COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 mars 2005
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information sur la participation de capitaux étrangers aux industries européennes d'armement (MM. Bernard Deflesselles et Jean Michel, rapporteurs)


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- Information relative à la commission

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Participation de capitaux étrangers aux industries européennes d'armement (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de MM. Bernard Deflesselles et Jean Michel sur la participation de capitaux étrangers aux industries européennes d'armement.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a souligné que les cinq dernières années ont été marquées par plusieurs prises de contrôle de groupes de défense européens par des capitaux étrangers, de fait essentiellement américains. Si ces opérations s'inscrivent dans les restructurations conduites dans ce secteur d'activité ainsi que dans son internationalisation progressive, l'industrie de défense ne fonctionne pas simplement selon les lois de marché « classiques », en ce qu'elle relève d'enjeux de souveraineté et d'indépendance nationales. Ces investissements étrangers soulèvent plusieurs questions importantes, quant à leurs motivations, mais aussi quant à leurs conséquences.

Parmi les secteurs ayant fait l'objet d'investissements étrangers, celui de l'armement terrestre est particulièrement emblématique, cinq opérations successives ayant été réalisées : le groupe américain General Dynamics a, tour à tour, pris le contrôle du suisse Mowag, de l'autrichien Steyr, de l'espagnol Santa Barbara ainsi que de l'allemand EWK, entre 1999 et 2003 ; parallèlement, l'américain United Defense a acquis le suédois Bofors, en 2000. Ce mouvement d'acquisitions a toutefois connu récemment un coup d'arrêt, avec l'échec de l'OPA lancée par General Dynamics sur le britannique Alvis, en avril 2004 et avec l'annonce, au début du mois de mars, du rachat par BAe Systems de l'américain United Defense, le groupe britannique prenant ainsi indirectement le contrôle du suédois Bofors. Néanmoins, le bilan de ces mouvements laisse apparaître la forte influence qu'exerce désormais General Dynamics sur le secteur terrestre européen.

L'industrie motoriste a été la cible de deux acquisitions majeures par des fonds américains, tout d'abord avec le rachat de l'italien Fiat Avio par le fonds Carlyle, à hauteur de 70 %, puis avec celui du groupe allemand MTU par le fonds KKR. Le fonds américain One Equity Partner (OEP) a également fait une incursion remarquée dans le secteur naval, en prenant le contrôle en 2002 de l'allemand HDW, leader mondial du segment des sous-marins conventionnels. Dans le contexte de l'engagement des Etats-Unis, en 2001, de procurer à Taiwan huit sous-marins conventionnels, il semble qu'OEP ait racheté HDW en ayant l'intention de le revendre ensuite à un groupe américain, par exemple Northrop Grumman. Toutefois, l'opération d'OEP a finalement abouti à une consolidation de l'industrie allemande, par le rachat d'HDW par l'autre principal acteur naval, ThyssenKrupp en 2004 ; OEP restant présent dans le capital du groupe nouvellement créé à hauteur de 25 %. Enfin, doit également être mentionnée la prise de participation du fonds Carlyle, à hauteur de 33,8 %, au sein de la société de recherche aéronautique britannique Qinetiq, en 2002.

Outre ces investissements concentrés sur des groupes de défense, plusieurs opérations ont porté sur des sous-traitants - notamment dans le secteur aéronautique - mais aussi sur des secteurs d'activité plus périphériques, tout en restant liés à la défense et à la sécurité nationales. On peut ainsi citer la prise de participation du fonds américain TPG dans le français Gemplus, leader mondial de la carte à puce, laquelle trouve des applications directes dans le renseignement militaire et la cryptographie.

Déterminer les motivations de ces investissements étrangers s'avère complexe. Dans nombre de cas, les motifs apparaissent multiples et, de fait, se conjuguent.

