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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 70

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 5 juillet 2006
(Séance de 14 heures 45)

12/03/95

Coprésidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,

et de M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques

SOMMAIRE

 

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- Audition, ouverte à la presse, commune avec la commission des affaires économiques, de M. Patrick Hetzel, président de la commission chargée d'organiser le débat national Université-Emploi, et des membres de la commission



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La commission a procédé à l'audition, commune avec la commission des affaires économiques, de M. Patrick Hetzel, président de la commission chargée d'organiser le débat national Université-Emploi, et des membres de la commission.

Le président Patrick Ollier a souhaité la bienvenue à M. Patrick Hetzel, recteur de l'académie de Limoges, président de la commission du débat national Université-Emploi, ainsi qu'aux membres de cette commission, créée par M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et qui vient de remettre à ce dernier un premier bilan d'étape.

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que la commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale avaient pris l'habitude, sur certains sujets importants, de travailler conjointement, à telle enseigne que l'on pourrait songer à les fusionner - ce qui permettrait au passage de scinder la commission de la défense nationale en une commission de l'armée de terre d'une part et une commission de la marine et de l'armée de l'air d'autre part ...

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est très sensibilisée aux multiples problèmes auxquels se heurtent les universités françaises depuis une vingtaine d'années, si ce n'est davantage. Il est particulièrement préoccupant que les diplômes universitaires protègent moins qu'avant contre le chômage et que, dans de nombreuses disciplines, les étudiants diplômés subissent un déclassement croissant à l'entrée sur le marché du travail. C'est pourquoi elle a accueilli avec une grande satisfaction l'initiative, prise par le Gouvernement en avril dernier, d'organiser un débat national sur l'université et l'emploi, et de confier au recteur Patrick Hetzel la présidence de la commission chargée de conduire ce débat.

Dans le strict respect du calendrier annoncé, la commission du débat national vient de rendre public un rapport d'étape comportant une première série de préconisations visant à rapprocher l'université du monde du travail.

S'agissant de l'organisation du débat national, débat qui devait être décentralisé, la commission des affaires culturelles souhaite savoir si, dans toutes les régions, les étudiants, les enseignants, les chercheurs et les acteurs économiques ont saisi l'occasion qui leur était offerte de débattre et ont permis à la commission du débat national de prendre en compte les spécificités locales. Il semble que, dans la région Rhône-Alpes, le débat soit resté très institutionnel et confiné aux seuls universitaires et syndicalistes.

Sur le fond, le premier constat dressé par la commission du débat national paraît assez alarmant et justifierait des mesures urgentes, notamment en matière d'orientation des étudiants. Mais comment réorganiser à bref délai un système d'orientation défectueux, voire inexistant, depuis des décennies ? Les universités ne pourraient-elles vérifier un certain nombre de pré-requis pour l'accès à certaines filières, sous la forme, par exemple, d'un entretien, comme cela se pratique en Espagne ? Ou bien faut-il envisager une année de transition entre le lycée et l'université pour que les étudiants acquièrent des méthodes de travail et une bonne autonomie ?

Par ailleurs, le rapport d'étape déplore les défaillances de l'enseignement universitaire dans les domaines des langues étrangères, de l'informatique et de la formation à la recherche d'emploi, et met ainsi en lumière de manière criante les inégalités de traitement entre les étudiants des universités et ceux des grandes écoles. Faut-il remettre en cause la dualité du système français d'enseignement supérieur, qui a certes des effets positifs sur le niveau de formation dans certaines filières, mais aussi des effets négatifs sur la lisibilité d'ensemble du système ? Le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, M. François Goulard, a parlé de « rapprocher » les deux voies. Ce rapprochement pourrait-il s'opérer en faisant sortir les classes préparatoires des lycées et en les rattachant aux universités ?

Le rapport d'étape préconise, en outre, un meilleur accompagnement des étudiants pendant et après leurs études. Ses auteurs ici présents peuvent-ils préciser ce que cette proposition recouvre concrètement ? Une enquête réalisée à Lyon tendrait à montrer que les étudiants sont plus nombreux que les SDF parmi les exclus du système de soins...

Enfin, la commission des affaires culturelles souhaite savoir, le rapport d'étape semblant déjà très complet, à quoi la commission du débat public entend consacrer la seconde phase de ses travaux.

