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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 10 janvier 2007

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

 

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– Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères

  

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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères

M. Philippe Douste Blazy, Ministre des Affaires étrangères, a tout d’abord évoqué la situation au Proche Orient, où en dépit d’avancées fragiles, les tensions persistent en Israël et en Palestine. La trêve conclue le 25 novembre dernier entre Israël et l’Autorité palestinienne menace à tout moment d’être rompue du fait des tirs palestiniens de roquettes à partir de la bande de Gaza, ainsi que des opérations militaires israéliennes en Cisjordanie. Mais après cinq mois de violences, la tension a toutefois baissé dans la bande de Gaza.

Le Ministre a évoqué le discours prononcé le 27 novembre 2006 par le Premier Ministre Ehud Olmert appelant les Palestiniens à une reprise du dialogue et à l’ouverture d’une perspective politique conduisant à l’établissement d’un Etat palestinien et marquant aussi la disponibilité d’Israël à se retirer d’une grande partie des Territoires occupés. Cette volonté d’ouverture d’Ehud Olmert s’est trouvée concrétisée par sa rencontre, le 23 décembre, avec le Président de l’Autorité palestinienne, la première depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en mars 2006.

Le ministre a estimé que cette rencontre était un signal politique exprimant la volonté de dialogue et de rétablissement de la confiance entre les deux parties. Le Premier Ministre israélien s’est ainsi engagé à prendre une série de mesures destinées à renforcer la position du Président Mahmoud Abbas, telles que le dégel d’une partie des taxes retenues par Israël, la libération de prisonniers palestiniens, l’allègement des entraves à la circulation dans les Territoires, et enfin le renforcement de l’appareil sécuritaire du président de l’Autorité palestinienne. Pour autant, aucune de ces mesures n’a été mise en œuvre à ce jour, à l’exception de la livraison d’armes au profit des forces sécuritaires qui aurait été réalisée par l’Egypte, en coordination avec Israël. Cette dernière mesure vise à renforcer le rapport de forces sur le terrain en faveur de Mahmoud Abbas, mais elle attise aussi les tensions inter-palestiniennes et risque donc d’accroître le risque d’un affrontement armé de grande ampleur entre le Hamas et le Fatah. Ceci est d’autant plus vrai que la situation reste très tendue dans les Territoires palestiniens.

Le ministre a rappelé qu’à Gaza, des heurts d’une grande violence ont opposé ces dernières semaines les partisans du Hamas et du Fatah, ce qui fait craindre une guerre civile
– autant dire une nouvelle épreuve pour la population palestinienne et le processus de paix. Pour mettre un terme à la crise, le Président palestinien a annoncé sa décision d’organiser prochainement des élections législatives et présidentielles anticipées, mais il ne dispose pas de la base juridique claire qui lui permettrait de le faire. De plus, le Hamas conteste ces élections qui, sans son accord, seraient très difficiles à organiser, en particulier dans la bande de Gaza. Le ministre a considéré que la déclaration du Président palestinien devait donc plutôt être interprétée comme un moyen de pression sur le Hamas pour obtenir des concessions supplémentaires ; l’objectif, in fine, étant la formation d’un gouvernement d’union nationale sur la base d’un programme respectueux des principes du Quartet. Mais le Hamas a rejeté la décision du Président palestinien au motif qu’elle serait anti-constitutionnelle. Le principe de ces élections anticipées a reçu le soutien des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et de l’Espagne. Le ministre a fait part du soutien de la France au Président Mahmoud Abbas et à la formation d’un gouvernement d’union nationale afin de mettre un terme aux affrontements entre le Fatah et le Hamas. Une confrontation entre le Fatah et le Hamas éloignerait en effet pour longtemps la perspective de libération du Caporal Shalit. Or, cette libération représente un élément capital d’une relance du processus politique entre Israéliens et Palestiniens.

Côté israélien, le ministre a déclaré que la faible popularité du Premier Ministre Ehud Olmert réduisait sa marge de manoeuvre et sa capacité à définir un processus politique avec les Palestiniens – un projet nécessairement synonyme de compromis douloureux pour la population israélienne.

