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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 24 janvier 2006
(Séance de  16 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, et M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur le projet de loi pour l'égalité des chances - n° 2787 (M.  Laurent Hénart, rapporteur)





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- Examen (discussion générale) du projet de loi pour l'égalité des chances - n° 2787 (M.  Laurent Hénart, rapporteur)


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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, et M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur le projet de loi pour l'égalité des chances - n° 2787.

Le président Jean-Michel Dubernard a souhaité la bienvenue aux ministres.

M. Gaëtan Gorce a protesté, au nom du groupe socialiste, contre les conditions de travail faites à la commission et au Parlement. Le projet de loi, adopté par le conseil des ministres du 11 janvier, a été inscrit précipitamment à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en lieu et place du projet de loi sur la recherche, et l'urgence a été déclarée, de sorte qu'il n'y aura qu'une seule lecture avant le passage en commission mixte paritaire. Qui plus est, les importants amendements par lesquels le gouvernement semble vouloir incorporer les dispositions relatives au nouveau contrat première embauche (CPE) n'ont toujours pas été déposés, alors même que le délai imparti aux députés - pour que leurs amendements soient examinés par la commission le 25 janvier - expire ce jour, mardi 24 janvier, à 17 heures. Le président de la commission devrait user de ses prérogatives pour mettre fin à cette mascarade parlementaire et de son autorité pour obtenir du gouvernement qu'il reporte l'examen du projet après l'interruption des travaux parlementaires de février, au lieu d'opter pour une précipitation qui donne à penser qu'il veut prendre de vitesse les organisations syndicales, opposées au CPE, et faire l'économie de l'examen de ce dispositif par le Conseil d'Etat. En conséquence, les commissaires socialistes demanderont une suspension de la réunion pour pouvoir examiner le texte. Plus généralement, il est choquant que, sous cette législature, l'urgence devienne le principe dès lors que des dispositions sociales sont examinées.

M. Yves Durand s'est également insurgé contre la méthode et le calendrier retenus par le gouvernement, qui s'apparentent à un coup de force privant les députés du temps nécessaire à l'organisation d'auditions et à la préparation d'amendements. Au lieu de l'important projet relatif à la recherche, très attendu par la communauté scientifique et dont le rapporteur est le président Jean-Michel Dubernard lui-même, est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée, sans laisser à ses membres le temps de l'examiner sérieusement, un texte qui pose de graves et nombreux problèmes et dont l'économie générale est encore incertaine, puisque le gouvernement s'apprête à déposer des amendements d'une portée considérable. En outre, sa disposition la plus importante, dans son état actuel, est l'instauration de la formation d'« apprenti junior ». Or le ministre de l'éducation nationale, directement concerné dans la mesure où il s'agit d'une remise en cause de fait de l'obligation scolaire entre 14 et 16 ans, n'est pas présent ; il est donc souhaitable de suspendre la séance le temps suffisant pour que le ministre puisse rejoindre la commission.

Le président Jean-Michel Dubernard a observé que l'article 48 de la Constitution donne au Gouvernement le pouvoir de fixer l'ordre du jour prioritaire des assemblées parlementaires. Lui-même s'est interrogé, comme ses collègues, sur le bien-fondé d'un tel bouleversement du calendrier des travaux, pour considérer, somme toute, que l'urgence sociale révélée par les événements de novembre 2005 justifie l'urgence. Au demeurant, aucun membre du groupe socialiste n'a cru bon d'assister aux auditions organisées par le rapporteur sur le projet de loi de programme pour la recherche.

M. Yves Durand s'est élevé avec véhémence, ainsi que M. Alain Néri, contre ce dernier propos et a répliqué que les groupes procèdent à leurs propres auditions.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que le présent projet de loi est présenté par M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, et que M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, ne manquera pas d'être présent en séance publique lorsque viendront en discussion les articles intéressant son ministère.

