COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 13 avril 2005
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information sur la définition des savoirs enseignés à l'école (M. Pierre-André Périssol, rapporteur)


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- Audition de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes - n° 2214


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- Examen du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes (discussion générale) - n° 2214 (M. Edouard Courtial, rapporteur)


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- Information relative à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d'information présenté par M. Pierre-André Périssol sur la définition des savoirs enseignés à l'école.

Le président Jean-Michel Dubernard a tout d'abord remercié le rapporteur et les membres de la mission d'information pour l'importance et la qualité de leur travail, même s'il aurait sans doute été préférable que le rapport soit présenté à la commission en décembre 2004, ce qui aurait permis d'apporter un éclairage lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école. Les travaux de la mission n'en présentent pas moins un intérêt grâce notamment aux nombreuses auditions qui ont eu lieu depuis plusieurs mois.

Après avoir remercié l'ensemble des membres de la mission, M. Pierre-André Périssol, rapporteur, a indiqué qu'en effet soixante-seize personnes d'horizons très différents ont été auditionnées. Il faut également souligner que ce rapport est présenté au nom de l'ensemble de la mission, aucun de ses membres n'ayant formulé de réaction négative.

Il convient, en premier lieu, de rappeler les motifs ayant conduit à la création d'une mission d'information parlementaire sur la définition des savoirs enseignés à l'école. Si l'école a obtenu des résultats remarquables en une génération, les performances des élèves français dans les enquêtes internationales sont justes dans la moyenne. En particulier, les deux enquêtes du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) lancées par l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE) mettent en évidence le fait que les résultats des élèves français sont surtout médiocres quand il s'agit d'utiliser des connaissances en dehors d'une approche scolaire. Il existe donc des marges de progrès pour le système éducatif.

Il faut également souligner que l'expression du Parlement sur les contenus des savoirs enseignés est à la fois utile et légitime. Elle est utile car, comme l'ont avancé de nombreuses personnes auditionnées par la mission, les instances composées d'experts ou l'administration centrale du ministère se heurtent très vite au conflit entre les disciplines et aux pressions des lobbies. Or cette situation favorise le statu quo, l'empilement des savoirs et le compartimentage des connaissances plutôt que la prise de choix. Elle est légitime car il s'agit de l'engagement de la Nation en faveur de son école.

A quelles finalités doivent répondre les contenus des savoirs enseignés ? Pour définir le contenu du futur socle commun de fondamentaux, il est en effet important de définir précisément les acquis que tout jeune doit maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire pour pouvoir poursuivre ses études, avoir un maximum de chances de réussir son insertion dans le monde du travail, faire face aux aléas de sa vie professionnelle et assumer correctement sa vie de citoyen.

Quels savoirs doivent, en second lieu, être enseignés ? Il convient tout d'abord de changer nos méthodes si l'on veut mettre en œuvre les nouvelles priorités. La mission a ainsi écarté l'approche par discipline, qui n'est pas pertinente, car elle ne rend pas compte de la complexification du monde et de sa rapidité d'évolution, ainsi que l'ont exprimé toutes les personnes auditionnées. A côté des connaissances, il faut définir des compétences telles que la capacité à s'adapter, à comprendre et à apprendre. D'ailleurs, l'Europe, l'OCDE et l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme tendent à définir les connaissances moins pour elles-mêmes que du point de vue de la capacité à les utiliser dans des situations variées, c'est-à-dire à les associer aux compétences. Il serait pour autant absurde d'opposer compétences et connaissances, car les compétences se développent au travers de l'apprentissage des connaissances.

Plusieurs pays voisins - la Finlande, la Belgique, le Portugal et les Pays-Bas - ont d'ores et déjà intégré les compétences clés dans leur programme éducatif et ils sont tous devant la France dans les évaluations internationales. L'Union européenne a, de son côté, introduit un cadre de référence de huit compétences clés assorties des connaissances, des aptitudes et des attitudes correspondantes.

Le Parlement est donc bien dans son rôle lorsqu'il s'interroge sur ce que l'école doit transmettre aux enfants de ce pays. Dans cette perspective, six compétences clés ont été définies par la mission.

- La première compétence est de savoir communiquer dans sa langue, apprendre à mettre en mots sa pensée et tenir compte du contexte dans lequel on s'exprime. Cela mobilise l'aptitude à écouter, à comprendre, à formuler ses arguments de façon convaincante et à admettre d'autres points de vue que le sien.

- Il faut ensuite savoir travailler en équipe, coopérer avec autrui et savoir vivre ensemble ce qui nécessite de faire valoir son opinion de façon constructive, de travailler en réseaux et de savoir résoudre un conflit. Il s'agit là d'un élément très important, qui n'aurait sans doute pas été abordé il y a une dizaine d'années, et dont l'intérêt majeur a été souligné par une grande majorité des personnes auditionnées, aussi bien les représentants des employeurs que les confédérations syndicales.

- En troisième lieu, il est important d'encourager les élèves à se forger un esprit critique. A cet égard, l'exemple des technologies de l'information et de la communication (TIC) est très éclairant puisque toutes les personnes auditionnées ont situé leur apprentissage non pas dans une optique technique à des fins professionnelles mais comme un moyen de développer l'aptitude à rechercher, valider et trier de l'information.

- La quatrième compétence consiste à savoir se repérer dans le temps et dans l'espace. Comment en effet avoir un projet lorsqu'on n'a aucune notion de chronologie ? Comment se situer dans un monde sur lequel la télévision ouvre largement lorsqu'on n'a aucune notion d'espace ? L'un des principaux problèmes des 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire en situation d'échec est de se situer dans l'espace et dans le temps. C'est pourquoi chaque élève achevant sa scolarité obligatoire, qu'il ait ou non la nationalité française, doit savoir se repérer dans le fonctionnement de la société qui l'entoure, se repérer dans l'espace géographique, historique, culturel, institutionnel français et européen.

- Il est également important de développer le potentiel des élèves à apprendre, c'est la condition même pour pouvoir continuer à s'adapter, à progresser et à se former tout au long de la vie. On retrouve ici les aptitudes à se motiver face à la démarche d'apprendre, à organiser son travail et à acquérir un certain degré d'autonomie.

- Enfin, la sixième compétence consiste à assumer ses responsabilités, à s'impliquer, à s'engager et à mener un projet. Il s'agit là d'une compétence civique qui inclut la reconnaissance de l'intérêt général, l'acceptation de devoirs au-delà des droits. Il s'agit également de l'appropriation des grandes problématiques sociales, économiques et environnementales.

Dès lors, de quelle façon certains apprentissages peuvent-ils contribuer au développement de ces aptitudes ? La mission propose de retenir quatre domaines pris en exemple.

