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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 52

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 3 mai 2006
(Séance de 16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes sur la mise en application de la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (M. Pierre Morange, rapporteur)

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En application de l'article 86, alinéa 8 du Règlement de l'Assemblée nationale, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné en présence de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, le rapport de M. Pierre Morange sur la mise en application de la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

Le président Jean-Michel Dubernard s'est réjoui d'accueillir M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, et a souligné que si la commission des affaires culturelles, familiales et sociales est la plus sollicitée au plan législatif, elle est aussi celle qui se montre la plus active dans son rôle de contrôle, pratiquement aucun texte n'échappant à un examen complet de sa mise en application dans les six mois qui suivent son vote.

M. Pierre Morange, rapporteur, a rappelé que la loi du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise a pour objet d'approfondir la démarche initiée avec la loi « Fillon » du 17 janvier 2003, qui vise à dépasser les limites juridiques, économiques ou sociales auxquelles s'est heurtée la législation relative à la réduction du temps de travail. Il s'agit de permettre aux salariés qui le souhaitent de travailler davantage afin d'accroître leur rémunération et aux entreprises de s'adapter à la réalité de l'économie de marché, tout en préservant le droit acquis que représente désormais la durée légale du travail à 35 heures. Pour l'ensemble de ces raisons, la loi apporte donc un certain nombre d'assouplissements à la législation sur le temps de travail et met des outils nouveaux à la libre disposition des employeurs et des salariés.

Elle comporte quatre articles, consacrés respectivement au statut des jours fériés en Alsace-Moselle, à la rénovation du compte épargne-temps (CET), au régime du temps de travail « choisi », ainsi qu'à des mesures concernant les plus petites entreprises.

Un seul nécessitait un décret pour son application : l'article 2 relatif à la rénovation du CET. Le dispositif est désormais connu. Il offre des modalités d'alimentation plus souples et plus diversifiées du compte épargne-temps, ainsi que des modalités d'utilisation plus riches, notamment en matière de monétisation des droits.

S'agissant du régime de sortie du CET, lorsque les droits acquis atteignent un certain montant déterminé par décret - au plus le montant des sommes pouvant être garanties au titre de l'association pour la garantie des salaires (AGS) -, le salarié perçoit une indemnité correspondant aux droits acquis sur le compte, sauf lorsque un accord collectif a établi pour les sommes excédant ce montant un dispositif d'assurance ou de garantie.

Le décret du 29 décembre 2005 a fixé ce montant en l'alignant sur la somme la plus élevée pouvant être garantie par l'AGS, soit 62 136 euros en 2006, et a rendu applicable à ce système de garantie le régime de droit commun en matière de garantie financière, qui concerne notamment l'engagement de caution.

Un accord de branche a été signé en application de cet article le 3 mars 2006 dans la métallurgie, non seulement par l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), organisation patronale, mais aussi par les fédérations CFE-CGC, CFTC et FO. Aux termes de cet accord, la condition d'ancienneté requise pour bénéficier d'un CET est supprimée. Le compte peut être tenu par l'employeur mais aussi par un organisme extérieur, auquel l'employeur confie la gestion de l'épargne-temps, après consultation des représentants du personnel. Il peut, le cas échéant, accueillir les heures effectuées au-delà de la durée contractuelle de travail, prévue par un forfait en heures. Le taux d'intérêt annuel du CET, s'il est exprimé en argent, est fixé en référence au taux du livret A de la Caisse d'épargne, majoré d'un quart de point. Le compte exprimé en temps suit l'évolution du salaire de base du titulaire du compte.

S'agissant des accords d'entreprise, selon les premières informations disponibles, il semble qu'au bas mot 200 accords aient été conclus en application de cet article. Mais ce chiffre, qui correspond au panel analysé par les services du ministre, serait très en deçà de l'estimation totale qui peut être faite. Il apparaît en outre que l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés ont signé les uns ou les autres de ces accords. Sans doute le ministre pourra-t-il le confirmer et donner des exemples d'entreprises concernées.

