Accueil > Archives de la XIIe législature > Comptes rendus de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (2006-2007)

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Jeudi 14 décembre 2006

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard,
président

 

pages

– Table ronde, ouverte à la presse, « Comment promouvoir l’accès de tous à des soins de qualité ? Les réponses européennes », en présence de M. Laurent Degos, président de la Haute autorité de santé, M. Peter Sawicki, président de l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG), et M. Andrew Dillon, chief executive of the National institute for health and clinical excellence (NICE)







2

   

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a organisé une table ronde sur le thème : « Comment promouvoir l’accès de tous à des soins de qualité ? Les réponses européennes ».

Le président Jean-Michel Dubernard : Permettez-moi de saluer M. Laurent Degos, président de la Haute autorité de santé (HAS), M. Didier Houssin, directeur général de la santé, qui représente le ministre de la santé et des solidarités qui, pour des raisons impératives, ne peut être parmi nous, M. Peter Sawicki, président de l’IQWiG (Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen, Allemagne), M. Andrew Dillon et Mme Françoise Cluzeau, du NICE (National Institute for Health and Clinical Excellence, Royaume-Uni). Je les remercie d’avoir accepté de venir débattre avec nous des moyens de promouvoir l’accès de tous à des soins de qualité : un accès égal à des soins de qualité égale, ajouterais-je. En effet, la santé « touche à ce qu’il y a de plus profond en l’Homme », déclarait le Président de la République, M. Jacques Chirac, qui poursuivait ainsi : « soigner est le plus bel acte de l’Humanité, il n’y a pas de société juste lorsque l’égalité devant les soins n’est pas assurée. »

Au cours de ce débat, nous allons nous pencher plus particulièrement sur le rôle majeur de trois institutions européennes : en France la Haute autorité de santé, créée en 2004, en Allemagne l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG) et au Royaume-Uni le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE). Les trois thèmes que nos invités pourraient aborder dans leurs interventions sont les suivants : une présentation générale de leur institution, un premier focus sur les conditions d’évaluation des médicaments et enfin une analyse des modalités d’élaboration et de diffusion des bonnes pratiques.

M. Didier Houssin, directeur général de la santé : M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, qui a dû se rendre en urgence au centre hospitalier d’Epinal, m’a chargé de le représenter et vous prie d’excuser son absence.

Ce débat devrait nous permettre de mettre en perspective les choix français avec les solutions retenues en Grande-Bretagne et en Allemagne. À cet égard, le ministre remercie MM. Sawicki et Dillon d’avoir accepté l’invitation. Certes, le NICE et l’IQWiG n’ont pas reçu tout à fait les mêmes missions que la Haute autorité de santé (HAS). Cependant, leurs actions sont proches et elles entretiennent des relations étroites.

Promouvoir l’accès de tous à des soins de qualité est un objectif commun à l’ensemble des systèmes de santé. Le système français a longtemps souffert de l’absence de coordination dans la démarche de promotion de la qualité. Si chaque professionnel de santé, dans sa pratique quotidienne, a le souci constant de la qualité des soins, des « zones de non-qualité » ont trop longtemps subsisté. Le ministre pense en particulier au manque de coordination entre les acteurs de notre système de soin, à notre consommation importante de médicaments et au recours à des examens inutiles ou redondants.

Il était nécessaire de développer une approche globale de la culture de la qualité en santé en France. Tel est le sens de la création, par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, de la Haute autorité de santé, autorité scientifique et indépendante. En effet, si depuis plus de dix ans nous avons fait des efforts considérables en ce domaine, notre action s’est trouvée limitée par un manque d’impulsion globale et des démarches non coordonnées. Il devenait alors indispensable d’institutionnaliser le dialogue sur la qualité et de se donner les moyens d’élaborer des référentiels tenant compte de la complexité de notre système et de l’acte de soin. Il convenait d’affirmer que ces recommandations seraient rendues par une instance scientifique.

L’un des axes de la réforme de l’assurance maladie fut de clarifier les rôles de chaque acteur afin d’affirmer le principe de responsabilité. La création de la Haute autorité de santé contribue à cet objectif. Cette instance scientifique émet des avis, qu’elle transmet au ministre ou à l’assurance maladie, lesquels détiennent le pouvoir de décision. Il a en effet été décidé de distinguer les fonctions d’analyse et d’expertise scientifique de celle du choix politique. C’est une démarche responsable, gage de clarté.

Par une démarche pragmatique et volontaire, nous voulons maîtriser les dépenses de santé, non pour dépenser moins, mais pour dépenser mieux. Ainsi, les décisions relatives à la prise en charge de certains produits sont rendues au regard de l’analyse scientifique de la Haute autorité, des contraintes pour les patients et enfin de la pertinence économique. Dépenser mieux en soignant mieux, c’est aussi prendre en charge le progrès médical. Notre système est l’un des rares à permettre à l’ensemble des patients d’accéder dans les meilleurs délais au progrès thérapeutique. Le ministre est convaincu que la nouvelle gouvernance de l’assurance maladie facilitera un débat public dans lequel les responsabilités de chaque acteur seront clairement définies et le processus de décision transparent.

Faire le choix de la maîtrise médicalisée, c’est avant tout réguler notre système d’assurance maladie, notamment les dépenses, grâce à des critères médicaux établis scientifiquement. Depuis deux ans, la Haute autorité a fait la preuve de son efficacité et de sa légitimité. Les résultats sont au rendez-vous. Elle nous a permis de fédérer les énergies et de participer activement à l’évolution de notre système de soin en partenariat avec l’ensemble des acteurs. Nous devons aujourd’hui aller plus loin encore, en prenant davantage en compte la dimension européenne et internationale de cet enjeu. Et c’est pourquoi, Messieurs Sawicki et Dillon, le ministre ne manquera pas de prendre connaissance des conclusions de vos travaux afin d’améliorer notre pratique et notre système.

Avec la réforme de l’assurance maladie, nous avons choisi d’orienter notre système de santé et de fédérer l’ensemble de ses acteurs vers un seul objectif : garantir l’accès de tous à des soins de qualité. Cette démarche doit être dynamique et menée sur le long terme. Le ministre sait pouvoir compter sur la Haute autorité de santé pour mener à bien cette tâche.

M. Laurent Degos, président de la Haute autorité de santé : Nous devons promouvoir l’accès à des soins de qualité. Or, si en France l’accès aux soins n’est pas un réel problème, il n’en va pas forcément de même de la qualité. Aussi la Haute autorité a-t-elle pour mission d’assurer et d’améliorer la qualité des soins dans un environnement en constante évolution.

En effet, le contexte ne cesse de changer, ne serait-ce qu’en raison de l’existence de différents acteurs aux logiques différentes. Alors que le professionnel cherche à traiter les personnes à n’importe quel prix, les caisses d’assurance maladie veulent limiter les coûts, l’industriel cherche le retour sur investissement, le patient veut tout, tout de suite, et les agences et le directeur général de la santé se préoccupent de la sécurité sanitaire. De surcroît, le progrès médical ne cesse de changer la donne en introduisant une complexité accrue dans notre système de santé et en augmentant les dépenses liées notamment au vieillissement de la population. Pour toutes ces raisons, nous devons faire des choix adaptés et proposer des priorités pour assurer à tous des soins de qualité.

Les missions de la Haute autorité de santé sont multiples.

Tout d’abord, elle évalue le service médical rendu (SMR) et l’amélioration de celui-ci (ASMR) par les médicaments, les dispositifs et les actes médicaux, en vie réelle et en comparaison avec d’autres stratégies thérapeutiques. Il s’agit là d’un rôle important, qui s’articule avec les compétences du décideur et du financeur : la Haute autorité est en effet chargée de proposer des priorités en vue du remboursement des produits afin d’apporter une aide à la définition des choix solidaires de la collectivité. Il y a là un trio vertueux qui existe entre le décideur, le financeur et l’instance chargée d’évaluer la qualité, trio qui constitue aujourd’hui le socle fondamental de notre système de santé.

Elle émet, également, des recommandations de bonnes pratiques cliniques, qui sont faites par les professionnels pour les professionnels. La Haute autorité joue par ailleurs un rôle de certification, qu’il s’agisse des établissements de santé, de l’évaluation des pratiques professionnelles mais également en matière d’information (certification des logiciels d’aide à la prescription, de la visite médicale, des sites Internet en santé). Il s’agit là également d’une mission importante, dans la mesure où ces travaux doivent permettre de renforcer la confiance des patients dans le système de santé.

Enfin et surtout, la Haute autorité de santé remplit une mission d’information, des professionnels de santé comme du grand public, en lien avec les usagers du système de santé.

Comme l’a rappelé le directeur général de la santé, M. Didier Houssin, nous disposons d’une réelle indépendance et travaillons en collégialité. L’étendue des missions conférées à la Haute autorité lui permet notamment d’avoir une vision transversale et intégrée du système de santé. En outre, la durée de notre mandat nous permet de mener une réflexion et une action sur le long terme. L’indépendance et le caractère scientifique de la Haute autorité de santé nous permettent également de développer une démarche participative avec les professionnels et les patients et devenir ainsi une véritable référence pour l’ensemble du système de santé.

Pour aller plus avant dans l’analyse, il convient également de souligner que l’évaluation du SMR et de l’ASMR doit aider à la décision publique, à la fois en matière de remboursement, de fixation du prix et même de prise en charge d’une affection de longue durée (ALD). Les recommandations de bonnes pratiques visent à aider les professionnels dans leur pratique quotidienne, mais des référentiels sont également établis pour l’innovation et la protection du patient. La certification vise à promouvoir le développement d’une démarche qualité pour lui donner davantage de visibilité auprès des professionnels et des patients.

La vision globale de la Haute autorité correspond à une approche intégrée de la qualité en santé. Son travail s’appuie en effet sur des contributions extérieures, provenant par exemple des industries pharmaceutiques ou des sociétés savantes, qui sont utilisées non seulement pour l’évaluation du SMR et de l’ASMR, mais aussi, en interne, pour alimenter une base de données en vue de l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques. C’est là le cœur même de l’activité de la Haute autorité, faire travailler des professionnels pour des professionnels. À partir de ces recommandations, nous élaborons des référentiels qui serviront aux patients : par exemple, ces recommandations servent d’indicateurs pour la certification des établissements de santé, l’évaluation des pratiques professionnelles ou encore les modalités du parcours de soins des personnes atteintes d’une ALD. Tout est donc orienté en direction des patients.

Prenons l’exemple de l’ostéoporose. Nous allons synthétiser dans une recommandation toutes les informations recueillies sur les différents aspects de la prise en charge médicale – médicaments, dispositifs médicaux ou actes, tels que l’ostéodensitométrie – afin d’aider à la prévention, au diagnostic, au traitement et au suivi de cette maladie ; cette recommandation sera également appliquée pour l’évaluation des pratiques professionnelles et l’élaboration de fiches de synthèse pour les professionnels et les patients afin d’améliorer la qualité et la coordination des soins.

