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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mai 2006
(Séance de 16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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-  Examen de la proposition de loi relative à l'insertion des jeunes dans l'emploi - n° 3066.

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- Information relative à la commission.

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La commission a examiné, sur le rapport de M. Gaëtan Gorce, la proposition de loi relative à l'insertion des jeunes dans l'emploi - n° 3066.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur, a tout d'abord rappelé que cette proposition de loi du groupe socialiste se veut un prolongement constructif du débat sur le contrat première embauche (CPE), l'opposition souhaitant proposer des mesures concrètes et alternatives favorisant l'insertion professionnelle et l'emploi des jeunes.

Il convient avant tout de sortir du débat caricatural sur l'emploi des jeunes dans lequel le CPE a plongé le pays. Pour ce faire, on ne peut que regretter de ne pas disposer de statistiques fiables et basées sur des données partagées par l'ensemble des partenaires. Avant de réfléchir aux solutions, il faudrait réfléchir aux bases statistiques du constat. Chaque gouvernement devrait songer à cela.

Il serait par ailleurs souhaitable de ne pas parler de chômage des jeunes au singulier, mais des chômages des jeunes, car la situation est très différente selon la formation, le diplôme, la filière, l'origine, voire le sexe ou le lieu d'habitation du jeune. Si le taux de chômage des jeunes actifs est élevé en France, ramené à la totalité des jeunes, il revient dans la moyenne européenne, même s'il reste trop élevé.

Une mesure générale ne saurait apporter de solution satisfaisante à ce problème multiforme. Ainsi, comme le rappelle le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), un tiers des jeunes bénéficie d'un contrat à durée indéterminée un an après la fin de ses études ; ils sont deux tiers au bout de trois ans. Aussi, la mise en place d'un contrat première embauche aurait conduit à précariser ces jeunes qui ont pourtant relativement moins de difficultés que les autres à s'insérer. C'est pour cette raison que le groupe socialiste a tenu à prendre en compte la diversité des situations dans cette proposition de loi.

Par-delà la nécessité de sortir de la caricature, il est essentiel dans un deuxième temps de rappeler qu'une réforme efficace en faveur de l'emploi suppose une forte volonté politique et la prise en compte de cette priorité dans l'ensemble des secteurs de la politique économique et sociale de notre pays. Traiter le chômage des jeunes indépendamment du contexte économique et social, comme l'a fait le gouvernement, est une aberration puisque tout le monde s'accorde à dire que les jeunes sont toujours les premiers à bénéficier d'une reprise économique : ainsi, leur taux de chômage a diminué d'un tiers entre 1997 et 2002, alors qu'il a augmenté de 7 % depuis 2002.

Par ailleurs, la contradiction est flagrante entre la priorité annoncée et les moyens budgétaires mis à disposition : entre le 31 décembre 2001 et le 31 décembre 2005, 150 000 emplois aidés à destination des jeunes ont ainsi été supprimés - sans même évoquer l'évolution négative du nombre des contrats en alternance.

Il faut, dans un troisième temps, souligner que si l'on veut mener une action efficace contre le chômage des jeunes, on doit écarter toute idée de mesure dérogatoire, voire discriminatoire, par rapport au code du travail, contrairement à ce qui a été fait avec le CPE qui comportait une période d'essai au cours de laquelle l'arbitraire avait toute sa place, puisque les licenciements y étaient rendus possibles quasiment sans motif. Il convient au contraire d'exprimer une réelle confiance envers la jeunesse du pays et ses prises de responsabilité et de rappeler que toute politique à destination des jeunes travailleurs doit s'appuyer sur le droit commun, c'est-à-dire le contrat à durée indéterminée, qui resterait ainsi le vecteur normal pour l'accès à l'emploi des jeunes.

Le rapporteur a ensuite présenté les grands axes de la proposition de loi, après avoir rappelé que le groupe socialiste a rencontré l'ensemble des organisations syndicales, de jeunesse et patronales avant de procéder à la rédaction de cette proposition. C'était indispensable. C'est d'ailleurs l'une des causes de l'échec de la réforme voulue par le gouvernement que l'absence de telles concertations. Suite à ces réunions, les propositions socialistes ont été amendées et validées et la rédaction finale du texte a été arrêtée.

