Version PDF

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 75

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 19 septembre 2006
(Séance de 17 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président
puis de M. Pierre Morange, vice-président.

SOMMAIRE

 

ppages

- Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, et Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur sur le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié - n° 3175





2

- Examen (discussion générale) du projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié - n° 3175 (M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur)


11

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, et Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié - n° 3175.

Le président Jean-Michel Dubernard, rapporteur, après avoir salué chacun des ministres présents, a rappelé que les membres de la commission considèrent ce projet de loi sur la participation comme emblématique et extrêmement important, non seulement pour cette législature mais aussi pour l'avenir. Voilà des mois que les députés l'attendent, ils sont heureux de saluer son arrivée puisque les articles seront examinés en commission la semaine prochaine, avant la séance publique prévue au cours des premiers jours d'octobre.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'est réjoui d'une telle introduction : pour le gouvernement aussi, ce texte est extrêmement important. Il a fait l'objet d'un considérable travail de concertation, mais doit aussi beaucoup au travail des parlementaires, en particulier à celui de MM. François Cornut-Gentille et Jacques Godfrain, ainsi qu'à celui des présidents de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

Le rapporteur a rappelé que le président Patrick Ollier est retenu par la discussion en séance publique du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, et a souligné que les deux commissions ont travaillé en parfaite harmonie et coordination.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a insisté sur l'idée que le développement des instruments de l'épargne salariale est un des moyens les plus puissants de faire en sorte que les salariés participent effectivement au fonctionnement de l'économie.

La participation constitue, d'abord, un formidable outil de pédagogie économique. Par ce biais, on s'informe davantage sur la vie de son entreprise et sur le rôle qu'elle joue dans le tissu économique. Le général Charles de Gaulle a d'ailleurs toujours eu cet aspect en tête : il était convaincu que c'était ainsi que les salariés seraient bien davantage acteurs du développement de leur entreprise.

L'intéressement et la participation représentent chaque année un flux global de 11 milliards d'euros, dont bénéficient environ 10 millions de salariés, ce qui montre l'intérêt que suscite le dispositif, mais aussi la marge de manœuvre qui demeure, puisque 15 millions de personnes de plus pourraient être concernées.

Le gouvernement attend d'abord de ce texte le développement de la participation financière. Aujourd'hui, 39,7 milliards d'euros sont investis par les salariés en titres d'entreprises. Il faut aller plus loin, car ce mouvement est bénéfique non seulement à l'intéressement, mais aussi au capital des entreprises.

Il s'agit ensuite d'inciter les entreprises à aller de l'avant. C'est l'objet de l'avantage fiscal très important accordé aux entreprises qui distribuent des actions gratuites à l'ensemble de leurs salariés et non pas seulement à une catégorie d'entre eux. C'est une mesure d'équité et de justice sociale.

Un autre objectif extrêmement important du texte est la participation des salariés à la vie de l'entreprise. À l'issue de débats animés, en particulier avec les représentants du monde patronal, sur la représentation des salariés aux conseils d'administration et de surveillance, le gouvernement a insisté pour que celle-ci soit rendue obligatoire lorsque 3 % au moins du capital d'une entreprise est détenu par les salariés. Il en va de l'intérêt de l'entreprise, des salariés et des actionnaires.

Ce projet recouvre également d'autres enjeux. Ainsi, M. Édouard Balladur a déposé un amendement visant à mieux encadrer les stock-options. Le Président de la République avait demandé au ministre de l'économie de réfléchir à ces questions, en concertation avec les parties prenantes. Même si tel n'est pas l'objet du présent texte, cela a été fait. Pour apporter des réponses aux questions que les Français se posent, il faut explorer certaines voies et d'abord celle inspirée par M. Édouard Balladur et les co-auteurs de la proposition, selon des mécanismes qui restent à définir, selon laquelle les bénéficiaires d'options ou d'actions en conservent une part lorsqu'ils sont dans l'entreprise. Ainsi, il pourrait être prévu que l'assemblée générale décide d'une quotité que le bénéficiaire des titres conserverait. La définition du volume ne relève sans doute pas de la compétence du législateur, mais ce dernier pourrait par exemple renvoyer à un règlement pris par l'Autorité des marchés financiers. Il convient en deuxième lieu de réfléchir aux moyens d'accroître la transparence. Les « fenêtres » dans lesquelles les détenteurs de ces actions ou options peuvent les exercer sont déjà définies de façon extrêmement ferme. Il faut espérer que le débat permettra d'améliorer ces mécanismes sans porter préjudice à la compétitivité de la place de Paris. L'essentiel, en cette matière, est de parvenir à trouver un équilibre.

