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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 6 décembre 2006

Séance de 10 h

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Edouard Balladur,
Président

 

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– Présentation, par M. Hervé de Charette, des travaux du groupe de suivi des négociations entre l’Union européenne et la Turquie

  


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Présentation des travaux du groupe de suivi des négociations entre l’Union européenne et la Turquie

Rappelant que le groupe présidé par M. Hervé de Charette avait pour objet de suivre le déroulement des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, le Président Edouard Balladur a jugé cette nouvelle méthode de travail très prometteuse parce qu’elle donne au Parlement un rôle plus effectif dans le contrôle de la politique extérieure de la France. Il a jugé que le rapport du groupe de suivi constituerait un élément important dans le débat qui précédera le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2006.

Constitué à l’initiative du Président de la Commission des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, Président du groupe de suivi, a rappelé que ce groupe était composé, outre son Président, de sept autres membres qui représentent différentes sensibilités politiques : M. Jean-Louis Bianco, M. Roland Blum, Mme Geneviève Colot, M. Guy Lengagne, M. Christian Philip, M. Paul Quilès et M. Rudy Salles.

Il a paru utile aux membres du groupe de suivi de procéder à un premier bilan des négociations avec la Turquie à la fin de l’année 2006 avant que le Conseil européen se réunisse à Bruxelles. Les travaux du groupe se poursuivront cependant début 2007, avant que s’ouvre une nouvelle législature.

M. Hervé de Charette a souligné que la création de ce groupe constituait une novation extrêmement intéressante dans les méthodes de travail de l’Assemblée nationale. L’absence d’un tel dispositif de suivi lors des négociations engagées avec les dix nouveaux Etats membres ainsi qu’avec la Bulgarie et la Roumanie a été préjudiciable à la qualité du contrôle auquel l’Assemblée nationale a pu procéder avant les précédents élargissements. Grâce à cet outil nouveau, les parlementaires se trouvent informés de manière constante et directe de l’état des négociations.

A cet égard, il faut insister sur la qualité du dialogue qui s’est instauré avec le Gouvernement. Les contacts fréquents avec les négociateurs français, les deux réunions tenues avec le Directeur de la coopération européenne au ministère des Affaires étrangères, M. Gilles Briatta, ainsi qu’avec des membres du cabinet des ministres concernés – M. Philippe Douste-Blazy et Mme Catherine Colonna – ont permis de suivre les négociations dans leur détail. Le dialogue avec la Turquie s’est avéré, quant à lui, plus compliqué, en raison notamment de la question de la répression de la négation du génocide arménien qui a fait l’objet de débats à l’Assemblée nationale ; pour ce motif, l’ambassadeur de Turquie en France a dû se rendre, pour consultation, dans son pays au moment même où il devait être entendu par le groupe de suivi. Néanmoins, les membres du groupe ont pu rencontrer le Ministre des Affaires étrangères turc, M. Abdullah Gül, lors d’un déjeuner qui s’est tenu à l’ambassade de Turquie en septembre 2006.

Le groupe de suivi s’est intéressé plus particulièrement à certains aspects des négociations comme la question du respect des minorités, à l’occasion notamment de l’audition de l’historien et politiste Samim Akgönül, de l’Université de Strasbourg. La question chypriote a également été examinée lors de la réunion à l’occasion de laquelle l’ambassadeur de la République de Chypre en France a été entendu.