S’agissant du médicament, nous pouvons l’évaluer immédiatement après son autorisation de mise sur le marché – ce que nous faisons en France pour tous les produits – ou un ou deux ans après, en « vie réelle », à l’instar du NICE et de l’IQWiG. Nous étudions tous les produits, et nous disposons de 90 jours pour évaluer le service médical rendu et l’amélioration du service médical rendu. À partir de cette date court alors un nouveau délai de 90 jours pour décider de son remboursement et fixer le prix du produit. Aujourd’hui, la commission de transparence, pour les produits qui présentent un certain progrès, rend ses décisions dans un délai médian de 76 jours ; pour les produits dont les industriels nous certifient qu’ils apportent un réel progrès, la décision est rendue dans un délai compris entre 11 et 68 jours. Pour ce qui est de l’évaluation différée, des révisions de classe ont été faites, notamment sur les veinotoniques et les vasodilatateurs.

Les deux méthodes présentent avantages et inconvénients. Une évolution précoce peut se fonder sur des preuves insuffisantes. Aussi, demandons-nous, en accord avec la direction générale de la santé et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), que des études soient réalisées après la mise sur le marché. Il s’agit d’études post AMM. Une évaluation différée peut conduire à recommander de ne plus utiliser un produit ou de moins le rembourser, ce qui n’est pas toujours bien perçu. Il n’existe pas de bonne mesure, mais la combinaison des deux, comme nous le faisons en France, est une bonne alternative. Une vision précoce rassure l’industriel et une vision différée est au bénéfice du citoyen. Les Anglais ont choisi, pour leur part, de partager les risques entre l’État et l’industriel. Si le résultat n’est pas au rendez-vous, l’industriel doit rembourser l’État.

L’autre versant est l’évaluation des pratiques professionnelles : 200 000 médecins, 480 000 infirmiers, 20 000 sages femmes, 71 000 pharmaciens, 42 000 dentistes et 64 000 kinésithérapeutes, pour ne citer qu’eux, sont concernés. Pour l’instant, la loi impose uniquement l’évaluation des médecins.

À partir des recommandations professionnelles, nous élaborons des indicateurs pour le patient et nous évaluons les pratiques professionnelles, et partant l’engagement individuel au sein d’une équipe. Nous certifions également les établissements et la qualité de leur organisation. La pratique professionnelle est donc en quelque sorte prise en tenailles, entre l’évaluation individuelle, transmise au président du conseil médical, et l’évaluation de l’organisation de l’établissement, transmise au directeur de l’hôpital. De plus, nous travaillons sur le parcours de soin des malades en éditant des guides à destination des médecins et des patients.

Nous travaillons également sur les médecins proches d’événements porteurs de risques. L’accréditation des médecins et des équipes médicales a pour objectif d’améliorer la pratique médicale en établissements de santé par la réduction des risques qui y sont associés. La déclaration que devra faire le médecin en cas d’événement porteur de risque – sans que le risque se soit réalisé – permettra de disposer d’informations à la fois sur l’événement porteur de risque et la manière dont le risque a été évité. Cela permet de mêler à la fois la créativité, qui a permis que le risque ne se réalise pas, et la sécurité, afin d’éviter la survenue de l’événement dangereux.

J’en viens à notre bilan. Nous avons rendu plus de 1 000 avis sur des médicaments, dont 100 nouveaux produits. S’agissant des dispositifs médicaux, nous devrons examiner 3 000 lignes génériques sur les dix prochaines années, ce qui équivaut environ à 50 000 produits. Quant aux actes, 7 200 sont à revoir. Nous avons établi 30 recommandations professionnelles, chacune exigeant dix-huit mois de travail, 2 934 établissements ont été certifiés en quatre ans et déjà 9000 médecins libéraux se sont engagés dans l’évaluation de leurs pratiques professionnelles. Trente types d’affections de longue durée ont fait l’objet de guides : ainsi, nous avons édité un guide pour le diabète de type I, de type II, celui de l’enfant … Toutes nos actions sont orientées vers le patient.

En conclusion, la Haute autorité de santé est un pivot entre l’État et l’Union des caisses d’assurance maladie (UNCAM), articulant les points de vue des patients, des professionnels et des industriels. Dans une approche intégrée, elle propose des choix scientifiques et indépendants fondés sur la qualité des soins, afin d’éclairer les acteurs de santé, de changer les comportements et d’intégrer le progrès dans le système de soins, dans le seul objectif d’assurer et de promouvoir l’accès de tous à des soins de qualité durable.

Le président Jean-Michel Dubernard : Et de qualité égale ! Accès égal, qualité égale ! Par ailleurs, l’accréditation telle que vous la pratiquez ne correspond pas à l’esprit de la loi que nous avons votée. En particulier, le décret qui vient d’être publié ne correspond pas à l’esprit de la loi.

M. Peter Sawicki, président de l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG) : C’est un plaisir et un honneur pour moi que de vous présenter les évolutions récentes du système de santé en Allemagne. Nous aussi, nous souhaitons renforcer la qualité des soins. Mais comment faire ? Vous le savez sans doute, l’Allemagne a décidé, suite à la Seconde Guerre mondiale, de ne jamais conférer tous les pouvoirs à une seule institution. Dans le domaine de la santé, le pouvoir décisionnel est ainsi réparti entre trois acteurs : le Comité conjoint fédéral, qui rassemble les patients, les médecins, les caisses d’assurance de santé et les hôpitaux et qui est l’organe décisionnel ; l’Institut pour la qualité et l’efficacité en soins de santé, qui a pour mission de produire des informations basées sur des preuves ; le ministère de la santé, qui assure un contrôle légal.

Personne, dans ce schéma, ne peut décider seul, ce qui permet d’éviter les abus de pouvoir. L’Institut apporte des informations fondées sur des preuves scientifiques et le Comité conjoint décide, sur ces bases et en fonction d’autres critères comme la qualité des soins, les valeurs sociales et les coûts.

D’abord, nous évaluons les bénéfices des procédures de diagnostic et de thérapeutique médicale. Nous élaborons également des lignes directrices à partir des preuves recueillies, et nous formulons des recommandations à destination des patients et des malades.

Nous n’accédons qu’aux requêtes du ministère et du Comité conjoint. Même contre rémunération, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne pourrait nous confier une mission car nous sommes un organe indépendant. Nous nommons des experts extérieurs, nous définissons des résultats et des méthodes et nous planifions des rapports, avant d’établir un rapport préliminaire qui sera évalué en interne et en externe. Enfin, nous éditons le rapport final qui comprend les recommandations.

S’agissant de l’évaluation du bénéfice, nous nous posons la question de ce qu’il faut faire pour le malade et de la manière dont il faut le faire. Nous évaluons le bénéfice non pas en fonction de son efficacité en tant que telle, mais en fonction du profit global que le malade peut en retirer et qu’il convient alors de définir. Faute d’adopter une telle méthode, nous pourrions commettre des erreurs, comme il s’en est vu dans l’histoire de la médecine. Nous mesurons les bénéfices et nuisances par rapport à l’espérance de vie, la qualité de vie, les charges liées aux interventions et la satisfaction des malades. À partir de cette étude, nous déterminons des recommandations – preuve d’un bénéfice, absence de bénéfice, preuve insuffisante – sur la base desquelles le Comité conjoint pourra décider de laisser la distribution et le remboursement du médicament en l’état, de fixer un prix de référence pour certains groupes de médicaments et de limiter les remboursements, de ne pas rembourser le médicament ou de réserver le remboursement aux essais cliniques.

Il est très difficile de protéger le public et les malades contre l’usage de médicaments dont on ignore s’ils sont nuisibles ou efficaces. En effet, lorsqu’un nouveau produit arrive, porteur de nouveaux espoirs, les malades veulent l’essayer même si l’on manque encore d’informations fiables quant à ses effets sur la maladie. Nous estimons, en Allemagne, qu’il faut procéder à des essais cliniques indépendants, précoces et fiables avant de décider de mener des opérations à grande échelle. Même si cette méthode peut briser les espoirs des malades et des médecins, elle permet de protéger les patients et d’éviter des gaspillages d’argent.

M. Andrew Dillon, chief executive du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) : En théorie, au Royaume-Uni c’est l’État qui prend en charge tous les traitements mais, en pratique, le dispositif est limité et très variable selon les régions. Les décisions, de qualité inégale, sont prises au niveau local et national, de manière plus ou moins transparente. La pratique clinique est très conservatrice et les nouvelles technologies ne sont adoptées que lentement, mais des réformes sont en cours.

Le gouvernement espère résoudre les problèmes en augmentant les crédits accordés à la santé. Alors que les dépenses de santé représentent aujourd’hui 9 % du PIB, l’objectif est d’atteindre progressivement la moyenne européenne. Afin de dépenser l’argent à bon escient, le gouvernement a développé une démarche intégrée, à partir de mesures incitatives, des recommandations du NICE et de la création de l’Institut national pour l’innovation et l’amélioration en santé.

Le NICE est une source nationale de conseils en santé qui font autorité. Elle émet des recommandations basées sur les preuves cliniques et le rapport coût-efficacité. Grâce à des consultations, elle s’assure que ses recommandations ont bien été prises en compte. Enfin, elle est indépendante, bien que financée par le gouvernement.

Ses recommandations concernent essentiellement l’utilisation optimale des nouveaux traitements : médicaments, dispositifs médicaux, procédures chirurgicales. Environ 100 recommandations concernant plus de 400 produits ont été publiées. Il faut en moyenne sept mois pour éditer une recommandation sur un seul produit, et quatorze mois pour celles qui concerneraient plusieurs produits.

D’autres recommandations concernent les procédures et les parcours de soin, couvrant tous les aspects de la prise en charge de la maladie. Nous avons déjà publié 40 recommandations en ce domaine et souhaitons en publier 15 par an dans les prochaines années.

Afin d’assurer une chirurgie sûre, le NICE passe en revue les nouvelles procédures d’interventions, et rend des avis sur leur utilité et leur sécurité. Les recommandations sont rédigées par des comités consultatifs indépendants, en toute transparence, et avec le concours d’experts. Les valeurs sociales sont également prises en compte, même si elles sont difficiles à évaluer. Le plus compliqué reste l’évaluation du rapport coût/efficacité, que l’on essaie d’établir en mesurant l’apport bénéfique du nouveau médicament.

Nous travaillons étroitement avec le ministère de la santé et nous nous rendons mutuellement des comptes. Si les sujets sur lesquels nous travaillons sont en général choisis par le ministère de la santé, le public peut en suggérer également sur notre site internet. Faute de moyens suffisants, nous nous consacrons aux priorités du gouvernement, aux maladies majeures et aux domaines potentiellement conflictuels. Les publications du NICE ont considérablement augmenté en nombre depuis 2000.

