COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 14 décembre 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Examen, pour avis, du projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales - n° 1977 (M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis)


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Ouverture capital DCN (avis)

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné pour avis, sur le rapport de M. Philippe Vitel, le projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales - n° 1977.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité marquer le mécontentement du groupe socialiste devant la très grande rapidité demandée pour l'examen de ce texte, laquelle ne permet pas un examen approfondi et dans de bonnes conditions de dispositions controversées, ce qui est regrettable s'agissant d'un projet engageant l'avenir de DCN et de ses personnels.

M. Jean-Marc Ayrault a indiqué qu'il avait évoqué ce sujet lors de la conférence des présidents. La méthode dangereuse adoptée par le Gouvernement ne permet pas d'organiser un véritable dialogue social dans l'entreprise et suscite de vives inquiétudes. Il aurait été souhaitable que la ministre de la défense vienne présenter son projet en commission afin d'exposer les raisons de cette précipitation.

Le président Guy Teissier a estimé que l'ouverture du capital de DCN avait été préparée par la précédente majorité et qu'il était prévu depuis longtemps que soit déposé un amendement dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2004. Cette procédure n'apportant pas toutes les garanties suffisantes, il a été nécessaire de déposer un projet de loi spécifique afin de faire aboutir le dossier avant la fin de l'année, comme cela était déjà prévu, même si cela peut poser quelques problèmes d'organisation des travaux de l'Assemblée.

Après avoir souligné que, trois ans après l'adoption des dispositions législatives portant création de la société nationale DCN, celle-ci était devenue performante et viable grâce à l'ensemble de ses personnels, M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis, a rappelé que, lors de l'inauguration du salon Euronaval, le 25 octobre 2004, la ministre de la défense avait annoncé une ouverture de capital. Le projet de loi n° 1977 concrétise cette décision.

L'adoption de dispositions législatives est rendue nécessaire par le texte de l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, qui précise explicitement que le capital de DCN est intégralement détenu par l'Etat.

Alors que les restructurations des industries navales ont déjà été effectuées outre-Atlantique, le processus n'en est qu'à ses balbutiements en Europe. La construction de navires armés est assurée par seulement quatre maîtres d'œuvre et six chantiers navals aux Etats-Unis et elle y engendre un chiffre d'affaires annuel de 12 milliards d'euros, tandis qu'en Europe neuf maîtres d'œuvre et plus de vingt chantiers navals se répartissent une activité d'un montant d'à peine 9 milliards d'euros. Faute de regroupements, les industriels européens risquent de subir rapidement la concurrence asiatique, caractérisée par de très faibles coûts de production, ainsi que celle des chantiers navals américains, qui s'intéressent à présent au marché mondial alors qu'ils bénéficient déjà des vastes débouchés de leur marché intérieur. C'est donc maintenant que les choix stratégiques doivent être faits pour DCN, sous peine de déplorer, dans plusieurs années, sa marginalisation et son déclin, voire sa disparition programmée.

Le contexte est favorable. En effet, DCN a affiché un résultat net de 41 millions d'euros en 2003, avec deux ans d'avance sur l'objectif initial de retour à l'équilibre. En outre, son carnet de commandes cumulées s'élève à plus de 4,5 milliards d'euros, ce qui offre des perspectives d'activité d'autant plus raisonnables que le contrat d'entreprise conclu avec l'Etat, lors du changement de statut, garantit un plan de charge de 7 milliards d'euros sur la période 2003-2008, réparti entre 2,8 milliards pour le maintien en condition opérationnelle et 4,2 milliards pour les équipements neufs. Cette conjoncture positive ne doit pas pour autant occulter que l'avenir ne s'annoncera pas indéfiniment sous d'aussi bons auspices.

La ministre de la défense a pris quatre engagements que le projet de loi présenté par le Gouvernement respecte à la lettre.

Tout d'abord, l'Etat restera majoritaire dans le capital de la société mère et de ses filiales actuelles. L'ouverture du capital ne pourra excéder 49 % pour DCN et ses filiales réalisant un chiffre d'affaire supérieur à 375 millions d'euros ou dont l'effectif est supérieur à 250 personnes, soit les filiales vraiment significatives. Etant soumise aux dispositions du titre II de la loi du 6 août 1986, relative aux modalités des privatisations, toute ouverture de capital sera subordonnée à l'avis conforme de la commission des participations et des transferts. L'autorisation préalable des ministres de la défense et de l'économie sera également requise, y compris pour les transferts d'actifs à des filiales communes avec d'autres groupes.

L'unité de DCN sera elle aussi préservée. Cette garantie découle des seuils fixés par le projet de loi, puisque le plus petit des sites de DCN, à Saint-Tropez, emploie plus de 250 personnes. Il n'y aura donc aucun démantèlement de l'entreprise.

Le statut des personnels militaires, fonctionnaires, agents sous contrat et ouvriers de l'Etat détachés dans des filiales sera maintenu. Les ouvriers de l'Etat seront même électeurs et éligibles au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des filiales dans lesquelles ils travailleront.

Enfin, le contrat d'entreprise pluriannuel sera conforté. Les perspectives d'activité à moyen terme se trouveront donc renforcées.

Ces différents aspects juridiques sont autant de conditions indispensables à la réussite de l'évolution de DCN. Il est en effet impératif d'apporter des garanties aux personnels qui ont beaucoup œuvré au succès du changement de leur entreprise.