Quel bilan peut-on tirer des négociations engagées depuis un an ? La méthode est la même que celle qui a été suivie lors du cinquième élargissement. Toutefois l’état d’esprit dans lequel s’opère cette négociation est un peu différent de ce que l’on a connu précédemment. Trente-cinq chapitres doivent être discutés selon une procédure complexe qui passe d’abord par une phase de « criblage », c’est-à-dire l’examen par la Commission européenne, chapitre par chapitre, de la situation dans laquelle la Turquie se trouve au regard de l’acquis communautaire. L’utilisation du terme « négociations » est d’ailleurs impropre dans la mesure où le candidat doit adopter cet acquis tel qu’il existe et sans le remettre en cause. C’est au pays qui entend adhérer à l’Union qu’il appartient de s’adapter et non l’inverse. Quelques éléments de négociation existent néanmoins. Ils portent sur certains délais qui pourraient être accordés à la Turquie pour appliquer l’acquis communautaire ou certaines clauses transitoires justifiées par des circonstances particulières. Après la phase de « criblage », doivent être adoptés par les Etats membres à l’unanimité : une position commune de négociation, les critères d’ouverture puis de clôture de chaque chapitre. Ce dispositif de négociation est complexe et l’on pourrait, d’ailleurs, le raffiner à volonté. Il faut souligner que les Etats membres de l’Union contrôlent totalement le processus puisque l’unanimité est requise à chacune de ses étapes.

A ce jour, seul le chapitre 26 consacré à la science et à la recherche a été ouvert et provisoirement clos. C’est celui pour lequel le moins de difficultés se posaient. En revanche, pour le chapitre 25 portant sur l’éducation et la culture, on a pu constater des divergences de vues, notamment entre la France et la Commission européenne. Cette dernière estimait que ce chapitre pouvait être ouvert et fermé dans les meilleurs délais car l’acquis communautaire est très limité dans les domaines éducatif et culturel. La France ne partageait pas ce point de vue, considérant qu’à l’occasion des négociations sur ce chapitre devaient être débattues des questions plus substantielles comme le respect du droit des minorités dans l’enseignement. On sait qu’en Turquie, la situation n’est pas encore satisfaisante de ce point de vue. Le débat n’est toujours pas clos au plan européen, la France étant soutenue par certains Etats membres comme l’Autriche, d’autres se ralliant à la position de la Commission, comme le Royaume-Uni. Devant ce désaccord important, la présidence finlandaise de l’Union européenne a proposé aux pays membres de faire état de leurs interrogations sur ce chapitre afin d’obtenir ensuite des éclaircissements de la part de la Turquie. Cette phase de la procédure est toujours pendante.

M. Hervé de Charette a tiré deux enseignements de cette situation. Tout d’abord, si le rythme observé depuis l’ouverture des pourparlers demeure en l’état, les négociations dureront de très longues années. En second lieu, la position française peut paraître paradoxale dans la mesure où, alors que notre pays s’est engagé intensément en 2004 pour que les négociations s’ouvrent, il apparaît aujourd’hui comme l’un des moins favorables à la progression rapide des discussions. Cette position, qui peut sembler contradictoire, présente le risque de cumuler les inconvénients pour notre pays, dont l’audience n’est pas très bonne en Turquie après le vote de la proposition de loi relative à la répression de la négation du génocide arménien.

Le rapport de suivi rendu par la Commission européenne le 8 novembre 2006 met en évidence l’insuffisance des progrès accomplis par la Turquie dans le domaine politique alors qu’elle lui confère plutôt un satisfecit en matière économique. Le rôle de l’armée demeure trop prépondérant dans ce pays. La situation de la justice a connu peu d’évolutions favorables. La corruption reste encore importante. On doit toujours déplorer des restrictions dans les droits reconnus aux minorités religieuses non musulmanes ; la situation faite aux Alevis, minorité chiite, n’est pas satisfaisante. Quelques progrès ont été cependant observés, par exemple, concernant les droits des femmes.

