COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 26

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 mars 2005
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Michel Voisin, vice-président,

puis de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport de la mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2004 (M. Guy Teissier, rapporteur)


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- Informations relatives à la commission

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Contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2004 (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport de la mission d'information présidée par M. Guy Teissier sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2004.

M. Guy Teissier, rapporteur, a rappelé que l'ensemble des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances entrerait en vigueur lors de l'examen du projet de loi de finances initiale pour 2006, c'est-à-dire dans quelques mois. Modifiant en profondeur la gestion des finances publiques, cette loi renforcera les pouvoirs de contrôle du Parlement, grâce à une information accrue des commissions et à la publication d'objectifs et d'indicateurs par les différents ministères. C'est en ayant à l'esprit les principes de cette réforme majeure que la commission a créé, en février 2003, une mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense, afin de lui permettre d'exercer sa vigilance sur l'emploi des crédits votés par le Parlement en 2003. Constatant tout l'intérêt qu'avait présenté cette initiative, la commission a souhaité la reconduire pour l'exercice 2004.

En effet, les années passées ont trop souvent été marquées par une véritable remise en cause des dotations votées, par le biais de mesures de régulation budgétaire. La commission a salué la hausse significative des crédits alloués au budget de la défense par les lois de finances pour 2003, puis pour 2004, en conformité avec les dispositions de la loi de programmation militaire. Toutefois, c'est à l'aune de l'exécution effective de ces crédits que cet effort doit être apprécié. Les deux missions d'information se sont donc assigné pour objectifs de veiller à la bonne exécution des moyens votés et de contrôler leur utilisation.

Un bilan satisfaisant peut être tiré de l'exécution du budget de la défense sur cet exercice. Les mesures d'annulation ont été modestes, se limitant à 35,7 millions d'euros sur les crédits d'équipement. Dans le même temps, le ministère de la défense a obtenu des abondements de crédits de titre III pour sa gestion courante, à hauteur de 362 millions d'euros, notamment afin d'assurer le versement de loyers de gendarmerie et de tenir compte de la forte hausse du prix du pétrole survenue en 2004. Enfin, si des mises en réserve de crédits ont été demandées au ministère de la défense en début d'année 2004, celles-ci ont été intégralement levées en cours d'année. Au total, l'exercice 2004 laisse apparaître une hausse de la consommation des crédits sur tous les postes de dépenses, ce qui résulte de l'augmentation des dotations inscrites en loi de finances initiale, des reports de crédits issus de 2003 et des abondements en cours de gestion.

Les dépenses supplémentaires résultant des opérations extérieures ont fait l'objet d'une bonne couverture en 2004, plus extensive que celle obtenue en 2003. Le coût des opérations extérieures s'est en effet avéré élevé, atteignant environ 630 millions d'euros, dont 543 millions d'euros non couverts en loi de finances initiale pour le titre III. Le financement de ces dépenses de rémunérations et de fonctionnement, assuré par l'ouverture de 540 millions d'euros en décret d'avance, apparaît très satisfaisant ; de ce fait, la gestion de 2005 ne pâtira pas de reports de charges de fonctionnement, à la différence de 2004. Pour autant, les surcoûts de titre V n'ont fait l'objet d'aucune ouverture de crédits, comme de coutume, ce qu'on ne peut que déplorer.

Enfin, la consommation des crédits d'équipement s'avère quelque peu contrastée. La consommation des crédits de paiement est en hausse de 4,8 % par rapport à 2003 et atteint le niveau le plus élevé constaté sur la période 1995-2004, soit 12,38 milliards d'euros. Toutefois, elle reste inférieure aux prévisions du ministère de la défense, lesquelles sont fondées sur les ressources disponibles, qui atteignent 15,15 milliards d'euros. Cette situation se traduit par un taux de consommation des crédits d'investissement relativement modeste, de 81,7 %. Paradoxalement, si les dépenses d'équipement sont particulièrement élevées, le taux de consommation des crédits est en nette diminution par rapport aux années précédentes.

