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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 31 janvier 2007

Séance de 10 h 15
Compte rendu n° 24
SESSION 2006 - 2007

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

 

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– Audition de M. Jean-Michel Severino, Directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et de M. Philippe Etienne, Directeur général de la Coopération internationale et du développement, sur l’aide publique au développement

  

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Audition de M. Jean-Michel Severino, Directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et de M. Philippe Etienne, Directeur général de la Coopération internationale et du développement, sur l’aide publique au développement
Le Président Edouard Balladur
s’est réjoui d’accueillir M. Jean-Michel Severino, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), et M. Philippe Étienne, directeur général de la coopération internationale et du développement. Il les a priés de faire part de leurs analyses à propos du présent et de l’avenir de l’aide publique au développement.

M. Philippe Étienne a rappelé que la France s’est fixé comme objectif de consacrer en 2007 0,5 % de son PIB à l’aide publique au développement, soit 9,2 milliards d’euros, et de faire passer ce taux à 0,7 % en 2012.

Au-delà des volumes importants d’annulation de dette, cette croissance des crédits d’aide au développement est due à l’implication de plus en plus forte de la France dans les dispositifs multinationaux mis en œuvre par les Nations unies et l’Union européenne. Elle est le premier contributeur au Fonds européen de développement (FED), principal instrument financier de coopération communautaire avec les pays en développement, et passera au deuxième rang, derrière l’Allemagne, pour le Xe FED. Elle soutient aussi les institutions financières multinationales et régionales, notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Elle contribue très largement aux nouveaux fonds spécialisés, en particulier le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Enfin, elle a pris la tête du mouvement en faveur de mécanismes de financement additionnels innovants en adoptant la taxe de solidarité sur les billets d’avion, qui lui a permis, avec d’autres pays, de créer la facilité internationale d’achat de médicaments UNITAID.

Parallèlement à l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui a donné lieu à la création d’une mission interministérielle dotée de deux programmes – l’un du ministère de l’économie et des finances, l’autre du ministère des affaires étrangères –, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a décidé de réformer le système de pilotage de l’aide publique au développement afin de rationaliser les actions menées par la France, d’assurer leur cohérence et de les coordonner, sous l’autorité des ambassadeurs, avec un rôle accru d’opérateur pivot et de tutelle conféré à l’AFD, autour d’un chef de file, le ministre chargé de la coopération.

Le partenariat avec les associations de la société civile et les entreprises est renforcé et élargi. Les financements inscrits dans la loi de finances pour 2007 ont été accrus et, conformément à la demande de la Cour des comptes, ils font l’objet d’un contrôle plus rigoureux. Une initiative innovante de partenariat a été lancée dans le cadre de l’Alliance pour le développement, qui réunit le ministère des affaires étrangères, le ministère de l’économie et des finances, l’AFD, l’Institut Pasteur et deux entreprises, Sanofi Aventis et Veolia Environnement, avec des projets au Niger, au Vietnam et à Madagascar.

Pour l’avenir, M. Philippe Étienne a estimé que le premier enjeu était celui des moyens et de leur répartition. En 2007, plusieurs décisions importantes devront être prises pour reconstituer les ressources de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Comment atteindre l’objectif de 0,7 % – qui inclut les annulations de dette – et comment répartir les aides entre action bilatérale et multilatérale ?

Le deuxième enjeu concerne les priorités géographiques et thématiques. Convient-il de maintenir notre aide au développement aussi concentrée géographiquement sur la zone de solidarité prioritaire (ZSP) de la France, qui couvre entre cinquante et soixante pays ? Sur le plan thématique, la réduction de la pauvreté restera une priorité forte, l’utilisation des instruments de codéveloppement devant être articulée avec les politiques de migration.