Dans ce contexte, le ministre s’est interrogé sur le rôle que peut jouer la communauté internationale. Il a estimé qu’il était urgent de favoriser l’émergence d’un interlocuteur palestinien fort, bénéficiant du soutien de tous les Palestiniens et capable de reprendre le dialogue avec Israël. C’est à cela qu’il faut travailler en priorité, en continuant de soutenir, pendant cette période très critique, le Président palestinien. Celui-ci a en effet besoin de gestes concrets de la part d’Israël, comme convenu le 23 décembre entre Mahmoud Abbas et Ehud Olmert. Mais il a aussi besoin d’un soutien politique de la part de la communauté internationale, et en particulier du Quartet ; c’est indispensable pour consolider les fragiles avancées intervenues dans la reprise du dialogue de haut niveau entre Israéliens et Palestiniens.

Puis le Ministre s’est félicité de l’unité qu’ont manifestée les Européens sur la question du processus de paix lors du Conseil européen des 14 et 15 décembre. Chacun, en particulier, fait le constat de la nécessité d’une plus grande implication de l’Union européenne au Proche-Orient. La priorité consiste ainsi à favoriser un consensus politique entre Palestiniens, pour que la communauté internationale soit en mesure de collaborer pleinement avec un gouvernement palestinien d’union nationale. Ce qui signifie, à moyen terme, la nécessité d’établir et de consolider un cadre pour agir. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’éventuelle réunion du Quartet qui pourrait se tenir à Paris à la fin du mois de janvier, en marge de la Conférence sur le Liban. Le Ministre a déclaré que, pour la France, cette réunion devait permettre de progresser vers une conférence internationale pour traiter du statut final des territoires palestiniens. L'initiative de paix du sommet de Beyrouth de 2002, les résolutions de l'ONU et la feuille de route, représentent autant de fondements solides pour mener de telles négociations.

Le Ministre a ensuite évoqué la situation au Liban, qui vit un début d’année difficile en raison notamment de la crise politique qui se poursuit. L’initiative de la Ligue Arabe, que son Secrétaire général Amr Moussa est venu exposer en personne à la majorité et à l’opposition à la veille des fêtes de fin d’année, n’a en effet pas permis, à ce jour, de trouver d’issue à la crise. Devant ces difficultés, la France a souhaité réaffirmer son soutien plein et entier au gouvernement légitime de M. Fouad Siniora.

Le ministre a appelé, dans le même temps, l’ensemble des forces politiques libanaises à faire preuve de responsabilité devant les défis importants à relever. Comme le Président de la République l’a rappelé, les relations d'amitié franco-libanaise sont anciennes, et ce avec toutes les communautés. Le Hezbollah, notamment, doit occuper toute sa place dans la vie politique libanaise, comme parti libanais.

Le Ministre a mentionné le soutien de la France à toute médiation de nature à satisfaire trois impératifs : un impératif d’équité, tout d’abord, avec la mise en place du tribunal à caractère international ; un impératif d’efficacité du gouvernement (par la poursuite de l’action gouvernementale et, notamment, des réformes attendues dans le domaine économique dans la perspective de la conférence du 25 janvier) et, enfin, un impératif d’unité des Libanais.

L’obtention d’une solution politique respectant ces trois impératifs est essentielle pour tous les Libanais, non seulement pour permettre le succès de la conférence de Paris, mais aussi pour relancer la mise en œuvre du volet politique de la résolution 1701 du Conseil de sécurité.

Rappelant que la France accueillera le 25 janvier la Conférence internationale sur le soutien au Liban, présidée par le Président de la République, le Ministre a indiqué qu’à cette occasion, la communauté internationale entendait réaffirmer avec force son soutien, bien sûr à la stabilité économique mais aussi à la stabilité politique du Liban. Il faut contribuer au rétablissement de la confiance, à la reconstruction du pays et à l'assainissement aussi de ses finances publiques. Il s’agira également de faire le point sur la mise en œuvre des engagements pris par la communauté internationale lors de la conférence de Stockholm, en août dernier, ainsi que sur les besoins qu’il reste à satisfaire.

Le Ministre a considéré que cette conférence devait être un succès, ce qui justifie la mobilisation, actuellement, de l’ensemble des pays les plus concernés par la reconstruction du Liban. La France est aussi en contact étroit avec les autorités libanaises pour préparer l’échéance du 25 janvier dans les meilleures conditions. Une réunion de préparation au niveau des hauts fonctionnaires vient d’avoir lieu à Paris à cet effet.

