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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mardi 3 octobre 2006

Séance de 17h30

Compte rendu n° 1

Présidence de M. Edouard Balladur
Président

 

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– Audition de Son Exc. Mme Sylvie Fadlallah, ambassadeur de la République libanaise


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Audition de Son Exc. Mme Sylvie Fadlallah, ambassadeur de la République libanaise

Le Président Edouard Balladur a remercié Mme Sylvie Fadlallah, ambassadeur de la République libanaise en France, d’avoir répondu à l’invitation de la Commission. Il l’a priée de décrire la situation actuelle du Liban, celle de l’État libanais et des forces présentes au Liban, ainsi que les problèmes de sécurité qui s’y posent, et de donner son sentiment sur la façon dont l’avenir pourrait s’organiser de façon que le Liban connaisse une paix durable.

Mme Sylvie Fadlallah, ambassadeur de la République libanaise en France, a remercié la Commission de lui donner l’occasion d’évoquer la situation de son pays, et a exprimé sa gratitude à l’ensemble de la représentation nationale et au peuple français, qui ont manifesté leur indéfectible solidarité à l’égard du Liban.

Dès les premiers jours de l’agression israélienne, la France a réclamé, par la voix de son Président, l’arrêt immédiat des opérations de guerre. La France aura été la conscience de la communauté internationale, manifestant sa solidarité avec le Liban face à l’ampleur du drame et des bombardements dans une région pourtant familière de la violence.

Elle a souligné le rôle actif que la France a très vite joué au Conseil de sécurité, prenant sur elle de proposer un projet de résolution afin de prévoir une sortie de crise rapide reposant sur la cessation des hostilités et sur le renforcement des forces internationales dans le Sud libanais. En œuvrant pour une résolution consensuelle au Conseil de sécurité, elle aura été attentive au point de vue du Liban, exprimé de manière unanime au sein du gouvernement libanais et dont le Président du Conseil des Ministres, M. Fouad Siniora, a rendu compte en proclamant les sept points de règlement de la crise libanaise.

À la cessation des hostilités, la France a tenu son engagement, a accru sa participation à la FINUL et en a renforcé le dispositif et l’efficacité, après avoir obtenu des Nations unies les précisions voulues concernant la nature des opérations et les règles d’engagement de ses forces. À aucun moment elle n’a oublié l’aspect humanitaire et la nécessité de porter secours à une population en détresse

De tout cela le Liban lui est infiniment reconnaissant, et les Libanais ne l’oublieront jamais.

Mme Sylvie Fadlallah a déclaré que la crise de l’été dernier avait été l’une des épreuves les plus dangereuses que le Liban ait eu à connaître dans son histoire récente. Rien ne la laissait présager. Le Liban avait réussi, durant les deux dernières années, à traverser des moments dramatiques, notamment l’odieux assassinat du Président du conseil des ministres Rafic Hariri, le retrait des forces syriennes, l’organisation des élections législatives. Le pays a amorcé une reprise économique vigoureuse avec un taux de croissance en hausse et s’apprêtait à accueillir de nombreux touristes.

La guerre a commencé le 12 juillet 2006. Elle a stoppé net toute l’activité économique et causé des destructions massives aux infrastructures. Elle a causé des souffrances indicibles aux populations civiles, surtout celles du Sud. Bientôt tout le Liban s’est trouvé exposé aux attaques de l’armée israélienne. En un mois, le bilan a été très lourd : près de 1 200 Libanais, dont un tiers d’enfants, ont été tués et plus de 4 000 ont été blessés. Des populations entières ont été jetées sur les routes : un million de personnes ont dû fuir et abandonner leurs maisons, villes et villages, et vivre en réfugiés dans leur propre pays. L’acheminement des secours et de l’aide humanitaire aux populations sinistrées a été d’autant plus difficile que des bombardement meurtriers ont détruit ponts, routes, autoroutes, hôpitaux, écoles, usines, etc.

À ce malheur est venue s’ajouter une catastrophe écologique sans précédent en Méditerranée : une marée noire a pollué les côtes libanaises à la suite du bombardement délibéré, par Israël, des réservoirs de fuel de la centrale électrique de Jieh, au sud de Saïda. Les dommages causés à l’environnement sont incalculables, car les atteintes à l’écosystème, à la flore et à la faune, ne sont pas moins importantes que les conséquences sur le plan économique.