M. Gaëtan Gorce a déploré le ton employé par le président de la commission pour répondre aux membres du groupe socialiste et rappelé que le président de l'Assemblée lui-même a protesté à maintes reprises contre les conditions dans lesquelles le gouvernement force le Parlement à travailler. Le projet de loi mérite un examen d'autant plus approfondi que son champ est vaste : or la commission ne pourra pas procéder à un tel examen, ni à celui des amendements par lesquels le gouvernement s'apprête à en accroître encore la portée.

Le président Jean-Michel Dubernard a observé que d'autres gouvernements, sous d'autres législatures, avaient été coutumiers de telles modifications inopinées de l'ordre du jour.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a dit comprendre la contrariété causée par la brièveté des délais d'examen du projet, mais d'autres textes examinés en urgence par l'Assemblée, tels ceux relatifs à la cohésion sociale ou à la rénovation urbaine, ont néanmoins donné lieu à des débats longs et approfondis et il n'y a pas de raison de penser qu'il n'en ira pas de même. Le ministre de l'éducation nationale comme le ministre délégué à l'emploi, présentement retenu par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'amiante, ont procédé à une concertation très large sur le dispositif d'apprentissage junior, qui a permis de rapprocher les points de vue et d'aboutir à un équilibre acceptable par tous. Les amendements auxquels le gouvernement met actuellement la dernière main seront prêts en fin de journée et seront immédiatement transmis à la commission.

Le président Jean-Michel Dubernard a indiqué qu'ils seraient, dans ces conditions, examinés par la commission au cours de sa séance du mercredi 25 janvier au matin.

Le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement a exposé que les articles 1 à 4, relatifs à la formation d'apprenti junior et au contrat de professionnalisation, concilient le principe de l'obligation scolaire jusqu'à seize ans, et donc la poursuite de l'acquisition du socle fondamental de connaissances, avec la possibilité offerte aux jeunes qui ne s'épanouissent pas au collège et n'ont pas l'appétit ni le talent nécessaire pour continuer des études générales de s'ouvrir à des métiers, puis le cas échéant d'en apprendre un. Au cours d'une première année se déroulant dans le cadre de l'éducation nationale, le jeune suivra un parcours d'initiation aux métiers, mais pourra à tout moment réintégrer un établissement scolaire à plein-temps ; la deuxième année, c'est-à-dire entre quinze et seize ans, il pourra opter pour l'apprentissage de l'un de ces métiers, en signant un vrai contrat d'apprentissage, avec toutefois des règles aménagées. C'est un bon équilibre, auxquels MM. Gilles de Robien et Gérard Larcher sont parvenus au terme d'une concertation très approfondie avec les différentes parties prenantes, entre les tenants du « tout-scolaire » et les partisans de l'apprentissage dès 14 ans sur le modèle allemand.

L'article 5 du projet complète le dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (SEJE) de façon à favoriser l'embauche de jeunes sans qualification signataires de contrats d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) ou résidant dans les zones urbaines sensibles (ZUS), grâce à une prime mensuelle majorée.

La France a longtemps cru que son modèle républicain lui permettait de faire face à toutes les situations sociales, sans voir que la situation particulière de certains quartiers déqualifiés exigeait un traitement particulier ; de la même façon, son universalisme et son attitude somme toute ouverte à la diversité et au métissage l'ont longtemps empêchée de prendre la mesure des discriminations de toute sorte, qui heurtent ses citoyens. Le présent projet offre une palette de moyens pour rattraper ce retard.

Mme Catherine Vautrin, ministre délégué à la cohésion sociale et à la parité, a expliqué que les articles 6 à 15 du projet visent à ajouter 15 nouvelles zones franches urbaines (ZFU) aux 85 existantes, à proroger le dispositif d'exonération fiscale jusqu'en 2011 et à en étendre le champ, notamment aux activités de loisirs. Avant de rédiger ces dispositions, le gouvernement a consulté Mme Nelly Kroes, commissaire européenne à la concurrence.