Le Ministre a ensuite abordé la situation en Irak, où l’inquiétude demeure très vive face à la recrudescence des violences et le risque réel de fragmentation du pays. Il a identifié trois priorités :

– tout d’abord, la relance du processus politique, pour faciliter la réconciliation nationale, l’adhésion aux nouvelles institutions de toutes les composantes de la société, mais aussi pour réaffirmer l’unité de l’Irak face aux menaces de désintégration ;

– ensuite, la restauration de la souveraineté irakienne – que la fixation d’un horizon pour un retrait des forces étrangères peut aider à consolider – et l’affirmation de l’autorité de l’Etat en apportant notamment une solution au problème des milices ;

– enfin, l’appui de la communauté internationale et des pays de la région, ce qui signifie de rechercher leur association dès lors qu’ils manifestent la volonté de contribuer à la stabilité et de la reconstruction de l’Irak.

Le ministre a également évoqué la mort de Saddam Hussein, et rappelé que la France, qui plaide comme l’ensemble des pays européens pour l’abolition universelle de la peine de mort avait été choquée par les conditions de son exécution. Cette décision appartenait bien entendu au peuple et aux autorités souveraines de l’Irak, mais les conditions ont manqué de la plus élémentaire dignité, avec de surcroît le risque de creuser les divisions déjà profondes qui existent entre les communautés irakiennes. Il a noté, à cet égard, que le Premier ministre irakien avait diligenté une enquête sur les conditions de cette exécution.

Pour la France, plus que jamais la priorité est la restitution aux Irakiens de leur entière souveraineté et la préservation de l’unité nationale, aussi notre pays est-il très attentif aux inflexions stratégiques annoncées par le Président Bush

Puis le Ministre s’est exprimé sur la situation dans la Corne de l’Afrique, évoquant la Somalie, qui appelle toute l’attention de la communauté internationale et justifie sa mobilisation pleine et entière. Il a rappelé qu’entre le 20 et 30 décembre dernier, le gouvernement de transition, très fortement appuyé par les troupes éthiopiennes – l’une des plus importantes et des mieux équipées du continent africain – avait pris le contrôle de Mogadiscio et contraint les milices de l’Union des tribunaux islamiques à se replier. 2 000 à 3 000 combattants islamiques ont ainsi abandonné le terrain sans combattre et seraient actuellement réfugiés dans la zone frontalière du Kenya, marécageuse et quasi inaccessible. C'est d'ailleurs cette région que l'aviation américaine a bombardé, au risque d'ailleurs de réduire la lecture de la crise somalienne à un affrontement simpliste avec Al Qaïda.

Si les milices islamiques ont donc quitté Mogadiscio, la situation n’en reste pas moins fragile. Une très grande quantité d’armes est désormais disséminée en ville et seule la présence très visible de l’armée éthiopienne garantit une sécurité précaire. Mais le risque demeure du déclenchement d’une guérilla islamiste contre « les troupes d’occupation éthiopiennes » et un gouvernement considéré comme la « marionnette de l’Occident ». Tels sont les termes d’un discours djihadiste qui a fait son apparition récemment, notamment sur Internet et qui pourrait être relancé par les récents bombardement de l'aviation américaine.

Le ministre a estimé nécessaire, dans un premier temps, le retrait à brève échéance des troupes éthiopiennes car leur présence risque d’exacerber les tensions et les réactions xénophobes, très fortes dans la population somalienne.

Il a indiqué que la diplomatie américaine s’impliquait très fortement sur ce dossier somalien, exigeant notamment le remplacement immédiat des troupes éthiopiennes (actuellement 10 000 hommes) par une force africaine, composée en majorité de soldats ougandais à financer, équiper et transporter.

La France plaide pour sa part en faveur d’une approche plus globale : le gouvernement de transition, très fragile, mis en place en 2004, doit impérativement trouver un minimum de légitimité, en tout cas d’adhésion, au sein même de la population somalienne. La seule mise en place d’une force internationale ne suffira pas à éviter le retour au chaos.

