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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 47

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 mars 2006
(Séance de 17 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur la mise en application de la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption (Mme Michèle Tabarot, rapporteure)

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En application de l'article 86, alinéa 8 du Règlement de l'Assemblée nationale, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, au cours de sa réunion du mardi 28 mars 2006, en présence de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, le rapport de Mme Michèle Tabarot sur la mise en application de la loi n° 2005-744 du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption.

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que cette loi est l'aboutissement d'un long travail de mobilisation parlementaire, notamment dans le cadre du groupe d'études sur l'adoption de l'Assemblée nationale et au sein du Conseil supérieur de l'adoption. Elle est la traduction de la proposition de loi présentée par M. Yves Nicolin et la rapporteure et représente la première étape d'une réforme de l'adoption qui se poursuivra par voie réglementaire.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales considère qu'il est essentiel, comme le prévoit l'article 86, alinéa 8 du Règlement de l'Assemblée nationale, de contrôler l'application des lois six mois après leur entrée en vigueur, voire une nouvelle fois à l'issue d'un nouveau délai de six mois si nécessaire. Très attachée à la fonction de contrôle parlementaire, elle fait ainsi systématiquement un bilan de l'application de toutes les lois votées qui relèvent de sa compétence. Or elle constate qu'un seul décret d'application a été publié huit mois après la publication de la loi du 4 juillet 2005 et s'interroge sur le degré d'avancement des textes réglementaires en préparation.

Cette loi répondait à deux objectifs principaux : faciliter l'adoption internationale par la création de l'Agence française de l'adoption (AFA) et harmoniser la procédure d'agrément sur l'ensemble du territoire national.

Il serait intéressant que le ministre puisse préciser dans quels délais l'Agence française pour l'adoption pourra être opérationnelle, c'est-à-dire remplir les missions aujourd'hui assumées par la Mission de l'adoption internationale (MAI) qui dépend du ministère des affaires étrangères.

Par rapport au système actuel où les dossiers d'adoption internationale sont centralisés à Paris, à la MAI, le progrès majeur apporté par cette réforme - et on peut saluer ici l'implication de la rapporteure - est de prévoir que des correspondants locaux de l'agence sont désignés par les conseils généraux pour aider les parents dans leur démarche d'adoption internationale.

La mise en œuvre de cette réforme a nécessité une longue concertation avec les conseils généraux, codécideurs avec l'Etat au sein de l'Agence française pour l'adoption (AFA). Jusqu'ici, l'Etat assumait la charge de l'instruction des dossiers d'adoption internationale ; désormais, cette responsabilité incombera en grande partie aux départements, par le biais du correspondant départemental de l'AFA. Il serait donc opportun que le ministre fasse le point sur les négociations en cours entre l'Etat et les départements au sujet du financement de cette réforme de l'adoption et indique notamment si une compensation au profit des départements est prévue pour la prise en charge de cette nouvelle mission en matière d'adoption internationale.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure, a rappelé que la loi du 4 juillet 2005 réformant l'adoption a suscité un véritable espoir parmi les 25 000 familles en attente d'adoption en France. Lorsqu'elles prennent la décision d'adopter, ces familles s'engagent en effet dans un parcours difficile, véritable « parcours du combattant ». A travers cette loi, il ne s'agit certes pas de répondre en une seule fois à l'ensemble des difficultés qu'elles peuvent rencontrer : c'est une première étape qui appelle d'autres évolutions.

Pour autant, ce texte propose de réelles avancées. D'abord, parce qu'il permet d'instaurer plus d'équité à travers l'harmonisation des documents d'agrément ou le doublement de la prime d'adoption, effectif depuis août 2005. Mais aussi parce qu'il assure une meilleure prise en compte des besoins des adoptants et des exigences des pays d'origine : la qualité du suivi des enfants après l'adoption sera améliorée, ce qui est un facteur clé pour la réussite des futures adoptions internationales. En effet, certains pays d'origine des enfants adoptés conditionnent la poursuite des adoptions internationales à la qualité des retours d'information qui leur sont fournis.

Les débats qui se sont déroulés à l'Assemblée nationale ont permis d'enrichir ce texte. L'article 3 de la loi résulte ainsi d'un amendement de Mme Henriette Martinez, visant à modifier l'article 350 du code civil relatif à la déclaration judiciaire d'abandon d'enfant, pour que la situation de grande détresse des parents ne soit plus une excuse à un désintérêt prolongé envers leur enfant. La représentation nationale a ainsi souhaité signifier que l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer sur le lien biologique.