Nous essayons par tous les moyens de faciliter la mise en œuvre de nos recommandations. Tout le monde n’approuve pas nos décisions. Nos recommandations sont parfois controversées, en particulier l’évaluation du rapport coût-efficacité, souvent moins optimiste que celle des cliniciens, des organisations de patients et des industriels.

Si nos recommandations permettent d’améliorer l’efficacité des pratiques et la qualité des soins aux patients, elles n’excluent pas certains risques. En effet, absence de preuve ne signifie pas nécessairement absence d’efficacité. Une interprétation excessivement prudente des preuves peut freiner l’innovation, tout comme l’inverse peut conduire au gaspillage des ressources.

Les conditions du succès sont : un consensus entre les intervenants quant à la valeur des recommandations fondées sur les preuves et à leur mise en œuvre dans le système de santé ; un processus transparent, participatif et ouvert d’utilisation des données ; des méthodes clairement définies ; des dispositifs d’encouragement et de suivi de la mise en œuvre des recommandations et de l’évaluation de leur impact.

Le président Jean-Michel Dubernard : Cinq axes de discussion sont possibles : les ressemblances et différences entre systèmes ; les synergies et coopérations envisageables ; la façon d’améliorer le système français ; le rôle du patient et enfin la place de l’innovation et du progrès médical, dans la mesure où certains d’entre nous craignent que trop d’encadrement ne tue cette innovation et ce progrès au nom d’un « principe de précaution » trop strictement appliqué. Je poserai la première question : quel est le budget et le nombre des personnes employées à temps plein dans chacune de ces structures ?

M. Andrew Dillon : Le budget du NICE est de 40 millions d’euros et son effectif est de 267 personnes. Mais il s’agit de l’effectif temps plein salarié du NICE : de nombreux conseillers experts, non rémunérés, nous sont envoyés par le National Health Service (NHS) ou par des associations de patients qui font du bénévolat.

M. Peter Sawicki : Nous avons 65 salariés temps plein, dont 40 sont des scientifiques, et nous travaillons avec une centaine d’experts extérieurs, en Allemagne et en dehors de l’Allemagne. Le budget 2007 s’élève à 12 millions d’euros.

M. Laurent Degos : Nous avons un budget de 60 millions d’euros. Nous employons 350 personnes temps plein, avec 3 000 experts extérieurs. Il faut bien voir que nous avons aussi la charge de la certification des établissements de soins, ce qui consomme beaucoup de temps, d’argent et de personnel. Cette tâche est propre à la Haute autorité de santé et elle n’est pas assurée par l’IQWiG et le NICE. Il en sera bientôt de même d’une autre tâche, qui est en cours de création : l’évaluation des pratiques professionnelles.

Mme Paulette Guinchard : Vous avez beaucoup parlé de la notion d’indépendance des décisions. Concrètement, comment arrivez-vous à l’assurer financièrement ? Par ailleurs, j’ai été impressionnée par la façon dont M. Dillon a évoqué les valeurs qui doivent porter nos décisions. Il a notamment parlé du critère de l’âge. Est-ce un débat qui est posé dans les autres structures ? Comment ce critère de l’âge est-il perçu au Royaume-Uni ?

M. Andrew Dillon : La question de l’indépendance est délicate. Le NICE est financé à 100 % par le gouvernement britannique. D’où le soupçon, évidemment, que ce dernier influencerait les décisions. Je répondrai simplement à ceux qui s’inquiètent que les décisions soient prises par des comités consultatifs indépendants : ceux d’entre vous qui font partie d’un comité consultatif savent bien qu’ils ne se soumettent pas aux pressions. C’est la même chose au Royaume-Uni. Les gens s’inscrivent dans ces comités, donnent de leur temps en dehors de leurs heures de travail parce qu’ils y croient et considèrent que l’opinion qu’ils peuvent donner est importante pour les patients et pour les professionnels de la santé. Ils ne le font pas pour le gouvernement.

S’agissant des valeurs, ce que nous disons à nos comités consultatifs repose sur le travail d’une commission regroupant trente personnes représentatives de la population, qui ne sont pas des professionnels de la santé mais qui utilisent bien sûr les services de santé. Nous ne leur demandons pas s’ils utilisent tel produit ou ce qu’ils en pensent. Nous leur posons des questions plus générales, précisément sur les valeurs, par exemple sur l’âge.

Le système de santé au Royaume-Uni fait moins attention aux personnes âgées qu’aux personnes dans la force de l’âge. L’idée est que lorsqu’on atteint un certain âge, c’est moins important. Nous nous sommes interrogés sur le rapport coût-efficacité. Notre comité consultatif doit-il être plus généreux quand il prend une décision concernant les médicaments pour les personnes jeunes ? Est-ce qu’une année de la vie d’un enfant de trois ans vaut plus qu’une année de vie d’une personne de quatre-vingt-trois ans ? La décision peut paraître facile à prendre. Nous sommes génétiquement programmés pour faire passer nos enfants avant tout. Or ces trente personnes auxquelles on a posé la question ont répondu par la négative : une année de vie a la même valeur quel que soit l’âge du patient. Il ne faut pas faire de discrimination fondée sur l’âge du patient. Nous avons demandé à une organisation indépendante d’aller poser la même question à deux cents enfants. Ceux-ci ont répondu de la même manière. Ils ne pensaient pas que leurs grands-parents devaient être moins bien traités qu’eux.

Le président Jean-Michel Dubernard : On peut aller un peu plus loin. Est-ce que l’hémodialyse ou la transplantation rénale sont accessibles aujourd’hui, au Royaume-Uni, aux patients de plus de soixante-quinze ans ? Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années.

M. Andrew Dillon : Bonne question. Il est exact que la pratique, s’agissant de la dialyse et des transplantations, était très variée. Les différents hôpitaux décidaient de façon très diverse en matière d’accès aux soins des personnes âgées. Il n’y avait pas de décision, voire de recommandation nationale cohérente. Il en est toujours ainsi. Mais le travail de ce conseil de citoyens est aujourd’hui plus connu. On en parle de plus en plus au sein du NHS, même s’il est utilisé avant tout par nos comités consultatifs. Les décisions étaient souvent prises en coulisse et la population était souvent surprise du résultat. Aujourd’hui les décisions sont prises de manière transparente. Les gens comprennent le processus de prise de décisions. J’aimerais d’ailleurs que cette pratique soit plus courante en Europe et au Royaume-Uni.

M. Peter Sawicki : C’est une question cruciale. Si on donne de l’argent, on a de l’influence sur la décision et les institutions perdent leur indépendance : si l’on reçoit le financement par l’impôt, c’est le gouvernement qui exerce une influence ; si c’est par les caisses d’assurances, ce sont les assureurs. En Allemagne, nous avons une structure financière particulière : l’Institut n’est financé ni par les impôts, ni par les assureurs, mais par les malades. Pour chaque malade qui se rend à l’hôpital ou qui reçoit un traitement ambulatoire, nous recevons un certain montant : 50 cents à l’heure actuelle pour chaque malade hospitalisé. Nous sommes donc uniquement tributaires du traitement administré au patient. Il n’y a donc pas un organisme payeur unique.

S’agissant des valeurs, il faut rappeler qu’à l’Institut, nous sommes uniquement des scientifiques. Nous ne jugeons pas des valeurs. Le Comité conjoint peut le faire. Nos recommandations sont prises en compte au niveau du Comité conjoint, où des malades ou d’autres conseillers participent à la prise de décisions. Ces conseillers s’engagent en mettant en avant l’importance des valeurs perçues par les patients et par le public.

Parfois, la preuve est insuffisante pour certains groupes, notamment les enfants très jeunes ou les personnes âgées. À titre d’exemple, en matière d’hypertension, on n’a pas d’informations sur les patients de moins de cinquante ans et les patients de plus de soixante-dix ans. En matière cardiaque, on en a beaucoup sur les hommes d’âge moyen et moins sur les femmes. Le problème est qu’on exclut certains groupes de malades des enquêtes scientifiques. Or il faudrait disposer de preuves très concrètes en fonction de l’âge, du sexe ou de la catégorie socio-économique. Mais pour cela, il faut d’abord faire des études. Et c’est là que réside le problème.

M. Laurent Degos : En France, la Haute autorité de santé a une possibilité d’autosaisine, ce qui prouve son indépendance. Par ailleurs, nous n’avons pas de tutelle et nous n’avons donc pas à lui rapporter. Nous faisons un rapport que nous présentons au Parlement chaque année. Nous n’avons pas une source unique de financement : celui-ci provient à la fois de l’État, de la Caisse nationale d’assurance maladie, d’une taxe sur la publicité des médicaments, ainsi que des établissements que nous visitons. Cette multiplicité nous permet de dire que nous avons une certaine indépendance.

S’agissant des personnes âgées, deux problèmes se sont posés. Le premier est celui de l’accès. En France, nous n’avons pas de limite d’accès aux soins. Toute personne, quel que soit son âge, peut bénéficier d’une greffe ou d’une hémodialyse. Mais comme l’a fait remarquer M. Sawicki, on connaît moins bien les réactions des personnes âgées face aux médicaments et aux interventions médicales. Nous manquons également d’essais thérapeutiques ou cliniques chez les personnes âgées pour savoir, par exemple, s’il est aussi bénéfique pour elles de bénéficier de telle ou telle intervention ou tel ou tel médicament. D’ailleurs, sur l’étude des personnes âgées, en comorbidité et en vie réelle, les trois agences pourraient coopérer pour savoir si telle intervention chirurgicale ou médicale est utile.

Mme Paulette Guinchard : Existe-t-il un dispositif définissant les valeurs sur lesquelles on s’appuie ?

M. Laurent Degos : L’âge n’entre pas chez nous dans les valeurs de qualité. Il n’y a pas de sélection par l’âge.

Le président Jean-Michel Dubernard : Les étudiants français prêtent le serment d’Hippocrate à la fin de leurs études médicales. Cela participe d’une certaine philosophie. Est-ce que cela existe en Angleterre ?

Mme Françoise Cluzeau : C’est la même chose.

Le président Jean-Michel Dubernard : Et en Allemagne ?

M. Laurent Degos : Il n’y a qu’au Japon qu’il n’y en a pas.

M. Pierre Hellier : Le débat est de très bonne qualité. Je suis préoccupé par la démographie médicale dans notre pays. Pour avoir un accès de qualité, il faut aussi avoir des professionnels. Je voudrais savoir si vous rencontrez ces mêmes problèmes de démographie, notamment en milieu rural et s’agissant des médecins généralistes. Par ailleurs, avez-vous réfléchi aux glissements de compétence entre les différents professionnels de santé : l’aide-soignante, l’infirmière et le médecin, qui en font chacun un peu plus ? Je suis peut-être hors sujet mais, pour moi, la qualité passe aussi par la présence de professionnels de santé qualifiés.

