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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 7 février 2007

Séance de 11 h 30
Compte rendu n° 27
SESSION 2006 - 2007

Présidence de M. Paul Quilès, vice-président,

 

pages

– Audition de Mme Louise Arbour, Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme




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Audition de Mme Louise Arbour, Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme
M. Paul Quilès, Président,
a souhaité la bienvenue à Mme Louise Arbour, Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, en rappelant qu’elle avait été nommée à ce poste le 1er juillet 2004 par le Secrétaire général des Nations unies, après avoir été notamment Procureur en chef des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda entre 1996 et 1999. Il lui a demandé de dresser un tableau de la situation actuelle des droits de l’homme et de présenter l’évolution des Nations unies sur cette question depuis la création, en leur sein, du Conseil des droits de l’homme.

Mme Louise Arbour, Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a remercié la commission des affaires étrangères de l’accueillir. Elle a tout d’abord salué la réforme voulue par le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, qui a notamment permis d’obtenir des États membres qu’ils s’engagent à transformer la Commission des droits de l’homme, dont les méthodes de travail étaient jugées trop politisées ou sélectives.

C’est ainsi qu’en juin 2006 a été institué le Conseil des droits de l’homme, qui devra avoir arrêté ses méthodes de travail avant la fin du mois de juin 2007.

Alors que l’ancienne Commission des droits de l’homme des Nations unies ne se réunissait à Genève qu’une seule fois par an, au printemps, pendant six semaines, et pratiquement jamais en cas d’urgence – même si elle en avait théoriquement la possibilité –, le nouveau Conseil devra se réunir au moins dix semaines par an, pour au moins trois sessions. De surcroît, depuis juin dernier, le Conseil s’est réuni plusieurs fois en urgence, pour s’occuper en particulier de la situation au Moyen-Orient et au Darfour. Outre une plus grande visibilité, le Conseil des droits de l’homme détiendra sans doute davantage de moyens d’action que la Commission.

Par ailleurs est désormais prévu un examen périodique universel. Tous les États membres des Nations unies, à commencer par ceux qui ont été élus au Conseil, seraient soumis, dans un délai qui reste à déterminer, à un examen approfondi de la situation des droits de l’homme dans leur pays. La Commission, en effet, s’était vu reprocher une approche trop sélective de la situation des pays.

Cet examen périodique universel changera peu de chose pour des régions comme le Darfour, mais il peut, en revanche, jeter la lumière sur des cas qui ne sont jamais médiatisés. Le dispositif permettra d’interpeller les pays concernés, mais aussi de les accompagner car souvent ce n’est pas tant la volonté politique qui fait défaut, que la capacité à résoudre le problème.

La Commission des droits de l’homme fonctionnait avec des rapporteurs spéciaux – par thème, mais aussi par pays. Cette méthode de travail a aujourd’hui montré ses limites. Il reste à déterminer comment le Conseil pourra intervenir dans des situations d’urgence, sachant que la périodicité de l’examen d’un Etat devrait se situer entre trois et six ans.

Le Conseil aura de nombreux défis à relever, et il est à espérer que les travaux de juin permettront d’avancer et de déboucher sur un consensus.

Le deuxième volet de la réforme porte sur l’augmentation des capacités du Haut Commissariat. Le Haut Commissariat servira naturellement de secrétariat et d’organe de soutien au Conseil des droits de l’homme, mais il aura également mandat, de par une résolution de l’Assemblée générale, de garantir la protection et la promotion de tous les droits de l’homme, indépendamment des tâches qui lui sont confiées par le Conseil de sécurité, voire par des États dans des cas spécifiques.

Auparavant, les travaux du Haut Commissariat, comme ceux du Conseil ou de la Commission, étaient de nature essentiellement normative. En soixante ans, depuis l’adoption de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, la communauté internationale a su se doter de tout un arsenal normatif et juridique, de standards, de déclarations de principe, mais il existe un fort décalage entre ces règles et leur application sur le terrain. C’est pour cette raison que Mme Louise Arbour a indiqué qu’elle avait lancé un plan d’action axé sur la mise en œuvre des droits sur le terrain, en étroite collaboration avec les États. Le Conseil des droits de l’homme et le bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme n’ayant aucun pouvoir coercitif, leur action, fût-elle ferme, ne peut être que consensuelle. Au-delà de la coopération technique, le Haut Commissariat se doit d’être présent sur le terrain pour faire entendre la voix des victimes, exprimer les préoccupations de la société civile à leur gouvernement et à la communauté internationale.

