COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 20

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 novembre 2005
(Séance de 9 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi de M. Bernard Derosier et plusieurs de ses collègues visant à abroger l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés - n° 2667 (M. Bernard Derosier, rapporteur)




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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Bernard Derosier, rapporteur, la proposition de loi de M. Bernard Derosier et plusieurs de ses collègues visant à abroger l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés - n° 2667

Après que M. Maxime Gremetz a souligné qu'il s'associe à la démarche des auteurs de la proposition de loi, M. Bernard Derosier, rapporteur, a brièvement resitué la proposition de loi dans son contexte. L'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés n'est pas à proprement parler en lien avec cette loi qui comporte des aspects intéressants et dont le champ est beaucoup plus vaste. Cet article résulte en fait d'un sous-amendement à un amendement du rapporteur, M. Christian Kert, voté par l'Assemblée nationale en séance publique le vendredi 11 juin 2004. Il n'est donc pas issu des travaux préalables de la commission, qui avaient permis, à l'initiative notamment de son rapporteur, d'améliorer la rédaction du projet de loi. Celle-ci avait d'ailleurs, au cours de la réunion tenue en application de l'article 88 du Règlement le matin même de l'examen dans l'hémicycle, rejeté le sous-amendement en cause.

Selon le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi, « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Les réactions à ce texte ont été immédiates. En particulier, l'ambassadeur d'Algérie à Paris a souhaité savoir ce que signifiait ce vote au regard de la position de la France dans le cadre des relations franco-algériennes. Depuis près de deux ans, en effet, les deux pays entreprennent la négociation d'un traité d'amitié s'inspirant des principes sur lesquels repose le traité d'amitié conclu entre la France et l'Allemagne en 1963. D'une certaine façon, il est possible de dire que ce texte a mis un grain de sable dans ce cheminement.

Des réactions ont également été exprimées en Algérie même comme a pu le constater, sur place, le rapporteur lors d'un déplacement effectué du 1er au 6 mai dernier où, en sa qualité de président du groupe d'amitié France-Algérie de l'Assemblée nationale, il menait une délégation française qui a rencontré le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat et un collège de députés algériens. Au cours des entretiens est revenue de manière récurrente la question de savoir ce que la France voulait signifier en adoptant une telle disposition.

En France, les réactions émanant de personnalités ont également été fortes, se focalisant essentiellement sur la question de savoir si le contenu des programmes scolaires doit être défini par la loi.

Dès lors, et pour toutes ces raisons, il convenait d'agir. La rédaction de l'article de la proposition de loi soumis aujourd'hui à la commission a été entreprise, ainsi que celle de l'exposé des motifs qui devait décrire les raisons conduisant à revenir sur la rédaction de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 en l'abrogeant, sans choquer les concitoyens, qu'ils aient une approche essentiellement positive ou plus négative des effets du processus de colonisation. Il s'agissait de trouver un juste milieu. C'est ce qui a été entrepris, dans un souci d'équilibre, avec l'ensemble des cosignataires de la proposition de loi.

Le problème de fond est politique : le législateur doit-il jouer un rôle en matière de définition des programmes scolaires ? Il est évident que non. Les programmes doivent résulter de la réflexion des spécialistes sur les sujets traités. Autre question : le législateur doit-il écrire l'histoire ? Il est évident que ce sont les historiens qui doivent se pencher sur l'histoire et, à partir d'approches multiples et parfois contradictoires, définir la ligne la plus proche de la vérité. Pour le reste, chacun apprécie à sa manière la colonisation : ce n'est pas ce qui est en cause dans le présent débat. Il faut encore insister sur la dimension internationale de la discussion. Le nouvel ambassadeur d'Algérie à Paris, qui n'était pas encore installé lors de la discussion et du vote de la loi, suit de très près les débats, y compris les conclusions des présents travaux de la commission.

