COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 octobre 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition du général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540)

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Audition du général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540).

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2006 (n° 2540).

Le président Guy Teissier a souhaité la bienvenue au général Henri Bentégeat, puis l'a invité à présenter les programmes placés sous sa responsabilité ou sa coresponsabilité et à évoquer les premiers effets du décret du 21 mai 2005 fixant les attributions des chefs d'état-major. Il a affirmé que cette réorganisation, quoique ayant suscité des commentaires dans un grand quotidien du soir, ne fait pas débat au sein de la commission car elle correspond aux évolutions constatées dans toutes les grandes démocraties et les grandes armées.

Le général Henri Bentégeat a remercié les membres de la commission de lui offrir cette occasion privilégiée de rendre compte des activités des armées, mais aussi de témoigner de la façon dont elles vivent les changements intervenus en 2005 et dont elles appréhendent ceux susceptibles d'intervenir en 2006.

Il a ensuite fait trois constats sur la situation internationale.

Premièrement, aucune éclaircie n'est à attendre pour 2006. Le terrorisme reste omniprésent ; les conflits ethniques et la grande criminalité fragilisent toujours nombre d'États ; les ambitions de certaines puissances régionales continuent de faciliter la prolifération des armes de destruction massive et les zones de fragilité sont connues de tous - Proche-Orient et Moyen-Orient, Afrique, Asie centrale et, plus globalement, marches de la Russie.

Deuxièmement, l'Europe de la défense et l'OTAN recherchent un nouvel équilibre. La politique européenne de sécurité et de défense (PESD), malgré ses acquis institutionnels, capacitaires et opérationnels, souffre des difficultés que traverse actuellement la construction européenne. L'année 2006 sera l'occasion de faire vivre les groupements tactiques 1 500, de poursuivre la montée en puissance de l'Agence européenne de défense, mais aussi de s'enrichir de nouvelles expériences opérationnelles, à l'instar de celles envisagées pour la force de gendarmerie européenne. Quant à l'OTAN, elle s'efforce d'accroître son efficacité et son rôle, sous l'impulsion d'un secrétaire général énergique, tout en se trouvant confrontée au problème pratique de la disponibilité des moyens fournis par les nations, souvent peu en rapport avec les ambitions affichées. Pour la France, les enjeux les plus importants consistent à maintenir la règle du consensus, à préserver le rôle des nations - en particulier au travers du comité militaire - et à limiter l'extension des financements communs, qui produisent un effet d'éviction sur les ressources nationales, y compris celles affectées à la PESD.

Troisièmement, la France reste à la fois un pilier majeur de la politique européenne de sécurité et de défense et un acteur incontournable de l'Alliance atlantique.

Puis le général Henri Bentégeat a rappelé que le projet de loi de finances pour 2006 s'inscrivait dans le contexte particulier de la modification des attributions des chefs d'état-major mais surtout de la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). À ce propos, il a formulé trois remarques.

En premier lieu, la LOLF constitue une source de progrès à plusieurs égards. Elle impose aux armées une transparence accrue vis-à-vis du Parlement. La logique de performance qui anime la nouvelle procédure donne la priorité à l'opérationnel. Chaque problème est abordé de manière transversale et les contrats fixés aux uns et aux autres se traduisent dans des objectifs opérationnels. Le travail est organisé de manière plus collégiale.

En second lieu, le décret de mai 2005 a effectivement modifié les attributions des chefs d'état-major. L'autorité permanente dorénavant exercée par le chef d'état-major des armées sur les chefs d'état-major des trois armées se traduit par un renforcement de sa capacité d'arbitrage, concrètement en une sorte de « collégialité arbitrée ». Il ne s'agit pas que l'état-major des armées fasse moins bien ce que faisait correctement chacun des états-majors d'armée, ni qu'il prenne une taille démesurée et impose sa loi et ses vérités aux armées. La démarche est inverse : chaque problème rencontré par telle ou telle armée est abordé collégialement au sein du comité militaire des chefs d'état-major ou de l'un des groupes de travail mis en place par l'état-major des armées, après quoi le chef d'état-major des armées propose un arbitrage au ministre de la défense.