Le coût exact des destructions matérielles est difficile à évaluer, mais l’étendue des dégâts est immense. On avance le chiffre de 12 milliards d’euros, en dommages et en manque à gagner – montant équivalent à celui de la reconstruction au sortir de la guerre de 1990-1991.

Quoi qu’il en soit, l’importance des destructions, leur caractère massif, les coups portés aux infrastructures et à l’industrie témoignent du caractère punitif de l’expédition qu’Israël a lancée contre le Liban. Le blocus aérien, terrestre et maritime, imposé par Israël dès le 13 juillet et qui n’a été levé que le 6 septembre, a aggravé la situation humanitaire et économique.

L’agression contre le Liban et l’usage aveugle de la force sont soulignés par la disproportion des moyens déployés par rapport aux objectifs annoncés par Israël qui étaient d’abord de libérer les deux soldats israéliens enlevés par le Hezbollah. Cette agression et le sursaut patriotique auquel elle a donné naissance ont soudé le peuple libanais durant la guerre et assuré une solidarité nationale face à l’invasion israélienne. Le soutien populaire dont aura bénéficié le gouvernement de M. Fouad Siniora et la solidarité ministérielle de ses membres témoignent que, face à l’adversité, les Libanais savent se montrer unis.

Sur la base d’un programme en sept points, élaboré par le président du conseil des ministres, le gouvernement s’est assuré l’appui de toutes les formations qui le composent. Cette unité nationale a renforcé sa position lors des négociations avec la communauté internationale. Elle a également permis que, de manière consensuelle, l’armée libanaise se déploie sur la frontière internationale, où elle n’était plus présente depuis trente ans. Cela constitue donc une évolution majeure dans le processus de restauration de la souveraineté libanaise et de l’extension de l’autorité du gouvernement sur l’ensemble du territoire national.

Le renforcement d’un contrôle de plus en plus effectif par l’armée libanaise de la région du Sud sera rendu possible grâce à la dynamique nouvelle imposée par le mandat de la FINUL, qui a pour mission d’accompagner l’armée nationale dans son action, de réaffirmer l’autorité de l’État et de garantir l’absence de tout élément armé, hormis l’armée libanaise et les soldats de la FINUL, dans la zone d’expulsion prévue par la résolution 1701.

En décidant de confirmer et de préciser la mission de la FINUL, en en accroissant les effectifs, et en acceptant pour elles des engagements nouveaux, le Conseil de sécurité a entendu donner au Liban les moyens de s’acquitter de ses tâches sécuritaires dans le Sud du pays. En bannissant toute entrée d’armes sur le territoire, il a fait du contrôle et de la sécurité des frontières libanaises une dimension essentielle de la stabilisation du pays.

La FINUL renforcée est aujourd’hui un instrument puissant pour le maintien de la paix au Liban. La France y joue un rôle primordial, à la fois par sa contribution personnelle et par le commandement qu’elle assure actuellement de la force internationale. Elle aura été de plus, par son action diplomatique, une force de persuasion et d’entraînement pour les pays européens contributeurs de troupes, auxquelles sont venus s’ajouter des contingents arabes et asiatiques.

Ainsi un temps nouveau s’ouvre-t-il pour le Liban et pour les Libanais, un temps qui est porteur d’espoir, mais aussi de craintes et de risques. En effet, si la stabilisation de la paix est une bonne nouvelle, si la possibilité de conforter la souveraineté et l’indépendance du Liban est à nouveau à portée de main, si la possibilité pour ce dernier de renouer avec la croissance et d’entreprendre sa reconstruction constitue un espoir réel, il n’en reste pas moins que l’instabilité demeure très grande au Proche-Orient. Sans une solution d’ensemble qui redonnerait vigueur au processus de paix proche oriental, sans une reprise des discussions entre Palestiniens et Israéliens sur les perspectives d’évolution concertée vers la création d’un État palestinien, aucune stabilisation définitive n’est possible dans la région.

Seul un règlement régional durable est à même d’assurer la stabilisation définitive du Liban. À cet égard, la France a souligné, lors des discussions du projet de résolution 1701, la nécessité de s’orienter résolument vers un règlement politique d’ensemble sur la région si on veut donner à la FINUL toutes ses chances de succès.

Le Liban a toujours plaidé pour une paix juste, durable et globale au Proche Orient. La nécessité de stabiliser la situation au Liban devrait inciter la France et les pays européens à relancer le processus de paix.

