COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 juin 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Michel Voisin, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Audition du général Nazzareno Cardinali, directeur de l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR)


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Audition du général Nazzareno Cardinali, directeur de l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR).

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Nazzareno Cardinali, directeur de l'OCCAR.

M. Michel Voisin, président, a souhaité la bienvenue au général Nazzareno Cardinali. Ancien pilote de l'armée de l'air italienne, il a acquis une grande expérience internationale en prenant notamment part, dans les années 1980, à la phase initiale du programme d'observation satellitaire Hélios, puis en assurant sur le terrain, pendant la guerre du Golfe, le soutien logistique des avions Tornado et F-104, avant d'être, de 2002 à 2004, directeur général des armements aéronautiques au ministère italien de la défense. Il est, depuis février 2004, directeur de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR). Il l'a prié d'excuser l'absence de M. Guy Teissier, président de la Commission de la défense, hospitalisé, et a souhaité à ce dernier, au nom de tous les commissaires, un prompt rétablissement.

Le général Nazzareno Cardinali, directeur de l'OCCAR, s'est dit très honoré d'être invité par l'Assemblée à parler de l'OCCAR et de son développement, et s'est joint aux vœux formés par le président Michel Voisin à l'adresse du président Guy Teissier.

L'OCCAR, organisation multinationale destinée à gérer des programmes d'armement, a été créée par la convention de Farnborough, à valeur de traité international, ratifiée en 2001 après avoir été signée en 1998 par les quatre Etats fondateurs : France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni, rejoints par la Belgique en 2003 puis par l'Espagne en janvier 2005.

La mission de l'OCCAR est de faciliter et de gérer en coopération des programmes d'armement et des programmes de démonstrateurs technologiques, à la satisfaction de ses « clients », c'est-à-dire des Etats membres de l'organisation ou participant à ses programmes. Son ambition est de devenir, d'ici deux à trois ans, un centre d'excellence en Europe dans le domaine de l'acquisition d'équipements de défense.

L'idée de créer une organisation multinationale chargée de la gestion de programmes d'armement en coopération figure pour la première fois dans la déclaration franco-allemande de 1993. A cette époque, les conséquences de la chute du mur de Berlin se faisaient sentir : coupes claires dans les budgets de la défense, besoin de restructuration et de rationalisation des forces armées occidentales et du secteur industriel de la défense des deux côtés de l'Atlantique. Au même moment, la disparition de la menace du Pacte de Varsovie a poussé les pays membres de l'OTAN à redéfinir le rôle de l'organisation et les Etats-Unis à déplacer leur attention stratégique vers l'extérieur de l'Europe.

La modification du rôle de l'OTAN, l'apparition de conflits régionaux et le besoin de rationalisation ont accéléré la restructuration du marché de l'armement, tant au niveau de l'industrie que des gouvernements. Les conflits conventionnels, dont la guerre du Golfe en 1991 et les conflits dans les Balkans, ont démontré que l'Europe, géant économique, était diplomatiquement et militairement faible, d'où la nécessité de réviser les processus d'acquisition d'armements, d'une part, et le besoin croissant d'une politique européenne de sécurité et de défense, soutenue par des forces armées efficaces et une base industrielle forte, d'autre part.

Les programmes d'armements internationaux réalisés en coopération ont du également être repensés. Certains d'entre eux avaient une organisation de type OTAN, d'autres étaient placés sous l'autorité d'un pays, d'autres encore étaient organisés de manière paritaire entre les pays participants.

Dans tous les cas, les principes régissant la création et le fonctionnement de la coopération étaient négociés au cas par cas par les Etats concernés, selon le principe dit de « juste retour » industriel : en d'autres termes, le partage des coûts du programme entre les différents Etats devait être égal au partage du travail réalisé par les industries nationales. Or, ce principe, s'il permet auxdites industries de se développer, porte atteinte à la concurrence et entraîne une fragmentation importante et contre-productive du travail.

Une solution à cette situation a été trouvée par la France et l'Allemagne, qui l'ont formalisée par les cinq principes dits de Baden-Baden :

- meilleur rapport coût performance, grâce à une gestion rationalisée et optimisée des programmes et à une réforme des procédures de passation de contrats favorisant l'apparition de maîtres d'ouvrage internationaux ;

- harmonisation des besoins, des méthodes et des technologies chaque fois que les impératifs militaires le permettent, dans le cadre d'un programme commun d'investissement reposant sur les principes de complémentarité, de réciprocité et d'équilibre ;

- amélioration de la compétitivité de l'industrie de défense, en utilisant de façon ciblée les pôles d'excellence industriels et en développant les liens entre sociétés ;

- renonciation au calcul analytique du juste retour industriel, au bénéfice d'un équilibre pluriannuel s'appréciant sur la totalité des programmes ;

- ouverture aux autres Etats européens intéressés, sous réserve qu'ils acceptent les principes mentionnés ci-dessus.