En premier lieu, la proposition de loi ouvre la voie à une véritable réforme de l'orientation professionnelle, en concertation avec les régions et les partenaires sociaux, en consacrant un droit universel à l'accueil et à l'orientation professionnelle. Il est important notamment de faire concorder cet impératif d'une meilleure orientation avec les besoins du terrain.

En deuxième lieu, il convient de créer un droit universel à l'accompagnement vers une première expérience professionnelle. Il est essentiel de donner une priorité absolue à une meilleure connaissance territoriale des métiers. La mise en œuvre de ce droit nouveau doit en outre aller de pair avec le développement considérable des moyens humains et financiers. Ce droit universel serait bien sûr modulable en fonction de la situation de chaque jeune, un jeune sans qualification ne nécessitant pas la même prise en charge qu'un jeune titulaire d'un diplôme universitaire et cherchant un emploi dans un secteur bien précis. Des garanties en termes de droits sociaux et de rémunérations devront en outre être prévues.

En troisième lieu, dès lors que la remise à niveau est assurée par la mise en œuvre des droits universels évoqués ci-dessus, les députés socialistes proposent de s'appuyer sur le droit existant pour développer l'emploi des jeunes. La création d'un nouveau type de contrat n'est pas nécessaire - elle n'a, à dire vrai, pas été souhaitée par les syndicats -, le contrat d'apprentissage ou le contrat de professionnalisation constituant des outils parfaitement adaptés pour élever le niveau de qualification des jeunes ; le recours au contrat de professionnalisation sous la forme d'un contrat à durée indéterminée devra dans cette perspective être encouragé.

Pour les jeunes pouvant bénéficier d'une insertion professionnelle rapide, le recrutement sous la forme d'un contrat à durée indéterminée doit être possible, moyennant une adaptation du jeune au poste de travail. Trop souvent en effet, les entreprises ne procèdent pas à ces actions d'adaptation, préférant embaucher sous des formes précaires. L'Etat les soutiendra dans cette démarche d'adaptation en proposant à celles qui s'y engagent de bénéficier d'une aide, dont les modalités de financement restent à débattre au moyen d'une concertation menée entre l'Etat, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux.

Enfin, il est clair que les taux de cotisations sociales des employeurs doivent être modulées en fonction de leurs efforts d'insertion et de leur recours au contrat à durée indéterminée.

L'ensemble de ces mesures doit trouver sa place dans une réforme plus large et plus ambitieuse du droit du travail, qui vise à la sécurisation des parcours professionnels, à la reconnaissance d'un droit à la formation tout au long de la vie et à une réforme du service public de l'emploi, sur une base régionale.

Par ailleurs, cette proposition de loi tire les conséquences de la crise du CPE en abrogeant le contrat nouvelles embauches - tout en prévoyant une négociation sur les conditions de requalification et de sécurisation juridique des contrats signés - et les dispositions récentes relatives à l'apprentissage « junior » et au travail de nuit et du dimanche des jeunes apprentis.

En opposition flagrante avec la méthode jusqu'ici retenue, le groupe socialiste propose que ces mesures soient mises en œuvre par la négociation collective, la loi fixant uniquement le cadre de cette négociation entre les partenaires sociaux. Une conférence nationale pour l'emploi et l'insertion professionnelle des jeunes, instance de concertation permanente entre l'Etat, les collectivités locales, les acteurs de l'éducation et les partenaires sociaux, formulerait des propositions, le parlement et le gouvernement fixant les orientations les plus prioritaires.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Francis Vercamer a estimé que la question de l'emploi des jeunes, thème important s'il en est, constitue une préoccupation constante de l'ensemble des gouvernements depuis vingt ans, sans qu'aucune solution pertinente pour y remédier ait pu à ce jour être trouvée. En début de carrière, les jeunes Français enchaînent toujours les contrats courts (intérim ou contrats à durée déterminée), qui constituent une sorte de variable d'ajustement dans l'entreprise.

