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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 50

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 avril 2006
(Séance de 10 heures 30)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise - n° 3013 (M. Laurent Hénart, rapporteur).


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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a désigné M. Laurent Hénart rapporteur sur la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise - n° 3013.

À la suite des applaudissements nourris ayant accueilli cette désignation, le président Jean-Michel Dubernard s'est étonné du caractère « surréaliste » de cette manifestation d'enthousiasme de la part des commissaires.

*

Puis, la commission a examiné, sur le rapport de M. Laurent Hénart, la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise - n° 3013.

M. Laurent Hénart, rapporteur, a indiqué que la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise propose une réécriture de l'article 8 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. Elle résulte du constat fait par le Premier ministre que le climat social, qui dénote une confiance insuffisante pour l'application du contrat première embauche, rend nécessaire de remplacer ce dispositif par des propositions plus immédiatement opérationnelles en faveur de l'insertion des jeunes dans l'emploi. Une proposition de loi a donc été déposée en ce sens par M. Bernard Accoyer, M. Jean-Michel Dubernard et le rapporteur.

Cette proposition de loi repose sur trois principes et propose quatre mesures.

Le premier principe résulte de l'audition des dix-neuf organisations représentatives des salariés, des étudiants et des lycéens : l'intervention de la loi doit être ciblée sur les jeunes les moins qualifiés, dont le taux de chômage atteint 40 % et dont la durée de chômage est en moyenne de deux années. Le choix de ce public pour cible a fait l'unanimité des organisations auditionnées.

Le deuxième principe consiste à favoriser l'entrée des jeunes dans la vie active, autant que possible par un contrat à durée indéterminée.

Le troisième principe est le développement des actions d'accompagnement professionnel des jeunes, conformément au plan de cohésion sociale arrêté par le gouvernement.

La proposition de loi contient les quatre mesures suivantes :

- Le bénéfice du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (SEJE) est élargi à tous les jeunes titulaires d'un contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS), et non plus seulement aux jeunes de seize à vingt-cinq ans dont le niveau de formation est inférieur à celui d'un diplôme de fin de second cycle long de l'enseignement général, technologique ou professionnel ou résidant en zone urbaine sensible. Par ailleurs, la prime attachée au SEJE que l'Etat verse aux employeurs devrait être portée à 400 euros la première année et 200 euros la seconde, contre 225 euros actuellement pour un SMIC à temps plein.

- Le contrat de professionnalisation, qui peut être défini comme le « petit frère » du contrat d'apprentissage, a été conçu avec les partenaires sociaux. Il implique pour son bénéficiaire un travail effectif dans l'entreprise à hauteur des trois-quarts de son temps de travail global et une formation à hauteur d'un quart du reste de ce temps. Le dispositif est aussi ouvert, sous certaines conditions, aux adultes jusqu'à soixante ans. De manière à favoriser la conclusion de contrats de professionnalisation à durée indéterminée, l'aide existant dans le cadre du SEJE sera versée aux employeurs ayant conclu de tels contrats à hauteur de 200 euros par mois la première année et 100 euros la deuxième.

- Afin de répondre aux 300 000 offres d'emploi non pourvus à l'ANPE, 50 000 stages de formation seront ouverts au profit des jeunes dans les secteurs dits en tension.

- Le CIVIS est enrichi pour être ouvert à tous les jeunes de seize à vingt-cinq ans quelle que soit leur qualification dès lors qu'ils rencontrent des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle. En outre, le rôle du référent assurant le tutorat du jeune est précisé et accru puisque ce référent interviendra pour l'accompagnement de tout bénéficiaire d'un CIVIS, quel que soit son niveau de qualification. Enfin, l'accompagnement pourra se poursuivre pendant un an après l'accès à l'emploi, conformément à un souhait émis par de nombreux employeurs ayant mis en évidence la nécessité pour les jeunes de conserver un interlocuteur même après le retour à l'emploi.

Au total, le nouveau dispositif devrait bénéficier à 150 000 jeunes en 2006 pour un coût de 150 millions d'euros. Le financement sera assuré par redéploiement de crédits tirés du déblocage d'une partie de la réserve de précaution portant sur la mission « Travail et emploi » qui est d'un montant de 564 millions d'euros.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jean Le Garrec a déclaré reprendre volontiers le mot de « surréaliste » employé par le président Jean-Michel Dubernard, mais pour qualifier la situation actuelle, et a remercié le rapporteur d'avoir prononcé les mots de « contrat première embauche » qui apparaissent aujourd'hui comme renvoyant à des termes maudits ayant disparu du débat, ce qui constitue un symptôme relevant de la psychanalyse politique, à moins qu'il ne s'agisse d'une difficulté liée au rapport de forces au sein de la majorité.

