COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 16 novembre 2005
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Pierre Morange, vice-président.

SOMMAIRE

 

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- Rapport d'information sur l'organisation et le coût de gestion des branches de la sécurité sociale (M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale)



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- Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d'information présenté par M.  Jean-Pierre Door, rapporteur de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), sur l'organisation et le coût de gestion des branches de la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Door, rapporteur, a indiqué que les membres de la mission n'ont pas voulu adopter une approche strictement comptable, mais plutôt apprécier l'efficience du réseau des organismes et la manière dont les besoins des assurés sont satisfaits.

Plusieurs constats font l'objet d'un large consensus. En premier lieu, le système créé en 1945 a su se moderniser mais doit, face aux nouveaux défis, poursuivre ses efforts d'adaptation, particulièrement en matière d'organisation territoriale, de gestion des ressources humaines et d'investissements informatiques. Les travaux de la mission ont ainsi mis en évidence l'insuffisance du pilotage des réseaux. Les conventions d'objectifs et de gestion (COG), qui ont certes permis d'améliorer la qualité de la gestion, sont insuffisamment précises ou contraignantes en matière d'accroissement de la productivité et d'efforts de modernisation. Le pilotage par les tutelles, enfin, est marqué par un manque de rigueur dans la définition et la mise en œuvre d'orientations véritablement stratégiques.

Ce constat, qui s'appuie largement sur les travaux de la Cour des comptes, est suivi d'une série de recommandations concrètes, destinées à améliorer la qualité du service rendu aux assurés, tout en augmentant l'efficience des organismes. Ces recommandations, qui rassemblent la grande majorité des membres de la mission, ont vocation à être reprises et appliquées rapidement. Certaines sont déjà mises en œuvre, mais il est utile de les rappeler afin de marquer le soutien des membres de la mission aux évolutions déjà engagées au sein des réseaux et qui pourraient rencontrer des difficultés.

La troisième partie du rapport comporte des propositions plus structurantes, concernant notamment la création dans chaque région d'une agence de sécurité sociale coordonnant le fonctionnement de guichets uniques multibranches. Ces propositions, qui par certains aspects outrepassent largement les limites des recommandations de la deuxième partie du rapport, sont destinées à lancer le nécessaire débat sur la modernisation de l'organisation de la sécurité sociale en remettant l'usager au cœur de la réflexion et en proposant un cadre réaliste et cohérent pour la conduite des évolutions à plus long terme, dans un esprit de fidélité aux ambitions des fondateurs de la sécurité sociale. Si la nécessité d'une régionalisation de la politique de gestion du risque maladie rencontre l'approbation d'une majorité des membres de la mission, la création des agences régionales et des guichets uniques est plus discutée. Il n'en est pas moins nécessaire de rendre publics les éléments de ce débat pour contribuer à l'approfondissement de la réflexion sur l'avenir de l'institution, que les travaux de la mission ne sauraient épuiser, et qui devra nécessairement se poursuivre au sein de toutes les instances compétentes.

L'organisation du régime général, fondée sur des bases historiques plutôt que sur des impératifs d'efficacité, doit être modernisée afin de favoriser l'efficience et répondre aux nouveaux défis. Si les coûts de gestion, variant entre 0,5 et 5 % des sommes collectées selon les branches, sont somme toute raisonnables, les effectifs - 182 000 - sont nombreux et le nombre d'organismes dotés d'un conseil - quelque cinq cents - important. Il existe des marges de manœuvre, que mettent en évidence les grands écarts de coûts - pouvant aller du simple au double - et de qualité de service entre caisses d'une même branche. Ces comparaisons sont toutefois difficiles à interpréter, car l'on est loin de pouvoir connaître la réalité des situations. Par ailleurs, de fortes contraintes de gestion pèsent sur les organismes de base, dont chacun dispose de l'autonomie juridique, mais qui sont régis par une convention collective unique, dont la négociation est centralisée au niveau de l'Union nationale des caisses de sécurité sociale (UNCANSS), ce qui engendre une certaine lourdeur.