La crainte de la toute-puissance du chef d'état-major des armées par rapport aux deux autres grands acteurs du ministère - le secrétaire général pour l'administration et le délégué général pour l'armement - s'avère également infondée. D'abord, parallèlement à l'extension du champ de responsabilité du chef d'état-major des armées, la réforme de la DGA met son délégué général dans une meilleure position pour faire valoir son point de vue, et le fait qu'il copilote le programme 146 « Equipement des forces » lui confère un poids supplémentaire dans la gestion d'ensemble des programmes communs. Quant au secrétaire général pour l'administration, il a notamment pris directement sous sa coupe tout ce qui concerne l'infrastructure et le patrimoine historique des armées. Bref, entre les grands subordonnés du ministre de la défense, le travail se fonde également sur une collégialité accrue. Paradoxalement, le surcroît d'efficacité que la nouvelle organisation est censée apporter se traduit par une exigence accrue de dialogue. Au demeurant, personne ne peut imaginer que le chef d'état-major des armées ne soit pas totalement subordonné au ministre de la défense.

Enfin, il reste un grand chantier à achever, celui des « interprogrammes ». Si la répartition des crédits entre programmes relève du ministre lui-même, deux fonctions qui se trouvaient naguère placées directement sous l'autorité des chefs d'états-majors sont maintenant réparties entre plusieurs programmes : les infrastructures et les ressources humaines. L'infrastructure dépend désormais d'un service unique, dont la responsabilité incombe au secrétaire général pour l'administration, mais celui-ci prend en compte les besoins spécifiques de chaque armée, exprimés par la voix de leurs chefs d'état-major, et les priorités opérationnelles déterminées par le chef d'état-major des armées. Les effectifs sont, quant à eux, éclatés entre les programmes alors qu'ils étaient jusqu'à présent gérés par les différentes directions du personnel militaire de chaque armée, dans une logique de corps de métier. L'état-major des armées joue maintenant un rôle fondamental de coordination et d'orientation pour s'assurer que la même politique est appliquée à tous les individus et que les contraintes particulières inhérentes à tous les postes sont prises en compte. Sur ces questions d'infrastructures et de gestion des ressources humaines, les chefs d'état-major sont investis d'une nouvelle responsabilité prioritaire : assurer la cohérence interne de leur armée entre les différents programmes.

Le général Henri Bentégeat a indiqué que le projet de loi de finances pour 2006 représente, de la part du Gouvernement, un effort indiscutable et reconnu par les armées.

Le projet de loi de finances respecte globalement la loi de programmation militaire et porte l'effort de la nation en faveur de sa défense à 2,17 % du produit intérieur brut, gendarmerie comprise, incluant désormais le budget des anciens combattants et hors pensions. Au total, le budget de la défense augmente de 3,4 % en valeur, soit 1,8 % en volume, mais plusieurs difficultés s'annoncent : le prix des carburants est incertain ; la contrainte exercée sur les crédits de fonctionnement courants, estimée à 60 millions d'euros, conduit les armées à un effort de rationalisation ; la participation à l'effort de restructuration de DCN et de GIAT se poursuit et représente 500 millions d'euros, si l'on y ajoute le budget civil de recherche et développement (BCRD). La provision pour les opérations extérieures passe de 100 millions à 250 millions d'euros, s'approchant d'une budgétisation intégrale des surcoûts.

Au titre II « Rémunérations et charges sociales », les 15,2 milliards d'euros prévus hors pensions permettront de maintenir les effectifs à leur niveau actuel. Compte tenu du non-remplacement de certains départs à la retraite et d'économies liées aux externalisations et aux restructurations, les 250 postes nets créés dans les armées et la gendarmerie autoriseront en fait 2 000 postes supplémentaires dans la gendarmerie, 40 postes pour le service de santé des armées et 20 postes à la direction générale de la sécurité extérieure. Par ailleurs, l'amélioration de la condition du personnel se poursuit, avec 26 millions d'euros au titre du plan d'amélioration de la condition militaire, 15,5 millions d'euros en faveur du personnel civil de la défense et 18,4 millions d'euros pour les gendarmes.

