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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Mercredi 20 décembre 2006

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 19

Coprésidence de M. Jean-Michel Dubernard, président,
et de M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

 

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– Audition, commune avec la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, ouverte à la presse, de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle – n° 3460





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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence, relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle – n° 3460.

Le président Jean-Michel Dubernard a rappelé que le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, déposé le 30 juin dernier devant le Sénat et examiné par lui du 20 au 22 novembre dernier, crée le cadre juridique pour assurer le basculement complet de l’analogique vers le numérique avant le 30 novembre 2011 et fixe les conditions du développement de la télévision en haute définition et de la télévision mobile personnelle (TMP). Ce projet s’inscrit bien dans le cadre de l’objectif fixé par le Président de la République : faire de la France un « pays leader » dans le domaine des technologies de la communication – ADSL et, demain, très haut débit, téléphonie de troisième génération (3G) et télévision mobile personnelle (TMP) – au bénéfice de l’ensemble des citoyens.

Près de vingt mois après son lancement, la télévision numérique terrestre (TNT) remporte un grand succès. Les Français semblent s’être bien adaptés à cette nouvelle technologie, qui a fait passer l’offre audiovisuelle gratuite de six à dix-huit chaînes. Le basculement de l’analogique vers le numérique ne pourra avoir lieu que si les conditions de réception de la télévision numérique sont réunies, en termes tant de couverture du territoire que d’équipement. Dans ce contexte, plusieurs questions restent posées. Comment fonctionnera le fonds d’aide à l’équipement pour la télévision numérique (FAN) ? Auxquels de nos citoyens sera-t-il destiné ? Quand est-il prévu de lancer une offre TNT gratuite par satellite, afin que les habitants des zones enclavées puissent recevoir sans abonnement les chaînes gratuites de la TNT ?

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, a fait part de sa satisfaction de travailler à nouveau avec la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur un projet de loi d’intérêt commun.

Après avoir rappelé que le Sénat a introduit l’obligation d’atteindre l’objectif de 95 % de la couverture de la télévision par voie hertzienne terrestre et a imposé à chaque éditeur de TNT de participer à la mise en place d’un complément de diffusion par satellite, il s’est inquiété de l’avenir des régions de montagne, des zones d’ombre y subsistant, même avec les satellites, à cause de l’inclinaison du rayonnement. Ces zones sont, aussi, souvent dépourvues de l’internet à haut débit, susceptible de transporter la TNT, comme le montre l’offre courante des fournisseurs d’accès à internet (FAI) en dégroupage. Si des collectivités locales, en utilisant les droits et les financements institués à cet effet par la loi du 21 juin 2002 pour la confiance dans l’économie numérique, créent une infrastructure d’accès au haut débit, ne serait-il pas envisageable de garantir un accès à l’intégralité des chaînes de TNT par le même canal ? Il suffirait d’étendre au service public local de communications électroniques l’obligation de diffusion prévue pour le satellite.

Par ailleurs, un amendement du sénateur Bruno Sido a permis de transposer à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), pour la nomination de son président, la procédure de consultation des commissions parlementaires compétentes, sur le modèle de la commission de régulation de l’énergie (CRE). C’est une manière de s’assurer que les autorités administratives indépendantes se borneront à leur strict périmètre professionnel.

Le Sénat a, quant à lui, conféré au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) un pouvoir de choix des attributaires des fréquences réservées à la téléphonie mobile, en fonction des formats les plus adaptés à la TMP. N’est-il pas paradoxal de demander au CSA de juger de ce type de critères techniques alors que les professionnels les plus expérimentés n’en sont encore qu’au stade des conjectures ? Ne conviendrait-il pas de laisser le marché jouer plutôt que de s’en remettre à une décision administrative ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, a indiqué que le projet de loi sur la modernisation de la diffusion audiovisuelle et la télévision du futur pose les bases de l’avenir de l’audiovisuel, qui concerne la vie quotidienne de chaque citoyen, alors que l’Union européenne vient de ratifier la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Il s’agit de faire en sorte que la diversité soit une réalité concrète pour les Français, dans tous les domaines de la culture. Alors que 80 % des Français continuent à ne regarder que six chaînes nationales, ce projet de loi permettra, au 30 novembre 2011, de garantir à 100 % des Français, sur tout le territoire, l’accès aux dix-huit chaînes gratuites de la TNT, soit un triplement de l’offre et le passage à une qualité numérique, ce qui signifie des progrès considérables tant pour le son que pour l’image.