M. Jean Michel, rapporteur, a observé que les investissements étrangers répondent en premier lieu à des motifs économiques et financiers : les fonds recherchent des entreprises innovantes, susceptibles de produire des revenus et des plus-values lors de leur cession. Dès lors, les entreprises de hautes technologies intervenant dans les secteurs de la défense sont très prisées. De même, les groupes d'armement réalisent des acquisitions à l'étranger selon un objectif de croissance externe, afin d'atteindre une taille critique et d'accéder à de nouveaux marchés.

Ces investissements répondent également aux besoins de financement du secteur européen de défense, lequel apparaît globalement sous-capitalisé. Les entreprises de petite taille rencontrent notamment des difficultés pour accéder à des moyens de financement ; les banques, mais aussi les autres acteurs financiers, apparaissent particulièrement frileux dans leurs investissements, notamment en France. L'entrée de capitaux étrangers permet alors de financer le développement des entreprises, notamment les PME et PMI.

Pour autant, certains investissements revêtent une dimension plus stratégique. Plusieurs d'entre eux peuvent correspondre à la volonté d'accéder à des technologies spécifiques. Le rachat du groupe terrestre Mowag est ainsi intervenu peu avant le lancement par l'armée de terre américaine d'un vaste programme de véhicules blindés légers, fondé sur le modèle Piranha développé par Mowag. Quant au rachat d'HDW par OEP, on peut penser qu'il était pour partie motivé par des considérations technologiques : si HDW avait été acquis par un acteur américain, tel Northrop Grumman, ce dernier aurait pu avoir accès aux compétences du groupe allemand en matière de sous-marins à propulsion classique, que l'industrie américaine n'est plus en mesure de produire, s'étant concentrée sur ceux à propulsion nucléaire.

Plus largement, les investissements étrangers sont principalement intervenus dans les secteurs de défense européens les plus dispersés, à savoir les secteurs terrestre, motoriste et naval, qui n'ont connu quasiment aucune consolidation. Dès lors, ces investissements peuvent laisser transparaître la volonté de jouer un rôle dans les évolutions de ces industries européennes. Dans le secteur des moteurs, on ne peut écarter l'hypothèse que les fonds ayant acquis MTU et Fiat Avio souhaitent peser sur les restructurations européennes, particulièrement Carlyle, qui, après avoir acquis 70 % de Fiat Avio, était sur les rangs pour racheter MTU. De même, il est possible que Northrop Grumman, lorsqu'il était en pourparlers pour une prise de participation dans le capital d'HDW, ait envisagé de prendre pied sur le marché naval européen, voire d'intervenir dans les restructurations à venir de ce secteur.

S'agissant du domaine terrestre, peut être identifiée une stratégie bien articulée d'acquisitions successives, aboutissant à une forme d'encerclement de l'industrie européenne. Au total, n'échappent désormais à l'influence américaine que les acteurs terrestres britannique, allemands et français. L'industrie des Etats-Unis occupe désormais une position incontournable dans ce secteur et elle dispose d'un accès privilégié aux marchés européens.

Il est difficile d'évoquer les opérations réalisées par les fonds d'investissement américains dans le secteur de la défense sans mentionner les débats portant sur leurs relations avec les pouvoirs publics et la communauté du renseignement aux Etats-Unis, notamment au regard du parcours de certains cadres des services de renseignement ou d'hommes politiques au sein de fonds américains. Le cas de Carlyle est particulièrement édifiant sur ce point. Ce constat peut faire naître des soupçons sur le rôle de ces fonds d'investissement, qui constitueraient des outils de puissance politique. Il convient toutefois d'être prudent et de tenir compte de la spécificité de la culture anglo-saxonne, qui se caractérise par une plus grande fluidité des parcours professionnels, ainsi que de l'objectif premier de rentabilité d'un fonds d'investissement, son intérêt économique primant sur les autres considérations.