Le troisième volet, beaucoup plus technique, de la réforme concerne les organes de traité. Une nouvelle convention sur la protection des personnes contre les disparitions forcées a été signée – Mme Louise Arbour a relevé, à cet égard, l’implication de la France sur ce dossier. Il existe aujourd’hui sept grands traités internationaux dont le pacte sur les droits civils et politiques, le pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, la convention contre la torture, la convention portant sur l’élimination de la discrimination raciale, convention sur les droits des enfants, etc. Les organes créés par ces traités supervisent les pays qui les ont ratifiés, examinent le rapport annuel et formulent des recommandations. Outre que ce dispositif est très lourd, peu accessible et mal connu, les recommandations sont peu suivies. Il représente un investissement important de la part des Nations unies, mais gagnerait à être modernisé, d’autant plus qu’il est en pleine expansion : deux nouvelles conventions sont ouvertes depuis peu à ratification, la convention sur les droits des personnes handicapées et la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

M. Paul Quilès, président, a observé qu’il était fréquent que les objectifs soient décalés par rapport aux moyens, mais que c’était encore plus vrai dans le domaine des droits de l’homme. Il a demandé à Mme Louise Arbour si, selon elle, la situation des droits de l’homme dans le monde s’améliorait ou au contraire empirait, avant de s’interroger sur d’éventuelles normes internationales susceptibles de les faire respecter : la notion de consensus a souvent, en effet, montré ses limites.

S’agissant du Darfour, il a indiqué que les ONG récemment reçues par la commission des affaires étrangères avaient dressé un tableau très inquiétant de la situation. Les règles du droit humanitaire sont fréquemment bafouées, et certaines de ces ONG ont annoncé qu’elles mettaient fin à leurs interventions au Darfour à cause de toutes les difficultés et risques auxquels elles étaient confrontées.

Mme Louise Arbour a rappelé que les moyens mis à la disposition des organismes internationaux membres des Nations unies – le Haut Commissariat fait partie intégrante du Secrétariat des Nations Unies – étaient de deux ordres : moyens financiers, soutien politique. Alors que seuls 30 % des revenus du Haut Commissariat proviennent du budget régulier des Nations unies, 70 % du budget annuel de ses opérations – soutien au Conseil des droits de l’Homme, aux organes de traité, opérations sur le terrain – dépendent des contributions volontaires des États membres. Elle a salué la générosité de la France et a exprimé le souhait de pouvoir continuer à bénéficier d’un appui soutenu et croissant, grâce notamment à des contributions non ciblées, qui facilitent le travail du Haut Commissariat.

Les contributions extra-budgétaires sont, pour la plupart, le fait de pays qui soutiennent traditionnellement les opérations des Nations unies, ce qui, dans une certaine mesure, contribue à creuser l’écart nord-sud, et à entretenir la perception, réelle ou instrumentalisée, que les droits de l’homme seraient un concept occidental, utilisé par les pays occidentaux pour imposer leur vision politique, économique, voire stratégique, aux pays du Sud.

Les événements du 11 septembre 2001 ont par ailleurs profondément bouleversé la donne. Alors que les droits civils et politiques étaient relativement bien acquis et définis – on débattait peu, par exemple, du contenu du concept de torture – et que commençaient à percer des revendications en matière de droits économiques, sociaux et culturels, les événements du 11 septembre 2001 ont remis en question l’ensemble de ces acquis. En particulier, la convention contre la torture a été à de nombreuses reprises bafouée, et les droits civils et politiques mis en péril par la lutte contre le terrorisme. L’aspiration à voir progresser les droits sociaux et économiques, dans ce contexte, a largement reculé.

S’agissant de l’action humanitaire, il y a lieu de s’inquiéter des conditions de travail des organisations sur le terrain, notamment au Darfour, où les collaborateurs des Nations unies sont de moins en moins protégés par le drapeau bleu. Les ONG, elles aussi très vulnérables, constituent la force de frappe des opérations humanitaires sur le terrain. Il est par ailleurs alarmant d’entendre de plus en plus souvent affirmer que, dans les conflits armés, seules les conventions de Genève peuvent régir les relations des combattants entre eux, et celles entre les combattants et les populations civiles. Le droit humanitaire international est de plus en plus oublié, alors même qu’il reste applicable aux situations de conflit armé, et le Conseil des droits de l’homme ne devra pas hésiter à se saisir des cas de violation des droits de l’homme pendant les conflits armés.