Pour l'ensemble de ces raisons, il est demandé à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales d'approuver le texte qui lui est soumis.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Jean-Michel Dubernard, après avoir salué la venue dans la commission du rapporteur, s'est félicité de la pondération de son intervention et notamment de l'éclairage qu'il a apporté sur le rôle de la commission et de son rapporteur, M. Christian Kert, lors des débats préalables à l'adoption de la loi du 23 février 2005. L'ensemble de la commission avait alors validé une rédaction équilibrée qu'il faut ici rappeler : « Les programmes scolaires et les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée ». C'est au cours de la séance de l'après-midi du 11 juin 2004 que, à la suite de l'adoption d'un sous-amendement présenté par M. Christian Vanneste, la rédaction aujourd'hui en cause a été retenue, confirmée ensuite au Sénat - ce qui, conformément à la procédure parlementaire habituelle, rendait « conforme » cet article sur lequel aucune des deux assemblées ne pouvait plus dès lors revenir pour le rediscuter ou le corriger.

Il est important d'entendre les arguments présentés à l'appui de l'abrogation de cet article 4, arguments qui ont beaucoup de signification et doivent être pesés à l'aune du contexte politique international. A cet égard, il convient de saluer l'honnêteté intellectuelle qui préside à l'analyse de la situation effectuée par le rapporteur.

M. Maxime Gremetz a souhaité souligner lui aussi le caractère unanime de la position prise initialement par la commission sur cette question. On ne peut qu'être satisfait de voir rediscutée une question dont les enjeux sont si importants.

Il est essentiel de rappeler qu'il convient de laisser aux historiens le soin d'écrire l'histoire. Il n'y a aucune directive à leur donner en cette matière. Cela serait anormal, voire même illégal, qu'une assemblée représentative, aussi prestigieuse soit-elle, donne ainsi une ligne directrice aux chercheurs. La recherche serait encadrée et figée et il n'est pas besoin de développer plus avant quels en seraient les effets négatifs.

Il est aussi important de souligner l'impact du traitement de ces questions dans les manuels scolaires. A cet égard, il faut remarquer la pondération du rapporteur et user d'un ton identique. Il ne s'agit pas de demander à quiconque de modifier son jugement sur les effets de la colonisation. On ne peut oublier que certains esprits - et non des moindres - ont bien évolué au fil du temps sur cette question. Chacun doit rester libre d'apprécier les effets de la colonisation, aussi divers et contradictoires soient-ils.

C'est pourquoi le présent article 4, au regard des relations avec les pays d'Afrique du Nord mais aussi plus généralement de l'ensemble des pays anciennement colonisés et avec lesquels la France noue désormais des relations de coopération, est très choquant. Nombreux sont les parlementaires à avoir recueilli de multiples réactions sur cette disposition. Aucun texte juridique - ni la Constitution, ni la loi de la République - ne doit se prononcer sur ces appréciations.

C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi est si importante. Il faut revenir sur la rédaction de l'article 4 et, pourquoi pas, en reprenant la version qui avait initialement fait consensus au sein de la commission.

M. François Liberti a souligné l'importance de prendre en compte l'émotion suscitée par la modification de l'article 4. Le débat a été passionné à l'Assemblée nationale, l'opposition ayant fait connaître le risque de modification du texte. Les réactions tant françaises qu'internationales montrent qu'aujourd'hui il en va de la responsabilité collective de revenir sur la rédaction de cet article 4.

Après avoir précisé qu'il convient de ne pas focaliser le débat uniquement sur l'histoire proche de l'Algérie mais qu'il faut tenir compte de toutes les anciennes colonies françaises, Mme Hélène Mignon a déclaré que les parlementaires n'ont pas à faire œuvre d'historien ni à proposer des programmes pédagogiques. Toutefois, les propos tenus par le Président algérien, M. Abdelaziz Bouteflika, en réaction au vote de la loi du 23 février 2005 ont été excessifs. Il convient en effet d'admettre que la présence française en Algérie a permis d'accomplir des choses positives pour ce pays. Un colloque pourrait utilement être organisé par l'Assemblée nationale afin de réunir des historiens qui pourraient présenter leurs analyses et débattre de sujets qui font encore polémique, comme la question des disparus ou du sort et du vécu des populations autochtones durant la période coloniale et la guerre d'Algérie. Une telle initiative permettrait d'évoquer calmement ces questions sans que le Parlement prenne des positions à l'emporte-pièce.

