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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Mercredi 7 mars 2007

Séance de 16 heures
Compte rendu n° 32
SESSION 2006 - 2007

Présidence de M. Edouard Balladur,Président






 

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– Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères
– Présentation par le Président Edouard Balladur du bilan de l’activité de la commission des Affaires étrangères pour la XIIe législature




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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères



M. Philippe Douste-Blazy
a d’abord évoqué la situation au Proche-Orient.

L’accord qui a été conclu à la Mecque entre les deux principales factions palestiniennes sur la formation d’un gouvernement d’union nationale est un développement positif. Aussi imparfait soit-il, cet accord mérite d’être salué pour deux raisons principales.

La première, c’est qu’il offre l’occasion à tous les Palestiniens de se rassembler, pour la première fois après plusieurs semaines d’affrontements meurtriers. Faire taire les armes, surmonter les divisions, c’est d’abord l’intérêt des Palestiniens eux-mêmes, qui ont aujourd’hui la possibilité de se rassembler derrière un gouvernement d’union nationale. Mais c’est aussi l’intérêt des Israéliens, car rien ne serait pire que le chaos.

La seconde, c’est le programme annoncé de ce gouvernement, qui constitue un nouveau pas vers la pleine adhésion aux demandes de la communauté internationale. La France y reste évidemment très attachée, en particulier en ce qui concerne la reconnaissance d’Israël. Certes, tout n’est pas parfait, mais il s’agit d’un processus qu’il importe de soutenir pleinement, sans bien sûr renoncer aux principes et aux objectifs que s’est donnés de longue date la communauté internationale, et en particulier le Quartet, notamment en ce qui concerne la sécurité d’Israël.

Le ministre a estimé que la formation annoncée d’un nouveau gouvernement palestinien devrait, si elle se concrétise, offrir une occasion réelle de relancer une dynamique de paix. Il appartient à l’Union européenne d’apporter son soutien politique et financier à ce gouvernement s’il parvient enfin à se constituer et à s’engager dans la relance du processus de paix.

S’agissant de la crise nucléaire iranienne, il a indiqué que la situation restait tendue et que l’attitude de Téhéran était préoccupante. Ainsi que l’a confirmé M. Mohamed El Baradei, directeur général de l’Agence internationale d’énergie atomique (AIEA), dans son rapport du 22 février 2007, l’Iran ne s’est toujours pas mis en conformité avec la résolution 1737 du Conseil de sécurité des Nations unies : il n’a pas suspendu ses activités liées à l’enrichissement et ne coopère pas de manière satisfaisante avec l’Agence. Le Président Mahmoud Ahmadinejad continue, pour sa part, de défier la communauté internationale, comme il l’a fait il y a dix jours encore en affirmant l’irréversibilité du programme nucléaire iranien, « un train qui est en marche et qui n’a plus ni frein ni marche arrière ».

Toutefois, la stratégie adoptée par la communauté internationale commence à produire ses effets. C’est vrai des sanctions adoptées en décembre par le Conseil de sécurité dans le cadre de la résolution 1737, qui ont eu, parce qu’adoptées à l’unanimité, un réel impact politique. Elles ont mis en évidence l’isolement de l’Iran et provoqué un débat interne à Téhéran. De fait, si la position de fond de ce pays ne semble pas encore avoir évolué, des critiques s’y font jour à l’égard de la ligne suivie par le Président Mahmoud Ahmadinejad. Certains responsables iraniens n’hésitent d’ailleurs pas à témoigner de leur désir de reprendre le dialogue. Téhéran commence par ailleurs à sentir le poids de certaines pressions économiques : au cours des dernières semaines, nombre d’opérateurs économiques ont pris d’eux-mêmes leurs distances avec l’Iran, soit parce qu’ils anticipent un durcissement des sanctions du Conseil de sécurité, soit parce qu’ils prévoient un durcissement des sanctions américaines.

Dans ce contexte, le ministre a considéré que la France avait tout intérêt à poursuivre sa stratégie, qui allie fermeté et ouverture au dialogue. Elle prépare avec ses partenaires des Six (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis, Russie, Chine) une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, qui devrait renforcer les mesures de la résolution 1737. De premiers échanges ont eu lieu la semaine dernière au niveau des directeurs politiques, et les discussions vont s’ouvrir cette semaine à New York sur le projet de résolution. Il serait souhaitable que celle-ci soit rapidement adoptée, et à l’unanimité.