Le président Jean-Michel Dubernard : Vous n’êtes pas hors sujet. C’est au cœur du problème. De mon point de vue, dans le modèle britannique, s’agissant de la médecine de ville et de la médecine générale, les compétences sont mieux distribuées et la santé publique est privilégiée. C’est pour moi un modèle idéal, malgré un nombre de médecins bien inférieur à celui que nous avons en France.

M. Andrew Dillon : Les problèmes qui viennent d’être évoqués existent au Royaume-Uni. Il est plus facile de recruter des médecins et des professionnels de santé dans certaines régions que dans d’autres. Cette différence ne tient pas tellement au caractère rural ou urbain de la zone considérée qu’à la région considérée. C’est ainsi qu’il est plus facile de recruter des médecins dans le Sud-Est que dans le Nord-Est de l’Angleterre. Par ailleurs, certaines professions médicales sont moins représentées que d’autres.

Le système des médecins généralistes fonctionne bien, dans la mesure où un médecin de famille a une bonne compréhension de l’historique médical du patient, quels que soient les problèmes que celui-ci ait rencontrés. C’est le moyen de résoudre efficacement et à moindre coût les problèmes qui ne demandent pas des soins spécialisés.

Aujourd’hui, la situation change : le NHS essaie de tirer parti des capacités des aides-soignants ou des pharmaciens, avant de se tourner vers un généraliste ou un spécialiste. Dans certains cas, les généralistes souhaitent être plus spécialisés pour renvoyer moins de patients vers les hôpitaux.

M. Peter Sawicki : Nous avons le même problème de répartition des médecins. Notre population est vieillissante, ce dont nous nous plaignons d’ailleurs souvent. Pourtant, c’est un succès : nous voulions vivre plus vieux… et nous y sommes arrivés ! Si vous voulons vivre vieux et en bonne santé, nous devons gérer cette population vieillissante en recherchant de nouvelles manières d’y parvenir. On ne doit pas donner les mêmes soins aux personnes âgées qu’aux autres, non pour des raisons financières mais pour des motifs de santé : comment réagirait un patient de 85 ans à une transplantation cardiaque ? Mais, encore une fois, nous n’avons pas suffisamment d’éléments de preuve qui nous permettraient d’assurer les meilleurs soins aux personnes âgées.

Pour ce qui est de l’accès au soin, nous sommes en train de réaliser une analyse comparée dans les différents pays. En Allemagne, l’accès aux soins est excellent. Dans les services d’urgences, deux tiers des patients attendent moins d’une heure. Deux tiers des patients ont accès à des soins le jour même de leur maladie. L’attente pour une opération est, dans 80 % des cas, inférieure à une semaine. Nous avons un double accès aux soins spécialisés : à l’hôpital et en ville. L’accès aux soins spécialisés est donc très facile mais très coûteux.

Le président Jean-Michel Dubernard : Combien y a-t-il de médecins au total en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France ?

M. Laurent Degos : En France, on dénombre plus de 200 000 médecins. Cela correspond à environ 120 000 médecins libéraux et près de 85 000 médecins salariés dont la plupart (plus de 70 %) exercent à l’hôpital.

M. Andrew Dillon : En Grande-Bretagne, entre 50 000 et 60 000 médecins généralistes.

M. Peter Sawicki : En Allemagne, 60 000 médecins généralistes.

M. Laurent Degos : En France, il y a plus de 82 000 généralistes.

M. Pierre Hellier : Est-ce que les médecins, notamment généralistes, se voient imposer un lieu d’installation ?

M. Peter Sawicki : En principe, on peut choisir librement l’endroit pour établir son cabinet. Mais si on veut avoir accès aux règles nationales et au système obligatoire d’assurance maladie, il faut s’inscrire dans une association de médecins travaillant pour les services de santé. On n’est pas vraiment libre de recevoir des patients qui relèvent de la sécurité sociale. C’est l’association de médecins qui vous dira qui vous pouvez traiter. Ainsi, à Munich, il y a plein de médecins généralistes mais il est facile de s’installer en Allemagne de l’Est. Si on veut travailler uniquement dans le secteur privé, la liberté d’installation est totale.

M. Andrew Dillon : Au Royaume-Uni, on peut s’installer où l’on veut, dans un cadre strictement privé. Mais si on veut travailler dans le cadre financier du NHS, il faut prendre contact avec les autorités locales dont on dépend.

M. Laurent Degos : En France, pour éviter de fâcher, nous appelons maintenant les délégations ou les transferts de tâches et de compétences les « coopérations interprofessionnelles ». Nous avons dix expérimentations en cours. La Haute autorité de santé fera une recommandation d’ici la fin de l’année sur cette coopération interprofessionnelle.

Nous rencontrons tous les mêmes problèmes de démographie médicale, bien qu’en France le nombre moyen de médecins par habitant se situe dans l’échelle moyenne haute de l’Europe. En France, nous avons un mélange privé-public fort. La pratique en ville, notamment, est privée, ce qui n’est pas le cas en Grande-Bretagne où elle est payée par le NHS – d’où des contraintes supplémentaires.

L’accès aux soins n’est pas une revendication dans notre pays. Il est très bon, aussi bien aux urgences que pour tout diagnostic et tout traitement. En revanche, en matière de prévention, nous sommes défaillants, notamment par rapport au Royaume-Uni. Nous avons peut-être un effort à faire en ce domaine.

M. Xavier Deau, président de la section « formation médicale et compétences » du Conseil national de l’ordre des médecins : Je suis médecin généraliste dans un milieu « quart-monde », puisque plus de 50 % de ma clientèle sont des « CMUistes ». Je suis très sensible à la problématique de la qualité des soins pour tous. Monsieur le Président Dubernard, j’ai apprécié que dans votre introduction vous indiquiez que le souci de nos politiques est d’assurer une qualité équitable aux besoins de santé de la population. C’est important, mais je suis tout aussi sensible à la problématique démographique. Avant-hier soir, j’étais dans une petite vallée vosgienne où il y a huit médecins, dont deux souffrent d’un cancer et deux sont atteints par la limite d’âge. Il n’en restera donc que la moitié, face à une population et à une problématique de soins qui reste complexe.

J’admire le travail de M. Laurent Degos. Je pense que les Français et les Allemands ont atteint les mêmes objectifs s’agissant de l’analyse de la qualité. Mais comment voulez-vous que, dans les conditions actuelles de démographie et de mauvaise répartition, le médecin français généraliste, exerçant en milieu plutôt rural, s’approprie cet objectif de qualité auquel il est sensible ? Pour l’instant, il y a répondu par son intelligence et son civisme. Je crois à l’évaluation de la pratique professionnelle et à la formation médicale continue. Seulement, il ne faut pas trop charger le bateau, si beau soit-il : on risquerait de le faire couler. Si nous voulons continuer à avoir des médecins sensibles à l’objectif de qualité, il faut qu’ils en aient les moyens. Et ce n’est pas en saupoudrant des aides financières de droite et de gauche qu’on y parviendra. C’est en donnant aux médecins des moyens intelligents, perspicaces et constructifs. Je pense que cela relève du rôle de la Haute autorité de santé.

M. Andrew Dillon : Cette question porte exclusivement sur le système français. Mais vous avez parlé de la pratique de la médecine générale au Royaume-Uni et de la façon dont nous influençons le travail des généralistes. Nous avons 60 000 généralistes qui agissent de manière indépendante et que nous encourageons à aller tous dans le même sens : nous essayons de leur faire adopter certaines mesures de prévention et d’amélioration de la qualité des soins. Au-delà de la rémunération de ces praticiens, nous essayons de mesurer ce qu’ils apportent en termes de prévention pour certains groupes à risque dans les populations locales. Si les praticiens entrent dans ce système de qualité, institué il y a deux ans, ils peuvent gagner plus d’argent. En parallèle, ils doivent aussi améliorer la qualité des soins. C’est un système très incitatif qui permet aux médecins généralistes d’accroître leurs revenus et d’accroître la qualité.

M. Peter Sawicki : En Allemagne, nous n’avons pas du tout de système de rémunération au mérite. Notre système est fondé sur la notion de service, ce qui peut entraîner un excès de services inutiles. Ainsi, les patients qui sont couverts par des assurances privées subissent des opérations plus souvent que les autres.

À l’heure actuelle, nous faisons des études comparatives, notamment entre hôpitaux. Par exemple, nous essayons de mesurer le nombre d’infections contractées en milieu hospitalier. Nous le faisons pour tous les hôpitaux et pour tous les types d’opérations pratiquées. Mais à ce jour, ces informations ne sont pas publiées et le patient ne connaît pas la performance de chaque hôpital. On pourrait changer cela à l’avenir. Ces résultats sont connus par une commission, qui est l’interlocutrice des hôpitaux. Elle est en mesure de dire si, à tel endroit, on a deux fois plus de risques de contracter une maladie nosocomiale qu’ailleurs. Elle évalue les données et contribue à améliorer les choses. On constate aujourd’hui la volonté de rendre l’information publique pour que le patient puisse faire son choix en toute connaissance de cause. Cela aura un effet incitatif : s’il n’y a plus de patients, il n’y a plus d’argent non plus.

M. Laurent Degos : Nous n’avons pas en France de système incitatif, ou « pay for performance ». Si l’on faisait ce choix, d’un système plus directif, plus public, il y aura un choix à faire entre une médecine de ville privée ou publique. Elle est publique en Grande-Bretagne et privée en France. Plus on entrera dans un système public, plus on aura un bon retour sur l’investissement et sur la qualité. Cela dit, nous avons fait une incitation à la qualité par le biais de la formation médicale continue et l’évaluation des pratiques professionnelles. Nous n’avons pas cherché d’incitation par un paiement pour le praticien ; sinon on rentrerait dans le système public.

La plus grande différence que nous avons avec l’Allemagne et le Royaume-Uni est en rapport avec cette question : fait-on rentrer l’aspect économique dans tout ce qui relève de l’évaluation ? La Grande-Bretagne s’est focalisée sur cet aspect économique. En Allemagne, la règle nouvelle va faire entrer l’économie dans l’évaluation. En France, vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés, vous avez toujours dit à la Haute autorité de ne pas penser aux coûts et de ne penser qu’à l’évaluation scientifique. Il faudra réfléchir à cette différence.

Autre différence et autre question : doit-on ou non intégrer la prévention dans ce qu’on appelle la qualité des soins ? En Grande-Bretagne, la prévention est désormais incluse dans le domaine du NICE. En Allemagne, la prévention est aussi incluse. En France, il existe une agence, l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (INPES), qui s’occupe spécifiquement de prévention, en dehors de la Haute autorité.

Le président Jean-Michel Dubernard : Il faut aussi savoir que le NICE dépend directement du gouvernement, du NHS, tandis que l’IQWiG ou la HAS sont indépendants. Ceux qui ont participé aux débats et à la réforme de notre système d’assurance maladie et de santé publique ont voulu l’indépendance de la Haute autorité de santé. Cette dernière n’a pas à s’occuper d’économie, qui relève du gouvernement et, à l’Assemblée nationale, de la commission des affaires sociales, qui est chargée du contrôle parlementaire des finances sociales.

