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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mardi 23 janvier 2007

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 22

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

 

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– Audition de représentants d’ONG sur la situation au Darfour (Médecins du Monde, Solidarités, Action contre la faim)

  

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Audition de représentants d’ONG sur la situation au Darfour (Médecins du Monde, Solidarités, Action contre la faim)

Le Président Edouard Balladur a, tout d’abord, remercié les représentants d’ONG venus évoquer le sort tragique des populations du Darfour. Il a précisé que le Bureau de la Commission des affaires étrangères a souhaité recueillir leur témoignage afin de se faire une idée précise de la situation, au-delà de l’émotion que les événements ne manquent naturellement pas de susciter, et examiner quelles conclusions pouvaient être tirées sur les moyens de parvenir à quelque amélioration de la situation.

M. Thomas Gonnet, directeur des opérations d’Action contre la Faim, a indiqué que l’objet de la présentation préparée conjointement par les trois ONG présentes était de mettre l’accent sur le contexte politique de la crise du Darfour, les problèmes de sécurité auxquels les organisations humanitaires sont confrontées sur place et, enfin, la situation humanitaire des populations du Darfour.

Il a, tout d’abord, insisté sur l’aggravation de la crise depuis son commencement, en 2003. Si l’on a pu espérer une forme de répit à l’été 2005, cet optimisme s’est très vite heurté à la reprise des violences et à l’absence de solution politique engageant l’ensemble des parties au conflit. A cette situation dramatique s’est ajoutée, en 2006, l’extension du conflit du Darfour vers le Tchad, qui fait craindre une régionalisation de la crise.

Il a rappelé que ce conflit avait déjà fait près de 200 000 morts et plus de 2,5 millions de déplacés et que le camp de déplacés de Gereida, qui accueille 130 000 personnes, est le plus grand camp de déplacés au monde. Ce bilan ne cesse de s’alourdir puisqu’on estime à plus de 250 000 le nombre de personnes déplacées au cours des six derniers mois, la plupart d’entre elles fuyant pour la deuxième ou troisième fois. Par ailleurs, les Nations unies ont annoncé que des villages ont récemment été pillés, brûlés et bombardés, que plantations et récoltes ont été détruites, et que les violences sexuelles massives contre les femmes persistent.

En ce qui concerne le contexte politique du conflit, M. Thomas Gonnet a souligné que l’accord de paix pour le Darfour, signé en mai 2006, à Abuja, ne constituait pas la première tentative de solution du conflit. Au printemps 2004, des pourparlers de paix ont, en effet, été engagés, en présence de la communauté internationale (Union Africaine, Union Européenne, Etats-Unis), qui ont donné lieu à la signature d’un accord de cessez-le-feu, prévoyant le désarmement des milices janjawides et l’accès humanitaire aux populations victimes tandis que l’Union africaine était chargée de mettre en place une mission d’observation du cessez-le-feu. Cette tentative de résolution du conflit est restée sans effet. De nouvelles négociations ont conduit, en mai 2006, à la signature d’un accord de paix à Abuja entre une seule faction rebelle (Armée de libération du Soudan – ALS –, faction de Minni Minawi) et le gouvernement soudanais. Cet accord, obtenu à l’arraché grâce à la pression de la communauté internationale, prévoit notamment le désarmement des milices janjawides par le gouvernement soudanais, l’intégration du groupe signataire ALS – faction de Minni Minawi au sein de l’exécutif, un partage plus équilibré des ressources entre le pouvoir central et les régions du Darfour et la mise en place d’une conférence réunissant l’ensemble des acteurs du Darfour.