Parallèlement, la France reste ouverte au dialogue et favorable à une solution négociée. La résolution 1737 ne dit d’ailleurs pas autre chose, puisqu’elle prévoit que la négociation avec l’Iran devra se faire sur la base d’une « double suspension » : suspension, d’une part, des activités liées à l’enrichissement qui devra être vérifiée par l’AIEA, et d’autre part, de l’application des sanctions du Conseil de sécurité.

Le ministre a ensuite abordé la situation en Côte-d’Ivoire.

L’accord signé à Ouagadougou le 4 mars dernier représente une étape importante du difficile processus de dialogue que la communauté internationale, et en particulier la France, soutient depuis le début de la crise, à l’automne 2002.

Cet accord, en préparation depuis de longues semaines, a été signé par le Président Laurent Gbagbo et par M. Guillaume Soro, secrétaire général des Forces Nouvelles, unique mouvement représentatif de la rébellion ivoirienne, sur la base d’une proposition du premier, acceptée par le second après consultation de l’opposition. Ce dialogue a été mené sous l’égide du Président du Burkina-Faso, M. Blaise Compaoré, président en exercice de l’organisation régionale de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

L’accord correspond à ce que la France ne cesse de préconiser depuis l’origine de la crise ivoirienne. Comme d’ailleurs dans les autres conflits que traverse le continent africain, les faits ont montré qu’il n’existe pas d’autre solution durable qu’un dialogue volontaire, direct et approfondi entre le chef de l’État et les mouvements rebelles, ainsi qu’avec les pays voisins, concernés. Ni le départ forcé du chef de l’État ni l’anéantissement de la rébellion ne sont des solutions viables. Seul peut-être efficace un dialogue direct entre les principaux protagonistes, avec le soutien des pays africains de la région.

Une autre caractéristique de cet accord est que tous les sujets de litige à l’origine de la crise, qui avaient été identifiés lors des accords de Marcoussis, et confirmés depuis lors des rencontres d’Accra, de Pretoria, d’Abuja ou d’Addis Abeba, ont été traités et ont reçu une réponse précise : le recensement des « étrangers »présents en Côte-d’Ivoire, pour l’essentiel burkinabés, et qui représentent le quart de la population totale, la préparation des élections ; la restructuration de l’armée, avec la suppression des milices et l’intégration des anciens éléments rebelles ; la réunification concrète du pays, avec la suppression progressive de la « zone de confiance » ; le retour, enfin, de l’administration d’État sur l’ensemble du territoire.

Par rapport au processus lui-même, aux décisions de fond prises à Ouagadougou et à l’affirmation officielle du retour à la paix faite par le Président Laurent Gbagbo comme par M. Guillaume Soro, la question du choix d’un Premier ministre est, d’une certaine façon, secondaire. Sans doute est-elle présente dans tous les esprits à Abidjan, et fait-elle l’objet de nombreuses consultations internes entre les acteurs politiques ivoiriens. Mais chacun voit bien que ce sont l’élan donné par l’accord de Ouagadougou et la capacité des différentes parties à tenir le calendrier fixé par cet accord qui sont susceptibles de sortir la Côte d’Ivoire de l’impasse dans laquelle ce pays se trouve depuis trop longtemps.

S’agissant de la présence de la communauté internationale, la problématique est de même nature. La présence d’une « force impartiale », décidée par le Conseil de Sécurité, est cohérente avec la volonté de la communauté internationale de soutenir le processus en cours. Elle n’est pas une fin en soi, mais un instrument. Si la mise en œuvre du processus qui vient d’être décidé permet un allégement du dispositif, ce sera une preuve de succès. En tout état de cause, il faut rappeler que le dispositif français de Licorne est présent en Côte-d’Ivoire dans le cadre d’un mandat défini et confié par les Nations unies, aux côtés du dispositif de l’ONUCI. C’est donc aux Nations unies qu’il reviendra de décider et, le cas échéant, d’adapter ce dispositif à l’évolution du processus politique ivoirien. À cet égard, le Conseil de sécurité devrait normalement examiner lundi prochain le texte de l’accord de Ouagadougou et lancera probablement une réflexion sur les modifications éventuelles à apporter aux dispositions adoptées par les différentes résolutions des Nations Unies sur le dossier ivoirien. Il faut rappeler aussi que le mandat de l’ONUCI arrive à expiration le 30 juin prochain.