Les crédits de fonctionnement du titre III progressent, à périmètre identique, de 180 millions d'euros. L'enveloppe de carburant croît de 50 millions d'euros. Par contre, les crédits de fonctionnement courants sont réduits de 60 millions d'euros, tout en préservant les activités des forces qui bénéficient sur ce plan du même volume de crédits que l'an dernier, hors opérations extérieures. Les réserves percevront 15 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2005 ; le nombre d'engagements à servir dans la réserve (ESR) devrait atteindre 50 000 à la fin 2005 et 56 000 à la fin 2006, conformément aux objectifs.

Au titre V « Equipements », les autorisations d'engagement atteignent 16,1 milliards d'euros, montant suffisant sous réserve d'un report correct des autorisations de programme non consommées à la fin de l'exercice 2005. Les commandes envisagées concernent principalement le deuxième porte-avions, pour 926 millions d'euros, les sous-marins Barracuda, pour 1,8 milliard d'euros, 5 000 systèmes FÉLIN, ainsi que la rénovation de onze avions KC-135.

Les crédits de paiement des études amont augmentent de 30 %. Avec le BCRD, la défense consacrera 800 millions aux programmes de recherche, auxquels peuvent être ajoutés les quelque 200 millions affectés à divers organismes, dont l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), ainsi qu'à la partie strictement recherche des crédits alloués par la défense au commissariat à l'énergie atomique (CEA). Au total, le ministère de la défense consacrera donc plus d'un milliard d'euros à la recherche.

Les livraisons les plus importantes devraient être le satellite de communications Syracuse III-B, les quatorze Rafale, permettant d'armer le premier escadron complet de Rafale de l'armée de l'air, le deuxième bâtiment de projection et de commandement de la marine, ainsi qu'un avion à très long rayon d'action.

Enfin, la croissance des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle se poursuit, avec plus 8,5 %.

Après avoir énuméré les moyens engagés dans le cadre du plan Vigipirate - huit avions de patrouille de l'armée de l'air et de la marine en alerte immédiate, des patrouilles maritimes permanentes le long de toutes les côtes françaises et 1 000 hommes déployés sur le terrain en renforcement de la police et de la gendarmerie -, le général Henri Bentégeat a dressé la carte des opérations extérieures en cours, dans lesquelles sont impliqués 11 000 hommes au total.

Le jour même du tremblement de terre au Pakistan, l'armée française a transporté un groupe de la sécurité civile. Par la suite, elle a déployé une antenne chirurgicale avancée du service de santé des armées et acheminé plusieurs tonnes de fret humanitaire. Au total, deux Airbus, deux KC-135 et un Transall ont été mis en œuvre. L'OTAN envisageant de coordonner une partie de l'aide, la France pourrait être appelée à mettre en action son centre de commandement et de conduite des opérations aériennes (JFAC - Joint force air component), déjà utilisé aux États-Unis à l'occasion du cyclone Katrina.

En Côte-d'Ivoire, la situation s'est paradoxalement détendue depuis que l'Union africaine a décidé que le président Gbagbo resterait en fonctions jusqu'aux élections. Les 4 000 hommes du détachement Licorne sont toujours investis de trois missions : protéger les ressortissants français, empêcher le retour de la guerre civile et soutenir l'ONUCI dans la mise en œuvre du plan de la communauté internationale.

Dans le nord et l'ouest de l'Afghanistan et à Kaboul, hormis quelques incidents isolés, la situation est très calme. Par contre, dans le sud-est, elle reste extrêmement tendue, des groupes armés maintenant une activité très soutenue, ce qui a conduit nos forces spéciales à intervenir à plusieurs reprises récemment. La Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) devrait étendre son emprise sur le sud-est du pays en mai 2006. La France assumerait alors, avec la Turquie, la responsabilité de la zone de Kaboul. La France fournit actuellement un bataillon à Kaboul, un détachement de forces spéciales de 200 hommes à Spin Boldak, près de Kandahar, et un détachement aérien d'environ 250 hommes à Douchanbé, au Tadjikistan, avec six Mirage participant directement aux opérations d'Enduring Freedom et de la FIAS. Enfin, la marine nationale continue de participer à la Task Force 150, force multinationale placée sous le commandement d'un officier français, le vice-amiral Mazars, qui assure le contrôle maritime entre les côtes asiatique et africaine, avec trois bâtiments et un avion de patrouille maritime.