M. Francis Fellinger, président de la Conférence nationale des présidents des commissions médicales d’établissements de centres hospitaliers : Je suis moins optimiste que M. Laurent Degos s’agissant de l’accès aux soins. Je voudrais savoir si des analyses comparatives ont été réalisées sur les files d’attente et le temps nécessaire pour accéder aux soins ; de même, des analyses ont-elles été réalisées sur les volumes d’actes ou les densités d’actes ? On peut réfléchir à l’utilité de certains actes. Une partie de la non-qualité est peut-être liée à des actes non utiles.

La Haute autorité est chargée de la certification des établissements. M. Laurent Degos a bien précisé que les deux autres instituts n’avaient pas cette charge. Comment certifient-ils donc leurs établissements ou leur organisation des parcours de soins ? De plus, quand ils donnent un avis ou une recommandation sur des actes, se prononcent-ils sur le niveau de qualification requis pour l’accomplir ?

M. Andrew Dillon : D’un point de vue historique, l’accès aux soins au Royaume-Uni est très satisfaisant en ce qui concerne les généralistes, mais très mauvais en ce qui concerne le système hospitalier. Pour certaines opérations, dans le passé, il fallait attendre entre deux et quatre ans, par exemple pour la pose d’une prothèse de hanche. Aujourd’hui, la situation a changé et l’attente pour une opération chirurgicale est réduite, en général, à quelques mois. Reste que nous sommes loin des performances de la France ou de l’Allemagne. L’objectif fixé par le gouvernement au NHS est d’arriver à un maximum de 18 semaines, à partir de la première visite chez un généraliste jusqu’au moment de l’intervention. En Allemagne, on trouverait cela tout à fait insatisfaisant. Mais pour nous, ce serait plutôt une bonne performance.

Le président Jean-Michel Dubernard : Est-ce que la file d’attente est très longue au service des urgences de l’hôpital ?

M. Andrew Dillon : En règle générale, l’accès est rapide. Mais ce n’est pas de cela dont se plaignent les gens. Le problème apparaît plutôt lorsque vous avez quelque chose de bénin, qui ne relève pas des urgences : on risque alors de vous faire attendre pendant des heures et de vous dire, en fin de compte, que vous n’avez rien à faire là. Des objectifs ont donc été fixés : faire en sorte que ceux qui n’ont rien à faire aux urgences n’y aillent pas et que ceux dont l’état risque de se dégrader rapidement soient pris très vite en charge.

M. Peter Sawicki : Nous avons des difficultés en Allemagne, avec 32 000 personnes qui ne sont pas assurées. Si elles n’ont pas accès au système obligatoire, c’est parce qu’elles ont décidé d’opter pour les assurances privées, qu’elles ont arrêté de payer les cotisations privées et qu’elles se sont fait exclure. Un projet sera présenté au Parlement en janvier-février. Il vise à obliger les assurances privées à reprendre ces personnes en charge, moyennant des cotisations moins élevées. C’est ainsi qu’en 2007 l’ensemble de la population allemande devrait être assuré.

Notre système d’urgence fonctionne plutôt bien, comparé à d’autres. C’est aussi vrai pour la partie Est de l’Allemagne. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles l’espérance de vie a augmenté de huit ans dans ces Länder depuis la réunification.

M. Laurent Degos : Nous n’avons pas de données chiffrées sur les files d’attente.

Le président Jean-Michel Dubernard : Aux urgences des hôpitaux, si.

M. Laurent Degos : Mais ce n’est pas un sujet majeur pour la population, ni un motif de forte récrimination. En revanche, M. Andrew Dillon m’a dit hier que s’il y avait des élections en Grande-Bretagne, la santé serait le sujet majeur de la campagne.

Le président Jean-Michel Dubernard : En matière hospitalière, de sérieuses réformes ont été menées, mais on attend qu’elles portent leurs fruits.

Vous n’avez pas encore répondu à cette question : dans les recommandations que chacun d’entre vous élaborez, faites-vous intervenir la notion du niveau de qualification ?

M. Peter Sawicki : Oui, éventuellement. Par exemple, certains médicaments pouvant se révéler dangereux, on peut limiter leur utilisation à certaines situations et certains niveaux de soins. On ne nous a jamais posé la question.

En revanche, on nous a demandé des informations concernant la qualité des opérations de pose de prothèses de hanches ou d’autres opérations pratiquées en hôpital. Le Comité conjoint nous a demandé s’il existait un seuil d’intervention en dessous duquel on pouvait dire que la qualité n’était pas suffisante. Nous avons fait une évaluation pour l’ensemble de l’Allemagne et nous avons obtenu une courbe en U. Cela signifie que si l’on opère très peu au cours de l’année, par exemple pour des prothèses de hanches, le nombre de complications est plus élevé. Mais il en est de même si on en fait beaucoup, le risque augmentant avec le nombre d’opérations. Pour que le niveau de qualité soit satisfaisant, il faudrait se situer entre 30 et 200 opérations par an, du moins en Allemagne. On ne connaît pas l’explication de ces chiffres.

M. Andrew Dillon : Au Royaume-Uni, nous sommes confrontés au même problème. On peut parler, d’une manière générale, d’autorégulation de la part des professionnels. Mais nous ne sommes pas tous d’accord sur le nombre minimal d’actes qu’un médecin ou un autre professionnel doit réaliser avant qu’il ne devienne le plus compétent possible.

Récemment, on nous a demandé si le NICE serait prêt à établir des standards comportant des conditions de compétences. On nous a demandé de nous fonder sur les résultats individuels et de faire des remarques sur les résultats escomptés. Nous hésitons beaucoup à le faire car cela nous entraîne sur un terrain occupé par les sociétés professionnelles. Mais je vois un certain nombre d’avantages à disposer de preuves pour émettre une recommandation concernant le volume d’opérations à effectuer avant de pouvoir déclarer qu’un certain praticien est compétent.

M. Laurent Degos : Nous regardons la spécialité qui est liée à l’acte, mais nous ne regardons pas si la personne a fait de nombreux « essais » auparavant pour savoir si, oui ou non, il a la compétence. Cela a posé des problèmes, notamment pour la chirurgie sous cœlioscopie. Lorsque l’on fait intervenir de nouveaux types d’interventions, on devrait sans doute s’interroger sur la compétence et l’éducation de l’opérateur.

Le président Jean-Michel Dubernard : C’est là que les sociétés dites savantes, les sociétés scientifiques, peuvent et doivent intervenir. Certaines le font, comme l’Association francophone d’urologie ou l’Association française de transplantation, et d’autres, mais pas toutes. Et je pense que la Haute autorité, comme le NICE ou l’IQWiG, peut s’appuyer sur ce système.

M. Édouard Hubert, Agence de presse médicale : J’ai plusieurs questions à poser sur la coopération entre vos instances. Vous vous êtes rencontrés il y a quelques mois et vous avez fait une déclaration commune. Que s’est-il passé concrètement depuis ? Sur quoi avez-vous avancé ? Avez-vous un programme de travail ? Est-ce que le cadre réglementaire et législatif a besoin d’être modifié pour que vous puissiez davantage travailler ensemble ?

Le président Jean-Michel Dubernard : C’est une très bonne question, qui nous ramène à des thèmes que je souhaitais aborder. Je voudrais aller un peu plus loin : dans vingt-cinq ans, y aura-t-il une structure européenne agissant dans le même domaine et bénéficiant des expériences de chacune de vos trois structures ?

M. Andrew Dillon : C’est une question très importante, parce qu’il y a à la fois des risques et des opportunités dans la manière d’organiser la coopération et le rapprochement entre ces trois organisations et d’autres. Il paraît tout à fait censé de coopérer en matière de méthodologie et d’interprétation des résultats cliniques. Toutes les parties prenantes en tireraient des avantages. Les firmes pharmaceutiques et les fabricants de matériel médical, notamment, ne seraient pas confrontés à des approches divergentes en termes d’interprétation des preuves cliniques.

Cependant, il existe de vraies différences entre les cultures cliniques et entre les régimes législatifs. Au Royaume-Uni, nous sommes tout à fait conscients des différences économiques. Les systèmes de santé européens sont plus ou moins dotés et les jugements relatifs au rapport coût-efficacité faits dans un pays peuvent être perçus tout à fait différemment d’un pays à l’autre. C’est une difficulté essentielle dans ce parcours de coopération accrue. Par ailleurs, je sais par expérience que réunir des groupes de médecins au Royaume-Uni et faire en sorte qu’ils tombent d’accord est très difficile. Le faire à l’échelle européenne me paraît quasi insurmontable. Mais il y a évidemment des occasions à saisir.

M. Peter Sawicki : Je pense que nous devons davantage partager nos expériences et nos méthodes de travail. Mais je ne pense pas que nous puissions nous mettre d’accord sur les modalités de remboursement dans les pays d’Europe, parce que les systèmes sont trop différents. La France n’a sans doute pas envie que l’Allemagne interfère sur ce que le contribuable doit payer et sur ce qui sera remboursé ou ne le sera pas. Une coopération aussi étroite ne me semble pas envisageable dans les dix ou vingt ans à venir.

Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas aller de l’avant. Il faut augmenter la coopération en matière de production de preuves cliniques, à partir desquelles tous les processus de décisions sont élaborés. Nous manquons de preuves scientifiques nous permettant d’émettre des jugements fiables. C’est de ce type de coopération dont nous avons besoin.

Nous devons partager nos défis scientifiques et joindre nos efforts pour voir quels sont les nouveaux médicaments prometteurs, les preuves cliniques, les interventions du futur, les méthodes de diagnostic. Il faut éviter de répliquer dans un pays ce qui a été fait un autre pays. Admettons que le Royaume-Uni fasse un premier essai, l’Allemagne fera le deuxième, puis ce sera au tour de la France… Il faut partager le travail d’enquête, le travail d’étude, le travail d’investigation pour que les preuves cliniques soient plus fiables et pour prendre des décisions plus renseignées. Cela nous permettra peut-être de voir des différences entre les pays : par exemple, on dira en Allemagne que l’avantage thérapeutique apporté par un nouveau médicament n’est pas suffisant ; mais d’autres diront, compte tenu de la richesse de leur société, qu’ils sont prêts à payer même si le bénéfice thérapeutique est peu significatif. Il peut donc y avoir des différences, mais la base scientifique, le travail sur les preuves scientifiques doit être le même. Je ne pense pas qu’un médicament contre le diabète fonctionne différemment chez un patient anglais et chez un patient allemand.