Puis le ministre a évoqué son voyage en Chine, les 28 février et 1er mars derniers. Il y a notamment rencontré son homologue, M. Li Zhaoxing, le Premier ministre, M. Wen Jia Bao ainsi que Mme Chen Zhili, conseillère d’État et première vice-Premier ministre. Cette visite a permis de conforter l’élan donné aux relations franco-chinoises par la visite d’État du Président Jacques Chirac en octobre dernier, sur la base de la déclaration conjointe signée à cette occasion : « Construire ensemble un monde plus sûr, plus prospère, plus harmonieux et plus solidaire ». C’est ce texte qui fonde aujourd’hui le renforcement du partenariat stratégique global entre la France et la Chine, dans toutes ses composantes : politique, stratégique, économique, culturelle, scientifique.

Avec le Premier ministre ont été abordés les grands dossiers économiques bilatéraux, en particulier nucléaire, aéronautique et ferroviaire : tous ont fait l’objet d’échanges encourageants. M. Wen Ji Bao a confirmé notamment l’intention de la Chine d’étendre et d’approfondir la coopération nucléaire franco-chinoise.

Avec le ministre Li Zhao Xing, les grandes questions internationales ont été longuement évoquées. Chacun considère, s’agissant de la Corée du Nord, que l’accord du 13 février dernier constitue une première étape positive, mais que de nombreux problèmes restent à régler, en particulier celui de la dénucléarisation. Sur l’Iran et le Proche-Orient, la Chine dit apprécier le rôle joué par la France et par l’Union européenne. Des échanges approfondis ont également eu lieu sur le Darfour, la Chine considérant que la seule solution serait une négociation de type « Abuja plus » entre le gouvernement soudanais et les groupes rebelles, en vue de parvenir à un accord politique ultérieure. Enfin, M. Li Zhao Xing a rappelé la position chinoise sur la situation en Birmanie, à savoir que cette question relève des affaires intérieures de ce pays.

Le ministre a par ailleurs rappelé les attentes de la France sur les droits de l’homme en Chine même, et abordé différentes questions de coopération en matière sanitaire, dont UNITAID, à laquelle la Chine pourrait prochainement participer.

Enfin, à l’occasion de sa rencontre avec le Président du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Pékin, le ministre a évoqué avec lui la place qui reviendra au français, langue olympique, et invité le Comité d’organisation à associer Unitaid à son action, car il s’agit de deux initiatives mondiales de solidarité qui ont beaucoup en commun, et donc beaucoup à partager.

Le Président Edouard Balladur s’est d’abord demandé si la France avait, en matière de nucléaire, une position différente vis-à-vis de l’Iran et de l’Inde. Ce dernier pays n’ayant pas, contrairement à l’Iran, adhéré au traité de non-prolifération (TNP), ne fait pas l’objet de sanctions alors qu’il dispose de la capacité nucléaire militaire et qu’il se voit proposer des coopérations dans le domaine du nucléaire civil.

Il a ensuite interrogé le ministre sur les récents contacts qu’ont eus les dirigeants saoudiens et iraniens pour tenter de codiriger ou de co-orienter l’évolution de la situation au Moyen-Orient.

Il s’est demandé ce qui résultera de la conférence sur l’Irak, à laquelle la France a accepté de participer : quel est le calendrier, quand une amorce de solution pourra-t-elle se dégager, et de quel type ?

S’agissant de la Côte d’Ivoire, l’expiration du mandat de l’ONUCI au 30 juin vaut également pour les forces françaises. Cette date marquera-t-elle le début du retrait des forces françaises, ou son terme ?

Enfin, on fait grand état des inquiétudes russes devant le développement de la politique américaine en Europe de l’Est, notamment dans le domaine militaire. Faut-il craindre une remise en cause des règles concernant jusqu’à présent le déploiement de systèmes antimissiles ? Cette nouvelle politique américaine aura-t-elle des conséquences déstabilisantes ?

Le ministre a répondu, sur le nucléaire iranien et indien, que l’Inde, n’ayant pas signé le TNP, n’est pas dans l’illégalité, à la différence de l’Iran qui a pris des engagements internationaux. Mais les grandes puissances ne laisseront pas pour autant l’Inde développer le nucléaire hors d’un cadre précis de mesures d’évaluation et de contrôle, ainsi que cela a été répété par les États-Unis comme par la France.

Le développement du nucléaire civil est pour l’Iran un droit, dont il revient à l’AIEA de contrôler les conditions d’exercice. Or les Iraniens continuent à avoir des activités nucléaires non contrôlées : le mois dernier, 37 inspecteurs de l’Agence se sont vu refuser l’accès au territoire iranien. Par ailleurs, la résolution 1737 stipule que les responsables d’activités du programme nucléaire et balistique iranien à des fins autres que pacifiques sont susceptibles d’être poursuivis.