Le ministre a considéré qu’une force internationale n’aurait de chance d’être efficace qu’à la condition de conforter une ouverture réelle du gouvernement actuel à l’ensemble des acteurs somaliens, acteurs politiques, socio-économiques et religieux – y compris les islamistes modérés. Or, à ce stade, l’actuel Premier ministre y est opposé. Une force internationale devrait également s’accompagner de la mise en place de perspectives concrètes de développement, de nature à convaincre les combattants somaliens – soit aujourd’hui l’essentiel de la population – que les dividendes de la paix sont supérieurs aux intérêts de la guerre.

Le Ministre a alors indiqué qu’en liaison étroite avec la Commission européenne, et en particulier avec le Commissaire M. Louis Michel, la France travaillait précisément à dégager des moyens pour répondre à la fois à la situation humanitaire, très fortement dégradée, et à la nécessité de financer des perspectives concrètes de sortie de crise, en particulier en matière de réinsertion des combattants.

Le ministre a conclu son propos en abordant la situation au Darfour, après l’accord donné par les autorités soudanaises, le 23 décembre au plan des Nations unies et de l'Union africaine, ouvrant la voie à un début de renforcement de la force africaine par les Nations Unies. Il a précisé que le Président Bachir avait confirmé au Secrétaire général son approbation des conclusions de la réunion d’Addis Abebas du 16 novembre, entre l’Union Africaine, les Nations Unies et le Soudan – réunion prolongée par celle du Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, à Abuja le 30 novembre.

La communauté internationale dispose donc désormais d’un cadre unique, agréé par les autorités soudanaises, pour le règlement de la crise du Darfour. Ces dispositions prévoient en particulier le renforcement en deux phases de la mission de l’Union africaine au Soudan (AMIS) par les Nations unies, avec un appui en termes d’expertise militaire, d’équipement et de logistique opérationnelle. A terme, l’AMIS ainsi renforcée devrait se transformer en opération conjointe sous l’égide de l’ONU et de l’Union africaine De fait, les premiers renforts des Nations unies – une trentaine d’officiers et de policiers, ainsi que du matériel – sont désormais sur le terrain. Ils seront complétés, à très brève échéance, par le déploiement de personnels en cours de recrutement.

Le Ministre a jugé qu’une étape importante venait donc d’être franchie puisque le Soudan ne s’oppose plus à l’arrivée au Darfour de soldats de la paix des Nations unies, que le port du « béret bleu » n’est plus un prétexte de blocage et que la commission tripartite chargée du suivi de ces opérations connaît un climat de coopération indéniable. Cette situation nouvelle crée les conditions d’une accélération du déploiement de la force mixte, qui ne rencontre de fait plus aucun obstacle de principe.

Le Ministre a souligné le rôle important joué par la France dans les efforts internationaux ayant contribué à cette évolution. Il a rappelé avoir, dès la mi-novembre, plaidé à Khartoum, auprès du Président Bachir, pour qu’il accepte ces dispositions. Au Conseil de sécurité, au sein de l’Union Européenne, comme auprès de l’Union africaine, la France n’a cessé de travailler en ce sens, en concertation avec l’Egypte, préoccupée à juste titre par la stabilité de son voisin et par le risque d’une fracture durable entre le monde arabe et le monde non arabe.

Pour autant, la situation humanitaire demeure préoccupante et les efforts doivent être maintenus en vue d’un cessez-le-feu effectif, d’un accord politique élargi et d’une prise en compte durable de la dimension régionale de la crise.

Les opérations militaires se poursuivent, ainsi que les exactions contre les civils, qui semblent être le fait de toutes les parties. La dégradation de la situation sécuritaire dans tout le Darfour au cours des dernières semaines, avec notamment la multiplication des violences à l’encontre des ONG, perturbe gravement l’aide humanitaire, en imposant le redéploiement des travailleurs humanitaires au gré des circonstances, voire même leur départ du Darfour.

Aux frontières avec le Tchad et la Centrafrique, la situation reste fragile et doit être encore consolidée, après les succès du Président Deby contre les rebelles tchadiens et la reprise du contrôle du nord-est de la RCA par les forces armées centrafricaines.