- Savoir parler, lire et écrire pour maîtriser sa langue est tout d'abord essentiel dans tous les domaines de connaissances. Le rapport contient des repères et des instruments de mesure sur le savoir-lire qui ont été fournis par divers interlocuteurs.

- Il faut également savoir accepter la complexité du monde. La quasi-unanimité des autorités scientifiques consultées a en effet mis en avant l'extrême importance d'une démarche qui consiste à faire approcher la science à partir des diverses formes d'intelligence sans accorder la primauté à l'abstraction ; développer la capacité d'observation et d'expérimentation ; établir un continuum entre les mathématiques, les sciences de la nature et la technologie de façon à ne passer que progressivement de la science aux sciences ; transmettre à tous, ce qui permet de réaliser que le monde n'est pas le fruit de processus magiques mais qu'il obéit à des lois rationnelles ; rechercher une tension vers le savoir, plutôt qu'une accumulation de savoirs. L'apprentissage de la science contribuera ainsi non seulement à la formation de l'esprit critique et rationnel mais aussi au développement des capacités langagières et à l'éducation morale et civique.

- Le troisième domaine d'apprentissage retenu est celui du travail manuel, de la technologie et des métiers. La mission souhaite mettre en avant le travail manuel qui est porteur d'une symbolique forte. Il permet d'abord d'apprendre à travailler avec ses mains et ainsi à maîtriser son geste au sens propre, ce qui contribue à se maîtriser au sens figuré. Il permet ensuite de revaloriser l'image des activités manuelles, ce qui est une des conditions de revalorisation de l'enseignement professionnel.

- Le quatrième et dernier domaine est celui de l'éducation physique et de l'apprentissage des règles et du respect des autres. La mission a auditionné Mme Marie-Thérèse Geffroy, directrice de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, et M. Aimé Jacquet, directeur technique national de la Fédération française de football. Tous deux ont démontré qu'il ne fallait pas négliger dans les apprentissages scolaires la préparation physique et mentale : gérer le stress et gérer l'effort permettent de décupler les capacités, et la pratique du sport apprend à rebondir sur des échecs.

La mission a ensuite réfléchi aux conditions d'une transmission réussie de ces connaissances et compétences. Cinq conditions sont mises en avant dans le rapport si l'on veut que les contenus définis soient réellement acquis par tous les élèves à l'issue de leur scolarité obligatoire.

- Tout d'abord, il faut personnaliser les temps et les modes d'apprentissage pour tenir compte des rythmes propres à chaque enfant.

- En second lieu, il faut décloisonner les disciplines. Le constat est, sur ce point, presque unanime. Seul ce décloisonnement, en donnant du sens aux savoirs et en abordant les sujets de façon transversale, répond au besoin de développement de l'élève préadolescent.

- La troisième condition tient à la valorisation des diverses formes d'intelligence. L'école survalorise les capacités à l'abstraction. Il est nécessaire de rééquilibrer les approches inductives et déductives, de prendre en compte les intelligences techniques et manuelles, de plus faire appel à la créativité, à l'innovation.

- La quatrième condition est de nourrir la motivation des élèves. La mission a auditionné M. Marcel Ruffo, pédopsychiatre, et M. Christophe André, psychiatre. Ils ont montré l'importance de la confiance en soi dans le parcours scolaire et personnel. Selon M. Marcel Ruffo, les troubles de l'estime de soi constituent le facteur majeur de l'échec scolaire et ils sont mal évalués et pas pris en charge. C'est surtout au plan de la stabilité de l'estime de soi que l'école joue un rôle déterminant.

- La dernière condition consiste à adapter notre système d'évaluation aux nouvelles priorités. La Finlande, par exemple, a mis au point une grille d'évaluation du potentiel à apprendre avec une batterie d'indicateurs faisant référence à des connaissances factuelles, et à des capacités de pensée et de raisonnement. Certaines attitudes sont prises en compte comme la motivation à apprendre, l'acceptation des tâches, l'autoévaluation, etc.

En conclusion, la mission d'information a acquis deux convictions.

Tout d'abord, la définition des « savoirs enseignés à l'école » devra être concertée pour être partagée ; c'est indispensable pour que le socle commun soit demain adopté par les enseignants et compris par les parents.

En second lieu, la définition des « savoirs enseignés à l'école » devra recevoir une légitimité démocratique. La loi d'orientation a renvoyé la définition des compétences et connaissances constituant le socle commun, à un décret pris après avis du Haut conseil de l'éducation (HCE), qui est une instance d'experts. Il faudra trouver une voie démocratique pour sa validation. Sans cette validation démocratique, la réforme se bloquera comme cela s'est toujours produit. Un mandat validé par la représentation nationale sera indispensable pour que le HCE et l'administration puissent mener à bien ces profonds changements. Le contenu scolaire touche à la compétitivité de notre économie, à la cohésion de notre société, à l'avenir de notre pays, à l'identité de notre Nation. Le Parlement a donc particulièrement vocation à en débattre et à en valider les grands éléments qui seront proposés par le pouvoir exécutif.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean-Michel Dubernard s'est interrogé sur la notion de validation démocratique des connaissances. Si l'on voit bien son intérêt dans l'idéal, on peut douter de son efficacité. N'existe-t-il pas d'autres structures qui se révéleraient moins sensibles aux pressions de certaines disciplines ?

Par ailleurs, on peut regretter le manque d'articulation dans le rapport entre les savoirs enseignés à l'école et l'enseignement supérieur. Les connaissances acquises à l'école doivent former un puzzle, cohérent et pluridisciplinaire, avant que l'étudiant ne se spécialise dans un parcours universitaire. Bon nombre de grandes découvertes ont été le fait de jeunes chercheurs qui trouvent des idées parce qu'ils sont encore très proches de leur formation scolaire générale. Ainsi, Watson a découvert la structure de l'ADN à 23 ans grâce à ses connaissances en géométrie de l'espace et en chimie acquises à l'école, avant de devenir généticien.

Mme Martine David a remercié le rapporteur pour sa synthèse complète des travaux de la mission d'information. Il est regrettable que ces travaux soient passés presque inaperçus, occultés par la discussion du projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école alors qu'ils sont de grande qualité et que les auditions ont été diverses et très intéressantes. Le rapport devrait toutefois permettre aux responsables du ministère de l'éducation nationale de prendre conscience qu'il existe des partenaires pouvant apporter des contributions importantes à la réflexion sur l'évolution du système éducatif. Il est également regrettable de ne disposer des résultats de la mission qu'après le vote de la loi d'orientation. Beaucoup d'éléments du rapport auraient pu être pris en compte par le ministre lors des débats.

La structure, le contenu et la conclusion du rapport reflètent bien l'état de notre système éducatif ainsi que les marges de progression et les remises en cause nécessaires. Il ne faut pas figer dans le marbre le contenu de la loi d'orientation et le rapport de la mission propose à juste titre d'autres voies d'évolution que la seule expertise technique.