Le Président Edouard Balladur a rappelé que le TNP permet aux pays signataires de développer le nucléaire civil dans la mesure où ils acceptent de se soumettre au contrôle de l’AIEA, mais non le nucléaire militaire. Chacun semble prêt à accepter que l’Inde, non partie au traité, développe le nucléaire civil, voire à l’y aider, mais cela signifie-t-il qu’il faille fermer les yeux sur le nucléaire militaire, ou au contraire soumettre ce pays aux mêmes obligations que si elle avait signé le TNP ?

Le ministre a répondu que la France, comme ses partenaires européens et comme les États-Unis, souhaitait permettre à l’Inde, qui subit une grande pollution en raison de l’industrialisation, de développer le nucléaire civil. Mais il va de soi que des mesures d’évaluation et de contrôle lui seront demandées afin d’empêcher toute dérive vers le nucléaire militaire. On peut observer par ailleurs que l’Inde ne vit pas sous le même régime politique que l’Iran.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que le caractère démocratique d’un pays n’est pas une garantie absolue, compte tenu de l’instabilité politique de certains régimes ; il a rappelé que le seul pays à avoir utilisé l’arme nucléaire est la plus grande démocratie du monde, les Etats-Unis.

Le ministre a considéré que le TNP est en train de montrer ses limites, et que le sujet devra être traité dès que possible par les Nations unies. En raison du réchauffement climatique, la question de l’accès de nombreux pays à l’énergie nucléaire civile va en effet se poser. Or, le nucléaire civil, c’est 5 % d’enrichissement, et le nucléaire militaire, 20 % et plus. Qui va évaluer, qui va contrôler le franchissement de ce seuil ? Il faudra trouver un système encore plus performant d’évaluation et de contrôle.

Le Président iranien a été à l’origine de la tenue à Téhéran d’une conférence négationniste sur la Shoah et a tenu à l’égard d’Israël des propos menaçants. Il semble vouloir entraîner son peuple et le reste de la région vers un conflit de civilisation. Dans ces conditions, il est important de pouvoir créer un débat interne à l’Iran, auquel les pays voisins devraient participer. Le ministre a rappelé qu’il a participé à des débats sur le site roozline.com, très visité en Iran, et lancé un chat avec des étudiants iraniens.

S’agissant de l’Irak, la France a toujours été favorable à une conférence régionale. Les Américains se rapprochent aujourd’hui de cette position, contenue dans le rapport Baker-Hamilton, mais il n’est pas certain qu’ils veuillent ou puissent retirer leurs troupes à l’horizon 2008. Par ailleurs, le gouvernement de M. Nouri al-Maliki est-il prêt à s’élargir à de nouveaux représentants de la société civile, religieuse ou politique ? L’ambassadeur de France à Bagdad participera dans les jours à venir à la réunion préparatoire d’une conférence internationale qui devrait avoir lieu à la mi-avril, et où la France sera représentée. Les pays voisins de l’Irak ont un rôle important à jouer dans la stabilisation de ce pays. Pour autant, il ne faut pas oublier que les maux dont il souffre aujourd’hui ont surtout des causes internes.

S’agissant de l’éventuelle constitution d’un tribunal international pour élucider les crimes dont été victimes de nombreuses personnalités libanaises, et en particulier l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, il est difficilement contestable que l’Iran a une influence sur certains mouvements au Liban, et il est important que l’Arabie saoudite soutienne le gouvernement d’union nationale de M. Fouad Siniora.

La présence d’une force impartiale en Côte-d’Ivoire traduit la volonté de la communauté internationale de soutenir le processus en cours. Il ne s’agit pas d’une fin en soi, mais d’un moyen d’action. Si la mise en œuvre du processus permet un allègement du dispositif militaire, ce sera un gage de succès. Par ailleurs, il faudra modifier d’autres dispositions prévues par la résolution du Conseil de sécurité si l’accord de Ouagadougou est réellement mis en œuvre.

Si le dispositif français Licorne est déployé en Côte d’Ivoire, ce n’est pas du seul fait de la France, mais dans le cadre d’un mandat défini et confié par les Nations unies, et aux côtés de l’ONUCI. C’est donc aux Nations unies qu’il reviendra de décider d’adapter, ou non, ce dispositif à l’évolution du processus politique ivoirien.