Le ministre a donc plaidé pour une forte implication de la communauté internationale, précisant que la France continue de s’engager activement en faveur du déploiement d’une force de l’ONU aux frontières du Tchad et de la Centrafrique. Les Présidents Deby et Bozize ont donné leur accord et le Conseil de sécurité en discute aujourd'hui même à New York sur la base du rapport du Secrétaire général des Nations unies. En tout état de cause, le traitement du volet régional de la crise devra rester étroitement articulé avec le déploiement de la force hybride au Darfour.

La France souhaite l’accélération du processus de négociation politique, en vue d’aboutir à un accord de paix signé par toutes les parties à la crise : l’accord d’Abuja de mai 2006 doit être complété, notamment les volets relatifs au désarmement et aux compensations. Les autorités françaises soutiennent la prise rapide d’une initiative de médiation conjointe de l’Union africaine et des Nations unies, conformément aux dispositions arrêtées par la communauté internationale à Addis Abeba et à Abuja en novembre dernier. Enfin, l’Erythrée et l’Egypte ont déjà engagé des pourparlers avec les autorités soudanaises et les mouvements rebelles, qui sont aussi susceptibles d’avancer. Nous appuyons et accompagnons ces efforts ; le Ministre a alors indiqué qu’il avait d’envoyé une mission française en Érythrée pour rencontrer les différents intervenants.

Les négociations doivent permettre de parvenir dans un premier temps à un cessez-le-feu effectif, sans lequel la situation humanitaire ne pourra pas connaître d’amélioration. Les autorités soudanaises doivent enfin faire la preuve, par des actes concrets, de leur volonté de poursuivre leur effort à la fois vers l’élargissement d’un accord politique et vers la mise en place d’une force hybride.

Le Président Edouard Balladur a souhaité que le Ministre dresse le bilan de l’action de la Finul renforcée au Liban où, si la guerre n’a pas repris, la paix n’est pas encore durablement établie aux frontières. A cet égard, il a demandé ce que l’on pouvait attendre de la prochaine réunion qui doit se tenir à Paris fin janvier sur la reconstruction de ce pays en l’absence de stabilité politique.

Il s’est ensuite interrogé sur les chances de reprise du processus de paix entre Israël et les Palestiniens. Le Quartet est-il encore en mesure de jouer un rôle actif dans la solution de ce conflit ? Quel jugement porte le Gouvernement français sur l’attitude des Etats-Unis et leur hypothétique évolution, après la remise du rapport de M. James Baker favorable à une inflexion de la politique américaine en la matière ?

Puis le Président Edouard Balladur s’est demandé si l’on pouvait envisager, dans le cadre d’une négociation globale sur la situation au Proche Orient, une évolution des positions américaines et françaises vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran qui conduirait à associer ces deux pays au règlement des conflits que connaît cette région.

Enfin, rappelant que l’Allemagne venait de prendre la présidence de l’Union européenne, il a souhaité connaître le sentiment du Ministre sur les projets de Mme Angela Merkel sur la réforme des institutions européennes et a observé que l’Allemagne avait sur ce sujet des positions plus définies que la France. Il s’est également interrogé sur les conditions dans lesquelles l’Union pourrait dégager une attitude commune en matière de politique énergétique face à une Russie qui entend imposer ses vues.

Le ministre des Affaires étrangères a apporté les éléments de réponse suivants aux questions du Président Edouard Balladur :

– Dans la zone que la force de la FINUL contrôle au Liban, la situation paraît relativement stable mais rien n’est réglé au-delà. La conférence de Paris sur la reconstruction du Liban doit inciter le Gouvernement de ce pays à mettre en œuvre les réformes nécessaires au relèvement de son économie. L’opposition libanaise ayant appelé à la paralysie du pays, relayant ainsi les mots d’ordre des syndicats opposés aux réformes envisagées par le Gouvernement de M. Fouad Siniora, il convient de soutenir ce dernier, politiquement et financièrement, alors même que le Hezbollah semble disposer, de son côté, de fonds importants. Pour le Liban, il faut que la conférence de Paris, à laquelle Mme Condoleezza Rice devrait participer, soit un succès.