Les deux éléments de la conclusion du rapport sont particulièrement importants : la concertation sur un socle qui ne doit pas être figé ; la légitimité démocratique de la validation du socle. Sur ce dernier point, il appartient au HCE de présenter des propositions mais elles ne seront qu'un avis d'experts enfermés dans leur coquille. Si on s'en tenait à cet avis, on commettrait une erreur et on passerait à côté de la véritable réforme. En outre, seul le Parlement pourrait rendre toute sa crédibilité au système éducatif. Aussi, dès lors que le contenu du socle n'a pas été inscrit dans la loi, l'Assemblée nationale pourrait-elle, dès la prochaine rentrée scolaire, organiser un débat sans vote sur cette question afin de montrer l'engagement des parlementaires.

Craignant que ses propos n'aient été mal interprétés, le président Jean-Michel Dubernard a précisé qu'il est favorable à l'organisation d'un débat sur l'école à l'Assemblée nationale, indiquant toutefois que l'influence des groupes de pression n'y est pas absente.

M. Yves Durand a également remercié le rapporteur pour la qualité de son travail et la diversité des personnes auditionnées, diversité d'opinion et de compétence. Au cœur de la mission se trouve une question qui, pour être ancienne, n'en demeure pas moins fondamentale : que doit-on apprendre à l'école ou, pour reprendre une expression célèbre, comment créer un nouvel « honnête homme » ? Claude Allègre, alors qu'il était ministre de l'éducation nationale du gouvernement de Lionel Jospin, avait organisé dans les lycées et sous la direction de M. Philipe Meirieu - auditionné par la mission - un débat sur les savoirs à enseigner.

Si l'on peut partager l'esprit et les conclusions du rapport présenté par M. Pierre-André Périssol, toutefois, la non-concomitance de ce rapport et de l'examen du projet de loi d'orientation est regrettable. De ce fait, le rapport, dont c'était pourtant le but, n'a pas pu alimenter le débat sur le projet de loi. Cependant, les lois ne sont pas figées - et celle-là moins qu'une autre en raison de sa vacuité - de telle sorte que des perspectives restent ouvertes. A ce titre, il serait souhaitable que le travail de la mission - qui dresse un état des lieux et soulève à bon escient de nombreuses questions - ne s'interrompe pas avec la publication du rapport et puisse se poursuivre, sous une forme qu'il reste à déterminer. Le sujet est d'une telle importance qu'une réflexion permanente est nécessaire. Cela pose évidemment la question du rôle et de la place du Parlement dans la définition des savoirs enseignés à l'école. Là encore, le débat n'est pas nouveau. Toutes les organisations syndicales d'enseignants sont favorables à ce que le Parlement décide du type de savoirs que doit transmettre l'école. Si cette dernière est au cœur de la société, le Parlement ne doit pas être écarté, fût-ce au profit d'un comité d'experts dont la composition n'est pas à l'abri de critiques. C'est ce qui se passe dans les pays du Nord comme la Finlande où le Parlement, s'il n'a pas vocation à définir précisément les programmes et les horaires de chaque discipline, se prononce sur la définition des savoirs et les finalités de l'école. Un débat parlementaire régulier sur l'école est donc nécessaire afin de procéder également à une évaluation du système éducatif. A l'évidence, le court débat budgétaire - qui constitue, à l'heure actuelle, la seule intervention régulière de la représentation nationale dans le domaine scolaire - n'est plus suffisante. Les experts doivent mettre en œuvre ce que le Parlement décide. Même la Cour des comptes n'a pas de légitimité démocratique pour décider quoi que ce soit. C'est pourquoi le travail de la mission doit être pérennisé, par exemple, sous la forme d'un groupe de travail.

Le président Jean-Michel Dubernard a répété qu'il est favorable à l'organisation d'un débat régulier sur l'école au Parlement mais pas à la prolongation des travaux de la mission, faute d'un outil juridique approprié. L'Assemblée nationale ne dispose pas d'une commission de l'éducation pouvant assurer la permanence de tels travaux, comme c'est le cas actuellement en Finlande ou l'a été en France sous la IIIe République où cette commission a notamment été présidée par Paul Bert, physiologiste précurseur des greffes animales.

Mme Corinne Marchal-Tarnus a félicité le rapporteur pour son travail et notamment pour le courage avec lequel il a su porter des idées qui n'étaient pas toujours accueillies favorablement. L'école est le premier facteur de cohésion sociale et elle a vocation à former les jeunes en vue de leur vie d'adulte. Dans la poursuite de cet objectif, le système scolaire français rencontre à tous les niveaux - formation des maîtres, sédimentation des programmes, etc. - des difficultés qui sont essentiellement d'ordre structurel. Toutes les approches transversales, par compétences, du système éducatif ont fini par échouer faute d'adhésion des enseignants qui ne sont pas préparés à cela. Pour surmonter les difficultés, il importe, comme l'a très bien fait la mission, de trouver un consensus entre les différentes sensibilités politiques et de replacer le Parlement au centre d'un débat dont l'enjeu est l'avenir des enfants. Les orientations qui seront proposées par le Haut conseil de l'éducation créé par la loi d'orientation seront d'autant plus légitimes, et auront d'autant plus de chances de devenir réalité, qu'elles auront fait l'objet d'une validation par le Parlement.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a indiqué que le champ de la mission était celui de la scolarité obligatoire. Toutefois il y a lien entre les travaux de la mission et l'enseignement supérieur puisque le rapport, faisant écho aux propos tenus par différentes personnes auditionnées, préconise une pédagogie fondée sur le développement de capacités et de compétences clés et sur l'exercice de l'esprit critique plutôt que sur l'acquisition pure et simple de connaissances - que les élèves n'ont d'ailleurs pas le temps d'assimiler - ce qui les prépare mieux à des études ultérieures.

L'intervention du Parlement pour valider un cahier des charges qui s'imposera aux experts apparaît comme un élément fondamental. Le témoignage de M. Luc Ferry recueilli par la mission est sur ce point très éclairant : ancien président du Conseil national des programmes et ancien ministre de l'éducation nationale, il a connu le versant « expert » et le versant « politique ». Or, fort de cette expérience, il estime impératif la consultation du Parlement car lui seul dispose de la légitimité nécessaire pour faire face aux groupes de pression disciplinaires. Ces derniers structurent l'ensemble du système éducatif et seul le Parlement peut leur imposer une approche différente des enseignements. Le Parlement n'est peut-être pas insensible aux lobbies mais, pour sa part, la mission s'en est émancipée en définissant des objectifs prioritaires. Même l'éducation physique et sportive n'est pas traitée dans le rapport comme une discipline mais comme un instrument pour développer les capacités. Reste à trouver le moyen juridique le plus adéquat pour associer le Parlement à cette validation. Il ne s'agit pas, pour la représentation nationale, de faire un coup de force mais, fort légitimement, de prendre position dans un débat fondamental pour la société et de soutenir ainsi l'action du gouvernement.