Le président Jean-Michel Dubernard : On n’aura pas dans vingt-cinq ans un système de santé et d’assurance-maladie unique dans tous les pays d’Europe. Cependant, en France et en Allemagne, aussi bien au niveau médical – dans certaines spécialités – qu’au niveau politique, on mesure la proximité de nos deux systèmes. Ces deux pays pourraient, s’ils travaillaient ensemble, représenter un modèle. La question posée par le journaliste de l’APM concerne les trois systèmes. Est-ce que le NICE, l’IQWiG et la HAS peuvent travailler ensemble, mettre en commun leurs moyens et rapprocher au moins une partie de leurs fonctions ?

M. Laurent Degos : Comme l’ont dit mes deux homologues, des travaux européens sont menés. On peut mettre ensemble les méthodologies, les définitions (la taxonomie) et des tables de preuves, c’est-à-dire des essais qui ont eu lieu et dont on peut partager les résultats. En outre, dans le futur, quand nous ferons des révisions de classes de médicaments, nous pourrons travailler de manière assez proche. Ainsi, pour la maladie d’Alzheimer, le NICE a commencé il y a six mois, l’IQWiG a terminé et la HASvient de commencer.

Mais il faut dire qu’il restera toujours des différences nationales parce que nous avons des systèmes d’impôts, de solidarité et de remboursements qui sont bien différents. D’ailleurs, il n’y a pas que les aspects économiques. Les priorités nationales sont bien différentes d’un pays à l’autre. Il en est de même de l’organisation des soins. En France existe le système du SAMU, dans lequel on essaie de tout faire sur place, alors qu’en Grande-Bretagne on emmène très vite la personne pour tout faire à l’hôpital. Nous traitons en urgence tout ce qui relève de la thrombose avec des antifibrinolytiques, ce qui implique un système immédiat et l’organisation qui va avec.

On ne peut pas dire que tout sera uniformisé. On peut partager beaucoup, et j’espère qu’on le fera, mais on gardera nos spécificités nationales. C’est un peu le message des Anglais et des Allemands et j’y adhère.

Mme Brigitte Calles, directrice des Laboratoires internationaux de recherche : Vous avez cité un mécanisme possible de partage des risques entre un industriel et le gouvernement. J’aimerais en savoir plus.

M. Andrew Dillon : Au Royaume-Uni, je crois qu’il n’existe qu’un système national en fonctionnement. Il concerne les interférences médicamenteuses en matière de traitement de la sclérose en plaques. Il y a cinq ans, sur la base des essais cliniques disponibles à l’époque, il a été conclu que le bénéfice thérapeutique n’était pas suffisant pour justifier le coût. Nous avons demandé au gouvernement et aux fabricants de trouver ensemble un moyen de mettre ces médicaments à la disposition des patients de manière efficace et rentable, pour un coût-efficacité acceptable. Le gouvernement a donc mis en place un système permettant d’acheter les médicaments à un prix réduit, ou du moins suffisamment bas, pour commencer l’évaluation. L’idée était d’étudier l’effet des médicaments au fil du temps afin de vérifier si ce qu’avançait le fabricant se traduisait dans les faits. Nous avons inclus quelque 7 000 patients dans cette évaluation, mais je ne sais pas si ce nombre a été atteint. Je pense que les premiers résultats seront disponibles à la fin de 2007. Si l’on se rend compte que ces médicaments ne sont pas aussi efficaces, ou si leur rapport coût-efficacité n’est pas aussi élevé que le fabricant le prétend, le gouvernement pourra demander à ce dernier un remboursement partiel. S’ils sont efficaces, leur prix actuel perdura et sera justifié.

M. Peter Sawicki : À l’heure actuelle, nous ne nous préoccupons pas du tout du prix des médicaments, même si cela peut évoluer. L’IQWiG se contente d’examiner les bénéfices thérapeutiques d’une substance. Par exemple, on nous a chargés de vérifier si les analogues de l’insuline, qui sont 50 % plus onéreux que l’insuline humaine, procuraient un bénéfice thérapeutique additionnel chez les patients atteints de diabète. Or nous disposons de suffisamment d’études pour montrer qu’il n’y a aucune preuve indiscutable. Sur cette base, le Comité conjoint, avec l’accord du ministère de la santé allemand, a décidé que ces substances ne seront plus remboursées par la sécurité sociale allemande. Mais cela n’empêche pas les médecins de les prescrire exceptionnellement en prouvant que, pour tel patient, elles sont plus efficaces. Le remboursement peut alors être accordé au cas par cas, à la condition que le médecin fournisse la preuve que le médicament est efficace sur le patient.

Le président Jean-Michel Dubernard : Quand la Haute autorité de santé affirme que tel médicament ne sert à rien pour traiter, par exemple, les phlébites ou le rhume des foins, est-ce que le gouvernement en tient compte ?

M. Laurent Degos : Quand la commission de transparence dit que c’est insuffisant, le gouvernement suit ou non. Nous l’avons vu récemment avec le problème du déremboursement des médicaments. Si votre question est de savoir s’il y a un lien entre le déremboursement et les avis de la Haute autorité, la réponse est qu’il y a une indépendance dans les critères. Le décideur peut ou non suivre les avis de la Haute autorité.

Le président Jean-Michel Dubernard : M Sawicki vient d’indiquer qu’en Allemagne, le médecin peut, à titre exceptionnel, demander le remboursement d’un veinotonique normalement non remboursé parce qu’il a des effets notables dans certains cas particuliers. J’imagine facilement ce qui se passerait en France avec, non seulement les veinotoniques, mais surtout certains médicaments utilisés dans une de mes spécialités !

M. Patryck Breitburd, président du Syndicat national de l’industrie et des technologies médicales (SNITEM) : Vous êtes tous les trois sensibles à la promotion de l’accès à l’innovation car c’est elle qui permet le progrès médical. C’est grâce à elle que l’on peut mettre à la disposition des patients européens des traitements meilleurs, de plus en plus élaborés et de plus en plus confortables. Il est dès lors indispensable de faire entrer l’économie dans les critères de décision. En effet, l’innovation ne peut pas répondre à des critères différents selon les pays. Elle mérite au minimum un marché européen. S’il n’est pas possible d’avoir une preuve clinique unique à apporter à vos trois instituts qui sont les plus importants d’Europe, l’innovation n’existera plus.

Le président Jean-Michel Dubernard : C’est une très bonne question car, pour moi, le danger se situe au niveau de l’accès à l’innovation. Dans le domaine de la technologie médicale, rien ne peut se faire à l’échelon d’un seul pays. Les réponses ne peuvent être qu’au niveau de vos structures réunies.

M. Peter Sawicki : Si j’ai bien compris la question, vous craignez pour l’avenir de l’innovation à cause de l’existence de différents systèmes et de différentes approches en Europe. La réponse n’est pas facile.

Tout d’abord, l’innovation en tant que telle ne suffit pas. L’innovation n’est pas le résultat final que nous voulons. Ce que nous voulons, c’est un progrès médical et des soins améliorés pour nos patients. L’innovation est la condition nécessaire mais pas suffisante du progrès thérapeutique. Nous devons donc évaluer celle-ci en fonction de l’intérêt du patient : est-ce un progrès pour le patient ?

Ensuite se pose la question de la méthode d’évaluation des nouvelles technologies. Sur ce point, je pense que nous avons des approches qui ont beaucoup en commun, et ce de par le monde. Elles sont fondées sur la comparaison à partir d’essais cliniques, randomisés ou non, et ont pour but de voir si l’effet clinique est suffisant. Il n’y a pas de vraies différences en ce domaine entre la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande, le Canada et les États-Unis. Pour évaluer une nouvelle technique médicale, on cherche à prouver, sur la base d’une comparaison, le bénéfice thérapeutique qu’elle représente par rapport aux anciennes.

Le président Jean-Michel Dubernard : Je vais essayer de préciser la question en prenant un exemple, car M. Breitburd a raison de dire que c’est au niveau européen que des évaluations peuvent se faire dans certains domaines. L’exemple que je prends est celui du traitement du cancer de la prostate par les ultrasons de haute intensité. Des lobbies de radiothérapeutes ou de l’industrie pharmaceutique peuvent freiner les progrès thérapeutiques au niveau d’un pays mais ce serait beaucoup plus difficile au niveau européen. De plus, l’évaluation serait bien meilleure car, eu lieu d’avoir 500 patients dans chaque système, on en aurait 1 500, 2 000 ou 3 000. Je considère que vous avez une responsabilité européenne et que, dans des domaines comme celui-ci, vous devez travailler ensemble.

M. Andrew Dillon : Deux aspects sont à considérer concernant l’innovation. Tout d’abord, le mot « innovation » signifie des choses différentes selon les personnes. Par exemple, l’introduction de l’insuline par voie inhalée comme alternative à l’injection est considérée comme une grande innovation pour les patients. Certains trouvent en effet l’injection si difficile à pratiquer qu’ils en développent une véritable phobie et ont beaucoup de mal à suivre leur traitement. Mais ceux qui payent, ceux qui remboursent le traitement, voient-ils cela comme une innovation ? Sans doute en termes d’administration de la substance, mais qu’en est-il du point de vue du coût ? Il faut voir si le changement technique vaut la différence de prix. Oui à l’innovation, mais pas à une innovation à tout prix. Le second aspect concernant l’innovation est l’incertitude qui accompagne inéluctablement toute décision à son sujet. Cela nous renvoie à la question du partage des risques.

Si vous êtes un industriel pharmaceutique et que vous dépensez 800 millions de dollars pour développer un nouveau médicament, il vous faut un retour sur investissement le plus rapide possible, afin de pouvoir rembourser les investisseurs au plus vite. Vous êtes sous pression. Vous croyez en votre produit et voulez le commercialiser rapidement. Si vous êtes un système de santé national avec un budget restreint, il vous faut faire des arbitrages. Vous pouvez considérer que ce que l’on vous présente est tout à fait nouveau et prometteur mais, très souvent, les preuves scientifiques ne sont pas disponibles au moment de la prise de décision. Les risques liés à cette incertitude doivent-ils être partagés entre l’inventeur et le système de santé ?

Le président Jean-Michel Dubernard : Personnellement, je considère qu’il y a un grand danger à trop encadrer l’innovation. Les fonctions du NICE, de l’IQWiG et de la HAS sont essentielles mais il existe aussi d’autres structures. La France est championne en ce domaine : elle a des comités d’éthique dans presque tous les secteurs et une Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) qui se mêle de tout. L’innovation risque d’être paralysée par ces systèmes de contrôle fondés non seulement sur l’évaluation mais également sur le principe de précaution. Quand ce dernier est poussé trop loin, on paralyse l’innovation. Dans un livre intitulé Les Fossoyeurs du Progrès et publié en 1932, les frères Lumière expliquent comment on peut paralyser certaines inventions. L’introduction du tulle gras, qu’ils ont inventé et fait breveter, a failli être bloquée par l’Académie de médecine qui n’en voyait pas l’intérêt pour les brûlés.