Ceci s'explique par la volonté de maintenir les dépenses de l'Etat au niveau fixé par la loi de finances initiale. Or, les crédits disponibles du budget de la défense pour 2004 incluent, outre les dotations inscrites en loi de finances initiale, des reports de crédits importants. Afin de respecter la norme de dépense définie par le ministère de l'économie, le ministère de la défense a été contraint de limiter ses engagements financiers en fin d'année. Dès lors, se pose la question de la conciliation de l'exécution de la loi de programmation militaire, qui suppose la consommation des moyens ouverts en loi de finances initiale et des crédits reportés, avec l'impératif de ne pas dépasser la norme de dépenses votée.

Cette problématique risque de ressurgir en 2005, puisque la baisse du taux de consommation des crédits se traduit logiquement par des reports considérables sur 2005, de l'ordre de 2,75 milliards d'euros, en forte hausse par rapport à l'année précédente.

Il est indispensable de prendre en considération les incidences négatives de ce mode de fonctionnement ; malgré la hausse considérable des crédits votés en 2004, les paiements, bien qu'en augmentation, restent inférieurs aux prévisions, alors même que sont en cours ou sur le point d'être lancés des programmes d'équipement majeurs.

De plus, des reports de charges importants se traduisent nécessairement par une hausse des intérêts moratoires, du fait du décalage des paiements de factures sur l'année suivante. Tel fut le cas en 2004 : alors que les reports de charges issus de 2003 s'élevaient à 2,12 milliards d'euros, les intérêts moratoires ont connu une forte hausse, de plus de 40 %, par rapport à 2003. On peut craindre que cette situation se reproduise en 2005, du fait des reports de charges précités. Il convient toutefois de souligner la quasi équivalence des reports de charges et de crédits sur l'année 2005, faisant penser que la gestion 2005 ne sera pas affectée par des reports de charges nets, à la différence de 2004.

Par ailleurs, les engagements d'autorisations de programme réalisés en 2004 sont en hausse, atteignant 15,2 milliards d'euros, contre 13,2 milliards d'euros en 2003, cette évolution s'expliquant notamment par le report de la commande des 59 avions Rafale de 2003 sur 2004.

Au total, peuvent être retirés de l'exécution des crédits militaires pour 2004 des motifs de satisfaction, tels que le dynamisme d'ensemble de la consommation des crédits et l'absence de mesures de régulation, mais aussi des motifs d'inquiétude, notamment la baisse du taux de consommation des crédits d'équipement et la hausse des intérêts moratoires.

Le rapporteur a ensuite insisté sur l'étendue des questions abordées lors des auditions, qui a permis aux membres de la mission d'être informés des difficultés survenues dans le déroulement de certains programmes, mais aussi de débattre de plusieurs questions importantes.

Ont ainsi pu être ainsi évoqués les retards de livraisons de plusieurs équipements. Le char Leclerc figure parmi les programmes affectés par des décalages ; si, en 2003, 23 chars seulement avaient été acceptés, contre 45 prévus, l'année 2004 s'avère plus insatisfaisante encore, puisque 12 chars ont été livrés, au lieu de 45. Du fait de ces retards, résultant des difficultés sociales que connaît Giat Industries, mais aussi des défauts de qualité des chars fournis, l'achèvement des livraisons n'interviendra qu'en 2006, voire en 2007. De tels étalements ne peuvent qu'être déplorés, d'autant que la diminution des livraisons ne s'est pas traduite par une baisse équivalente des paiements versés par l'Etat.

Le programme de rénovation des blindés AMX 10 RC connaît également des retards, mais pour des raisons différentes. Sur les 52 chars rénovés qui devaient être livrés en 2004, seuls trois l'ont finalement été. L'ampleur des opérations nécessaires semble avoir été mal estimée et l'organisation industrielle complexe qui a été retenue, impliquant Giat Industries et la DCMAT, s'avère insatisfaisante. En conséquence, l'armée de terre a revu à la baisse ses ambitions, en se réorientant vers une rénovation plus limitée, tandis que les modalités industrielles de cette opération ont été modifiées, ce qui devrait permettre de remettre le programme sur les rails.