Il a observé que, depuis la signature de cet accord, la situation s’était détériorée et correspondait à une véritable impasse militaire et politique : largement inappliqué (les milices janjawides n’ont pas été désarmées, aucune des parties ne respecte le cessez-le-feu), l’accord d’Abuja n’a pas rallié les factions réfractaires tandis que les populations Fours, dans les camps de déplacés, le rejettent massivement. Les raisons principalement invoquées par les autres groupes rebelles pour justifier leur refus de signer sont une indemnisation trop faible des déplacés, l’insuffisante représentation politique du Darfour au niveau national et le refus par Khartoum de voir se constituer un Darfour unifié. Il résulte de cette absence de ralliement à l’accord de paix, un processus d’atomisation des groupes combattants, à l’origine d’une recrudescence des combats. Dans le même temps, le gouvernement soudanais renforce son effort militaire au Darfour où contingents militaires, armes et munitions affluent vers les villes sous contrôle gouvernemental. La conjugaison de ces éléments attise les tensions et entraîne une recrudescence des violences contre les populations mais aussi contre les travailleurs humanitaires (comportements de prédation des biens matériels tels que voitures, ordinateurs, etc.).

Enfin, il s’est interrogé sur le rôle de l’Union africaine dans la résolution du conflit, en cas d’accession du Soudan à la présidence de l’organisation, fin janvier 2007.

Il a considéré que, dans ce contexte de radicalisation du conflit, les nouvelles discussions prévues à la fin du mois de janvier entre les diverses factions rebelles et le gouvernement pourraient constituer un fragile espoir de paix. En tout état de cause, il a indiqué que les trois ONG représentées – Action contre la Faim, Médecins du Monde et Solidarités – souhaitaient que la communauté internationale s’engage rapidement en faveur d’une solution politique globale afin de marquer un coup d’arrêt à l’augmentation du nombre de victimes. Le déploiement de Casques bleus ne pourra, en effet, à lui seul, résoudre la crise et assurer la sécurité des populations comme des acteurs humanitaires. Si un cadre politique global n’est pas rapidement mis en place, le drame humanitaire qui se déroule aujourd’hui risque de se transformer en véritable catastrophe humanitaire.

En ce qui concerne les questions de sécurité, M. Thomas Gonnet a rappelé qu’elles constituaient une condition essentielle pour avoir accès aux populations et les secourir. Si, en 2005, une timide amélioration des conditions de sécurité a permis à une partie de la population de quitter les camps, au moins de manière temporaire, pour regagner leurs terres, cette accalmie, de courte durée, n’a cependant pas concerné l’ensemble du Darfour. Elle a, toutefois, permis aux organisations humanitaires d’étendre leur couverture à des zones jusque là inaccessibles, augmentant sensiblement le nombre des bénéficiaires de l’aide humanitaire.

Il a insisté sur la situation d’insécurité croissante qui prévalait depuis 2006, avec une augmentation des violences contre les populations et des incidents à l’encontre des travailleurs humanitaires. Ces violences sont à la fois imputables aux milices janjawides, aux autorités de Khartoum, ainsi qu’aux mouvements rebelles. Dans ce contexte, les organisations humanitaires doivent négocier en permanence, au plan local, avec les différentes parties en présence pour garantir leur accès aux populations vulnérables. Toutefois, le pic de violence observé, fin 2006, à l’encontre des travailleurs humanitaires, démontre que les garanties de sécurité apportées par les responsables locaux n’ont que peu de valeur : 30 organisations humanitaires et agences des Nations unies ont, en effet, été directement attaquées au cours du dernier semestre, entraînant la mort de 12 travailleurs humanitaires.

Il a observé que les mouvements rebelles ne contrôlaient manifestement plus leurs troupes, ce qui risquait de provoquer une détérioration du contexte sécuritaire dans les semaines à venir. Au-delà des instabilités d’alliances, une stratégie de cantonnement des organisations humanitaires à quelques poches d’intervention semble clairement à l’œuvre.

En dépit de cette détérioration des conditions de sécurité, il a déclaré que les trois ONG, Action contre la Faim, Médecins du Monde et Solidarités refusaient, en raison de la spécificité de leur mandat humanitaire, de bénéficier de l’appui d’escortes militaires, quelles qu’elles soient, dans la mise en œuvre de leurs actions.

Enfin, il a souligné que différentes initiatives attestaient d’une inquiétude partagée des différents acteurs humanitaires sur cette dégradation des conditions de sécurité et ses conséquences catastrophiques pour les populations civiles du Darfour. Cette situation doit conduire les organisations, présentes au Darfour, à adopter une position commune pour exiger de toutes les parties des garanties équivalentes de sécurité. Cette stratégie a d’ailleurs été adoptée par les organisations Action contre la Faim et Oxfam, à la suite des graves incidents de Gereida du 18 décembre dernier.