Les parlementaires que nous sommes considèrent que la Haute autorité de santé est une très bonne chose, mais qu’il faut aussi développer la recherche clinique et encadrer celle-ci. Cet encadrement, à côté de l’évaluation que vous faites, peut apporter énormément.

M. Peter Sawicki : Je suis en partie d’accord avec vous. Qu’est-ce qu’une innovation ? C’est quelque chose dont on n’a encore jamais entendu parler. Si l’on accepte cette définition, l’insuline par voie inhalée est une innovation parce qu’on ne pouvait pas administrer de l’insuline de cette manière auparavant. Mais est-ce préférable ? Pour qui ? Pourquoi ? Est-ce un progrès thérapeutique ? Voilà la vraie question.

Les institutions comme la HAS, l’IQWiG et le NICE peuvent favoriser non seulement les innovations mais surtout les progrès. Les industries pharmaceutiques, notamment en Allemagne, ont souvent choisi, ces vingt dernières années, le chemin facile. Elles se sont dit : « Pourquoi développer quelque chose de nouveau alors qu’il est toujours risqué de s’engager dans une nouvelle direction ? Pourquoi ne pas copier ce qui a déjà été fait et apporter quelques petites modifications et vendre cela comme un produit nouveau ? ». Si nous leur disons que, si elles ne développent pas quelque chose de meilleur, nous ne les paierons pas, cela accroîtra l’innovation et surtout le progrès.

Le président Jean-Michel Dubernard : Vous avez raison mais je pense qu’il faut, premièrement, faire une différence entre le médicament et la technologie médicale, qui relève de mécanismes complètement différents et, deuxièmement, garder à l’esprit l’importance qu’il y a d’encadrer la recherche clinique et de la faire progresser avant qu’elle ne soit soumise à une évaluation. C’est ce que nous essayons de faire en France avec la mise en place des réseaux thématiques de recherche et de soin.

M. Laurent Degos : Je suis d’accord avec M. Peter Sawicki : il ne faut pas confondre nouveauté et progrès. Un anticorps monoclonal qui a le même effet qu’un ancien médicament n’apporte aucun progrès pour le patient. Ce qui est nouveau n’est pas forcément un progrès. Et ce à quoi nous nous attachons, c’est au progrès, c’est-à-dire à ce qui peut constituer un bénéfice pour le patient.

Par ailleurs, nous cherchons tous à être plus rapides, notamment dans le domaine du médicament. Cela oblige à mener des études post AMM. Plus nous chercherons à être rapides, et plus il faudra d’études complémentaires. Il y a même une catégorie d’études réalisées par le NICE et l’IQWiG et qui n’existe pas en France : la recherche clinique après autorisation de mise sur le marché. En France, on décide si on rembourse ou non, on fixe le prix et on demande des études post AMM, mais on n’est plus dans la recherche clinique. Il faudrait peut-être ajouter cette catégorie.

Pour ce qui est des dispositifs médicaux, je considère comme vous qu’il faut aller le plus en amont possible et essayer de faire une veille pour déterminer quelles sont les grandes innovations en ce domaine. M. Guiraud-Chaumeil y tient d’ailleurs beaucoup. On sait qu’il y a deux types d’industriels : ceux qui ont les reins solides et ceux qui sont plus fragiles, et ces derniers sont nombreux dans l’industrie des dispositifs médicaux. Nous cherchons à aider le développement des dispositifs et recherchons des centres pour les évaluer. Nous sommes là en plein risk sharing, risque partagé, puisque ce sont des centres publics d’État qui aident à faire le développement de ces dispositifs. Il faudra très probablement, comme l’a dit le président Dubernard, passer du niveau national au niveau européen, pour que d’autres centres nous aident à évaluer les dispositifs en cours.

De plus, le président Dubernard le sait, la caisse d’assurance maladie et la Haute autorité de santé ont mis en place une nouvelle catégorie qui s’appelle « actes de recherche ».

Le président Jean-Michel Dubernard : Cela n’a pas été facile !

M. Laurent Degos : Enfin, entre l’évaluation scientifique, l’évaluation éthique et l’évaluation sécuritaire – qui se fait à l’Afssaps –, il manque certainement un coordonnateur pour voir où en est l’évaluation et demander éventuellement d’accélérer les délais. Actuellement, le découvreur ou l’instigateur est placé devant trois instances séparées et il ne trouve pas de coordination entre elles.

M. Bernard Guiraud-Chaumeil, neurologue : En vous écoutant, je me suis demandé ce qui relevait du niveau européen, c’est-à-dire de la coopération entre les trois agences, et ce qui était plus spécifique à chaque pays, notamment dans le domaine de l’innovation. Je ferai quelques commentaires.

Premièrement, l’évolution de la pratique médicale est de plus en plus à la spécialisation. Jusqu’en 1960, il n’y avait que des généralistes. En 2010, il y aura encore plus de spécialistes. Je suis neurologue et ma spécialité ne compte pas moins de dix-sept sous-spécialités. Je prendrai l’exemple des cardiologues : celui qui s’occupe des troubles du rythme ne s’occupe pas de la maladie coronaire. La tendance du progrès médical va vers la spécialisation.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’innovation – la vraie, celle qui est géniale et transforme les choses –, ce qui relève ou relèvera du niveau européen, c’est le marquage : le marquage de l’AMM ne sera plus français ou allemand, mais européen. Le marquage CE doit donc s’affiner. Ce qui restera de niveau national, par contre, c’est l’adaptation de l’innovation par le pays en fonction de son système de soins, de ses compétences particulières et de son système de remboursement. Il est manifeste, comme l’a très bien montré M. Laurent Degos, qu’à ce niveau-là, on reste encore, et l’on doit encore rester, au niveau de la recherche clinique et des études post AMM, même si les agences souhaitent aller plus vite vers le remboursement. Qui doit être le payeur à ce moment-là ? L’assurance maladie, l’État ou d’autres structures ? C’est la question qu’il faut poser.

Mme Nina Hubinet, Centre de formation des journalistes (CFJ) : Existe-il des équivalents de la CMU en Allemagne et au Royaume-Uni ? Rencontre-t-on le même problème de refus des médecins de soigner ces patients, en général pas rentables ? Quelles solutions les ministères de la santé anglais et allemands ou les deux organisations présentes mettent-ils en place pour soigner les patients les plus démunis ?

M. Jacques Adam, représentant d’UFC-Que choisir ? : La préoccupation des gens qui s’adressent à nous est le choix de l’établissement et des praticiens. Les personnes veulent être sûres de la qualité des soins. L’accès aux soins est une affaire géographique que nous pouvons apprécier dans des institutions locales comme les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) ou les comités régionaux d’organisation sanitaire et sociale (CROSS). Mais, concernant la qualité des soins, nous ne savons que conseiller. Les gens sont très inquiets de ce qui ne va pas. Leurs craintes sont attisées par certaines publications comme celle qui vient de paraître et qui estime entre 100 000 et 200 000 le nombre d’hospitalisations pour erreur médicale. Nous avons les plus grandes difficultés à donner, non pas des conseils, mais au moins une méthode pour le choix de l’établissement, ainsi qu’une méthodologie quand cela ne va pas. Nous n’avons pas d’arguments. Les études publiées, comme celle sur les cliniques parue dernièrement dans Le Point, sont très discutées et ne sont pas forcément efficaces.

Nous aimerions savoir, premièrement, comment les gens font leur choix, quand ils ont le droit de le faire, dans les pays voisins et, deuxièmement, ce qui se passe quand les choses ne vont pas, notamment du point de vue juridique.

M. Jean Bardet : Je souhaite revenir sur le principe de précaution et les risques qu’il présente s’il est poussé à l’extrême. En effet, la judiciarisation actuelle de la médecine fait qu’il joue à plein. Or personne ne peut savoir si, dix, quinze ou vingt ans après avoir reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM), un médicament ne produira pas des effets secondaires. Dans le passé, un médicament à base de statine par exemple a été retiré du marché, alors qu’il était utilisé avec succès par des millions de personnes, parce qu’il y avait eu dix-sept morts dans le monde, ce que je ne peux que regretter, mais la question se pose cependant de leur poids au regard des millions de malades traités. Il faudra revenir un jour sur le problème de la judiciarisation, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas indemniser des malades qui seraient victimes d’un éventuel problème, mais qu’il ne faut pas pénaliser – au sens pénal et juridique du terme – les médecins et les laboratoires pour des effets secondaires imprévisibles.

M. Andrew Dillon : Je vois un lien entre la première et la quatrième question car toutes deux portent sur l’opportunité de conduire des études, dites « post AMM », après la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché.

En premier lieu, qui doit payer ces études qui permettraient d’avoir plus d’informations sur le bénéfice et les avantages comparés des différents médicaments ? C’est une bonne question. La charge du financement est aujourd’hui partagée entre les organismes de recherche publics et les fabricants pharmaceutiques, et les deux réalisent ce type d’études qui sont très chères et demandent du temps. Certains considèrent, du fait de leur coût, qu’elles devraient être organisées à l’échelle européenne mais je n’ai pas de réponse toute faite à ce sujet. Le NICE, en tant qu’agence, n’a pas les fonds pour réaliser ce type d’études post AMM mais, pour chaque décision que nous prenons, pour chaque recommandation que nous émettons, nous procédons à des réexamens réguliers, en revoyant les preuves médicales.

Par ailleurs, réagit-on de manière excessive lorsque des effets secondaires indéniables apparaissent ? La question s’est posée dernièrement pour des médicaments qui venaient d’être mis sur le marché pour traiter l’arthrose et certaines maladies cardio-vasculaires. Cette question relève cependant d’organismes de régulation distincts des agences telles que le NICE, la HAS ou l’IQWiG. Dans le cadre de la pharmacovigilance, les autorités compétentes en matière de sécurité sanitaire doivent, à chaque fois, se prononcer au nom de la population et se demander si la nature et l’importance des effets secondaires ne justifient pas de modifier l’AMM ou de prévoir des précautions supplémentaires indiquées aux médecins.

Personnellement, je considère que c’est une bonne chose que d’être prudents et attentifs et de suivre de très près les effets secondaires des produits pharmaceutiques au fur et à mesure qu’ils arrivent sur le marché, et ce d’autant plus que des scandales ont éclaté dernièrement alors que des laboratoires pharmaceutiques conservaient des informations sur un certain nombre de médicaments. C’est une question importante qu’il faut examiner.

Je répondrai plus brièvement aux deux autres questions.

Au Royaume-Uni, le fait que vous puissiez payer ou non n’est pas pris en compte au moment de la prescription d’un médicament. C’est l’une des caractéristiques du système britannique : que vous soyez salarié, millionnaire, au chômage ou bénéficiaire de minima sociaux, vous avez accès au service national de santé (NHS) et les ordonnances sont délivrées de la même façon. Ce fonctionnement fait la fierté des Britanniques.