Grâce aux mesures proposées par le Gouvernement, la société pourra enfin nouer des alliances structurelles et répondre à l'émergence d'un véritable marché européen de l'armement, autour de l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et de l'agence européenne de défense. Un rapprochement avec Thales Naval France est privilégié et les négociations se poursuivent à ce sujet. Une telle alliance ne conduira à aucune suppression d'emploi, car il n'existe pas de redondances entre les deux industriels. S'il s'agit là d'un préalable à toute concentration européenne, un tel regroupement n'exclut pas pour autant les pourparlers européens. Le partenaire le plus naturel du nouvel ensemble français serait logiquement le nouveau groupe ThyssenKrupp Marine Systems, issu de la fusion des chantiers de Thyssen avec HDW. Des discussions ont aussi lieu avec Izar, mais le chantier naval espagnol se trouve en difficulté du fait de l'obligation de rembourser les aides communautaires indûment perçues, sur l'injonction de la Commission européenne. Une séparation des activités civiles et militaires du groupe est d'ailleurs prévue. Les complémentarités avec Fincantieri sont moindres, car le groupe italien est le dernier du secteur à conjuguer construction navale civile et militaire, ce qui fragilise sa rentabilité. C'est d'ailleurs pour cette même raison qu'un rapprochement de DCN avec les Chantiers de l'Atlantique n'est pas véritablement privilégié.

Le rapporteur a estimé en conclusion que le projet de loi du Gouvernement traduit l'attachement des pouvoirs publics à la préservation d'un des fleurons du secteur public de l'armement. L'évolution de DCN ne pouvant se faire qu'avec ses personnels, et non contre eux, les garde-fous sont suffisants pour rassurer tous ceux qui auraient des inquiétudes. Les mesures proposées constituent un point d'équilibre entre davantage de flexibilité juridique et le maintien des acquis des personnels recrutés avant le changement de statut.

M. Jean-Marc Ayrault a souligné que la précédente majorité n'avait pas décidé d'ouvrir le capital, mais de transformer DCN en société anonyme détenue intégralement par des capitaux publics. De nombreux engagements n'ont pas été tenus, dont notamment la présentation d'un plan pluriannuel d'activité. La perspective de constitution de groupes européens dans le domaine naval est certes intéressante, notamment avec l'Allemagne et l'Espagne, mais le chemin à parcourir reste long et l'on peut donc s'interroger sur la précipitation du Gouvernement. De plus, les négociations engagées entre DCN et Thales peuvent parfaitement être réalisées par le biais des filiales communes. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste a déposé un amendement de suppression de l'article unique.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis, a déclaré que les résultats de DCN s'étaient améliorés plus rapidement que prévu, ce qui constitue un signe d'espoir et qui doit conduire à donner à l'entreprise les moyens de réussir sa mutation dans les meilleures conditions. Dans un contexte européen en rapide évolution, il convient de ne pas perdre de temps et le texte proposé est rassurant sur le sort des filiales par les seuils qu'il propose. Ce texte devrait rassurer les personnels et permettre à DCN de s'inscrire dans le cadre européen.

Le président Guy Teissier a jugé que le groupe socialiste était davantage hostile à la forme qu'au fond. Le contrat entre l'Etat et DCN a été élaboré au cours de l'année 2003. Alors que les fusions dans le domaine naval ont été par trop différées, le projet de loi a pour objectif de sauver des emplois en France, à l'image de ce qui a pu être réussi dans le domaine aérien avec la constitution d'Airbus.

La commission a examiné un amendement de suppression de l'article unique, présenté par M. Jean-Marc Ayrault et les commissaires appartenant au groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault a souligné que, si la constitution de grands groupes européens constitue, de façon générale, une avancée, une telle opération doit faire l'objet d'une préparation approfondie et demande du temps. Chacun sait qu'un rapprochement européen dans le domaine naval n'interviendra certainement pas dès la fin de l'année. Par ailleurs, de réelles inquiétudes se manifestent sur les sites de DCN, tandis que les personnels des sites industriels d'autres pays européens expriment également leur volonté d'obtenir des garanties. Actuellement, la création d'un groupe naval européen ne fait l'objet d'aucun projet industriel défini. Sans doute, le rapporteur fait-il preuve d'un optimisme quelque peu exagéré dans sa présentation du projet de loi. Pour réaliser une telle réorganisation de DCN, il est nécessaire de conduire des discussions approfondies au sein de l'entreprise, afin de répondre aux interrogations des personnels. La méthode retenue par le Gouvernement ne permet pas de le faire. De plus, la question du devenir des différents sites revêt une importance considérable, comme l'illustrent les négociations conduites sur ce point entre les Etats lors de la constitution d'EADS. L'amendement présenté vise donc à permettre de disposer du temps suffisant pour débattre de la stratégie industrielle de l'entreprise et conduire avec les personnels les discussions qu'implique une réorganisation de cette ampleur, l'absence de telles négociations apparaissant choquante.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis, a indiqué que les éléments chiffrés mentionnés dans son rapport mettent en évidence l'évolution positive de DCN. Ce constat, qui ne relève nullement d'un optimisme excessif, permet de dire que c'est aujourd'hui que doit être menée une telle réforme, afin de montrer à nos interlocuteurs européens la détermination et le volontarisme de la France dans le domaine naval. La valeur et les compétences technologiques de DCN ne sont plus à démontrer et il faut lui donner les moyens de prendre part à des mouvements européens le plus rapidement possible, ce qui lui permettra d'assurer sa pérennité et son développement.

La commission a rejeté l'amendement.

Puis, elle a adopté l'article unique sans modification.

En conséquence, et conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

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