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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 68

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 juillet 2006
(Séance de 15 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de la mission d'information sur l'épidémie à virus chikungunya à la Réunion et à Mayotte (M. Bertho Audifax, rapporteur)


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- Information relative à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d'information de M. Bertho Audifax sur l'épidémie à virus chikungunya à la Réunion et à Mayotte.

M. Bertho Audifax, rapporteur, a d'abord présenté les quatre phases de l'épidémie.

Pendant la première phase, de mars à septembre 2005, il a sans doute été fait preuve d'une trop grande assurance devant une menace mal connue. La victoire contre le paludisme a fait croire que l'on était à l'abri du risque lié aux maladies infectieuses et particulièrement aux arboviroses. Cela a eu pour conséquence une constante diminution des effectifs affectés à la lutte antivectorielle depuis trente ans et ce quelle que soit la couleur du gouvernement en place. De surcroît, cette lutte était exclusivement tournée contre les cas de paludisme importé et donc contre les anophèles, vecteurs de cette maladie. Les conséquences des deux épidémies de dengue, qui ont frappé La Réunion en 1977 et en 2004, n'ont pas non plus été tirées. L'éducation sanitaire des populations est tout autant restée lettre morte.

Pendant cette période, la veille sanitaire a fonctionné : les premiers cas de chikungunya ont été diagnostiqués et identifiés par le docteur Lassalle, médecin à la direction régionale de l'action sanitaire et sociale. Par contre, l'explosion de l'épidémie n'a pas été anticipée. Le mode de recueil des données épidémiologiques par les services de la lutte antivectorielle, par enquête et traitement autour des cas déclarés, a été très rapidement débordé, compte tenu de la faiblesse des effectifs, et pourtant maintenu sans discussion. Mais il faut préciser que le début de l'épidémie s'est déroulé dans un contexte d'indifférence générale au risque sanitaire lié aux moustiques et que la communication sur ce sujet a été insuffisante.

La deuxième phase, de juin à fin décembre 2005, pendant laquelle la réalité a été sous-estimée et mal vécue par tous, a été celle du divorce entre, d'une part, une analyse administrative rationnelle et, d'autre part, une population débordée et angoissée par une maladie mal connue ne correspondant pas aux descriptions médicales qui en étaient faites. Au quatrième trimestre 2005, l'épidémie échappe à l'observation et la rupture avec les médecins se creuse. Ceux-ci, débordés, impuissants, se sentent abandonnés ; ils ont aussi le sentiment d'être mal informés et de ne pas pouvoir se faire entendre.

C'est aussi la période pendant laquelle des formes nouvelles de la maladie - les cas graves, la transmission materno-fœtale - apparaissent, des polémiques prennent corps dans les médias et des craintes se développent dans l'opinion. La confiance va alors se perdre et la communication deviendra impossible.

Une première explication a été fournie par l'Institut Pasteur. Des mutations du virus ont été mises en évidence, pouvant expliquer sa meilleure adaptation au moustique et peut-être sa plus grande pathogénicité.

A la fin du mois de décembre 2005 et jusqu'en mars 2006, troisième phase, l'épidémie explose : 45 000 nouveaux cas hebdomadaires sont recensés en février, créant un drame sans précédent dans un contexte difficile résultant des pluies diluviennes et de l'effondrement de la Route en corniche. Pour y faire face, une action gouvernementale majeure est déclenchée avec l'adoption d'un plan global de lutte contre le chikungunya, l'arrivée de renforts en personnel et en matériel médical, soutenue par l'action admirable de tous les acteurs de santé. Une mobilisation considérable se met en place pour mener la lutte antivectorielle.

La coordination de ces opérations a cependant été rendue complexe par l'absence d'un plan d'urgence préétabli et par la nécessité de former, dans l'urgence, un très grand nombre de personnes qui ont pu, au début, commettre des erreurs dans l'utilisation des pesticides. Pendant cette période, les polémiques stériles n'ont pas cessé, que ce soit sur la conduite des opérations ou sur le choix des insecticides.

Dans la quatrième phase, d'avril 2006 jusqu'à ce jour, on peut se féliciter d'une solidarité locale retrouvée et de la poursuite de la solidarité nationale massive au travers notamment des aides économiques, de l'effort de recherche important qui a été entamé et de la création d'un centre de veille sur les maladies émergentes.

Maintenant, il faut se préparer à une probable reprise de l'épidémie fin 2006 et pour cela se donner les moyens d'agir. Cela signifie qu'il faut, comme le recommande la mission d'information, recréer un service de lutte antivectorielle pérenne et suffisamment doté, prendre en compte les conséquences économiques et sociales de la crise, se doter d'un plan d'urgence sanitaire mais aussi encourager la recherche et le développement sanitaire dans une zone exposée aux risques des maladies émergentes. Il faut également, par le lancement d'une vaste campagne de communication, sensibiliser la population aux risques sanitaires. Cette communication doit s'appuyer sur les relais que constituent les mairies, les associations et surtout les écoles. La mission est extrêmement vigilante sur l'anticipation nécessaire d'une probable reprise de l'épidémie à la fin de l'année 2006. Le gouvernement, par le plan chikungunya 2007, se prépare à cette éventualité.