L'OCCAR applique ces principes aux programmes qu'elle gère, même si elle ne peut agir qu'indirectement en matière d'harmonisation des besoins, contrairement à d'autres organisations ou initiatives telles que l'Agence européenne de défense (AED) ou la « démarche capacitaire »  (European capabilities action plan - ECAP). Toutefois, les principes de compétition et d'équilibre sont les principales caractéristiques qui font de l'OCCAR une organisation unique en son genre, susceptible d'obtenir pour ses programmes un rapport coûts-performance optimal.

L'OCCAR s'est constamment développée depuis sa création. Elle est maintenant une organisation bien établie, employant environ 200 personnes qui travaillent à Bonn, Paris et Toulouse. Elle gère six programmes, avec un budget d'environ 1,5 milliard d'euros qui atteindra quelque 2 milliards en 2006. Si l'on ajoute les personnels divers employés par les Etats, ce sont environ 600 personnes qui travaillent pour l'organisation, et l'on estime qu'une dizaine de milliers de salariés de l'industrie travaillent en relation avec les programmes gérés par elle.

L'OCCAR gère les programmes qui lui sont confiés par le Programme Board, où sont représentés les Etats participants - le plus souvent les directeurs nationaux de l'armement ou des délégués ministériels. Le Programme Board définit les objectifs de haut niveau (HLO) de chaque programme, notamment en termes de coût d'acquisition, de coût global de possession, de date d'entrée en service du système. Il définit en outre la taille et l'organisation de la division de programme de l'OCCAR qui gérera le programme considéré, ainsi que les arrangements financiers et de sécurité. En d'autres termes, la décision du Programme Board est le « contrat » passé entre l'OCCAR et les pays clients, devant lesquels le directeur de l'organisation répond de la livraison du produit.

Les six programmes gérés par l'OCCAR ont enregistré de bons résultats en 2004 et au premier semestre 2005, et leur avenir s'annonce sous d'excellents auspices :

- s'agissant du radar de contre-batterie COBRA, programme franco-germano-britannique, les neuf premiers systèmes ont été livrés aux utilisateurs (quatre au Royaume-Uni, deux à la France, trois à l'Allemagne), lesquels ont exprimé leur satisfaction quant aux performances ;

- en ce qui concerne l'hélicoptère de combat Tigre, programme réalisé en commun par la France, l'Allemagne et désormais l'Espagne, trois appareils ont été livrés - deux à la France, un à l'Allemagne - et d'autres livraisons sont attendues dans les semaines et les mois à venir, dont le premier hélicoptère HAP espagnol, qui devrait être livré vers la fin de juin 2005 ;

- quant au programme franco-italien FSAF (famille des systèmes surface-air futurs), les activités de développement progressent, et une série de tirs de qualification du missile Aster 30 devrait avoir lieu d'ici la fin de l'année 2005 ;

- pour le véhicule blindé multi-rôles Boxer, programme germano-néerlandais, les activités de qualification sont en bonne voie et l'on attend avec grand intérêt les décisions qui seront prises l'an prochain par les deux pays concernant le lancement de la phase de production ;

- concernant le programme ROLAND, système d'armes sol-air, l'OCCAR gère actuellement les activités de soutien en service et une actualisation partielle des équipements de soutien, à la satisfaction de ses clients ;

- enfin, l'avion de transport militaire A 400 M est une coopération entre la Belgique, la France, l'Allemagne, le Luxembourg, l'Espagne, la Turquie et le Royaume-Uni. Les activités de développement avancent vite et l'on attend des résultats significatifs dans les prochains mois. La production devrait commencer fin 2005, le premier vol étant prévu pour début 2008. Un contrat a été signé récemment entre Airbus et le gouvernement sud-africain pour l'achat de 8 avions. L'OCCAR est en train de négocier pour sa mise en oeuvre un accord avec la République Sud-Africaine.

L'OCCAR suit par ailleurs avec intérêt le programme de frégate multimissions (FREMM) et pourrait être bientôt chargée par la France et l'Italie de le gérer, même si la décision formelle n'est pas encore prise.