M. Lionnel Luca a fait valoir que, pour comprendre l'intention du législateur, l'article 4 de la loi du 23 février 2005 devait être apprécié dans son entier et non tronqué, en ne considérant qu'un membre de phrase pris isolément, hors de son contexte ; Fouquier-Tinville ne disait-il pas « Donnez-moi un morceau de phrase et je vous enverrai à l'échafaud » ? On peut s'étonner qu'un amendement adopté en séance publique le 11 juin 2004 n'ait suscité de réactions, à l'étranger, qu'en avril-mai 2005, qui plus est dans un seul pays, l'Algérie, où, d'ailleurs, la polémique a été lancée pour des considérations de politique intérieure. Et il n'est pas inutile de rappeler que la loi du 21 mai 2001, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme crimes contre l'humanité, contient une disposition similaire concernant les programmes scolaires, laquelle n'a pas donné lieu à une telle polémique. Remettre de l'huile sur le feu de la question algérienne est déplorable. Le texte adopté est bon ; il n'y a rien à y changer.

M. Christian Kert a déclaré apprécier la mesure des propos tenus par le rapporteur qui a été en contact avec le monde, très sensible, des rapatriés. La plupart des textes votés sur cette question à l'Assemblée nationale et au Sénat l'ont été à l'unanimité. L'auteur de l'amendement n'a pas voulu réécrire l'histoire officielle mais souhaité permettre la mise en exergue - « en particulier » sont les termes de la loi - des aspects positifs du passé colonial de la France. Il n'en demeure pas moins que la première mouture du texte, tel que proposé par la commission à l'initiative de son rapporteur - qui tendait à « accord[er] à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite » -, reste préférable.

M. Christian Kert ayant rappelé que ce n'était pas la première fois que le Parlement écrivait une page d'histoire, faisant référence à la reconnaissance du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001, M. Maxime Gremetz a fait observer que, sur cette question, les historiens avaient tranché.

M. Christian Kert a ensuite souligné que l'article 4 de la loi du 23 février 2005 était en fait une déclinaison technique de l'article 1er de la loi qui exprime la reconnaissance de la Nation aux rapatriés et reconnaît les souffrances qu'ils ont endurées. Au Sénat, Mme Gisèle Printz, porte-parole du groupe socialiste, a d'ailleurs apporté le soutien de son groupe au texte de l'article 4 en indiquant qu'il méritait son approbation. Enfin, il convient de réfléchir aux conséquences très négatives d'une décision d'abrogation de l'article 4 au sein des communautés harkie et de rapatriés. Si le Parlement faisait machine arrière, ce serait considéré par ces communautés comme un abandon. Un message négatif sur la période coloniale serait ainsi donné et ne manquerait pas, dans le contexte actuel, d'être utilisé à des fins peu recommandables par certains. En outre, un vote d'abrogation serait considéré comme l'exécution, par la représentation nationale, d'un diktat du président algérien dont les attaques contre la France sont inacceptables.

Le président Jean-Michel Dubernard a salué les propos, marqués d'une grande honnêteté intellectuelle, de M. Christian Kert. Ils tiennent parfaitement compte à la fois de la dimension nationale de la question et du contexte international dans lequel elle s'inscrit, notamment des devoirs de la France vis-à-vis de certaines populations. Ils montrent la difficulté de traiter la proposition de loi à un moment qui n'est peut-être pas le meilleur.