Il convient bien évidemment de bâtir un système viable afin d'éviter la précarité et la perte de confiance que cette situation engendre, avec toutes ses conséquences sur la croissance, car le système français se trouve aujourd'hui dans un cercle vicieux.

Par ailleurs, la question des droits sociaux, attachés au salariat et non à la personne, est effectivement fondamentale. L'importance d'un diplôme, d'une qualification adéquate, seuls à même de constituer des « filets de sécurité », est reconnue par tous - l'UDF a d'ailleurs proposé de créer un contrat emploi formation.

Mais la proposition de loi ne répond pas à ces problématiques, même si certains points intéressants sont abordés, comme la question du suivi personnalisé des jeunes. Il s'agit d'une proposition de circonstance, polémique - comme le montre l'exposé des motifs -, politicienne jusque dans le rapport présenté à cette occasion par le rapporteur : tout cela ressemble plus à l'habituelle partie de ping-pong revancharde entre majorité et opposition qu'à une réelle avancée. Cette proposition augure mal de ce que pourrait être l'alternance, avec son lot d'abrogations. Il conviendrait pourtant de travailler dans la continuité.

Le groupe UDF partage certes le constat du groupe socialiste sur l'importance du dialogue social : il avait d'ailleurs proposé d'inscrire le principe d'une consultation des partenaires sociaux préalable à l'engagement de toute réforme du droit du travail dans la Constitution, puis dans la loi. Le dialogue social doit impliquer l'établissement d'un agenda social des réformes et un temps de concertation tout en permettant une rénovation du rôle du Conseil économique et social. Or ces trois points sont absents de la proposition de loi.

On ne peut également que se montrer perplexe face au rôle de la conférence nationale pour l'emploi et l'insertion professionnelle des jeunes. Pourquoi isoler ainsi un problème ? Un tel saucissonnage ne peut engendrer que des effets pervers. En outre, l'emploi doit être traité au niveau local et non national, les bassins d'emploi constituant à cette fin des périmètres pertinents.

La question de l'expérimentation n'est pas davantage abordée par la proposition de loi. Or elle est fondamentale pour évaluer les nouveaux dispositifs et, éventuellement, les généraliser. Elle éviterait ces perpétuelles abrogations, dont les principales victimes sont les salariés et les employeurs, qui ont avant tout besoin de lisibilité et de visibilité sur leur avenir.

M. Bernard Perrut s'est déclaré extrêmement surpris par certains propos relevés dans le rapport sur la proposition de loi. Parler de « mépris d'un gouvernement qui s'acharne à agir contre [les jeunes] sans concertation, sans dialogue, sans capacité d'écoute », dire que « la crise qu'a traversée notre pays, ce n'est pas la jeunesse qui l'a voulue mais l'ensemble du gouvernement qui l'a provoquée » ou encore que ce dernier « n'a cessé de réduire les moyens consacrés [à l'emploi des jeunes] », notamment par la suppression des emplois-jeunes, c'est inadmissible, surtout lorsque l'on sait sur ce dernier point que l'ancienne majorité s'était bien gardée d'assurer leur pérennité.

Ces accents polémiques sont d'autant plus regrettables que, sur le fond, on ne peut qu'être d'accord sur le constat que le chômage des jeunes n'est pas une fatalité, sur la diversité que constituent les différentes formes de chômage des jeunes ou sur l'existence de discriminations à l'égard de ces derniers ; c'était d'ailleurs précisément l'objet de la loi pour l'égalité des chances que de s'attaquer à ces problèmes.

Il est vrai aussi que les jeunes se heurtent à de graves difficultés d'insertion et d'orientation, comme l'a montré le rapport de Mme Irène Tharin en 2005, cité par le rapporteur dans son rapport, ou encore qu'il est important d'avoir une connaissance toujours meilleure des besoins en emploi sur les différents territoires ; c'est d'ailleurs l'une des tâches imparties aux maisons de l'emploi dans le cadre du service public de l'emploi, mais aussi en lien avec d'autres institutions telle l'Éducation nationale.