Une abrogation pure et simple de l'article 8 aurait été préférable car plus claire, comme le propose M. Valéry Giscard d'Estaing. Pour le moins, il serait souhaitable que le rapporteur confirme qu'il s'agit bien, avec la présente proposition de loi, de l'abrogation effective du dispositif du contrat première embauche, de manière à lever toute ambiguïté.

Le président Jean-Michel Dubernard a précisé avoir évoqué le caractère surréaliste des applaudissements, mais non du texte discuté.

M. Jean Le Garrec a ajouté que le mot de gâchis doit également être utilisé. Il a fallu deux mois pour aboutir à la présente solution, qui était pourtant évidente dès le départ : personne ne voulait du contrat première embauche, ni les jeunes, ni les syndicats de salariés, ni même le patronat, qui ne savait que faire du dispositif, ni bien sûr l'opposition parlementaire. Ce gâchis a des conséquences sociales graves mais il a eu aussi pour effet de déclencher une crise institutionnelle. Tous les groupes politiques et les candidats à la prochaine élection présidentielle poseront la question de la révision des institutions.

Par ailleurs, le mouvement social a montré sa formidable maturité : le combat a été unitaire, mené dans la clarté et accompagné d'efforts d'information considérables. Les jeunes sont entrés en politique de manière non partisane et cela pèsera dans les mois et années à venir.

La majorité ne souhaitait manifestement pas trop froisser un Premier ministre vacillant avec la proposition de loi déposée : celle-ci est un texte de compromis rapidement rédigé, n'apportant pas de réelle nouveauté. Les organisations syndicales, faisant preuve de maturité, ont accepté ce compromis dans l'urgence, alors que des points très importants, comme le contrat nouvelles embauches, l'apprentissage à quatorze ans, le travail de nuit dès quinze ans, restent en débat. Ce compromis a toutefois le mérite de gagner une paix sociale et d'arrêter le gâchis. Il faut remercier les organisations syndicales d'accepter un tel texte qui ne leur convient pas totalement. Le groupe socialiste se contentera de ne pas participer au vote, même s'il déposera des amendements - en nombre limité - car la majorité est seule maîtresse de ce compromis et essaie de réparer au mieux les dégâts causés par le gouvernement.

M. Francis Vercamer a dénoncé la procédure l'ayant obligé à déposer avant neuf heures du matin des amendements sur un texte à peine rendu public. On comprend néanmoins l'empressement du gouvernement à inscrire à l'ordre du jour la proposition de loi, face aux attentes d'un certain nombre de partenaires sociaux.

Il a rappelé avoir exprimé de fortes réticences à l'encontre du contrat première embauche, notamment sur l'absence de motivation de la rupture du contrat et la période d'essai de deux ans, et il convient de se féliciter que le Président de la République ait fait les mêmes remarques concernant les défauts du dispositif adopté. Ce dispositif du contrat première embauche était tellement négatif qu'il a en quelque sorte effacé tout le contenu de la loi pour l'égalité des chances.

Quelle que soit l'expression employée - abrogation, retrait, remplacement, substitution, ... - M. Francis Vercamer a jugé le nouveau texte présenté intéressant puisque, comme il l'avait proposé lors des débats sur le contrat première embauche, la proposition privilégie l'accompagnement des jeunes dans l'emploi. Le groupe UDF suivra donc l'initiative prise par les auteurs de la proposition de loi. Néanmoins, comme pour le contrat première embauche qui résultait d'un amendement gouvernemental déposé au dernier moment en commission, la méthode n'est pas exempte de reproches. Concernant le fonctionnement des institutions, on peut remarquer qu'un seul groupe parlementaire décide de réformer une loi promulguée quelques jours auparavant par le chef de l'Etat. En outre, la volte-face de députés de l'UMP critiquant aujourd'hui le contrat première embauche alors qu'ils l'avaient adopté peut prêter à sourire. Il conviendrait de voter plutôt « en son âme et conscience ». Enfin, quatre amendements seront défendus au cours de la présente séance, de manière à lutter contre les effets d'aubaine et à valoriser le dialogue social.