Particulièrement nombreux, les accords sur le compte épargne-temps représentent la grande majorité des accords d'entreprise signés en application de cette loi. Il faut se réjouir de ce résultat encourageant sur un point essentiel. La tendance semble conforter le succès de l'élargissement des modalités d'alimentation du CET, en particulier s'agissant de l'alimentation en temps, ainsi que des modalités d'utilisation du compte.

Deux questions restent toutefois ouvertes, sur lesquelles il serait intéressant de recueillir l'avis du ministre :

- D'une part, le lien entre le compte épargne-temps et l'épargne semble encore insuffisant, peu d'accords ayant prévu d'alimenter un plan d'épargne entreprise, un plan d'épargne inter-entreprise ou un plan d'épargne pour la retraite collectif. Quelle analyse peut-on faire de cette tendance ? Quelles réponses serait-il possible d'apporter au titre du plafond et du régime de la déductibilité fiscale ?

- D'autre part, même si le thème de la transférabilité du compte épargne-temps d'une entreprise à une autre paraît abordé dans un nombre non négligeable des accords signés, il s'agirait principalement des cas de transferts de comptes épargne-temps au sein d'un même groupe ou avec l'accord du nouvel employeur. Quels progrès peuvent être faits sur cette importante question ?

Trois des quatre articles de la loi ne nécessitent aucun texte réglementaire pour leur application. Néanmoins, certains requièrent également la conclusion d'accords collectifs pour être applicables.

L'article 1er consacre, pour les départements d'Alsace-Moselle, le caractère chômé de deux jours absents du code du travail mais figurant dans une ordonnance du 16 août 1892 : le 26 décembre et le Vendredi saint. Cet article est d'application immédiate.

L'article 3, consacré à l'institution du temps choisi, ouvre la possibilité, dès lors qu'un accord collectif de travail le prévoit :

- pour un salarié qui le souhaite, en accord avec son employeur, d'effectuer des « heures choisies » au-delà du contingent d'heures supplémentaires applicable dans l'entreprise, ces heures étant soumises à majoration ;

- pour les salariés ayant conclu des conventions de forfait annuelles en heures, d'effectuer des heures de travail au-delà de la durée annuelle de travail prévue par la convention de forfait, ces heures étant soumises à majoration également ;

- pour les salariés ayant conclu des conventions de forfait annuelles en jours, de renoncer à une partie de leurs jours de repos et de congé accordés au titre d'un régime de réduction du temps de travail en contrepartie d'une majoration salariale.

L'ensemble de ces temps choisis ne peut conduire au dépassement des durées maximales du temps de travail prévues dans le code du travail.

Un avenant à la convention collective nationale du secteur de la promotion-construction a été signé le 16 novembre 2005 sur le temps choisi, par la fédération de la promotion-construction et les fédérations syndicales CFE-CGC et CFTC. Il ouvre la possibilité pour les salariés qui le souhaitent d'effectuer des « heures choisies ». L'accord entre l'employeur et le salarié doit être formalisé par écrit au plus tard le jour où la première heure au-delà du contingent est effectuée. Cet accord précise le volume des heures et leur calendrier. Les heures ainsi effectuées donnent lieu à une majoration salariale de 25 %. En outre, l'accord signé dans la métallurgie le 3 mars 2006 a ouvert une même possibilité de réalisation d'« heures choisies » dans cette branche, après épuisement du contingent d'heures supplémentaires. Le salarié effectue ces heures sur une période qui doit être convenue d'avance, dans le cadre d'un horaire collectif ou individuel. Ce temps de travail doit se faire sans dépasser les dures maximales de travail, qu'elles soient d'origine législative ou conventionnelle.

L'avenant signé dans la promotion-construction a, en outre, ouvert la possibilité aux salariés qui le souhaitent d'effectuer des heures ou des jours au-delà de la durée prévue par la convention de forfait annuelle. Cet accord doit être formalisé par écrit et fixer notamment le volume des heures ou journées concernées ainsi que le calendrier selon lequel ce temps choisi est effectué. Ces heures ou journées font l'objet d'une majoration à hauteur de 25 %.