Les démonstrateurs technologiques méritent une attention particulière, car ils sont les précurseurs de programmes à venir, dans lesquels il est utile que l'OCCAR soit impliquée le plus tôt possible, de façon à réduire les risques en y appliquant les méthodes et outils de gestion les plus performants. Dans cette perspective, tous les démonstrateurs nécessaires à la validation de nouveaux concepts ou de nouvelles technologies devraient être confiés à l'OCCAR. Celle-ci travaille pour l'instant sur le programme Pioniere-EGACOD, démonstrateur technologique franco-italien en vue d'un futur véhicule blindé du génie.

L'OCCAR dispose, il faut le souligner, du personnel, des équipements, des outils juridiques et de gestion lui permettant de gérer en coopération des programmes européens de manière efficace et rentable. Son état d'esprit tourné vers la satisfaction du client et la souplesse de son organisation garantissent à tous les Etats participant à un programme, qu'ils soient membres ou non de l'organisation, la même visibilité et le même pouvoir de décision.

La question des relations entre l'OCCAR et l'AED ne peut manquer de se poser. Si l'on examine les objectifs, fonctions et tâches de l'Agence, il apparaît très clairement qu'elle est appelée à regrouper, tôt ou tard, les initiatives existantes en Europe dans le secteur de la défense. Elle devra en particulier coordonner ou reprendre à son actif au moins certaines activités ou certains principes qui relèvent aujourd'hui du Groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO), de la « démarche capacitaire », de la Letter of Intent (LoI) et de l'OCCAR. Il semble très probable que cette dernière sera intégrée dans l'Agence à l'horizon 2015 ou 2020 ; d'ici là, les deux organisations devront travailler ensemble sur la base d'un arrangement administratif à négocier dès que possible.

En attendant que l'Agence ait atteint sa vitesse de croisière et engrangé ses premiers succès, l'OCCAR continuera à se consolider dans le secteur de l'acquisition, pour y devenir un pôle d'excellence. Elle travaillera en aval de l'Agence, gérant les programmes dont celle-ci sera le catalyseur au sein des Etats européens. En tout état de cause, il faut éviter la duplication des organisations, des efforts et des investissements.

L'OCCAR veut être un acteur de premier plan sur la scène européenne et soutenir la politique européenne de sécurité et de défense, afin d'aider à la protection des intérêts vitaux de l'Europe. A cette fin, elle peut travailler en synergie avec l'Agence pour gérer des programmes en coopération et des démonstrateurs technologiques identifiés par l'Agence elle-même et par les Etats participants.

S'agissant enfin du marché européen des équipements de défense, le débat entamé à la suite de la publication du Livre vert est assez fructueux. La nécessité de rationaliser le marché est ressentie par tous les pays, même si l'importance qui lui est accordée et les points de vue quant à la solution à adopter peuvent diverger. Bien que l'OCCAR ait soutenu la préparation du Livre vert et y ait contribué auprès de la Commission européenne, elle a décidé de ne pas participer au débat sur les instruments légaux nécessaires pour ouvrir et rationaliser le marché, laissant aux Etats le soin d'y répondre selon leurs choix politiques.

Il faut néanmoins souligner que l'OCCAR est active dans un segment particulièrement complexe, coûteux et développé du marché de la défense, que les programmes intégrés dans l'OCCAR sont soumis aux règles dont celle-ci s'est dotée et qui encouragent la concurrence chaque fois que possible, et que les principes de l'OCCAR sont très proches des concepts de concurrence, de rationalisation et d'efficacité. C'est pourquoi, de par sa nature même, l'OCCAR contribue déjà à la rationalisation du marché européen des équipements de défense.

Après avoir remercié le général Nazzareno Cardinali pour sur exposé introductif, M. Michel Voisin, président, lui a demandé si le principe de l'abandon du « juste retour » industriel, apprécié annuellement et programme par programme, au profit d'un équilibre global apprécié de façon pluriannuelle et sur plusieurs programmes, était bien respecté dans la pratique. Il l'a également interrogé sur sa propre perception de l'avenir de l'OCCAR, compte tenu notamment de la perspective - encore lointaine, certes - d'intégration dans l'AED, évoquée le 31 mai dernier devant la Commission de la défense par son directeur, M. Nick Witney.