En revanche, il est indéniable que les Etats-Unis s'appuient sur des synergies bien plus fortes que l'Europe entre ses secteurs public et privé, les relations qui peuvent être entretenues entre eux n'apparaissant pas choquantes. Cette culture américaine favorise de fait une convergence des intérêts économiques et nationaux. Le cas de la prise de participation du fonds TPG dans Gemplus illustre particulièrement bien ce constat.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a relevé que ces investissements étrangers peuvent affecter la sécurité d'approvisionnement des Etats européens, qui deviennent dépendants de fournisseurs étrangers dans des domaines stratégiques. Cette question prend une importance accrue au vu de l'interpénétration croissante de l'industrie de défense européenne, du fait de la création de sociétés transnationales et de la réalisation de programmes en coopération. Dès lors, des opérations survenant dans d'autres pays européens peuvent avoir des incidences directes en France, et réciproquement. Dans le secteur des moteurs, plusieurs programmes en coopération, par exemple pour la motorisation de l'A 400 M, du Tigre et d'Ariane 5, impliquent, au sein de consortia, MTU et Fiat Avio. Il est fort peu probable que les fonds propriétaires de MTU et de Fiat Avio aient pour objectif d'entraver le déroulement de ces programmes ; en revanche, ce sont davantage des contraintes financières qui pourraient être exercées et affecter de manière indirecte le comportement des deux entreprises rachetées.

Les investissements étrangers risquent donc de porter atteinte à la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, alors même que l'un des atouts de celle-ci est d'être présente sur l'ensemble des segments de production. Or, il importe de conserver en Europe des compétences industrielles et technologiques indépendantes dans tous les secteurs de l'armement, car l'autonomie d'une politique européenne de défense repose, au moins pour partie, sur celle de l'industrie militaire.

Corrélativement, ces investissements étrangers peuvent constituer un frein à des restructurations industrielles en Europe ; la présence de ces capitaux étrangers constitue de facto un obstacle à des consolidations selon une logique européenne, en conduisant à une forme de dissociation des acteurs.

L'analyse de ces investissements étrangers, mais, de fait, essentiellement américains, doit également prendre en compte le déséquilibre des opérations d'investissements transatlantiques, pour partie dû aux dispositions particulièrement restrictives en vigueur aux Etats-Unis en matière d'investissements étrangers.

Elles apparaissent protectrices et exhaustives : en application de l'amendement Exon Florio, le Président des Etats-Unis peut, en s'appuyant sur l'avis du CFIUS (Committee on Foreign Investments in the United States), organisme interministériel, interdire tout projet d'investissement étranger qui mettrait en péril la sécurité nationale. La référence à cette notion de sécurité nationale, particulièrement large, permet d'exercer un contrôle extensif, comme l'a illustré l'enquête approfondie réalisée par le CFIUS sur la vente par IBM de ses activités d'ordinateurs personnels à l'entreprise chinoise Lenovo. De fait, cette procédure explique largement le peu d'acquisitions importantes effectuées aux Etats-Unis par des acteurs étrangers en matière de défense. Nombre d'entreprises européennes ont également racheté des groupes américains, afin d'accéder aux marchés militaires des Etats-Unis, mais leurs investissements revêtent un caractère bien moins stratégique que leurs homologues américains. Ils ne portent en général que sur des entreprises de petite ou moyenne taille - les investissements britanniques se distinguent toutefois, en bénéficiant d'une plus grande bienveillance des Etats-Unis, du fait des liens privilégiés existant entre ces deux pays. De plus, s'ajoutent des dispositifs spécifiques de limitation de l'influence étrangère au sein des entreprises américaines rachetées, restreignant fortement, voire interdisant l'accès des investisseurs aux technologies qu'elles développent. Dès lors, lorsqu'un groupe européen acquiert une entreprise américaine, une large partie du contrôle de celle-ci lui échappe.

Enfin, les Etats-Unis ont également mis en place des outils performants d'aide au financement des PME et PMI innovantes, réduisant d'autant leur vulnérabilité à des acquisitions étrangères. Le fonds d'investissement In-Q-Tel a ainsi été créé par la CIA en 1999 afin de soutenir le financement des entreprises développant des technologies susceptibles d'intéresser les services de renseignement américains. Sous couvert d'un libéralisme généralement affiché, les Etats-Unis font donc montre d'un interventionnisme affirmé afin de protéger leurs industries de défense.