L’efficacité et la prévisibilité de l’aide française constituent un troisième enjeu. La France a signé vingt-six documents cadre de partenariat (DCP) avec les principaux bénéficiaires de son aide. Ces documents donnent une prévisibilité sur cinq ans de l’aide apportée par la France, même si celle-ci reste tenue par l’annualité budgétaire. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) va une nouvelle fois examiner fin 2007 le système français d’aide au développement et son efficacité, au sens défini par la communauté internationale lors du Forum de Paris de mars 2005. De nouveaux acteurs surgissent. D’un côté, les grands pays émergents comme la Chine et de l’autre, les grandes fondations privées, notamment américaines.

Le dernier enjeu porte sur la communication et la visibilité de l’aide française et de l’aide européenne, qui représente plus de la moitié de l’aide mondiale recensée par l’OCDE. Comment mieux communiquer en direction des pays bénéficiaires mais aussi de l’opinion publique française ? Mme la Ministre déléguée à la Coopération a présenté au Parlement un nouveau logo de la coopération française qui doit rendre notre présence et nos actions plus visibles et mieux connues.

M. Jean-Michel Severino a expliqué que 2006 fut une année importante en termes de changements qualitatifs. Un premier CICID, en mai 2006, a traité des orientations géographiques et thématiques de l’AFD. Le champ géographique des interventions financières de l’Agence a été élargi à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, île Maurice incluse. Il y a également été question de promotion des biens publics globaux (lutte contre le changement climatique, lutte contre les grandes endémies), thématique sur lesquelles l’AFD a été autorisée à intervenir dans 4 nouveaux pays émergents. Un deuxième CICID, en décembre 2006, a fixé des directives à l’AFD dans le cadre de son projet d’orientation stratégique, qui a été adopté le 18 janvier 2007.

M. Jean-Michel Severino a ensuite énuméré les quatre axes principaux de ce projet stratégique.

Premièrement, le mandat de l’Agence française de développement a été redéfini autour de trois finalités : la promotion de la croissance économique des pays dans lesquels la France intervient ; la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités ; la prise en compte des problématiques climatiques, environnementales et sanitaires globales. Ces trois priorités s’apprécient différemment selon les zones géographiques.

Deuxièmement, le champ d’intervention géographique de l’Agence a été reprécisé afin de couvrir des zones du globe plus vastes : la totalité de la Méditerranée et de l’Afrique subsaharienne, à l’exception de la Libye ; une partie du sous-continent indien, avec l’Inde et le Pakistan ; une partie de l’Extrême-Orient, avec la Chine, la Thaïlande, l’Indonésie et bien sûr la péninsule indochinoise ; en Amérique Latine, le Brésil.

Troisièmement, s’agissant des modalités d’intervention, les tutelles demandent à l’AFD d’établir des partenariats avec les entreprises, la société civile et les collectivités locales, ainsi que d’accorder une place particulière à l’innovation financière, c’est-à-dire à la mise en place d’instruments permettant à la fois de traiter de nouveaux problèmes et de rendre les interventions de l’État moins coûteuses. Ces points contribuent à faire évoluer le fonctionnement de l’Agence.

Quatrièmement, il importe d’aider les pays en développement à renforcer leurs capacités institutionnelles et à accomplir un effort en matière de production intellectuelle. Le renforcement des capacités s’inscrit dans le prolongement logique et direct des changements intervenus à la suite des CICID de 2004 et 2005. Le soutien à la production intellectuelle améliore la visibilité de l’intervention de la France ; il s’intensifie d’année en année.

Puis, M. Jean-Michel Severino a fourni quelques chiffres. De 2001 à 2006, les financements accordés par l’établissement public auront doublé pour passer de 1,5 milliard à 3,2 milliards d’euros. En 2007, une nouvelle croissance d’environ 11 % est prévue, ce qui porterait les crédits à quelque 3,4 milliards d’euros. Sur cette même période, quoique de nouvelles zones aient été couvertes, les moyens alloués à l’Afrique subsaharienne ont été quasiment multipliés par quatre puisqu’ils sont passés de 370 millions à 1,2 milliard d’euros. Sur les 3,4 milliards de 2007, les départements et territoires français d’outre-mer recevront 780 millions et les pays étrangers 2,5 milliards. Une autre façon de découper ces 2,5 milliards consiste à isoler activités non concessionnelles et concessionnelles, qui représenteront respectivement 500 millions et 2 milliards d’euros.