M. Bernard Perrut a indiqué qu'il faut aborder l'étape représentée par la proposition de loi avec sérénité et confiance. Malgré les difficultés rencontrées, il est possible de trouver des solutions innovantes centrées sur les jeunes ayant des difficultés spécifiques d'insertion professionnelle : c'est le mérite du texte proposé. Il s'agit de compléter les dispositions qui ont été votées au début de 2005 pour mettre en œuvre le plan de cohésion sociale, dont le programme 2 a pour objectif l'accompagnement vers l'emploi de 800 000 jeunes en difficulté. La loi de programmation pour la cohésion sociale a donné lieu à des réussites indéniables, telles que :

- la mise en place de 1 949 conseillers référents dans les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), qui permettent aux jeunes en difficulté de disposer d'un véritable dispositif de tutorat ;

- la création par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) de 51 plates-formes des vocations pour l'orientation de ces jeunes ;

- la signature en 2005 de plus de 61 000 contrats jeunes en entreprise et de 122 600 contrats d'insertion dans la vie sociale (CIVIS).

Les outils mis en place connaissent une véritable réussite en matière d'emploi : par rapport à mars 2005 on constate une baisse de 155 000 du nombre des demandeurs d'emploi en mars 2006.

C'est pourquoi on ne peut que se féliciter d'une proposition de loi qui renforce les dispositifs existants et exprime un consensus sur la nécessité de se mobiliser avant tout pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes en rupture scolaire ou particulièrement défavorisés. Le renforcement du dispositif des contrats jeunes en entreprise ne peut par ailleurs que satisfaire le député qui a été le rapporteur de la loi du 29 août 2002 qui est à l'origine de leur création.

Mme Martine Billard a tout d'abord salué l'habileté de M. Bernard Perrut, lequel réussit à être enthousiaste face à un dispositif de sortie de crise qui marque surtout un désaveu cinglant de la politique voulue par la majorité. Si la loi pour l'égalité des chances a été votée selon la procédure d'urgence, c'est à cause de l'introduction de l'amendement créant le contrat première embauche. Neuf semaines plus tard, en pleine crise politique, et après la mobilisation de plus de trois millions de personnes et une crise au sein de la majorité, le gouvernement a bien été contraint de retirer ce dispositif. Même si les mots « retrait » ou « abrogation » ne sont pas employés, il s'agit bien d'un emballage pour ne pas désavouer le Premier ministre, consistant à substituer une rédaction à une autre avec peu d'ajouts.

Cette crise sociale doit néanmoins être mise à profit pour tirer des enseignements pour l'avenir en matière de lutte contre la précarité, d'action vis-à-vis de la jeunesse, mais surtout de méthode de gouvernement. Il est désormais évident qu'aucune réforme sociale de grande ampleur ne pourra être entreprise sans qu'au préalable des négociations aient été engagées avec les partenaires sociaux, au lieu de faire passer un dispositif à la hussarde. On peut ainsi rappeler que les mesures de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, telles que le droit individuel à la formation (DIF), ont été acceptées et appliquées, car elles étaient issues d'un dialogue social préalable.

Il est également regrettable que le gouvernement ait préféré un dispositif de remplacement du CPE plutôt que de reconnaître son erreur en décidant son abrogation claire. La politique serait sortie grandie de cette démarche de vérité alors que les tergiversations successives du gouvernement et de la majorité risquent de miner de manière durable la confiance de nos concitoyens. L'annonce de la mise en place de 50 000 places de stage pour les jeunes dans les secteurs en tension semble complètement disproportionnée au regard de l'ampleur de la mobilisation sociale durant ces neuf semaines et on peut s'interroger sur les moyens qu'il aurait fallu utiliser pour parvenir à la mise en place de réformes de grande ampleur pour l'insertion professionnelle des jeunes.

C'est à la majorité qu'il revient maintenant de trouver une issue à une crise dont elle porte seule la responsabilité. Les députés verts, comme ceux du groupe socialiste, ne proposeront que peu d'amendements et ne participeront pas au vote de la proposition de loi. Une fois la crise dépassée, il sera nécessaire d'engager un débat de fond sur la précarité professionnelle, en particulier en revenant sur le contrat nouvelles embauches (CNE), dont même un organisme d'inspiration conservatrice comme l'Institut français pour la recherche sur les administrations publiques (IFRAP) relève désormais que son succès tient essentiellement à un effet d'aubaine.