Ce projet de loi écrit un nouveau chapitre de l’histoire de la télévision. Il est au cœur de l’ambition fixée par le Président de la République de faire de la France l’un des pays les plus avancés dans le domaine du numérique, au bénéfice de l’ensemble des citoyens. L’extension du haut débit et la vitesse d’apprentissage dont font preuve les Français de toutes générations suscitent l’optimisme quand à leur participation à cette évolution technologique. Ce texte qui s’inscrit dans une série de rendez-vous tenus, qui étaient autant de défis technologiques – le démarrage de la TNT, la loi garantissant le droit d’auteur à l’ère numérique ou le lancement réussi de France 24 – est fondé sur deux principes.

Premièrement, le basculement inéluctable de l’analogique vers le numérique ne peut avoir lieu que si chaque Français bénéficie effectivement des conditions, en termes de couverture et d’équipement, pour recevoir la télévision numérique. Il faut aller au-delà des idées théoriques et entrer dans les détails afin de lutter contre la fracture sociale dans l’accès au numérique : les citoyens les plus modestes doivent être dotés des équipements nécessaires. Cela suppose qu’ils soient parfaitement informés des changements à venir.

Deuxièmement, l’innovation technologique – et cela concerne la TNT, la télévision en haute définition comme internet et la TMP – doit participer au développement et au financement de la création audiovisuelle et cinématographique. Bref, le progrès technologique doit être l’occasion de renforcer le soutien à la création.

Saisi par le Premier ministre d’un ensemble de questions sur les modalités d’extinction de la diffusion analogique par voie hertzienne terrestre, le Conseil d’État a rendu, lors de sa séance du 23 mai 2006, un avis selon lequel seul le législateur peut autoriser et organiser l’extinction anticipée des services de diffusion par voie analogique.

Le projet de loi a été précédé, au printemps 2006, d’une large consultation, qui a permis de recueillir l’avis de tous les professionnels sur le cadre législatif applicable à la télévision du futur. Il tient compte des équilibres et des consensus apparus lors de cette consultation. C’est un texte de modernisation positive de la diffusion télévisuelle. Le Sénat ne s’y est pas trompé et plusieurs amendements ont été adoptés à l’unanimité, ce qui témoigne de la convergence des points de vue, afin que ce projet de loi bénéficie à l’ensemble des Français.

Le texte voté par le Sénat prévoit une augmentation de la couverture de la TNT, attendue avec impatience par l’ensemble des citoyens. Les chaînes de la TNT qui augmenteront leur couverture bénéficieront d’une prolongation de leur autorisation et les chaînes historiques devront couvrir 95 % de la population française. Le hertzien terrestre constitue le vecteur privilégié de la diffusion audiovisuelle en France. La couverture satellitaire sera complémentaire – notamment pour les zones frontalières et les zones de montagne –, afin que 100 % des Français, dans les trois mois suivant la promulgation de la loi, c’est-à-dire dès l’été 2007, puissent recevoir gratuitement les dix-huit chaînes de la TNT. Pour d’éventuelles zones d’ombre rémanentes très délimitées, il serait très difficile d’intervenir par la loi mais il conviendrait d’étudier des systèmes particuliers. Les vingt-quatre éditions régionales de France 3 seront également diffusées par l’offre TNT satellitaire gratuite. Cette mesure, adoptée à l’unanimité au Sénat, permettra aux téléspectateurs recevant France 3 par satellite de pouvoir regarder les informations correspondant à l’endroit où ils habitent ; l’offre par satellite sera donc complète.

Par ailleurs, la TMP, nouveau mode de consommation de la télévision, et la télévision en haute définition, qui offre une qualité d’image et de son exceptionnelle, seront lancées avant la fin de l’été 2007.

Ce texte participe de la réduction de la fracture numérique. La démultiplication des chaînes sera un progrès pour chacun et la France sortira définitivement d’un paysage audiovisuel à deux vitesses. Un fonds d’aide pour l’équipement des Français les plus démunis sera créé. Ses contours ont été précisés par le Sénat, pour garantir l’égalité sociale et l’égalité géographique, afin que les plus démunis ne soient pas laissés à l’écart et qu’ainsi tous les Français aient accès à la télévision numérique terrestre.

