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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Jeudi 1er février 2007

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président

 

pages

– Examen de la proposition de loi visant à abroger le contrat de travail nouvelles embauches – n° 3645 (M. Jean Le Garrec rapporteur)

2

– Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean Le Garrec, la proposition de loi n° 3645, visant à abroger le contrat de travail nouvelles embauches.

M. Jean Le Garrec, rapporteur, a indiqué que le dépôt de la présente proposition de loi a pour objet de permettre un débat serein sur les questions d’emploi. En effet, on peut déplorer que la campagne électorale actuelle conduise à en parler de manière caricaturale ou à énoncer des contrevérités comme vient de le faire le Mouvement des entreprises de France (Medef) qui, dans son ouvrage Besoin d’air, publie des chiffres erronés.

Pourquoi alors revenir sur la question du contrat nouvelles embauches (CNE) ? La mise en œuvre du CNE est l’archétype de ce qu’il ne faut pas faire en matière d’emploi : avec les meilleures intentions du monde, c’est-à-dire favoriser l’emploi dans les PME, on a adopté une mesure totalement bâclée qui s’est révélée inefficace en matière d’emploi et contreproductive pour les entreprises, car la multiplicité des contentieux crée une véritable insécurité juridique pour les contrats en cours. Loin d’être un gage de souplesse pour les entreprises, c’est plutôt un facteur d’insécurité juridique.

En premier lieu, il est intéressant de rappeler quelques dates qui démontrent que le CNE est une mesure qui a été adoptée « à la hussarde ». Alors que le Premier ministre a présenté, lors de sa déclaration de politique générale le 8 juin 2005, son plan d’urgence pour l’emploi, un projet de loi a été examiné en urgence dès le 23 juin par les parlementaires, la loi d’habilitation permettant au gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance étant promulguée le 26 juillet et les ordonnances en question le 2 août, ce qui constitue un record inégalé de rapidité !

Cette réforme de fond du code du travail a donc été mise en œuvre après un débat législatif bâclé ; elle l’a été aussi sans aucun dialogue social préalable. C’est là la deuxième faiblesse fondamentale du CNE. Pourtant, la majorité actuelle s’est fait le chantre de la démocratie sociale. Dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, devenu la loi du 4 mai 2004, était pris « l’engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail ». Ce déni de la démocratie sociale a eu pour conséquence une opposition frontale des organisations syndicales qui a conduit à des effets collatéraux très défavorables comme on peut le constater avec les multiples contentieux en cours.

Troisième point, le CNE n’a apporté ni souplesse ni sécurité juridique aux employeurs, contrairement au principal argument de ses promoteurs. Les auteurs de l’ordonnance ont naïvement pensé que le simple fait d’allonger à deux ans la période d’essai, qualifiée dans le CNE de « période de consolidation », permettrait de licencier sans devoir donner aucune justification. C’était ignorer la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui estime que toute faculté de rompre unilatéralement un contrat doit avoir pour contrepartie l’information du cocontractant et la possibilité d’obtenir réparation si les conditions de la rupture ont été abusives. De même, le CNE a été jugé en contradiction avec les dispositions de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) selon laquelle on ne doit pas licencier un salarié sans motif et sans qu’il ait pu préalablement se défendre, sauf pendant la période d’essai, laquelle doit être « raisonnable ». Or la jurisprudence n’admet pas de période d’essai dépassant six mois pour un cadre, et c’est encore moins pour les autres emplois.

Faisant état de son expérience d’ancien cadre dirigeant, le rapporteur a souligné qu’il est tout à fait possible pour un employeur d’estimer dans un délai de trois mois, six exceptionnellement, si un nouvel embauché donne satisfaction, la prolongation de la période d’essai au-delà devant plutôt être interprétée comme une incompétence de l’employeur pour évaluer les aptitudes de son personnel…

Ces différents facteurs d’insécurité juridique ont ainsi conduit à une multiplication des contentieux : on en recensait déjà 370 mi-2006. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le CNE concerne les entreprises de moins de vingt salariés, qui sont les entreprises les moins armées pour faire face à des difficultés juridiques et aussi celles où la protection des salariés est de fait la plus faible, la présence syndicale la plus aléatoire ; c’est un fait bien connu, qui ne met nullement en cause les dirigeants des petites entreprises, ni meilleurs, ni pires que d’autres.

Ces trois défauts rédhibitoires justifieraient amplement de supprimer le CNE mais encore faut-il s’interroger sur ses effets sur les chiffres de l’emploi.

On relevait fin décembre 2006 un cumul de 775 000 intentions d’embauche en CNE, soit peut-être 700 000 contrats signés. Selon une analyse de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l’emploi (DARES), 30 % des CNE sont résiliés dans les six premiers mois. Par ailleurs, selon la même étude, 9 % pourraient correspondre à des emplois qui n’auraient pas été créés en l’absence du CNE. En combinant ces éléments, on arrive à 40 000 emplois créés. La création de 40 000 emplois n’est certes pas méprisable, mais justifie-t-elle une telle remise en cause des fondements du code du travail et une telle extension de la précarité pour les salariés ?