Il est vrai encore que le programme TRACE (trajectoire d'accès à l'emploi des jeunes) a constitué un dispositif intéressant, mais s'il a été supprimé par la majorité, c'est pour être remplacé par un mécanisme encore plus efficace, le contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS).

Pour autant, on ne peut passer sous silence tout ce que la majorité actuelle a fait pour lutter contre ces difficultés. L'action du gouvernement a produit des résultats : 185 000 chômeurs en moins depuis février 2005 ; une baisse de 8,4 %  du chômage des jeunes sur un an, même s'il est indéniable que ce taux est encore trop élevé ; la montée en puissance de l'apprentissage, puisque à la fin du mois de mars dernier on comptait 382 000 apprentis contre 366 000 un an plus tôt, qui est allée de pair avec l'amélioration de l'attractivité de cette voie de formation en alternance ; à cela s'ajoutent près de 29 000 contrats de professionnalisation depuis le début de l'année et 170 000 contrats d'insertion dans la vie sociale pour les jeunes de 16 à 25 ans sans diplôme, sans oublier le dispositif du soutien à l'emploi des jeunes en entreprises (SEJE) qui a permis à 300 000 jeunes d'obtenir un contrat à durée indéterminée.

C'est bien la preuve que le gouvernement, qui a mis les moyens nécessaires pour assurer la bonne application de ces mesures, a de la considération pour les jeunes et que la vision totalement négative développée par le rapporteur ne correspond pas à la réalité. Il est donc important de dire aussi ce qui a été fait, sans faire un tableau totalement noir des faits.

Pour l'essentiel, la proposition de loi porte sur la relance de la négociation collective par l'engagement d'une large négociation avec l'ensemble des partenaires sociaux et l'établissement d'une conférence nationale pour l'emploi et l'insertion professionnelle des jeunes. Pour le reste, les auteurs de la proposition de loi se bornent à demander la suppression de tout ce qui existe. Ils oublient notamment que, s'agissant des stages, une charte signée le 26 avril dernier prévoit l'encadrement obligatoire des stagiaires, encadrement formalisé dans la convention de stage, prolongeant ainsi la loi pour l'égalité des chances. Ils oublient également la commission du débat national « université-emploi » qui vient d'être installée et qui travaillera dans les régions sous l'autorité des recteurs.

La proposition de loi remet en cause le contrat nouvelles embauches, faisant fi des 410 000 contrats de cette nature signés, parmi lesquels 100 000 à 150 000 correspondent à des créations d'emplois nettes. Elle revient sur l'apprentissage junior, alors que ce dispositif permettra aux jeunes qui le désirent de se familiariser dès 14 ans avec les métiers puis, à partir de 15 ans, de signer un contrat d'apprentissage, autrement dit de choisir une orientation en toute connaissance de cause.

Quant à la remise en cause des dispositions nouvelles sur le travail de nuit et du dimanche des jeunes apprentis, il faut rappeler que ces mesures comblent un vide juridique concernant certains métiers qui exigent de travailler à des horaires inhabituels, comme ceux de la boulangerie, de la restauration ou du spectacle. Les supprimer conduirait à un incroyable retour en arrière et priverait ces professions d'un encadrement juridique nécessaire.

Au total, la proposition de loi pose de bonnes questions mais n'apporte pas de réponses nouvelles, se bornant à demander la suppression de ce qui existe.

M. René Couanau a déploré une réaction politique navrante de la part des auteurs de la proposition de loi, qui cherchent à occuper un créneau dans un domaine qui mériterait un débat plus approfondi et plus pertinent que ce geste politique quelque peu primaire.

Sans doute, le CPE a suscité des interrogations : les jeunes ont pu être heurtés par cette mesure instaurant, il est vrai, un peu de précarité. Est-il normal, en effet, de chercher à inventer, années après années, des mesures spécifiques aux jeunes alors qu'il est toujours dangereux de segmenter le marché de l'emploi par catégories d'âges ? C'est pourtant ce que continue à faire cette proposition de loi en établissant une Conférence nationale spécifiquement dédiée à ces seules questions.