Puis la commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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La commission a entendu Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes - n° 2214.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que la commission commence aujourd'hui, avec cette audition, l'examen du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Ce texte attendu offre une palette renouvelée de mesures dont la diversité mais aussi la cohérence tendent à un objectif principal : la suppression, dans les cinq ans, des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.

Quel chemin parcouru depuis la présentation par la ministre, lors du conseil des ministres du 24 juillet 2002, de vingt-cinq propositions en faveur de l'égalité professionnelle ! De la table ronde du 19 décembre 2002 à celle du 15 juillet 2003, sans compter les innombrables réunions avec les partenaires sociaux, c'est un réel travail de dialogue social qui a été mené. Fruit de ce travail, l'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes a été signé par l'ensemble des partenaires sociaux. Certaines des mesures qu'il contient ont déjà été reprises dans la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 ; d'autres inspirent le présent projet. Il faut enfin mentionner le label égalité, lancé le 28 juin 2004, qui vise à valoriser tout organisme qui met en œuvre des actions exemplaires en matière d'égalité professionnelle. Une dizaine d'entreprises ont ainsi été récompensées fin mars.

C'est à l'aune de ces évolutions que ce texte doit être apprécié. Il comporte de nombreuses avancées, qu'il s'agisse de l'égalité salariale - entendue au sens large, comme prenant en compte l'ensemble rémunération principale et rémunérations accessoires -ou de la conciliation entre emploi et parentalité. Il s'inscrit aussi dans la continuité des lois qui ont ouvert la voie sans toujours tenir toutes leurs promesses. Enrichir les dispositifs existants pour en accroître l'efficacité, c'est bien l'enjeu de ce débat.

Sans doute certains esprits chagrins s'indigneront-ils que soit présentée une nouvelle loi, qui ne saurait suffire à faire évoluer les mentalités. Mais si, depuis cinquante ans, les écarts de rémunération diminuent continûment, c'est aussi grâce à l'adoption de lois successives. Et c'est parce que, depuis 1995, ces écarts semblent se stabiliser qu'il était important de reconsidérer ce problème. La démarche engagée est donc pleinement volontaire. Elle est aussi responsable, car elle vise à assurer un équilibre délicat entre l'entière liberté de la négociation collective et des mécanismes permettant d'en renforcer l'effectivité.

Après avoir remercié le président Jean-Michel Dubernard, le rapporteur ainsi que l'ensemble des commissaires pour leur importante contribution à ce débat, Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, a indiqué que la démarche poursuivie avec ce projet consiste à donner un contenu à l'égalité, car on s'est aperçu que proclamer ce droit ne suffit pas s'il ne se traduit par concrètement dans la réalité de la vie quotidienne des Françaises. S'agissant plus particulièrement de l'égalité salariale, dont le principe était inscrit déjà dans le traité de Rome, et en faveur de laquelle un grand nombre de dispositions ont été prises depuis des années, le fait même qu'un différentiel persiste entre la situation des hommes et celle des femmes, en particulier en ce qui concerne les rémunérations, montre l'inachèvement d'un engagement pourtant fondamental. C'est donc au nom de la justice et de la cohésion sociale, ainsi que du dynamisme de l'économie, qu'il faut aujourd'hui franchir un cap et aller vers une véritable conduite du changement au sein des entreprises. C'est l'objectif de cette loi, qui conforte les textes antérieurs sans jamais les remettre en cause, en particulier celui que nous devons à Mme Catherine Génisson, qui a posé des jalons importants.

Mais ce débat intervient dans un contexte nouveau marqué par une méthode qui privilégie le dialogue social et qui est particulièrement important dans l'esprit de gouvernance. Il faut donc que les acteurs économiques et sociaux, le gouvernement et le Parlement s'engagent résolument. Là aussi, la loi vient conforter une tradition ancienne et respecte les accords déjà conclus

Autre point très important, ce texte répond à la volonté clairement exprimée par le Président de la République de s'inscrire dans une logique de résultats. Parce qu'il s'agit d'une urgence sociale, économique et démocratique, il faut avoir atteint l'objectif fixé dans cinq ans. Cette loi doit donc être une étape décisive, définitive.

Le contexte démographique paraît plutôt favorable à son succès. En effet, la France va se trouver privée de centaines de milliers de compétences pour des raisons démographiques. Cela conduit les entreprises à repenser leur gestion des ressources humaines, qui deviennent tout à fait essentielles : la valorisation et la fidélisation des compétences, l'attractivité de l'entreprise doivent être repensées en fonction du capital humain. Les entreprises devraient donc être incitées à s'engager en faveur de ce texte qui parie à la fois sur la confiance dans les acteurs de l'entreprise et sur l'idée de généraliser par la loi le dialogue social sur une question aussi essentielle.

Pour cela, un dispositif novateur subordonne l'application des accords salariaux obligatoires à l'ouverture effective de négociations sur cette question. Les accords de branche ne pourront être étendus que dans les mêmes conditions. C'est une façon de responsabiliser les acteurs sans prévoir de pénalité financière dès l'origine, ce qui aurait pu être perçu comme une marque de défiance.

Il est par ailleurs obligatoire, dans la mesure où l'on s'inscrit dans une logique de résultats, d'évaluer les effets de la loi à moyen terme. Des indicateurs permanents d'évaluation et de suivi sont donc prévus, ainsi qu'un bilan à l'occasion d'une conférence annuelle entre partenaires sociaux et gouvernement. En fonction des résultats effectifs de l'application de la loi, si le besoin s'en fait sentir, une taxe pourra être assise sur la masse salariale pour contraindre les entreprises qui n'ont pas voulu jusque-là à s'engager dans le dispositif.

L'autre grand volet du texte est la neutralisation de la maternité au regard des évolutions de salaire et de carrière, car c'est aussi en s'inscrivant dans une logique de valorisation des compétences qu'on relèvera le défi de l'emploi féminin et de la démocratie.

La France dispose d'un bon modèle social qui peut inspirer l'Europe. Les femmes travaillent dans une grande proportion - 80 % des 25-49 ans - et on constate non seulement que plus elles travaillent, mieux elles travaillent, mais aussi que plus elles accèdent à un emploi stable, plus elles ont d'enfants. Contrairement à ce qui se passait au XXe siècle, les femmes ont besoin d'assurer leur autonomie professionnelle pour faire les choix familiaux qui leur conviennent. C'est pour cela que le texte vise à ce que les femmes participent à l'évolution générale des salaires sans que leur absence les pénalise. Car, dans les faits, ce n'est pas ainsi que les choses se passent : les salaires et les carrières stagnent au retour du congé de maternité. Pis, les jeunes filles intègrent ces éléments quand elles font leurs choix professionnels, admettant de facto que les femmes ne peuvent pas réaliser leurs propres ambitions. Elles sont à ce point dans la culture du compromis qu'elles considèrent en fait comme acquise l'impossibilité d'être mère tout en poursuivant sa carrière.