L'accord précité conclu dans la métallurgie prévoit également que des avenants aux contrats de travail peuvent organiser les modalités de renonciation par des salariés régis par des forfaits annuels en jours à une fraction de leurs jours accordés au titre de la réduction du temps de travail.

Par ailleurs, des accords d'entreprise ont été conclus en application de cet article 3 sur le temps choisi, accords qui ne semblent toutefois correspondre qu'à une petite partie de l'ensemble des accords signés en application de la loi. Là aussi, il serait souhaitable que le ministre en informe précisément la commission. Les maxima d'heures choisies pouvant être effectuées ou de jours pouvant être rachetés, ainsi que la majoration de ces heures choisies sont-ils bien établis aux termes de ces accords conformément au texte de la loi ?

L'article 4 prévoit au profit des plus petites entreprises - de vingt salariés et moins - des mesures dérogatoires et transitoires relatives au taux de majoration des heures supplémentaires et à leur mode d'imputation sur le contingent, aux modalités de renonciation à des jours de repos en contrepartie d'une majoration salariale ainsi qu'à un dispositif spécifique de mandatement pour la signature d'un accord sur le compte épargne-temps.

Enfin, il convient de noter que, conformément à l'usage, une circulaire du 14 avril 2006 est venue commenter l'ensemble des principales dispositions de la loi. C'est une grande satisfaction que ce texte d'initiative parlementaire, cosigné par M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, M. Hervé Novelli, le président Jean-Michel Dubernard et le rapporteur soit, avec la parution de la circulaire précitée, pleinement applicable dans le détail.

Compte tenu des deux branches signataires - la métallurgie compte quelque 2 millions de salariés, la promotion-construction plus de 10 000 - ainsi que des nombreuses grandes entreprises ayant conclu des accords, il semble au total qu'au minimum 10 % et plus probablement 15 % des salariés du secteur privé bénéficient de ces conventions.

Contrairement aux prévisions des Cassandre qui condamnaient par avance une loi à peine née, le dispositif est donc loin d'être resté lettre morte. En quelques mois, si l'on prend comme point de départ la signature du décret sur le compte épargne-temps, on peut parler d'un succès indéniable de la démocratie sociale, qui répond à la fois aux besoins des employeurs et des salariés, et auquel ont pris part les différents représentants syndicaux. Le développement de la négociation collective doit maintenant permettre de confirmer encore ce succès.

Le rapporteur a conclu en remerciant le ministre pour sa disponibilité tout au long du processus législatif et encore aujourd'hui.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a souligné que, d'origine parlementaire, la loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise complète le dispositif d'assouplissement de la durée du travail organisé par la loi du 17 janvier 2003, dite « loi Fillon », et par le décret du 21 décembre 2004 relevant le contingent d'heures supplémentaires. Rappelant son attachement au droit conventionnel et à la négociation collective, il a souhaité que cette audition soit l'occasion de faire le bilan des accords passés dans les branches et dans les entreprises.

De façon générale, en 2005, 1 144 accords ont été signés dans les 278 branches et 19 310 dans les entreprises. Au total, plus de 4 millions de salariés sont concernés.

Le premier thème de négociation a porté sur les accords salariaux, et l'action du gouvernement pour relancer les négociations salariales doit ici être soulignée ; le secteur de la chimie vient notamment de signer un accord en cette matière, ce qu'il n'avait pas fait depuis dix ans.

La durée du travail - objet du présent texte - est le deuxième thème de négociation dans les branches et représente 28 % des thèmes négociés dans les entreprises.

En ce sens, la loi du 31 mars 2005 permet, comme l'avaient souhaité ses auteurs, d'adapter l'organisation du temps de travail au niveau le plus pertinent, qu'il s'agisse de la régulation dans la branche ou de la prise en compte des particularités de l'entreprise.