M. Patrick Hetzel, président de la commission chargée d'organiser le débat national Université-Emploi, a remercié, au nom des membres de la commission du débat national Université-Emploi, les commissions des affaires culturelles et des affaires économiques de l'Assemblée nationale pour leur invitation à venir devant elles présenter le bilan d'étape de ses deux premiers mois de travail.

Installée par le Premier ministre le 25 avril 2006, la commission s'est immédiatement mise au travail, coordonnant son action avec celle des recteurs. Sur sa feuille de route figuraient trois sous-thèmes : information, orientation et insertion professionnelle des étudiants ; professionnalisation des études dans le cadre du dispositif licence, master, doctorat (LMD) ; place des formations en alternance dans les cursus.

Une forte attente pèse sur l'université. Elle a relevé depuis plus de trente ans des défis considérables, accueille aujourd'hui plus de 2,2 millions d'étudiants et a développé de nouvelles modalités de formation, notamment des diplômes très professionnalisants, telles les licences professionnelles.

Pour autant, le taux d'échec des jeunes entrés dans l'enseignement supérieur est beaucoup trop élevé : 20 %, soit 80 000 à 100 000 jeunes chaque année. En outre, l'insertion professionnelle des diplômés de l'enseignement supérieur se dégrade : trois ans après leur sortie, 11 % d'entre eux sont au chômage. Enfin, les étudiants français éprouvent des craintes pour leur avenir, redoutant déqualification et précarité. C'est de ce triple constat qu'est partie la commission du débat national.

Plus de 120 réunions ont été organisées sur le terrain, au sein de 29 des 30 académies, auxquelles ont participé près de 20 000 personnes. La commission a, quant à elle, procédé à l'audition de 39 organisations ou organismes entre le 25 avril et le 29 juin - sans essuyer, faut-il souligner, aucun refus. En outre, plus de 2 000 commentaires d'internautes ont été recueillis sur le site Internet de la commission et ceux des académies.

Les échanges ont eu lieu partout dans un esprit de sérénité et de transparence, seule une réunion à Strasbourg ayant été perturbée par des manifestants. Le compte rendu de l'intégralité des auditions et les synthèses académiques sont consultables en ligne sur le site www.debat-Université-Emploi.education.fr.

La commission a été conduite à une triple conclusion : l'orientation est à revoir, y compris en amont ; le système LMD manque de lisibilité, tant pour les étudiants que pour les employeurs, du fait d'intitulés souvent opaques et du très grand nombre de formations homologuées - plus de 10 000 ; l'insertion professionnelle des étudiants est l'une des missions que l'université - nul n'en a d'ailleurs disconvenu - devrait davantage prendre en compte, sans pour autant perdre de vue ses autres missions.

Dans ses préconisations, la commission s'est focalisée sur les éléments les moins sujets à controverse, recherchant davantage, au lendemain de la crise du CPE, les convergences que les divergences. Le document a d'ailleurs été accueilli favorablement, sans susciter de levée de boucliers de part et d'autre.

Pour lutter, en premier lieu, contre l'échec, notamment en premier cycle universitaire, la commission propose sept mesures d'urgence, dont beaucoup n'occasionneront aucune dépense :

- lancer une opération « coup de poing » pour accompagner individuellement les jeunes sortis sans diplôme de l'université depuis trois ans ;

- proposer 5 000 places en section de techniciens supérieurs (STS) et en institut universitaire de technologie (IUT) à compter du 15 février 2007, début du deuxième semestre de l'année universitaire, aux étudiants en situation d'échec et permettre leur réorientation ;

- arrêter, d'ici la fin de l'année 2006, un dispositif réglementaire privilégiant les bacheliers technologiques tertiaires, dont le taux d'échec à l'université est supérieur à celui des bacheliers des filières générales, dans l'accès aux départements tertiaires d'IUT ;

- mettre en place des parcours spécifiques de soutien pour les bacheliers de l'enseignement professionnel, dont le taux d'échec à l'université est certes de 61 %, mais dont le taux de réussite est tout de même de 39 %, ce qui ne justifie pas qu'on les écarte a priori de l'université ;

- obliger les universités, dès la campagne d'inscriptions de juillet 2007, à informer les étudiants des taux de succès aux examens sur trois ans dans les différentes formations ;

- mettre en place dans chaque université une direction des stages, des emplois et des carrières, disposant de l'appui d'étudiants moniteurs, ainsi que cela se pratique dans les grandes écoles ou dans les universités britanniques ;

- créer au sein de chaque académie une commission de l'enseignement professionnel post-baccalauréat, afin de mieux réguler les flux entre universités, classes préparatoires, IUT et filières STS.