S’agissant, enfin, de la situation humanitaire des populations civiles du Darfour, M. Thomas Gonnet a rappelé que la communauté internationale s’était fortement mobilisée en consacrant plus de 1 123 millions de dollars à l’aide humanitaire. Cette mobilisation des bailleurs a permis aux organisations humanitaires de fournir une aide conséquente aux populations du Darfour et d’enrayer, au cours de l’année 2005, l’augmentation du nombre de victimes dues aux conséquences du conflit (principalement liées aux maladies et à la malnutrition). L’aide alimentaire a bénéficié à 2,6 millions de personnes en août 2005 (contre 1,5 million en janvier 2005), ce qui a permis de réduire les taux de malnutrition globale de moitié, qui sont passés de 22% au plus fort de la crise (mi-2004) à 13% en 2006. Par ailleurs, les taux moyens de mortalité s’établissent à 0,36‰ par jour, bien en deçà du seuil critique de 1‰. Toutefois, l’obtention de données statistiques fiables reste difficile et partielle, notamment en dehors des camps de déplacés, dans les très larges zones où les besoins des populations sont importants et quasiment non couverts.

Il a néanmoins estimé que la situation nutritionnelle et sanitaire des populations restait extrêmement fragile dans la mesure où elle était largement tributaire des conditions de sécurité et d’accès. Ainsi, les Nations unies estimaient, en octobre 2006, que la population affectée par le conflit au Darfour s’élevait à environ 4 millions de personnes, en augmentation de plus de 40% par rapport à 2005.

Il a par ailleurs regretté que les zones isolées échappent de plus en plus à l’aide humanitaire dans la mesure où la forte densité de population dans les camps et autour des villes (due à l’exode et la saturation des camps), conjuguée à l’insécurité, avaient pour conséquence de concentrer l’assistance sur ces pôles. Si l’assistance internationale a pu se repositionner sur les zones rurales à partir de 2004, l’augmentation des actes de violence a rendu de plus en plus précaire l’assistance aux populations isolées. Ainsi, le nombre de personnes en situation d’urgence, mais ne pouvant être atteintes par les organisations humanitaires, est passé de 290 000 à 470 000, en deux mois (de juin à juillet 2006) ; en janvier 2007, 170 000 personnes supplémentaires se trouvent exclues de l’aide humanitaire par rapport au mois précédent.

En outre, l’Est du Tchad connaît désormais une dégradation de la situation humanitaire liée à l’exode des populations du Darfour vers le Tchad ainsi qu’à l’extension du conflit, au delà de ces frontières. Dans le district de Dar Sila, par exemple, le quart de la population totale (50 000 personnes) a dû fuir la zone, au cours du premier semestre 2006, en raison de mouvements armés de part et d’autre de la frontière. On compte désormais plus de 230 000 réfugiés soudanais au Tchad et plus de 90 000 déplacés internes tchadiens : ces populations survivent dans des camps, à la frontière soudano-tchadienne, dans une totale dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire.

La fréquence des incidents de sécurité rend difficile la délivrance de l’aide humanitaire : le Programme alimentaire mondial (PAM) a suspendu temporairement ses activités dans le Nord-Est du Tchad ainsi que la plupart des organisations humanitaires, notamment à Abéché depuis la dernière attaque des rebelles tchadiens, en novembre dernier.

M. Thomas Gonnet a conclu à une nette aggravation de la crise humanitaire, qui touche notamment les produits agricoles. A titre d’exemple, la distribution de plus grandes quantités de semences en 2005 aurait dû favoriser les récoltes en 2006, ce qui n’a pas été le cas du fait de l’accroissement de l’insécurité, à l’automne : les mouvements de population ont, en effet, contraint les fermiers à quitter leurs terres cultivées au moment des récoltes.