M. François Loncle s’est réjoui de la création du Conseil des droits de l’homme et a salué la nomination de Mme Louise Arbour au poste de Haut Commissaire. Il a appelé son attention sur l’impunité dont jouissent les membres du Conseil de sécurité, en particulier la Chine et la Russie. N’y aurait-il pas, en matière de droits de l’homme, deux poids et deux mesures selon la puissance du pays?

Il a par ailleurs interrogé Mme Louise Arbour sur les capacités d’intervention du Haut Commissariat aux droits de l’homme dans certains dossiers d’actualité majeurs, tels les cas de prise d’otage massive, comme cela s’est produit en Colombie, ou l’emprisonnement et la condamnation à mort d’infirmières bulgares et d’un médecin palestinien en Libye.

Mme Louise Arbour a répondu, concernant la situation dans les pays membres du Conseil de sécurité, que l’accent doit être mis sur le principe de la responsabilisation, politique ou personnelle, des États ou dirigeants responsables de la situation ou coupables d’exactions. Si la première est affaire d’appréciation politique, la mise en cause des responsabilités personnelles devant la Cour pénale internationale ne peut s’appliquer qu’aux ressortissants des États qui y sont parties, même si la capacité d’action de celle-ci peut être un peu plus large. Le Conseil des droits de l’homme présente l’avantage de n’accorder aucun droit de veto aux États qui en sont membres : les possibilités d’auto-protection devraient donc y être moindres, mais les États les plus influents pourront y faire jouer leurs alliances.

Cela étant, le principe même de la responsabilité pénale personnelle, la mise en place de tribunaux mixtes au Liban, en Sierra Leone, au Cambodge, la création de la Cour pénale internationale permettent d’interpeller personnellement les responsables politiques et militaires. La protection contre la responsabilité est alors beaucoup plus réduite car elle n’est pas liée exclusivement à des enjeux politiques.

S’agissant de la prise massive d’otages, le Conseil des droits de l’Homme et le Haut Commissariat ne peuvent que préconiser des solutions pacifiques et souligner la responsabilité personnelle pénale de ceux qui sont impliqués. De ce point de vue, le Haut Commissariat n’a pas toujours été très présent sur le terrain, sauf au Népal depuis un peu plus d’un an et demi. Appelé à intervenir alors que le conflit faisait rage dans ce pays, le Haut Commissariat a étendu sa présence sur tout le territoire et a favorisé les accords de paix. Il est encore aujourd’hui très impliqué dans l’accompagnement de la mise en place d’un régime démocratique, et est intervenu activement, lorsqu’il a été alerté sur des disparitions, auprès des forces armées comme des rebelles maoïstes.

La condamnation à mort des infirmières bulgares et du médecin palestinien est un dossier sur lequel le Haut Commissariat est intervenu, non par des actions publiques, mais en essayant d’ouvrir le dialogue, afin d’obtenir des résultats compatibles avec les principes internationaux des droits de l’homme.

M. François Loncle lui ayant demandé quels étaient ses espoirs sur ce dossier, Mme Louise Arbour a répondu qu’il fallait éviter de donner l’impression de faire pression sur les juridictions d’un pays, mais qu’il était toujours possible, en revanche, de leur rappeler les normes judiciaires internationalement reconnues : un procès juste et équitable, le droit à une défense appropriée, l’accès à toutes les preuves pertinentes. Les préoccupations de la communauté internationale doivent s’exprimer de façon non agressive, si l’on veut obtenir le résultat le plus favorable possible ; tant que subsiste l’espoir d’un règlement pacifique, il faut maintenir le dialogue.

M. Bruno Bourg-Broc a demandé à Mme Louise Arbour de quelle façon elle coopérait avec des associations comme Amnesty International, et si, par ailleurs, elle travaillait sur dossiers, ou si elle disposait de représentants ou d’auxiliaires de par le monde.

Mme Louise Arbour a répondu que le Haut Commissariat travaillait en liaison étroite avec la société civile et les ONG nationales, qui sont des sources privilégiées d’information, d’analyse et d’appréciation des situations. Autrefois, le Haut Commissariat aux droits de l’Homme était très peu présent sur le terrain, mais la situation a évolué depuis quelques années. Des accords bilatéraux lui ont notamment permis d’assurer une présence importance en Colombie, au Cambodge, au Népal, au Guatemala, au Togo. Mme Louise Arbour a précisé qu’elle se rendrait la semaine prochaine en Bolivie pour y signer avec le gouvernement un accord en vue de l’ouverture d’un bureau local.