Mais la principale difficulté est le refus de la Turquie d’appliquer le protocole à l’accord d’association conclu en 1963 entre la Communauté européenne et ce pays, dit « Accord d’Ankara », et qui a été prolongé par un accord d’union douanière en 1995. Ce protocole, signé par la Turquie mais non ratifié par elle, prévoit l’extension de l’accord de 1963 aux dix nouveaux Etats membres, dont la République de Chypre. La Turquie ne veut pas ratifier et appliquer ce protocole à la République de Chypre, pays membre de l’Union qu’elle refuse de reconnaître alors qu’elle est censée négocier avec elle pour son adhésion. La Turquie a refusé de transiger, en dépit des efforts de la Commission européenne puis de la présidence finlandaise pour trouver des solutions intermédiaires qui n’impliqueraient pas une ratification immédiate du protocole par la Turquie, à savoir la levée de l’interdiction faite par les autorités d’Ankara aux navires ou avions transitant par Chypre de pénétrer dans les ports et aéroports turcs, le retour à terme de la ville chypriote de Varosha occupée par l’armée turque dans le giron de la partie grecque de l’île, l’ouverture du port de Famagouste au commerce en provenance de la partie turque de Chypre. En conséquence, la Commission européenne a recommandé de geler la négociation de huit chapitres qui ont tous un lien avec l’union douanière entre la Communauté européenne et la Turquie (libre circulation des marchandises, droit d’établissement et libres prestations de services, services financiers, agriculture, pêche, transports, union douanière, relations extérieures). Les Etats membres souhaiteraient que cette recommandation soit examinée lors du Conseil des ministres de l’Union du 11 décembre 2006 pour que le Conseil européen ne voit pas ses travaux obérés par cette question les 14 et 15 décembre prochain. L’Allemagne et la France ont proposé, lors d’une rencontre qui s’est tenue le 5 décembre 2006, qu’un point soit fait sur la situation en 2008. En tout état de cause, même si une telle clause de rendez-vous n’est pas formellement adoptée par les Etats membres, ceux-ci devront s’accorder, à terme, sur la réouverture des négociations pour les chapitres que la Commission propose de geler.

En conclusion, M. Hervé de Charette a constaté que la France avait fait preuve de fermeté ; dès lors, le groupe de suivi n’a pas eu à rappeler au Gouvernement la nécessité de s’en tenir à une telle position. La Commission européenne a également été assez rigoureuse comme en témoigne son rapport de suivi du 8 novembre 2006. La Turquie demeure un partenaire difficile, exigeant, rude même, qui ne souhaite pas faire de concessions à quelques mois d’élections législatives importantes. Ce que l’on peut qualifier de « suspension-continuation » des négociations semble, en fait, satisfaire le plus grand nombre aussi bien en Turquie qu’en Europe.

Le Président Edouard Balladur s’est interrogé sur la portée réelle de la suspension des huit chapitres telle que proposée par la Commission européenne.

M. Hervé de Charette a fait observer qu’une autre solution consistait à discuter indéfiniment avec la Turquie sans jamais conclure. Le fait de suspendre les discussions sur un certain nombre de chapitres constitue en réalité un signal donné à la Turquie. Par ailleurs, rien n’empêcherait que, alors que la négociation serait suspendue, l’examen technique des chapitres par les experts européens se prolonge.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que cette dernière remarque dessinait les lignes d’un compromis éventuel au prochain Conseil européen.

Mme Martine Aurillac s’est interrogée sur la méthode pratiquée pour l’ouverture et de clôture des chapitres de négociation. Plusieurs chapitres sont-ils discutés simultanément ?

M. Hervé de Charette a répondu que si les 35 chapitres ne pouvaient, à l’évidence, être ouverts simultanément, plusieurs d’entre eux pouvaient être examinés en même temps. Il faut toutefois garder à l’esprit que l’ouverture d’un chapitre suppose que tous les Etats membres soient d’accord sur la proposition de la Commission d’ouvrir ce chapitre et sur les positions communes de négociation.

Après avoir souligné qu’il était globalement d’accord avec les propos tenus par le Président du groupe de suivi, M. Christian Philip a souhaité faire deux observations, l’une portant sur la République de Chypre et l’autre sur la capacité d’intégration de l’Union européenne.