A ces mesures immédiates s'ajoutent des propositions visant à améliorer l'information, l'orientation et la professionnalisation et à développer l'apprentissage et l'alternance.

S'agissant de l'information et de l'orientation, il faut notamment citer la proposition consistant à créer dans chaque université, pour le 1er septembre 2007, un observatoire des parcours des étudiants et de leur insertion professionnelle, ce qui ne fait au demeurant que reprendre une disposition d'un décret Chevènement de 1986, jamais appliqué depuis vingt ans ! Il est également proposé de nommer, au plan national, un délégué interministériel à l'orientation et à l'insertion professionnelle, ce qui permettrait de coordonner l'action des multiples organismes compétents - une vingtaine en région Rhône-Alpes !

S'agissant de la professionnalisation, on retiendra, entre autres, la proposition de rendre obligatoire, dans toutes les licences, un module projet professionnel professionnalisé pour l'année universitaire 2007-2008, ainsi que l'acquisition de compétences de base dans trois domaines : la maîtrise d'une langue vivante étrangère, l'informatique et les outils bureautiques, la recherche d'un emploi (rédaction de CV, entretien d'embauche, etc.) et la connaissance des secteurs économiques.

S'agissant enfin de l'alternance et de l'apprentissage, il faut augmenter le nombre de places pour des étudiants apprentis à l'université, en ciblant plus particulièrement les années de sortie de cycle (troisième et cinquième année) et encourager la création de centres de formation des apprentis (CFA) au sein des universités.

Un certain nombre de sujets, en revanche, n'ont pas été abordés par la commission du débat national. C'est le cas, en particulier, de l'autonomie des universités, qui ne peut être traitée que parallèlement à l'évolution de la gouvernance et du système d'évaluation d'une part et à l'amélioration de la contractualisation d'autre part. C'est aussi le cas du système d'aides aux étudiants, dont traite le rapport du député Laurent Wauquiez, et dont la thématique est quelque peu extérieure à celle de la commission du débat national.

Il ressort du riche débat qui s'est instauré que les universités comme les entreprises sont prêtes à s'engager. M. Michel Pébereau, entendu par la commission en tant que représentant du MEDEF, a fait part de la disponibilité des entreprises à se faire mieux connaître du monde universitaire et à mettre des cadres à sa disposition. Les représentants de la CGPME, comme de l'UPA, ont exprimé un désir semblable, l'apport de diplômés de l'enseignement supérieur étant selon eux de nature à aider les petites et moyennes entreprises à franchir le cap difficile de la transmission des savoirs. Un espoir raisonnable existe donc que les positions des uns et des autres évoluent.

Les échanges organisés au sein des académies ont mieux fonctionné, les synthèses disponibles et consultables le montrent, que ne semble le craindre le président Jean-Michel Dubernard au vu de son expérience lyonnaise. La question de l'orientation sera abordée très clairement dans le rapport final, qui comportera des propositions précises, et la commission nationale entend travailler la main dans la main avec le délégué interministériel nommé le 28 juin dernier.

Le président Jean-Michel Dubernard a observé que la commission du débat national avait laissé de côté, du moins pour l'instant, les questions de la sélection, de la nomination et de la carrière des universitaires, ainsi que le rôle joué par le Conseil national des universités (CNU). Se propose-t-il de les aborder ?

Le président Patrick Ollier a souligné que la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale avait, pour sa part, tracé dix-sept pistes, dont certaines rejoignent celles ouvertes par la commission du débat national. Celle-ci envisage-t-elle, afin d'assurer le lien entre universités et entreprises, de favoriser l'association d'intervenants professionnels aux activités d'enseignement et de recherche, de faire siéger des chefs d'entreprise dans les conseils d'administration des universités, voire - le propos est un peu provocateur - d'améliorer la connaissance du monde de l'entreprise par les enseignants au moyen de stages dans le cadre de leur formation initiale ou continue ?

M. Bernard Perrut a regretté que le monde économique se soit insuffisamment impliqué dans le débat national Université-Emploi, en tout cas dans la région Rhône-Alpes, où ce débat s'est principalement déroulé entre les élus et le monde universitaire.