Le général Nazzareno Cardinali a précisé que les programmes lancés avant la création de l'OCCAR sont gérés selon le principe du « juste retour », tandis que le programme A 400 M se voit appliquer rigoureusement les principes dits de Baden-Baden : le maître d'œuvre, Airbus, choisit librement les fournisseurs selon une approche commerciale, en recherchant le meilleur rapport coût-efficacité. Il arrive que les perdants se plaignent, mais la règle est la règle. Elle fonctionnera d'autant mieux, cela dit, que le nombre de programmes sera important, car les industriels nationaux écartés d'un marché pourront espérer se rattraper sur un autre. C'est une raison de plus pour l'OCCAR de chercher à élargir son champ d'action, jusqu'à gérer dans vingt ans, espère-t-elle, la moitié du budget d'équipement militaire de l'Union européenne.

Quant à l'AED, l'OCCAR a vocation à s'y intégrer un jour, mais il n'y a pas d'urgence à cela : elle compte six pays membres seulement, ce qui permet une coopération plus étroite qu'entre les vingt-quatre partenaires de l'Agence. Il faut que l'OCCAR intensifie sa propre intégration et accentue sa spécialisation dans la gestion de programmes de coopération internationale, tandis que l'Agence, travaillant en amont sur les besoins, les exigences, les lacunes, les capacités communes à harmoniser, sera le catalyseur de programmes nouveaux. Une fois que l'Agence aura réussi à associer tous ses membres à la définition de programmes communs, l'OCCAR pourra s'intégrer à elle. Mais, d'ores et déjà, les deux organisations doivent se concerter pour délimiter plus rigoureusement leurs compétences respectives et définir la façon d'harmoniser leurs activités ; leurs directeurs se rencontreront à cette fin dans le courant de la semaine.

M. Jean-Michel Boucheron a jugé trop lointain l'horizon 2015-2020 envisagé pour l'intégration de l'OCCAR à l'AED. Le fait que le traité constitutionnel européen soit ajourné n'est-il pas susceptible, paradoxalement, de faciliter ce rapprochement, dans la mesure où le texte encadrait plus strictement qu'actuellement les coopérations renforcées dans le domaine de la défense ?

S'agissant d'autre part de la compatibilité des matériels, l'Europe ne risque-t-elle pas, en courant derrière les normes de l'OTAN, et a fortiori derrière celles des Etats-Unis, plus sévères encore, d'encourager un lobbying industriel de la part de ce pays, avec pour résultat que les petits Etats européens achèteront du matériel américain et que les grands s'épuiseront en dépenses de recherche et développement ? Ne convient-il pas de fixer une limite à la recherche de la compatibilité ?

Le général Nazzareno Cardinali a répondu qu'une intégration plus précoce des deux organisations est certainement souhaitable, mais que les six pays membres de l'OCCAR conservent une certaine prudence en la matière, car il leur est actuellement plus facile de prendre des décisions et des orientations communes que s'ils étaient vingt-quatre. Cela dit, parmi les principes de l'OCCAR figure l'ouverture aux autres pays : si ceux-ci acceptent les principes de l'organisation et participent à l'un au moins de ses programmes principaux, ils peuvent demander à adhérer, comme l'Espagne vient de le faire en janvier 2005. L'OCCAR ne repousse aucune candidature, bien au contraire, mais il ne lui appartient pas d'en susciter. Le processus de convergence doit se dérouler naturellement.

Le fait que les normes soient actuellement fixées par l'OTAN et les Etats-Unis peut aboutir, c'est vrai, à orienter les dépenses d'équipement ou de recherche et développement dans des voies plus ou moins efficaces, mais il faut aussi, surtout à l'heure de ce que l'on appelle la « guerre info-centrée », garantir l'interopérabilité des systèmes dans le cadre d'opérations multinationales, au sein de l'OTAN notamment, sans pour autant se priver d'une capacité de recherche et d'innovation autonome.

M. Jérôme Rivière a observé, à la lumière du débat sur le traité constitutionnel européen, que la politique européenne de sécurité et de défense s'était développée grâce à des avancées intergouvernementales, hors du cadre institutionnel européen, et pouvait être le lieu de nouveaux et prochains progrès de l'Europe. L'existence de l'AED est une bonne chose, mais il faut avant tout mettre sur pied un marché européen de l'armement de grande envergure. A cet égard, l'OCCAR a un rôle à jouer et une expérience à faire valoir. Quelles sont les initiatives qui pourraient inciter à « acheter européen » ? Quels sont les mécanismes qui pourraient empêcher les firmes américaines de piller les technologies européennes en rachetant les entreprises qui en sont à l'origine et en les transformant en coquilles vides ?