Dans le même temps, les systèmes en vigueur en Europe en matière de contrôle des investissements étrangers apparaissent hétérogènes et, de fait, beaucoup plus limités, bien que l'on observe depuis peu parmi plusieurs Etats de l'Union une prise de conscience des risques que peuvent présenter de tels investissements. La France s'est montrée particulièrement volontariste dans ce domaine : beaucoup d'efforts ont été réalisés au cours des deux dernières années afin de renforcer les dispositifs existants. En décembre 2003, a été mis en place un Haut représentant à l'intelligence économique, tandis qu'en 2004, plusieurs structures d'intelligence économique ont été créées au sein de différents ministères et services. Parallèlement, la législation sur le contrôle des investissements étrangers a été renforcée par la loi du 9 décembre 2004. Enfin, au début du mois de mars, a été annoncée la création d'un fonds d'investissement destiné au financement des PME et PMI stratégiques, qui devrait permettre de réduire la vulnérabilité de ces dernières à des prises de contrôle étrangères non souhaitées.

L'Allemagne a également pris la mesure des enjeux des investissements étrangers dans son industrie de défense, à la suite des acquisitions d'HDW, puis de MTU. Ne disposant d'aucune réglementation de contrôle jusqu'alors, elle a adopté une loi en juillet 2004 soumettant à autorisation du gouvernement les investissements de plus de 25 % dans les entreprises de défense et de cryptologie. Pour autant, le vote de cette loi s'est heurté à de fortes réticences, notamment de la part des industriels allemands, et son champ d'application s'avère réduit, puisqu'il ne concerne qu'un nombre limité d'entreprises. Il s'agit de fait d'une législation a minima.

M. Jean Michel, rapporteur, a souligné qu'au total, les dispositifs de contrôle en vigueur en Europe prennent des formes variées, tout en se rejoignant sur un principe commun : la possibilité de bloquer un projet d'investissement étranger et de fixer, le cas échéant, des conditions afin de garantir la sécurité d'approvisionnement. Néanmoins, le périmètre des activités couvertes par ce contrôle, mais aussi les seuils de déclenchement des procédures et les critères d'appréciation des projets d'investissement apparaissent très divers. Le contrôle exercé dans les pays européens est hétérogène et, dans l'ensemble, couvre un champ beaucoup plus restreint que celui en vigueur aux Etats-Unis.

Or, compte tenu de l'européanisation croissante de l'industrie de défense des pays de l'Union, la question du contrôle de l'entrée des capitaux étrangers ne peut être uniquement traitée au niveau national, mais doit faire l'objet d'une approche européenne. Il importe que l'Europe se dote d'une réglementation plus cohérente et plus complète, afin qu'elle puisse agir face à de nouvelles opérations étrangères non souhaitées.

Pour autant, si l'article 296 du Traité des Communautés européennes offre aux Etats membres la possibilité de déroger aux règles du marché commun dans le domaine militaire, les dispositifs de contrôle des investissements doivent respecter le droit communautaire pour les secteurs ne relevant pas strictement de la défense. Sur ce point, le droit et la jurisprudence communautaires se montrent particulièrement libéraux, en appliquant de façon extensive les principes de liberté de circulation des capitaux et de libre concurrence, alors même que les Etats-Unis, mais aussi d'autres pays comme le Japon, sont beaucoup plus soucieux de la protection de leurs intérêts nationaux.

Par ailleurs, la question du contrôle des investissements ne fait pas consensus parmi les Etats membres de l'Union. Les pays qui ne disposent pas d'une industrie d'armement développée ne sont guère sensibles à la protection de la base industrielle et technologique de défense européenne. Parmi les pays producteurs d'armement, certains ne sont pas nécessairement favorables à l'instauration de dispositifs de contrôle trop restrictifs. Finalement, seules la France, l'Allemagne et dans une certaine mesure l'Espagne, sont favorables à un contrôle vigilant de ces investissements, tandis que le Royaume-Uni a une approche plus complexe : attentif au problème de la sécurité d'approvisionnement, il reste peu préoccupé par la nationalité des fonds présents dans le capital de ses entreprises de défense.