Afin d’illustrer ces difficultés, M. Guillaume Woehling, responsable géographique à Solidarités, a fait part de son expérience de terrain, notamment des attaques de villages au Sud du Darfour. Les 12 et 13 novembre derniers, les deux villages de Motowred et N’Gabo – 9.000 et 17.000 habitants – ont été attaqués par 250 cavaliers. Ce type d’attaque éclair vise à détruire les liens sociaux et économiques locaux : le marché, les récoltes et le générateur permettant l’alimentation d’un point d’eau ont été brûlés. Fuyant ces attaques, les habitants des villages principaux et des villages alentour se sont réfugiés dans le bush, sans eau ni nourriture. Dans ce cas de figure, l’urgence consiste, pour les organisations humanitaires, à réinstaller le point d’eau afin que les habitants reviennent poursuivre la récolte. Ce point est essentiel, alors que le Programme alimentaire mondial a réduit son aide, ce qui fait craindre une dégradation de la situation nutritionnelle en 2007. La question de l’accès à l’eau s’est également posée de manière cruciale à la suite de l’assaut subi par Muhageria, ville contrôlée par un mouvement rebelle, attaquée à deux reprises au mois d’octobre 2006. Ses habitants se sont réfugiés à Seleah, ville de 7 000 habitants, qui, dotée d’un seul point d’eau, s’est trouvée déstabilisée par l’arrivée de 20 000 déplacés. Dans ce contexte, l’organisation humanitaire Solidarités n’a eu de cesse de rétablir l’accès à l’eau, par l’organisation d’un convoyage d’eau. Cependant, elle a dû cesser son intervention à la suite de l’attaque de l’un de ses convois au mois de décembre 2006, les problèmes de sécurité représentent en effet le frein principal à l’intervention des organisations humanitaires en zone rurale.

M. Thomas Gonnet, directeur des opérations à Action contre la faim, a expliqué que la conséquence directe des difficultés d’accès à l’eau était l’apparition d’épidémies de choléra.

M. Jérôme Larché, responsable de la mission Soudan à Médecins du Monde, a insisté sur le fait que l’accès aux populations en dehors des camps de déplacés constituait le principal problème. L’organisation Médecins du Monde (MDM) n’est ainsi plus présente au Jebel Mara, une région montagneuse, difficile d’accès où se trouvent des groupes rebelles et où les conditions de sécurité empêchent la prise en charge de toute nouvelle urgence, comme les épidémies de choléra par exemple.

M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales à Médecins du Monde, a conclu en soulignant que les associations étaient inquiètes face à la dégradation réelle de la situation des populations depuis plusieurs mois. En outre, elles se disent très préoccupées pour leurs équipes qui sont de plus en plus contraintes de se replier sur des zones spécifiques si bien qu’aujourd’hui l’on peut dire que les ONG ne sont plus présentes au Darfour que dans quelques zones limitées seulement.

A la question posée par le Président Edouard Balladur qui l’interrogeait sur le nombre de collaborateurs affectés par MDM au Darfour, M. Jérôme Larché a répondu qu’il y avait un peu plus de 200 employés locaux, 13 expatriés et une équipe de coordination à Khartoum.

M. Paul Quilès a estimé que, face au drame du Darfour, l’émotion ne suffisait pas, surtout dans une enceinte politique. Il faut rendre hommage au travail, toujours plus dangereux, des ONG mais aussi chercher des solutions. Les personnels des ONG, qui travaillent au jour le jour sur le terrain, sont les mieux à même de répondre aux questions politiques qui se posent.

M. Paul Quilès a demandé aux représentants des ONG si la sensibilisation de l’opinion publique et des responsables politiques leur semblait suffisante et utile. Comment faire mieux ? Les panneaux installés récemment dans les aéroports sont-ils un support d’information efficace ?

Le gouvernement soudanais souhaite-t-il que le conflit soit résolu ? Quelle solution serait acceptable pour lui ? Alors que la crise se propage au Tchad, tout accord ne doit-il pas se négocier dans un cadre régional ?

Après avoir rappelé qu’une délégation de la Commission avait rencontré, à l’automne dernier, des ONG actives au Darfour à l’occasion d’un déplacement à New York, M. Paul Quilès a souhaité savoir ce que les ONG françaises pensaient des moyens de pression susceptibles d’être utilisés sur ceux qui sont à l’origine du conflit, sur ceux qui l’entretiennent ou ne font rien pour y mettre un terme.

