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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Mardi 19 décembre 2006

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard,
président

 

pages

– Examen du rapport de la mission d’information sur la conservation et l’entretien du patrimoine monumental (M. Christian Kert, rapporteur)


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– Examen du rapport de la mission d’information sur les moyens de contrôle de l’Unédic et des Assédic (M. Dominique Tian, rapporteur)


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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport de la mission d'information sur la conservation et l’entretien du patrimoine monumental présenté par M. Christian Kert.

M. Christian Kert, rapporteur, a expliqué que la mission s’est heurtée à une double difficulté : celle de faire œuvre originale après le rapport élaboré au Sénat sur le même sujet ; celle de cerner avec précision la notion de patrimoine car, ainsi que l’a écrit M. Krystof Poman, historien, « en protégeant les monuments nous établissons un lien entre le passé et l’avenir, comme nos ancêtres, jadis, en protégeant les reliques en établissaient un entre l’au-delà et le monde visible. Ce faisant, nous intégrons l’histoire, comme eux, jadis, intégraient l’être ». Qui plus est, chacun des membres de la mission avait dans sa circonscription un chantier arrêté, une fouille inachevée, un échafaudage vide d’employés, un directeur régional des affaires culturelles tirant de son gousset des soupirs d’affamé… Le paradoxe, en effet, est là : c’est l’excès de richesse patrimoniale qui a fait, ces dernières années, la mauvaise fortune de la France en la matière !

La première partie du rapport dresse l’état des lieux, préoccupant sur le plan financier. Le budget 2007 n’apportant aux préoccupations exprimées qu’une réponse partielle, il reste nécessaire de rechercher une plus grande stabilité des moyens financiers et une meilleure gestion prévisionnelle des dépenses. Du fait des variations erratiques, d’une année sur l’autre, des crédits de l’Etat, les collectivités locales ont dû apprendre à amortir, avec des moyens limités, ce qu’elles considèrent comme un désengagement de l’État. Quant aux propriétaires privés, détenteurs de 49 % des monuments inscrits ou classés, leurs ressources propres sont souvent réduites, bien loin de l’image d’Epinal du « riche propriétaire terrien », et les recettes de gestion, lorsqu’elles existent, sont loin de couvrir les charges d’entretien et de restauration des bâtiments, ainsi que les membres de la mission ont pu le constater en visitant, en Anjou, le château de Brissac.

La deuxième partie du rapport passe en revue les outils légaux et fiscaux de la politique patrimoniale. La multiplicité des intervenants étatiques au niveau déconcentré et l’incessante valse-hésitation de l’État entre politique fiscale et politique budgétaire ne font qu’aggraver l’extrême complexité du système, alors même que les dispositifs fiscaux, décrits de façon très détaillée dans le rapport, sont sans équivalent dans les pays voisins de même richesse patrimoniale. Il est clair qu’une évaluation globale et sincère de l’ensemble des dépenses fiscales afférentes au patrimoine monumental doit être réalisée avant toute proposition de remise en cause ou de révision de ces dispositifs. Aussi la mission souhaite-t-elle que le ministère de l’économie et des finances, plutôt avare de renseignements sur le sujet, soit tenu de transmettre au plus tard en 2009 une telle évaluation au Parlement.

La troisième et dernière partie du rapport vise à ouvrir de nouveaux horizons, sans hésiter à poser franchement une question délicate : Peut-on vraiment continuer à conserver tout ce qui, à un titre ou à un autre, « appartient à l’histoire » ? En effet, de même que l’histoire n’est pas figée, le patrimoine monumental d’un pays est une donnée en mouvement perpétuel. Chaque année de nouveaux sites ou monuments, en plus des 42 000 déjà classés ou inscrits, sont mis à jour ou répertoriés, dont la restauration, l’aménagement, l’entretien, la surveillance viennent compliquer une équation budgétaire déjà ardue.