L'accroissement des effectifs au cours des dernières années est notamment dû à la réduction du temps de travail, à l'accroissement de la charge de travail dans les branches vieillesse et maladie et à la nécessité de recruter des informaticiens. Le service rendu s'est significativement amélioré dans certains secteurs, notamment grâce aux efforts de formation des personnels ; on doit ainsi se féliciter de la mise en place progressive de plates-formes téléphoniques dans la branche maladie.

L'organisation du régime général reste excessivement rigide, ainsi que l'avait relevé le rapport de la Cour des comptes. Le cadre général remonte à 1945 et les cloisonnements entre branches se superposent aux cloisonnements entre les régimes, de sorte que la même tâche concernant un assuré est effectuée à de multiples reprises par des organismes différents, augmentant à la fois les retards, les risques d'erreur et les coûts. Le réseau est pléthorique. On compte quelque 500 organismes de base dotés de conseils, dont 128 caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), 122 caisses d'allocations familiales (CAF), 104 unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF). Quant au nombre de cotisants par caisse, il peut varier de 1 à 22 d'une CPAM à l'autre. La carte des implantations semble devenir au fil des ans une question taboue, malgré le succès de la restructuration du réseau de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de la mise en place du régime social des travailleurs indépendants (RSI). La faiblesse de la mobilité des personnels, tant géographique qu'entre branches, est un facteur de rigidité supplémentaire, que la convention collective unique n'a pas permis de réduire.

Or de nouveaux défis se posent. D'une part, les travaux de la mission ont permis de constater la complexité croissante des règles de droit à appliquer -  la présidente de la CNAF en a évalué le nombre à 18 000 -, complexité qui renchérit les coûts de gestion. D'autre part, les caractéristiques des populations couvertes changent : elles sont de plus en plus mobiles, ce qui pose, pour les ressortissants étrangers, le problème de la certification des données d'état civil ; le vieillissement comme la montée de la précarité rendent en outre hasardeuse la généralisation des nouveaux modes de communication électronique et des plates-formes téléphoniques ; enfin, la « production » croît sans cesse, non seulement pour des raisons démographiques, mais aussi du fait des demandes mêmes des assurés.

Face à ces défis, les modes de production sont en constante évolution. L'informatisation permet des gains de productivité significatifs, mais au prix d'investissements coûteux. Un rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les dépenses informatiques de la branche maladie du régime général relève que la mise en place des nouveaux systèmes d'information se heurte aux cloisonnements actuels des différentes applications et à l'absence de bases de données uniques. La maintenance et les changements à opérer sont devenus plus en plus coûteux, alors même que la modernisation de SESAM-Vitale comme la création du dossier médical personnel sont des impératifs.

Environ un tiers du personnel de la sécurité sociale partira à la retraite entre 2006 et 2010. C'est à la fois une contrainte et une chance à saisir : de nouvelles embauches seront nécessaires, mais il s'agira de personnels à la fois plus jeunes, plus qualifiés et plus habitués aux nouvelles technologies. De ce point de vue, le régime général se trouve bien à un tournant de son histoire. C'est une raison de plus pour regretter l'absence de pilotage stratégique.

Le rapport de la mission comporte des propositions d'ajustements a minima dans le cadre de l'organisation existante.

Il s'agit en premier lieu de mutualiser les ressources et les processus à l'intérieur de chaque branche. Les achats, les contrats de téléphonie, d'électricité, d'entretien, de logistique, et les fonctions support telles que la gestion des paies, la documentation, l'informatique, l'affranchissement ou la formation, sont à centraliser au niveau de gestion le plus pertinent, qui peut être régional, voire interrégional. Des regroupements sont également possibles en matière de gestion du risque, par exemple pour les déclarations uniques d'embauche ou pour le contentieux qui devrait être suivi au niveau du ressort de chaque tribunal des affaires de sécurité sociale. L'interopérabilité des équipements informatiques est indispensable, afin de parvenir le plus vite possible à une totale compatibilité, y compris entre le système administratif et le contrôle médical, de développer des services en ligne orientés vers les assurés et de mettre en place des bornes interactives dans tous les organismes et, à terme, dans un certain nombre de lieux publics. Enfin, certains processus, comme l'accueil téléphonique, devraient, à l'instar du chèque emploi service, faire l'objet d'une gestion nationale ; dans cette perspective, le versement en lieu unique (VLU) serait étendu aux PME disposant de plusieurs établissements sur le territoire national.