La croissance de ces dernières années n’est pas homothétique, des changements considérables étant intervenus dans la structure des interventions de l’Agence, avec en particulier l’irruption du non-souverain, c’est-à-dire des financements par le canal d’entreprises publiques ou privées, de collectivités locales ou d’acteurs associatifs, sans garanties de l’Etat. Ces interventions, qui se limitaient à 40 millions d’euros en 2001, excéderont 600 millions en 2007. Paradoxalement, malgré l’endettement des pays subsahariens, les instruments de prêt, notamment bonifiés, ont pris une place très importante dans l’accroissement de l’activité de l’AFD, en raison de la hausse très modeste des subventions.

Malgré un contexte budgétaire défavorable à une accélération de la dépense publique, l’aide publique au développement offre des perspectives très dynamiques, avec des interventions dans de nouveaux projets mais aussi l’exploitation la plus intelligente et diversifiée possible du champ traditionnel des interventions en Afrique.

Les engagements de 2005 permettent à 3 millions de personnes d’accéder à l’eau potable, à 11,5 millions de personnes d’accéder à des soins de santé primaires, à 2 000 entreprises d’accéder au crédit, à 1,25 million de personnes d’accéder au microcrédit. De plus, l’émission de 1,3 million de tonnes de CO2 a été évitée et 77 millions de mètres cubes d’eau ont été économisés. Ces effets significatifs et concrets sur les conditions de vie des gens et la croissance économique ont été obtenus dans des conditions budgétaires parcimonieuses et mesurées : chaque unité d’impact doit correspondre à un investissement du contribuable le plus faible possible.

Le Président Édouard Balladur a souhaité savoir comment l’action des fondations privées, notamment anglo-saxonnes, dotées de moyens considérables, se coordonnait avec celle des agences publiques.

Il semblerait que, après déduction des annulations de dette, de l’aide humanitaire et des aides exceptionnelles allouées à des pays comme l’Irak ou l’Afghanistan, le montant de l’aide publique au développement s’établisse à peu près au même niveau qu’en 2000. Quel est le montant global des annulations de dette ? Ce chiffre recouvre-t-il une part de dette privée ou bien s’agit-il exclusivement de dette publique ? Par ailleurs, si les annulations de dette sont si importantes, la part de l’aide française, proportionnellement à l’aide mondiale, ne suit-elle pas une courbe croissante ?

M. Philippe Étienne a confirmé que des fondations privées comme celle de Bill et Melinda Gates disposaient de moyens supérieurs à ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est une bonne nouvelle pour la lutte contre la pauvreté mais cela risque de déséquilibrer certaines actions de la communauté internationale. Les fondations en sont conscientes et s’efforcent d’intervenir en appui aux initiatives publiques existantes. En France, la mise en place de la facilité internationale d’achat de médicaments UNITAID a été l’occasion de nouer un partenariat privilégié avec les fondations Gates et Clinton. L’émergence de ces fondations caractérise le nouveau panorama de l’aide au développement.

Les travaux de l’OCDE ont montré que l’accroissement du volume de l’aide au développement, au niveau mondial, était largement dû au poids très important des annulations de dette, notamment au profit de pays très particuliers comme l’Irak et le Nigeria. Seules sont comptabilisées par l’OCDE les annulations de dettes publiques et celles faisant l’objet d’une garantie publique. La méthodologie de l’OCDE est souvent contestée car l’exercice sur lequel sont imputées les annulations n’est pas toujours celui au cours duquel elles ont eu une incidence sur les finances publiques des États débiteurs et créditeurs.

Compte tenu de l’augmentation forte des aides humanitaires, notamment en 2006, à la suite du tsunami, l’aide effective au développement a peu progressé. Toutefois, pour ce qui concerne la France, les annulations de dette et l’investissement dans le multilatéral ont contribué pour une part importante à l’augmentation de l’aide publique au développement.