M. Roland Blum a demandé ce qu’il adviendrait de la distribution alimentaire et de l’aide humanitaire aux populations si l’aggravation des violences entraînait le départ des ONG. La Croix rouge peut-elle assurer ces missions ? Les ONG ont besoin de sécurité pour travailler et elles refusent tout encadrement par des forces armées, ce qui peut se comprendre. Cette situation ne risque-t-elle pas d’enclencher un cercle vicieux très négatif pour les populations ?

M. Jean-Claude Guibal a souhaité savoir si les provinces du Darfour avaient déjà, par le passé, tenté de faire sécession. Quelles sont, sur le terrain, les relations entre les ONG, les autorités locales et les responsables des troupes rebelles ? La découverte de gisements pétroliers à l’Ouest du Darfour et au Tchad ne joue-t-elle pas un rôle dans le conflit ?

Le Président Edouard Balladur s’est interrogé sur la volonté du gouvernement soudanais et sur le but de son action. Souhaite-t-il réellement protéger les populations ? Son action est-elle inefficace ou manque-t-il de volonté politique ?

Le gouvernement soudanais vient d’adhérer aux deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève et doit, en conséquence, respecter les règles du droit humanitaire international. Le Procureur de la Cour pénale internationale a présenté récemment au Conseil de sécurité un rapport sur les crimes commis au Darfour. Des poursuites peuvent-elles être engagées sur des fondements juridiques solides ?

Quel jugement les ONG portent-elles sur la mise en place d’une « force hybride » ? Comment est-elle composée ? Son commandement est-il crédible ? Le mouvement de désengagement des ONG ne traduit-il pas un scepticisme vis-à-vis de son efficacité ?

Comme au moment de la crise du Rwanda, la communauté internationale semble passive. A l’époque, l’ONU n’avait rien entrepris, laissant la France agir seule, avant de la critiquer. Aujourd’hui, l’ONU est-elle indifférente ou impuissante face à la situation au Darfour ? Fait-elle preuve d’une volonté d’agir pour résoudre le conflit ?

M. Alain Boinet, directeur général, Fondateur de Solidarités, a relevé la diversité des questions posées, dont plusieurs sont de nature politique. Sans nier les problèmes politiques auxquels peuvent se trouver confrontées les organisations humanitaires, il a rappelé la vocation exclusivement humanitaire des actions menées sur le terrain et indiqué que la sécurité des personnels expatriés dépendait aussi des déclarations des uns et des autres. Puis il a rappelé la règle définie d’un commun accord entre les différentes organisations consistant à intervenir à des fins humanitaires, de manière impartiale et indépendante de toute considération politique. Les ONG présentes au Darfour évoluent entre des factions qui se battent pour des objectifs différents, dans des zones dont certaines sont contrôlées par le gouvernement de Khartoum tandis que d’autres le sont par des forces rebelles. Or, il est inconcevable d’agir auprès des populations en étant soupçonné d’être partie prenante au conflit. S’exprimant sur la campagne de sensibilisation menée auprès de l’opinion publique, il a insisté sur la spécificité des organisations présentes sur place qui, à la différence des associations de promotion des droits de l’homme, sont en prise directe avec les réalités du terrain, aux côtés des victimes. Il a estimé qu’il était naturellement très important que les responsables politiques et, plus généralement les décideurs, soient davantage informés de la situation au Darfour ; c’est une condition nécessaire à une mobilisation plus importante de l’opinion publique. Puis, il a insisté sur le fait que tout accord politique qui ne prendrait pas en compte la situation sur le terrain ne permettrait pas de garantir la paix.

M. Thomas Gonnet, directeur des opérations d’Action contre la Faim, a indiqué que son organisation avait la pris la décision difficile, suite à l’attaque dont elle avait été victime le 18 décembre dernier, d’évacuer le camp de Gereida, au même titre que cinq autres organisations ; seule la Croix rouge (CICR) est désormais présente sur place. Il a vivement dénoncé la multiplication des incidents (40 véhicules volés en moins de deux mois) et des violences, qui vont jusqu’au viol de femmes, y compris au sein des équipes humanitaires. La ligne rouge a été franchie et la sécurité des populations et des personnels des organisations humanitaires n’est plus assurée. M. Thomas Gonnet a rejeté le recours à un encadrement militaire – contraire à la philosophie des organisations humanitaires – estimant que l’encadrement par des hommes en armes ne garantirait pas la sécurité des opérations, ni ne faciliterait l’accès aux populations.