Il est donc très important de réparer cette injustice et de favoriser pour cela la conduite du changement dans les entreprises afin que les femmes ne soient pas empêchées de faire ce choix personnel de la maternité, qui est tellement important pour la Nation.

Le dispositif proposé consiste donc à les faire bénéficier de l'augmentation générale et de la moyenne des augmentations individuelles de salaire de leurs catégories professionnelles pendant leur congé de maternité. Une mesure d'incitation supplémentaire a été prévue pour les PME, sous la forme d'une aide d'environ 400 euros. C'est une façon de répondre à leurs contraintes de gestion et de permettre aux plus petites entreprises de participer pleinement à la conduite du changement.

A ces deux mesures essentielles s'ajoutent des dispositions en matière de formation et de prise en compte des frais de garde. La priorité donnée à l'égalité professionnelle est aussi réaffirmée dans les entreprises publiques.

Sans doute aurait-il fallu aller plus loin en matière de formation et de temps partiel, mais il a semblé important de se concentrer sur les questions les plus emblématiques pour les femmes et pour les entreprises car il faut bien aller vers un véritable changement de culture. D'ailleurs, un certain nombre d'entreprises ont compris qu'il était aussi de leur propre intérêt de valoriser les compétences et de mettre un terme à un contresens économique et démocratique. La loi doit pousser cette démarche.

Après l'exposé de la ministre, le président Jean-Michel Dubernard a déclaré que la ministre pouvait compter sur la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour contrôler et pour évaluer. S'appuyant sur la modification du Règlement de l'Assemblée nationale, résultant d'une proposition de résolution déposée par M. Jean-Luc Warsmann et adoptée le 12 février 2004, elle a en effet décidé de recevoir, six mois après la publication d'une loi, le ministre concerné pour faire le point des décrets d'application. Elle a ainsi auditionné M. Philippe Douste-Blazy sur les lois relatives aux retraites, à l'assurance-maladie, à la santé publique et à la bioéthique.

M. Edouard Courtial, rapporteur, après avoir exprimé son soutien aux objectifs et à la philosophie générale de ce texte, a rappelé que le principe « à travail égal et performance égale, salaire égal » devrait être un principe intangible et que toute mesure visant à satisfaire cet objectif répond ainsi à une exigence de justice sociale.

Mais ce projet a aussi une dimension économique, tout aussi importante. Dans les prochaines années, la France sera confrontée à des départs massifs à la retraite. Pour satisfaire l'offre de travail qui en découlera, il faudra probablement attirer sur le marché du travail de nombreuses femmes, qui constituent un gisement insuffisamment exploité de main d'œuvre qualifiée et compétente. Encore faut-il que ces femmes se sentent accueillies dans de bonnes conditions, tant sur le plan salarial que pratique.

La philosophie générale de ce texte, c'est-à-dire celle de l'équilibre, est bonne : équilibre entre la responsabilisation des partenaires sociaux et l'intervention de l'Etat ; équilibre entre la reprise d'éléments des lois précédentes et l'introduction de nouvelles dispositions visant à en renforcer l'efficacité ; équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Parce que l'égalité professionnelle est un sujet de société, certains affirment que, pour la promouvoir, il conviendrait plutôt de faire évoluer les mentalités que la loi. Mais la loi peut accélérer les évolutions en véhiculant des messages forts qui favorisent une prise de conscience collective. Elle est donc nécessaire.

Pour atteindre l'objectif de suppression des écarts de rémunération, les dispositions proposées au titre Ier du projet visent à une certaine exhaustivité : elles concernent tant la rémunération principale que les éléments accessoires, en particulier en matière d'intéressement ou de distribution d'actions. Sans doute certaines questions subsistent-elles, tant chez les responsables d'entreprises que chez les universitaires et les partenaires sociaux, qui en ont fait part au rapporteur à l'occasion de leur audition.

Cela vaut notamment pour la garantie relative aux augmentations dont bénéficierait la salariée à son retour de congé de maternité. Aussi serait-il souhaitable que la ministre apporte des précisions sur la manière dont cette mesure, qui fait l'objet de l'article 1er, sera appliquée dans les entreprises, notamment les plus petites.

Les articles 3 et 4 fondent le socle du projet et illustrent bien l'idée d'équilibre. Le respect de la négociation collective en représente le coeur, conformément à l'ensemble de la démarche engagée par le ministère de la parité depuis trois ans.

Des précisions doivent toutefois être apportées :

- La subordination de l'extension des accords de branche au traitement d'un sujet particulier avait déjà été introduite pour le thème de l'égalité professionnelle, sans produire de réels résultats. Quelles mesures pourraient être prises pour que les nouvelles dispositions soient davantage respectées ?

- De plus, le texte mentionne que l'ouverture de négociations est requise, tant dans la branche que dans l'entreprise. Il n'est pas question que l'Etat interfère dans la négociation, mais ne peut-on pas apporter des précisions, qui pourraient relever du domaine réglementaire, pour éviter des négociations purement formelles, en s'inspirant de la notion de négociation loyale et sérieuse ?

- Enfin, il apparaît nécessaire de réfléchir dès maintenant à la forme que prendra le bilan à mi-parcours, prévu au II de l'article 4.

Le second titre du projet est consacré à la conciliation de la vie professionnelle et de la parentalité. Les mesures proposées forment un tout cohérent, dont la pertinence a été soulignée par tous. La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale fait partie des préoccupations majeures des salariés. Le gouvernement a d'ailleurs beaucoup œuvré, depuis trois ans, à la favoriser. Pour rendre encore plus efficace la loi, ne serait-il pas possible de conditionner l'octroi de certaines aides à l'engagement de l'entreprise en faveur de l'égalité professionnelle et de cette conciliation ? Ne pourrait-on majorer le montant de l'aide forfaitaire évoquée à l'article 7 pour les entreprises les plus vertueuses sur le plan de l'égalité professionnelle ?

Les deux derniers titres du projet comprennent des mesures fort intéressantes relatives à l'accès des femmes à des instances délibératives et juridictionnelles ainsi qu'à la formation professionnelle. Ne pourrait-on aller plus loin en promouvant la mixité dans d'autres instances de décision économique ou dans d'autres juridictions composées de magistrats non professionnels ?