La part de l’aide française dans l’aide mondiale a considérablement augmenté puisqu’elle est passée de 0,37 à 0,5 % du PIB entre 2002 et 2007, annulations de dette incluses. La France arrive derrière le fameux « club des 0,7 % », composé des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark et de la Norvège. Parmi les membres du G8, la France arrive en tête, désormais talonnée par le Royaume-Uni, qui la rejoindra en 2007.

M. Jean-Michel Severino a ajouté que la progression de l’aide publique au développement était générale. L’aide publique américaine, ces dernières années, a substantiellement augmenté, pas uniquement au profit de l’Irak et de l’Afghanistan mais également en Afrique subsaharienne, dans le cadre d’un programme intitulé Millenium Challenge Account, piloté par une société publique, la Millenium Challenge Corporation. Les montants mis en œuvre grâce à ce nouvel instrument sont très élevés : au Mali, 460 millions de dollars seront investis sur cinq ans, ce qui fera des États-Unis le premier bailleur de fonds de ce pays, traditionnellement placé sous l’influence française. Le Sénégal, le Bénin ou Madagascar font l’objet d’autres interventions.

Les investissements de nouveaux bailleurs comme la Chine ou l’Inde ne sont pas comptabilisés dans l’aide publique au développement car ils ne sont pas déclarés. Ces crédits d’intervention sont majoritairement liés à des conditions commerciales – en l’occurrence l’approvisionnement en matières premières –, tout comme l’étaient ceux accordés par la France il y a encore quelques années. Le paysage de l’aide publique se diversifie donc énormément.

Les fondations privées constituent effectivement une novation substantielle. Outre celles du type Bill and Melinda Gates, une nouvelle génération de fondations émerge, dans l’esprit de la venture philanthropy : elles investissent au profit du secteur privé local avec des exigences éthiques, sociales et environnementales élevées. Ces petites fondations recyclent les grandes fortunes nées de la génération Internet. Ce courant, qui est moins bien repéré, draine pourtant plusieurs centaines de millions d’euros par an. L’AFD souhaite s’y associer, dans une logique de co-investissement et de partenariat.

M. Bernard Schreiner s’est enquis des relations entretenues par l’AFD avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Comment le suivi des investissements est-il assuré, en particulier dans les pays politiquement instables ? La traçabilité des médicaments fournis par l’aide publique au développement est-elle garantie, pour éviter que l’argent public ne retombe dans les poches des contrefacteurs ?

M. André Schneider a demandé si l’utilisation et la promotion de la langue française dans le monde pouvaient constituer un axe de développement.

M. François Loncle a douté de l’intérêt politique de l’aide publique au développement en faveur de la Chine, quatrième bénéficiaire de l’effort financier de la France et s’est demandé quelle part prenaient les collectivités territoriales dans l’aide publique au développement ? Les aides au développement financées par les grandes entreprises privées font-elles l’objet d’une coordination ? Enfin, M. François Loncle a regretté que la France, en 2007, ne remplisse pas ses engagements envers le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

M. Jean-Jacques Guillet s’est étonné que la France intervienne pour financer l’électrification de lignes ferroviaires en Chine plutôt qu’en Afrique francophone, champ d’influence privilégié de la France. De même, le poids des aides à l’Afrique du Sud ne réduit-il pas la part qui pourrait être engagée au profit de l’Afrique francophone ?

M. Philippe Étienne a donné les éléments de réponse suivants :

- Les pays aidés par la BERD, notamment ceux d’Asie centrale, ne font pas partie de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) de la France.

- Outre le suivi et le contrôle des dépenses d’aide au développement assuré par les ambassades, la Cour des comptes et le Parlement, les résultats des projets de coopération français font systématiquement l’objet d’une évaluation.

- La traçabilité des médicaments est à la fois un objectif de santé publique et de rigueur de gestion. Plusieurs entreprises françaises ont créé des fondations qui agissent dans le domaine de la santé, notamment les laboratoires Pierre Fabre et Mérieux. La Fondation Pierre Fabre, en collaboration avec les services de la coopération française, mène une série d’actions, en Afrique occidentale, pour créer des laboratoires publics de contrôle de la qualité des médicaments. L’un des objectifs est d’aider les pays en développement à appliquer les procédures de l’OMS pour préqualifier les médicaments.