Enfin, les États-Unis ont exprimé à maintes reprises l’intention de développer un bouclier anti-missiles, ce qui a donné lieu à de nombreuses discussions, qui doivent se poursuivre, tant avec la Russie qu’au sein de l’OTAN, pour lever les malentendus et faire en sorte que ce nouveau système d’armes ne crée pas de déséquilibres ni ne relance la course aux armements. Le ministre, qui a rencontré le Président Vladimir Poutine il y a dix jours, a été très impressionné par la fermeté des propos que celui-ci lui a tenus sur le sujet. Il convient que la France aborde cette question avec les uns et les autres et que s’engage une discussion entre les Etats-Unis et la Russie sur le bouclier anti-missiles, sans quoi le monde risque de revivre une course aux armements qui serait extrêmement dangereuse.

M. Axel Poniatowski, après s’être félicité de l’accord intervenu entre les deux factions palestiniennes, a demandé des précisions sur la position de la France concernant la situation au Proche-Orient : considère-t-elle toujours les principes du Quartet – reconnaissance d’Israël, dépôt des armes – comme une condition préalable à la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens, ou estime-t-elle préférable de les considérer comme des objectifs à atteindre grâce, précisément, à la reprise du dialogue ?

Il a également demandé des éclaircissements sur la nature de la demande faite aux États-Unis à la France quant au rôle de ses troupes en Afghanistan et sur la position de la France sur ce sujet.

M. Didier Julia a demandé, d’une part, quelles réponses avaient été apportées aux questions posées par le ministre sur les droits de l’homme en Chine et, d’autre part, quelles aides pouvaient être fournies aux Français rapatriés de Côte-d’Ivoire et se retrouvant en France sans aucune ressource en France. Il serait également intéressant de savoir combien de Français sont retournés en Côte-d’Ivoire.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur de la mission d’information sur la situation des rapatriés français de Côte-d’Ivoire à l'issue des événements de novembre 2004, présidée par M. Éric Raoult, avait présenté son rapport en Commission voici une quinzaine de jours.

M. François Loncle a évoqué la question des droits de l’homme en Chine et insisté sur l’importance, pour tous les pays qui participeront aux Jeux olympiques en 2008, de se montrer très exigeants, afin de faire évoluer les choses. S’agissant de la Côte-d’Ivoire, il a mis en avant le rôle majeur joué par le Burkina-Faso et son président, M. Blaise Compaoré, et salué le fait que l’accord qui vient d’être signé marque la prise en mains par les Africains eux-mêmes de leurs propres problèmes.

M. Yves Nicolin s’est félicité du protocole d’accord mis en place grâce au concours du ministre pour la reprise des adoptions d’enfants cambodgiens, et a souhaité que le ministre fasse le point de la situation.

M. Jean-Jacques Guillet a centré ses questions sur le nucléaire civil. Après les accidents de Three Mile Island aux États-Unis et de Tchernobyl en URSS, l’industrie nucléaire française apparaît la plus performante au monde en matière de sécurité. La France a une carte à jouer en ce domaine, d’autant qu’il sera impossible d’empêcher le développement du nucléaire civil dans le monde. Parmi les pays intéressés, on peut citer, outre l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Algérie, la Libye, ainsi que le Brésil. Si l’Inde a pu, malgré sa non-adhésion au TNP, développer son industrie nucléaire civile, c’est grâce aux Etats-Unis, qui voulaient réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz iranien. Cela étant, les Indiens ne sont pas pour autant soumis au diktat américain en matière nucléaire, et ne seront pas contraints de signer demain avec Westinghouse. Mais la France a-t-elle une politique vis-à-vis des États-Unis en ce domaine ? Le fait que le nucléaire soit actuellement une pomme de discorde au sein de l’Union européenne constitue-t-il un handicap pour le développement de l’industrie nucléaire française ?

M. Loïc Bouvard a estimé que les relations entre les États-Unis et la Russie étaient préoccupantes à de nombreux égards - implantation sur tout le pourtour de la Russie de bases américaines, de radars, de bases de lancement, aide apportée aux pays baltes, devenus membres de l’OTAN, aux pays du Caucase et d’Asie centrale – et que les relations entre l’OTAN et la Russie étaient particulièrement fraîches en ce moment. Quelle est la position de la France et de l’Union européenne face à cette tension entre la super-puissance et l’ancienne super-puissance ?