En conclusion, il faut reconnaître que cette épidémie est apparue, ainsi que l'a qualifiée une personnalité entendue par la mission, comme une « désastreuse surprise ». Or, si une crise sanitaire grave surprend, c'est qu'il est déjà trop tard. L'anticiper suppose un scepticisme raisonnable devant ce que l'on connaît mal. On a sans doute à La Réunion manqué de modestie. De même, la communication doit se faire selon des principes d'humilité et de vérité. Enfin, la gestion de la crise requiert un pilotage unique par l'Etat qui seul est à même de permettre la coordination des actions.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Après avoir salué la qualité des travaux de la mission, Mme Huguette Bello a souligné que le rapport a le mérite d'appréhender, pour la première fois, les divers aspects de la crise du chikungunya, même si certains aspects comme l'impact environnemental des traitements pesticides et les conséquences sociales de la maladie ne sont pas assez développés. Le bilan de l'épidémie est lourd : 266 000 personnes atteintes - ce qui correspond à 20 millions de personnes à l'échelle de la métropole - et 238 décès. C'est la première fois, au XXIè siècle, qu'un territoire français est frappé par une maladie virale de cette ampleur.

L'évolution de l'épidémie reste inquiétante et cela justifie pleinement la constitution d'une commission d'enquête. À titre de rappel, l'épisode de la canicule a donné lieu à la création d'une mission d'information constituée au sein de la commission puis à la création d'une commission d'enquête. Aujourd'hui, il est nécessaire d'entendre des acteurs impliqués dans la lutte contre le chikungunya qui n'ont pas été auditionnés par la mission, comme l'association des maires, le monde syndical et associatif ainsi que les représentants des enseignants.

Il faut réfléchir à la manière dont un concours de circonstances malheureux a conduit à une telle situation. La commission d'enquête permettrait de déterminer les responsabilités à l'origine d'une crise pendant laquelle ont été tuées, en un an, plus de personnes que par les accidents de la route ou les cyclones. De plus, cette maladie provoque des séquelles qui peuvent être très graves et concerneront des milliers de personnes à La Réunion. Elle aura un impact sur l'espérance de vie à la naissance à La Réunion, qu'il faudra évaluer alors qu'elle y est déjà légèrement moins élevée qu'en métropole. La commission d'enquête aurait aussi pour responsabilité de proposer une meilleure articulation entre les fonctions de veille, de recherche et d'alerte.

Mme Huguette Bello a déclaré qu'elle était favorable à l'adoption du rapport de la mission. Cependant, ses conclusions doivent donner lieu à un suivi étroit, la menace étant toujours présente : la préfecture, lors de son dernier point hebdomadaire sur la maladie, a relevé la semaine dernière un décès et six cents nouveaux cas de contamination. Ces chiffres sont beaucoup plus élevés que ceux de la période correspondante en 2005. De plus, le virus pourrait atteindre d'autres régions, comme les Antilles ou le sud de la France.

Le président Jean-Michel Dubernard a estimé que la vision médicale du rapporteur a apporté une plus-value certaine aux conclusions de la mission.

Regrettant de n'avoir pu se rendre à La Réunion et à Mayotte, Mme Gabrielle Louis-Carabin a salué le travail remarquable effectué par les membres de la mission, en particulier l'apport de ses collègues de La Réunion et de Mayotte, et indiqué qu'elle votera le rapport. Le virus a pris par surprise la population, les autorités locales et finalement le gouvernement. Il faudra tenir compte des recommandations de la mission, car la maladie sévit encore, et montrer à la population qu'on s'intéresse à ses problèmes. On peut cependant regretter que le rapporteur ait omis de rencontrer les maires et les conseillers régionaux lors de son déplacement avec les membres de la mission. Enfin, les recommandations de la mission sont valables pour d'autres territoires dans lesquels pourrait sévir le même type de virus, comme la Guyane, la Martinique ou la Guadeloupe.

M. Pierre-Louis Fagniez a félicité le rapporteur pour son travail et a rappelé qu'il avait été le premier parlementaire à poser une question d'actualité sur le chikungunya. On disposait alors de peu de notions sur cette maladie, fréquente dans la zone de l'Océan Indien, mais réputée non mortelle. Un vaccin avait été expérimenté aux États-Unis mais rien n'avait été fait pour l'exploiter. Une autre interrogation concernait le désintérêt de la population de La Réunion pour la démoustication. Aujourd'hui, existe-t-il d'autres arboviroses, prêtes à frapper ?