- La promotion de la langue française dans le monde est un axe important du développement, pour deux raisons : c’est un enjeu de diversité culturelle et linguistique mais aussi de développement. Les pays du Maghreb utilisent le français dans l’enseignement, notamment dans l’enseignement supérieur. À Madagascar, au Sénégal ou au Mali, pays parmi les moins avancés, le français est la langue de l’enseignement. L’objectif du millénaire de scolarisation primaire universelle est donc intimement lié à la diffusion du français et à la qualité de la maîtrise de cette langue par les enseignants.

- Depuis 2004, les actions de coopération décentralisées sont systématiquement recensées, grâce à des questionnaires auxquels répondent les collectivités locales. Elles s’élèvent à 50 ou 60 millions d’euros, part très faible de l’aide publique au développement, qui dépassera 9 milliards d’euros en 2007. La loi qui vient d’être votée par l’Assemblée nationale créera un cadre juridique beaucoup plus sûr pour accompagner ces actions.

- Les initiatives prises par les entreprises françaises et leurs fondations ne sont pas coordonnées mais les pouvoirs publics s’efforcent d’aller dans ce sens.

- S’agissant de l’action multilatérale, la France, jusqu’à présent, a surtout investi par le biais de la Banque mondiale, des banques régionales et, de façon massive, par celui des fonds sanitaires. Pour ses contributions volontaires aux organismes des Nations unies, elle accuse effectivement du retard par rapport à d’autres pays mais essaie de le combler et de tenir ses engagements, parfois avec un petit décalage. Les prochaines consultations avec le PNUD permettront de déterminer les moyens de respecter ces engagements.

M. Jean-Michel Severino a apporté les compléments d’information suivants :

- Le suivi des investissements est une préoccupation majeure et doit toujours être amélioré. Le coût du suivi d’une opération se répartit à parts à peu près égales entre l’instruction et l’exécution. Chaque opération est notée deux fois par an et évaluée lorsqu’elle parvient à son terme. Un quart d’entre elles sont également évaluées ex post, cinq ans plus tard. Un quart environ des opérations conduites en Afrique subsaharienne rencontrent des difficultés d’exécution.

- Presque tous les pays en développement, où qu’ils se situent sur la planète, connaissent un double phénomène d’urbanisation et de décentralisation. Les actions d’aide publique au développement de la France et du reste de la communauté internationale se tournent donc logiquement vers les entités décentralisées. Parallèlement, il devient indispensable de rechercher des partenariats avec les collectivités locales françaises, susceptibles d’apporter un appui technique et politique opérationnel. Le mouvement de solidarité croissant constaté en France offre des possibilités de cofinancement et une panoplie diversifiée de partenariats. Cet aspect, identifié dans le projet stratégique de l’AFD, sera crucial dans les dix prochaines années ; il importe de passer à la vitesse supérieure dans ce domaine.

- Le processus d’allocation géographique est un sujet important mais compliqué et rarement évoqué. L’AFD tire ses ressources de trois origines. Premièrement, les subventions du ministère des affaires étrangères représentent environ 320 millions d’euros pour l’ensemble des pays de la ZSP. En 2006, 80 % de cette somme ont été alloués aux pays d’Afrique subsaharienne ; en 2007, le taux est descendu à 75 %. Le reste est employé essentiellement au profit du Cambodge, du Laos, d’Haïti et d’Afghanistan, une proportion marginale étant consacrée à des programmes transversaux et à l’aide au lancement de projets. La deuxième source de crédits de l’AFD est constituée par les bonifications accordées par le ministère de finances pour les interventions sous forme de prêts. Ces autorisations d’engagement, pour 2007, atteignent 340 millions d’euros. Elles sont complétées par une troisième source de financement : l’appel au marché. Bonifications et obligations permettent à l’Agence de mettre en œuvre son programme de prêts concessionnels. En Afrique subsaharienne, pour 1 euro de bonification octroyé par l’État, près de 2 euros de prêts sont accordés. En Méditerranée, l’effet de levier est de 3,5 euros de prêts pour 1 euro de bonification. Dans les pays émergents, il atteignait 5 euros pour 1 en 2006 et il passera à 6 euros pour 1 en 2007. En moyenne, pour 1 euro alloué par l’État, l’AFD produit 3,2 euros d’aide publique au développement, avec des produits très diversifiés.