Le succès de la mutation technologique repose aussi sur l’information des citoyens. Il ne faudrait pas que cette grande chance soit précédée d’une grande peur. Le projet de loi garantit donc l’information de tous les Français afin de réussir au mieux le basculement vers le numérique. Les industriels et les distributeurs d’équipements électroniques grand public seront tenus d’informer de façon détaillée et visible les consommateurs des capacités des récepteurs de télévision à recevoir des signaux numériques. Il est en effet souhaitable que les Français qui achètent aujourd’hui un téléviseur basculent directement vers un appareil numérique. Une campagne nationale de communication sera lancée afin de garantir l’information des consommateurs sur le basculement de la télévision analogique vers la télévision numérique.

L’enjeu au-delà du progrès technologique, qui constitue un vecteur et non une fin en soi, est avant tout culturel. Il est essentiel que l’innovation technologique bénéficie à la création et à la diversité. Le préjudice subi par les chaînes privées analogiques avec le basculement complet vers le numérique à compter de 2008 leur donne droit, en compensation, à une chaîne supplémentaire en 2011. Tout d’abord, les chaînes compensatoires, diffusées après le 30 novembre 2011, seront assujetties à des obligations renforcées en matière de création audiovisuelle et cinématographique, contrairement à ce qui avait été voté dans le cadre de la loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ensuite, le CSA tiendra compte, pour l’autorisation des services de télévision mobile personnelle, de leurs engagements en matière de production et de diffusion d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques, ainsi que de l’offre de programmes dont les formats sont les plus adaptés à la TMP. Celle-ci, comme la télévision en haute définition, participera au financement de la création audiovisuelle et cinématographique par une majoration de la taxe acquittée par les chaînes de télévision, affectée au compte de soutien à l’industrie des programmes (COSIP).

La diversité culturelle sera ainsi renforcée, au bénéfice des auteurs et de l’ensemble de ceux qui contribuent à la création et à la production des œuvres. Ces dispositions s’inscrivent dans le droit fil de toute la politique du gouvernement au service de la diversité, à commencer par les crédits d’impôt et les fonds régionaux. Les propos tenus dans la presse par le Président de la Commission européenne sur la légitimité du soutien des États à la création cinématographique, culturelle et audiovisuelle constituent une victoire essentielle pour la France, passée du statut de mouton noir à celui d’éclaireur.

L’enjeu du projet de loi est aussi celui du pluralisme. C’est une conviction profonde, ancrée au cœur de la politique du ministère en matière de communication comme de culture : le passage au numérique, qu’il s’agisse du basculement complet de la télévision analogique vers la télévision numérique ou de la généralisation de l’internet, permet de multiplier les sources d’informations, de garantir un meilleur pluralisme et de faire entrer de nouveaux acteurs économiques. La démultiplication des chaînes contribue à la diversité des courants d’expression politiques, sociaux et culturels, avec en particulier les deux chaînes parlementaires, chaînes civiques qui, grâce à ce texte, deviendront accessibles à l’ensemble des citoyens.

Le pluralisme, c’est aussi la place de la télévision publique qui, dans le nouveau paysage audiovisuel, sera confortée. Le gouvernement préemptera pour le service public un des deux ou trois canaux rendus disponibles l’an prochain pour la diffusion de chaînes gratuites en haute définition sur la TNT et cette préemption sera portée à deux canaux dès qu’il sera possible de diffuser quatre chaînes gratuites en haute définition. Les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et d’Arte préciseront très prochainement quelles seront les chaînes concernées.

Il importe que toutes les chaînes gratuites de la TNT puissent se développer et que le projet de loi garantisse leur avenir. Le caractère homogène et cohérent de l’offre des chaînes est essentiel pour les téléspectateurs. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a proposé un amendement, qui a été adopté par le Sénat, visant à garantir la place des chaînes gratuites de la TNT dans l’offre des programmes, quel que soit le type de distribution. Cet article n’a pas pour objet d’imposer unilatéralement la numérotation des chaînes des distributeurs de services, ce qui ne serait pas juridiquement valide mais, de manière plus concrète et efficace, de renforcer le rôle du CSA en matière de régulation, en lui confiant le soin de veiller à ce que la numérotation soit équitable, transparente, homogène et non discriminatoire, en contribuant donc à constituer des blocs de chaînes cohérents et thématiques. Il existera par exemple un bloc des chaînes sportives et un bloc des chaînes musicales, pour le plus grand confort du zappeur qu’est parfois devenu le téléspectateur.