Autre question, plus ponctuelle : le programme franco-italien FREMM a-t-il un sens à l'intérieur de l'OCCAR ?

Le général Nazzareno Cardinali a rappelé que l'OCCAR dépend directement des six Etats associés qui lui confient des programmes ou des démonstrateurs technologiques. Son directeur est en discussion constante avec le conseil de surveillance et avec les directions nationales de l'armement, en vue d'obtenir que soient confiés à l'organisation certains développements technologiques - EuroMale, Eurotrainer, systèmes satellitaires - qu'elle s'estime en mesure de gérer. Tandis que l'AED a vocation à s'intéresser à des recherches plus fondamentales, l'OCCAR est le gestionnaire idoine des démonstrateurs technologiques, qui s'apparentent davantage à des programmes industriels. Il faudrait pour cela concentrer les ressources, financières et industrielles, des pays membres ; ce n'est pas facile, mais les choses sont sur la bonne voie.

La convention de Farnborough stipule que l'OCCAR peut se fournir hors d'Europe si nécessaire, c'est-à-dire lorsque la technologie, la composante ou le produit recherché n'y est pas disponible ou pas dans les délais nécessaires, mais sous réserve de réciprocité, et sous réserve aussi que puisse être garanti un approvisionnement sûr et régulier. L'OCCAR qui gère des programmes de recherche de grande ampleur, dont le coût peut atteindre 20 ou 30 millions d'euros est susceptible de s'intéresser à EuroMale, à condition de pouvoir regrouper un nombre suffisant de pays.

L'opportunité de confier la gestion du programme FREMM à l'OCCAR fait l'objet de discussions. En octobre 2004, lors du salon Euronaval, les ministres français et italien de la défense ont fait une déclaration en ce sens, et les deux pays ont multiplié les signaux encourageants, mais les autres Etats actionnaires souhaitent recevoir certaines garanties. On peut néanmoins tabler sur une annonce officielle d'ici le mois de septembre 2005.

M. Yves Fromion a souligné la difficulté de mettre en cohérence et en synergie les efforts de recherche dans le domaine de la défense. L'OCCAR est présentée comme le lieu idoine pour cela, mais n'est-ce pas plutôt à l'AED, puisqu'elle opère en amont de l'OCCAR, qu'il appartient de jouer un rôle de coordination et d'impulsion en matière de recherche ?

Les drones, par exemple, ont fait l'objet d'initiatives très dispersées en Europe : démonstrateur de drone de combat mené par la France en coopération avec d'autres pays, programme EuroMale, programme britannique, coopérations diverses avec Israël... Ne conviendrait-il pas de prendre une initiative forte pour éviter que les Etats-Unis ne distancent l'Europe et ne la fassent passer sous les fourches caudines de leurs normes, notamment pour l'insertion des drones dans la circulation aérienne générale ?

Le général Nazzareno Cardinali a reconnu que toute la difficulté était justement de trouver des cohérences et des synergies. La coopération avec l'AED est un sujet sur lequel les deux organisations sont convenues de se pencher systématiquement, et ces échanges commenceront dès cette semaine. D'une façon générale, la recherche technologique est plutôt de la compétence de l'Agence. Même si la convention de Farnborough confère à l'OCCAR un rôle d'harmonisation des capacités technologiques, les pays actionnaires ont préféré se concentrer, dans une première phase, sur la gestion de programmes stricto sensu. En 2003, l'OCCAR a commencé à s'intéresser aux démonstrateurs technologiques, qui s'apparentent à une forme de recherche plus concrète. Son rôle dans ce domaine sera d'autant mieux reconnu que les démonstrateurs technologiques seront considérés comme des programmes. C'est sans doute ainsi que devraient s'articuler les compétences respectives de l'OCCAR et de l'Agence.

Le drone de combat UCAV sera géré par la France, pays pilote du programme, et sa DGA. La décision a été prise, avec les autres pays, de ne pas confier ce programme à l'OCCAR, sans doute en raison de son importance stratégique et du volume des investissements nécessaires. Quant aux autres types de drones, tels que les drones de reconnaissance ou ceux ayant également des utilisations civiles et de sécurité, comme l'EuroMale, il a été dit qu'ils pourraient être confiés à l'OCCAR, soit sous forme de démonstrateurs technologiques, soit - ce qui serait évidemment plus intéressant - sous forme d'un programme initial. En ce qui concerne EuroMale, l'OCCAR et l'Agence devront se répartir la tâche : l'Agence pourrait s'occuper de la définition du besoin, et l'OCCAR du programme proprement dit lorsque l'on en sera à ce stade. Ce sera l'un des sujets sur lesquels porteront les contacts que les deux organisations ont décidé d'entretenir. Actuellement, l'Agence étudie les différents types de drones en cours de développement, avec l'objectif de réfléchir à une possible uniformisation des besoins et des emplois.