Au moment de l’ouverture des négociations, la Turquie s’était engagée à ouvrir l’union douanière aux dix Etats membres, dont la République de Chypre, sans que cela vaille, à ses yeux, reconnaissance de celle-ci. Or la Turquie n’a pas tenu compte de cet engagement et a même refusé le compromis finlandais qui s’apparentait à un recul de l’Union européenne puisqu’il consistait à demander à la Turquie d’ouvrir ses ports et ses aéroports aux marins et avions en provenance de Chypre sans qu’un vote du Parlement turc ne soit nécessaire. Par ailleurs, les huit chapitres que la Commission propose de geler sont des chapitres difficiles dont elle n’avait nullement l’intention de demander l’ouverture à court terme, mais plutôt d’ici trois à quatre années. Dans ces conditions, la portée de la décision de geler des huit chapitres doit être relativisée. Par ailleurs, lors du prochain Conseil des ministres, un compromis sera nécessaire, en particulier avec le Royaume-Uni et l’Espagne qui sont, pour leur part, favorables à l’adhésion de la Turquie. Le débat qui sera organisé à l’Assemblée nationale le 12 décembre 2006 à la suite de la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen devra donc être l’occasion de demander à l’exécutif de garder une position ferme sur l’ouverture des chapitres de négociations avec la Turquie en l’absence d’une évolution favorable de la position de ce pays sur la question chypriote.

Par ailleurs, au-delà de l’acquis communautaire, il apparaît que l’Union européenne n’a pas voulu réellement se poser la question de savoir comment elle pourrait fonctionner si un accord était trouvé sur l’adhésion de la Turquie. Or ce pays, s’il intègre l’Union, sera le plus grand en superficie et le plus peuplé, alors que son économie demeurera très en retard par rapport au reste de l’Union. Comment, dans ces conditions, peut-on l’intégrer sans procéder à une refonte totale du budget européen ? L’Union européenne ne se pose toujours pas les vraies questions.

M. Hervé de Charette s’est interrogé sur l’intérêt qu’il y aurait à afficher une fermeté plus grande encore dans cette négociation avec la Turquie. En premier lieu, le bilan qui peut en être dressé en cette fin d’année 2006 – un chapitre sans difficulté, relatif à la science et à la recherche, ouvert et fermé ; un deuxième sur les conditions d’ouverture duquel les vingt-cinq membres de l’Union n’en finissent pas de débattre ; une proposition de la Commission européenne de geler huit chapitres – témoigne à lui seul de la fermeté dont font preuve d’ores et déjà les négociateurs européens. En deuxième lieu, c’est à la Commission et à elle seule qu’appartiendrait une telle initiative. Enfin, il n’est pas certain que les vingt-cinq Etats membres parviendraient à l’unanimité pour adopter une position plus dure encore à l’égard de la Turquie. M. Hervé de Charette a estimé que la position actuelle, ferme mais laissant ouvertes les voies du dialogue, était raisonnable, comme le montrait d’ailleurs le fait qu’au sein même du groupe de suivi, l’unanimité s’était faite parmi les membres sur les conclusions présentées aujourd’hui et ce, bien que le groupe rassemble des parlementaires d’opinions diverses sur l’élargissement de l’Union à la Turquie.

S’agissant du débat sur la capacité d’absorption de l’Union européenne, dont il a souligné qu’il s’agissait d’un autre sujet, plus global, posant la question de l’élargissement continu de l’Union au-delà de la seule négociation avec la Turquie, M. Hervé de Charette a rappelé que la Commission européenne avait remis un rapport sur le sujet le 8 novembre 2006. Il l’a qualifié de décevant, déplorant que la Commission n’ait pas du tout pris la mesure du débat, se contentant de le poser en termes de communication et de « convivialité » du message européen, ce qui était évidemment hors sujet. La vraie question de la capacité d’adapter l’Union pour lui permettre de fonctionner avec un nombre important de membres n’est pas posée, la Commission se situant toujours dans la perspective d’un élargissement indéfini et permanent de l’Union. La déclaration qui a suivi la réunion des pays du triangle de Weimar – la France, l’Allemagne et la Pologne –, le 5 décembre 2006, témoigne d’ailleurs de la prégnance de cette logique puisque, sur l’insistance de la Pologne notamment, y est reconnue « la vocation européenne de l’Ukraine », reconnaissance qui, dans le passé, a toujours marqué la première étape d’une adhésion.