On observe, sur le terrain, un nombre élevé de jeunes en échec sur le marché de l'emploi et les structures d'accueil des jeunes, telles que les missions locales, ont dans leur public une proportion croissante de jeunes passés par l'université, diplômés ou non. Les universités elles-mêmes n'ont-elles pas une part de responsabilité dans cette situation, pour avoir multiplié inconsidérément les formations ne menant pas à l'emploi ? Il serait bon qu'elles publient, filière par filière et promotion par promotion, les taux de succès aux examens et la proportion d'étudiants ayant trouvé du travail à l'issue de leur formation. Il convient également de réformer les centres d'information et d'orientation (CIO) afin qu'une meilleure information soit donnée aux futurs étudiants sur l'adaptation de l'offre aux besoins.

La commission du débat national propose - c'est même sa toute première préconisation - de mettre en place un accompagnement individualisé des jeunes sortis sans diplôme de l'université au cours des trois dernières années. L'idée semble bonne, mais pourra-t-elle être réellement mise en œuvre ? Comment, concrètement, ces jeunes seront-ils mis en contact avec des employeurs potentiels ?

Enfin, si l'on veut renforcer le lien entre l'université et le monde économique, il faut que celui-ci soit mieux représenté au sein des conseils d'administration des établissements et que ces conseils aient davantage de pouvoirs.

M. Léonce Deprez s'est félicité de cette réunion conjointe de deux commissions de l'Assemblée nationale et a souhaité que le débat national permette d'aller aussi loin que possible, car le pays ne peut plus attendre. Il faut en particulier rendre obligatoires les stages en entreprise pour les enseignants, afin qu'ils ne vivent plus dans une sphère entièrement séparée de l'économie. De même que les députés membres de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau ont parfait leur connaissance concrète du monde judiciaire en procédant à 200 heures d'audition, les membres du corps enseignant devraient améliorer leur compréhension du monde économique en rencontrant notamment des responsables d'entreprises. Le drame d'Outreau n'aurait d'ailleurs sans doute pas eu lieu si le juge d'instruction chargé de l'affaire avait eu une meilleure connaissance de la vie réelle. Il ne faut plus que l'enseignement et l'économie constituent deux mondes étanches. Certains professeurs d'université ont cinq à six heures de cours par semaine, ce qui leur laisse du temps pour aller au contact des entreprises.

M. François Brottes a relevé que la proposition de la commission du débat national suggérant la fusion des masters professionnels et des masters recherche constitue le seul passage du rapport où est abordée la question de la recherche - tandis qu'inversement, la loi d'orientation sur la recherche ne traite pas de l'université. Les modalités concrètes d'une telle fusion ont-elles été évoquées par les membres de la commission ?

Par ailleurs, ne serait-il pas opportun d'organiser des stages dès la première année d'université, afin que les étudiants aient l'occasion de nouer dès que possible les contacts professionnels qui leur permettront de trouver un emploi à la sortie ?

Enfin, quel regard la commission du débat national porte-t-elle sur la validation des acquis de l'expérience (VAE) ? Les universités ont un rôle très important à jouer dans cette procédure, mais les freins culturels restent considérables de la part des détenteurs patentés du savoir.

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que, lors de l'examen du projet de loi de programme pour la recherche, il avait été décidé, étant donné le sort malheureux des tentatives de réforme des ministres Claude Allègre et Luc Ferry, de laisser de côté les questions ayant trait à la gouvernance des universités afin de ne pas compromettre le succès du texte.

M. Frédéric Reiss a déploré que la réunion organisée à Strasbourg dans le cadre du débat national, et à laquelle étaient représentées en nombre toutes les parties intéressées, y compris les milieux économiques régionaux, ait tourné court du fait de la présence d'une quinzaine de perturbateurs, venus empêcher son bon déroulement aux cris de « Pas d'entreprises dans les universités ! »

Il a également regretté que les propositions faites pour réformer l'orientation des étudiants soient de nature uniquement curative et non préventive, alors que près des deux tiers des bacheliers professionnels suivant des formations universitaires échouent, tandis qu'un grand nombre de places en BTS ou en DUT sont prises par les bacheliers des voies générales. Il faut trouver des solutions pour parer à cet échec annoncé.

Le premier emploi des jeunes passés par l'université est, le plus souvent, un stage, mais celui-ci est loin de toujours déboucher sur un vrai contrat de travail. Le jeune a donc tendance à rechercher un deuxième stage, ce qui n'est possible que s'il se réinscrit à l'université, retardant de ce fait son entrée dans la vie active.