Enfin, même si ce texte concerne essentiellement la télévision, la radio n’en est pas absente, dans la mesure où le Sénat a voté un article permettant le simulcast, ou diffusion simultanée, pour la radio numérique. Le cadre juridique, adopté en 2004, est donc complété s’agissant de la radio numérique, ce qui permettra de la rendre accessible plus rapidement aux Français.

Pour conclure, ce projet de loi est un texte d’équilibre pour tous les Français, il changera leur vie quotidienne et assurera un plus grand pluralisme de l’information : il est essentiel pour l’avenir de la création audiovisuelle et cinématographique et constitue une avancée concrète pour le paysage audiovisuel. En adoptant ce texte – tel qu’il a été amélioré par le travail approfondi du Sénat – au tout début de l’année prochaine, l’Assemblée nationale permettra d’enrichir l’offre de programmes disponibles pour tous les Français. Cela créera aussi les conditions d’un appel d’air formidable pour tout le secteur de la création et des industries culturelles, tant par ses retombées créatives que par ses effets sur l’innovation et, au-delà, sur la création d’emplois.

Un débat a suivi l’exposé du ministre.

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur, a indiqué avoir déjà quelques pistes de réflexion pour d’éventuels amendements suite aux premières auditions qu’il a réalisées conjointement avec le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et a demandé l’éclairage du ministre sur les points suivants :

– L’idée d’une campagne de communication pour sensibiliser les consommateurs et les préparer au passage de novembre 2011 est judicieuse. Mais l’obligation de mettre aux normes numériques tous les téléviseurs vendus à partir de 2008 ou 2009 ne serait-elle pas également opportune ?

– Au-delà, se pose le problème des décodeurs numériques. La norme haute définition MPEG-4 sera de plus en plus présente sur le marché ; c’est d’ailleurs la seule utilisable à l’exportation. Pourquoi ne pas la rendre également obligatoire en 2008 ou 2009 ? La réception des chaînes en MPEG-2 serait toujours possible mais cela permettrait de préparer l’avenir pour la haute définition.

– Le seuil de couverture du numérique terrestre de 95 % est de dix points supérieur à ce qui avait été convenu avec les chaînes de TNT, ce qui supposera un effort financier de la part des chaînes. En auront-elles toutes les moyens ? Pour les 5 % de population restants, les décrochages de France 3 et les télévisions locales seront-ils disponibles dans l’offre satellitaire ?

– S’agissant des « écrans noirs », le Sénat a accompli une première avancée en prenant en compte les événements d’importance majeure dans l’obligation de must carry – l’obligation pour un distributeur de services par câble ou par satellite de reprendre certains services – des opérateurs de télécoms sur la TMP, incluant la plupart des grands événements sportifs. Mais ne convient-il pas d’élargir ce critère ?

– L’offre satellite de la TNT trouve sa légitimité dans le fait d’assurer une couverture maximale. Un lancement rapide ne risque-t-il pas d’affaiblir l’offre numérique terrestre ? Ne serait-il pas préférable d’attendre avant de proposer cette offre complémentaire ?

– Quelles sont les perspectives en matière de télévision interactive, surtout par le biais de la TMP ?

– Dès lors que les fournisseurs d’accès à internet (FAI) s’engagent dans la production, ne serait-il pas logique de les faire contribuer au financement du compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP) ?

– Enfin, les chaînes de TNT expriment des avis divergents à propos de la numérotation. Qu’en pense le gouvernement ?

M. Frédéric Soulier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a proposé la mise en place d’un service public local des communications électroniques, en vertu de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, pour prendre en considération le cas des zones de montagne et plus généralement des zones rurales. Il s’agirait d’élargir le service antenne aux réseaux publics locaux à haut débit ; trois canaux coexisteraient – le satellite, le hertzien terrestre et les services locaux de haut débit –, ce qui contribuerait à garantir l’accès de 95 % de la population française. Puis il a posé les questions suivantes :

– La télévision mobile pourra-t-elle être interactive ? Sera-t-il possible de lever rapidement les blocages réglementaires dans ce domaine ?