Au Kosovo, la France déploie 2 600 hommes. La question du statut final de la province arrive à l'ordre du jour plus tôt que prévu, ce qui fait craindre des troubles pour les mois à venir, dus notamment aux incertitudes pesant sur le sort de la communauté serbe.

En Bosnie, 500 hommes participent encore à l'EUFOR, dispositif de l'Union européenne dont le format devrait être légèrement réduit courant 2006.

Enfin, les marins français se sont montrés remarquablement efficaces dans la lutte contre le trafic de drogue aux Antilles : en 2005, ils ont interpellé une quinzaine de bâtiments transportant de la drogue et saisi plus de neuf tonnes de cocaïne.

En conclusion, le général Henri Bentégeat a estimé que le projet de loi de finances pour 2006 correspondait globalement aux besoins opérationnels des armées, mais que le plus grand danger qui les menaçait dans les années à venir était la tentation de considérer que l'existence de la LOLF dispense d'une nouvelle loi de programmation militaire : pour le Parlement, les armées et les industriels, une visibilité à six ans est indispensable ; or, avec la LOLF, elle se limite à deux ans.

Le président Guy Teissier a interrogé le général Henri Bentégeat sur les premiers arbitrages auxquels celui-ci a dû procéder, dans le cadre de la « collégialité arbitrée », pour le budget 2006.

Puis il s'est inquiété des retards importants pris sur des programmes anciens comme le Rafale, le NH 90 ou le Tigre, dont la complexité technologique est reconnue. Ces retards sont-ils imputables à un étalement excessif pour des raisons financières ? S'ils continuent à s'accumuler, les armées risquent, dans quelques années, de rencontrer des difficultés opérationnelles. De quelle nature et de quelle ampleur seraient ces difficultés ? Quand commenceraient-elles à se faire sentir ?

Le général Henri Bentégeat a répondu que, pour la première fois, le projet de budget n'avait pas été construit ab initio par la seule direction des affaires financières du ministère de la défense, mais conçu en coopération étroite avec l'état-major des armées et la délégation générale pour l'armement. La problématique est cependant toujours identique : le ministère de la défense, même lorsqu'il est bien servi, reçoit toujours une enveloppe financière plus resserrée que ce qu'il escomptait, puisqu'il n'a pas la même manière d'actualiser les dépenses que le ministère des finances et puisqu'il peut sembler, par exemple, faire abstraction de l'existence du BCRD ou de la participation aux restructurations de DCN et de Giat Industries. Il doit donc en rabattre au dernier moment. Pour 2006, aucun programme prévu, même modeste, n'a dû être annulé ; il a suffi de rectifier certains crédits de paiement à la marge.

Il a confirmé que les retards pris sur certains programmes risquaient de poser des problèmes. Le retard du Rafale par rapport à la loi de programmation militaire, outre le dépassement du devis, est imputable à l'« effet Singapour » : pour permettre des exportations éventuelles, les livraisons prévues ont été légèrement décalées, mais la commande de cinquante-neuf appareils se poursuit à un rythme normal. Bien que ce programme ait pris un retard considérable, les capacités conjuguées des Mirage 2000-5 et des Mirage F1 mettent vraisemblablement les armées françaises à l'abri d'une rupture capacitaire. L'année de décalage prise pour la version navale du NH 90, due à des problèmes industriels pour passer du prototype à cette version sophistiquée, a entraîné le maintien en activité des Super Frelon, pourtant réellement anciens , mais cela ne devrait pas entraîner de conséquences opérationnelles tangibles. Les appareils de l'armée de terre ne sont pas impactés par ces difficultés. Les missions que remplira le Tigre sont encore parfaitement assurées par les Gazelle Hot, engagées en Côte-d'Ivoire. Le décalage, s'agissant du Tigre, est du reste assez faible : il représente quatre à cinq appareils en 2006 et, à la fin de la loi de programmation militaire, vingt-huit appareils seront livrés sur les trente-trois prévus.

M. Jean-Michel Boucheron a approuvé les propos du général Henri Bentégeat sur la nécessité de maintenir une loi de programmation militaire, une visibilité à six ans au moins étant indispensable pour les armées. Néanmoins, la dernière loi de programmation militaire entrant dans sa phase terminale, il a fait état de ses craintes.