La création de l'Agence française de l'adoption est l'élément central de cette réforme. L'agence a pour mission d'informer, de conseiller et d'aider les adoptants internationaux. Elle s'appuiera sur un réseau de correspondants locaux, dans chaque département, et sur des référents dans les pays d'origine. Elle sera également reconnue comme intermédiaire en vue de l'adoption, au même titre que les organismes autorisés pour l'adoption (OAA).

Chacun perçoit l'intérêt de cette réforme. L'évolution de la situation de l'adoption sur le plan international rend impérative l'ouverture de cette troisième voie : de plus en plus de pays d'origine exigent le recours à des organismes intermédiaires et se ferment aux démarches individuelles d'adoption. On sait que les OAA ont une capacité de traitement limitée et il est essentiel que l'AFA puisse les suppléer dans les meilleurs délais. La loi du 4 juillet 2005 répond donc à une véritable nécessité.

Comme l'a déjà souligné le président Jean-Michel Dubernard, huit mois après la promulgation de la loi, force est de constater que, malgré l'importance de cette réforme, certains textes réglementaires majeurs n'ont pas encore été publiés.

Il est important que la représentation nationale puisse être plus précisément informée sur un certain nombre de points :

- S'agissant tout d'abord de l'harmonisation des documents d'agrément et des notices, il semble que le projet de décret soit en cours de finalisation. A-t-il été soumis à l'Assemblée des départements de France ? Quand sera-t-il publié ? Cette démarche d'harmonisation est essentielle pour l'équité territoriale entre les adoptants, mais aussi pour la lisibilité des dossiers vis-à-vis des pays d'origine des enfants qui seront adoptés. A cet égard, il serait bienvenu que le ministre, qui a annoncé souhaiter aller plus loin que la simple définition d'un document type d'agrément, puisse préciser ses intentions.

- S'agissant du suivi après l'adoption, qui est d'une exigence forte de nombreux pays d'origine, cette mission relèvera désormais des services de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Quel rôle va jouer l'Agence française de l'adoption dans le contrôle de ce suivi ? Qu'en sera-t-il pour les enfants adoptés en démarche individuelle sans passer par l'AFA ? Existera-t-il des moyens de contrôler le respect des exigences des pays d'origine ?

- Concernant l'installation de l'Agence française de l'adoption (AFA), la mise en place de cette institution doit se faire progressivement. Durant la période transitoire, comment va s'articuler la gestion des dossiers d'adoption internationale entre l'actuelle MAI et l'agence ? Le projet de décret relatif au fonctionnement et à l'habilitation de l'AFA est également en cours de finalisation. Comment s'explique le délai de publication de ce texte pourtant essentiel pour que l'AFA puisse engager les démarches nécessaires auprès des Etats étrangers pour être reconnue comme intermédiaire en vue de l'adoption ? Vers quels pays d'origine et dans quels délais l'AFA pourra-t-elle commencer à jouer ce rôle d'intermédiaire ?

- Pour ce qui concerne la modification de l'article 350 du code civil et les prononcés judiciaires d'abandons, autrement dit « l'amendement Martinez », la question qui se pose est de savoir jusqu'à quel point le lien biologique doit primer sur l'intérêt et la sécurité de l'enfant. La modification votée par le Parlement a été mal perçue par certains professionnels de la protection de l'enfance. Une circulaire précisant le sens de cet article, visant à permettre à des enfants de prendre un nouveau départ dans la vie, est-elle prévue ?

- Enfin, des précisions doivent être apportées sur le caractère opérationnel du système d'information pour l'adoption des pupilles de l'Etat (SIAPE), qui concerne les adoptions nationales. Lors des auditions, de nombreuses remarques ont été faites pour regretter les défaillances du SIAPE, qui doit permettre un rapprochement entre les postulants souhaitant accueillir des enfants dits à particularités ou des enfants pupilles de l'État et ces enfants en attente d'une famille : il s'agit, par exemple, d'enfants ayant des problèmes de santé ou un handicap, ou encore d'enfants âgés de plus de huit ans. A l'heure actuelle, le SIAPE n'est pas encore pleinement opérationnel. Le fichier est peu utilisé pour les apparentements. En outre, peu de postulants font établir la fiche signalétique leur permettant de figurer dans ce fichier. Le ministère entend-il mettre en place des moyens nouveaux pour améliorer le fonctionnement du SIAPE ?