La coopération interbranches doit être davantage développée, par la mise en commun des fonctions support et, surtout, par la création d'un fichier informatique interbranches des assurés, souhaitée par les gestionnaires eux-mêmes, soucieux de réduire les possibilités d'erreur et de fraude.

S'agissant de l'adaptation des réseaux, modifier la carte n'est pas une tâche impossible. On peut en attendre une qualité accrue de gestion du risque, au bénéfice des assurés. Mais la question centrale est celle des ressources humaines, domaine dans lequel toute réforme suppose, pour réussir, le soutien et la participation des personnels. Il faut renforcer le rôle des têtes de réseau, encourager la mobilité - en en faisant, par exemple, une condition pour l'accès à certaines fonctions de direction, ainsi qu'en imposant une durée maximale dans celles-ci - et instaurer des systèmes de rémunération, d'intéressement et d'avancement motivants.

La gouvernance des branches du régime général mérite également des aménagements. L'amélioration de la productivité doit devenir un objectif à part entière des futures COG. Certaines questions nécessitent en outre un arbitrage politique : c'est notamment le cas de la généralisation de la télétransmission des feuilles de soins, de la mise en place du dossier médical personnel - qui requiert la plus large concertation - et de l'utilisation de certaines données fiscales par les organismes sociaux. Il est également souhaitable de simplifier le cadre réglementaire et législatif, s'agissant par exemple du mode de calcul et de versement des indemnités journalières ou de la généralisation du chèque emploi service.

Afin d'aller plus loin dans la réflexion, et bien que cela n'ait pas fait consensus au sein de la mission, il a paru utile au rapporteur de dessiner l'ébauche d'un modèle différent d'organisation du régime général de la sécurité sociale. Une structure régionale, dotée de la personnalité morale et d'un conseil unique dont la configuration pourrait varier suivant la nature des questions abordées, serait construite selon un processus d'agrégation à la CRAM, laquelle présente déjà un caractère interbranche au sein du régime général, puisqu'elle regroupe la branche vieillesse et, à des degrés variables, la branche accidents du travail-maladies professionnelles et la branche maladie. Le cas échéant, l'intégration du réseau des URSSAF pourrait être envisagée. Une telle évolution serait cohérente avec l'instauration, dans les années récentes, des schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS), des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) et des unions régionales des caisses d'assurance maladie (URCAM). En outre, un guichet unique serait constitué grâce au regroupement, à l'échelon local, des antennes locales des diverses branches. Ce regroupement serait mené de manière pragmatique et avec le souci constant de privilégier la qualité du service rendu à l'assuré, sans dégrader l'égalité d'accès au service public. La condition sine qua non est la mise en place d'un réseau informatique commun aux branches, ce qui, compte tenu des cloisonnements existant à l'intérieur de chaque branche, est une œuvre de longue haleine. Ces agences régionales de la sécurité sociale et ce guichet unique permettraient d'améliorer le service rendu à l'assuré, de faciliter la gestion, de renforcer le pilotage des réseaux, de rénover enfin la démocratie sociale en renouant avec l'élection des représentants des assurés et des employeurs au sein des conseils des agences.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Georges Colombier a complimenté le rapporteur, dont l'exposé oral ne donne toutefois qu'une faible idée de la richesse et de la densité des travaux de la MECSS : il serait fort dommage que ces travaux restent lettre morte. Chacun ne peut être que d'accord sur le constat et sur la plupart des propositions. Il faudra cependant veiller à ce que leur mise en œuvre, notamment les propositions relatives à l'adaptation du réseau, soit précédée d'une concertation et d'un dialogue approfondis, tant avec les élus qu'avec les administrateurs des caisses. La modernisation de l'architecture du réseau est souhaitable, dans la mesure où il s'agit de remettre l'usager au cœur du dispositif et de renouer avec l'ambition des fondateurs de la sécurité sociale. Il est d'ailleurs souhaitable, dans cette optique de démocratie sociale, de rétablir l'élection des conseils d'administration.