M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales de Médecins du Monde, a estimé qu’il fallait distinguer la question de la mise en place d’une force de stabilisation au Soudan et celle d’une escorte armée des convois humanitaires. Une telle escorte n’est pas souhaitée par les organisations humanitaires qui, par ailleurs et en l’état, ne désirent pas prendre position sur le sujet de la force de stabilisation. On doit constater que la présence de l’Union africaine au Darfour n’a pas permis d’y apporter plus de sécurité. Lors de l’attaque du camp de Gerida, les troupes de l’Union africaine, pourtant présentes à quelques centaines de mètres, ont mis plus de trois heures avant d’intervenir. Quant à ce que l’on a appelé la « force hybride », sans porter de jugement sur cette initiative, on doit observer qu’elle est aujourd’hui encore composée principalement de forces de l’Union africaine et de seulement quelques dizaines de personnes dépendant de l’ONU. En tout état de cause, il est clair qu’aujourd’hui on ne peut pas travailler au Darfour en toute sécurité.

Il a ajouté qu’il fallait sans doute avoir un regard sur les origines du conflit pour bien en saisir la complexité et les enjeux, en observant que les forces rebelles n’avaient pas affiché une intention de séparer le Darfour du reste du Soudan mais revendiquent, en revanche, une répartition différente des ressources et des pouvoirs.

Il a constaté que les autorités soudanaises étaient parties au conflit et que les forces rebelles étaient de plus en plus déstructurées. Tout cela ne permet pas aujourd’hui d’améliorer la situation. L’insécurité s’aggrave pour les organisations qui portent secours aux populations.

M. Jérôme Larché, responsable de la mission Soudan à Médecins du Monde a également insisté sur la question essentielle que constitue la sécurité des organisations humanitaires sur le terrain. Actuellement, la présence d’escortes armées n’apporterait aucune garantie supplémentaire d’accès aux populations touchées par le conflit. Aucune force militaire présente sur le terrain des opérations, pas même celle de l’Union africaine, n’est considérée comme neutre. Le plus important est, pour pouvoir rester au Darfour, que les populations et les parties belligérantes acceptent la présence des organisations humanitaires. Le déploiement d’escortes ne serait pas de nature à accroître cette acceptation. Les ONG essaient de se montrer les plus transparentes possibles pour susciter cette adhésion des acteurs locaux à leur intervention ; cela suppose un grand effort de pédagogie à leur attention sur les projets de organisations et la place qu’elles occupent dans ce conflit.

Il a noté que la question du Darfour posait, sous un jour très complexe, le problème des relations entre le centre et la périphérie dans l’Etat du Soudan comme dans d’autres pays africains. L’enjeu est bien l’accès aux ressources, à la terre, avec, en toile de fond, une opposition ancienne entre populations nomades et sédentaires sur laquelle on a greffé des enjeux ethniques, facteur particulièrement aggravant.

M. Alain Boinet, directeur général de Solidarité, a rappelé que l’ONU ne disposait pas aujourd’hui de moyens suffisants sur le terrain pour enrayer l’aggravation de la situation. Le retrait ou la menace de retrait de certaines organisations humanitaires n’a pas encore convaincu les forces rebelles comme l’Armée de libération du Soudan (ALS) au Sud Darfour de cesser ses actions contre les ONG. Celles–ci doivent disposer de l’accord des autorités gouvernementales – en l’occurrence de visas – pour travailler au Soudan. De même, toute action est impossible dans les zones contrôlées par les rebelles sans leur assentiment. L’absence de front au Darfour – mais la constitution de « poches » contrôlées soit par le Gouvernement, soit par les forces rebelles dans leur diversité – rend les choses plus difficiles encore. Tous les acteurs présents au Darfour peuvent témoigner des multiples pressions, voire menaces, dont ils sont l’objet. C’est ainsi que des personnels d’ONG ou des Nations Unies ont été arrêtés, malmenés et détenus parfois plusieurs jours. La situation actuelle est telle que les agences de l’ONU ont récemment indiqués qu’elles pourraient être contraintes d’interrompre leurs activités. C’est ainsi que ce que l’on nomme l’espace humanitaire, c'est-à-dire la possibilité de secourir les populations, ne cesse de se réduire et que les risques pour les humanitaires ne cessent d’augmenter. Si la situation actuelle perdure, quelles pourraient en être les conséquences pour les populations privées d’aide humanitaire dans les semaines et mois à venir.