Les articles 16 à 18 créent une Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances afin d'accroître la présence de l'Etat dans les quartiers sensibles, aux côtés de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), de simplifier et d'optimiser le financement des opérations, actuellement rendues complexes et difficiles à monter du fait de la multiplicité des interlocuteurs. Parallèlement, les contrats de ville seront renouvelés pour des périodes plus longues, afin que les associations puissent travailler dans la durée. Plutôt que de créer une nouvelle structure de toutes pièces, le gouvernement a préféré s'appuyer sur l'existant, en transférant à l'agence les missions, compétences et personnels du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD). Une mission de préfiguration assurera la transition entre les deux institutions, et le rôle de réflexion et coordination du délégué interministériel à la ville ne sera pas remis en cause.

M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, a souligné à quel point il est humiliant, pour un jeune né en France de parents venus de l'étranger ou d'outre-mer il y a un demi-siècle, de se voir refuser l'accès à une discothèque ou, plus grave encore, à un logement ou un emploi. Cela fait trente ans que tout le monde proteste contre les discriminations, mais l'outil qui permet de les combattre n'existe que depuis peu : c'est la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Les articles 19 à 22 permettront à cette instance de prendre elle-même des sanctions pécuniaires contre les fauteurs de discriminations. La confiance des jeunes Français de toutes origines dans la République et sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité » s'en trouvera restaurée.

L'article 23 donne par ailleurs mission au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de veiller à ce que les programmes audiovisuels reflètent la diversité de la société française. Il ne faut pas que la crise des cités devienne une crise de cécité, et que les seuls jeunes issus de l'immigration africaine ou maghrébine visibles à la télévision soient ceux que l'on a vus brûler des voitures pendant trois semaines en novembre 2005. Les mentalités progressent, comme en témoignent les quelque 500 entreprises qui ont signé depuis huit mois la Charte de la diversité, mais il reste du chemin à faire pour que toute la société fasse sienne l'idée que les quartiers déshérités recèlent une grande richesse humaine, actuellement sous-exploitée.

Enfin, l'article 28 crée un service civil volontaire, qui regroupera l'ensemble des missions d'accueil des jeunes de seize à vingt-cinq ans dans un but d'intérêt général ou d'insertion professionnelle. L'objectif est de signer d'ici deux ans 50 000 contrats comportant une formation, éventuellement un tutorat, et un accompagnement dans la recherche d'un emploi au terme de la période.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, a considéré que, parmi les inégalités dont souffrent les jeunes, figure l'inégalité devant le milieu familial : certains parents, en effet, qui ont « baissé les bras », laissent leurs enfants livrés à eux-mêmes. C'est pourquoi il est proposé, aux articles 24 et 25 du projet, d'instaurer un contrat de responsabilité parentale : lorsque le chef d'établissement, le maire ou les services sociaux découvrent une situation de détresse, se manifestant par exemple par un absentéisme scolaire chronique, le président du conseil général, en tant que responsable des services de protection de l'enfance, pourra proposer aux parents, dans le cadre d'un contrat leur rappelant leurs obligations, une aide sociale et psychologique pour mettre fin à cette situation. C'est seulement en cas d'échec que le président du conseil général envisagera diverses sanctions. Il ne s'agit évidemment que d'une faculté car le risque existe, ce faisant, d'aggraver les difficultés de la famille ; il ne devra en être usé qu'en cas de mauvaise volonté manifeste de la famille, afin de rétablir l'égalité des chances en faisant en sorte que tout enfant ait des parents exerçant envers lui le rôle qui est le leur.

A l'issue de l'exposé des ministres, le président Jean-Michel Dubernard ayant annoncé, avant de donner la parole au rapporteur, que le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement devait quitter la salle pour participer à l'examen en séance publique du projet de loi portant engagement national pour le logement, M. Gaëtan Gorce a vivement protesté.

