de la justice (enquête de personnalité effectuée lors d'une procédure antérieure de moins d'un an) et n'est donc probablement pas très adaptée à une population fluide et aux identités incertaines des jeunes délinquants étrangers isolés.

Les dispositions législatives adoptées dans la période récente rencontrent des difficultés de mise en œuvre ou entraînent de nouveaux problèmes.

S'agissant des administrateurs ad hoc, on ne peut que regretter la parution tardive, en septembre 2003, du décret d'application nécessaire à leur mise en place effective car, dans l'intervalle, leur absence a été trop facilement utilisée comme argument de procédure pour obtenir des décisions de justice mettant fin à la rétention de mineurs en zone d'attente. Depuis lors, le recrutement des administrateurs ad hoc est difficile du fait du caractère dérisoire de leur rémunération, qui ne couvre pas les frais ; une solution consiste à désigner des personnes morales, des associations, mais tous les parquets ne l'admettent pas.

L'introduction d'une condition de durée de présence en France pour l'accès à la nationalité à dix-huit ans suscite à son tour des effets pervers. D'une part, cette évolution aurait pour effet, selon certaines personnes auditionnées, d'entraîner l'arrivée d'enfants de plus en plus jeunes. D'autre part, se pose désormais un vrai problème de statut pour les jeunes accueillis par l'ASE quand ils atteignent l'âge de dix-huit ans. La seule voie qui leur reste pour acquérir de droit un titre de séjour de longue durée est la demande d'asile, mais c'est une démarche qui peut être difficile psychologiquement - il faut raconter son histoire personnelle - et qui est de toute façon incertaine, même si les chances d'obtenir le statut paraissent assez bonnes pour les mineurs : plus des trois quarts l'obtiendraient au centre d'accueil et d'orientation pour mineurs demandeurs d'asile (CAOMIDA) de Boissy-Saint Léger. Quelle que soit la réponse, elle n'est délivrée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qu'à la majorité en l'absence de représentant légal, ce qui entretient l'incertitude et les craintes.

A défaut, il est possible de solliciter un titre de séjour, mais celui-ci est rarement de droit pour les mineurs isolés. En effet, selon l'article 9 de l'ordonnance de 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, modifiée par la loi du 26 novembre 2003, les jeunes de seize à dix-huit ans peuvent demander un titre de séjour pour exercer une activité professionnelle mais, s'agissant de mineurs isolés, la délivrance de ce titre n'est de droit que s'ils sont présents en France depuis l'âge de treize ans. Par ailleurs, selon l'article 12 de l'ordonnance, le préfet peut délivrer une carte de séjour « étudiant » à un jeune majeur qui poursuit des études supérieures après avoir suivi une scolarité en France depuis l'âge de seize ans, mais sous réserve d'une entrée régulière sur le territoire. De fait, ces conditions laissent apparemment peu de chances à la plupart des mineurs et ex-mineurs accueillis.

La question de la scolarisation et de l'accès à la formation professionnelle se pose également. Le niveau scolaire des jeunes accueillis dans des établissements spécialisés comme le LAO et le CAOMIDA est très hétérogène, des situations d'analphabétisme aux parcours scolaires normaux. Leur connaissance éventuelle de la langue française dépend naturellement de leur pays d'origine. Mais tous s'accordent sur le grand désir d'intégration, et donc d'éducation, de ces jeunes, dont quelques-uns parviennent ensuite à faire des études supérieures malgré le handicap linguistique et la rupture subie dans leurs études.

Les handicaps linguistiques ou de formation antérieure, ainsi que la nécessité pour les jeunes de gagner rapidement leur vie, conduisent cependant en général à des orientations vers des formations assez courtes à des métiers manuels ou de service.

Le problème qui se pose alors est celui de l'absence de droit au travail pour ces jeunes étrangers sans statut au regard du droit des étrangers, ou au mieux demandeurs d'asile dont le cas n'a pas encore été tranché. Selon l'article R. 341-4 du code du travail, la situation de l'emploi peut en effet être opposée à la demande d'autorisation de travail de tout étranger, sauf pour certaines catégories tels que les détenteurs d'une carte de résident, dont les réfugiés politiques. L'absence de droit au travail entraîne l'impossibilité d'accéder aux dispositifs de formation en alternance d'apprentissage et de contrats de professionnalisation.