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, a indiqué n'avoir rien à ajouter sur l'aspect économique du texte mais qu'elle soutiendra bien évidemment l'ensemble des mesures qu'il contient.

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a souligné que les objectifs du projet de loi sont de mieux associer le capital et le travail, de mieux faire profiter les salariés des fruits de la croissance et d'inciter au développement du dialogue au sein de l'entreprise ou de la branche.

La méthode a reposé sur de nombreux échanges avec les parlementaires ainsi que sur un débat au sein du Conseil supérieur de la participation présidé par M. Franck Borotra et placé sous l'autorité de M. Gérard Larcher. Il convient de saluer le travail accompli notamment par MM. Jacques Godfrain et Hervé Novelli.

Jusqu'à présent, le système de participation et d'intéressement reposait sur des formules mécaniques, appliquées dans un nombre assez restreint d'entreprises, avec un résultat assurant le plus souvent le versement à chaque salarié d'un montant compris entre 1 500 et 2 000 euros. L'objectif est de conserver ce dispositif lorsqu'il fonctionne et d'aller beaucoup plus loin - jusqu'à 15 000 euros par an - avec l'ensemble des avantages fiscaux et sociaux afférents à ces mécanismes. Deux conditions sont posées : la négociation collective et le maintien de l'indisponibilité des sommes versées au titre de la participation pendant cinq ans.

Il s'agit ensuite d'amplifier considérablement la distribution d'actions gratuites, en faisant en sorte que celles-ci soient proposées à tous les salariés, selon des critères objectifs et dans le cadre du développement de la négociation collective. Tout cela vise à renforcer le dialogue social. La plus-value sur les actions ne sera pas prise en compte au plan fiscal si elles sont maintenues pendant au moins cinq ans sur un plan d'épargne d'entreprise. Jusqu'à présent, les petites et moyennes entreprises étaient largement absentes de ce dispositif. Elles bénéficieront désormais du développement de la négociation par branche, dite « par étagères », sur la participation.

La gouvernance constitue également un sujet très important. Le texte prévoit que, lorsque les salariés possèdent plus de 3 % du capital de l'entreprise, ils sont obligatoirement représentés au conseil d'administration. Dans le cadre de la reprise de l'entreprise par les salariés, il sera établi un crédit d'impôt au prorata de leur participation au capital de la structure rachetée. Enfin, de nombreuses demandes portaient sur la sous-traitance ou le partenariat. La possibilité d'affecter des avantages sociaux et fiscaux à un intéressement de projet devrait être ouverte.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a rappelé, s'agissant de la méthode, que le Conseil supérieur de la participation a d'abord préparé un rapport suivi de la rédaction d'un avant-projet puis d'un projet de loi. Avec l'ambition de parvenir à un consensus, le Conseil, où siègent des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, a ainsi participé à l'élaboration d'un texte porteur d'une véritable ambition sociale et sociétale. Pour la première fois, on a vu disparaître certains clivages entre représentants des salariés, des entreprises, des coopératives.

Cette ambition se traduit par l'élaboration d'un certain nombre de concepts. Le premier, même si le nom n'est pas encore arrêté, correspond à l'idée de « dividende du travail ». Pour la première fois dans notre code du travail, il est proposé, à l'occasion d'un dialogue entre salariés et actionnaires, de favoriser l'entrée des salariés actionnaires dans les conseils d'administration, mais aussi de mieux partager des profits exceptionnels. Par ailleurs, l'institution d'un intéressement de projet tient compte de la situation économique, caractérisée par le développement de la sous-traitance.

Aujourd'hui, la moitié des salariés du secteur privé, notamment dans les petites et moyennes entreprises, n'accède pas à la participation. L'idée de ce projet est donc d'inciter à une véritable extension du dispositif dans les entreprises de moins de cinquante salariés - notamment grâce au développement de la négociation de branche - mais aussi dans les autres car, même parmi les entreprises de plus grande taille, une sur dix n'a pas encore passé d'accord de participation. Le nouveau mécanisme fera pendant trois ans l'objet d'un suivi par le Conseil supérieur de la participation. Pour répondre à l'objectif de simplification des mécanismes de participation, dont le développement dans les toutes petites entreprises du secteur de la coiffure peut servir d'exemple, les petites et moyennes entreprises pourront faire usage d'accords « sur étagères ».