Mme Martine Aurillac a demandé au ministre de dire quelques mots de la situation en Somalie et en Éthiopie, ainsi que de préciser le rôle que la France assigne à l’OTAN en Afghanistan. Les États-Unis comptent en effet sur cette organisation pour la reconstruction de ce pays, contrairement à la France.

M. Jacques Myard s’est félicité d’avoir entendu le ministre reconnaître les limites du TNP, car lui-même est depuis longtemps partisan d’un aggiornamento de ce traité. L’objectif visé par tous est de créer au Proche-orient une zone stabilisée, voire une zone de paix. Dans les relations internationales, il est deux principes à considérer, celui d’effectivité et celui dit rebus sic standibus. De ce point de vue, il faudra prendre en compte la réalité des forces nucléaires au Proche-Orient, et en particulier celles d’Israël, pays qui est dans la même situation vis-à-vis du TNP que l’Inde et le Pakistan., afin de trouver une solution globale. Sinon, l’Iran aura beau jeu de dire qu’il y a deux poids et deux mesures.

Le ministre a apporté les éléments de réponse suivants :

– Concernant les rapports entre Israéliens et Palestiniens, il faut distinguer deux questions. La première est de savoir s’il faut ou non parler au Hamas. Celui-ci est considéré comme un mouvement terroriste par l’Union européenne et par la France, dans la mesure où il persiste à refuser de reconnaître Israël. Il est donc naturellement exclu d’entretenir quelque forme de contact que ce soit avec une organisation de ce type aussi longtemps que sa position et son comportement n’auront pas évolué. Dans l’hypothèse, donc, d’un gouvernement palestinien où le Hamas serait présent et dont le programme prendrait en compte la reconnaissance d’Israël, des contacts pourraient être établis avec ceux des membres de ce gouvernement qui n’appartiennent pas au Hamas.

La seconde question est de savoir si la France prend ses distances par rapport aux principes du Quartet. La réponse est non, et c’est d’ailleurs parce que l’accord de la Mecque constitue un premier pas important vers la réalisation de cet objectif que la France l’a salué. La communauté internationale doit consolider cette évolution et l’accompagner afin qu’elle aboutisse, aussi rapidement que possible, à l’adhésion explicite à ces principes et à leur mise en œuvre. Cela étant, ignorer l’accord et l’évolution positive reviendrait à saboter les efforts du président Mahmoud Abbas pour rassembler les Palestiniens et aboutirait à renvoyer ces derniers à leurs divisions et à leurs affrontements, avec les risques de chaos que l’on sait. Ceci ferait le jeu des extrémistes, dont il est d’ailleurs à craindre qu’ils ne tentent d’empêcher la mise en œuvre de l’accord au cours des prochains jours.

– S’agissant de l’Afghanistan, la France a accru son effort, conformément aux décisions annoncées par le Président de la République il y a quelques semaines lors du sommet de l’OTAN à Riga. Il est prévu, premièrement, le renforcement du dispositif aérien français basé au Tadjikistan ; deuxièmement : la fourniture de certaines capacités, notamment l’envoi d’hélicoptères de transport Cougar ; troisièmement, la possibilité d’engager, au cas par cas, les unités françaises à l’extérieur de la zone de Kaboul ; quatrièmement, l’envoi d’une cinquantaine d’instructeurs auprès de l’armée afghane. Telle est l’action de la France prévue au sein du dispositif de l’OTAN.

– Les droits de l’homme en Chine doivent être à l’esprit de tout représentant de la France en visite dans ce pays. Profiter des Jeux olympiques pour défendre cette cause est certainement de nature à porter ses fruits, car l’évolution de la Chine au cours des quinze dernières années, tant sur le plan économique que culturel, est encourageante.

– Peu de Français sont retournés en Côte-d’Ivoire et l’accord intervenu il y a seulement quelques jours mettra sans doute du temps à produire ses effets en la matière. Les personnes rapatriées de ce pays ont bénéficié d’aides financières ponctuelles à leur retour, mais les difficultés importantes qu’elles rencontrent encore pour leur réinsertion justifient un effort à plus long terme, en particulier à l’échelon régional et local, comme celui accompli par la région Midi-Pyrénées ou la ville de Toulouse.

– La France est en contact permanent avec le président Blaise Compaoré et l’encourageait depuis longtemps à prendre des initiatives. Il a, il est vrai, pris son temps, mais peut-être attendait-il d’être président en exercice de la CEDEAO. Il est capital que l’accord, qui doit encore être examiné par l’Union africaine, puis par le Conseil de sécurité des Nations Unies, ait été préparé et signé par des Africains. C’est en incitant les Africains à régler leurs problèmes entre eux qu’il sera possible de réduire le nombre de conflits en Afrique.