Premièrement, des réflexions sont-elles ouvertes pour modifier le modèle 2015, dans le cadre du plan prospectif à trente ans  (PP 30) ? Dans quels délais les résultats de ces dernières pourront-ils être présentés ?

Deuxièmement, la simulation nucléaire est retracée de façon peu claire dans le bleu budgétaire, notamment en ce qui concerne les paiements ultérieurs à 2006. Où en est le programme de simulation et quelles sont les intentions de l'état-major dans ce domaine ?

Le général Henri Bentégeat a expliqué que le PP 30 était actualisé chaque année afin de lui donner un nouvel éclairage en fonction de l'évolution de l'environnement, mais qu'il ne s'agissait pas d'une programmation. La nouvelle loi de programmation militaire devrait être votée en 2008 pour entrer en vigueur en 2009. S'il serait prématuré, trois ans auparavant, de s'engager dans un vrai travail de programmation, l'état-major des armées a commencé à évaluer les conséquences financières et physiques des programmes déjà lancés ou qui le seront prochainement. Ce travail précis et délicat requiert la plus grande discrétion pour ne pas inquiéter les industriels, attentifs à la moindre rumeur. Quant au modèle 2015, il a été adapté à plusieurs reprises. L'état-major des armées, en liaison avec la délégation aux affaires stratégiques, la délégation générale pour l'armement et les états-majors d'armée, travaille plus particulièrement à la « transformation » de notre système militaire, qui consistera surtout à l'adapter à l'évolution certaine des technologies de l'information. Un accroissement continu des capacités de transmission très rapide de données de toutes natures doit permettre, à terme, d'intégrer la totalité de nos forces dans une bulle unique. Le secrétariat de cette grande étude a été confié au centre interarmées de concept, de doctrine et d'expérimentation (CICDE), organisme tout nouvellement créé. Dans ce domaine, la France est déjà en avance sur ses partenaires européens, mais accuse un retard non négligeable par rapport à ses amis américains.

Les programmes de simulation nucléaire sont dotés de 445 M€ de crédits de paiements en 2006. La première phase d'expérimentation de la simulation est intervenue l'année dernière : la ligne d'intégration laser a été mise en œuvre et, à la surprise de certains scientifiques sceptiques, elle a parfaitement fonctionné. Par ailleurs, le système de radiographie en trois dimensions AIRIX est déjà très avancé. Ces deux instruments majeurs étant associés à une capacité de calcul unique en France, l'espoir est grand de parvenir à simuler une explosion nucléaire en 2011 ou 2012. Il s'agit d'un défi formidable, grâce auquel le CEA reste en mesure d'attirer des scientifiques de très haut niveau.

M. Yves Fromion a demandé des précisions sur le poids respectif des restructurations de DCN et de Giat Industries.

Il a témoigné des difficultés éprouvées par les réservistes pour effectuer un volume d'activité satisfaisant et a prôné une croissance du nombre de jours d'activité et pas seulement des effectifs.

Il s'est enquis du montant attendu des crédits reportés en 2006.

Enfin, il s'est interrogé sur les effets produits par ce projet de budget, qu'il a jugé excellent, sur le moral des militaires.

Le général Henri Bentégeat a répondu que le poids pour la défense des restructurations serait, en 2006, de l'ordre de 270 millions d'euros pour DCN et de 33 millions d'euros pour Giat Industries.

Il a jugé inévitable le conflit entre le volume d'activité des réservistes et leurs effectifs. En 2006, le réserviste moyen accomplira vingt et un jours d'activités - à peine moins que les trente jours prévus pour la fin de la loi de programmation militaire - mais ce chiffre cache des disparités considérables entre les réservistes employés en OPEX et les autres. Le nombre de jours d'ESR disponibles reste limité au regard des effectifs. Le projet de loi sur les réserves devrait résoudre une partie du problème pour les missions prioritaires de la réserve opérationnelle, en portant à 210 jours le volume d'activité maximal, mais les crédits alloués à la réserve resteront insuffisants pour accroître ces activités à l'infini. Une autre difficulté est due au manque de réactivité de la part des entreprises pour libérer leurs employés réservistes. Une quarantaine de partenariats devraient être signés d'ici à la fin de l'année et, dans les prochains travaux législatifs, il sera demandé au Parlement d'accepter le principe d'un crédit d'impôt au profit des entreprises maintenant, au moins partiellement, le salaire de leurs personnels appelés sous les drapeaux.