Mme Jacqueline Fraysse s'est tout d'abord félicitée de la mort du CPE qui constituait une entaille très grave au sein du code du travail. Le peuple souverain a réussi à se faire entendre grâce à une mobilisation sociale de première ampleur. Déplorant que le gouvernement ait décidé de remplacer le dispositif du CPE par un nouveau dispositif qui ne fait que reprendre des outils existants n'ayant pas fait la preuve de leur efficacité, elle a souligné qu'un retrait pur et simple du CPE aurait été beaucoup plus valorisant pour le monde politique dont l'image de marque ne sort pas grandie après ces multiples tergiversations.

La proposition de loi ne constitue qu'un habillage de circonstance pour ne pas désavouer le Premier ministre. Pour ce faire, une fois de plus, on offre des aides nouvelles aux employeurs, alors que les dizaines de milliards d'euros qui leur ont déjà été consentis n'ont rien donné. Il est au moins nécessaire d'établir un contrôle rigoureux des moyens publics offerts au patronat au nom de l'insertion professionnelle des jeunes.

Le retrait du CPE ne doit pas signifier la fin du combat politique. La loi pour l'égalité des chances et le plan d'urgence pour l'emploi comportent bien d'autres mesures de précarité qui justifient d'autres batailles. Le CNE constitue aussi une entaille grave au sein du code du travail, de même que l'apprentissage à 14 ans, le travail de nuit pour les jeunes de 15 ans, ou encore les mesures qui sanctionnent financièrement les familles les plus en difficulté, telles que le contrat de responsabilité parentale.

En conclusion, il faut revenir sur la procédure inadmissible qui a conduit au dépôt de la proposition de loi. N'est-il pas choquant, au regard des règles de la démocratie, qu'un seul groupe parlementaire - le groupe majoritaire - ait été choisi par le Président de la République pour mener à bien des pourparlers avec les partenaires sociaux alors même que la crise sociale connaît une ampleur incontestable ? Cette crise sociale aura au moins permis à la jeunesse de découvrir la nécessité de la mobilisation et de comprendre l'utilité de l'engagement civique. Notre démocratie a besoin de modernisation et de renouveau.

M. Gaëtan Gorce a déploré l'immense gâchis engendré par la discussion du projet de loi pour l'égalité des chances.

Les conditions du débat parlementaire ont été déplorables : des ministres s'éclipsant de la réunion de commission avant même de répondre aux questions des députés et ne leur fournissant pas les documents d'information qu'ils demandaient, des amendements gouvernementaux déposés trop tard pour que les députés puissent en prendre connaissance, a fortiori exercer normalement le droit d'amendement, une clôture anticipée du débat par l'usage du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, ... Tout cela pour quoi en fin de compte ? En tout cas, on peut considérer qu'il y a une morale dans la vie politique et parlementaire : « tel est pris qui croyait prendre ». La démocratie ne peut se résumer à l'exercice d'un pouvoir absolu par une majorité, au demeurant divisée.

Sur le fond, le contrat première embauche marque aussi un profond gâchis. Ce dispositif était particulièrement inadapté dans sa prétention d'apporter une réponse globale au problème du chômage des jeunes. La crise sociale qui s'en est suivie doit servir de leçon : les jeunes rejettent massivement les mesures discriminatoires à leur encontre lorsqu'elles correspondent à des dérogations au droit commun du travail. Il faut sans doute s'orienter vers des réponses différenciées selon le niveau de formation et de difficultés des jeunes pour faciliter leur première insertion professionnelle.

Face à cet enjeu, la proposition de loi fait pâle figure. On peut ainsi regretter que les contrats en alternance ne soient pas véritablement soutenus alors qu'ils paraissent être parmi les outils les plus efficaces pour l'insertion professionnelle des jeunes. La majorité cherche surtout à sauver les apparences en réactivant les « vieilles potions » du plan de cohésion sociale, telles que le CIVIS ou le contrat jeune en entreprise, alors que ces mesures n'ont pas fait la preuve de leur efficacité. De plus, on en rajoute dans les aides aux employeurs sans contrepartie à leur charge.

