COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 11

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 2 novembre 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Michel Voisin, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport d'information sur les réserves (MM. Guy Teissier et Jean-Louis Léonard, rapporteurs)


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Réserves (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de MM. Guy Teissier et Jean-Louis Léonard sur les réserves.

M. Michel Voisin, président, a rappelé que le cadre juridique des réserves a été fixé, après la professionnalisation des armées, par la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999, portant organisation de la réserve militaire et du service de défense. Il apparaît aujourd'hui nécessaire, au vu de son application, d'améliorer le dispositif de cette loi et la ministre de la défense a annoncé à la commission le prochain dépôt d'un projet à cette fin. C'est dans cette perspective que s'inscrit le présent rapport d'information.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a indiqué que la loi du 22 octobre 1999 n'a pas su rendre les réserves suffisamment attrayantes pour que les objectifs fixés par la loi de programmation 1997-2002 soient atteints : alors que 100 000 réservistes étaient prévus, moins de 40 000 ont effectivement signé un engagement. Insuffisant, le recrutement s'avère également déséquilibré, les officiers étant plus nombreux à s'engager que les sous-officiers et les militaires du rang.

La réussite du système des réserves nécessite la mise en place d'un partenariat tripartite entre les armées, les réservistes, mais également les employeurs qui devront être impliqués par l'intermédiaire de conventions passées avec les autorités militaires. L'armée, qui a pour tradition de former ses militaires, doit être considérée comme un organisme de formation. Il conviendrait de permettre aux entreprises d'imputer les coûts induits par l'activité de leurs salariés dans la réserve sur leur budget de formation. Cela suppose une information suivie des chefs d'entreprise, notamment lorsque leurs employés améliorent leur qualification en obtenant un brevet ou une promotion. Les entreprises favorisant le volontariat dans la réserve devront voir leurs efforts reconnus notamment grâce à un label. Si, malgré toutes les mesures incitatives proposées, les difficultés pour recruter des réservistes perduraient, des dispositions plus contraignantes devraient être envisagées. Les entreprises civiles travaillant pour la défense pourraient être contraintes de fournir un quota de réservistes, notamment pour contribuer à l'entretien des matériels vendus.

M. Jean-Louis Léonard a ensuite présenté d'autres modifications susceptibles d'être apportées à la législation en vigueur :

- la période de cinq jours ouvrés pendant laquelle le réserviste peut s'absenter de son emploi civil sans l'autorisation de son employeur doit être allongée, de préférence par voie de convention afin de ne pas adresser un signal trop négatif aux chefs d'entreprise ;

- il convient d'allonger les délais de préavis notifiés aux employeurs par les armées, dans la mesure où la plupart des périodes de rappel des réservistes correspondent à des exercices prévus de longue date ;

- la durée maximale de service dans la réserve, actuellement fixée à 120 jours par an, doit être portée à 180, voire 210 jours, notamment pour les personnels servant dans des états-majors internationaux ou en opérations extérieures ;

- la limite d'âge des militaires du rang doit être relevée ; actuellement, un caporal-chef quittant l'uniforme après vingt-deux ans de service est trop âgé pour s'engager dans la réserve, ce qui prive les armées de nombreuses compétences ;

- une attention particulière devra être apportée à l'attribution des grades et au déroulement de carrière des intéressés : un réserviste qui honore plusieurs engagements successifs et qui fait preuve de compétence et de disponibilité doit pouvoir progresser à un rythme comparable à celui de ses homologues d'active ; les meilleurs officiers de réserve devront accéder au corps des officiers généraux.

M. Guy Teissier, rapporteur, a insisté sur l'attention toute particulière qui doit être apportée à la protection sociale des réservistes, dont le statut devrait être entièrement aligné sur celui des militaires d'active.

Il convient de négocier, avec les compagnies d'assurance, la prise en charge du risque lié à la participation à des opérations militaires et de l'inclure, le cas échéant, dans les contrats d'assurance complémentaire des réservistes ; à défaut, un contrat facultatif serait proposé aux intéressés. Certains réservistes peuvent connaître des périodes de chômage dans leur activité professionnelle civile ; en l'absence de réponse juridique claire, il convient de maintenir le versement de l'allocation chômage pendant les périodes d'activité militaire et de considérer cette indemnité comme une prestation sociale identique à celles qui sont maintenues pendant les périodes de service dans la réserve. Le droit à l'assurance vieillesse doit également être maintenu pendant les périodes où un réserviste est convoqué, malgré les interruptions de cotisations induites par la suspension du contrat de travail. La convocation pour une période d'activité dans la réserve doit être ajoutée à la liste des exceptions prévues par le régime général, telles que la maladie ou la maternité. Il ne serait pas admissible que le temps passé dans la réserve ne soit pas pris en compte dans le calcul de la retraite.