En s’interposant dans le sud du Liban, en confirmant le retrait israélien et en créant une zone d’exclusion, la FINUL jette les fondements d’une véritable politique de sécurité régionale. Et sans une avancée palpable et perceptible sur les autres dossiers délicats de la négociation moyen-orientale, aucune solution pérenne ne pourra voir le jour.

Des efforts sont entrepris pour relancer cette négociation d’ensemble que le Liban appelle de ses vœux, lui qui ne cesse de subir depuis plus de trente ans maintenant les conséquences des guerres, des impasses et de la radicalisation des esprits qui affectent cette région du monde.

Le Liban a applaudi aux propositions faites par la France en faveur de la tenue d’une conférence internationale sur le Proche-Orient. Si une paix globale s’installait, il pourrait à nouveau retrouver son rayonnement comme modèle politique, démocratique, pluraliste et de coexistence entre communautés religieuses au Proche-Orient. Mais actuellement, trop d’éléments sont en jeu, trop d’acteurs sont impliqués, trop de dossiers régionaux ont leur prolongement au Liban pour qu’à lui seul ce pays puisse résoudre les questions qui lui sont posées.

Quoi qu’il en soit, le Liban fera face aux tâches qui lui incombent et assumera pleinement les responsabilités qui lui reviennent dans la mise en place de la résolution 1701.

D’ores et déjà, le Liban a dépêché 15 000 soldats dans le Sud. Ces forces ont pris leurs positions, établi leurs barrages et patrouillent jusqu’à la frontière internationale, bénéficiant du soutien massif et enthousiaste de la population.

Le Liban a d’autre part facilité et accompagné l’installation des contingents de l’ONU qui rejoignent progressivement les forces déjà en place de la FINUL. Aux côtés de la FINUL, il a entrepris aussi d’établir la zone d’exclusion prévue par la résolution 1701. D’ores et déjà, l’armée libanaise fait respecter scrupuleusement toutes les mesures relatives au fonctionnement de cette zone et entend mettre en place toutes les conditions nécessaires à l’exercice de l’autorité de l’État dans ce périmètre. De même, avec l’aide de la FINUL, le gouvernement a la ferme intention de faire respecter à ses frontières l’interdiction d’introduire des armes et du matériel militaire sur le territoire libanais, sauf celui destiné à l’armée libanaise et aux forces de la FINUL.

La stratégie du gouvernement libanais est de parvenir à faire régner la sécurité sur l’ensemble du territoire libanais en assurant le retrait d’Israël et en favorisant, sur le plan intérieur, l’entente nationale. Le consensus interlibanais est le seul garant d’une vie politique nationale apaisée. Cette voie étroite est la seule applicable. Dans cette perspective, le retrait des forces israéliennes des fermes de Chebaa doit être abordé et résolu. Cette question est fondamentale pour assurer l’intégrité territoriale du Liban et consolider son unité nationale.

Mme Sylvie Fadlallah a exprimé le souhait que la France puisse aider son pays à assurer le retrait des forces d’occupation israélienne, qui figure d’ailleurs dans les questions à résoudre dans les résolutions onusiennes sur le Liban. Elle considère enfin que la libération des prisonniers est une étape nécessaire dans l’application complète de la résolution 1701.

En mettant à exécution toutes les dispositions relatives à cette résolution, le Liban entend non seulement respecter ses engagements internationaux, mais aussi ôter les prétextes à ceux qui seraient tentés d’arguer de la persistance de l’occupation et de l’insécurité pour conserver leurs armes.

Mais, si le Liban applique de bonne foi ses obligations, Israël ne remplit pas les siennes ou recourt à des mesures dilatoires pour retarder l’exécution de ses engagements. Ainsi Israël n’a-t-il levé que très tardivement et après de multiples pressions le blocus aérien, terrestre et maritime qu’il imposait au Liban. De la même manière, il a repoussé à maintes reprises la date du retrait de ses troupes du Liban. Ce retrait, bien qu’avancé, n’est toujours pas achevé, le village de Rajar étant encore occupé. En outre, contrairement aux engagements pris, Israël continue de bafouer la souveraineté libanaise, notamment en violant régulièrement l’espace aérien libanais. Enfin, il n’a pas encore remis le plan des mines disséminées dans la région.