Les derniers chiffres publiés par la direction de l'animation et de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement démontrent que les créations d'emploi générées par les dispositifs mis en place par la loi de programmation pour la cohésion sociale sont beaucoup plus modestes que ne veut le faire croire la communication gouvernementale, en particulier pour les jeunes les moins qualifiés. En effet, si l'on prend les jeunes des niveaux VI et V bis, on constate que leur effectif global dans les emplois aidés s'élevait à 125 948 en janvier 2006, soit moins qu'en janvier 2005 où ils étaient 127 600.

Le message adressé aux jeunes devrait être un message de confiance pour favoriser leur insertion professionnelle et faire face aux pénuries de main d'œuvre qui s'annoncent dans certains secteurs lors des prochains départs massifs en retraite des générations nées après-guerre. Aujourd'hui c'est plutôt une discrimination anti-jeunes qui se met en place et la crainte de l'avenir se généralise.

Soulignant que les parlementaires vont d'urgence en urgence, M. Alain Néri a jugé nécessaire de remédier rapidement à la crise actuelle, en rappelant cependant que les membres de la majorité parlementaire et du gouvernement sont les seuls responsables du retard pris lors de l'examen des dispositions de ce texte, qui devrait bien plutôt être dénommé « loi sur l'inégalité des chances ».

En effet, la majorité aurait pu gagner un temps précieux si ce projet de loi avait été précédé d'une réelle concertation avec les partenaires sociaux et si le Parlement n'avait pas été méprisé tant par l'audition tronquée des ministres par la commission que par l'examen à la va-vite de l'amendement instituant le contrat première embauche (CPE), déposé la veille de son examen, ou encore l'interruption brutale des débats entraînée par le recours au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution. Il a bien fallu dès lors trouver un autre lieu de débat et après les manifestations importantes qui se sont tenues ces dernières semaines, le gouvernement se trouve désormais dans la position de « l'arroseur arrosé ».

La langue française est certes riche et elle permet en l'occurrence de ne pas trop désavouer le Premier ministre, grâce à une rédaction alambiquée de la proposition de loi. Mais, comme le rapporteur en avait été prévenu, le « syndrome Devaquet » existe bel et bien et l'on pourrait dire, s'agissant du moins du Premier ministre, que « le coup passa si près que le chapeau tomba ». Si l'objectif de cette proposition de loi est de sauver les apparences et « le soldat Villepin » - même s'il peut sembler par bien des aspects carbonisé ! -, elle ne prend en aucun cas en compte les réels problèmes que rencontrent actuellement les jeunes.

L'accès des jeunes à la vie active en entreprise doit en effet être amélioré, mais d'autres dispositions législatives doivent par ailleurs être supprimées, qu'il s'agisse du contrat nouvelles embauches (CNE) qui ne résout en rien ces problèmes et engendre au contraire un effet d'aubaine pour les entreprises, ou encore des mesures de la loi pour l'égalité des chances concernant l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans ou le travail de nuit à partir de quinze ans. Les dispositions concernant la suppression des allocations familiales pour les familles qui en ont pourtant le plus besoin sont également tout à fait inacceptables et profondément inéquitables.

Sur la méthode, on ne peut que déplorer le fait que la rédaction de cette proposition de loi ait été confiée au seul parti majoritaire, dépossédant ainsi tant les partenaires sociaux que les parlementaires de leurs responsabilités et violant du même coup des principes majeurs en démocratie. On peut enfin se demander quelle aurait été l'opinion du général de Gaulle sur ces pratiques, qui tendent à consacrer le retour au régime des partis, qu'il avait pourtant condamné, et plus précisément au régime du parti.

Mme Muguette Jacquaint a tout d'abord rappelé que les propositions avancées par le groupe des député-e-s Communistes et Républicains - dans le cadre de l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances et de la proposition de loi de M. Frédéric Dutoit relative à la négociation de plans de gestion prévisionnelle des départs à la retraite contre embauches et tendant à favoriser l'emploi des jeunes, débattue lors de la séance d'initiative parlementaire dévolue à son groupe - ont été jugées « dépassées », alors qu'elles font aujourd'hui l'objet de cette proposition de loi qui constitue en réalité une véritable « niche présidentielle » ! Les principes démocratiques semblent en effet mis à mal du fait de l'élaboration de ce texte par la présidence de la République, le Premier ministre et quelques députés du groupe UMP, qui ont ainsi ignoré quasi totalement le Parlement.