Il est par ailleurs nécessaire de relancer la parité en matière de formation professionnelle, d'apprentissage en particulier. Dans les très petites entreprises et les entreprises artisanales, de nombreux emplois ne sont plus occupés, faute de main d'œuvre qualifiée. Le gouvernement a engagé, avec le plan de cohésion sociale, une vaste relance de l'apprentissage, avec pour objectif d'atteindre 500 000 apprentis en cinq ans. Dans ce cadre, il faudra porter un regard particulier sur l'apprentissage des femmes, qui sont absentes de filières professionnelles entières, et mener une réflexion d'ensemble sur la prise en compte de l'objectif d'égalité professionnelle dans les dispositifs d'aide à l'emploi.

Le rapporteur a conclu en remerciant la commission d'avoir donné à un jeune élu, homme, la chance d'être le rapporteur de ce texte porteur d'avenir.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a rappelé que le rapporteur est aussi vice-président de la délégation aux droits des femmes et a remercié le président Jean-Michel Dubernard d'avoir saisi la délégation, qui a mené un important travail d'évaluation de la loi de 2001 sur les inégalités professionnelles. En effet, il ne faut pas oublier que cette loi prolonge les textes antérieurs de 1972, 1983 et 2001. Pour autant, les mentalités n'ont pas beaucoup changé, ce qui doit faire prendre conscience à chacun de l'importance de suivre l'application de la loi. La ministre doit donc être remerciée de soutenir le contrôle et l'évaluation régulière. Il est important de négocier non seulement sur l'égalité salariale, mais également sur l'égalité professionnelle, car l'objectif d'égalité salariale ne peut être atteint que si l'on prend en compte l'ensemble des inégalités professionnelles qui touchent les femmes.

Les recommandations de la délégation en vue d'améliorer le texte portent sur trois thèmes principaux : rendre la négociation plus efficace ; mieux prendre en compte maternité et parentalité dans l'entreprise ; assurer une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes dans les instances professionnelles et les instances de décision.

En premier lieu, la délégation, sans vouloir que la loi interfère dans le déroulement des négociations, qui sont de la responsabilité des partenaires sociaux, souhaite que l'exigence d'engager sérieusement et loyalement des négociations soit affirmée dans le texte, comme c'est le cas pour les négociations relatives au travail de nuit. Il faut donc se réjouir que le rapporteur ait insisté sur ce point.

Consciente de l'importance du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle (CESP), auquel le texte donne un travail de bilan et d'évaluation, la délégation considère qu'il doit également contribuer à élaborer les outils permettant de mesurer les écarts de rémunération et préciser le contenu des indicateurs pertinents. C'est l'ensemble des rémunérations et les parcours professionnels, et non pas seulement les salaires, qui devront être pris en compte pour parvenir à un véritable rattrapage salarial.

Il n'appartient pas à ce projet de prévoir que le gouvernement pourra présenter un nouveau projet de loi qui mettrait une contribution financière à la charge des employeurs ne satisfaisant pas à l'obligation d'ouverture de négociations de rattrapage salarial. Cette disposition de l'article 4, qui revient à prévoir l'échec du texte avant même son entrée en vigueur, doit être supprimée.

Il apparaît également essentiel à la délégation de sensibiliser et de former les inspecteurs du travail aux problèmes d'égalité salariale et professionnelle et de donner un statut aux délégués régionaux et chargés de mission départementaux aux droits des femmes, qui doivent s'impliquer fortement dans la mise en œuvre de la politique d'égalité salariale et professionnelle.

La délégation n'estime pas opportun d'imposer la majoration automatique des rémunérations des salariées, en retour de congé de maternité, de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant ces congés par les salariés relevant de leur catégorie. Cette disposition, qui pose des problèmes de confidentialité, paraît complexe, contre-productive et source de contentieux.

Il faudrait par ailleurs faire davantage référence dans le texte à la conciliation entre activité professionnelle et vie personnelle, ce qui est une façon d'insister sur l'égalité entre homme et femme, dans la mesure où chacun peut faire son choix de vie.

La délégation estime que la représentation des femmes dans les élections professionnelles - comités d'entreprises, prud'hommes, commissions administratives paritaires - devrait refléter la proportion d'hommes et de femmes de chaque collège électoral, entreprise ou corps de fonctionnaire.

Elle souhaite également ouvrir les conseils d'administration des entreprises, publiques et du secteur privé, à la représentation des femmes, en fixant un objectif d'au moins 20 % de représentants de chacun des deux sexes.

Enfin, la délégation considère que ce projet doit être l'occasion de transposer les dispositions relatives au harcèlement sexuel sous toutes ses formes sur le lieu de travail de la directive du 23 septembre 2002. Il serait particulièrement utile de donner à cette occasion une définition juridique au mot « sexuel », afin d'éviter des contentieux inutiles.

Telles sont les observations de la délégation, qui espère qu'elles pourront être reprises sous forme d'amendements afin de donner toutes ses chances de réussite à un texte dont l'objectif fondamental est partagé par tous et toutes.

Mme Catherine Génisson a souligné que ce texte est examiné dans un contexte économique et social difficile, marqué par un taux de chômage de plus de 10 %, dans lequel la situation des femmes se dégrade, y compris quand elles travaillent, en raison de la précarité. Une des causes en est bien évidemment le temps partiel, le plus souvent subi. Dans ce cas, il ne s'agit plus d'inégalité salariale mais d'inégalité tout court. Au nom de la justice et de la cohésion sociale invoquées par la ministre, il est impossible de ne pas traiter ce sujet, surtout quand on sait que la grande majorité des 3,5 millions de personnes qui travaillent et qui sont en dessous du seuil de pauvreté sont des femmes, des travailleuses pauvres.

Par ailleurs, en dépit de tous les outils législatifs et réglementaires utilisés depuis qu'on cherche à réduire les inégalités, ces dernières persistent. Elles sont dues bien sûr à la situation des femmes sur leur lieu de travail, dans l'entreprise comme dans les fonctions publiques, où le fameux plafond de verre existe aussi, mais qui sont un peu les oubliées de ce projet de loi.

Parmi les nombreux facteurs qui expliquent les inégalités, la formation initiale est un sujet majeur qui mériterait également d'être davantage traité. Il est dommage qu'il ait fallu un amendement d'origine parlementaire, adopté à l'unanimité, pour rappeler dans la loi d'orientation pour l'avenir de l'école l'importance de l'orientation, qui fait que 60 % des femmes sont concentrées dans 30 % des métiers, toujours les mêmes : services et professions intermédiaires.

Autre sujet capital, l'articulation des temps de vie. Aux obstacles culturels s'ajoutent les écarts entre les situations professionnelles des hommes et des femmes puisque, quand la différence de salaires atteint 20 à 30 %, il est difficile à un couple de faire le choix que l'homme s'investisse dans la vie familiale à la même hauteur que la femme.