Outre la spécificité de l'Alsace-Moselle, à propos de laquelle une question orale sans débat a montré hier que l'ordonnance de Bismarck de 1892 n'est pas suffisamment claire sur le statut des jours fériés, ce texte comporte trois axes principaux : l'élargissement du compte épargne-temps (CET) ; la mise en place d'un régime d'heures supplémentaires choisies ; une meilleure prise en compte de la spécificité des petites entreprises.

Dans le cadre du suivi qu'elle exerce, la commission souhaite très légitimement vérifier si la loi est effectivement mise en œuvre et comment les organisations professionnelles et les partenaires sociaux se le sont appropriés. Il faut simplement rappeler que la loi a été adoptée fin mars 2005 et qu'en raison de la complexité de la matière, le décret sur le CET n'a été pris qu'en fin d'année ; il s'agit donc aujourd'hui d'analyser des accords conclus pour la plupart depuis la rentrée de septembre et même, pour le CET, essentiellement depuis janvier 2006. L'évaluation porte donc surtout sur une période de six mois et la négociation n'a pas encore produit tous ses effets. Si d'ores et déjà deux accords de branche ont été négociés et environ un millier d'accords d'entreprise conclus, ce bilan doit donc être regardé avec une certaine prudence, même si l'analyse d'un panel de 227 accords d'entreprise donne des indications intéressantes.

Un accord de branche a été signé dans la métallurgie, qui trace souvent le chemin au profit des autres branches. Près de 2 millions de salariés sont concernés, sur les 16 millions d'affiliés à l'Unedic. L'accord reprend la plupart des possibilités offertes par la loi du 31 mars 2005 en matière de compte épargne-temps, de recours aux heures supplémentaires et de développement du champ des conventions de forfaits-jours. Ainsi, il permet :

- de recourir davantage aux heures supplémentaires, notamment par une augmentation mesurée du contingent d'heures supplémentaires, par la mise en place du recours aux heures choisies et par le rachat des jours de repos, sans que cela puisse entrer en conflit avec la protection de la santé des salariés ;

- de développer les conventions de forfait-jours ;

- d'utiliser largement les innovations de la loi du 31 mars 2005 sur le compte épargne-temps, notamment avec l'utilisation de tout ou partie du CET sous forme monétaire et l'introduction de la possibilité et des modalités de liquidation ou de transfert des droits inscrits, en particulier dans le cadre d'un congé ou d'un passage à temps partiel.

Cette grande branche s'est donc saisie de l'ensemble du texte.

La seconde branche, plus modeste, est celle de la promotion-construction, qui représente 11 000 salariés. L'accord entre les partenaires sociaux permet aux salariés de bénéficier des dispositions relatives aux heures choisies et des dispositions applicables aux salariés ayant conclu des conventions de forfait annuelles en heures ou en jours.

Ainsi, concrètement, le salarié dont le temps de travail est décompté en heures peut effectuer des heures au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires ou de la durée prévue par la convention de forfait annuel. Le salarié dont le temps de travail est apprécié en jours peut renoncer à une partie de ses jours de repos et donc travailler au-delà du nombre de jours officiellement prévu. Le taux de majoration des heures choisies est au minimum égal au taux applicable pour la rémunération des heures supplémentaires dans l'entreprise ou dans l'établissement. Il y a donc eu accord à la fois sur le principe du dépassement du contingent forfaitaire et sur la majoration de rémunération.

Des négociations sont en cours dans d'autres branches, mais les accords n'ont pas encore été transmis au ministère. D'ores et déjà, on peut estimer que de 12,5 à 14 % des salariés sont potentiellement visés par les accords conclus.

S'agissant des entreprises, à partir des accords déposés dans les directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, il a été choisi un panel significatif de 227 accords émanant de 63 départements dans lesquels l'activité économique est importante.

Il faut tout d'abord souligner, à nouveau, que les entreprises n'ont commencé à se saisir de ce nouveau dispositif qu'à l'automne 2005.

S'agissant des thèmes de négociation, le compte épargne-temps arrive en tête puisque ce thème est repris dans 79 % des accords, devant le temps choisi (15 %) et le rachat de temps (5 %).