Le Président Edouard Balladur, reprenant la comparaison avec la guerre au Rwanda qui s’était soldée par la victoire d’un camp sur un autre, s’est demandé si l’enlisement du conflit au Darfour pouvait être imputé aux autorités de Khartoum. En d’autres termes, le Gouvernement soudanais pourrait-il, s’il en avait la volonté politique, amener les rebelles à résipiscence ?

M. Alain Boinet, directeur général, fondateur de Solidarités, a mentionné l’existence de l’Accord d’Abuja, signé en mai 2006 par le Gouvernement de Khartoum avec un mouvement rebelle aujourd’hui très fragilisé du fait de son atomisation, tandis que d’autres factions rebelles ne sont toujours pas parties prenantes à l’accord.

M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales de Médecins du Monde, a rappelé les opérations menées, il y a quatre ans, par le gouvernement soudanais (interventions aériennes, mouvements de troupes au sol, actions des milices Janjawides), à l’origine du désastre humanitaire actuel qui se chiffre à plusieurs centaines de milliers de morts et de déplacés. Évoquant le déplacement de forces soudanaises actuellement observé, il a indiqué ne pas en connaître les raisons. En tout état de cause, la réalité reste dramatique et quelle que soit la lecture politique que l’on fait des événements, il est incontestable que la situation se dégrade sensiblement, tant pour les populations que pour les équipes humanitaires chargées de leur venir en aide.

Après avoir indiqué qu’il comprenait parfaitement le refus des ONG de prendre partie sur des questions politiques et de bénéficier d’un encadrement militaire, le Président Edouard Balladur a néanmoins fait observer que la présence d’une force de stabilisation serait de nature à faciliter grandement leurs activités. Il a indiqué qu’il retenait principalement deux points des témoignages des représentants des ONG : d’une part le fait que le gouvernement soudanais est partie au conflit, et n’est donc pas neutre ; d’autre part, que la situation s’aggrave sur le terrain. Il convient d’en tirer des conséquences sur le plan de l’action : qu’est-ce que les ONG attendent de la Commission ? Qu’est-ce que cette dernière pourrait entreprendre ?

Il semble que deux directions puissent être suivies. Il convient d’abord d’agir auprès du gouvernement soudanais, ce qui n’est pas aisé pour la Communauté internationale car les intérêts, notamment économiques, des Etats sont différents. La France peut néanmoins s’efforcer d’exercer une pression dans la mesure de ses moyens. Par ailleurs, il est impératif d’obtenir le respect par le Soudan des règles internationales relatives aux droits de l’homme. Il n’est pas concevable que le Conseil de sécurité ne fasse pas le nécessaire pour que les procédures engagées soient poursuivies. Seule la peur du soupçon du néo-colonialisme et le respect aveugle de la souveraineté nationale pourrait l’en empêcher. Il convient donc d’inciter le gouvernement français à mener une action auprès du gouvernement soudanais – ce qu’il fait déjà, comme en atteste le récent déplacement du ministre des Affaires étrangères au Darfour – et à pousser les Nations unies sur la voie de la poursuite des criminels de guerre.

M. Paul Quilès a souhaité connaître l’opinion des ONG sur la décision du Conseil de sécurité de l’ONU d’envoyer 17 000 hommes, ainsi que sur le fait que cette décision s’était révélée inapplicable et n’avait, de fait, pas été appliquée. Par ailleurs, il a regretté que les ONG n’aient pas évoqué ce qui se passe de l’autre côté de la frontière avec le Tchad, dans la mesure où le conflit prend de l’ampleur et où des camps de réfugiés commencent à s’installer.