M. Laurent Hénart, rapporteur, a posé cinq questions relatives à différents points du projet de loi :

- Dans le nouveau dispositif relatif aux zones franches urbaines, les exonérations de charges sociales sont-elles les mêmes pour les entreprises et les associations ?

- Pour la mise en œuvre du contrat de responsabilité parentale, sur quels critères jugera-t-on qu'il y a ou non carence de l'autorité parentale ?

- La diversité de la société française dont les médias audiovisuels devront rendre compte s'entend-elle du seul point de vue ethnique ou culturel ou comprend-elle aussi d'autres éléments de diversité et de discriminations éventuelles, comme le sexe ou le handicap ?

- Les jeunes qui signeront un contrat de service civil volontaire relèveront-ils d'un nouveau statut sui generis ou d'un des divers statuts déjà existants ?

- Avant de prononcer des sanctions, la HALDE pourra-t-elle notifier des injonctions ?

M. Gaëtan Gorce s'est élevé contre le fait que le ministre signataire du projet de loi ait dû s'absenter avant même que les membres de la commission aient pu poser leurs questions. Sans que soit en cause la qualité des propos de ses collègues ministres délégués, il n'est pas acceptable que la commission commence l'examen du projet sur la base d'un texte incomplet et en l'absence de son principal auteur.

Le président Jean-Michel Dubernard a indiqué que M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, rejoindrait la commission lorsque son audition par la mission d'information sur l'amiante serait achevée.

M. Christian Paul a estimé inacceptable que les deux principales dispositions du texte, à savoir la formation d'apprenti junior et le contrat première embauche (CPE), soient discutées en l'absence des deux ministres les plus directement concernés, à savoir ceux en charge de l'emploi et de l'éducation. La commission ne peut siéger valablement dans ces conditions.

M. Francis Vercamer s'est associé aux critiques portant sur la méthode employée par le gouvernement, dont la précipitation ne laisse pas augurer de bonnes conditions d'examen du texte : la commission n'a pas eu connaissance de l'amendement créant le CPE et ses membres n'ont pas eu le temps de préparer les leurs. S'est-on donc aperçu ce week-end seulement que des violences urbaines avaient eu lieu au mois de novembre 2005 ?

Sur le fond, on peut douter que le projet de loi soit à la hauteur des enjeux. Les dispositions relatives à l'égalité des chances, défendues avec talent par M. Azouz Begag, constituent un ensemble disparate, incluant même - on se demande pourquoi - un contrat de responsabilité parentale mais passant sous silence la question de l'exclusion des seniors du marché du travail. La problématique de la diversité et des discriminations n'est abordée que sous l'angle institutionnel et sous celui de l'image ; elle est entièrement absente du titre Ier du projet, consacré notamment à l'emploi, alors même que 45 % des plaintes déposées devant la HALDE concernent des discriminations dans ce domaine, qui arrive très loin devant tous les autres.

M. Maxime Gremetz s'est indigné des conditions d'improvisation sans précédent dans lesquelles s'engage l'examen du projet de loi, au demeurant bâclé et comportant des dispositions inadmissibles. La précipitation mise par le gouvernement à faire adopter le CPE, lequel constitue une discrimination de plus à l'encontre des jeunes, traduit sa crainte d'une forte mobilisation sociale, comme celle à laquelle s'était heurté le projet de « SMIC jeunes » sous le gouvernement de M. Édouard Balladur, et sa volonté de mettre syndicats et Parlement devant le fait accompli. Mêler tous les problèmes dans un texte « fourre-tout » tendrait à faire accroire que les problèmes de chômage, de pauvreté, de précarité, se résument à un problème de discrimination raciale, ce qui est faux : dans l'agglomération d'Amiens, les jeunes qui brûlaient des voitures étaient dans leur grande majorité ce que d'aucuns appellent des Français de souche. Siéger en commission dans ces conditions n'a pas de sens, a conclu M. Maxime Gremetz , avant de quitter la salle.