- Une centaine de millions d’euros de prêts sont ainsi accordés à la Chine pour une dépense d’État d’une petite quinzaine de millions d’euros, soit un coût budgétaire très modeste pour le contribuable français. Les aides à la Chine sont exclusivement composées de prêts, à l’exclusion de toute subvention de l’Etat français. Ces prêts sont majoritairement intermédiés par l’État chinois et perçus in fine par des collectivités locales voire des entreprises. Ils sont presque uniquement consacrés à la lutte contre le changement climatique, à l’exception d’une petite part consacrée à des financements relatifs à la lutte contre la grippe aviaire. L’objectif assigné à l’AFD par ses autorités de tutelle est extrêmement clair : le coût moyen par tonne de carbone économisée ne doit pas excéder 6 euros. L’action de l’Agence ne vise évidemment ni à amplifier la croissance économique de la Chine – ses habitants se débrouillent très bien seuls – ni à y combattre les inégalités sociales, ce qui reste la motivation d’autres bailleurs de fonds. Après deux années d’interventions de ce type en Chine, le Gouvernement local porte un jugement très positif ; un bilan technique détaillé ne pourra toutefois être tiré que dans deux ou trois ans. Les objets concrets financés aux termes de ce programme sont les trois premières sources d’émission de carbone : le logement, la production d’énergie et le transport. Il se construit chaque année en Chine un nombre de kilomètres d’autoroutes supérieur au stock existant dans les pays de l’OCDE, ce qui génère automatiquement des dizaines de millions de tonnes de carbone supplémentaires. La rapidité relative de l’investissement dans le rail électrique par rapport au développement autoroutier constitue donc une bataille déterminante dans la guerre de l’énergie et du climat. Mais l’électrification du chemin de fer chinois ne résoudra pas tout car encore faut-il s’interroger sur les modes de production de l’énergie électrique, en amont. Les 100 millions d’euros dépensés annuellement par l’Agence ne changeront pas à eux seuls la donne en matière de climat mais le problème est tellement vaste que l’addition des efforts de tous est nécessaire.

- Les deux principaux émetteurs de carbone des prochaines années, la Chine et l’Inde, sont des pays pauvres, qui ont un besoin considérable de transfert de technologie et où la politique énergétique reste à définir : il faut en tirer des conséquences quant aux technologies employées et aux investissements à favoriser. L’Allemagne l’a du reste très bien compris en investissant massivement dans le marché ferroviaire chinois depuis quinze ans. Le même raisonnement pourrait être appliqué à l’Inde ou au Brésil : le mandat donné à l’Agence est d’obtenir, avec un coût le plus bas possible pour le contribuable, un impact maximal sur les émissions de carbone et les politiques énergétiques des pays aidés.

- De tels programmes ne peuvent évidemment être conduits que sur le moyen terme et l’aventure n’en est qu’à ses débuts. Il n’est pas simple de communiquer sur ce sujet car une analyse superficielle conduit à dénoncer toute aide publique au développement en faveur de la Chine. Il ne s’agit pourtant pas de faire œuvre de générosité mais de rechercher un impact direct sur les conditions de vie des Français, par le biais d’un nouveau type de politique publique, déclaré comme de l’aide publique au développement, en vertu de la comptabilité internationale, même si cela n’a rien à voir avec les actions menées traditionnellement en Afrique.