M. Jean-Jacques Guillet a demandé combien d’ONG étaient présentes au Darfour, si elles envisageaient toutes plus ou moins de se retirer dans les prochaines semaines et si leur retrait pouvait avoir un effet sur l’opinion publique et en particulier aux Etats-Unis, dans la mesure où 40 % des fonds affectés aux ONG au Darfour sont d’origine américaine. Peut-on attendre un effet positif à moyen terme d’un éventuel retrait qui, pourrait paradoxalement s’avérer plus mobilisateur malgré ses conséquences immédiates, négatives pour la population ?

M. Jean-Claude Guibal s’est interrogé sur les forces ou les intérêts qui instrumentalisent les acteurs en armes au Soudan et sur les moyens d’agir sur ces forces ou ces intérêts.

M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales de Médecins du Monde, a tout d’abord fait observer qu’une réunion organisée récemment à Genève sous l’auspice de l’Office humanitaire des Nations unies (OCHA) et regroupant environ 80 ONG internationales de tous horizons, présentes au Darfour, avait révélé que, certes, toutes faisaient le même constat de difficultés très grandes, mais qu’il n’y avait pas de front uni sur la ou les décisions à prendre s’agissant d’un éventuel retrait. Pour preuve, les ONG Action contre la faim, Médecins du monde, MDM et Solidarités auditionnées par la Commission des Affaires étrangères, affichent toutes trois une position différente en la matière. S’agissant des solutions à apporter à ce problème, il a insisté sur le fait que les ONG étaient venues apporter un témoignage sur la réalité d’une situation qui s’aggrave réellement. Pour le reste, elles s’en remettent à la sagesse de l’Assemblée nationale.

M. Jérôme Larché, responsable de la mission Soudan à Médecins du Monde a souligné le caractère suffisamment rare et fort pour être signalée de la déclaration commune de l’ONU en date du 17 janvier 2007 dans laquelle toutes les agences des Nations unies présentes au Soudan annonçaient très directement la dégradation de la situation actuelle. Ceci donne la mesure de la gravité de la situation. S’agissant du Tchad, l’organisation Médecins du Monde n’y est pas présente, néanmoins, refuser de faire une lecture régionale de la situation serait une erreur : le Darfour, le Tchad et la Centrafrique sont concernés.

M. Thomas Gonnet, directeur des opérations à Action contre la Faim, dont l’ONG est présente au Tchad a déclaré faire le même constat d’une dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire. Et les mêmes réserves peuvent être faites qu’au Darfour concernant les solutions : la réponse politique doit être régionale. Il faut que les instances internationales trouvent une solution à laquelle puissent adhérer un maximum de parties. C’est là que le parlement peut jouer un rôle.

M. Alain Boinet, directeur général, fondateur de Solidarités, a également insisté sur la nécessité de trouver une solution négociée avec toutes les parties au conflit. Envoyer 20 000 hommes sur un terrain aussi grand que la France, sans infrastructures et où des combats ont lieu, induira beaucoup de difficultés, voire de revers, en l’absence d’un accord politique négocié entre les belligérants. Eu égard à la dégradation accélérée de la situation pour les populations en termes de sécurité, la question est de savoir quelle sera la prochaine étape. Le risque est grand que l’aide humanitaire se trouve interrompue par la force des armes au Darfour.

Le Président Edouard Balladur a remercié les différents intervenants non seulement pour leurs éclaircissements, mais aussi pour leur action sur le terrain. Le malheur est que la solution politique de ce conflit apparaît hors de portée, du fait d’une coordination internationale insuffisante en la matière. Il n’en demeure pas moins que la Commission des Affaires étrangères doit intervenir auprès du Gouvernement français de façon très pressante pour rappeler que la situation s’aggrave et l’inciter à être l’agent d’une action internationale plus efficace de pression sur le gouvernement soudanais, qui se révèle passif et a fortiori hostile à toute amélioration de la situation. Par ailleurs, il faudrait examiner de façon précise les possibilités d’appliquer la législation internationale punissant les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Il ne faut pas que ce qui s’est passé naguère au Rwanda se reproduise au Soudan.

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Darfour

ONG