M. Jérôme Rivière a demandé si, au cas où une technologie n'est pas disponible en Europe, l'OCCAR a pour mission d'appeler l'attention des Etats sur ce point, afin que leurs directions générales de l'armement orientent leurs recherches en conséquence et que l'Europe réduise ainsi sa dépendance.

D'autre part, rien n'empêche qu'une technologie faisant partie d'un programme intégré soit achetée par un pays extérieur au continent. L'OCCAR considère-t-elle que les législations - nationales et européennes - suffisent à protéger l'Europe contre un éventuel démantèlement d'un de ses programmes ? Si, par exemple, une entreprise participant à l'EuroMale était convoitée par les Américains ou les Chinois, serait-il possible d'intervenir à temps ?

Le général Nazzareno Cardinali a précisé que le contrôle exercé par l'OCCAR sur les achats de matériels et de technologies se limite strictement aux programmes qui lui ont été confiés. S'agissant de l'A 400 M, par exemple, certains éléments devront être achetés aux Etats-Unis faute d'autre source d'approvisionnement disponible compte tenu des délais et du rapport coût-efficacité, mais il ne s'agit pas de technologies d'une importance critique. Reste que l'OCCAR n'a pas la possibilité d'édicter des règles en la matière au niveau européen. A la limite, l'Agence européenne de défense serait mieux à même de le faire si on le lui demandait.

Quant au contrôle des exportations de matériels ou de technologies, il n'est pas de la compétence de l'OCCAR, mais de celle des Etats. Lorsque, par exemple, l'Afrique du Sud achète des avions A 400 M, l'autorisation d'exportation est délivrée par l'Espagne, puisque la société à qui est adressée la commande, Military Systems Limited est espagnole. Mais l'Espagne doit auparavant demander leur avis aux autres pays membres. En tout état de cause, il n'appartient pas à l'OCCAR de délivrer des autorisations, elle n'a aucun contrôle sur les Etats.

M. Jérôme Rivière a insisté sur le risque qu'un élément essentiel à la réalisation d'un programme d'armement européen tombe sous le contrôle d'une entreprise non européenne, chinoise ou américaine par exemple.

Le général Nazzareno Cardinali a reconnu l'existence d'une telle possibilité, mais souligné qu'elle vaut pour tout le monde, et rappelé que le contrôle des exportations de technologie relève des Etats, et donc, dans le cadre de l'OCCAR, des Etats qui contrôlent les programmes. S'agissant ainsi de l'A 400 M, ce sont les participants au programme qui doivent autoriser l'exportation des matériaux, composants ou technologies par eux fournis, et non l'OCCAR.

M. Michel Voisin, président, a demandé pourquoi l'OCCAR n'avait pas réussi à fondre en un programme unique le projet de véhicule blindé germano-néerlandais Boxer et le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) français, d'une capacité équivalente.

Le général Nazzareno Cardinali a répondu que la fragmentation était plus grande dans le domaine des systèmes terrestres que dans l'aéronautique, le coût des investissements n'étant pas le même. En outre, lorsque le Royaume-Uni s'est retiré du programme Boxer, on a pu croire que ce programme était condamné, et que l'Allemagne et les Pays-Bas continueraient chacun de leur côté. Cela peut expliquer que les pouvoirs publics français aient choisi de privilégier leur industrie nationale. L'AED s'achemine toutefois vers une initiative destinée à uniformiser les besoins en véhicules blindés, en vue d'un programme réalisé en commun. L'OCCAR est prête à suivre ce chemin dès lors que cette initiative aura abouti, mais il ne faut pas oublier que ce sont les Etats qui définissent ses programmes. Elle ne peut intervenir en amont pour les inviter à le faire : c'est la prérogative de l'Agence ou de chaque Etat. C'est sans doute regrettable, mais c'est ainsi.

M. Michel Voisin, président, a remercié le général Nazzareno Cardinali de son exposé et de ses réponses, qui ont grandement éclairé la commission, notamment sur la question des rapports entre l'OCCAR et l'AED.

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