– Alors que l’on peut être très préoccupé par les combats entre les différentes forces palestiniennes, il faut que le Premier ministre israélien, aujourd’hui affaibli politiquement, se tourne vers le Président de l’Autorité palestinienne. Mais pour que les discussions entre ces deux protagonistes puissent se dérouler, il faut aussi que se constitue un Gouvernement qui puisse parler au nom de tous les Palestiniens. C’est pourquoi la communauté internationale doit aider le Président Abbas à former un Gouvernement d’union nationale. De ce point de vue, permettre la livraison d’armes aux forces gouvernementales palestiniennes n’est pas une solution viable ; il faut plutôt encourager la disparition des entraves à la circulation des Palestiniens et la libération des fonds destinés à l’Autorité palestinienne et actuellement retenus par Israël. Ces mesures permettraient de conforter le Président de cette Autorité face au Hamas. Il faut enfin espérer que les Etats–Unis sauront se montrer plus convaincants à l’égard d’Israël comme le préconise le rapport de M. James Baker.

– Le risque de partition de l’Irak est réel, ce qui serait l’une des pires situations envisageables. Pour l’éviter, il faut notamment convaincre l’Iran de jouer un rôle plus positif dans la région. On peut s’interroger cependant sur l’attitude de ce pays notamment après la tenue d’une conférence scandaleuse sur la Shoah à Téhéran en la présence du Président Ahmadinejad ou après les déclarations de celui–ci sur le développement du potentiel nucléaire iranien.

– La France n’a pas changé de position à l’égard de la Syrie qui doit montrer, par des signes très concrets, qu’elle respecte la souveraineté et l’indépendance du Liban. On ne peut aujourd’hui accorder sa confiance à ce pays.

– La présidence allemande de l’Union européenne, au premier semestre 2007, sera prioritairement consacrée à la relance de la réforme institutionnelle de l’Europe. La France doit se garder de précipiter le mouvement. L’Allemagne va demander à tous les Etats membres de s’exprimer sur ce sujet, le processus se poursuivant ensuite, avec le ferme espoir qu’il puisse aboutir lors de la présidence française de l’Union, à la fin 2008. Mme Angela Merkel n’a pas encore faire connaître précisément sa position sur cette question. Elle a, en revanche, rencontré le Président George W. Bush, le 4 janvier 2007, pour préparer le prochain sommet entre les Etats–Unis et l’Union européenne en insistant sur la nécessité de renforcer les relations économiques transatlantiques sur le changement climatique et les questions de sécurité et de justice. Enfin, le Gouvernement français se borne à observer la démarche engagée par les dix–huit Etats membres qui ont déjà ratifié le traité établissant une Constitution pour l’Europe et qui entendent se réunir pour évoquer l’avenir de l’Union.

– S’agissant des relations avec la Russie, le Ministre a rappelé que l’objectif poursuivi est de parvenir à une stabilité énergétique reposant notamment sur des accords à long terme. Ce dialogue doit conduire à un partenariat global traitant aussi bien des migrations, des investissements, des échanges commerciaux que des questions politiques et stratégiques. Tous les intérêts en jeu doivent être pris en compte dans une forme de dialogue équilibré entre l’Union européenne d’une part et la Russie d’autre part.

En matière bilatérale, la France s’efforce de ne pas isoler la Russie sur le plan international en l’incitant à participer aux négociations sur d’importants dossiers comme la question nucléaire iranienne ou la situation au Darfour ainsi qu’au dialogue au sein des enceintes internationales, comme la présidence russe du G8 l’a attesté, l’année dernière. Une stratégie d’isolement n’est pas concevable pour la stabilité de l’Europe.

M. Edouard Balladur a précisé qu’il n’est naturellement pas question d’isoler la Russie mais de faire preuve de fermeté, comme l’a d’ailleurs fait récemment Mme Angela Merkel dans ses prises de position sur la question des approvisionnements énergétiques.

M. Didier Julia s’est interrogé sur le point de savoir si la politique française d’isolement de la Syrie pouvait être partagée par d’autres pays. Il a notamment fait référence aux conclusions de la commission, présidée par M. James Baker, qui préconisent, au contraire, une reprise du dialogue des Etats-Unis avec la Syrie, compte tenu de l’attitude de ce pays qui a notamment accepté de retirer ses troupes du Liban. De la même manière, il a considéré que diaboliser l’Iran ne rend pas compte de la situation réelle du pays où, depuis les dernières élections, les éléments modérés sont majoritaires et où les partisans du président Mahmoud Ahmadinejad se retrouvent en minorité au sein de l’assemblée des experts.