Le Liban n’a cessé de dénoncer les multiples violations des droits de l’homme et du droit humanitaire qui ont été commises par les forces israéliennes. Israël a fait usage, contre les civils libanais, de bombes à sous-munitions, dont l’utilisation, en zone de peuplement civil, est prohibée par le droit international. Les habitants des régions bombardées sont exposées à l’effet mortel de milliers de mines non éclatées qui sont projetées par ce type d’armes et qui n’exposent que longtemps après leur lancement. Ces bombes font tous les jours de nouvelles victimes parmi la population. C’est pourquoi le Liban demande qu’Israël cesse ses violations de la souveraineté libanaise et qu’il soit procédé, le plus rapidement possible, au règlement des questions restées pendantes de la résolution 1701.

Aujourd’hui, le Liban doit faire face dans l’urgence à de multiples tâches aussi impérieuses les unes que les autres.

Tout d’abord, il faut assurer aux populations démunies et déplacées une aide importante pour qu’elles puissent subvenir à leurs besoins et affronter les rigueurs de l’hiver. À Stockholm, le Liban a pu obtenir une aide d’urgence substantielle de plus de 900 milliards de dollars, à laquelle la France a généreusement contribué.

Il faudra ensuite envisager très vite la tenue d’une conférence de soutien au Liban qui réunira, aux côtés des pays bailleurs de fonds, les institutions monétaires, financières, internationales et régionales, afin de poursuivre l’effort de reconstruction et de réhabilitation des infrastructures économiques et sociales du Liban et de l’aider à relancer son économie.

Une fois encore, le Liban compte sur l’aide de la France en ce domaine. Par le passé, elle a accompagné et appuyé tous nos efforts en ce sens, et il ne fait pas de doute qu’elle continuera à le faire.

Enfin et surtout, le Liban devrait conforter encore plus son consensus interne. Toutes les parties libanaises, y compris le Hezbollah, dont deux ministres siègent au gouvernement, ont exprimé leur accord avec la résolution 1701 et en ont souhaité l’application. Dans cette perspective, et quels que soient les débats surgis dès la cessation des hostilités, l’essentiel est de renforcer le climat de confiance et d’entente interne. Cela permettra une application consensuelle, aussi bien des résolutions internationales que des engagements pris en matière d’entente politique à l’occasion des accords de Taëf de1989 qui ont scellé le « vouloir-vivre en commun » des Libanais.

Telle est la situation qui prévaut au Liban au sortir d’une guerre meurtrière, alors que le dispositif de la FINUL se déploie jour après jour. Que l’arrêt des hostilités et le retour au calme s’achève et perdure et que le tribut payé par le Liban et les sacrifices qu’il a endurés ouvrent la voie menant à une paix régionale réelle : là réside le véritable enjeu de la mission de la FINUL.

Mme Sylvie Fadlallah a conclu en disant qu’il fallait saisir la chance offerte aujourd’hui par le renforcement de la présence ces forces internationales pour passer du stade de l’interposition à celui d’une dynamique de paix au Proche-Orient.

Le Président Edouard Balladur a remercié Mme Sylvie Fadlallah et ouvert la discussion.

M. Roland Blum a exprimé son accord avec le propos selon lequel la crise libanaise ne peut être résolue de façon durable que dans un cadre régional en liaison avec le problème israélo-palestinien, mais il a observé que la crise récente avait pour origine le Hezbollah et s’est inquiété des dernières déclarations de M. Hassan Nasrallah, qui semblent aller dans le sens de la violence. Il s’est donc demandé comment le gouvernement libanais pourrait obtenir le désarmement du Hezbollah.

M. Jacques Myard s’est dit profondément choqué par la brutalité des attaques de l’aviation israélienne sur le Liban, notamment sur ses populations civiles, et s’est enquis du type de bombes employé à Beyrouth.

Il a considéré que la question du Hezbollah demeurait entière. Il s’est interrogé sur la position du Liban qui entend souligner le rôle éminent de la résolution 1701, alors que, à la demande du gouvernement libanais, la FINUL a été placée sous le chapitre « 6 amélioré » et non pas sous le chapitre 7 de la Charte autorisant le recours à la force. Relevant que Mme Sylvie Fadlallah avait insisté sur la nécessité de la cohésion interne, il s’est demandé si cet objectif n’était pas contradictoire avec celui visant à désarmer le Hezbollah.

M. Jean-Claude Guibal, après avoir réaffirmé son amitié pour le Liban et le peuple libanais, a demandé à Mme Sylvie Fadlallah si le Hezbollah constituait, de son point de vue, une véritable menace pour Israël et si l’intervention israélienne était, selon elle, programmée.