– Il convient effectivement d’élargir le critère limitatif des événements d’importance majeure.

– Enfin, le déploiement de la télévision du futur requiert un gros effort de pédagogie, notamment en direction des personnes âgées. Les conseils généraux ne pourraient-ils pas jouer un rôle en la matière ?

M. Frédéric Dutoit s’est dit très favorable au passage au numérique et à la couverture du territoire à 100 %. Mais les nouveautés technologiques amèneront peut-être à mener une réflexion plus poussée sur les enjeux démocratiques. Comment accepter que les opérateurs privés dits « historiques » puissent bénéficier de chaînes bonus, cadeau royal en contradiction avec le principe cher au gouvernement de concurrence libre et non faussée ? La manne liée aux parts de marché est considérable.

Par ailleurs, quelle place occuperont les chaînes publiques, notamment les chaînes parlementaires ? Disposeront-elles de canaux dont la numérotation sera facile d’accès pour les téléspectateurs ? Enfin, quelle place sera accordée aux télévisions régionales et associatives ?

M. Didier Mathus a présenté les observations suivantes :

– Certains ménages seront désireux de conserver leurs appareils analogiques pour regarder la télévision dans leur chambre ou leur cuisine. Les élus locaux, dans cette affaire, seront en première ligne face aux protestations de nos concitoyens, qui se retrouveront progressivement face à des écrans noirs s’ils conservent ces postes sans acheter d’adaptateur numérique.

– L’un des seuls objets de ce texte est de permettre à la majorité d’offrir des chaînes bonus aux opérateurs historiques. Ces derniers seront passés trois fois à la caisse en quelques années : avec la loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et la bonification les incitant à entrer dans le dispositif numérique, avec la mesure gouvernementale qui a porté le nombre de chaînes autorisées par groupe de cinq à sept et, enfin, avec cette chaîne bonus. Les obligations liées à la création dont il est question font fâcheusement songer au « mieux disant culturel » annoncé en 1986 par le groupe Bouygues. Ces chaînes bonus contribueront à diluer encore la part du service public dans le paysage audiovisuel français et par conséquent à l’affaiblir.

– Le Sénat a adopté un bon amendement à propos de l’œuvre audiovisuelle, mais M6 semble s’en effaroucher. Qu’en pense le gouvernement, bien discret sur ce point ?

– La prise de participation de TF1 dans le groupe AB détourne l’esprit de la loi de 2000. Il est de la responsabilité du CSA de réagir mais force est de constater que, par le passé, celui-ci n’a guère été ferme.

– Une fois la composition du CSA renouvelée, en janvier, juste avant l’examen du projet de loi, tous ses membres auront été nommés par des personnalités de l’UMP. Comment pourra-t-il alors garantir le respect du pluralisme, dans une période électorale particulièrement sensible, surtout si M. Michel Boyon est nommé président, ce qui reviendrait à désigner un pyromane chef des pompiers ? Ne faut-il pas réformer le système ?

M. Pierre-Christophe Baguet a regretté que le projet de loi fasse peu référence à la radio et a annoncé qu’il reprendrait sur ce sujet un amendement sénatorial, auquel le gouvernement s’est opposé.

M. Dominique Richard a demandé si le gouvernement envisageait de réexaminer la possibilité d’adapter le financement du COSIP aux nouveaux modes de distribution, comme lui-même l’avait proposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2006. Si la disposition avait été votée à l’Assemblée, elle avait ensuite été supprimée au Sénat. Par ailleurs, la création d’un canal destiné aux télévisions locales sur le réseau R1 n’aura-t-elle pas des conséquences dommageables pour la qualité du signal émis par les chaînes du groupe France Télévisions ? Enfin, pour assurer un renouvellement rapide du parc de récepteurs, ne faut-il pas aller un peu plus loin qu’une campagne de communication, en ne mettant plus sur le marché des postes de télévision analogiques après une certaine date ?

Le président Jean-Michel Dubernard a préconisé un approfondissement de la coopération européenne en matière de production audiovisuelle, notamment pour les séries.