Voilà l'essentiel des réflexions et interrogations que l'on peut formuler à ce stade et à l'issue des nombreuses auditions menées, dont il faut souligner le grand intérêt.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, a donné acte du diagnostic effectué par la rapporteure, tout en soulignant qu'il est important d'accorder des délais utiles pour associer pleinement les intéressés, en particulier les départements, à la réforme. Sans doute, la mise en œuvre de la loi aurait-elle été plus rapide sans cette concertation approfondie avec les départements mais certains aspects de sa mise en application auraient été ignorés. Puis, il a apporté les précisions suivantes en réponse aux questions de la rapporteure :

- Concernant l'harmonisation des documents d'agrément et des notices, le projet de décret relatif à l'agrément a été transmis pour avis à l'Assemblée des départements de France en février 2006. Il a pu être envoyé au Conseil d'Etat le 24 mars 2006. Il devrait être publié avant la fin du premier semestre 2006. Par-delà la définition d'un document type de décision d'agrément, il est important d'accompagner les départements dans la réflexion et la diffusion de bonnes pratiques. C'est l'objet du guide à l'attention des professionnels, aujourd'hui en cours d'élaboration en lien avec des conseils généraux. Il est envisagé d'accompagner la diffusion de ce guide d'une journée technique de formation à l'attention des services départementaux.

- Le suivi après l'adoption répond à une demande forte de certains pays, comme la Russie ou la Chine, qui veulent connaître le devenir des enfants adoptés. La nouvelle Agence française de l'adoption pourra répondre à leurs questions et offrir ainsi du crédit aux dossiers d'adoption présentés par les familles françaises.

En matière de suivi, l'agence va remplir deux rôles. Elle assurera le lien entre la famille et les services départementaux en informant ces services de l'arrivée d'un enfant sur leur territoire et en leur transmettant le calendrier de suivi prévu par la réglementation du pays d'origine ; les départements auront donc connaissance en temps réel de l'arrivée d'un enfant et pourront dès lors engager la procédure de suivi. L'agence assurera également la transmission des rapports de suivi aux autorités étrangères ; elle pourra ainsi sécuriser le circuit de transmission.

Les familles qui adopteront dans les Etats non parties à la convention de La Haye et sans accompagnement d'un organisme autorisé ou de l'agence bénéficieront également du suivi prévu par la loi. Il leur reviendra cependant de transmettre elles-mêmes le rapport de suivi aux autorités étrangères puisque l'agence n'a pas cette compétence. Toutefois, en prenant l'attache du correspondant départemental, elles pourront avoir les adresses des services compétents dans le pays d'origine de leur enfant.

- L'installation de l'Agence française de l'adoption n'a pas été une mince affaire. Il a fallu trouver des locaux à Paris - l'agence sera installée boulevard Henri IV, près de la Bastille - et le visa du contrôleur financier s'est fait attendre alors même que les crédits étaient inscrits au budget. L'ouverture au public sera possible dans le courant du mois de mai 2006. D'ici là, il est nécessaire de former le personnel car une seule personne provient du ministère des affaires étrangères et possède donc, d'ores et déjà, une compétence opérationnelle en matière d'adoption internationale. Ce sont donc de nouveaux agents qui devront assimiler les procédures et connaître les réponses aux questions les plus fréquemment posées.

Pendant une période transitoire de douze mois, l'agence assurera la prise en charge des nouveaux dossiers de demandes d'adoption dans les pays pour lesquels elle aura été accréditée et la Mission de l'adoption internationale du ministère des affaires étrangères gardera la gestion des dossiers dont elle avait déjà la responsabilité à la date d'ouverture de l'agence quel que soit le pays concerné.

La concertation interministérielle entre les cinq ministères signataires de la convention de décembre 2005 relative à la mise en place l'agence ainsi que la saisine d'instances ou de partenaires ont allongé le délai de publication du décret relatif à l'agence. Ce décret pourra être publié fin mai 2006 mais, avant même l'élaboration du projet de texte, la convention constitutive ainsi que les divers règlements relatifs à son fonctionnement ont été adoptés et signés. Tout le dispositif permettant le fonctionnement opérationnel de l'agence est donc en place. Par ailleurs, l'agence dispose déjà d'une capacité d'action puisqu'elle a été habilitée, directement par le législateur, comme intermédiaire pour l'adoption dans les Etats parties à la convention de La Haye, soit dans plus de 23 pays dont la Chine, la Colombie, Madagascar et le Brésil. Avec ces pays, il n'y a donc pas besoin d'attendre le décret d'application pour que l'agence puisse commencer à nouer des contacts.