M. Yves Durand ayant déploré que le Parlement soit traité comme un paillasson et considéré qu'il n'est pas possible, faute de présence des ministres compétents, de discuter présentement et en détail du dispositif le plus précis du texte, à savoir celui qui concerne l'apprentissage des jeunes de 14 ans, les commissaires membres du groupe socialiste se sont également retirés.

Mme Nadine Morano a salué le discours du ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances et a souligné que les discriminations ne sont pas seulement fondées sur la couleur de la peau : de même qu'il existe un « délit de faciès », il y a un « délit d'adresse » qui interdit, dans les faits, aux habitants de certaines cités d'accéder à l'emploi et à la formation. L'ascenseur social est cassé et l'attitude des groupes de l'opposition montre qu'ils n'ont pas compris que la crise des banlieues est en réalité celle de la société toute entière. C'est une raison de plus pour agir, et pour agir vite, en faveur de l'égalité des chances.

M. Bernard Perrut a estimé que l'exclusion et le chômage des jeunes concernent et heurtent tous les Français, quel que soit leur âge, leur origine, le lieu où ils habitent. Aussi le présent projet de loi, qui comporte toute une panoplie de mesures pour renforcer la cohésion sociale, est-il crucial. Le dispositif de contrat jeune en entreprise (SEJE), créé par la première loi votée sous la présente législature, sera enrichi et étendu ; le contrat de responsabilité parentale est dans le droit fil des dispositifs de réussite éducative ; la formation d'apprenti junior complète les mesures précédemment prises en faveur du développement de l'apprentissage et l'on peut compter sur la compétence et la vigilance du rapporteur pour obtenir les meilleures garanties possible. Il est naturellement permis de regretter que les conditions de travail de l'Assemblée soient ce qu'elles sont, mais l'important est d'agir car le but est important.

En réponse aux commissaires, la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité a apporté les précisions suivantes :

- S'agissant des zones franches urbaines, le texte ne traite pas des exonérations propres aux associations ; un amendement pourrait y pourvoir. C'est parce que le dispositif des zones franches urbaines a bien fonctionné que le gouvernement souhaite l'étendre et donner aux entreprises des quartiers sensibles le sentiment qu'elles pourront vivre aussi normalement que possible.

- L'article 26 renforce, à leur demande, les pouvoirs de police des maires contre les incivilités, étant entendu que les sanctions ne seront pas forcément pécuniaires mais pourront prendre la forme de travaux d'intérêt général.

- La création de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances est motivée par le constat, partagé, d'une trop grande opacité du système. Le temps est compté mais la mission de préfiguration permettra de résoudre certains problèmes pratiques. Sensible à la volonté du Parlement de moderniser l'Etat, le gouvernement a préféré moderniser l'existant que de créer ex nihilo de nouvelles structures. La lutte contre les discriminations suppose une action rapide et résolue et les victimes de discriminations, notamment en matière d'emploi, ont besoin que les dispositions nouvelles soient applicables dans les meilleurs délais. C'est parce que l'égalité des chances est un thème qui, comme l'a dit M. Bernard Perrut, concerne tout le monde, que la nouvelle agence regroupe l'ensemble des moyens de l'Etat.

- Les dispositifs en faveur de l'emploi prolongent et amplifient les précédents, de façon à répondre aux besoins de tous les publics en difficulté, aussi bien dans les quartiers sensibles qu'en milieu rural.

Le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille a déploré que l'opposition ait cru devoir partir alors que le gouvernement s'apprêtait à lui répondre, en même temps qu'aux autres parlementaires, et s'est étonnée de cette étrange conception du débat démocratique.

Le constat de carence de l'autorité parentale repose sur un certain nombre d'indicateurs objectifs, comme l'absentéisme scolaire, mais il convient aussi d'apprécier avec souplesse des situations qui peuvent être très diverses, d'où le choix, justement, du mot « carence », qui dénote de graves négligences dans l'éducation des enfants. Il ne s'agit pas de faire entrer de force dans le dispositif des parents pour qui ce ne serait pas justifié.