Sur le plan financier, l'effort consenti par les réservistes, qui concilient deux activités, mérite d'être rémunéré à son juste prix. Une indemnité d'engagement et une prime récompensant la fidélité et la réactivité devront être instaurées grâce au fonds créé par la loi n° 2003-73 du 27 janvier 2003 relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 et dont l'objet consiste à financer « plusieurs types de mesures destinées à développer l'attractivité des réserves ». Il importe également de mettre en place un dispositif de prime compensatoire qui rétablisse une égalité entre la solde militaire et le revenu professionnel. Une telle disposition revêtirait une valeur symbolique forte et serait susceptible d'attirer des spécialistes de haut niveau en contrepartie d'un coût réduit. La formation des réservistes devra être rémunérée. Des bourses d'études, subordonnées à la signature d'un engagement dans la réserve, pourront être versées à des étudiants engagés dans des études longues et de haut niveau. Les délais de paiement, actuellement de cinq à six mois, doivent être rapidement réduits sous peine de décourager les meilleures volontés.

Il ne sera pas possible, à long terme, de disposer d'un système qui repose essentiellement sur le zèle des personnels. Des réserves militaires entraînées et motivées engendreront forcément un coût.

Après avoir rappelé que les objectifs fixés par la loi du 22 octobre 1999 étaient de 50 000 réservistes pour la gendarmerie, 10 000 pour la marine, 30 000 pour l'armée de terre et un peu moins de 20 000 pour l'armée de l'air, M. Michel Voisin, président, a demandé quelle était désormais la répartition des effectifs de la réserve.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a répondu que les ambitions avaient globalement peu évolué, mais que le calendrier avait été assoupli. Il a ainsi précisé que les objectifs retenus pour l'horizon 2015 étaient de 29 000 réservistes pour l'armée de terre, 8 250 pour l'armée de l'air, 7 700 pour la marine, 40 000 pour la gendarmerie, 8 600 pour le service de santé des armées et 550 pour le service des essences des armées, soit un total de 94 050 réservistes au lieu des 100 000 initialement envisagés.

M. Charles Cova a jugé qu'il n'était pas réaliste de proposer un relèvement de 10 % de l'âge limite des militaires du rang réservistes, surtout lorsque ces derniers sont appelés à exercer des fonctions opérationnelles. Il a ensuite estimé que l'information des personnels infirmiers civils vis-à-vis des possibilités offertes par la réserve était insuffisante, la faute en incombant à leurs écoles. Il a enfin préconisé d'inscrire dans le code du travail la possibilité d'accorder une priorité d'embauche aux personnels réservistes dans les entreprises qui travaillent pour le compte de la défense.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a fait valoir que le relèvement de l'âge limite des réservistes était destiné à répondre à des problèmes variables d'une armée à l'autre. Si la marine ne rencontre pas de difficulté particulière, le nombre de réservistes recensés au 1er juillet 2004 étant de 5 108 pour un objectif de 5 500 à l'horizon 2008, il n'en va pas de même pour l'armée de terre. La proposition formulée par les rapporteurs consiste à ouvrir une possibilité qui permettrait de résoudre certains problèmes de recrutement.

L'information des infirmiers sur les possibilités offertes par la réserve doit aussi se faire au sein des écoles. Néanmoins, plutôt que d'inscrire cette obligation dans la loi, il semble préférable d'assigner cet objectif aux délégués départementaux du ministère de la défense.

Enfin, il serait sans doute inconstitutionnel d'instituer une discrimination à l'embauche au profit des réservistes. D'autres moyens peuvent être imaginés pour favoriser le recrutement de personnes motivées par le service de la défense nationale : pourquoi ne pas prévoir, par exemple, que les entreprises travaillant dans le domaine de la défense soient tenues de mettre à la disposition des armées un certain nombre de personnels réservistes en assortissant, au besoin, de sanctions le non-respect de ce principe ?

M. Guy Teissier, rapporteur, a observé que les infirmiers réservistes constituaient une catégorie particulière en raison de la pénurie de ce type de personnels dans le secteur civil. Leur mise à disposition par les hôpitaux publics ou les cliniques privées demeure assez rare, car il est difficile d'obtenir une autorisation d'absence de plusieurs mois pour se rendre en opération extérieure, à moins de prendre ce temps sur ses congés. Néanmoins, le principe de la réserve fait son chemin au sein des personnels médicaux.