Il a, ensuite, souhaité savoir où en était la conclusion des contrats entre la France et l’Arabie saoudite, annoncés en octobre 2006. Ces contrats portent sur des équipements et des matériels de sécurisation des frontières notamment et porteraient sur un montant d’environ 30 milliards de dollars.

Préoccupé par la situation des infirmières bulgares condamnées à mort en Libye, M. Christian Philip a souhaité connaître les moyens dont disposent la France et l’Union européenne pour intervenir auprès des autorités libyennes en vue de modifier cette condamnation et obtenir la clémence.

M. François Loncle s’est interrogé sur les motivations véritables qui fondent l’attitude française vis-à-vis de la Syrie estimant qu’il pourrait y avoir là un jour matière à envisager la création d’une commission d’enquête. Il s’est, par ailleurs, demandé sur ce qui pouvait inciter le Ministre à considérer que le Premier ministre israélien, M. Ehoud Olmert, est politiquement affaibli.

Puis, abordant la situation en Somalie, il a considéré qu’aucune action n’avait été entreprise par la communauté internationale au moment de l’installation des Tribunaux islamiques. Dans ces conditions, quelle stratégie est envisagée au moment où les Tribunaux islamiques ne dominent plus le pays ? Parvenir à une forme de stabilité dans la région ne devrait-il pas conduire à prendre langue avec les autorités éthiopiennes et américaines pour clarifier la stratégie envisagée dans cette région du monde ?

Enfin, M. François Loncle s’est interrogé sur le maintien de la force Licorne en Côte d’Ivoire compte tenu de la perception de la présence française dans le pays.

Le ministre des Affaires étrangères a apporté les éléments de réponse suivants :

− Une commission d’enquête internationale sur l’assassinat de M. Rafic Hariri a été mise en place, dont les investigations progressent. Aucun signe ne permet d’affirmer pour le moment que le gouvernement syrien est prêt à respecter pleinement la souveraineté du Liban.

− Les prises de position du Président Ahmadinejad ne reflètent effectivement pas celles partagées par l’ensemble des Iraniens. Malgré l’adoption de sanctions par le Conseil de sécurité de l’ONU, l’objectif n’est pas de diaboliser le pays mais de parvenir à une suspension des activités d’enrichissement de l’uranium, via des négociations et un dialogue permanent. Toutefois, il importe que le Président iranien manifeste son ouverture au dialogue. A cet égard, le prochain rapport qui sera remis, sous trente jours, par M. Mohamed ElBaradei, directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), constituera un signe important de cette volonté de dialogue, ou de son absence.

− S’agissant des relations avec la Syrie, si la commission présidée par M. James Baker recommande une reprise du dialogue avec ce pays, il convient de rappeler que le Président George Bush y reste opposé.

− La condamnation des infirmières bulgares et du médecin palestinien est profondément choquante. Il revient désormais à la Cour suprême libyenne de se prononcer sur ce jugement, étant entendu que la communauté internationale appelle de ses vœux la clémence sur cette affaire dramatique.

− Il ressort de la lecture de la presse, des commentaires ou des analyses politiques faits en Israël, que le Premier ministre israélien est considéré actuellement comme politiquement affaibli. Cette situation paraît traduire les difficultés rencontrées dans le dialogue israélo-palestinien et la nécessité d’émettre des signes d’ouverture.

A cet égard, M. Edouard Balladur a rappelé que la commission présidée par M. James Baker préconise une évolution du soutien qu’apportent les Etats-Unis à Israël sur le conflit israélo-palestinien.

Le ministre des Affaires étrangères a, ensuite rappelé que la communauté internationale n’est absolument pas restée inactive lors de la prise du pouvoir par les Tribunaux islamiques puisqu’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies a été adoptée, à laquelle la France a fortement contribué. Des contacts ont, par ailleurs, été pris avec l’Union africaine afin d’examiner la possibilité d’un déploiement d’une force africaine et le retrait concomitant des troupes éthiopiennes. Enfin, un dialogue permanent existe entre les différentes parties afin de parvenir à un renforcement des institutions somaliennes et un règlement politique de la crise.