Le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement ayant déjà évoqué la distribution d'actions gratuites et la reprise des entreprises par les salariés, le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes a souhaité insister sur l'importance de la concertation : c'est par le dialogue que doit s'étendre le principe de participation. Cette dernière ne devant pas être un substitut à la politique salariale de l'entreprise, il était important de parvenir à un consensus autour de l'idée du blocage pendant cinq ans. Pour l'ensemble de ces raisons, ce texte marquant correspond aujourd'hui à une vraie ambition.

Le rapporteur a remercié les ministres pour leur présentation exhaustive des principaux enjeux et dispositions du projet de loi et a indiqué qu'une contribution écrite de M. Maxime Gremetz à la discussion est disponible à l'entrée de la salle. En tant que rapporteur de la commission, saisie au fond - et en complément des travaux menés également par le rapporteur du texte au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire M. Patrick Ollier -, il a souhaité interroger les ministres plus particulièrement sur trois thèmes qui l'ont guidé tout au long des quelque quarante auditions auxquelles il a procédé.

Nul ne s'étonnera que le premier axe de réflexion soit social. La question est presque naïve : peut-on engager un débat sur la participation sans évoquer la participation sociale ? Nombreux sont ceux qui ont présent à l'esprit l'héritage du général de Gaulle en la matière, et son intuition fondatrice. Il déclarait en effet en 1968, à l'occasion d'un entretien télévisé : « Dès lors que les gens se mettent ensemble pour une œuvre économique commune, par exemple pour faire marcher une industrie, en apportant soit les capitaux nécessaires, soit la capacité de direction, de gestion et de technique, soit le travail, il s'agit que tous forment ensemble une société, une société où tous aient intérêt à son rendement et à son bon fonctionnement, et un intérêt direct ».

Pour lui, plusieurs objectifs étaient assignés à la participation, qui devenait ainsi l'un des axes d'une « troisième voie ». Le premier de ces objectifs était humain : assurer la dignité de l'homme au travail, respecter l'homme au travail. C'est pourquoi la participation ne pouvait revêtir qu'une forme triple : participation aux résultats de l'entreprise, participation au capital de l'entreprise, mais aussi participation à la gestion de l'entreprise. La participation, c'est donc l'intéressement et la concertation.

Au cours de ses auditions, la commission a longuement cherché comment mieux définir l'objet de ses préoccupations : renforcement des relations humaines ou des relations sociales, dialogue social, représentation, management participatif, consultation participative, etc. Les propositions n'ont pas manqué, en particulier par la voix des étudiants des grandes écoles et des jeunes professionnels, ce qui est la marque de l'intérêt que les jeunes générations portent à ces questions. En fait, c'est sans doute le mot « concertation », initialement retenu, qui répond le mieux à cette préoccupation.

Celle-ci a d'ailleurs très souvent traversé le champ des relations du travail, et c'est heureux. Soucieux que l'on oublie les polémiques politiciennes, le rapporteur a souhaité citer également l'ancien ministre en charge du travail Jean Auroux, que la commission s'apprête à rencontrer et qui a été l'auteur, en septembre 1981, d'un rapport sur les droits des travailleurs qui fut à l'origine des grandes lois que l'on sait : « S'il n `est pas question de remettre en cause dans le secteur privé l'unité de direction et de décision dans l'entreprise, il convient d'instituer des mécanismes qui rendent possible l'expression de toutes les énergies et les capacités. Les travailleurs dans l'entreprise constituent un potentiel souvent mal utilisé de compétences, d'innovations et de talents : il s'agit là d'un gisement précieux non encore mis en valeur ».

Aujourd'hui, l'heure est venue du rassemblement, y compris des parlementaires, pour œuvrer à cette grande cause et contribuer à rendre à la politique ses lettres de noblesse. Il est temps de rallumer la flamme et de se remémorer les aspirations qui portent le combat politique de chacun.

Un certain nombre de propositions contenues dans le projet vont d'ores et déjà dans ce sens, il faut s'en féliciter. Ainsi, dans le titre Ier, l'intéressement de projet est à même d'unir des entreprises distinctes autour d'une ambition commune. Quant à la généralisation des comités de suivi, elle permettra de réunir les salariés autour de la mise en œuvre des accords d'intéressement et de participation.