Les structures d'accueil en place dépensent beaucoup d'énergie à placer leurs résidents. Celles qui ont une vocation d'accueil provisoire se sont parfois fixé des objectifs en termes de durée d'accueil maximale mais ces normes ne sont pas tenues. Les responsables du CAOMIDA et du LAO passent beaucoup de temps à rechercher des places en province et à négocier avec les services des départements concernés. De même, les structures d'accueil provisoire, qui sont censées placer ensuite les jeunes dans les circuits classiques de l'ASE, sont amenées à accueillir des mineurs que l'administration ne peut prendre en charge. L'association est parfois sollicitée par les services de la justice pour la mise à l'abri de jeunes plus ou moins délinquants, parfois sortant de prison, qui posent des problèmes : les uns fuguent rapidement ; d'autres restent et provoquent des troubles internes et avec le voisinage.

En ce qui concerne la problématique du placement, il convient enfin de signaler que l'article 59 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales suscite chez certains intervenants la crainte d'une augmentation des difficultés. Cet article organise une expérimentation de l'extension des compétences départementales pour la mise en œuvre des mesures civiles ordonnées par les juges des enfants : dans les départements admis à l'expérimentation, ces derniers ne pourraient plus opérer de placements directs dans des établissements de leur choix, mais devraient obligatoirement passer par le service de l'ASE ; or, pour les mineurs isolés étrangers, le placement direct est parfois une méthode de contournement de la mauvaise volonté éventuelle des conseils généraux en les plaçant devant le fait accompli.

En conclusion, le rapporteur pour avis a indiqué qu'il a constaté dans son département de l'Yonne une arrivée croissante de mineurs étrangers isolés : un enfant était recensé en 2001, sept en 2002, vingt en 2003. La gestion de ce phénomène est d'autant plus difficile que les politiques européenne et nationales manquent de cohérence. L'Inspection générale des affaires sociales est toutefois en train d'établir un rapport sur le sujet. Les pouvoirs publics doivent mettre sur pied une politique claire vis-à-vis d'un phénomène qui ne se résorbera pas spontanément et qui va concerner l'ensemble du territoire. Dans ce but, il convient, en premier lieu, de clarifier les points de droit et d'unifier les pratiques. Les incertitudes juridiques signalées, notamment sur les modalités d'entrée dans le système de protection, et les compétences des différentes juridictions doivent être clarifiées ; elles pourraient faire l'objet, par exemple, de circulaires de politique judiciaire. En second lieu, il faut réfléchir à un dispositif national d'accueil : l'expérience du LAO de Taverny pourrait être généralisée. Ce type de solution impose un accord préalable sur le financement pendant la période d'accueil et un engagement des départements à prendre en charge ensuite les jeunes à travers l'ASE. Enfin, il conviendrait de définir un statut spécifique pour les mineurs isolés étrangers, et sans doute les jeunes majeurs isolés. Ce statut leur permettrait d'accéder à un titre de séjour spécifique, qui garantirait leur accès, dès avant dix-huit ans, aux dispositifs d'alternance et leur maintien ultérieur sur le territoire. Ce titre de séjour pourrait être accordé dans des conditions assez strictes, avec un renouvellement conditionné aux efforts d'intégration mesurés objectivement. Un tel statut de droit pourrait toutefois avoir les mêmes effets pervers que l'accès de droit à la nationalité française qui existait jusqu'en 2003. A défaut, on pourrait envisager : des aménagements, à préciser, en matière d'accès aux formations en alternance dans le cadre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, la question valant aussi pour les demandeurs d'asile adultes ; un dispositif d'anticipation et de contractualisation de la délivrance d'un titre de séjour à la majorité - cette délivrance restant non automatique - afin que les jeunes se voient garantir leur régularisation s'ils respectent des engagements d'intégration et que cette régularisation soit opérée sans délai à l'âge de dix-huit ans.