Le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

– L’information des téléspectateurs est une question centrale car ce progrès ne doit pas rester méconnu d’une partie des citoyens. C’est pourquoi une campagne d’information nationale sera organisée. En outre, tous les postes seront étiquetés de manière visible et lisible pour que les consommateurs puissent identifier s’ils sont compatibles ou non avec le numérique. Par contre, à ce stade, le texte ne prévoit pas d’interdire la production ou la vente de postes de télévision ne permettant pas la réception en mode numérique. Pour que l’information soit complète, le gouvernement étudie la mise sur pied d’un standard téléphonique opérationnel permettant de répondre précisément aux gens, notamment aux personnes âgées, non par le biais d’un standard automatisé mais par l’entremise de personnes dûment formées. Le vecteur des mairies ou des bureaux de poste pourra également être utilisé.

– Le choix de la norme MPEG-2 pour les chaînes gratuites de la TNT, en France comme dans la majorité des pays proches, a permis à l’intégralité des citoyens d’accéder au numérique à moindre coût. L’objectif politique est que les dix-huit ou vingt chaînes supplémentaires gratuites soient elles aussi accessibles au plus grand nombre, au moindre coût, en faisant en sorte que le fonds d’aide à l’équipement puisse prendre les mesures concrètes appropriées, qui seront définies par voie réglementaire. La France a déjà obtenu l’accord de Bruxelles pour créer ce fonds de soutien à l’équipement des ménages.

– Les émissions locales de France 3 feront partie de l’offre satellitaire.

– La question des écrans noirs est très délicate car elle a des incidences sur les modes de financement des chaînes de télévision et le découpage des lots audiovisuels. Un élargissement du périmètre des droits de télévision pour y inclure systématiquement les droits mobiles se traduirait par une augmentation des coûts pour les opérateurs audiovisuels et, par conséquent, par une progression vertigineuse des droits sportifs. L’honneur du service public est de diffuser cent disciplines sportives ; le projet de loi fait référence aux événements d’importance majeure, qui doivent être accessibles à tous ; un élargissement du champ ferait automatiquement exploser les coûts.

– Il est prévu, pour la haute définition et la TMP, d’accroître la taxe acquittée par les chaînes de télévision. Une concertation est en cours pour aboutir à une réforme technologiquement neutre et équitable, afin qu’aucun pan de diffusion ne soit exempté de contribution.

– La numérotation des chaînes est un problème sensible mais, tel qu’amendé par le Sénat, le projet de loi a trouvé un bon compromis.

– Il est souhaitable que le climat du débat permette de rendre les grands enjeux intelligibles pour tous les Français. Les décisions qui ont été prises concernant la TNT, avec le choix de la norme MPEG-2, favorisent le pluralisme et donnent une très grande place au service public de l’audiovisuel. Sans elles, l’offre serait aujourd’hui très concentrée : LCP-AN et Public Sénat ne seraient pas visibles sur l’ensemble du territoire national ; France 4 n’aurait pas vu le jour ; France 5 et Arte ne seraient pas diffusées vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; France Ô ne serait pas accessible en Île-de-France. Les règles de fonctionnement sont différentes pour les chaînes publiques et les chaînes privées. Pour les premières, le gouvernement préempte et notifie ses décisions au CSA ; pour les secondes, le CSA exerce directement certaines responsabilités, dans le cadre fixé par le législateur. Le gouvernement a veillé à ce que l’audiovisuel public ait une place extraordinaire dans la nouvelle offre télévisuelle. Pour la haute définition, il en va de même puisque le gouvernement a déjà préempté un canal et en préemptera un second dans un proche avenir.

– Les chaînes locales et les télévisions – et radios – associatives contribuent au pluralisme et créent de la concurrence. France 3 n’en est d’ailleurs pas toujours ravi…

– S’agissant de la définition de l’œuvre audiovisuelle, les décisions prises par le gouvernement ont permis de multiplier l’offre de chaînes publiques ; il incombe aux équipes du service public de conserver la fièvre de la création. À la suite de l’arrêt du Conseil d’État classant l’émission Pop Star parmi les œuvres audiovisuelles, le Sénat a adopté un amendement qui avait reçu l’avis favorable du gouvernement.