M. Patrick Hetzel a reconnu que la présence des chefs d'entreprise dans les conseils d'administration des universités est une question importante. Un certain nombre d'entre eux sont réticents, c'est vrai, à y siéger car ils ont l'impression d'y perdre leur temps, ces conseils n'ayant qu'un pouvoir limité. M. Michel Pébereau, entendu par la commission du débat national en tant que représentant du MEDEF, a suggéré que soient créées des instances spécifiques, où ils pourraient donner leur avis sur l'offre de formation. Le problème n'est pas que l'on ouvre régulièrement de nouvelles formations, mais que l'on ne ferme pas celles ne correspondant plus à l'évolution des besoins.

Le monde économique a, dans l'ensemble, participé largement au débat national. A titre d'exemple, dans l'académie de Limoges les dirigeants régionaux du MEDEF, de la CGPME, des chambres consulaires étaient présents lors de la synthèse des travaux et le rapporteur était l'ancien PDG du groupe Legrand ; dans l'académie de Dijon, le rapporteur était le président de la Fédération nationale du bâtiment.

Il reste beaucoup à faire, cela dit, pour rapprocher l'université et le monde de l'économie. La tâche n'est pas simple car elle se heurte à de nombreuses hostilités, de nature idéologiques. La validation des acquis de l'expérience (VAE) peut néanmoins être un moyen de faire évoluer les mentalités, l'accueil de stagiaires de la formation continue amenant les universitaires à se frotter à de nouveaux publics.

Faut-il aller jusqu'à astreindre les enseignants à des stages en entreprise, voire à une période de mobilité externe ? L'idée est à creuser, mais il faut prendre garde au fait que, dans certains secteurs, les jeunes chercheurs sont les plus productifs et que leur élan risque d'être brisé par une sortie, même temporaire, du système universitaire.

La commission du débat national s'est davantage penchée sur l'insertion des étudiants après la licence que sur celle des étudiants sortant de master - professionnel ou de recherche -, qui fait moins problème. Les doctorants peuvent rencontrer, certes, des difficultés d'insertion professionnelle, mais le nombre des personnes concernées est relativement faible. C'est bien au niveau « L » du système LMD que les problèmes d'insertion sont les plus grands.

Les questions liées au statut des enseignants-chercheurs ont été abordées ce matin même par les membres de la commission. Ce statut devra naturellement évoluer, mais la religion de la commission n'est pas faite sur le rôle du Conseil national des universités. Un des sujets de préoccupation de ses membres porte sur le poids des « lobbies disciplinaires » dans l'enseignement secondaire, les programmes de certaines disciplines préparant mal, selon certains, les élèves à l'enseignement supérieur et expliquant en partie le taux d'échec important que l'on constate au niveau de la licence.

Mme Marie Duru-Bellat, professeure à l'université de Bourgogne, a souligné que la France, contrairement à d'autres pays d'Europe, a choisi de maintenir le libre accès des bacheliers à l'université. Cette liberté, qui est aussi un facteur important de paix sociale, a un coût notable, qui est l'échec d'un nombre important d'étudiants. Il faut bien mettre en balance ces deux éléments.

S'agissant du rapport entre universités et grandes écoles, les arbitrages à faire sont de nature financière, car le coût d'un étudiant peut varier de un à quinze entre l'une et l'autre filière. C'est une question qui est du ressort du pouvoir politique.

M. Sylvain Lecoq, président du cercle Vinci, a rappelé que 300 000 offres d'emploi demeurent non pourvues, tandis que de nombreux jeunes sortis de l'université restent sans emploi, alors même que leur formation et leur bagage culturel sont de nature à intéresser des entreprises : un jeune qui a travaillé deux ans chez McDonald's pour payer ses études constitue un bon « profil » aux yeux d'un employeur, qu'il ait ou non obtenu son diplôme.

Les stages en entreprise sont naturellement indispensables, et devraient sans doute avoir lieu dès la première année, mais le problème est que les grandes entreprises ont « fait le plein » et que les PME n'ont pas forcément les moyens, y compris financiers, d'organiser l'accueil et l'encadrement de stagiaires. Le succès du stage que font les collégiens de troisième fait d'autant plus ressortir la nécessité d'en prévoir d'autres à différentes étapes ultérieures, qu'il s'agisse pour le jeune d'un apprentissage pratique en alternance ou d'un simple « job d'appoint » - auquel cas il faudra l'aider à le valoriser par la suite. Quant aux enseignants, il serait bon également de les amener à passer des périodes de plusieurs semaines dans les entreprises, afin qu'ils n'ignorent plus la réalité du monde économique.