M. Michel Liebgott a estimé qu'il appartient au législateur de tendre à un équilibre et de ne pas mettre de l'huile sur le feu. La loi ne doit pas faire l'histoire, ni la juger. Or l'histoire de la France en Algérie s'écrit encore aujourd'hui. On peut rappeler les réactions lors du match France-Algérie du 6 octobre 2001 (lorsque la Marseillaise a été sifflée dans l'enceinte du Stade de France), les propos du président Abdelaziz Bouteflika ou les agitations dans les banlieues, événements qui invitent le Parlement à rester à l'écart des débats entre historiens. Les débats autour de la date de commémoration des victimes de la guerre d'Algérie montrent également la difficulté à aborder cette histoire. Tandis que la date du 19 mars s'était installée durablement dans le calendrier commémoratif, un décret de septembre 2003 du Président de la République, M. Jacques Chirac, a institué le 5 décembre journée nationale d'hommage aux « Morts pour la France » en Afrique du Nord avec instructions données aux maires de substituer cette date à la précédente pour les commémorations réalisées dans leurs commune. Cela montre les difficultés qui peuvent surgir lorsque l'on ravive des plaies qui étaient en voie d'être fermées, alors même que tous les élus locaux ont la volonté de faire vivre en harmonie la diversité des communautés. C'est pourquoi la proposition du rapporteur de supprimer l'article 4 est opportune.

Le président Jean-Michel Dubernard a souhaité que l'on ne commence pas à débattre sur la date du 5 décembre, à la fois pour ne pas s'éloigner de l'objet du texte examiné aujourd'hui et pour éviter le retour de joutes verbales.

M. Maxime Gremetz a rappelé que l'histoire est faite par les peuples. A ce titre, elle ne peut être réécrite. Il a fallu cinquante ans pour que les événements d'Algérie soient enfin et officiellement reconnus comme une guerre et non comme de simples opérations de maintien de l'ordre public ainsi que tous les gouvernements successifs, jusqu'en 1999, et de nombreux manuels d'histoire les présentaient.

Il a ensuite déclaré qu'en tant qu'ancien d'AFN, il pouvait témoigner du traumatisme des appelés du contingent partis en Algérie. Il n'est pas possible d'écrire l'histoire par la loi ou de donner des orientations à la recherche. En raison de la proximité de ces événements, et de la diversité des points de vue, le Parlement n'a pas intérêt à susciter un débat supplémentaire.

En réponse aux différents orateurs, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Les contacts fréquents avec l'ambassadeur d'Algérie en France et les autorités algériennes sur place confirment qu'il convient de ne pas focaliser le débat sur l'article 4 sur le seul cas algérien.

- Le rapporteur n'a pas de jugement sur l'intérêt de la rédaction initiale de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 - sur laquelle il n'a pas eu à se prononcer n'étant pas membre de la commission lors de son examen - ni non plus d'opposition de principe à son encontre. Il faut apprécier ce texte au regard de l'intérêt de la France dans un contexte international et national très mouvant. Ainsi, depuis la publication de la loi, la presse algérienne fait état très régulièrement de réactions fortement hostiles à l'égard de la France, faisant appel à l'histoire en évoquant la répression sanglante de l'armée française lors des événements de Sétif le 8 mai 1945 ou la répression policière lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. Le président Abdelaziz Bouteflika, lui-même, suit une démarche similaire lorsque récemment il concluait un discours public en accusant la France d'avoir quitté le sol algérien sans laisser le plan de certains champs de mines antipersonnelles.

- C'est un programme d'apaisement de ce passé douloureux en Algérie et dans tout le Maghreb qu'il faut conduire. Cela va dans le sens de l'intérêt national car la France est en mesure de servir de trait d'union entre l'Europe et les pays du Maghreb, ces derniers étant très demandeurs d'un rapprochement avec l'Union européenne. Il s'agit également de contenir l'offensive des Etats-Unis pour s'imposer en lieu et place de la France comme le partenaire privilégié de ces pays. Il ne s'agit nullement de faire un procès d'intention à qui que ce soit mais de tenir compte des conséquences de la loi votée et de l'article incriminé.

Le président Jean-Michel Dubernard a proposé de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre les travaux de la commission et de ne pas présenter de conclusions sur le texte de la proposition. Cette position n'empêche ni la discussion en séance publique ni la publication d'un rapport incluant le compte-rendu des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout loisir de s'exprimer.

Suivant la proposition de son président, la commission a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.


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