Il convient de s'interroger sur le rôle de l'Etat et du Parlement dans le renforcement de la solidarité des grandes entreprises - qui réalisent des profits faramineux -  avec les petites et moyennes entreprises, ces dernières rencontrant en effet de réelles difficultés. Il faut aussi réfléchir aux actions à mettre en œuvre afin que les entreprises forment, embauchent et créent des emplois stables et bien rémunérés : là résiderait une vraie réponse à la crise actuelle et aux revendications de la jeunesse et des salariés.

Le président Jean-Michel Dubernard a tenu à rappeler que l'amendement prévoyant la création du CPE a été déposé à la suite de la crise des banlieues intervenue l'hiver dernier et qu'il visait d'abord à remédier aux graves problèmes rencontrés par les jeunes sans qualification qui résident dans ces zones sensibles. Il convient dès lors de garder à l'esprit cette motivation première du CPE. Cela explique d'ailleurs que les propos tenus lors de l'examen de l'amendement du gouvernement en commission ont été en définitive plutôt mesurés sur le fond : c'est après que les oppositions se sont amplifiées et que, sur tous les bords, des excès ont pu être observés, jusqu'à aujourd'hui. Si l'on se doit bien évidemment de reconnaître et de respecter l'opposition parlementaire, quelles propositions ont été faites ? La priorité aujourd'hui est d'apporter des réponses concrètes au malaise social très profond, qui s'est exprimé lors des manifestations contre le CPE, mais qui existe en réalité depuis plusieurs années. La proposition de loi contient des mesures qui cadrent avec celles tendant à renforcer l'égalité des chances et traduisent la volonté d'apporter des réponses aux jeunes des quartiers défavorisés.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- S'agissant de la question de l'« abrogation » du CPE, il est en effet souhaitable d'être précis quant aux termes utilisés, mais l'on peut rappeler les propos tenus par le secrétaire général de Force Ouvrière (FO), M. Jean-Claude Mailly, qui a parfaitement résumé la situation, en déclarant que s'il roule dans une voiture rouge et que sa voiture est remplacée par une voiture bleue, il est bien évident qu'il ne conduit plus sa voiture rouge.

Mme Martine Billard a estimé qu'elles polluent dans les deux cas.

Le rapporteur a poursuivi ses réponses :

- On ne peut que se féliciter du satisfecit accordé par M. Francis Vercamer au Président de la République.

- S'agissant des interrogations formulées par MM. Bernard Perrut et Gaëtan Gorce, il faut souligner que le plan de cohésion sociale connaît déjà un succès très encourageant : le nombre d'apprentis a en effet atteint un niveau quasi historique en 2005, près de 40 000 contrats supplémentaires ayant été signés par rapport à 2004. Dans le même temps, les contrats de professionnalisation et d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) ont connu un développement important, qui va bien au-delà, s'agissant de ces derniers, des résultats obtenus dans le cadre du dispositif antérieur, dit « TRACE » : 160 000 jeunes sont ainsi encadrés aujourd'hui par les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO). Il est en conséquence parfaitement erroné d'évoquer un quelconque « phagocytage » des dispositifs actuels.

- Le dispositif prévu par la proposition de loi présente un caractère très opérationnel, tout en constituant le préalable d'une concertation approfondie qu'il conviendra d'engager avec les partenaires sociaux sur l'ensemble des questions relatives à l'emploi des jeunes. Pour l'heure, il a été proposé de « vitaminer » les outils mis en place par le plan de cohésion sociale afin de répondre à un besoin urgent en accompagnant les jeunes vers un emploi durable.

- Contrairement à certaines allégations erronées, la loi pour l'égalité des chances ne modifie en rien les dispositions concernant le travail de nuit des mineurs, dans la mesure où celui-ci a été autorisé par une ordonnance datant de 2001 et où son régime a été précisé par une loi du 26 juillet 2005, personne ne s'étant alors ému alors qu'il existait déjà environ 25 000 apprentis de moins de 16 ans en 2001. De surcroît, le décret d'application de la loi du 26 juillet 2005 constitue au contraire une avancée en la matière puisqu'il précise les secteurs d'activité dans lesquels le travail de nuit est autorisé, prévoit des limites horaires et subordonne ce travail à la présence effective des maîtres d'apprentissage sur le lieu professionnel.

La commission est ensuite passée à l'examen des articles.

Avant l'article 1er

La commission a examiné un amendement de M. Francis Vercamer posant l'obligation que toute réforme législative relative au droit du travail soit précédée d'une négociation nationale interprofessionnelle.