La bonne démarche consisterait à agir à l'égard de ceux qui n'ont pas de formation et qui devraient l'acquérir par le travail, pour leur permettre de mettre plus aisément le pied à l'étrier. La bonne question consiste à se demander à quoi sert l'entreprise dans ce contexte et quel peut être son apport. Ce serait un beau débat de société que de tenter d'y répondre.

Les articles 4 et 7 de la proposition de loi sont intéressants. Ils abordent ces problèmes en proposant de rendre applicable l'article 12 de l'accord national interprofessionnel, relatif à la formation tout au long de la vie concernant le dispositif de formation différée, et de moduler le taux des cotisations sociales des employeurs selon l'effort de l'entreprise en faveur de l'insertion. Mis à part l'aspect inutilement répressif de la majoration des cotisations sociales en fonction du nombre d'emplois précaires existants dans l'entreprise, on peut soutenir ces pistes de réforme que la proposition de loi ne fait toutefois qu'effleurer.

M. Yves Durand a estimé que l'aspect jugé polémique de la proposition n'est en fait que le reflet d'une réalité difficile : le chômage des jeunes et leurs difficultés d'insertion professionnelle. Au-delà du problème du chômage, c'est plus généralement la question de la place des jeunes dans la société qui est en cause. Dans la perspective des prochaines échéances électorales, le débat démocratique qui s'ouvrira devra prendre en compte les revendications des jeunes et de leurs organisations, telles qu'elles se sont notamment exprimées, encore récemment, lors des manifestations contre le contrat première embauche. Il devra définir la place réservée aux jeunes dans notre société ainsi que les conditions de leur insertion professionnelle. La proposition de loi pose des grands principes d'action : leur application et les détails techniques devront faire l'objet d'une concertation avec les organisations représentatives.

Un des principes qui a guidé la rédaction du texte consiste à ne pas créer un dispositif supplémentaire et à œuvrer dans le sens de la lisibilité. Aujourd'hui, personne ne s'y retrouve dans l'empilement des sigles et mesures de toutes sortes.

De plus, la proposition de loi affirme que le contrat à durée indéterminée doit rester le socle du droit du travail. La baisse du chômage constatée récemment s'explique en effet non seulement par des variables démographiques, mais aussi par l'augmentation du travail précaire, augmentation qui suscite l'angoisse des jeunes et de leurs parents. C'est la marque de l'action de la majorité.

Enfin, ce texte constitue un appel à la concertation et à la négociation. L'action de la majorité a démontré en quelques semaines qu'une réforme qui n'a pas fait l'objet de la concertation nécessaire est une réforme qui ne sera pas appliquée. Cela ne signifie pas que c'est la rue qui gouverne. Il faut faire œuvre de pédagogie et élaborer un authentique compromis social - et ce avant toute réforme - comme le prescrit d'ailleurs l'exposé des motifs du projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social dans un engagement resté lettre morte.

S'agissant des questions de formation, toutes les expériences menées à l'étranger montrent qu'il n'est possible de diminuer le chômage des jeunes que par l'augmentation des niveaux de qualification. Cette observation n'est pas prise en compte par le gouvernement, en particulier pas par l'introduction de l'apprentissage « junior ». En effet, développer l'apprentissage est opportun dès lors qu'il ménage l'acquisition d'un socle solide de connaissances. Le ministre chargé de l'éducation a d'ailleurs annoncé aujourd'hui, lors des questions au Gouvernement, que les dispositions relatives au socle commun de connaissances, qui avait fait l'objet d'un accord entre la majorité et l'opposition lors de la discussion de la loi d'orientation sur l'avenir de l'école du 23 avril 2005, allaient être appliquées grâce à la publication prochaine du décret d'application.