– La législation en vigueur empêche les concentrations excessives. Si ce projet de loi n’était pas adopté, le groupe TF1 serait bien plus encore dans une situation de position dominante. Le pluralisme de l’information et des contenus devient chaque jour davantage une réalité grâce à la TNT. Par ailleurs, il importe également de parler de manière concrète et pragmatique des moyens financiers nécessaires à cette indépendance, que ce soit pour la presse écrite, la radio ou la télévision. Le gouvernement a d’ailleurs mis en œuvre des mesures fiscales pour renforcer le pluralisme de la presse écrite d’opinion et de la presse écrite quotidienne. Le rétrécissement des durées d’autorisation de diffusion de Canal Plus, de M6 et de TF1 contraint les pouvoirs publics à leur attribuer des chaînes compensatoires – il ne s’agit pas d’un cadeau mais bien d’une compensation. L’alternative était simple : soit le versement d’une compensation financière, soit l’attribution d’une chaîne supplémentaire. L’option retenue est cette seconde solution, assortie de conditions – que le CSA devra faire respecter –, relatives à la participation renforcée des chaînes ainsi créées à la création et à son financement. Les trois groupes TF1, M6 et Canal Plus contribuent aujourd’hui à la création cinématographique et audiovisuelle à hauteur de 485 millions d’euros ; toutes les autres chaînes n’apportent que 16 millions d’euros au fonds de soutien.

– À l’inverse de ce qui s’est passé en d’autres temps, le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale ne choisissent pas les personnalités qu’ils nomment au sein des autorités administratives indépendantes en fonction de leur appartenance politique. De même, le gouvernement a renouvelé le mandat du président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) en considération de ses compétences et non de ses sympathies partisanes – le contraire aurait été injuste. Il est insultant de qualifier de « pyromane » M. Michel Boyon, conseiller d’État qui a exercé avec une impartialité exemplaire de hautes fonctions dans l’administration française et a rédigé un rapport très utile à l’entrée en vigueur de la TNT.

– La question de la radio est très importante. Il faut trouver un équilibre subtil pour ne pas nuire à la diversité, ne pas empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs, mais également ne pas pénaliser ceux qui existent déjà. Entrent en compte les contraintes financières, la volonté de certaines radios de couvrir l’ensemble du territoire national ou encore la contribution des radios associatives à la vitalité du pays.

– Aucune chaîne de l’audiovisuel public ne doit être pénalisée par la recomposition des multiplexes. Toutefois, un ministre n’est pas un expert ; il fixe cet objectif politique mais ne saurait étudier les modalités permettant de le garantir. C’est pourquoi des tests ont été demandés, qui permettront une recomposition dans les meilleures conditions.

– Il est des discussions internationales qui n’aboutissent pas à des conclusions concrètes mais sont politiquement fécondes. Or la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est politiquement féconde mais aussi exceptionnelle par ses conséquences concrètes. Elle établit que les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres et que les États sont fondés à en assurer la protection et la promotion, ce qui valide toute la politique française de soutien culturel. La France a ainsi obtenu la validation de son système d’aide au cinéma ainsi que de son système de crédit d’impôt pour la production audiovisuelle et elle vient d’obtenir le report sine die d’un projet européen de suppression de la taxe sur la copie privée.

– La France a gagné une bataille juridique mais il reste beaucoup de progrès à accomplir en matière de coproductions : les principales sociétés européennes de l’audiovisuel public doivent prendre l’habitude de travailler ensemble pour créer de grands événements culturels. Par exemple, le cinquantenaire du Traité de Rome, le 25 mars prochain, pourrait donner lieu à une très grande émission à caractère culturel et politique. À l’occasion des Journées du patrimoine, les sociétés de l’audiovisuel public devraient prendre des initiatives communes. Arte est animée par la volonté d’étendre son périmètre de rayonnement et de fabrication, en direction notamment de l’Italie et de la Belgique, où des perspectives intéressantes se profilent. Il faut que l’Europe adopte une stratégie encore plus audacieuse. Les productions hollywoodiennes représentent 85 % des places de cinéma vendues dans le monde, 71 % dans l’Union européenne et environ 50 % en France. Le chemin à parcourir est donc encore long.

Le président Jean-Michel Dubernard, après avoir remercié le ministre de la culture et de la communication en son nom et en celui du président Patrick Ollier, a indiqué que le projet de loi serait examiné en commission le mardi 23 janvier et probablement le mardi 30 janvier en séance publique.