Certaines des mesures du titre III, consacré au droit du travail, ont des objectifs similaires : quand on facilite la diversification des expériences professionnelles par les échanges de personnels dans les pôles de compétence, et qu'on promeut la mobilité dans le cadre d'une gestion prévisionnelle des emplois négociée, concertée dans l'entreprise, on va vers un développement du dialogue et des échanges.

Dans le même esprit, le plan national d'action concerté pour l'emploi des seniors trouve sa source dans l'accord national que les partenaires sociaux ont su trouver en octobre dernier sur cette question essentielle.

Le rapporteur a donc demandé solennellement aux ministres de chercher à renforcer encore la dimension sociale de ce projet afin de ne pas manquer ce grand rendez-vous, non pas de la participation, mais des participations.

Une seconde observation, tout aussi essentielle, porte sur le champ d'application de la participation. Huit millions de salariés en bénéficient aujourd'hui, soit la moitié d'entre eux. C'est à la fois beaucoup et peu, et le projet œuvre à réduire les inégalités, en particulier entre salariés des petites et des grandes entreprises. Mais il est muet sur la fonction publique en particulier et sur le secteur public en général, qui emploie plusieurs millions de travailleurs. C'est une question à laquelle la commission est très attachée, dans la mesure où il convient d'y développer la participation dans ses deux dimensions, intéressement et concertation.

Personne n'ignore les spécificités de ce secteur, notamment l'absence de résultats, au sens comptable du terme. Pourtant, chacun a entendu parler d'expériences d'intéressement dans la fonction publique, notamment hospitalière. Mais les efforts sont bien trop timides et beaucoup reste à faire.

Le moment n'est-il pas venu d'amorcer, par la loi et d'une manière incitative, l'extension de certains de ces dispositifs aux fonctionnaires ? Là aussi, la commission attend des ministres qu'ils fassent des propositions concrètes.

Enfin, la dimension internationale de la participation est trop peu développée dans le projet. Certes, un article facilite la mise en œuvre de plans mondiaux d'attribution d'actions gratuites. C'est un premier pas qu'il faut saluer, mais ne pourrait-on aller au-delà en cherchant à lisser des régimes souvent fort différents d'un pays à l'autre ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, a salué la flamme et l'enthousiasme animant le discours du rapporteur et confirmé, en réponse, que le projet de loi a pour objectif de favoriser la participation aux résultats, au capital et à la gouvernance. Toutes ces mesures ont vocation à faire l'objet d'une concertation. Le gouvernement sera naturellement attentif aux propositions du Parlement.

Il est par ailleurs crucial que ce texte lourd soit stable dans le temps, ce qui suppose qu'il soit fondé sur un roc solide, changeant la donne et de façon décisive, que les décrets d'application soient pris sans tarder et soient conformes à l'esprit du texte. Il s'agit de diffuser ces processus et de les mettre en œuvre le plus rapidement possible dans les entreprises et dans les branches d'activité, en respectant évidemment la liberté des unes comme des autres. La communication doit donc être large, simple et compréhensible.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a rappelé l'historique de la participation. La naissance du principe, en 1967, a été suivie de plusieurs rendez-vous manqués au regard de l'esprit fondateur : 1986, puis 1994, s'agissant de la présence des salariés au conseil d'administration à l'occasion de la définition des modalités des privatisations ; 2004, avec la distribution gratuite d'actions. Les débats ont souvent conduit à parler de l'épargne salariale, sujet d'importance mais qui n'est pas au cœur de la problématique de la participation. Le principal objectif de ce texte, destiné aux petites et moyennes entreprises, est de nature humaine. Les travaux du Conseil supérieur de la participation ont montré qu'il existe une forme de consensus : il n'est pas question de revenir à la situation d'avant 1967 ; tout le monde considère la participation et l'intéressement comme des acquis collectifs à enrichir.

S'agissant de la fonction publique, la réflexion avait été lancée par le président Jean-Michel Dubernard lui-même à l'occasion de la discussion de la loi Évin sur l'organisation hospitalière, en 1991. C'est un sujet à approfondir. La question des entreprises publiques dont le capital est majoritairement détenu par l'État, comme Areva, est plus compliquée qu'il n'y paraît, et le dialogue devra être poursuivi.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a redit que ce grand rendez-vous social ne doit pas être manqué et a insisté sur la nécessité de s'appuyer sur la large concertation menée en amont. Le champ d'application de la loi doit être examiné avec application, notamment en ce qui concerne les entreprises publiques. Si des expérimentations sont envisageables, il convient d'agir avec parcimonie, et la commission devra faire preuve de prudence dans les avancées qu'elle pourrait proposer en la matière. La dimension internationale est importante, mais il sera difficile d'aller très loin. Il est en effet extrêmement compliqué de mettre en place des mesures harmonisées dans tous les pays où une entreprise opère, car les droits nationaux y diffèrent.