Cet engouement, dont témoigne le succès des Journées du Patrimoine, s’explique par le goût des Français pour l’histoire mais aussi par la propension des collectivités locales à investir dans un secteur dont elles voient le considérable impact économique potentiel. Celui-ci ne se limite pas au tourisme mais inclut aussi les métiers d’art, aux effectifs nombreux, et détenteurs d’un savoir-faire hérité d’une longue tradition. C’est pourquoi les collectivités, malgré une suspicion croissante à l’égard des engagements de l’État, entendent développer des politiques de mise en valeur pour autant que celles-ci puissent être accompagnées – ou au moins soutenues – par l’État.

Comment expliquer autrement, que par cette suspicion croissante, le semi-échec de l’opération de transfert de propriété des monuments historiques aux collectivités volontaires ? Pour 176 monuments ou sites « transférables », il n’y a eu à ce jour que 70 candidatures, portant sur 67 sites. Lorsque l’on connaît le niveau actuel des crédits de fonctionnement et d’entretien consacrés par l’État aux monuments que celui-ci se propose de leur transférer, on peut comprendre leur inquiétude et leur réticence à s’engager. Pourtant, les conventions de transfert peuvent prévoir un programme quinquennal de travaux de restauration, cofinancé par la collectivité bénéficiaire et par l’État. Celui-ci a encore beaucoup à faire pour rassurer celles-ci.

Malgré tout, certaines initiatives récentes attestent d’un climat nouveau. Ainsi, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a créé, en 2001, avec le ministère de la culture et de la communication, une agence régionale du patrimoine, destinée à développer le rôle joué par les monuments dans la vie culturelle, économique et sociale de la région.

La mission a pu vérifier, lors de ses deux brefs déplacements au Royaume-Uni et en Italie, le dynamisme dont font preuve ces deux pays pour chercher d’autres sources de financement et, au-delà, d’autres forces vives. Anglais et Écossais font davantage appel aux bénévoles et aux fondations privées et mobilisent en outre une part dédiée des recettes de la Loterie nationale, à laquelle recourent également les Italiens. Ces derniers autorisent en outre – ainsi que la mission a pu le constater à Rome, à l’église de la Trinité des Monts – la publicité sur les immenses échafaudages des chantiers de restauration, publicité dont les recettes viennent abonder les sommes consacrées à la restauration des ouvrages.

La mission a donc recherché, elle aussi, des solutions nouvelles et tout d’abord en direction de la Fondation du Patrimoine, dont l’activité est susceptible d’être démultipliée, même si l’on enregistre depuis 2004 une augmentation très sensible des labels délivrés, passés de 171 en 2000 à 1 179 en 2005. Parmi les propositions du rapport figure la possibilité pour cette fondation de créer un fonds de dotation sur le modèle de ceux existant aux États-Unis, en collaboration avec les collectivités locales volontaires, ce qui leur éviterait de lancer des souscriptions, forcément coûteuses, pour chaque projet. Il s’agit de s’inspirer du dynamisme du National Trust au Royaume Uni, qui compte 3,5 millions de membres, mais existe il est vrai, depuis plus d’un siècle.

Un autre partenariat nouveau peut être développé : le bénévolat associatif. Les associations liées au patrimoine et au cadre de vie et les associations d’amis de monuments privés ont un rôle complémentaire de celui de la Fondation du Patrimoine et il est possible d’y associer les jeunes.

Il existe enfin un troisième intervenant potentiel : le mécène. Au Royaume-Uni, bien qu’il n’existe aucune incitation fiscale en faveur du mécénat, celui-ci est relativement plus présent qu’en France dans le domaine du patrimoine monumental. Pour surmonter le problème culturel que constitue la mauvaise perception du mécène, sans doute faut-il indiquer de manière plus claire et visible, dès l’entrée d’un monument ou aux abords d’un chantier, la part prise par celui-ci dans l’entretien ou la restauration et ne plus craindre de lancer des opérations de mécénat de compétence, comme à Versailles grâce à Vinci, ou de mécénat étranger, comme à Chantilly grâce à l’Aga Khan.