Le décalage constaté par la mission précédente sur le programme d'hélicoptère Tigre s'est amplifié : alors que sept exemplaires devaient être reçus en 2004, en sus de deux en 2003, aucune livraison n'est encore intervenue, du fait des difficultés que rencontre l'industriel. Ces retards apparaissent particulièrement dommageables : l'armée de terre a besoin de ces hélicoptères, pour remplacer ses Gazelle vieillissantes, et l'école franco-allemande de formation des pilotes du Tigre, basée au Luc, a été inaugurée en 2003 et devait commencer à fonctionner dès 2004.

Enfin, seulement trois avions Rafale ont été livrés à l'armée de l'air en 2004, contre cinq initialement prévus, du fait, à nouveau, de difficultés industrielles. De même que pour le programme Tigre, les forces armées ont souhaité recevoir des matériels répondant pleinement aux spécifications techniques prévues. Toutefois, le retard constaté n'aura pas d'incidence sur la mise en place du premier escadron d'avions Rafale sur la base de Saint-Dizier à l'été 2006.

Les membres de la mission ont également pu constater les difficultés rencontrées par les différentes armées pour réaliser les objectifs d'activité qui leur sont assignés. En raison des reports de charges de fonctionnement sur l'année 2005, les armées ont été contraintes de réduire certains de leurs objectifs d'entraînement par rapport à ceux définis par la loi de programmation militaire. Dans le même temps, le nombre d'heures de vol des pilotes d'hélicoptères de l'armée de terre ainsi que des pilotes d'avions de chasse et de transport de l'armée de l'air est inférieur aux prévisions établies, pour partie en raison de l'insuffisante disponibilité des matériels en cause.

Doit également être mentionnée la persistance de sous-effectifs significatifs, de l'ordre de 3 % en fin d'année, au sein des armées : un tel pourcentage, identique à celui de 2003, ne peut être négligé, notamment au regard de la forte sollicitation des personnels en opérations extérieures.

Une étape importante a été franchie en 2004 pour faire évoluer les modalités de financement des opérations extérieures. La mission précédente avait souligné les insuffisances du mécanisme actuel et la nécessité de le réformer. Le projet de loi de finances initiale pour 2005 a comporté une véritable avancée, inscrivant une dotation de 100 millions d'euros pour le financement des opérations extérieures. Cependant, cette somme reste très inférieure aux surcoûts généralement enregistrés. L'inflexion positive engagée pour 2005 devra donc être amplifiée dans le prochain projet de loi de finances.

Le rapporteur a conclu en soulignant que, comme l'année précédente, les ministères impliqués - le ministère de la défense et celui de l'économie et des finances - ont pleinement collaboré avec les membres de la mission. Lors de rencontres régulières, les membres de la mission ont pu exercer un contrôle précis de l'exécution des crédits militaires, en obtenant les éclaircissements nécessaires sur les données fournies, mais aussi en abordant des sujets qui, s'ils dépassent le strict cadre budgétaire, ont des implications considérables pour la défense. A ce titre, sans doute les travaux de la mission se sont avérés positifs pour ses membres, mais aussi pour tous ses interlocuteurs, en constituant un cadre utile d'échanges et en mettant en lumière certains problèmes et dysfonctionnements. Sur ce dernier point, la mission estime particulièrement nécessaire de se montrer vigilante sur la consommation des crédits d'équipement pour l'année 2005.

M. Jean-Michel Boucheron a salué la qualité du rapport présenté, qui montre tout l'intérêt du système de contrôle mis en place par la commission. Il constitue en quelque sorte un moment de vérité tant il est vrai que c'est dans le réalisé qu'est jugée la politique budgétaire. Par ailleurs, le rapport montre que la situation actuelle ne tranche guère avec les pratiques antérieures. Le problème demeure donc celui de la capacité du ministère des finances à masquer les réalités comptables, au moins dans les premiers mois de l'année.

Une inquiétude subsiste sur la mise en œuvre de certaines dispositions de la loi de finances pour 2005. Ainsi, le financement des frégates multimissions (FREMM), éléments structurants pour la marine, ne semble pas pleinement assuré. L'alternative risque d'être la suivante : soit le financement n'est pas au rendez-vous ; soit il se fera au détriment d'autres programmes.