M. Maxime Gremetz a témoigné de son expérience de la participation en affirmant qu'il y avait cru naguère, mais qu'il a ensuite déchanté : bien qu'il fût actionnaire de son entreprise - Ferodo, devenue depuis Valeo -, cela n'a pas empêché un ministre du travail de le licencier, parce qu'il avait créé un syndicat. Licencier un propriétaire, c'est tout de même formidable ! Aucune expérience n'a finalement été concluante, qu'il s'agisse d'épargne salariale ou d'intéressement. Du reste, toutes les primes d'intéressement sont aujourd'hui supprimées ou abaissées, faute de profits.

Le problème majeur, ce qui marque le plus le monde du travail, hormis le chômage, c'est le niveau très faible des salaires, la perte de pouvoir d'achat, toutes les études d'opinion le montrent. Une étude de la Banque de France, qui n'est pas connue pour son adhésion aux thèses communistes, conclut pourtant à « une situation sans précédent, paradoxale et lourde de conséquences ». Dans de nombreux pays, dit cette étude, les profits des entreprises sont à leur plus haut niveau depuis des décennies. Ils dépassent 10 % du PIB. Le fameux « théorème » de Helmut Schmidt selon lequel « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain » est sérieusement écorné, quand le ratio investissement/PIB se situe à son plus faible niveau depuis des dizaines d'années dans l'ensemble des pays du G7. Les cent premières sociétés cotées au CAC 40 disposent de plus de 1 100 milliards de dollars de liquidités, un niveau sans précédent, et les actifs liquides représentent 9 % du total de leur bilan. Les entreprises ne savent pas quoi faire de leur argent et elles privilégient les placements financiers sur les investissements physiques.

Résultat : le pouvoir d'achat baisse, les salaires ne progressent pas. Et le gouvernement s'efforce d'aider le MEDEF à combler le trou avec l'épargne salariale. L'épargne salariale ne doit pas se substituer au salaire. L'épargne salariale n'intéresse du reste que 8 millions de salariés sur les 24 millions que compte la France. Or le texte ne propose pas d'étendre le dispositif aux autres puisque ni les petites et moyennes entreprises, ni la fonction publique ne sont incluses dans le champ de la loi. Le nombre de salariés intéressés passera peut-être à 10 millions, ce qui ne suffira pas pour régler le problème humain dans les entreprises. Une des causes du manque d'efficacité des entreprises, c'est que les salariés ne sont pas écoutés, pas associés à l'élaboration de la stratégie productive, que leur savoir, leurs connaissances, leur expérience ne sont pas pris en compte.

Non seulement les « nouveaux droits » que crée le gouvernement ne coûtent pas un sou, mais il n'a de cesse de rogner les pouvoirs des comités d'entreprise - il a notamment supprimé leur droit d'opposition, qui fut acquis après une rude bataille. Certains déclarent même qu'ils vont faire battre les syndicats, minoritaires, par la majorité des salariés, pour remettre en cause le droit de grève.

Le projet de loi a certes fait l'objet d'un consensus devant le Conseil supérieur de la participation, qui comprend parmi ses membres quelques députés et sénateurs choisis, mais il est contesté par toutes les organisations syndicales. Le groupe communiste a des propositions précises : oui à la participation et à l'actionnariat, mais sur des bases claires, au bénéfice de tous les salariés, sans discrimination, et ne se substituant pas à l'augmentation des salaires, contrairement aux attentes du MEDEF.

M. Michel Charzat a salué l'appel du président Jean-Michel Dubernard aux mânes du fondateur de la Vè République, mais a considéré qu'il y a loin de la coupe aux lèvres et que la portée effective des titres Ier et II n'est pas à la hauteur du discours. Annonçant que son collègue Jean-Pierre Balligand, au cours de la discussion du texte, formulera des propositions, il a dénoncé les dangers inhérents au projet de loi : la substitution de l'épargne salariale à la politique salariale ; sa concentration sur les salariés d'ores et déjà les plus avantagés ; le risque pesant sur l'épargne des salariés dès lors que l'on favorise le placement en actions de l'entreprise.