Parmi les trente-trois propositions du rapport, huit sont particulièrement significatives de la volonté des membres de la mission de sortir des sentiers battus en suggérant de :

– garantir aux monuments historiques privés une participation minimale de 10 % des crédits budgétaires alloués à la restauration et à l’entretien du patrimoine monumental ;

– encourager le mécénat de proximité en supprimant le plafonnement annuel de la réduction d’impôt sur les sociétés à 0,5 % du chiffre d’affaires pour les entreprises de moins de 500 salariés ;

– autoriser l’affichage publicitaire sur les échafaudages des travaux de restauration des monuments historiques et affecter les recettes au financement de ces travaux ;

– supprimer le plafond de 70 millions d’euros pour la part des droits de mutation affectée au Centre des monuments nationaux (CMN), pour ne conserver que la référence aux 25 % du produit des droits de mutation ;

– créer une recette d’au moins 90 millions d’euros, assise sur les produits de la Française des Jeux, en faveur des monuments classés et inscrits des collectivités territoriales ;

– instituer un système de dation en paiement pour le patrimoine monumental privé, au profit de la Fondation du Patrimoine ou des collectivités locales qui le souhaitent ;

– exonérer d’impôt sur la fortune (ISF),  bien que le sujet soit politiquement délicat, les propriétaires privés sur les biens immeubles inscrits ou classés qui constituent leur résidence principale, par parallélisme avec l’exonération touchant les œuvres d’art ;

– développer le service civil volontaire des jeunes dans le secteur de la restauration du patrimoine monumental et permettre aux associations gérant des chantiers de bénévoles de recruter ces volontaires.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Patrick Bloche a vivement félicité le rapporteur pour son état des lieux détaillé, son analyse objective et ses propositions dynamiques, prenant en compte toutes les difficultés du problème par-delà les clivages politiques. Soit dit en passant, le fait que 70 millions d’euros de crédits aient été rétroactivement versés pour 2006 et autant pour 2007, soit 140 millions d’euros disponibles début 2007, risque de constituer, pour le gouvernement qui sera issu des élections du printemps prochain, un cadeau empoisonné en 2008. Il est temps d’apporter aux collectivités, qui craignent, sans avoir forcément tort, que l’État se décharge sur elles de ses dépenses, une clarification des règles du jeu.

Le rapporteur a eu raison, par ailleurs, de s’interroger sur le caractère réellement incitatif des dispositions fiscales comme des encouragements au mécénat privé, qui peinent pourtant à produire leurs effets.

Permettre l’affichage publicitaire sur les chantiers ne sera pas forcément facile à faire admettre – notamment par certains groupes politiques au sein du Conseil de Paris... – mais l’on peut observer que nombre d’immeubles de bureaux sont recouverts, lorsqu’ils sont en travaux, de panneaux publicitaires portant le nom de la société qui les occupe.

Enfin, l’exonération d’ISF préconisée par le rapporteur devrait être subordonnée à l’entretien effectif des biens par leur propriétaire.

Le président Jean-Michel Dubernard a approuvé cette dernière remarque et a rappelé que le mécénat ne concernait pas seulement la sphère culturelle, mais aussi d’autres secteurs comme celui de la recherche. S’il reste insuffisant, est-ce à cause d’un défaut dans l’application des dispositifs ou simplement d’une mauvaise communication ?

M. Dominique Richard a salué le travail du rapporteur, qui servira de référence aux réflexions à venir, car il a su dépasser la question financière pour défricher des voies inexplorées jusqu’à présent. Si l’on constate actuellement de fortes tensions dans les milieux du patrimoine, c’est du fait de la baisse importante des crédits constatée ces dernières années
– et le fait que le Premier ministre ait récemment annoncé de nouvelles mesures a paradoxalement compliqué la tâche de la mission –, mais aussi en raison du volume croissant de ce patrimoine et le rapporteur a raison de poser la question taboue du déclassement. Il a eu en outre le mérite de briser l’image d’Épinal du propriétaire nanti ou profiteur, quand il n’est souvent que conscient de ses devoirs envers le passé comme envers l’avenir.