Il est donc impératif de passer de droits formels des femmes à des droits réels et on peut se demander si une loi est vraiment nécessaire pour cela ou si c'est surtout d'action politique qu'il s'agit. En la matière, la détermination de la ministre est certaine. Mais, dans la mesure où est intervenu, fait exceptionnel dans le contexte actuel, un accord national interprofessionnel entre l'ensemble des partenaires sociaux, est-il vraiment nécessaire de légiférer, d'autant que traiter uniquement l'égalité salariale et le congé maternité semble certes intéressant, mais très réducteur ? Et il est également dommage, si les inégalités sont largement dues à la discontinuité du parcours professionnel, de ne s'intéresser de ce point de vue qu'aux congés de maternité.

Il aurait aussi fallu dire que, si l'élément le plus criant est l'inégalité salariale, un grand nombre d'autres discriminations frappent les femmes, en particulier à l'embauche, à l'accès à la promotion, à la formation, et que c'est en s'attaquant aux causes de ces phénomènes qu'on réglera le problème de l'égalité salariale.

Il faudrait également disposer d'outils pour évaluer la situation des salariés et des négociations dans les très petites entreprises et les PME. Il est difficile d'imposer un rapport de situation comparée dans les entreprises de trois ou quatre salariés, mais c'est pourtant là que l'on crée le plus d'emplois et qu'il y a le plus d'inégalités.

C'est à juste titre que le rapporteur a insisté, comme la présidente de la délégation aux droits des femmes, sur la conduite de la négociation sociale. On sait par ailleurs .que la présence des femmes dans les lieux de décision a une grande influence sur la qualité de ces décisions et il aurait donc été judicieux que le texte traite de la représentation des femmes. Les syndicats ont certes fait des progrès au niveau national, mais il y a encore trop peu de déléguées syndicales dans les négociations.

Enfin, la logique de résultats à cinq ans n'entre-t-elle pas en contradiction avec l'obligation de négociation spécifique dans les trois ans prévue par la loi du 9 mai 2001 ?

S'agissant plus précisément des articles du projet, le fait d'introduire, à l'article 1er, à côté du rattrapage des augmentations générales de salaire, celui de la moyenne des augmentations individuelles, n'est-il pas extrêmement compliqué, car il s'agit de données confidentielles dont la divulgation pourrait donner lieu à contentieux. On peut même imaginer que cette mesure soit contre-productive si l'entrepreneur bloquait toute augmentation individuelle pendant le congé de maternité. Elle pourrait en revanche avoir valeur pédagogique, en incitant à revenir à la gestion collective des salaires, alors qu'on privilégie plutôt actuellement l'accord individuel.

L'article 4 paraît particulièrement malvenu. En effet, outre que la pénalité assise sur les salaires si la loi n'a pas été suffisamment appliquée dans les deux ans et demi suivant son entrée en vigueur pourrait être immédiatement mise en œuvre, tant les entreprises sont réticentes à négocier, on délivre ainsi un message bien négatif puisqu'on envisage d'emblée l'échec de la loi.

L'article 7 suscite également beaucoup d'interrogations en instituant une prime stigmatisante à la femme qui accouche au profit des PME. On comprend mal ce qui motive cette mesure puisque les entreprises ne paient pas le salaire pendant le congé de maternité et qu'elles ne sont donc nullement pénalisées, à la différence des femmes, qui ne perçoivent que le traitement de base de la sécurité sociale.

Enfin, l'article 15 pose également problème dans la mesure où il s'inscrit dans une logique plus égalitariste qu'égalitaire.

Après avoir apporté son soutien aux recommandations de la délégation aux droits des femmes et annoncé que son groupe déposerait des amendements sur chacun des points soulevés par Mme Marie-Jo Zimmermann, Mme Muguette Jacquaint a, à son tour, insisté sur le contexte économique difficile, dans lequel les femmes, particulièrement frappées par le chômage, se voient proposer, de façon insultante, des emplois précaires. Ainsi, dans son département, la RATP a offert le 8 mars - beau cadeau pour la journée de la femme ! - d'embaucher des femmes à temps partiel, bien évidemment hors statut...

Il est par ailleurs dommage que le texte ne traite pas de la formation qui joue pourtant un rôle très important dans les inégalités professionnelles.

Comment, par ailleurs, ne pas douter de l'application effective de ce texte quand on voit que tous ceux qui l'ont précédé sont largement restés lettre morte ? On peut en particulier s'interroger sur son suivi dans les entreprises, dans la mesure où les inspecteurs du travail ne sont pas assez nombreux et où les procureurs de la République, débordés, classent le plus souvent sans suite les constats de discrimination.

Enfin, si le texte met l'accent sur le congé de maternité, il ne faut pas oublier que les jeunes femmes et celles qui n'ont pas d'enfant sont aussi victimes de discrimination.

Mme Martine David a souligné à quel point le temps partiel subi est un facteur essentiel d'inégalité. Pour que ce texte soit véritablement emblématique pour les femmes, comme l'a souhaité la ministre, il aurait été indispensable de traiter ce sujet. On ne peut qu'être déçu que tel n'ait pas été le cas, car des centaines de milliers de femmes sont dans une situation sociale, humaine, économique, donc démocratique, déplorable.

Ce texte n'apportera rien d'autre que l'amélioration d'un certain nombre de parcours individuels ; il ne répond en rien aux difficultés essentielles. C'est donc une occasion manquée.

En réponse aux intervenants, la ministre a rappelé que l'inégalité est bien la cible de ce texte qui met l'innovation sociale au service de l'emploi. Aujourd'hui encore, un certain nombre de femmes ne sont pas à la place à laquelle elles devraient être dans l'emploi en raison des inégalités salariales. Cette loi marquera donc bien un progrès social pour toutes celles qui vivent l'inégalité salariale comme une barrière sociale et culturelle au sein des entreprises. En outre, parce qu'elle porte la marque de la culture des changements, elle permettra d'aborder ensuite d'autres sujets comme le temps partiel et la formation, dont nul ne mésestime l'importance.

La règle qui consiste à permettre aux femmes, à l'issue du congé de maternité de bénéficier, en plus de l'augmentation générale des salaires intervenue, de l'augmentation moyenne individuelle, n'est que justice ; elle a été expertisée et fonctionne déjà dans un certain nombre d'entreprises. L'option alternative consistant à prendre en compte les augmentations individuelles antérieures de la personne concernée pourrait poser problème pour les femmes nouvellement entrées dans l'entreprise et avoir comme effet pervers de freiner l'augmentation des jeunes femmes, pour ne pas avoir à les faire bénéficier de leur propre parcours. C'est en tenant compte de l'avis du Conseil d'État et après consultation des partenaires sociaux que le gouvernement a retenu une approche équilibrée.