Or, on ne pourra pas demander à un jeune de quatorze ans de découvrir un métier et dans le même temps d'assimiler le socle commun de connaissances. À titre de comparaison, les élèves issus des classes préparatoires, qui ne sont pas les moins doués, ne s'orientent qu'après l'âge de vingt-cinq ans ! Le dispositif conduit donc à empêcher l'acquisition du socle commun de connaissances par les jeunes, socle qui leur serait pourtant indispensable pour l'adaptation aux nouveaux métiers et qui in fine concourrait à la baisse du chômage.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Si le constat est jugé sévère, voire excessif, il faut cependant rappeler qu'il n'est que la conséquence des événements récents liés à la volonté gouvernementale d'imposer le contrat première embauche, aux manifestations qui ont mis à cette occasion plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue et au bouleversement institutionnel qui s'en est suivi : ce sont ces éléments qui dictent les présents commentaires et ne portent pas naturellement, il est vrai, à l'indulgence.

- Certes, passée cette période, on pourrait imaginer l'établissement d'un constat le plus partagé possible, fruit d'une démarche dépassionnée. La crise du CPE est sociale mais également générationnelle. Elle a permis aux jeunes d'exprimer leurs craintes et leur colère au sujet de l'emploi, mais aussi plus généralement au sujet de l'entreprise, de l'éducation ou de la politique, qui ne semblent pas vouloir les accepter, en tout cas pas au niveau de responsabilité auquel ils peuvent pourtant légitimement prétendre.

- M. Bernard Perrut s'est livré à une défense de l'action du gouvernement, chose devenue assez rare ces temps-ci pour être soulignée et exercice difficile. Cependant, les chiffres sont là. De 2002 à 2005, force est de constater qu'environ 150 000 emplois aidés au profit des jeunes ont été supprimés ; le nombre d'apprentis passe aujourd'hui la barre des 380 000, mais reste encore en deçà du niveau de 2001 (386 000 apprentis) ; l'évolution des contrats de professionnalisation conclus au profit des jeune montre qu'ils ne sont pas parvenus à se substituer pleinement aux contrats de qualification, d'adaptation et d'orientation, puisqu'on constate en comparant les chiffres un déficit de l'ordre de 80 000 unités fin 2005 par rapport à fin 2001. Si l'on ajoute à ce constat l'erreur d'aiguillage dans la crise du CPE, on retrouve aisément les conséquences que l'on a décrites.

- Compte tenu de la crise de CPE, les critiques ayant trait à l'insuffisante ambition de la présente proposition de loi ne manquent d'ailleurs pas de sel. Les auteurs de la proposition ont voulu travailler en étroite coopération avec les syndicats, qui n'ont pas souhaité que soit créé un nouveau contrat. Il est essentiel de mettre en œuvre quelques principes simples, tel l'accompagnement des jeunes jusque dans l'entreprise, sans pénaliser les entreprises qui ouvrent leurs portes aux jeunes en favorisant la mise en place d'actions d'adaptation au profit des jeunes et de négocier les modalités de financement de ces actions.

- La proposition de loi ne traite pas deux sujets qui auraient pu être abordés. D'une part, on pourrait imaginer lier les départs à la retraite et l'embauche des jeunes, eu égard aux évolutions démographiques qui marqueront les prochaines années. D'autre part, il faudrait se pencher, là aussi en lien avec les partenaires sociaux, sur la question du déclassement qui affecte de nombreux jeunes diplômés, dont les emplois et les niveaux de responsabilité y afférents sont souvent inférieurs à leurs qualifications, ce qui suscite une colère bien légitime. Il s'agit d'une des caractéristiques du marché du travail français. Le travail sera poursuivi, au cours des prochaines semaines, notamment dans ces deux directions.

Le président Jean-Michel Dubernard a proposé aux commissaires de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre les travaux de la commission et de ne pas présenter de conclusions sur le texte de la proposition de loi, tout en soulignant que ce choix n'empêche ni la discussion en séance publique, ni la publication d'un rapport incluant le compte rendu des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout loisir de s'exprimer.

Suivant la proposition du président, la commission a décidé de suspendre l'examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Dominique Tian rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant le code général des collectivités territoriales et la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002 relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle - n° 2983.


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