La validation des acquis de l'expérience est une formule propre à la France, où le culte du diplôme atteint un degré inégalé, et où il est donc indispensable de donner cette forme de reconnaissance aux parcours individuels. Toute la difficulté vient de ce que l'on demande à des jurys composés d'universitaires d'évaluer non des savoirs, mais des savoir-faire et des savoir-être qui ne sont pas diplômants en tant que tels. C'est seulement en constituant des jurys mixtes, associant des spécialistes des ressources humaines, que l'on débloquera la situation et que l'on fera droit aux quelque 100 000 demandes de VAE en souffrance, émanant à la fois de chômeurs soucieux d'améliorer leur « employabilité » et de salariés désireux d'élargir leurs perspectives de carrière.

Sollicité par le président Jean-Michel Dubernard de donner son point de vue, M. John Keiger, professeur à l'université de Salford (Grande-Bretagne) s'est dit très heureux de participer à la commission du débat national public Université-Emploi, expérience très observée dans les pays voisins. Il est particulièrement appréciable que la commission aborde la question sous tous ses aspects, avec un désir partagé de réforme. L'un des points cruciaux, selon lui, est l'évaluation : celle de la recherche existe déjà, mais il faut aussi évaluer l'enseignement et le suivi des étudiants, suivi qui est insuffisamment pris en compte dans le déroulement des carrières pour constituer une tâche gratifiante aux yeux des enseignants.

Le président Jean-Michel Dubernard a précisé que l'instance d'évaluation créée par la loi d'orientation est l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, et a dit compter sur le professeur John Keiger pour stimuler la réflexion de la commission du débat national.

Mme Marie-Anne Montchamp a insisté sur l'importance des départements de formation continue au sein des universités, y voyant un moyen de constituer des référentiels communs à deux mondes - le monde économique et le monde académique - qui ne communiquent pas facilement. Elle a également souligné le caractère stratégique de la « cible PME », où, à la différence des grandes entreprises, les emplois ne sont pas forcément normés et identifiés, mais bien souvent émergents et diffus, et les compétences « transférables » plutôt que directement prêtes à l'emploi.

M. Jean Proriol, revenant sur la question de l'enseignement secondaire, a indiqué que nombres de lycées, notamment en province, organisent des journées d'orientation - permettant aux élèves de rencontrer des avocats, des chefs d'entreprise et des représentants de diverses professions - et que certains établissements envoient même leurs lycéens en stage. Ce sont des initiatives qu'il faudrait étendre et institutionnaliser.

M. Patrick Hetzel a donné raison à M. Jean Proriol : actuellement, les stages ne sont pas systématiques au lycée, mais les choses progressent, notamment grâce aux parcours de découverte professionnelle, et il faut aider à ce qu'elles continuent à progresser, en agissant au sein de chaque académie.

M. Gabriel Biancheri a estimé que le conflit relatif au contrat première embauche (CPE) avait montré l'ampleur de l'incompréhension entre les jeunes et le monde de l'entreprise. Tant que subsistera l'actuelle idéologie ambiante hostile aux entreprises, les belles paroles et les travaux de commissions resteront lettre morte.

Le président Patrick Ollier a remercié le recteur Patrick Hetzel d'être venu, en compagnie de plusieurs membres de la commission du débat national, entendre les préoccupations des parlementaires, portant notamment sur les points non abordés dans le bilan d'étape de la commission du débat national - et qui le seront, doit-on souhaiter, dans son rapport final. La séparation actuelle entre les sphères économique et académique est source de problèmes majeurs, susceptibles de donner lieu à des crises violentes. Le débat national sur l'université et l'emploi est une chance qu'il faut saisir, car l'histoire, ainsi que l'a dit Winston Churchill, « ne repasse pas les plats ».

Le président Jean-Michel Dubernard a souligné que les parlementaires attendent beaucoup du rapport final de la commission du débat national, car, quelle que soit la majorité issue des urnes au printemps 2007, il sera indispensable de réformer l'enseignement supérieur, et cette réforme devra s'appuyer sur un diagnostic exact de la situation et une véritable dissection des dysfonctionnements.


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