La difficulté consiste à mieux faire connaître les réserves auprès des jeunes. Un effort de communication substantiel doit être consenti par les armées, avec le concours des réservistes. Les personnes susceptibles d'être intéressées sont plus nombreuses que ce que l'on pense.

M. Michel Voisin, président, a estimé que l'information sur la réserve devrait normalement être diffusée lors de la journée d'appel et de préparation à la défense (JAPD). Il semble pourtant que rien ne soit entrepris à cette occasion pour encourager les jeunes à souscrire un engagement de servir dans la réserve.

M. Guy Teissier, rapporteur, a jugé que c'est l'ensemble des modalités de la JAPD qui doit être revu. L'organisation de cette journée coûte cher pour un résultat qui n'est pas à la hauteur. Beaucoup de jeunes en repartent déçus.

M. Charles Cova a considéré que les délégués militaires départementaux avaient une insuffisante connaissance de l'existence et du rôle des correspondants défense, mis en place dans les municipalités depuis 2001. Il a suggéré, en conséquence, que les élus, à commencer par les membres de la commission de la défense, travaillent à faire se rencontrer ces deux catégories d'acteurs, afin de faciliter une meilleure diffusion de l'information.

M. Guy Teissier, rapporteur, a insisté sur la question de l'information. Il est nécessaire de sensibiliser les préfets et les délégués militaires départementaux afin de développer les échanges sur ce sujet qui reste, pour l'instant, trop méconnu.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a indiqué que les situations pouvaient s'avérer très différentes selon les départements ; dans certains d'entre eux, le volontarisme des commandants d'unités en matière de réserves porte ses fruits, tandis que dans d'autres, les chefs de corps et les délégués militaires départementaux font porter leurs efforts sur d'autres tâches. Très peu de réservistes sont recrutés par l'intermédiaire de la journée d'appel de préparation à la défense. Comme le vivier des anciens conscrits va progressivement se réduire, il serait bon que la JAPD permette de recruter davantage.

M. Philippe Folliot a regretté que la réserve opérationnelle de la gendarmerie ne compte aujourd'hui que 13 000 hommes, au regard d'un objectif de 29 000 à l'horizon 2008. Les réserves de la gendarmerie présentent plusieurs particularités : le recrutement y est moins difficile en raison de la proximité de cette arme, répartie sur l'ensemble du territoire national ; les réservistes interviennent de façon ponctuelle pour des manifestations qui ne durent parfois qu'une seule journée ; les réservistes de la gendarmerie sont rarement envoyés en opérations extérieures.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a reconnu les particularités de la gendarmerie en matière de proximité géographique et de recrutement. Le cadre d'emploi des réservistes y est précisément défini, mais 75 % à 80 % d'entre eux sont d'anciens gendarmes d'active, ce qui est supérieur à la part d'anciens militaires observée dans les autres armées. La gendarmerie atteint aujourd'hui près de 50 % des objectifs assignés pour 2008, soit exactement 14 033 réservistes recrutés sur les 29 000 prévus.

M. Michel Voisin, président, a souligné l'intérêt des propositions avancées par les rapporteurs pour améliorer les relations entre les employeurs et les armées, mais a considéré que le recrutement de réservistes risquait de continuer à susciter des difficultés pour les entreprises de petite taille, qui ne peuvent pas nécessairement se passer d'un collaborateur pendant une longue période. La disponibilité des réservistes employés au sein des petites ou moyennes entreprises est un problème récurrent qui n'a pas encore trouvé de solution.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a répondu que, paradoxalement, ce n'était pas dans les petites et moyennes entreprises qu'étaient rencontrées les réticences les plus fortes, ainsi que l'ont montré les entretiens conduits avec les responsables d'organisations patronales. En revanche, les chefs de service, d'administrations ou de grandes entreprises, avancent toujours de « bons » arguments pour ne pas se séparer de leurs salariés. C'est la raison pour laquelle le rapport envisage de contraindre les entreprises d'une certaine taille, qui entretiennent des liens avec le ministère de la défense, notamment par l'intermédiaire de marchés publics, à respecter un quota de réservistes. En l'absence de toute contrainte, les objectifs en matière d'effectifs de réservistes risqueraient de ne pas être atteints.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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