L’observation de la montée en charge du CNE est également riche d’enseignements : après une période d’engouement au cours du troisième trimestre 2005, le nombre de nouveaux contrats par mois s’est stabilisé pour connaître ensuite une forte décroissance à compter d’août 2006. Cette évolution s’explique par la prise de conscience progressive, par les entreprises, des risques juridiques, à tel point que la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), par exemple, a déconseillé à ses adhérents de recourir à ce type de contrat. Le bilan catastrophique de la mise en œuvre du CNE justifie son abrogation. L’intention d’aider l’emploi dans les PME était louable, mais ce n’est pas le bon instrument. L’emploi est un enjeu trop sérieux, l’échec des politiques y est trop préjudiciable à tous, pour ne pas supprimer rapidement les mesures dont l’échec est patent.

Le rapporteur a conclu son propos en insistant sur la nécessité d’aborder sérieusement les questions d’emploi et de se garder de suivre l’exemple donné par Nicolas Sarkozy qui dans une récente interview a tenu les propos suivants :  « Le travail a été délaissé par la droite et trahi par la gauche ». Le mot « délaissé » comme le mot « trahi » méritent d’être dénoncés.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Claude Gaillard a déclaré apprécier, comme toujours, l’honnêteté intellectuelle du rapporteur, qui connaît incontestablement les problèmes des entreprises, mais peut-être plutôt ceux des grandes, alors que sa propre expérience concerne plutôt le monde des petites entreprises. Il a toutefois regretté le moment choisi pour ce débat car, contrairement aux propos du rapporteur, le cadre de la campagne électorale n’est pas une bonne opportunité.

Le président Jean-Michel Dubernard ayant suggéré qu’il y avait peut-être des arrière-pensées derrière la proposition de loi, M. Claude Gaillard a indiqué qu’il y avait en tout cas des regards différents et un désaccord de fond qui a été révélé lors du débat à l’Assemblée nationale sur l’adoption du CNE.

Sur la forme, ce débat a été exemplaire : il a porté sur les questions de principe et ne s’est pas perdu dans l’examen de multiples amendements comme tant d’autres débats législatifs. Sur le fond, le désaccord porte sur la philosophie des politiques de l’emploi : faut-il privilégier la protection de l’emploi existant ou la création d’emplois nouveaux ? Il faut choisir et, sur cette question, la France est en retard sur l’Europe. Les grandes entreprises, quelle que soit la législation, sauront toujours s’organiser pour se séparer de leurs salariés quand cela est nécessaire, mais il n’en est pas de même des petites. L’objet principal du CNE est de favoriser la création d’emplois dans les entreprises de moins de vingt salariés, car la difficulté de licencier y freine l’embauche.

À ce jour, le bilan du CNE est bon. Sur l’ensemble des salariés concernés, le taux de rupture est de seulement 30 %, 15 % à l’initiative de l’employeur et 15 % à celle du salarié. Au moins 100 000 emplois ont effectivement été créés grâce à la mesure qui, de plus, ouvre la voie à de nouvelles relations sociales dans les petites entreprises, auxquelles il faut impérativement envoyer des messages positifs qui les encouragent à embaucher. Une évaluation est prévue en 2008 et il sera alors possible d’envisager des adaptations, mais il serait aberrant de casser par principe un instrument qui fonctionne. Évitons, comme c’est le risque en campagne électorale, de retomber dans un débat dogme contre dogme.

Le président Jean-Michel Dubernard a remercié M. Claude Gaillard pour ses propos équilibrés, ajoutant que la création de 100 000 à 150 000 emplois, c’est considérable. Il convient effectivement de rechercher et d’expérimenter des solutions nouvelles.

Faisant état de son passé d’entrepreneur, M. Jacques Kossowski a rappelé que les chefs d’entreprise n’embauchent qu’en fonction de l’activité de leur entreprise et que, s’ils licencient, ce n’est pas par plaisir : c’est qu’ils ne peuvent faire autrement. Le CNE est une bonne mesure, car il est impératif d’accorder aux petites entreprises plus de flexibilité dans la gestion de l’emploi. Bien sûr il faut protéger les salariés mais pas les surprotéger, car cela nuit à la création d’emplois. Par ailleurs, le moment de la campagne électorale est mal choisi pour remettre en cause un dispositif qui, de surcroît, devra être évalué en 2008. C’est une expérience qu’il faudra revoir si elle n’est pas concluante, mais il faut éviter les batailles politiques telle que celle conduite sur le contrat première embauche (CPE), alors qu’auparavant le CNE s’était mis en place dans de bonnes conditions.

Mme Valérie Pecresse s’est félicitée de l’examen de la proposition de loi car c’est l’occasion de clarifier les positions et de réaffirmer les convictions des uns et des autres. Le CNE est un dispositif nouveau qui a semble-t-il permis de débloquer des créations d’emplois dans les très petites entreprises auxquelles il est spécifiquement adapté. Mais il doit leur rester réservé, il n’est pas question du point de vue de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) de l’étendre au-delà du cadre actuel, a fortiori de le généraliser à l’ensemble des salariés.