Le Président Edouard Balladur a considéré que l’adhésion de la Turquie posait beaucoup plus de problèmes que l’Union européenne n’en avait jamais connus depuis cinquante ans : pour ardue qu’elle fût, même la négociation en vue de l’adhésion du Royaume-Uni, qui dura dix ans, fut beaucoup moins difficile.

Il a jugé peu sérieuse la conception que se faisait la Commission européenne de la capacité d’absorption de l’Union : il ne s’agit pas d’un problème de communication, ni même d’un débat de nature financière. Le Président Edouard Balladur a expliqué qu’était en cause l’absence de réforme d’institutions qui avaient été conçues pour une Europe composée de six Etats membres. Il a affirmé que la véritable question posée dans le débat sur l’élargissement était institutionnelle et qu’en ce domaine, la réforme supposait que la plupart des décisions fussent adoptées à la majorité des Etats membres, aux dépens du principe de l’unanimité qui demeure trop prévalent aujourd’hui. Il a fait valoir qu’une telle réforme n’était possible qu’à condition que fût pris en compte le poids économique, démographique et territorial des Etats, ce qui posait évidemment une difficulté majeure pour une Union qui avait d’ores et déjà intégré nombre d’Etats de taille modeste.

Observant qu’il ressortait des propos du Président du groupe de suivi que nul n’était en définitive pressé de voir les négociations avancer, pas même la Turquie, M. Bernard Schreiner a demandé si ce pays avait fait des progrès en matière de droits de l’homme : qu’en est-il notamment de la place de la femme dans la société turque et de la persistance de pratiques telles que les crimes d’honneur ? En matière religieuse, peut-on parler d’une poussée de l’islamisme en Turquie ?

M. Hervé de Charette a répondu que peu de progrès avaient été faits par la Turquie en matière de droits fondamentaux en 2006, qu’il s’agisse des pratiques en cours contre les femmes ou de la tolérance religieuse à l’égard des confessions minoritaires.

M. Axel Poniatowski a indiqué qu’il n’était pas surprenant que la situation des négociations entre l’Europe et la Turquie soit confuse et difficile. C’est en effet l’éventualité de l’adhésion turque qui est la cause principale de la crise traversée actuellement par l’Union européenne. Une réforme institutionnelle ne suffirait certainement pas à résoudre cette crise qui durera aussi longtemps qu’une solution, positive ou négative, n’aura pas été trouvée à propos de la Turquie. Quel rôle exactement le groupe de suivi a-t-il joué dans les discussions avec la Turquie ? Etait-il observateur ? Ce groupe a-t-il constaté, dans le cadre de ces négociations, l’absence de tout leadership, notamment franco-allemand, en Europe ?

M. Hervé de Charette a précisé que le groupe de suivi n’avait pas participé aux négociations entre l’Union européenne et la Turquie mais que les négociateurs français lui avaient rendu régulièrement compte du déroulement de ces pourparlers. Les positions françaises ont été très fermes et exigeantes, conformément au souhait du groupe de suivi, qui n’a donc pas eu à exercer de pression en ce sens. La question d’un leadership au sein de l’Union européenne dépasse largement le champ d’investigation du groupe de suivi. L’Union a d’autant plus besoin d’un leadership que le nombre des Etats membres s’accroît, mais il ne peut être que pluriel. Au cours des négociations avec la Turquie, aucun pays n’a imposé ses vues. Les Européens sont apparus divisés et le groupe de suivi n’a pas constaté que les autorités françaises et allemandes se concertaient avant de négocier. Il faut souligner que les décisions en matière d’adhésion se prenant à l’unanimité, un seul Etat, même petit, peut bloquer tout accord.