– Les négociations progressent avec les autorités du Cambodge pour formaliser un accord qui donnera l’agrément définitif à l’Agence française de l’adoption. Cela permettra la reprise du processus d’adoption. Le principal collectif des familles s’est déclaré satisfait de cette explication. La situation présente crée des problèmes humains dramatiques, qui rendent leur impatience compréhensible.

– En matière d’industrie nucléaire, la politique de la France vis-à-vis des États-Unis est d’abord celle de l’excellence. Il a été fait état d’une percée des Américains en Chine. Or, ce qui est à noter, c’est qu’il s’est noué au fil des ans une relation de confiance entre les autorités chinoises et la France, dans ce domaine.

– Au sein de l’Union européenne, la question du nucléaire civil pose des problèmes au gouvernement de coalition de Mme Angela Merkel. En dehors de l’Allemagne, de nombreux pays sont favorables au nucléaire civil et beaucoup vont continuer à y recourir afin de limiter l’effet de serre. Quant au Proche-Orient, il ne faut pas oublier que l’attitude comme la situation géographique de l’Iran suscitent des craintes et créent un climat d’insécurité. Le secrétaire général du Conseil de Coopération des pays du Golfe, que le ministre a reçu récemment, souhaite évoquer ces sujets avec les Français, les Allemands, les Américains. Il convient d’apporter un appui technologique aux pays qui souhaitent développer le nucléaire civil. Si la France ne les aide pas, d’autres pays s’en chargeront ; or, mieux vaut qu’ils disposent de la technologie et la sécurité françaises. La France a un rôle stratégique à jouer vis-à-vis d’eux.

– Le problème des relations entre les États-Unis et la Russie vient de ce que la Russie entend jouer tout son rôle sur la scène mondiale et dans les principaux dossiers de crise : Iran, Proche-Orient, Corée du Nord. Le président Vladimir Poutine estime, dans ce contexte, que la politique étrangère américaine commet des erreurs – parfois dangereuses, comme en Irak – et accuse les États-Unis de ne pas tenir assez compte des autres et d’ignorer la particularité de chaque pays où des crises peuvent se produire. Il peut exister de ce fait des tensions entre les deux pays. Elles ne doivent pas être exagérées et la France peut être amenée à favoriser le dialogue entre Russes et Américains.

– En Guinée, suite à la nomination d’un Premier ministre, la grève générale a cessé, et il est à souhaiter que la situation continue à s’améliorer.

– Concernant les forces nucléaires au Proche-Orient, la position de la France rejoint celle du président égyptien Hosni Moubarak : il est impératif de parvenir à une absence totale d’armes de destruction massive dans cette région du monde. C’est une question qui rejoint celle du TNP, dont il sera impossible d’éluder le réexamen au cours des prochaines années.

Le Président Edouard Balladur a exhorté le ministre à demander à son administration une étude précise et prospective des lacunes du TNP et des moyens qui permettraient de le rendre plus efficace. La question est de savoir si l’on peut se contenter du cadre contractuel – qui permet d’accepter ou non de signer un traité – ou s’il faudra s’orienter vers une sorte de législation internationale contraignante pour tous les Etats, signataires ou non. Cette dernière option constituerait évidemment une innovation majeure, mais faute de s’y résoudre, on ne voit guère comment régler les problèmes que poserait la prolifération.

Bilan d’activités de la commission des Affaires étrangères pour la XIIe législature

Le Président Edouard Balladur a dressé le bilan de l’activité de la Commission pendant les cinq années écoulées et donné le plan général du rapport consacré aux événements marquants de la législature 2002-2007, caractérisés essentiellement par la lutte contre le terrorisme international, l’intervention américaine en Irak et l’élargissement de l’Union européenne et son avenir institutionnel.

Il a déclaré que tout en respectant l’équilibre institutionnel et les prérogatives du pouvoir exécutif en matière de politique étrangère, il était indispensable de permettre au Parlement de procéder à l’évaluation critique de cette politique et de faire des propositions.