Il est étonnant que les mesures des autres titres de ce texte fourre-tout et très électoral n'aient pas été évoquées, qu'il s'agisse de celles visant à satisfaire les demandes de tel ou tel groupe d'intérêt patronal, à reprendre des dispositions annulées par le Conseil constitutionnel, ou traitant des élections prud'homales, des parcours professionnels et de l'emploi des seniors.

Les articles 22 et 23 du projet de loi sont particulièrement ambigus. Le premier effectue un pas vers la légalisation du prêt de main-d'œuvre à titre lucratif : des centaines de milliers de salariés participant aux pôles de compétitivité pourront être concernés. Le second tend à remplacer le congé de reclassement par un congé de mobilité incertain.

Quant aux articles 25 et 32, ils constituent de véritables régressions et contribuent au démantèlement de la protection sociale et à la précarisation. Le premier entérine le sort des salariés pauvres, invités à occuper plusieurs emplois pour améliorer leur pouvoir d'achat, allant au-devant des demandes des sociétés d'intérim. Le second soustrait des effectifs des entreprises les salariés de leurs entreprises sous-traitantes, les privant ainsi de toute représentation et jouant sur l'effet de seuil en matière de contrôle de l'hygiène et des conditions de travail.

Enfin, il est dangereux de renvoyer à des décrets, comme prévu à l'article 30, l'encadrement des activités prud'homales, pour autant que l'encadrement de ces activités soit possible. Nombre d'autres dispositions sont contestables voire funestes, et le groupe socialiste demandera leur retrait. Le texte va à l'encontre de l'objectif annoncé et se traduit en réalité par des régressions.

Mme Martine Billard a indiqué que l'enthousiasme du président Jean-Michel Dubernard l'a fait sourire. Un sondage effectué auprès des salariés concernés par l'intéressement montre qu'ils n'ont nullement l'impression d'avoir leur mot à dire sur la gestion et la conduite de leur entreprise, et cette loi n'y changera rien. La législation en vigueur contient déjà des dispositions incitatives sur la participation et l'intéressement, qui n'ont pas porté leurs fruits. Pourquoi celles-ci convaincraient miraculeusement les chefs d'entreprise à s'engager et à profiter des facilités offertes ?

L'actionnariat des salariés leur fait courir des risques de pertes très importants, comme c'est le cas avec l'aventure d'Eurotunnel. Il est douteux que les retombées des résultats de l'entreprise dont ils bénéficient rendent enthousiastes les salariés, et il serait intéressant que le rapport qui sera remis à la commission compare les montant distribués au titre des stocks-options et de la participation. Les simples salariés ne sont pas traités sur un pied d'égalité avec les hauts cadres.

La mesure inscrite à l'article 25, qui avait été annulée par le Conseil constitutionnel dans la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, autorise le travail en intérim sans motif lié à la nature de l'emploi pour les salariés à temps partiel, dont 80 % sont des femmes. Les députés, siégeant sur tous les bancs de l'hémicycle, qui se sont battus pour l'égalité salariale n'ont pas obtenu grand-chose pour ces femmes lors de ce débat. Aujourd'hui, le gouvernement prétend que cet article réglera la situation des salariés concernés en leur permettant de chercher des emplois intérimaires, alors que la majorité de ces emplois sont à horaires atypiques, que ce soit dans la grande distribution, le nettoyage ou les services aux personnes, et conduisent donc à des journées de travail « mitées » mais très longues. Pour toutes ces femmes salariées, c'est une mesure en trompe-l'œil, pour ne pas dire méprisante.

L'article 32 n'est pas moins critiquable car il va exclure les sous-traitants du calcul des effectifs, faisant ainsi passer de nombreuses entreprises sous des seuils fatidiques. Pour prendre un exemple, La Samaritaine employait 1 500 personnes, dont seulement la moitié étaient des salariés classiques ; les autres, les démonstrateurs, comptaient pour leur immense majorité dans les effectifs de l'entreprise ; après cette réforme, ce ne sera plus le cas. Ne plus comptabiliser les salariés en mission dans une entreprise réduira ainsi la portée des mesures de protection des salariés en cas de licenciement, notamment, dans cet exemple, en faisant passer sous le seuil des 1 000, qui amène des droits supplémentaires.

Tout le monde salue l'amélioration de la transparence des listes électorales prud'homales. Il n'en reste pas moins que la participation aux élections serait sans doute meilleure si les bureaux de vote étaient plus nombreux et plus proches des entreprises ; il serait bon d'adopter un amendement allant dans ce sens. Enfin, l'ensemble des conseillers prud'homaux s'émeuvent de la réduction de la prise en compte de leur travail, mesure dans laquelle les salariés voient une volonté de limiter la saisine des prud'hommes.