M. Francis Vercamer a précisé que, le dialogue social ayant été malmené au cours de l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances, il apparaît nécessaire de reprendre dans la loi les termes de l'exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, selon lesquels « toute réforme de nature législative relative au droit du travail est précédée d'une négociation nationale interprofessionnelle ». L'amendement ajoute dans cette même perspective que les partenaires sociaux, saisis par le gouvernement lors de l'élaboration d'un projet de loi portant réforme du droit du travail, pourront déterminer s'ils souhaitent engager un processus de négociation sur le sujet évoqué par le gouvernement.

Le rapporteur s'est déclaré défavorable à l'amendement, en soulignant que ce qu'une loi peut faire, une autre loi peut le défaire, et qu'en conséquence les modifications proposées par cet amendement ne pourront être réellement suivies d'effets que si elles font l'objet d'une proposition de loi organique, voire constitutionnelle, visant à inscrire ce principe de concertation préalable dans la hiérarchie des normes.

Après que M. Francis Vercamer a répondu qu'il s'agit précisément d'une proposition avancée par le président de l'Union pour la démocratie française (UDF), M. François Bayrou, la commission a rejeté l'amendement.

Article 1er (Accès des jeunes à la vie active en entreprise)

La commission a examiné un amendement de M. Francis Vercamer visant à n'accorder l'aide SEJE qu'à l'issue de la période d'essai du salarié.

M. Francis Vercamer a précisé que le contrat à durée indéterminée s'accompagne toujours d'une période d'essai dont la durée varie en fonction de l'emploi occupé et qu'il est peu judicieux d'accorder une aide à l'entreprise si l'embauche n'est pas confirmée.

Le rapporteur a indiqué que l'article D. 322-9 du code du travail prévoit que l'aide de l'Etat est versée à trimestre échu. Compte tenu de la durée d'une période d'essai, l'amendement est de fait satisfait par cette disposition : l'aide n'est pas versée pendant cette période.

M. Francis Vercamer a retiré l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Francis Vercamer prévoyant que l'aide SEJE doit être remboursée lorsque l'employeur est à l'initiative de la rupture, sauf en cas de faute grave du salarié.

M. Francis Vercamer a indiqué que l'aide de l'Etat est attribuée aux entreprises pendant deux ans pour favoriser l'emploi pérenne des jeunes et qu'en conséquence si une entreprise procède au licenciement il est logique qu'elle rembourse l'aide qui lui a été accordée.

Le rapporteur a indiqué que le remboursement des aides par les employeurs en cas de rupture anticipée du contrat à leur initiative est prévu à l'article D. 322-10-3 du code de travail ; l'amendement est donc inutile.

En conséquence, M. Francis Vercamer a retiré l'amendement.

La commission a examiné un amendement de M. Francis Vercamer introduisant une indemnisation spécifique en cas de licenciement au cours de la période de deux ans pendant laquelle l'aide SEJE est accordée.

M. Francis Vercamer a précisé que l'indemnisation proposée est celle qui était prévue s'agissant du CPE. Il n'y a pas de raison de ne pas réintroduire une des rares dispositions du CPE qui était favorable aux jeunes, à savoir une indemnisation du salarié licencié supérieure au droit commun.

Le rapporteur s'est étonné de cette démarche, estimant qu'elle relève soit d'une extrême perversité consistant à réintroduire le CPE tant décrié, soit d'une extrême honnêteté tendant à reconnaître que l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances contenait de bons éléments. Cet amendement est pour le moins inopportun et, de plus, sans rapport avec l'objet de la proposition de loi ; est-il d'ailleurs dans la ligne politique définie par le président de l'UDF ? Quoi qu'il en soit, il est difficile de réintroduire un orteil de la relique.

Après avoir indiqué qu'il s'était opposé, s'agissant du CPE, à la trop longue durée de la période d'essai et à l'absence de motivation du licenciement mais certainement pas à la démarche d'insertion des jeunes qu'il supposait, M. Francis Vercamer a retiré l'amendement.

La commission a adopté l'article 1er sans modification.

Article 2 : Gage

Le président Jean-Michel Dubernard a informé la commission du dépôt par le gouvernement d'un amendement de suppression de cet article précisant qu'il entend prendre en charge la totalité de la dépense résultant de l'article 1er.

La commission a adopté l'article 2 sans modification.

Elle a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de loi ainsi rédigée.


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