La question de l'harmonisation du contrôle des investissements étrangers constitue une source de désaccords entre les Etats européens. L'agence européenne de la défense, dans le cadre de ses missions, pourrait toutefois être chargée de l'aborder. Toutefois, interrogé sur ce point, son directeur a indiqué que ce sujet ne constituait nullement une priorité, au vu des divergences des Etats, et que l'Agence souhaitait dans un premier temps se concentrer sur des objectifs plus productifs.

En dépit des désaccords existants, il importe de se saisir de cette question essentielle pour l'avenir de l'industrie européenne et d'adopter une démarche volontariste. Tout d'abord, il faut développer les dispositifs de veille et de protection : à l'échelle nationale, il importe de renforcer la structure du Haut représentant à l'intelligence économique, qui ne dispose pour l'instant que de moyens réduits, et de l'institutionnaliser davantage, afin d'assurer sa pérennité. Ensuite, il est indispensable de mieux identifier toutes les entreprises stratégiques, notamment les PME et PMI, en les classant selon leur degré de vulnérabilité, au sein d'une base de données unique. Enfin, il faudrait sensibiliser davantage les entreprises et le système éducatif lui-même à la notion d'intelligence économique, en généralisant des actions de formation. Au niveau européen, il serait souhaitable de confier à l'Agence européenne de défense une mission de veille et d'alerte, en lui donnant pour tâche de centraliser les informations sur les investissements étrangers. Parallèlement, il faudrait également encourager la création d'un fonds d'investissement européen intervenant dans des secteurs stratégiques.

Plus largement, il est indispensable de favoriser l'harmonisation et le renforcement des législations européennes en matière de contrôle des investissements étrangers. Cette harmonisation devrait tirer les enseignements du système américain, qui s'avère particulièrement complet, en transposant certaines de ses dispositions.

La construction d'une politique de défense européenne autonome impose de disposer d'une industrie d'armement indépendante. Au vu des prises de contrôle réalisées au cours des dernières années, il importe que l'Europe soit mieux armée face à de nouvelles opérations. S'il n'est nullement souhaitable d'écarter tout investissement étranger dans ses industries stratégiques, il conviendrait qu'elle mette en place une législation s'inspirant de celle des Etats-Unis, laquelle s'avère particulièrement efficace.

On ne peut d'ailleurs que s'étonner que certains hauts fonctionnaires ou hommes politiques français se mettent au service de grandes entreprises américaines, telles que Boeing ou TPG.

Le président Guy Teissier a jugé particulièrement intéressant l'exposé des rapporteurs, notamment en ce qu'il met en évidence les différences de situation entre les entreprises d'armement européennes, qui sont vulnérables parce que l'Union joue le jeu du libéralisme économique, et leurs homologues américaines, qui bénéficient d'une forme de protectionnisme de la part des Etats-Unis. Il a suggéré que l'agence européenne de défense puisse recenser les prises de participation étrangères dans le capital des entreprises d'armement européennes et identifier celles qui sont les plus exposées, afin d'éviter toute prise de contrôle indésirable. L'audition de M. Nick Witney, son directeur, par la commission, le 31 mai prochain, offrira l'occasion d'évoquer plus avant ce sujet. Il s'est également félicité de l'initiative de M. Alain Juillet pour soutenir les sociétés stratégiques nationales.