Est-il exact, par ailleurs, qu’un accord allait être signé entre le général Michel Aoun et le Hezbollah ? Enfin, les autres composantes du peuple libanais considèrent-elles le Hezbollah comme responsable de ce qui s’est passé, ou sont-elles solidaires avec lui ?

M. Didier Julia a dit ne pas partager certaines des analyses qui ont été faites. Il a déclaré qu’Israël occupait depuis vingt-deux ans des territoires libanais et enlevait chaque semaine des ressortissants libanais, et que par conséquent il était difficile d’imaginer qu’une guerre de cette ampleur ait été déclenchée simplement parce que deux soldats avaient été capturés.

Il a déclaré connaître l’un des deux ministres du Hezbollah membres du gouvernement libanais, par ailleurs professeur de philosophie, et a considéré que la paix avec le Hezbollah ne pourra se faire que si ce dernier est davantage intégré dans le processus politique, et qu’il ne se trouve pas contraint de rechercher une représentation « dans la rue », sous des formes plus sauvages. Il s’est dit intéressé de savoir ce que pense Mme Sylvie Fadlallah d’une intégration renforcée du Hezbollah, qui serait ainsi détourné de sa vocation guerrière. Il est exact que le général Michel Aoun s’est entretenu avec le Hezbollah, mais c’est une initiative qui lui est propre, et qu’il faut rapprocher de son espoir de devenir président de la République libanaise.

Le Président Edouard Balladur a jugé que M. Didier Julia faisait preuve d’un singulier optimisme en considérant que la reconnaissance politique d’un mouvement entraînait automatiquement sa renonciation à la violence.

Mme Sylvie Fadlallah a répondu que le gouvernement libanais souhaitait résoudre la question des armes de manière consensuelle, par le dialogue. Le Hezbollah est né en partie de l’occupation israélienne de 1982, et fait maintenant partie du tissu social libanais. Il est intégré dans le processus politique, même si c’est de façon encore insuffisante. Rien n’empêche qu’à l’avenir, par les moyens démocratiques, il le soit davantage en obtenant plus de voix. Il a déjà, cependant, deux ministres au gouvernement.

La politique du gouvernement libanais est d’intégrer le Hezbollah dans un processus politique, mais aussi d’écarter les raisons qui justifient que celui-ci continue de détenir des armes : l’occupation de certaines parcelles du territoire national, la violation de l’espace aérien libanais, la détention par Israël de prisonniers libanais, la non-communication des plans de mines.

Les résolutions des Nations unies sont demeurées inappliquées pendant plus de vingt ans, et le retrait israélien, en 2000, ne s’est fait que sous la pression et la résistance du Hezbollah. Aujourd’hui, Israël s’est retiré et le gouvernement libanais souhaite régler les problèmes bilatéraux par la négociation. Une fois ces problèmes réglés, le Hezbollah n’aura plus de raison légitime pour prétendre détenir des armes afin de libérer le territoire.

M. Richard Cazenave a indiqué qu’il était présent à Beyrouth lors de la négociation d’une phase importante du dialogue national. La question portait sur le fait que les fermes de Chebaa, occupées par Israël, sont en territoire libanais et non syrien, et l’on peut se demander ce qui s’oppose à ce que les Nations unies le confirment. Il semble que la Syrie reconnaisse ces fermes comme libanaises, mais refuse de le faire par écrit. Or si la question de l’appartenance de ces fermes était réglée, le Hezbollah n’aurait plus aucun prétexte pour conserver des armes, puisque le Liban aurait récupéré le contrôle de la totalité du territoire national. Il est étrange qu’aucune solution n’ait encore été trouvée.

Le Président Edouard Balladur a observé que, quand bien même on priverait le Hezbollah de tout motif de détenir des armes, il n’en continuera pas moins s’il le veut. Puis il a demandé à Mme Sylvie Fadlallah si elle estimait importante, voire indispensable, la participation de la Syrie à des discussions débouchant sur un règlement de paix et a précisé qu’il souhaitait en tout cas savoir si le Liban jugeait indispensable la participation de la Syrie au processus de paix et, si oui, dans quelles conditions.

Mme Sylvie Fadlallah a souligné que tous les Libanais souhaitaient entretenir les meilleures relations possibles avec la Syrie, pays avec lequel ils ont des liens économiques, culturels et familiaux. Pour autant, ils souhaitaient que ces relations s’inscrivent dans le cadre du respect de la souveraineté et de l’indépendance du Liban.