M. Maurice Giro a constaté la divergence de vues entre la majorité et l'opposition à propos de l'entreprise de demain, qui est celle dont traite le projet de loi. L'entreprise est bien obligée de changer car elle se trouve confrontée à la concurrence : ses dirigeants, pour y résister, se doivent de créer une atmosphère de consensus avec leurs salariés. La majorité est favorable à la libération du travail, elle est déterminée à redonner au travail ses lettres de noblesse, et cela passe par la participation. Sans la participation, comment donner aux gens le goût, la culture de l'entreprise ? Dans la très grande majorité des PME, les patrons n'ont pas la même mentalité que ceux des grands groupes. En pratique, la participation fonctionne très bien et génère des rendements bien supérieurs à ceux des concurrents. Reste que la forme juridique de l'entreprise ne lui permet pas toujours de développer l'actionnariat salarié, ce qui est dommage.

Les ministres doivent être félicités pour leur travail, qui crée les conditions de l'épanouissement de l'entreprise de demain. Celle-ci ne verra le jour que si tout le monde participe, personnel compris. Les syndicats ont également un rôle à jouer dans l'entreprise, mais pas uniquement pour surveiller et réprimer ; le syndicat français de demain sera différent de celui d'aujourd'hui.

M. Bernard Perrut a salué l'action générale du gouvernement, de laquelle ce texte ne saurait être dissocié. Il s'est réjoui des résultats récents en matière de création d'activité et d'emplois. Le projet de loi en débat est marqué par « une ambition », titre du rapport remis au Premier ministre par les députés François Cornut-Gentille et Jacques Godfrain. Le projet de loi, très fouillé, entame une rénovation en profondeur des règles encadrant la participation et l'intéressement afin de permettre aux salariés de bénéficier davantage des fruits de la croissance. Il favorise clairement la redistribution, notamment par le biais de l'actionnariat. Toutes ses dispositions reposent sur la dynamique du dialogue social interne à l'entreprise mais aussi territorial, au sein des structures locales comme les comités de bassin d'emploi.

Le projet de loi est novateur et positif à quatre égards : il tend à renforcer le dialogue social, à mieux associer les salariés à la marche de leur entreprise, à mobiliser l'épargne collective pour les entreprises, à moderniser la participation et l'actionnariat salarié. Bref, le social rejoint l'économique.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, a déclaré, en réponse aux différents intervenants, que la réconciliation entre l'économique et le social peut créer une dynamique d'entreprise où chacun aurait sa place, où chacun participerait au développement de l'entreprise et en recueillerait les fruits.

L'apport de l'article 6 du projet de loi doit être souligné : le report des déficits dans l'assiette de la participation permettait à certaines grandes entreprises de ne jamais rien distribuer. Quand la situation s'améliore, les salariés doivent en bénéficier.

Dans les petites et moyennes entreprises, et notamment les SARL, comment associer les actionnaires salariés aux organes de gouvernance ? Dans quel organe : conseil d'administration ou conseil de surveillance ? Comment organiser leur désignation ? Comment suivre l'application des accords ? Autant de sujets sur lesquels le texte peut donner lieu à un débat intéressant.

Les articles 1, 2, 3, 5, 6 et 8 n'ont qu'un seul et même objectif : développer la participation dans les petites et moyennes entreprises afin d'accroître significativement le nombre de salariés bénéficiaires. L'épargne salariale en stock est passée de 8 milliards à 70 milliards d'euros de 1995 à 2006, grâce aux dispositifs adoptés antérieurement. Comment nier le progrès ? L'ambition est maintenant de dépasser les 100 milliards d'euros dans des délais assez brefs.

Les mesures de sécurisation des parcours professionnels sont également importantes. L'article 22 vise à sécuriser les mises à disposition de cadres de grandes entreprises au profit de petites entreprises, dans le cadre de projets partagés ; le pôle de compétitivité est un excellent outil contre le risque de délocalisation car il met en réseau grandes et petites entreprises sur des projets d'avenir. Le congé de mobilité prévu à l'article 23 ne remplace pas le congé de reclassement, mais permet de verser un salaire à l'employé dont le poste est menacé beaucoup plus longtemps ; il s'agit bien de sécurisation des parcours.