M. Jean-Marie Le Guen a estimé que la MECSS a fait œuvre utile sur la question du coût de gestion des branches, qui apparaît somme toute raisonnable. Il est deux à trois fois moins élevé que celui des systèmes privés ou concurrentiels, notamment en vigueur aux Etats-Unis. La plupart des pistes tracées par le rapporteur vont dans le sens d'une meilleure efficacité, tant en termes de coût que de qualité du service rendu aux assurés. Les conventions d'objectifs et de gestion ont permis certaines avancées, mais il est possible d'aller plus loin, et légitime d'inscrire la réduction des coûts de gestion parmi les objectifs retenus.

La sécurité sociale ne saurait évidemment s'abstraire de la révolution informatique, qui peut conduire, en prolongeant les progrès déjà obtenus, à une véritable révolution dans le fonctionnement des organismes. Il existe en effet des marges de productivité considérables, qu'il ne s'agit pas forcément d'affecter à la réduction des coûts et des effectifs, mais à une meilleure satisfaction des besoins des usagers, notamment dans le domaine des services à la personne. En d'autres termes, il faudrait employer moins de personnel pour la liquidation des droits et davantage pour l'accompagnement des personnes. En revanche, l'idée de prendre appui sur un contrôle médical informatisé des assurés et des prescripteurs pour piloter le système de santé, comme certains pourraient en avoir la tentation, n'est ni réaliste ni souhaitable.

Si la nécessité de faire évoluer les structures est évidente, la proposition du rapporteur de régionaliser l'organisation de la sécurité sociale est discutable. Une organisation transversale, regroupant les différentes branches au niveau de chaque région, correspond à la conception obsolète d'une sécurité sociale dont le rôle se limiterait à servir ou rembourser des prestations. La fonction de la branche vieillesse n'est pas la même que celle de la branche maladie ni que celle de la branche famille : il y a là différents cœurs de métier, avec des problématiques spécifiques qu'il convient d'approfondir et non de gommer. Plutôt que de constituer des caisses régionales de sécurité sociale, il faut créer des agences régionales de santé. Quant à la démocratie sociale, qui est nécessaire, elle ne se résume pas à la gestion par les partenaires sociaux : dans la branche maladie, les associations de malades et les usagers, par exemple, ont un rôle important à jouer. La branche famille a également ses spécificités.

M. Pierre Morange, président, a constaté que la proposition de régionalisation avancée par le rapporteur ne fait pas consensus au sein de la mission, certains étant adeptes d'une approche « verticale » tandis que d'autres, comme le rapporteur et comme lui-même, préconisent plus de transversalité. Ce rapport vaudra surtout par les suites que lui donneront le Gouvernement et les caisses de sécurité sociale. L'article LO. 111-9-3 du code de la sécurité sociale, créé par la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, dispose en effet que : « Lorsqu'une mission d'évaluation et de contrôle donne lieu à des observations notifiées au Gouvernement ou à un organisme de sécurité sociale, ceux-ci disposent d'un délai de deux mois pour y répondre. » Au vu des réponses qui lui seront apportées, la MECSS sera évidemment amenée à revenir sur ce sujet.

En application de l'article 145 du Règlement, la commission a décidé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné Mme Paulette Guinchard coprésidente de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale en remplacement de M. Jean-Marie Le Guen, démissionnaire de la coprésidence.

La commission a désigné M. Bernard Derosier rapporteur sur la proposition de loi de M. Bernard Derosier et plusieurs de ses collègues visant à abroger l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés - n° 2667.


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