Le dialogue entre les formations politiques libanaises a permis de dégager un consensus sur la nécessité d’avoir des relations équilibrées d’État à État entre la Syrie et le Liban. La Syrie doit, à cet effet, prendre les mesures qui lui sont demandées par les Libanais et par la communauté internationale, en vue de la délimitation des frontières ainsi que de la création de missions et de relations diplomatiques entre les deux pays. Ce faisant, la Syrie ferait la preuve de sa disposition à jouer un rôle de stabilisation dans le pays, voire dans la région. Il ne faut en effet pas oublier qu’elle a un contentieux important avec Israël du fait de l’occupation du Golan.

Aucune négociation régionale ne peut se faire sans la Syrie, et il ne peut y avoir de paix durable sans un retrait israélien du Golan, retrait d’ailleurs exigé par les Nations unies.

S’agissant des fermes de Chebaa, le président du conseil des ministres du Liban a demandé, parmi les sept points qu’il a énoncés à la conférence de Rome, le retrait des Israéliens. En attendant qu’il soit statué définitivement sur la question des frontières, il faudrait que ces fermes soient placées sous le contrôle des Nations unies. Cela permettrait une sortie rapide de la crise, sans pour autant légitimer, aux yeux de la population, la détention d’armes par le Hezbollah.

M. Paul Quilès a observé que Mme Sylvie Fadlallah avait fait référence à la résolution 1701, selon laquelle Israël et le Liban doivent respecter et appliquer intégralement les dispositions des résolutions 1559 et 1680 et les dispositions pertinentes des accords de Taëf exigeant le désarmement des troupes armées au Liban afin que, conformément aux décisions du gouvernement libanais du 27 juillet 2006, seul l’État libanais soit autorisé à détenir des armes et à exercer son autorité au Liban. En même temps, certains responsables militaires libanais disent qu’il n’est pas question que le Hezbollah désarme, au motif que l’armée libanaise est dans l’incapacité d’assurer la défense du territoire. Comment concilier ces deux positions ?

Mme Sylvie Fadlallah a répondu que l’Etat libanais a eu, pendant longtemps, une politique de faiblesse, et était incapable de défendre ses frontières. Lors du dialogue national, le problème a été discuté entre Libanais, et la discussion devait se poursuivre sur la manière de renforcer l’État, de lui donner les moyens d’assurer la sécurité aux frontières et de résoudre le problème du désarmement du Hezbollah – soit par remise à l’armée régulière, soit par intégration sous une forme ou une autre dans celle-ci.

Mais la solution passe d’abord par le renforcement de l’État libanais, et par l’attribution à l’armée libanaise des moyens de se défendre. C’est bien ce qui se passe actuellement puisque celle-ci, appuyée par la FINUL, est en train de se rééquiper en matériel et d’améliorer la formation de ses hommes.

Le Président Edouard Balladur a estimé illusoire de faire la paix dans la région sans que la Syrie y soit partie prenante, quel que soit le jugement qu’on porte par ailleurs sur tel ou tel de ses comportements. La formule du « Quartet » a quelque peu trouvé ses limites, et il faudrait étendre le cadre du dialogue à tous les pays voisins d’Israël, de la Palestine et du Liban pour régler le problème dans son ensemble.

Il a remercié Mme Sylvie Fadlallah pour ses analyses intéressantes et l’a assurée de la sympathie active de la France à l’égard du Liban et de son désir de contribuer à sa sécurité, notamment en participant à la FINUL renforcée. La reconstruction du Liban était en bonne voie lorsque la guerre a éclaté ; il faudra hélas reprendre le métier, mais l’on peut faire confiance au dynamisme, au courage et à l’esprit d’invention du peuple libanais. Pour que cette reconstruction soit possible, il faut au préalable que la sécurité soit assurée. Celle-ci dépend de la communauté internationale, mais aussi de la communauté libanaise, ou plutôt des communautés libanaises et de leur capacité à nouer entre elles des liens durables et à se concevoir les unes et les autres comme appartenant au même pays, et liées les unes aux autres par des relations de citoyenneté et d’intérêt commun, des liens de nation.

Mme Sylvie Fadlallah a remercié le Président Edouard Balladur et les membres de la Commission, ainsi que tous les députés, de toutes les tendances politiques, qui lui ont témoigné leur soutien pendant les évènements de l’été. Elle a remercié la France de son engagement politique, diplomatique, militaire et humanitaire en faveur du Liban.

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