M. Guy Teissier, rapporteur, a indiqué avoir interrogé la ministre de la défense sur ce point, comme sur les autres programmes. De fait, tous les grands programmes doivent être réalisés, afin de répondre aux besoins des armées. Pour ce qui concerne les FREMM, l'assurance lui a été donnée d'un financement supplémentaire, dans le cadre du budget pour 2006, d'un montant d'1,3 milliard d'euros.

La ministre de la défense pourrait utilement être entendue par la commission sur cette question.

M. Charles Cova a souhaité que les inquiétudes des membres de la mission soient inscrites dans le rapport de façon plus explicite. Les conséquences d'une réduction de programmes en cours pour la marine, par exemple, ne doivent pas être sous-estimées. Aussi, si une revue des programmes doit être engagée, il faut la décrire.

Par ailleurs, l'utilisation des crédits de la défense versés au commissariat à l'énergie atomique (CEA) reste opaque. Il conviendrait qu'au moins un membre de la mission soit chargé d'assurer un suivi précis de ces crédits.

Tout en saluant l'attachement de M. Charles Cova à la marine, M. Guy Teissier, rapporteur, a estimé que le rapport présenté est honnête et équilibré. Plutôt que de risquer de tenir des propos par trop alarmistes, il conviendrait d'entendre la ministre. Les remarques concernant les crédits du CEA sont fondées. Une mission d'information ad hoc pourrait être créée sur ce sujet, à l'instar de ce qui a été fait pour les services de renseignement. Par ailleurs, une audition par la commission de M. Alain Bugat, administrateur général du CEA, est envisageable.

M. Bernard Deflesselles a indiqué que le rapport de la Cour des comptes sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels des armées paru en décembre 2004 a mis l'accent sur les difficultés rencontrées en la matière, tant du point de vue technique, avec une augmentation somme toute limitée des taux de disponibilité, que du point de vue financier. Il semble que des sommes plus importantes que prévu devront être affectées au MCO. La mission d'information a-t-elle obtenu des éléments sur ce sujet ?

M. Guy Teissier, rapporteur, a observé que le rapport de la Cour des comptes n'apportait guère d'information nouvelle au regard de ce qui avait pu être établi par le rapport d'information de M. Gilbert Meyer en 2002. Il permet toutefois de souligner de nouveau les problèmes que connaissent les trois armées dans ce domaine et conclut à la nécessité de ne pas amoindrir l'effort en cours en faveur du budget de la défense, sous peine de rencontrer d'importantes difficultés. Les moyens alloués ne sont en effet pas suffisants pour rétablir significativement le taux de disponibilité des matériels et l'avenir risque de s'assombrir compte tenu de l'ensemble des programmes qui restent à réaliser.

M. Jérôme Rivière a approuvé l'idée d'une audition de la ministre de la défense par la commission, afin qu'elle puisse entendre le sentiment de malaise que fait naître notamment l'insuffisante consommation des crédits. La loi de programmation militaire 2003-2008 a été votée en se référant au contre-exemple que pouvait constituer la loi de programmation militaire précédente et il est impératif de ne pas laisser s'installer une dérive. Il convient de s'assurer de l'exécution des programmes, notamment les FREMM, les crédits supplémentaires annoncés à hauteur de 1,3 milliard d'euros ne couvrant pas l'ensemble des besoins, estimés, semble-t-il, à 1,8 milliard d'euros.

M. Guy Teissier, rapporteur, a précisé que cette somme concernait l'exercice 2006 et n'était pas exclusive d'abondements ultérieurs. Il a estimé souhaitable de faire partager les préoccupations de la commission à la ministre.

M. Charles Cova a relevé que le budget de la défense italien pour 2005 ne comportait aucun crédit pour les FREMM et s'est inquiété de la possibilité pour le ministère des finances d'en prendre prétexte pour limiter les crédits alloués.

M. Michel Voisin, président, a observé qu'il s'agissait d'un problème classique pour les programmes réalisés en coopération.

La Commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé :

- M. Hugues Martin, rapporteur d'information sur la reconversion des militaires avec M. Michel Dasseux, en remplacement de M. Daniel Poulou, qui a cessé d'appartenir à la commission ;

- M. Damien Meslot et Mme Bernadette Païx, rapporteurs d'information sur la condition militaire ;

- Mme Françoise Branget, rapporteure d'information sur le service militaire adapté.

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