Mme Huguette Bello a indiqué qu'une épidémie de chikungunya sévit à Madagascar et en Inde et qu'une épidémie de dengue particulièrement aiguë avait touché La Réunion dans les années soixante-dix. Le chikungunya fait partie de ces maladies émergentes qui peuvent se révéler particulièrement dangereuses. Le rapporteur, dans son rapport sur la proposition de résolution de MM. Jean-Marie Le Guen, Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues tendant à créer une commission d'enquête sur le dispositif français et la coopération internationale en matière de veille sanitaire et notamment de lutte contre la pneumonie atypique, le rapporteur décrivait, voilà quelque mois, une situation comparable à celle de La Réunion et de Mayotte. La demande de création de la commission d'enquête ne poursuit aucun « but coercitif », au contraire de ce qu'a dit le rapporteur, mais vise à prolonger les travaux de la mission d'information compte tenu de la gravité du problème.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- Les travaux de la mission se sont déroulés de façon consensuelle malgré quelques divergences. L'accord de tous les membres de la mission sur les points essentiels du rapport est confirmé par le fait qu'ils ont adopté le rapport à l'unanimité. Dans ce contexte, la création d'une commission d'enquête n'apporterait rien de nouveau, car le chikungunya a déclenché une vraie prise de conscience du risque lié aux virus émergents.

- Le rapport traite bien de l'impact environnemental des pesticides, qui fait l'objet d'un projet de recherche intitulé « envirochik ».

- Un programme de surveillance des nourrissons atteints se met en place pour deux ans. Un suivi permanent sera sans doute nécessaire.

- La semaine dernière, 600 nouveaux cas ont été estimés mais la cellule d'épidémiologie précise que l'extrapolation des données ne permet plus d'obtenir un chiffre fiable, compte tenu de la décroissance de l'épidémie, et propose de revenir au protocole antérieur. Il serait plus approprié que les médecins généralistes déclarent automatiquement les cas de chikungunya.

- La mission n'a pas eu de contact avec le président de l'association des maires mais ses membres ont rencontré des maires impliqués dans la lutte contre le virus. Elle a peut-être manqué de sens protocolaire mais de nombreuses personnes ont été entendues.

- Le chikungunya était une maladie mal connue et on a manqué de prudence. Dès qu'un cas était déclaré, une brigade de lutte faisait un bilan dans le voisinage. Cependant, en raison d'un nombre trop faible d'agents, certaines zones n'ont pas été inspectées. Ainsi, en mai 2005, le professeur Zeller avait reçu à Lyon 1 300 cas de prélèvements de suspicion du chikungunya : deux tiers de ces prélèvements avaient été envoyés par des médecins généralistes, ce qui laisse à penser que ceux-ci avaient examiné environ 5 000 cas suspects. Ces éléments n'ont pas alerté. En fait, tous les acteurs se sont contentés de suivre la procédure administrative classique. Par ailleurs, les médecins généralistes ne sont pas assez formés à la santé publique. Il a fallu attendre novembre 2005, pour que le ministère de la santé décide l'envoi d'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a rendu son rapport à la fin du mois de janvier 2006.

- Lors du premier colloque de la cellule de recherche sur le chikungunya ont été évoquées comme menaces potentielles pour la zone de l'Océan Indien : la fièvre de la vallée du Rift, la dengue, l'encéphalite japonaise, les virus Nippa, Ross River et West Nile ainsi que la fièvre jaune. Les épisodes d'épidémie de dengue avaient permis à la population de s'immuniser. Dans le cas du chikungunya, la non-immunisation de la population a contribué à l'explosion épidémique.

Le président Jean-Michel Dubernard a souhaité savoir quels sont les risques de reprise de l'épidémie.

Le rapporteur a répondu que la situation actuelle se rapprocherait de celle de l'hiver austral 2005. Néanmoins, 35 à 40 % de la population sont déjà immunisés mais on estime à 70 % le seuil de protection efficace. Il y a donc un risque de reprise de l'épidémie, en septembre à Mayotte, puis à la fin de l'année à La Réunion. La mission recommande donc d'y réfléchir dès maintenant, notamment en lançant une campagne de communication sur les risques et les moyens de l'éviter.

En application de l'article 145 du Règlement, la commission a décidé, à l'unanimité, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Puis, le président Jean-Michel Dubernard a indiqué que le Président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, lui a fait savoir qu'à l'occasion de la demi-finale de la coupe du monde de football qui opposera, le mercredi 5 juillet, la France au Portugal, un buffet sera offert, à partir de 19 heures 30, à la Présidence. A partir de 21 heures, cette demi-finale sera retransmise sur grand écran dans les jardins de l'hôtel de Lassay.

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Information relative à la commission

La commission a saisi l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) d'une étude sur les accidents vasculaires cérébraux.


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