M. Claude Leteurtre a dit apprécier, en tant qu’ancien maire d’une ville riche en patrimoine à restaurer, les pistes tracées par le rapport, notamment sur le plan financier. Se rappelant avec une certaine amertume les réunions auxquelles il a assisté au sein des commissions supérieures des sites et des monuments historiques, il a souhaité que l’on clarifie enfin le rôle de chacun des innombrables intervenants étatiques : commissions supérieures, inspecteurs généraux, direction du patrimoine et de l’architecture, sans oublier les architectes des bâtiments de France, qui se comportent parfois comme des « ayatollahs », faute de contre-pouvoirs. Il a enfin rendu hommage à la Fondation du Patrimoine, qui fait un très bon travail, notamment au bénéfice du patrimoine de proximité.

Le président Jean-Michel Dubernard s’est associé à cet hommage, ainsi qu’aux propos de l’orateur sur les architectes des bâtiments de France.

M. Yves Boisseau a insisté sur la question, trop allusivement évoquée selon lui par le rapporteur dans sa présentation, de la transmission et de la survie des métiers d’art.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

– la publicité n’est actuellement interdite que sur les monuments inscrits et classés ;

– l’exonération de l’ISF devra évidemment être assortie de conditions ;

– la nécessaire pérennité des métiers d’art sera favorisée par la plus grande ouverture des écoles à l’apprentissage, ainsi que par le développement de la formation continue au sein de l’Institut national du patrimoine ;

– la réforme intervenue récemment devrait répondre au moins en partie aux préoccupations de M. Claude Leteurtre car les décisions des architectes des bâtiments de France sont aujourd’hui susceptibles d’appel.

M. Claude Leteurtre a objecté que l’appel ne donnait jamais raison aux requérants, du fait d’une grande solidarité de corps.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

*

Puis, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport de la mission d'information sur les moyens de contrôle de l’Unédic et des Assédic présenté par M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian, rapporteur, a rappelé que la commission avait décidé au mois de juillet 2006 la création d’une mission d’information sur les moyens de contrôle de l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic) et des Associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Assédic), la presse s’étant fait l’écho de fraudes importantes affectant l’assurance chômage.

La mission sans négliger l’importance de la fraude individuelle, s’est fixée comme priorité de faire la lumière sur ces pratiques de fraudes organisées. Elle a pu constater la réalité de ces fraudes qui relèvent de l’organisation de véritables escroqueries. Au 21 février 2006, l’Unédic recensait quelque 19 affaires de fraudes organisées concernant 6 400 personnes, pour environ 80 millions d’euros. Sa dernière estimation, en date du 13 décembre 2006, s’élève à 140 millions d’euros. Le développement des affaires en cours explique cette évolution des chiffres, qui ne correspondent toutefois, comme le reconnaît l’Unédic elle-même, qu’à la « partie émergée de l’iceberg ».

Dans les affaires les plus importantes, les faux chômeurs se comptent en centaines. On recense ainsi : 800 personnes mises en cause à Paris pour un préjudice estimé de 11 millions d’euros ; 800 personnes mises en cause à Créteil pour un préjudice estimé de 7 millions d’euros ; au moins 1 800 personnes mises en cause dans une autre affaire à Paris pour un préjudice estimé à environ 20 millions d’euros ; au moins 1 900 personnes mises en cause à Marseille, pour un préjudice estimé de l’ordre de 30 millions d’euros.

Ces escroqueries touchent non seulement l’assurance chômage, mais aussi l’assurance de garantie des salaires (AGS), également gérée par l’assurance chômage. Par ailleurs, d’autres fraudes importantes ont été relevées concernant l’allocation d’insertion (AI) servie par les Assédic pour le compte de l’État : 600 dossiers pour 800 000 euros d’indus.