Le ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances a estimé que le thème de la diversité dans l'emploi est le fil directeur de l'ensemble des mesures prises par le gouvernement depuis la crise des banlieues. Il s'agit de montrer aux jeunes que l'ascenseur social n'est pas cassé, que sa panne peut être réparée, qu'ils peuvent avoir accès à des filières de réussite diverses, que l'on peut s'épanouir en étant pâtissier ou tapissier, et pas seulement en faisant « Sciences Po » ou l'ENA, mais aussi que l'on peut être pâtissier ou tapissier et aimer Emile Zola ou John Steinbeck ; or les critiques adressées à la formation d'apprenti junior donnent l'impression d'opposer l'un et l'autre modèle.

Peut-être de jeunes Picards « de souche » ont-ils participé aux violences urbaines à Amiens, mais les Français ont bien vu à la télévision, au cours de ces trois semaines de novembre 2005, qui étaient les jeunes en cause et l'on ne peut plus se voiler la face. Il est temps que chacun intériorise l'idée que la discrimination est un délit et l'action de la HALDE est de nature à y contribuer.

Enfin, le service civil volontaire n'aura pas pour effet de créer un nouveau contrat, mais utilisera les agréments existants : contrats aidés de la loi de cohésion sociale, contrats de volontariat associatif, contrats de volontariat pour l'insertion du ministère de la défense...

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié les ministres pour leurs exposés et leurs réponses.

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Puis la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Laurent Hénart, le projet de loi pour l'égalité des chances - n° 2787.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que la gravité de la situation sociale des banlieues justifie la modification de l'ordre du jour décidée par le gouvernement. Il est en effet indispensable d'apporter des solutions rapides aux problèmes mis en lumière par cette crise récente.

M. Laurent Hénart, rapporteur, a tout d'abord souhaité rassurer les membres de la commission en indiquant que les parlementaires auraient tout le temps nécessaire pour débattre de ce projet de loi : l'ordre du jour prévoit que la discussion de ce texte se déroulera sur deux semaines et non sur une seule semaine comme le prévoyait le calendrier initial. Il sera aussi possible d'organiser des auditions le jeudi 26 janvier pour recueillir l'avis de personnes autorisées directement impliquées dans ces dispositifs d'insertion sociale et professionnelle. Tous les membres de la commission pourront assister à ces auditions.

La mise en place du contrat première embauche a une cohérence évidente avec les dispositions initialement prévues dans le projet de loi pour l'égalité des chances. En effet il s'agit de faciliter l'intégration professionnelle des jeunes, ce problème étant particulièrement aigu dans les banlieues : 10 % de la population française vit dans des zones urbaines défavorisées qui cumulent de nombreux handicaps avec des problèmes importants de précarité sociale et une absence d'activités économiques.

Le projet de loi pour l'égalité des chances, malgré la diversité des mesures proposées, présente une véritable cohérence. L'un de ses objectifs principaux est de contribuer au développement harmonieux des zones urbaines sensibles par une incitation à l'installation d'activités économiques dans ces quartiers et par le renforcement du tissu associatif garant du lien social. Il convient aussi de lutter contre les trop nombreuses situations de décrochage, économique, mais aussi culturel et éducatif. De ce point de vue, le diplôme est un réel moyen d'accès à l'emploi.

Le rapporteur a ensuite présenté les principales dispositions du projet de loi.

Le premier axe du projet de loi est le développement de la formation en alternance par l'institution d'un nouveau dispositif d'apprentissage junior. Il est important de souligner que cet apprentissage se déroulera, lors de la première année, sous statut scolaire, cette première année permettant une découverte des métiers. La deuxième année sera une année d'alternance selon les modalités habituelles de l'apprentissage. Il sera toujours possible aux jeunes engagés dans cette démarche de réintégrer la voie de l'enseignement général s'ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas poursuivre leur formation en alternance. Les employeurs bénéficieront dans ce cadre de dispositifs incitatifs de crédit d'impôt.