Quant au choix des établissements de santé, le NHS a pour ambition d’offrir davantage de choix et de liberté aux patients, même s’il est vrai que ce dispositif est récent et n’est pas encore très répandu. Cela pourra se faire sur la base des recommandations du NICE et il y a par ailleurs de plus en plus d’informations sur les performances des différents établissements hospitaliers et des praticiens.

M. Peter Sawicki : Je vais répondre aux questions dans l’ordre où elles ont été posées. Premièrement, il est vrai qu’il faut poursuivre et promouvoir les études après la délivrance de l’AMM. Pour autant, je ne pense pas que ce soit à l’industrie de les payer mais au système de santé, au grand public et à ceux qui dispensent les soins. En Allemagne, alors qu’on dépense quelque 150 milliards d’euros par an pour les soins aux patients dans le système de santé, on en consacre moins de dix millions aux études indépendantes. Ce n’est pas suffisant. Il nous faudrait 1 % de cette somme, soit 1,5 milliard d’euros par an, pour vérifier que l’on fait les choses correctement et que la qualité est garantie. Si l’on pouvait affecter 1 % des dépenses de santé à l’évaluation des nouvelles techniques et des nouveaux médicaments, ce serait suffisant, surtout si l’on partage les charges de travail et de financement entre les différents pays.

L’accès aux soins en Allemagne ne dépend pas de votre statut social. L’accès est universel et la qualité des soins est bonne à tous les niveaux. Il n’y a pas de différences. Cela étant, les personnes socialement défavorisées, en particulier les demandeurs d’emploi, les personnes atteintes de troubles mentaux ou en situation précaire, se caractérisent par un faible recours aux soins : bien souvent, ils ne vont pas à l’hôpital, ne vont pas voir leur médecin et ne prennent pas leurs médicaments. C’est un vrai problème.

Cela m’amène tout naturellement à la troisième question. Une amélioration substantielle pourra avoir lieu dans le domaine de la santé, et ce pour toutes les populations, à condition que l’information soit suffisante, à la fois pour les patients et pour les praticiens, afin qu’ils puissent faire le bon choix. Les autorités compétentes dans différents pays ont parfois retiré un peu trop rapidement du marché certains produits, comme le Vioxx par exemple. Il aurait peut-être mieux valu informer, de manière plus précise et adéquate, les patients et les médecins. Les informations concernant ce médicament auraient pu être les suivantes : de nombreuses personnes évitent une hémorragie gastro-intestinale en utilisant le Vioxx par rapport au Naproxen, comme analgésique classique. Si vous associez le Naproxen avec le Misoprostol, il n’y a pas de bénéfices supplémentaires. Contre les saignements gastro-intestinaux, l’usage de l’un ou de l’autre de ces médicaments est indifférent, mais il y a des risques supplémentaires selon que vous prenez l’un ou l’autre. Par exemple, avec le Naproxen, il y a deux risques d’infarctus du myocarde pour 200 personnes traitées, contre trois pour le Vioxx. Sur la base de ces informations, le patient et le médecin décident ou non de prendre le risque compte tenu des bénéfices thérapeutiques. Ce serait une bonne manière de responsabiliser les consommateurs que sont les patients. Certains prendront le risque, parce qu’il n’y a pas de facteur de risque particulier d’infarctus du myocarde dans leur famille et qu’ils sont satisfaits du Vioxx. D’autres demanderont à leur médecin s’il n’existe pas d’autres médicaments plus sûrs. En d’autres termes, le problème de certains médicaments tient moins aux risques qu’ils présentent qu’au manque d’information du grand public à leur sujet.

Le président Jean-Michel Dubernard : Je vous remercie. Je vais maintenant demander à M. Laurent Degos, premièrement, de répondre à chacune des questions qui ont été posées, deuxièmement, de faire un commentaire sur les réponses de MM. Andrew Dillon et Peter Sawicki et, troisièmement, de conclure en nous disant ce qu’il a appris de cet échange avec ses collègues de l’IQWiG et du NICE mais aussi des questions posées par la salle, qui ont été particulièrement intéressantes.

M. Laurent Degos : Je ne répondrai pas sur la CMU, car elle fait actuellement l’objet de discussions qui ne relèvent pas à l’heure actuelle de la responsabilité de la Haute autorité de santé. Je fais toutefois partie de ceux qui ont défendu les consultations pour les personnes démunies – la première a d’ailleurs été créée à l’hôpital Saint-Louis – et j’y suis très attaché.

Je partage, d’autre part, l’opinion de M. Bernard Guiraud-Chaumeil : il faut des fonds pour réaliser des études post AMM. Le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) permet déjà de le faire, mais est-ce suffisant ? Je ne peux pas répondre à cette question. Ce que propose M. Peter Sawicki est d’une plus grande envergure : essayer de mettre en commun des essais thérapeutiques pour évaluer des médicaments par des études post AMM. Je retiens également l’idée que les fonds doivent être publics et non industriels.

En outre, la protection des patients (patient safety) est une préoccupation majeure dans tous les pays du monde. La France organise d’ailleurs sur ce sujet une réunion lundi prochain où sont conviées toutes les agences européennes. Quel que soit le pays, on estime entre 6 à 8 % le nombre d’hospitalisations dues à des effets indésirables antérieurs. C’est un pourcentage élevé. Nous comptons travailler sur le sujet, d’autant que nous pensons tous que la moitié d’entre elles pourrait être évitable. C’est un peu comme pour les accidents de la route : si on ne s’y met pas tous ensemble, on ne réussira pas.

À cet égard, il est exact que plus on accroît la sécurité, plus on risque de réduire la créativité. C’est pourquoi j’ai insisté sur le fait que l’accréditation des médecins doit prendre en compte à la fois la sécurité, mais aussi leur talent et leur créativité, même s’il est vrai que cette dernière notion peut faire l’objet d’interprétations sensiblement différentes. En tout état de cause, nous avons tous à réfléchir aux moyens de favoriser un développement sûr et donc encadré de tout ce qui est nouveau.

J’en viens à la question du président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur ce que m’a apporté cette matinée. D’abord, j’en suis extrêmement heureux et je le remercie de s’être engagé dans cette aventure et d’avoir présidé cette table ronde, alors que cinq autres lieux de réunion le réclamaient et que la proposition de la loi portant création d’un ordre national des infirmiers est examinée en ce moment même par l’Assemblée nationale en séance publique. J’en retire ensuite plusieurs enseignements concernant notamment quatre grands thèmes que la Haute Autorité de santé devra approfondir.

Premièrement, je constate que, quoique indépendantes, les agences des pays avoisinants entrent dans une approche économique de la qualité. Est-ce que qualité veut également dire solidarité, et partant économie, ou bien est-elle distincte des deux ? C’est un réel problème car l’on voit bien l’articulation très forte qu’il y a entre la qualité, l’organisation du système de santé et la dimension économique. Pour moi, la qualité est à part et en même temps s’articule avec les aspects économiques et organisationnels. Nous n’en sommes pas en France à adjoindre une évaluation économique à l’évaluation clinique des produits mais on pourrait envisager d’évaluer les stratégies thérapeutiques sous le triple angle clinique, social et économique.

Deuxièmement, mes collègues ont une pratique médicale qui associe prescription et prévention. En France, nous n’associons pas suffisamment ces deux éléments. Il nous faut réfléchir aux raisons pour lesquelles nous avons pris du retard en ce domaine et pourquoi nous sommes très prescriptifs – avec 4,8 médicaments par ordonnance contre 0,8 au Danemark ou en Hollande – et assez peu préventifs.

Troisièmement, l’innovation a été une question centrale, qui est chère au président Jean-Michel Dubernard comme à la Haute Autorité de santé. Aujourd’hui, nous assistons de plus en plus à une mise sur le marché et à un marquage communautaire (CE) précoces, alors que nous manquons de données réelles sur les produits de santé. Un vaste champ d’investigation s’ouvre dès lors pour le NICE, l’IQWiG et la HAS concernant tout ce qui fait suite à la délivrance de l’AMM. C’est après l’approbation donnée par l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments (AMEA), à Londres, que nous devons vraiment entrer dans le travail et aider l’innovation, puisqu’en effet c’est à ce moment-là que les fonds et les agences publics, chargées notamment de l’évaluation, peuvent lui apporter leur soutien. Ainsi, alors qu’autrefois on pensait « mise sur le marché », désormais on pensera « après-mise sur le marché ». Nous devrons également nous attacher à simplifier les démarches des découvreurs, qui sont actuellement confrontés à toute une série de sauts d’obstacle, concernant en particulier les actes de recherche.

Enfin, la protection du patient, qui a été au cœur de nombreuses questions, constitue un thème transversal concernant autant le produit que la stratégie thérapeutique et les pratiques médicales. Or cette question ne doit pas se limiter à celle de la sécurité sanitaire, au sens de la vigilance exercée sur les produits ou les dispositifs médicaux par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Il est certes nécessaire qu’une agence stricte, quasi policière, soit chargée d’évaluer les défauts que peuvent présenter les produits de santé, mais il est non moins nécessaire de réfléchir sur les effets indésirables, qui peuvent être très graves et qui surviennent chez le patient du fait d’un défaut d’organisation, que l’on appelle « aléa thérapeutique ». Il faut donc aller plus loin et se demander pourquoi il y a eu cet effet indésirable.

La question de la judiciarisation est là tout entière parce que, à moins d’en rester à la notion d’aléa thérapeutique, si l’on mène une recherche approfondie sur la cause de l’effet indésirable survenu, cela aboutit forcément à une juridiciarisation. Par ailleurs, tous ceux qui ont voulu chercher les causes des effets indésirables dans l’objectif de renforcer la sécurité, que ce soit dans l’aviation civile ou dans d’autres domaines, ont été tentés de protéger l’enquête. Se pose dès lors la question de savoir où l’on met le curseur entre transparence de l’enquête et sécurité. De deux choses l’une : ou bien on donne toute la transparence à l’enquête et cela provoquera forcément une judiciarisation plus grande, ou bien on ne fait pas d’enquête approfondie et on perd des données essentielles en termes de sécurité. C’est un vrai problème de société, sur lequel il serait opportun que le Parlement se penche. En d’autres termes, la question est de savoir si, en matière de santé, nous voulons vraiment plus de sécurité car, dans l’affirmative, il faut davantage rechercher les causes des effets indésirables, ce qui nécessite des enquêtes assez approfondies.

Le président Jean-Michel Dubernard : Voilà une très bonne phrase de conclusion. Je remercie le représentant de l’UFC-Que Choisir ? d’avoir participé à cette table ronde et d’avoir posé une question qui a permis d’aller vers cette conclusion qui fait sens. La Haute autorité de santé devra en effet se pencher sur ce problème, qui peut parfois entraîner une diminution de la qualité des soins dans certains domaines. Je remercie également tous les intervenants ainsi que les interprètes pour la qualité de la traduction simultanée, en espérant vivement que cette initiative sera reprise sous la prochaine législature.