Ces fraudes ont été montées grâce à des dossiers, dits « kits Assédic », élaborés et vendus par les organisateurs de ces escroqueries. Ces kits, entièrement composés de faux documents, permettent à leurs acheteurs de se prétendre licenciés par des sociétés pour lesquelles ils n’ont pas travaillé et qui souvent n’ont eu aucune activité économique réelle. Le lien de ces réseaux avec le grand banditisme, évoqué par certains services de police, n’est pas démontré, mais certaines personnes impliquées dans ces affaires ne sont, en tout cas, pas inconnues de ces services. Ainsi, le tribunal correctionnel de Paris est actuellement saisi d’une affaire de fraude aux Assédic et à la caisse primaire d’assurance maladie, mettant en cause des personnes qui, toutes, avaient déjà été condamnées pour différentes infractions, dont un braquage, et dont l’organisateur se prétend lui-même menacé.

Ces réseaux se développent sur tout le territoire, touchant plusieurs Assédic, parfois même toutes les Assédic et en tout cas toujours celles de Paris et de la région parisienne. Ils sont parfois de nature communautaire, impliquant notamment des ressortissants turcs et pakistanais.

La mission s’étonne, compte tenu de l’ampleur des affaires en cours et de leur durée, qu’une attention plus précoce n’ait pas été portée à ces fraudes, montées grâce à des kits faisant l’objet d’un véritable marché. En l’absence de service de lutte anti-fraude au sein de l’assurance chômage, c’est pratiquement par hasard, en repérant des éléments identiques dans plusieurs dossiers, que ces fraudes ont été découvertes par les agents. Dans d’autres cas, elles ont été mises au jour à l’occasion d’enquêtes policières portant sur d’autres affaires ou à l’occasion de contrôles de routine.

La multiplication des cas de fraude touchant les organismes sociaux et leur retentissement dans l’opinion ont suscité une prise de conscience des pouvoirs publics, qui s’est traduite par différentes mesures, dont la création du Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale. Au programme de travail de ce comité figurent notamment, sur le plan international, la conclusion d’accords de coopération en matière de lutte contre la fraude.

Par ailleurs, la mission attache également une importance particulière à la mise en place du répertoire commun aux organismes sociaux, disposition figurant dans la loi de financement pour 2007, et que le Conseil constitutionnel a validé tout en considérant que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’avait à formuler sur son décret d’application qu’un avis simple, et non un avis conforme. En effet, l’organisation des échanges de données entre organismes sociaux – Assédic et Urssaf en particulier – est un élément clef dans la lutte contre la fraude. Les carences dans ces échanges, souvent dénoncées devant la mission, ont pesé sur l’efficacité des dispositifs de contrôle.

D’autres mesures concrètes sont également intervenues depuis le début des travaux de la mission, telles la mise en place d’un contrôle des contributions des employeurs à l’assurance chômage effectué par les Urssaf et la limitation des justificatifs d’identité acceptés à l’inscription comme demandeur d’emploi, mettant fin à une pratique peu rigoureuse sur laquelle la mission s’était interrogée.

Forte de ce constat et au terme de ses travaux, la mission propose des mesures devant être prises d’urgence, au nombre de seize, et qui sont, pour la plupart, de simple bon sens.

Depuis 2005, l’assurance chômage, en réaction à ces affaires, s’est dotée d’un service de prévention des fraudes, composé d’une centaine de personnes qui vérifient les dossiers suspects et mènent des recherches sur les affaires détectées. Ce service a adopté un plan triennal d’action, qui s’est accompagné de la mise en place de détecteurs de faux papiers – qui a été généralisée au 1er janvier 2006 et produit déjà des résultats – et du développement de systèmes d’alerte.