L'AFA devrait s'orienter dès la fin du premier semestre 2006 vers les pays suivants : la Chine, la Colombie, l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, le Burkina Faso, le Brésil, Madagascar, le Vietnam et la Russie. Pour ces deux derniers pays la procédure d'accréditation sera plus longue et plus complexe compte tenu de leur organisation institutionnelle. Les responsables de l'agence devraient se rendre dans les semaines à venir en Chine et en Russie.

Les modalités d'accréditation pour les pays parties à la convention de La Haye sont en cours d'examen avec le ministère des affaires étrangères. Le glissement de compétence entre la Mission de l'adoption internationale et l'agence va s'échelonner sur une période de douze mois.

- Des inquiétudes ont été exprimées sur le rôle restreint qui serait reconnu aux associations de familles adoptives par la réforme.

Ces associations ont pleinement leur place dans le comité de suivi qui sera mis en place avant la mi-juin au sein de l'agence. Ce comité sera un lieu d'échange et d'information sur le fonctionnement de l'agence et permettra à ses membres de suivre l'évolution de la politique d'adoption dans les différents pays d'origine. Mais, au-delà, l'agence devra bien entendu nouer des liens importants avec les associations de parents.

Avec la réforme de l'Autorité centrale pour l'adoption internationale, le Conseil supérieur de l'adoption pourra pleinement assurer toutes ses compétences en matière d'adoption internationale. Le décret sur la réforme de l'autorité centrale est en cours d'examen par le Conseil d'Etat. Sa publication est prévue pour fin mai 2006.

- Sur les conséquences à tirer de la modification de l'article 350 du code civil, le ministère n'a pas besoin d'expliquer par voie de circulaire la portée de cette modification législative qui est claire : elle supprime un membre de phrase dans le code civil qui mentionnait la détresse de la famille comme cause permettant de se prémunir contre une déclaration judiciaire d'abandon d'enfant. Le code civil reste donc inchangé sauf sur ce point. Aucune question sur cette mesure n'a été posée au ministère par les services départementaux d'aide sociale à l'enfance et il n'est pas envisagé de modifier à nouveau l'article 350 du code civil dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance qui sera présentée prochainement en Conseil des ministres. Cette réforme a pour objectif que, face à une situation de danger, l'intérêt supérieur de l'enfant prime toujours sur toute autre considération. Ainsi, la protection de l'enfant ne se limitera plus aux cas de maltraitance mais couvrira toutes les situations qui mettent l'enfant en danger ou en risque de danger.

- L'amélioration du fonctionnement du système d'information pour l'adoption des pupilles de l'Etat (SIAPE) est un sujet important. L'inscription des familles candidates à l'adoption dans le fichier semble rencontrer quelques difficultés en raison soit de la méconnaissance par les départements de l'existence dudit fichier, soit du caractère trop général des informations recensées sur les particularités de l'enfant acceptées par les familles candidates à l'adoption (troubles psychiques, maladies évolutives, handicaps sensoriels...). Des travaux devraient être engagés dans les semaines qui viennent sur l'adaptation de ce fichier en lien avec le Conseil supérieur de l'adoption et les services départementaux (DDASS et services d'aide sociale à l'enfance des conseils généraux). Les adaptations devront bien sûr être accompagnées par le ministère et une journée technique sur l'adoption des enfants présentant des particularités sera organisée à cette fin.

Pour conclure, le ministre a indiqué que les principaux textes d'application de la réforme sont finalisés - un premier décret devrait être publié courant mai et les derniers textes d'application le seront en juin 2006 - et s'est réjoui de la prochaine ouverture de l'Agence française de l'adoption qui est dès à présent tout à fait opérationnelle.

Après avoir remercié le ministre pour les informations communiquées, le président Jean-Michel Dubernard a souligné qu'il pouvait comprendre les difficultés rencontrées du fait des concertations nécessaires et de la création de nouvelles structures ex nihilo. Néanmoins, les membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sont très attachés à leur fonction de contrôle et un nouveau rendez-vous est à prévoir au début de l'automne pour que les commissaires aient une vision complète de la mise en application de la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l'adoption.


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