Le projet de loi vise ensuite à inciter les entreprises à investir dans les zones franches urbaines, de nouvelles zones franches devant d'ailleurs être créées pour renforcer l'attractivité économique des quartiers sensibles. Le régime favorable d'exonération de charges sociales et d'incitations fiscales spécifiques à ces zones sera prolongé jusqu'en 2011 et une harmonisation des dispositifs incitatifs des différentes générations de zones franches sera opérée. Il faudra veiller à l'applicabilité du dispositif d'exonération de cotisations aux associations.

Dans le cadre de cette réforme, le contrat « première embauche » introduit par voie d'amendement gouvernemental offrira aux jeunes une première expérience professionnelle durable afin de favoriser leur insertion professionnelle. Par ailleurs, le rapporteur a fait part de son intention de déposer un amendement étendant et simplifiant le dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise qui permet aux entreprises de bénéficier d'une aide durant une durée de trois années.

L'intégration sociale et civique des jeunes suppose aussi que les parents soient en mesure d'assumer leurs responsabilités éducatives. C'est pourquoi le projet de loi crée un dispositif de soutien à la parentalité intitulé « contrat de responsabilité parentale » pour aider les parents confrontés à de graves difficultés éducatives avec leurs enfants mineurs. Les services sociaux du conseil général proposeront aux parents, en échange d'un accompagnement social individualisé, de prendre des engagements précis afin de remédier à l'absentéisme scolaire ou au comportement incivique de leur enfant. Si les parents refusent de signer ce contrat de responsabilité parentale, le président du conseil général pourra décider de certaines sanctions comme, par exemple, la suspension des prestations familiales.

Le projet de loi comporte aussi un dispositif particulièrement novateur pour inciter les médias à refléter la diversité de la société française. Il reviendra au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de veiller à ce que les fournisseurs de programmes prennent en compte ce nouvel impératif de lutte contre les discriminations. Il apparaît essentiel que les médias relevant du service public aient des contraintes supplémentaires pour promouvoir la richesse multiculturelle de notre pays.

Le projet de loi propose aussi de renforcer les pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) afin de sanctionner plus efficacement les actes de discrimination à l'encontre des minorités. C'est ainsi que la HALDE pourra prononcer des sanctions pécuniaires. La loi reconnaîtra aussi le recours à des tests, dit testing, efficace pour prouver, par exemple, que certaines entreprises pratiquent une discrimination à l'embauche. Les victimes de discriminations pourront ainsi saisir la HALDE des injustices dont elles ont fait l'objet, pour faire cesser rapidement ces pratiques discriminatoires sans encombrer les tribunaux. Le rapporteur a précisé qu'il présenterait des amendements pour clarifier la procédure d'instruction des enquêtes menées par la HALDE et garantir les droits de la défense.