Au-delà, il est apparu nécessaire à la mission :

– d’impliquer et de mobiliser l’ensemble des agents dans la lutte contre la fraude, c'est-à-dire de développer au sein de l’Unédic et des organismes sociaux en général une culture de lutte contre la fraude ; à ce propos la mission a pu constater que les réticences parfois exprimées par les syndicats n’étaient pas partagées par les agents sur le terrain ;

– de développer les dispositifs d’alerte afin de recenser les entreprises douteuses, à partir d’éléments comme le versement des salaires en liquide, les procurations bancaires pour le versement des allocations, et d’intégrer ces dispositifs dans les systèmes d’information ;

– de systématiser la participation des Assédic aux comités de lutte contre le travail illégal (COLTI) et de leur transmettre les procès-verbaux dressés à l’occasion de leurs opérations pour les alerter sur les situations à risque ;

– d’assermenter des agents de l’Unédic et des Assédic pour faciliter l’accès aux informations détenues par les corps de contrôle d’autres organismes, comme celui de l’Urssaf, sans pour autant créer un corps de contrôle supplémentaire ;

– de mettre en application sans délai le décret du 7 mai 2004, qui oblige les employeurs à transmettre à l’Urssaf une déclaration nominative des assurés (DNA) faisant ressortir, pour chacun de leurs salariés, le montant total des salaires versés et les périodes de travail correspondantes ; la mission considère que cette disposition, déjà applicable aux intermittents du spectacle, doit être étendue prioritairement aux secteurs du bâtiment et de la confection, où le risque de fraude est particulièrement élevé ;

– de rendre obligatoire la remise par l’employeur au salarié d’un document attestant sa déclaration auprès de l’Urssaf, afin que ce dernier ne puisse plus prétendre ne pas savoir qu’il n’a pas été déclaré.

Une autre série de mesures jugées nécessaires par la mission concerne l’immatriculation des sociétés :

– Les fraudes en réseau reposent le plus souvent sur la création, en nombre considérable, de sociétés légalement immatriculées mais qui n’ont aucune activité réelle et ne sont que des « coquilles vides », constituant de véritables officines servant à commettre des infractions de toute sorte. Actuellement, sans apport immédiat de capital et en présentant la simple photocopie de la pièce d’identité d’un tiers, une même personne peut se déclarer gérante d’autant de sociétés qu’elle le souhaite, sans qu’aucune règle puisse lui être opposée, sans qu’aucun contrôle relatif à sa personne ou à son activité soit effectué et sans même attirer l’attention de quiconque, pas même de l’administration fiscale puisque, n’ayant pas de chiffres d’affaires, ces sociétés ne sont pas dans sa ligne de mire. Il faut donc entourer l’immatriculation des sociétés d’une véritable sécurité juridique.

Une étude de l’Unédic portant sur des « gérants à risque » a ainsi identifié 10 personnes assurant ou ayant assuré la gérance de 651 sociétés, 20 personnes assurant ou ayant assuré la gérance de 1 069 sociétés, 133 personnes assurant ou ayant assuré la gérance de 2 112 sociétés. Un fichier des gérants et dirigeants d’entreprise, tenu par les greffiers des tribunaux de commerce, devrait être mis en place, afin d’identifier ces situations qui constituent autant de signaux d’alerte.

– Les contrôles opérés lors de l’immatriculation sont largement insuffisants. Les greffiers eux-mêmes, par la voix du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, ont reconnu devant la mission les carences du système et souhaitent pouvoir disposer de moyens de contrôle supplémentaires. La mission considère comme indispensable de mettre fin à la possibilité d’immatriculer une société sans que soit présenté et vérifié l’original des documents d’identité du créateur. Il faudra aussi que toutes garanties soient prises pour s’assurer de l’identification du gérant ou du dirigeant lors de l’immatriculation en ligne, grâce à un niveau de certification suffisant.

– L’interdiction de gérer n’est pas respectée en pratique. Lors de l’immatriculation, seule une attestation sur l’honneur de non-condamnation est actuellement demandée, et les délais d’inscription et de consultation du casier judiciaire sont variables. Ainsi, rien n’empêche qu’une personne condamnée à une peine lui interdisant de gérer, d’administrer ou de diriger une société, puisse immatriculer d’autres sociétés auprès des greffes des tribunaux de commerce, ne serait-ce qu’en changeant de ressort de tribunal. Seules la transmission instantanée du casier judiciaire par voie électronique aux greffes des tribunaux de commerce et la création d’un fichier national des interdits de gérer et des faillites personnelles permettraient de procéder à cette vérification au moment de l’immatriculation.