Après avoir fait état de sa satisfaction concernant le déroulement des travaux du groupe de suivi dont il est membre, M. Paul Quilès a approuvé le diagnostic sur l’état actuel de l’Europe et l’appréciation négative de la conception de l’élargissement que défend la Commission européenne. Il a en revanche contesté le passage du projet de rapport qualifiant de seul « effet heureux » du vote du 29 mai 2005 l’amélioration de la collaboration entre le Parlement et le pouvoir exécutif sur le dossier turc. Dans la mesure où les adversaires du projet de constitution européenne considèrent que l’échec du référendum a pu avoir bien d’autres effets positifs, il serait souhaitable de supprimer cette expression. Il est incontestable que plusieurs des points débattus ce jour par la Commission n’auraient pas pu l’être si le projet de constitution avait été adopté.

M. François Guillaume a fait siens les propos du Président Edouard Balladur relatifs à la dimension institutionnelle du blocage de l’Union européenne, tout en soulignant que l’évolution de l’équilibre institutionnel s’était fait au détriment du Conseil des ministres. Etant donné les perspectives électorales turques, il ne faut pas espérer de concessions de la part de la Turquie avant plusieurs mois. Mieux vaut donc attendre pendant cette période. Le groupe de suivi a-t-il pris l’avis de nos partenaires européens ? Le Président du groupe de suivi a évoqué les positions britanniques, allemandes et autrichiennes ; qu’en est-il de celles des autres Etats membres ? Ne serait-il pas utile de prendre contact avec le Saint-Siège, la récente visite du Pape en Turquie ayant mis en lumière les limites de la liberté religieuse dans un pays où les chrétiens apparaissent opprimés et où, malgré une laïcité officielle, un conseil religieux doté d’un rôle consultatif exerce une pression croissante sur le Gouvernement ?

Le Président Edouard Balladur a estimé que la visite pontificale en Turquie pouvait s’analyser comme une traduction de la volonté du Saint-Siège de se tenir à l’écart des négociations d’adhésion appelant la Turquie à être un pont entre l’Europe et l’islam.

Après avoir reconnu que le groupe de suivi n’avait pas interrogé le Saint-Siège, M. Hervé de Charette a indiqué qu’il s’était informé des positions des autres membres de l’Union auprès du Directeur de la coopération européenne du ministère des Affaires étrangères. Jusqu’ici, il n’a pas jugé utile d’effectuer de déplacement à l’étranger mais cette possibilité demeure. En particulier, il pourrait être intéressant de se rendre en Turquie après le prochain Conseil européen afin d’observer comment sont perçues les décisions qui y auront été prises.

La conclusion du rapport préparé par le groupe de suivi souligne que celui-ci ne préjuge pas des orientations qui pourraient être définies à la suite des prochaines élections présidentielles en France. Le groupe de suivi était chargé d’une mission de contrôle du déroulement des négociations et n’avait à se prononcer ni en faveur ni contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Il n’en demeure pas moins que l’opportunité de cette adhésion pourra être discutée pendant la campagne électorale.

Ayant mis l’accent sur l’utilité du travail réalisé, le Président Edouard Balladur a souhaité que le groupe de suivi poursuive ses travaux et fasse connaître ses observations au cours des prochains débats sur l’élargissement de l’Union, même si celui qui est organisé à l’Assemblée le 12 décembre 2006 ne sera, pas plus que les précédents, suivi d’un vote.

Pour ce qui est des perspectives de plus long terme, un prochain gouvernement peut certes revenir sur ce qu’un autre a décidé, mais les négociations ayant été ouvertes par l’Union européenne, il ne serait pas aisé d’obtenir un retour en arrière. Cela n’empêche pas de poursuivre une réflexion sur la nature des liens qui pourraient être établis entre l’Union et la Turquie dans le cas où les négociations ne conduiraient pas à son adhésion, et plus globalement de travailler à la mise en place de partenariats renforcés avec les Etats voisins de l’Union, au premier rang desquels les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

La Commission a autorisé la publication du rapport d’information.

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