S'agissant du calcul des effectifs, le gouvernement est ouvert aux propositions des uns et des autres, notamment pour tenir compte de la problématique particulière des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Le Conseil supérieur de la participation ne se caractérise pas par des oppositions entre ses membres, mais au contraire par un cheminement partagé, en dépit des différences. La rupture idéologique est sensible : pour la première fois, ceux qui n'avaient jamais voulu adhérer à l'esprit de 1967 mesurent aujourd'hui que la logique de la participation fonde une société nouvelle qu'il faut constamment adapter.

Le projet de loi, enfin, ne réforme pas toute la justice prud'homale, mais reprend seulement des éléments du rapport de M. Henri Desclaux. En tout cas, le gouvernement, comme les députés, est attentif au problème de la distance entre les lieux de travail et de vote, sujet que le Conseil économique et social examine actuellement.

*

Puis, la commission des affaires culturelles, famililales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean-Michel Dubernard, le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié - n° 3175.

M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur, a fait part des principaux amendements qu'il a l'intention de présenter à la commission la semaine prochaine de manière à enrichir ce texte. Ces idées rejoignent les thèmes de préoccupation abordés avec les ministres précédemment.

D'une part, il est important de renforcer la dimension sociale de ce texte. À cet effet, il conviendra de réfléchir aux moyens de développer la concertation en matière de participation financière. Un dispositif d'intéressement de projet est proposé : il faudra peut-être le préciser.

En outre, il sera opportun d'envisager la manière selon laquelle il est possible d'accroître l'association du comité d'entreprise aux procédures de négociation collective en matière de participation, mais aussi plus largement de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. En effet, il est essentiel de profiter de l'occasion qu'offre ce projet de loi pour développer, par-delà les dispositifs de participation, la dimension de concertation dans les relations de travail en général. Des amendements seront proposés dans ce sens.

Il est essentiel de garder à l'esprit que la participation, c'est l'intéressement mais aussi la concertation. Comme l'a exposé l'une des personnes auditionnées ces derniers jours, il faut prendre en compte la dimension du « social avoir » mais également celle du « social être ».

Un autre champ de réflexion concerne l'extension de la participation à la fonction publique. Ce texte doit être un moyen de poser au moins cette question importante. Des amendements réaffirmant ces préoccupations seront donc également nécessaires.

Enfin, un certain nombre de propositions viseront à renforcer la cohérence et la lisibilité de ce texte : trop souvent en effet, les articles du projet induisent un traitement différencié des différents outils et des structures visées. Un effort de simplification est indispensable. Il convient de contribuer à rendre l'ensemble de ces dispositifs plus accessibles et, partant, d'en favoriser le développement.

M. Maxime Gremetz a souligné que ce texte pose de vraies questions. Il est appréciable que l'on s'intéresse concrètement aux droits des comités d'entreprise, aujourd'hui très limités, alors qu'ils pourraient utilement avoir leur mot à dire sur la gestion des entreprises. Les comités d'entreprise représentent les salariés. À ce titre, il est inconcevable de ne pas les associer à la stratégie de l'entreprise. Il y a aujourd'hui une perte d'efficacité, les décisions étant prises d'en haut, sans concertation, parfois seulement par quelques énarques.

Une autre préoccupation rejoint les observations faites sur le terrain. À titre d'exemple, l'entreprise Valeo publie des résultats tout à fait remarquables. Dans le même temps, dans la Somme, à Amiens, elle ferme un bureau d'études ouvert avec le concours de fonds publics et, à Abbeville, elle ferme une usine de 250 salariés... Certes, les petits patrons se préoccupent encore parfois d'intéresser et de faire participer leurs salariés, mais il faut pour cela qu'ils ne soient pas filiales de grands groupes. Les vraies PME indépendantes ne sont plus légions et la politique de groupe prime. Des filiales ferment, elles sont parfois délocalisées. Que faire contre cela ? Ce projet de loi ne répond pas à cette question pourtant primordiale.

Il convient enfin de s'interroger sur le bond de la précarité dans notre pays. En région Picardie, l'intérim a bondi de 12 % : quels droits ont ces salariés précaires ? Comment vont-ils profiter de ce projet de loi ? Quel statut ont-ils et auront-ils dans l'entreprise ? À quel bénéfice, à quelle participation, à quel type d'actionnariat peuvent-ils prétendre dans les faits ?

Ce sont aujourd'hui des salariés sans droits, sans même le droit de voter. Il convient de prendre en compte leur situation, sans quoi notre pays va vers un accroissement des discriminations.

----------


© Assemblée nationale