– Il faut revoir le régime des sociétés de domiciliation, qui ont pour activité de proposer à d’autres sociétés une adresse commerciale et, le cas échéant, des locaux. Cette pratique est une source d’abus, dénoncée par les représentants de la profession eux-mêmes. La plupart des adresses à risque identifiées dans les affaires de fraude importantes sont d’ailleurs celles de sociétés de domiciliation. L’Assédic de Paris a ainsi répertorié une société qui domicilie environ 1 500 sociétés, parmi lesquelles 150 sont considérées comme douteuses, et il est avéré que certaines d’entre elles ont été utilisées pour monter des fraudes à grande échelle. Aussi la mission propose-t-elle de mieux encadrer le régime juridique applicable à la domiciliation, en instituant un agrément des sociétés de domiciliation.

Enfin, la mission a insisté sur le fait que la gravité des phénomènes de fraudes rendait indispensable une sanction pénale dissuasive à l’encontre non seulement de ceux qui organisent les fraudes mais aussi des acheteurs de kits. Il faut aussi que la justice ait les moyens de traiter ce genre d’affaires qui met en cause des prévenus se comptant par centaines.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Pierre Morange a salué le travail accompli par la mission avant de souligner que le volume de la fraude, individuelle ou organisée, était estimé entre 4 et 7 milliards d’euros, ce qui n’est pas négligeable au regard de l’ampleur du déficit des comptes sociaux.

Les préconisations du rapport de la mission sont très pragmatiques et il est souhaitable qu’elles soient mises en œuvre sans tarder. Cela donnera une crédibilité supplémentaire à l’action du Parlement, qui a amendé – sur proposition de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) – le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, afin que soit établi un numéro identifiant commun à toutes les branches du régime général, adossé à un fichier informatique également commun qui pourra de surcroît être croisé avec celui de l’administration fiscale. Un décret en Conseil d’État sera pris à cet effet après avis de la CNIL, qui aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre dernier sera un avis simple et non conforme. Cette disposition, qui vise à lutter contre la fraude, aura en outre pour effet de réduire les coûts de gestion des branches.

M. Pierre-Louis Fagniez a insisté sur l’effet désastreux que produit, chez de vrais chômeurs vivant d’allocations très réduites, le fait que des bénéficiaires d’emplois fictifs – éventuellement publics – puissent être indemnisés confortablement par les Assédic à la suite d’un licenciement de complaisance. Comment faire pour prendre la mesure de tels abus et y mettre fin ?

M. Maurice Giro a dénoncé le recours abusif, voire frauduleux dans certains cas, à l’AGS pour indemniser les salariés licenciés après un dépôt de bilan alors que l’entreprise vient d’être cédée pour un euro symbolique afin d’en faire disparaître les actifs.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

– La fraude à l’AGS, qui n’entre pas à proprement parler dans le champ de la mission d’information, prend diverses formes. On rencontre aussi le cas où l’entreprise, reprise par un prête-nom, salarie l’ancien gérant en le rémunérant à un niveau lui ouvrant droit, quelques mois plus tard, à de confortables indemnités de chômage. Les recoupements qui seront désormais possibles devraient permettre de mettre au jour ce genre d’agissements, qui coûtent cher au système de protection sociale.

– Les fraudes individuelles du type de celle qu’a pointée M. Pierre-Louis Fagniez n’entrent pas non plus dans le champ de la mission, qui se limitait à la fraude organisée, mais les outils qui serviront à réprimer celle-ci permettront aussi de combattre celle-là, dont l’ampleur n’a rien de marginale. La mise en place de la déclaration nominative des assurés (DNA), en particulier par les recoupements qu’elle autorisera des données relatives à l’employeur et de celles relatives au salarié, sera très efficace.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.