En ce qui concerne l'efficacité des accords, une réunion avec l'ensemble des inspecteurs et des directions du travail est prévue en juin. Une circulaire permettra de veiller à une application très stricte de ces accords, ce qui est essentiel.

Contrairement à ce qui a été dit, prévoir un bilan à mi-parcours, c'est faire le pari de la responsabilité et du résultat. Prévoir une pénalité financière dès l'origine aurait été au contraire l'expression d'une défiance vis-à-vis des entreprises. Le gouvernement s'est placé dans une démarche plus positive qui consiste à dire que, puisque les partenaires sociaux sont engagés avec une détermination sans précédent dans le dialogue social, il faut d'abord leur faire confiance. Ensuite, si le dispositif n'est pas satisfaisant, la taxe sera instaurée à mi-parcours, dans trois ans. Cette mesure a été approuvée par l'ensemble des partenaires.

Le rapporteur a par ailleurs évoqué l'idée d'un encouragement financier en fonction des efforts fournis par l'entreprise. Il faut toutefois rappeler que le crédit impôt famille va déjà permettre d'aider de façon significative les entreprises qui s'engagent résolument dans une politique d'égalité professionnelle. Ce dispositif porte ses premiers fruits avec les projets de crèche d'entreprise ou interentreprises, qui profitent également à ces dernières et offrent un bon équilibre entre justice sociale et atout économique. Quand le groupe PSA constate que l'égalité est un gage d'efficacité économique, c'est un succès pour tous ceux qui ont travaillé sur ces sujets, car on n'est plus seulement dans l'idée d'un rattrapage social mais dans celle de la valorisation du travail des femmes et de leurs performances.

Le travail en faveur de la mixité dans l'apprentissage est déjà engagé. Des efforts sont également faits pour une traduction de l'idée d'égalité entre les hommes et les femmes dans le plan de cohésion sociale. M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique, a également engagé une consultation du Conseil supérieur de la fonction publique qui devrait permettre à l'État d'être exemplaire, car on ne peut demander aux entreprises de porter seules l'égalité professionnelle.

Le travail accompli par Mme Marie-Jo Zimmermann à la tête de la délégation aux droits des femmes est remarquable et il faut, en effet, inscrire les négociations dans une démarche « sérieuse et loyale ».

Le conseil supérieur de l'égalité professionnelle sera chargé d'un certain nombre de missions relatives aux indicateurs, en particulier de définir les critères d'évaluation de la loi. Les inspecteurs du travail seront spécialement chargés de cette évaluation sur le terrain. La contribution financière, il faut y insister, s'inscrit dans l'objectif de réussite du plan. S'il s'agissait de miser sur un échec, elle aurait été instituée immédiatement. Ce dispositif paraît efficace aux partenaires sociaux. Les entreprises, en particulier, s'engagent en faveur d'une montée en puissance rapide, au bénéfice de l'économie comme de la démocratie.

Les délégués régionaux seront intégrés au service de l'emploi. En dépit d'un budget serré, il faut qu'ils soient l'interface entre la vie économique locale, les droits des femmes et l'administration.

S'agissant de la conciliation entre vie personnelle et professionnelle, si le texte insiste surtout sur la maternité, il est évident que c'est plus globalement à l'articulation des temps et à la présence des femmes dans l'entreprise qu'il faut s'intéresser.

Toutes les directives européennes ont été transposées. Il est vrai que la question du harcèlement sexiste reste en suspens, mais la loi récemment adoptée sur les propos sexistes permet d'introduire la notion de sexisme dans le droit positif français. Le fait de le sanctionner au même titre que le racisme constitue une avancée.

Comme l'a souligné Mme Catherine Génisson, alors que le temps partiel pourrait être une très bonne solution, il est aujourd'hui source d'inégalités. Si ce sujet ne figure pas dans la loi, c'est tout simplement parce qu'il relève, à leur demande, de la concertation qui va s'ouvrir dans les prochaines semaines avec les partenaires sociaux. Des propositions pourront ensuite être faites pour progresser sur un dossier essentiel car le lien entre précarité et inégalités étant évident, la consolidation dans l'emploi est la réponse appropriée.

Un plan va être prochainement lancé, avec les grands organismes qui en ont la charge, pour améliorer dans, les trois ans qui viennent, la formation des femmes, grâce en particulier à la validation des acquis de l'expérience. Cela permettra aussi qu'elles prennent toute leur place dans les entreprises dans le cadre du revirement démographique qui s'annonce.

Le projet de loi ne s'oppose pas au dialogue social, il en est le produit et peut même en être la concrétisation. Il renforce les lois existantes, qui ne sont pas suffisamment appliquées. S'il insiste tant sur la maternité c'est parce qu'elle est déterminante dans les choix d'orientation professionnelle que font les jeunes filles. A l'heure actuelle, elles se placent souvent dans une situation de renoncement ou de compromis. Mettre l'accent sur ce point est donc important pour les femmes comme pour les entreprises. L'aide forfaitaire qui est accordée à ces dernières n'est pas une prime pour les femmes, mais une aide aux entreprises, une prime d'ingénierie destinée à faciliter le remplacement de la personne qui part en congé de maternité. Il s'agit d'assouplir cette période qui est souvent mal vécue par les entreprises.

Il est vrai par ailleurs que l'amont et l'environnement des entreprises sont largement concernés par les inégalités puisque les questions d'orientation, de formation, de mode de garde ou de culture jouent directement. Mais les progrès devraient être rapides. Les changements déjà intervenus dans certaines entreprises montrent que la dynamique des salaires et des carrières est profondément modifiée en relation avec la lutte contre les inégalités. C'est un effet évident d'une nouvelle culture d'entreprise. Cette loi aura donc un effet déclencheur, elle permettra de fixer un cap nouveau, c'est pourquoi la ministre y consacrera toutes ses forces.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié la ministre pour cet échange qui a vivement intéressé les membres de la commission, ce qui laisse espérer un débat passionnant en séance publique.

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La commission a examiné, sur le rapport de M. Edouard Courtial, le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes - n° 2214

Compte tenu de l'échange très nourri avec la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, le rapporteur a indiqué qu'il n'avait pas d'autres observations à formuler, au titre de la discussion générale, mais se réservait la faculté de proposer des amendements à la commission lors de sa prochaine réunion.

Le président Jean-Michel Dubernard a pris acte de ce que les commissaires présents ne souhaitaient pas s'exprimer au titre de la discussion générale du projet de loi, l'audition de la ministre ayant permis à chacun de s'exprimer longuement.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Yvan Lachaud, membre de la mission d'information sur la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l'éducation et de la formation artistiques, en remplacement de M. Pierre-Christophe Baguet, démissionnaire.


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