L'ensemble des organisations représentatives ont signé des accords de façon plutôt équilibrée puisque, sur les 227 accords, 121 ont été signés par la CFDT, 104 par la CGT, 101 par FO, 73 par la CFTC et 73 par la CGC-CFE.

Concernant d'abord le rachat de jours accordés au titre de la réduction du temps de travail, la loi permet aux salariés ayant conclu des conventions de forfait annuelles en heures ou en jours d'effectuer des heures au-delà de la durée annuelle du travail ou de procéder au rachat de jours accordés au titre de la réduction du temps de travail ou de jours de repos ; les 12 accords du panel recensés sur ce thème fixent le nombre de jours maximum pouvant être rachetés et la majoration. La plupart limitent à huit jours par an cette possibilité, prévoyant une majoration salariale de 10 %.

Par ailleurs, 36 accords sur les heures choisies ont été recensés. Ils portent essentiellement sur la fixation d'un nombre hebdomadaire maximum d'heures choisies et sur le paiement majoré de ces heures. Plusieurs accords posent le principe de l'accomplissement de ces jours en renvoyant leur mise en œuvre aux dispositions de droit commun. D'autres limitent le nombre d'heures choisies, la majoration du paiement de ces heures allant de 25 à 50 %. Il apparaît donc clairement que celui qui travaille plus gagne significativement plus.

Le compte épargne-temps lui-même est le « gagnant » des négociations puisqu'on le retrouve dans 186 accords sur 227. La loi a procédé à une modification complète du CET afin de favoriser le développement de ce dispositif qui datait de onze ans et n'avait été mis en place que dans peu d'entreprises, presque exclusivement des grandes. Un des objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi était donc précisément d'étendre ce dispositif aux petites entreprises. Tel est bien le cas dans le panel examiné.

On constate en premier lieu que l'élargissement des modes d'alimentation a été plébiscité. La loi prévoit que dans des conditions fixées par accord collectif, les salariés peuvent désormais stocker dans le compte autant de jours de congés ou de repos qu'ils le souhaitent.

Parmi les nouvelles modalités d'alimentation du CET, les entreprises et les salariés ont particulièrement recherché :

- l'alimentation au titre du repos compensateur obligatoire ;

- la faculté d'affecter de manière illimitée le nombre de jours de congés payés ;

- la possibilité d'alimenter le CET par la totalité des jours accordés au titre de la réduction du temps de travail.

Les accords comportent le plus souvent la fixation d'un plafond global : la majorité des accords recensés a maintenu un tel plafond - l'ancien plafond légal de 22 jours, voire parfois un plafond plus élevé - dans le but de concilier les souplesses offertes par la loi du 31 mars 2005 avec la protection de la santé des salariés. Il faut toutefois noter, par exemple, que l'accord de la société d'assurances Groupama a supprimé toute limite à l'épargne en temps.

Si l'on s'intéresse à la façon dont les grandes entreprises utilisent les possibilités qui leur sont offertes, on s'aperçoit que plusieurs d'entre elles ont supprimé toute limite à l'abondement effectué par l'employeur ou ont prévu la possibilité pour l'employeur d'affecter unilatéralement certains jours au compte épargne-temps. L'abondement est parfois rendu impératif par l'accord. Il semble que les accords aient globalement privilégié un abondement en temps plutôt qu'en numéraire. Plusieurs accords permettent toutefois au salarié d'alimenter le CET par les primes d'intéressement, par les sommes issues de la participation, voire par les sommes inscrites sur un plan d'épargne entreprise. Mais ces modes d'alimentation restent assez limités, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Quelques accords prévoient la possibilité pour l'entreprise d'abonder le CET en argent.

On observe aussi une grande diversification des modes d'utilisation du CET.

Parmi les innovations de la loi, les entreprises ont principalement utilisé l'indemnisation en tout ou partie des heures non travaillées en cas de passage à temps partiel. Alors que cette modalité était auparavant réservée à certains cas strictement énumérés - congé parental d'éducation, création ou reprise d'une entreprise, maladie, accident ou handicap grave d'un enfant à charge, occupation ou reprise d'un emploi à temps partiel -, la loi du 31 mars 2005 l'a généralisée, l'ouvrant à toutes les formes de temps partiel.