Après avoir fait valoir que le financement constitue, comme toujours, le nerf de la guerre, M. Jérôme Rivière a constaté que l'absence, en France, de fonds de pension équivalents à ceux qui existent aux Etats-Unis explique pour une large part les difficultés des entreprises d'armement françaises à accéder aux capitaux nécessaires à leur développement. Il s'est ensuite demandé si le différentiel entre les budgets de défense européens et américain avait des conséquences sur la situation des entreprises d'armement européennes, estimant qu'une des solutions pourrait consister à abonder les crédits européens de manière plus conséquente.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur, a indiqué que la réaction des pays européens était récente puisqu'elle s'est organisée depuis deux ans seulement, après la survenue d'opérations significatives, notamment la prise de contrôle d'HDW en Allemagne et celle de Gemplus en France. Des efforts importants ont été réalisés dans notre pays afin de mieux protéger les industries de défense, mais aussi les entreprises périphériques à ce secteur. Le fonctionnement en réseau des différents services de veille a été amélioré, notamment sous l'égide de M. Alain Juillet, Haut responsable à l'intelligence économique, lequel a effectué un travail considérable. Celui-ci commence à porter ses fruits, grâce aux échanges permanents d'information entre les services concernés.

S'agissant des fonds d'investissement, jusqu'à présent les entreprises françaises de défense bénéficiaient essentiellement du soutien de la société Financière de Brienne, qui dispose de capacités financières d'environ 15 millions d'euros. La mise en place d'un nouveau dispositif vient d'être décidée. A la Financière de Brienne, ont été adjoints quatre autres fonds ; le premier, intitulé « Sécurité », concerne les activités de sécurité générale ; les deuxième et troisième, « Occam 1 » et « Occam 2 », interviendront respectivement dans les domaines des technologies de l'information et des nanotechnologies ; le dernier, « Aerofund », porte sur la sous-traitance aéronautique. Cet ensemble d'instruments financiers, qui représente environ 200 millions d'euros, devrait constituer un outil précieux de préservation des industries stratégiques nationales. L'idéal serait d'appliquer la même formule au niveau de l'Union européenne, mais, pour ce faire, il faudra convaincre les autres Etats membres, dont certains, à défaut de posséder une véritable industrie nationale d'armement, achètent sur étagère.

Si l'agence européenne de défense suscite beaucoup d'espoir, on ne peut pour autant trop lui demander : ses effectifs avoisinaient vingt-cinq personnes en janvier dernier et ils ne devraient pas excéder quatre-vingts personnes à la fin de l'année. Ce sont les Etats membres qui définissent ses missions et ses priorités. En l'absence de consensus, il est peu probable qu'elle se voit attribuer une mission d'harmonisation des législations en matière de contrôle des investissements étrangers. A terme, il est néanmoins souhaitable que les réglementations européennes soient alignées sur celle des Etats-Unis. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le rapport d'information s'intitule : « Industrie de défense européenne : de la maîtrise à l'indépendance ». Ce titre résume bien le chemin qui reste à parcourir.

M. Jean Michel, rapporteur, a indiqué que les interlocuteurs allemands rencontrés à l'occasion d'un déplacement à Berlin s'étaient montrés très attachés au respect du principe de libre concurrence, tel qu'il est prévu par le Traité des Communautés européennes. La plupart des responsables allemands ont été choqués par les conditions d'acquisition du groupe franco-allemand Aventis par le laboratoire français Sanofi. Dans la majorité actuellement au pouvoir à Berlin, seuls les Verts se prononcent en faveur d'une plus grande régulation européenne et, partant, d'une Europe de la défense plus autonome.

M. Michel Voisin a souligné la frilosité des établissements bancaires, qui refusent de prendre le moindre risque, ce qui n'empêche pas pour autant certains d'entre eux de déposer leur bilan de manière parfois retentissante. Il a ensuite cité le cas de l'entreprise MSA Gallet, premier fabricant mondial de casques de protection, implanté dans l'Ain. Au décès du fondateur de l'entreprise, la société a été mise en vente et rachetée par une entreprise américaine. Comme la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) a limité ses exportations aux seuls pays membres de l'OTAN, les propriétaires américains, qui maîtrisent désormais les technologies de MSA Gallet, pourraient être tentés de transférer la production aux Etats-Unis, ce qui leur permettrait de s'affranchir de cette contrainte. La fermeture de l'unité de production provoquerait la perte de 400 emplois dans une commune de 4 000 habitants.