Le bilan d’activité de la Commission au terme de la douzième législature n’est pas négligeable : elle a reçu près d’une centaine de personnalités parmi lesquelles de nombreux chefs d’État, premiers ministres, ministres, commissaires européens, hautes personnalités diverses. Elle a procédé à quarante-sept auditions du ministre des affaires étrangères et tenu seize réunions conjointes avec les cinq autres commissions permanentes ou la délégation pour l’Union européenne. Elle s’est également réunie chaque année alternativement à Paris et à Berlin avec la commission des affaires étrangères du Bundestag et a organisé un colloque sur l’avenir de la relation entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Par ailleurs, 244 textes ont été examinés par la Commission et adoptés en séance publique, soit environ la moitié des textes soumis au Parlement. C’est dire l’importance de la contribution des accords internationaux à la législation interne, sans parler de la transposition des directives européennes dans le droit interne.

Enfin, seize rapports d’information ont été élaborés sur des sujets aussi divers que la mondialisation, l’énergie, les relations transatlantiques, la situation au Proche-Orient, l’avenir de l’audiovisuel extérieur, le processus euro-méditerranéen ou le statut des journalistes en temps de guerre.

Cela étant, le président de la Commission a dit avoir éprouvé un certain nombre de regrets et de déceptions.

Tout d’abord, il a fallu se rendre à l’évidence : il n’est pas tenu compte par le Gouvernement des travaux de la commission alors que des propositions concrètes et constructives ont régulièrement été faites, que l’on songe aux suggestions de la mission d’information sur les relations transatlantiques, aux propositions relatives à l’action de l’Union européenne au Proche-Orient ou au plan d’action proposé par la mission d’information sur l’énergie et la géopolitique.

En second lieu, les débats en séance publique – qui font l’impasse sur des questions importantes –sont souvent léthargiques. Sont inutiles toutes les discussions ne se concluant pas par un vote. C’est la raison pour laquelle il conviendrait que l’on puisse, avant les conseils européens, voter des résolutions qui, bien que dépourvues de caractère contraignant, manifesteraient un avis clair du Parlement. Certes, une discussion a lieu avant les conseils européens, mais le président de la commission des Affaires étrangères a fini par y espacer sa participation, car il s’agit en fait d’une juxtaposition de déclarations et de questions, auxquelles il n’est pas toujours apporté de réponse, et il n’en ressort pas un avis du Parlement clair. Il faudrait donner au Parlement un droit d’initiative en matière de politique européenne, avec la possibilité de voter, dès qu’il l’estime utile, des résolutions, non contraignantes, sur les sujets dont il se saisit.

Par ailleurs, il n’a pas été possible d’obtenir des débats en séance publique sur le rôle de l’OTAN, sur la Côte d’Ivoire, ou encore sur la prolifération nucléaire. Ce constat pour le moins décevant s’explique aussi là encore par l’impossibilité de voter des résolutions sur les orientations de politique étrangère, ainsi que cela se pratique dans la plupart des Parlements des pays voisins.

Enfin, des difficultés existent dans les rapports avec la délégation pour l’Union européenne. Celle-ci a été créée pour alerter et informer les parlementaires sur les documents communautaires qui lui paraissent importants ou susceptibles de faire l’objet du vote d’une résolution en application de l’article 88-4 de la Constitution. Or, dans la pratique, elle traite de l’ensemble des questions diplomatiques, militaires, économiques ou monétaires, au motif que l’Union européenne intervient dans ce domaine. Il en résulte des chassés-croisés avec les compétences des commissions permanentes. Une solution consisterait à désigner, au sein de chacune de celles-ci, deux ou trois parlementaires chargés spécifiquement, en liaison avec la délégation, de suivre les volets européens des domaines de compétences de chacune des commissions. Des questions comme celle de savoir, par exemple, si M. Javier Solana est fondé à défendre telle position sur le nucléaire iranien, ou si M. Günter Verheugen, commissaire européen, a tort ou raison de préconiser un nouvel élargissement de l’Union européenne, relève de la compétence de la commission des affaires étrangères, de même que la question de la défense européenne concerne essentiellement la commission de la défense, et qu’il revient à la commission des finances de dire si la politique monétaire actuelle de l’Union doit être modifiée et dans quel sens.

Une coopération a pu être développée en amont entre la commission et le ministère des affaires étrangères. C’est un sujet de satisfaction. Le groupe de suivi des négociations avec la Turquie, présidé par M. Hervé de Charette, devrait, de ce point de vue, faire école.

Il serait bon également qu’une fois par trimestre, une séance de questions au Gouvernement soit consacrée à l’actualité internationale hors Union européenne.

En conclusion, la commission a décidé la publication du rapport d’information présentant le bilan d’activités de la commission des Affaires étrangères sous la XIIe législature.



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