L'indemnisation d'une cessation progressive ou totale d'activité sans limite d'âge est l'autre forme principale de liquidation des droits des salariés retenue par les accords d'entreprises recensés. Il est tentant à ce propos de faire le lien avec une autre question très importante, celle des seniors. Dans le plan d'action national concerté sur l'emploi des seniors qui sera présenté prochainement, le CET est proposé comme un outil intéressant pour aménager une fin de carrière avec une activité réduite, sans perte de revenu. On peut se réjouir que les partenaires sociaux se soient saisis de ce thème de négociation.

On parle peu, par ailleurs, du congé de solidarité internationale, créé par une loi du 4 février 1995, modifiée en juin 2004. Pourtant, 30 accords sur 227 ont tiré profit de la possibilité de l'indemniser - ce qui n'est pas marginal - et un certain nombre d'associations commencent à se mobiliser autour de ce dispositif.

Si la possibilité de liquider ses droits inscrits au CET sous forme de rémunération immédiate n'a pas été beaucoup utilisée par les salariés, cela tient sans doute au fait que beaucoup d'entreprises limitent le versement de l'indemnité à quelques périodes fixes de l'année.

On observe aussi que le lien entre le CET et l'épargne est encore fort modeste. Le bilan effectué permet de constater que peu d'accords ont prévu des passerelles. Il existe, semble-t-il, trop peu d'incitations sociales et fiscales, les sommes transférées étant considérées comme des salaires et donc imposées comme telles. Il faut réfléchir à ce sujet. Le projet de la loi sur la participation, qui fait l'objet d'une large concertation et que la commission des affaires culturelles, familiales et sociales aura sans doute à examiner dans quelques semaines, devrait proposer d'accorder aux salariés transférant leurs avoirs d'un compte épargne temps vers un plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO), ou un plan d'épargne d'entreprise (PEE), un étalement dans le temps de l'imposition des sommes transférées, selon un régime de « report en avant ». Dans une unanimité rare, le Conseil supérieur de la participation a vu là une avancée, qui devrait aussi satisfaire tous ceux qui réfléchissent aux modalités d'abondement des retraites sans renoncer à la retraite par solidarité qui reste le fondement du système français.

Enfin, la transférabilité du CET doit encore être développée, d'autant que les salariés changent de plus en plus souvent d'employeurs, au risque d'une liquidation non souhaitée de leur compte. Si certains accords ont prévu cette transférabilité, ils portent surtout sur des transferts au sein d'un même groupe ou avec l'accord du nouvel employeur. Afin d'encourager ces pratiques, le plan national d'action concerté sur l'emploi des seniors va inviter les partenaires sociaux à négocier sur ce thème.

Un an après le vote de la loi, six mois après la mise en place effective des négociations, quatre mois après la publication du décret sur le CET, ces négociations ont donc déjà été menées au profit d'un nombre important de salariés. La direction des relations du travail et les services déconcentrés du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement doivent maintenant continuer à apporter un appui technique aux nouveaux dispositifs. Dans le cadre de la circulaire du 14 avril 2006, quatre fiches ont été rédigées à l'attention des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et des partenaires sociaux, afin de clarifier les négociations et de permettre à chacun de les aborder en disposant du plus d'informations possibles. Ces fiches portent sur le compte épargne-temps, les heures choisies, les dispositions applicables aux salariés ayant conclu des conventions de forfait annuelles en heures ou en jours et le mandatement.

Enfin, une nouvelle évaluation de l'application de la loi est prévue, dans le cadre du bilan annuel de la négociation, après deux ans de mise en œuvre de ce texte.

M. Jean-Michel Dubernard, président, a remercié le ministre. Ce texte court ne comportant que quatre articles, pour l'essentiel d'application directe, cette audition a aussi permis de faire un point intéressant sur la négociation collective.

Puis, la commission a décidé le dépôt du rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise en vue de sa publication.


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