Plusieurs commissaires sont intervenus après l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Denis Jacquat, président, a rappelé avoir attiré l'attention l'an dernier sur le problème des mineurs étrangers isolés qui va en s'amplifiant, notamment dans les départements frontaliers comme la Moselle. Les mesures les concernant coûtent très cher aux budgets des départements et la qualité de la prise en charge effectuée en France est très connue à l'étranger, ce qui tend à accroître l'immigration des mineurs. Au départ, l'ASE mobilisait 40 millions d'euros ; la somme a été multipliée par dix en deux ans. Il conviendrait de s'interroger pour savoir si la France doit suivre l'exemple de la Belgique et de l'Angleterre qui ont durci leurs normes d'accueil alors que ces pays étaient auparavant très accueillants.

M. Pierre-Louis Fagniez a fait part de son expérience de terrain dans sa circonscription couvrant les deux tiers du territoire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés. Le problème des Roms est connu et cette population est bien définie et couverte par les accords de Schengen. Les enfants viennent d'autant plus en France que cette minorité est écrasée dans son pays d'origine. Toutefois derrière des mineurs isolés se cachent souvent des parents. Il y a quatre mois un groupe de quatre-vingts Roms, probablement encouragés par le conseil général du Val-de-Marne dirigé par des communistes, a occupé un terrain sur la commune de Saint-Maur, ce qui a eu un effet dévastateur dans une municipalité relativement conservatrice. Parmi ces quatre-vingts Roms, il n'est pas possible de savoir combien il y a de mineurs isolés afin de les protéger des conflits et des enjeux de pouvoir au sein de cette communauté.

M. Marc Bernier a fait valoir que le phénomène des mineurs étrangers isolés apparaissait en zone rurale. Lors de sa dernière réunion, le conseil général de la Mayenne en a d'ailleurs débattu, y compris de l'efficacité du test de l'âge osseux. La situation des orphelins roumains, qui sont essentiellement des Tziganes, est préoccupante. Ces enfants ont été abandonnés par leurs parents en raison de la politique de Ceaucescu. Ces abandons ont continué après la fin du régime car les comportements et les mentalités n'ont pas changé. Les enfants errants de Bucarest sont ainsi considérés comme un phénomène normal. Les députés pourraient saisir l'occasion de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale afin d'offrir à ces mineurs étrangers isolés une formation courte leur permettant d'être employés dans des secteurs qui manquent de main-d'œuvre.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur pour avis a indiqué que le coût annuel global de l'ASE est évalué entre à 35 et 110 millions d'euros, alors même que les conseils généraux contestent l'obligation de devoir financer ces dépenses. Concernant la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, il serait intéressant d'étudier un amendement permettant aux mineurs étrangers isolés d'acquérir une formation professionnelle utile y compris dans une perspective de retour dans leur pays d'origine.

M. Denis Jacquat, président, a fait part de ses doutes quant à la réussite d'une politique de formation des jeunes sur le territoire national dans le but de leur permettre un retour dans leur pays d'origine. L'expérience réalisée par M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, avec l'Abbé Pierre en direction des pays africains s'est révélée décevante.

En réponse à une question de Mme Béatrice Vernaudon sur le calendrier d'examen des crédits de l'action sociale, il a ensuite observé qu'aucun membre des groupes de l'opposition n'a assisté à la présente réunion alors que M. Gaëtan Gorce a demandé l'annulation de la réunion de la commission, initialement prévue le mercredi 17 novembre à 16 h 15 pour examiner le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, afin de pouvoir participer à l'examen en séance publique des crédits de l'action sociale qui aura lieu au même moment. Cette annulation a conduit à convoquer la commission pour une réunion ce soir à 21 h 30.

La commission a ensuite donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action sociale, de la lutte contre l'exclusion et de la ville pour 2005.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Yves Censi, rapporteur sur sa proposition de loi de visant à améliorer les retraites de maîtres de l'enseignement privé sous contrat - n° 1757.

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