M. François Huwart a salué la pertinence du rapport d'information, même si, à ses yeux, le bilan qu'il réalise doit être nuancé. Les entreprises européennes de défense sont fragilisées car, bien souvent, elles ne bénéficient pas de débouchés suffisants en Europe même. La préférence communautaire n'est pas mise en œuvre, notamment par les nouveaux Etats membres de l'Union. La pénétration des capitaux étrangers est facilitée par le désengagement des Etats de leur industrie de défense nationale, lesquels n'ont pas été relayés par des institutions européennes. De surcroît, lorsque les pouvoirs publics réduisent leur participation dans les entreprises d'armement, c'est souvent après n'avoir pas joué leur rôle d'actionnaire de manière satisfaisante.

Il a regretté qu'une certaine forme de libéralisme ait abouti au constat dressé par les rapporteurs. Puisque les moyens financiers font défaut, notamment en raison des contraintes pesant sur les finances publiques, la question de la mise en place de fonds de pension équivalents à ceux existants aux Etats-Unis est posée. Le rôle de la Commission européenne en matière de concurrence apparaît trop souvent discutable dans la mesure où il a freiné la constitution de grands groupes européens. La France dispose de réseaux en Europe susceptibles de lui fournir des informations en matière d'intelligence économique, mais elle n'a peut-être pas la même volonté que les Etats-Unis de mener une politique d'influence. En tout état de cause, il convient de préserver ces réseaux nationaux, notamment les postes d'expansion économique et les attachés de défense.

La maîtrise des industries de défense européenne, qui reste possible, nécessite d'importants moyens financiers. Ce n'est pas en réduisant le budget de la défense que cet objectif pourra être atteint.

M. Jean Michel, rapporteur, a indiqué que de grands groupes industriels de défense avaient donné leur accord pour participer à la création du nouveau système de fonds, lequel ne sera pas destiné à soutenir des entreprises chroniquement déficitaires. Si la France fait preuve d'efficacité dans ce domaine, il lui sera plus facile de convaincre les autres pays européens.

La Commission européenne n'est pas compétente en matière de défense. Néanmoins, elle commence à s'interroger sur la politique très libérale qu'elle a menée dans le passé et qui a abouti à des solutions contre-productives. Dans le même temps, les Etats-Unis pratiquent un libéralisme étatique et l'intérêt national prime sur le dogme économique.

M. Jérôme Rivière a précisé que les différents fonds évoqués étaient de nature différente ; les cinq fonds français prévus pour intervenir dans les secteurs stratégiques disposent de capacités financières modestes, à la différence des fonds de pensions américains, chargés de gérer le système de retraite par capitalisation, qui opèrent à une échelle très différente. Créer de tels fonds en France supposerait un changement profond de la législation sur les retraites.

M. Jean-Michel Boucheron a estimé que les fonds de pension étaient des investisseurs utiles. Même si la France n'en dispose pas, le fait que les fonds qui interviennent dans nos industries soient américains ne pose pas véritablement problème. Il n'existe pas de lien tangible entre les préoccupations stratégiques américaines et les objectifs financiers poursuivis par ces fonds. Le problème se situe davantage au niveau du marché : dans le domaine de la défense, comme dans d'autres, il est nécessaire d'infléchir la tendance à l'abolition des frontières. La suppression des barrières douanières entre pays européens a eu des effets positifs mais il serait souhaitable, au moins durant une phase intermédiaire, de songer avant tout à protéger l'industrie européenne. Il convient de convaincre nos partenaires européens que ce n'est pas la nationalité des capitaux qui importe mais le fait que les achats d'équipements soient européens.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

Information relative à la commission

La commission de la défense nationale et des forces armées a nommé M. François Vannson rapporteur pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2004-1374 du 20 décembre 2004 relative à la partie législative du code de la défense (n° 2165).

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