- Chaque euro d’activités concessionnelles dans un pays émergent est doublé d’1 euro d’activités bancaires, sans le moindre coût pour le contribuable et l’État. Ces activités, outre leur impact public, rapportent même de l’argent et ont ainsi un effet positif sur le résultat de l’Agence. En 2006 l’AFD génèrera ainsi quelque 250 millions d’euros de résultats, intégralement reversés à l’État par le biais de dividendes et qui alimenteront l’aide publique au développement en Afrique. Ce cycle présente donc un caractère moral. Le coût global des opérations de l’AFD n’a au demeurant cessé de diminuer : entre 2001 et 2006, la charge représentée par les subventions et les prêts est tombée de 25 % à moins de 18 % du volume total des opérations de l’Agence, qui a divisé par deux le coût de ses interventions tout en quadruplant sa présence en Afrique.

- L’AFD a été le financeur principal de grandes opérations ferroviaires en Afrique : pour la ligne Yaoundé-Douala, le chemin de fer ivoiro-burkinabé ou encore au Mozambique. Des projets supplémentaires sont activement recherchés mais cette activité est difficile, compte tenu des capacités limitées des opérateurs ferroviaires locaux, de la réticence des États africains à se lancer dans des partenariats public-privé et de la faible rentabilité des lignes. De surcroît, l’AFD ne saurait gaspiller ses subventions sur des objets d’infrastructure trop vastes ; or le ferroviaire est dévoreur d’euros. Sur cette activité, les instruments de prêt sont favorisés et octroyés en priorité à des opérations dont la rentabilité est acceptable.

- L’AFD a tendance à privilégier les pays les plus pauvres pour ce qui concerne les subventions et à déployer des instruments de prêt sur des pays solvables comme le Kenya ou le Ghana. Un très gros programme en cours en Afrique du Sud est tout entier orienté sur la promotion des populations noires pour l’accès aux responsabilités et à l’investissement et sur l’amélioration de leurs conditions de vie. Ce programme est totalement non souverain : il s’adresse aux collectivités locales et au secteur privé sud-africain. L’AFD s’interroge sur l’opportunité de lancer une ou deux opérations de prêts souverains au profit de pays d’Afrique francophone, le Sénégal et le Burkina-Faso, leur désendettement leur conférant de nouvelles marges de solvabilité. Compte tenu de la fragilité de leurs finances publiques, une telle perspective doit être envisagée avec beaucoup de prudence, en concertation étroite avec le ministère de l’économie et des finances.

M. Lionnel Luca ayant déploré que les actions de l’AFD en faveur de l’environnement ne soient pas plutôt déployées en Inde, pays démocratique et respectueux des droits de l’homme, M. Jean-Michel Severino a indiqué que le Gouvernement, en 2002, avait donné mandat à l’Agence d’intervenir en Chine, puis, en 2006, d’élargir son action sur ces mêmes logiques à l’Inde, l’Indonésie, le Brésil et le Pakistan.

M. Philippe Étienne a précisé que la coopération universitaire et scientifique, en particulier la formation des élites chinoises, indiennes ou brésiliennes, constituait un mode d’intervention stratégique pour renforcer l’influence de la France à moyen terme.

Après avoir remercié M. Jean-Michel Severino et M. Philippe Étienne pour l’intérêt et la précision de leurs réponses, le Président Édouard Balladur a conclu la séance en faisant trois observations :

- Il est dans l’intérêt de notre pays de consacrer davantage de moyens à l’aide publique au développement qui contribue également, à l’heure de la mondialisation, au maintien de l’influence de la France.

- Le sempiternel débat entre aide multilatérale et bilatérale – la première étant considérée comme empreinte de générosité et d’internationalisme, la seconde de nationalisme et d’attachement au passé – semble dépassé. La France, comme les autres pays donateurs, a tout intérêt à maintenir une part d’aide bilatérale.

- L’aide publique au développement doit être orientée prioritairement vers les pays appartenant aux zones d’influence traditionnelles de la France – l’Afrique, l’Europe de l’Est et le Proche-Orient –, vis-à-vis desquelles elle a une responsabilité historique et qui ont l’habitude de s’adresser à elle.



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