Si un contrat de travail unique doit être envisagé pour remédier à la précarisation des salariés en contrat à durée déterminée, ce sera après négociation des partenaires sociaux. L’objectif est d’apporter plus de flexibilité pour l’entreprise, plus de sécurité pour le salarié, de simplifier les règles, de mettre en place un renforcement progressif des droits en fonction de l’ancienneté, mais en aucun cas de généraliser une période de consolidation longue. Le rapport du groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus « Vers une nouvelle croissance pour la France » peut être une source d’inspiration.

M. Pierre Morange a déclaré que, sur la forme, il est reproché au CNE de ne pas avoir fait l’objet de négociations entre les partenaires sociaux. Mais il faut rappeler qu’en matière de conditions de travail ce type de négociation a toujours été très mouvementé et plutôt exceptionnel. La mise en place de la réduction du temps de travail, en particulier, ne s’est pas effectuée dans le respect des accords des partenaires sociaux, ni dans la simplicité, avec l’instauration de plusieurs SMIC ! S’agissant du fond, la création de plus de 100 000 emplois est évidemment un acquis. Les relations de travail sont un mouvement permanent de construction et de destruction, l’important étant que le solde soit positif. Il faut se garder de formuler des jugements hâtifs. Il n’est pas question aujourd’hui de revenir sur le CNE, dont l’évaluation est prévue en 2008 : c’est à cette échéance que le bilan devra être fait. On peut rappeler à cet égard les critiques à l’encontre de la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l’organisation du temps de travail dans l’entreprise, fondée sur le principe « travailler plus pour gagner plus », alors qu’aujourd’hui deux millions de salariés sont concernés par son application en matière de compte épargne-temps.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a fourni les éléments d’information suivants :

– Si Schumpeter a défendu la « destruction créatrice », concept que M. Pierre Morange a invoqué en défense du contrat nouvelles embauches, beaucoup de penseurs et d’économistes réfléchissent aujourd’hui à l’inversion de ce concept pour défendre l’idée de la création destructrice.

– Les chefs d’entreprise doivent être respectés. Effectivement, ils n’embauchent pas quand l’entreprise n’a pas de besoins. Effectivement, les besoins des entreprises peuvent évoluer. Mais le contrat à durée déterminée permet aux chefs d’entreprises d’adapter les effectifs des entreprises à l’évolution des besoins. Le contrat nouvelles embauches a introduit un élément qui n’a pas de sens : la période d’essai de deux ans. Une période si longue ne peut pas constituer un essai. De toute évidence, on cherche autre chose au travers de cette période.

– Mme Valérie Pecresse a utilement insisté sur le fait qu’il n’était pas question de reprendre le modèle du CNE pour élaborer le contrat unique de travail. Mais si cette idée a été évoquée et si Mme Valérie Pecresse est ainsi intervenue, c’est qu’il y a eu des tentations du côté de l’UMP et du candidat Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs un vieux débat engagé avec le patronat ; on peut remonter à ce sujet à des propositions de M. Yvon Gattaz quand il dirigeait le patronat : la mise en place d’emplois nouveaux « à contrainte allégée », les ENCA, devait permettre 350 000 créations de postes.

Mme Valérie Pecresse a indiqué qu’il y avait eu, sur ce sujet, une utilisation ambiguë des propos de M. Nicolas Sarkozy par le Parti socialiste.

Le rapporteur a ensuite donné les éléments d’informations supplémentaires suivants :

– M. Claude Gaillard a abordé le cœur du problème. La question de la définition de l’équilibre entre la création et la destruction, entre une juste protection et la nécessaire adaptation des entreprises est un vrai débat. On peut avoir des divergences sur ce sujet mais il ne faut pas se camoufler derrière une période d’essai de deux ans qui ne répond pas à la question soulevée.

– On dispose maintenant d’éléments démontrant que l’effet du CNE sera temporaire et ira en s’atténuant. Ce contrat passe en fait à côté du vrai débat soulevé par M. Claude Gaillard, qui est particulièrement crucial pour les petites et moyennes entreprises. Il serait plus utile de traiter des marges arrières et des délais de paiement supportés par les PME.

Le président Jean-Michel Dubernard a estimé que la courbe présentée par le rapporteur a du sens : le contrat nouvelles embauches répond à un besoin des entreprises pendant un certain temps et ensuite il faut trouver d’autres formules, les réponses au problème de l’emploi étant hétérogènes.

Puis, il a proposé à la commission de ne pas engager la discussion des articles, de suspendre ses travaux et de ne pas présenter de conclusions sur le texte de la proposition, cette position n’empêchant ni la discussion en séance publique, ni la publication d’un rapport écrit incluant le compte rendu des travaux de la commission au cours desquels chacun a eu tout loisir de s’exprimer.

Suivant la proposition du président, la commission a décidé de suspendre l’examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

 M. Jean-Michel Dubernard, rapporteur d’information sur la mise en œuvre de l’application de l’article 86, alinéa 8, du Règlement, relatif à l’application des lois, par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

 M. Jean Le Garrec, rapporteur sur la proposition de loi visant à abroger le contrat de travail nouvelles embauches – n° 3645.