Le Haut Commissariat est également présent au niveau régional, mais de manière trop modeste, ce qui ne lui permet pas d’avoir accès à des informations de première main sur tous les dossiers. Il entretient par ailleurs des contacts réguliers avec les gouvernements, notamment par l’intermédiaire de leurs représentations à Genève. Il se fonde sur les analyses de ses partenaires régionaux, surtout dans des régions dotées d’un bon arsenal normatif en matière de droits de l’homme, comme l’Europe, l’Amérique latine, l’Afrique dans une certaine mesure – alors que l’Asie en est dépourvue.

Enfin, le Haut Commissariat fait un large usage des informations délivrées par les grandes ONG internationales.

M. Paul Quilès, président, a souhaité revenir sur la question du Darfour. Il a rappelé que le Conseil de sécurité avait adopté une résolution le 31 mars 2005 pour saisir la cour pénale internationale. Lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’homme, un rapport sera présenté sur la situation. Quelles sont les décisions susceptibles d’être prises, et comment s’articuleraient-elles avec les poursuites pénales éventuelles que la Cour pénale internationale pourrait engager ?

Mme Louise Arbour a rappelé qu’en 2004, M. Kofi Annan avait annoncé la création d’une commission internationale chargée de déterminer si des actes de génocide avaient été perpétrés au Darfour. Cette commission, présidée par M. Antonio Cassese, ancien président du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, a accompli un excellent travail, et a remis un rapport sur la base duquel le Conseil de sécurité a renvoyé le dossier à la Cour pénale internationale. Son Procureur, M. Luís Moreno-Ocampo, a fait savoir publiquement que ces enquêtes étaient bien avancées, et l’on peut espérer prochainement des mandats d’arrêt et des actes d’accusation.

Entre-temps, en décembre dernier, le Conseil des droits de l’homme a instauré une mission d’évaluation de la situation des droits de l’homme au Darfour, qui devrait se rendre sur place la semaine prochaine. Elle est composée de cinq personnalités qualifiées, auxquelles s’ajoute le rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Soudan.

Le négationnisme et le révisionnisme qui entourent la question du Darfour sont profondément inquiétants. La médiatisation du conflit aurait pu laisser espérer que les faits commis dans cette province soient bien connus de tous, mais ce n’est hélas pas le cas. Il faut espérer que la mission dépêchée sur place pourra établir une analyse juste et incontestée des faits, et que le gouvernement du Soudan acceptera l’aide offerte par la communauté internationale.

M. Paul Quilès, président, a souligné que les ONG récemment reçues par la commission des affaires étrangères avaient fait état de sanctions possibles à l’encontre de responsables soudanais, sanctions qui resteraient cependant à l’état d’éventualité pour d’obscures raisons.

Mme Louise Arbour a expliqué que ce régime de sanctions relevait du Conseil de sécurité, et reflétait les ambivalences de celui-ci. En revanche, certaines résolutions du Conseil de sécurité posent très clairement la nécessité de disposer d’une force de maintien de la paix au Darfour. Malgré ces déclarations, le gouvernement soudanais, qui semble donner parfois le sentiment de vouloir coopérer, ne s’est pas encore définitivement engagé.

Pour s’être rendue à deux reprises au Darfour à un an et demi d’intervalle, Mme Louise Arbour a dit avoir été frappée, à l’œil nu, de la détérioration des conditions de sécurité. Les personnes qui vivent dans des camps sont sans protection aucune, souvent entourées de membres des organes de sécurité de l’État, qui sont loin d’être perçus par eux comme amicaux… Lors de son premier voyage au Darfour, il y a deux ans, les membres des organisations humanitaires considéraient, avec quelque naïveté, que leur seule présence constituait une protection. Cette croyance s’est révélée d’autant plus utopique que le gouvernement soudanais n’a rien fait pour faciliter leur tâche, et que de nombreux secteurs, aujourd’hui, ne sont plus accessibles même aux Nations unies ni aux autres organisations, pour des raisons alléguées de sécurité.

La solution réside sans doute dans la prise de sanctions et dans la délivrance de mandats d’arrêts par la Cour pénale internationale, mais aussi dans une présence des Nations unies pour épauler les forces de l’Union africaine, qui reconnaît elle-même les limites de son action.

M. Paul Quilès, Président, a remercié Mme Arbour pour la qualité et l’intérêt de son intervention.



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