En conclusion, le projet de loi a pour principal objectif de favoriser l'intégration des jeunes dans la société française. Trop longtemps cette difficile mission a reposé sur l'éducation nationale qui n'est plus en mesure aujourd'hui d'assumer seule cette tâche. C'est pourquoi le projet comporte plusieurs dispositifs visant à responsabiliser les parents et les adolescents. Les efforts de la solidarité nationale au profit des quartiers en difficulté doivent, en effet, avoir une contrepartie en terme de responsabilité des parents ou d'efforts des jeunes pour s'insérer professionnellement ou adopter un comportement civique. Il apparaît donc très important que la lutte contre les incivilités ne se traduise pas par des sanctions pénales supplémentaires mais par des mécanismes de réparation qui favorisent l'insertion sociale des adolescents.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié le rapporteur pour son exposé et a souligné la nécessité d'adopter rapidement des mesures qui répondent à l'attente des jeunes des banlieues confrontés à de multiples formes de discriminations.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean-Pierre Door a tout d'abord fait remarquer que ce projet de loi ne se justifie pas seulement par la nécessité de répondre à la crise des banlieues de novembre dernier, mais aussi par l'obligation de trouver des solutions à des problèmes très complexes qui existent depuis de nombreuses années comme le montrent les différents dispositifs existants de la politique de la ville. Concernant le contrat de responsabilité parentale, il est dommage que le dispositif ne prévoie pas une responsabilité spécifique pour le maire. En effet, face aux problèmes récurrents de l'absentéisme scolaire, il apparaît que seul le maire est en mesure de suivre quotidiennement les multiples problèmes vécus par les enseignants et les parents. Il serait donc souhaitable de préciser dans le projet de loi que le maire pourra saisir le président du conseil général pour proposer à telle ou telle famille la signature d'un contrat de responsabilité parentale. Se pose par ailleurs le problème des crédits 2006 pour les contrats de ville : en effet, les contrats 2006 ne sont toujours pas finalisés et les moyens financiers disponibles semblent être en restriction. Il est indispensable que le ministre chargé de la politique de la ville apporte des précisions sur le devenir de ces contrats, car la pérennité de multiples associations engagées dans l'action sociale en faveur des quartiers en difficulté dépend de la rapidité avec laquelle ces contrats de ville seront reconduits.

En écho aux propos de M. Jean-Pierre Door, M.  Pierre-Louis Fagniez a indiqué que la mission parlementaire sur la famille et les droits de l'enfant s'est longuement penchée sur le problème de la coordination de l'action des maires et des présidents de conseils généraux pour la protection de l'enfance et de la jeunesse. Les auditions menées par cette mission ont démontré que le maire constitue un rouage essentiel pour permettre une coordination entre les travailleurs sociaux, la justice et l'aide sociale à l'enfance dans la prévention de la délinquance et de la marginalisation des mineurs.

En réponse aux observations des commissaires, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Le maire joue en effet un rôle essentiel dans la prévention de l'absentéisme scolaire et il est tout a fait opportun de prévoir qu'il puisse saisir le président du conseil général d'une demande de signature de contrat de responsabilité parentale pour faire cesser les incivilités de certains mineurs. Le projet de loi dans sa rédaction actuelle renvoie aux décrets la définition des autorités susceptibles de saisir le président du conseil général. Compte tenu des observations des différents commissaires, un amendement sera présenté pour attribuer explicitement au maire le pouvoir de saisir le président du conseil général. Il convient par ailleurs de rappeler que le maire a aussi un rôle central dans le nouveau dispositif des équipes de réussite éducative. Ce mécanisme innovant permet de sortir de la logique de zonage territorial pour affecter des moyens spécifiques à un élève qui a démontré sa volonté de faire des efforts d'insertion scolaire.

- Concernant les sanctions que peut décider le président du conseil général en cas de non-respect de l'engagement parental dans le cadre du contrat de responsabilité parentale, il s'avère nécessaire de clarifier un point du projet de loi. En effet, le texte prévoit que le président du conseil général pourra saisir l'autorité judiciaire d'une demande tendant à l'application d'une contravention définit par décret en Conseil d'État. Or il n'est pas possible de sanctionner l'inobservation d'un contrat par le prononcé d'une sanction pénale. Un amendement précisera donc le cadre de la saisine du parquet par le président du conseil général. Une autre difficulté de ce texte tient à la notion de carence de l'autorité parentale, qui n'a reçu aucune définition législative.

- Le problème évoqué par M.  Jean-Pierre Door concernant les contrats de ville a une importance pratique considérable et ce point sera évoqué dans le rapport de la commission, afin d'obtenir des réponses du gouvernement.

En conclusion, le président Jean-Michel Dubernard a informé les commissaires que le gouvernement a déposé trois amendements destinés à favoriser l'emploi des jeunes, qui seront discutés lors de la réunion de la commission du mercredi 25 janvier.

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