Enfin, le Ministre a indiqué qu’aucun retrait de la force Licorne de Côte d’Ivoire n’est à l’ordre du jour.

M. Loïc Bouvard a interrogé le ministre sur la position de la France vis-à-vis de deux pays européens qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Depuis le dernier élargissement, la Moldavie est devenue un voisin immédiat de l’Union. C’est un pays pauvre et déchiré à cause de la sécession de fait de la Transnistrie. Que fait la France pour venir en aide à ce petit pays et pour le soutenir dans la lutte contre les divers trafics et flux migratoires qui empruntent son territoire ? Par ailleurs, quelle est la position française sur le futur statut du Kosovo ? Une décision dans ce domaine devra être prise après les élections législatives serbes. Que fera la France si le Kosovo devient indépendant ? Les troupes européennes présentes sur place seront-elles maintenues ?

Revenant aux questions communautaires, M. Pierre Lequiller a estimé que la période 2007-2008 serait cruciale. Si elle ne permet pas de trouver une solution à la crise institutionnelle, un enlisement est à craindre. Certains députés européens proposent déjà l’organisation d’une nouvelle convention qui ne pourrait déboucher que dans plusieurs années. La question du calendrier est essentielle. Il est normal que la présidence allemande mène des consultations mais sait-on si elle cherche une solution unique ou si elle projette de présenter plusieurs options sur lesquelles une conférence intergouvernementale pourrait travailler au cours des prochains mois ? Il ne faut pas placer trop d’espoir dans la prochaine réunion des dix-huit Etats membres qui ont ratifié le projet de convention, et qui représentent plus de la moitié de la population communautaire.

En ce qui concerne les questions énergétiques, le Conseil européen préconise une diversification des sources, le développement des énergies renouvelables et du recours au nucléaire. Les discussions entre la France et l’Allemagne laissent-elles apparaître une évolution des positions allemandes en faveur du nucléaire ?

En réponse à ces interventions, le ministre des Affaires étrangères a apporté les précisions suivantes :

– L’aide française à la Moldavie passe par trois canaux : la coopération bilatérale, la francophonie et la politique de voisinage de l’Union européenne.

– Il est possible que les forces démocratiques remportent les prochaines élections législatives serbes et que les nationalistes en sortent affaiblis. Cela devrait améliorer la collaboration de la Serbie avec le Tribunal pénal international, condition à la reprise des négociations avec l’Union européenne sur l’accord de stabilisation et d’association. En revanche, l’opposition à l’indépendance du Kosovo est partagée par l’ensemble des forces politiques serbes.

– Les températures record enregistrées ces derniers jours dans de nombreux pays témoignent des conséquences qu’a sur le climat l’industrialisation des pays émergents ajoutée à celle des pays développés. Même les écologistes ne pourront éternellement refuser le recours à l’énergie nucléaire, alors que ce secteur enregistre des progrès considérables. Bien qu’un nombre croissant de pays européens recoure au nucléaire civil, il ne semble pas que la position de la grande coalition allemande évolue actuellement de manière significative dans ce domaine, mais l’Allemagne suit avec attention le développement de l’énergie nucléaire en Inde et en Chine.

– La présidence allemande doit faire des propositions de méthode et, en particulier, proposer soit le maintien du projet de Traité constitutionnel dans sa forme actuelle, soit l’élaboration d’une nouvelle version plus réduite. La France prendra probablement position en faveur de cette seconde solution. Elle est, en particulier, attachée à l’instauration d’une présidence pour une durée de deux an et demi, renouvelable une fois, à la création d’un poste de ministre des affaires étrangères européen et à l’élargissement du champ de la décision à la majorité qualifiée.

Le Président Edouard Balladur a rappelé qu’il était favorable à l’extension du champ d’application de la majorité qualifiée mais qu’il faudrait alors procéder à une nouvelle pondération des voix qui tienne mieux compte de la population de chacun des Etats membres. Il a enfin estimé qu’il était urgent de mettre un terme aux débats, très virulents en France, sur le fonctionnement de la Banque centrale européenne en plaçant face à elle un interlocuteur qui joue le rôle que remplit le ministre des Finances vis-à-vis de chaque banque centrale nationale.

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