Le général Henri Bentégeat a indiqué que les reports les plus sensibles pour la défense étaient ceux portant sur les crédits de paiement. Ceux-ci, fin 2004, atteignaient 2,8 milliards d'euros. Ils devraient être absorbés à hauteur de près d'un tiers à la fin de l'exercice 2005 et le Gouvernement s'est engagé à ce qu'ils soient consommés en totalité avant la fin de la loi de programmation militaire.

Puis il a confié ne pas être le mieux placé pour juger du moral des soldats, des marins, des aviateurs, des sous-officiers et des officiers mariniers car il les rencontre essentiellement lorsqu'ils sont en opérations. Or, sur les théâtres, même lorsqu'ils souffrent, les gens ne sont pas malheureux car leurs missions sont passionnantes et très prenantes. Des critiques ou des défaillances ponctuelles sont en revanche enregistrées, en particulier parmi certaines catégories de personnels affectés à l'étranger, car les mesures prises il y a deux ans par le ministère des affaires étrangères concernant l'indemnité de résidence ont eu un impact très fort sur leur niveau de vie. À Djibouti, par exemple, l'état d'esprit n'est pas toujours au beau fixe, surtout dans les familles, confrontées à cette diminution de solde, au coût très élevé des lycées français, au cours du dollar défavorable et à un environnement difficile. Sinon, globalement, le moral est excellent et les dernières réunions des conseils de la fonction militaire des trois armées l'ont montré. Les militaires français, globalement, sont conscients de l'effort accompli en leur faveur, de l'intérêt des missions qui leur sont confiées et de l'estime que les Français leur portent, estime qu'ils ont d'ailleurs très fortement ressentie à l'occasion des journées Nation défense.

Le président Guy Teissier a suggéré que la mesure proposée par le général Henri Bentégeat tendant à accorder des avantages fiscaux aux entreprises qui favorisent la réserve fasse l'objet d'un amendement du Gouvernement dès la discussion du projet de loi de finances initiale.

Il a insisté sur le succès des journées Nation défense et de l'établissement publics d'insertion de la défense (EPID), qui tend à prouver que l'armée intéresse les jeunes. C'est pourquoi il conviendrait, à l'intention des jeunes de seize à dix-huit ans, de développer les préparations militaires sur une échelle plus importante, en les assortissant d'une rémunération. Cela ne présenterait que des avantages : promotion des valeurs civiques de camaraderie, de partage, d'émulation et de patriotisme ; constitution d'un vivier pour le recrutement de réservistes comme pour l'armée d'active et prise de contact salutaire avec la défense nationale.

M. Joël Hart a considéré que la fin de la loi de programmation militaire en cours et même la suivante seraient largement obérées par la nécessité de dégager des crédits de paiement pour les matériels lourds restant à livrer comme le Tigre, le NH 90 ou le Rafale, sans oublier des équipements encore plus lourds, comme le futur porte-avions, les Barracuda ou les frégates européennes multi missions.

Le général Henri Bentégeat ayant convenu que la plupart des grands programmes arrivaient simultanément dans la phase de fabrication, la plus onéreuse, et que la future loi de programmation militaire devrait par conséquent suivre un rythme de progression des crédits équivalent à celui suivi par la LPM en cours, voire supérieur, M. Joël Hart a douté que cela suffise, considérant qu'il arrive trop souvent, dans les régiments, que les pièces détachées fassent défaut ou que les nouveaux matériels soient attendus en vain, et que l'enthousiasme des hommes s'en trouve brisé.

Le général Henri Bentégeat s'est dit conscient de l'importance qu'attribuent les engagés des trois armées au bon fonctionnement de leurs équipements, qui, pour l'essentiel, peuvent être classés en deux catégories : une partie du parc est vieillissante ; l'autre est au contraire toute nouvelle. Et tous les grands équipements récents, à commencer par le Rafale et le Tigre, présentent deux caractéristiques : leur mise au point demandera deux ou trois ans ; leur maintien en condition opérationnelle coûte trois à cinq fois plus cher qu'autrefois. C'est pourquoi les crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle devront inéluctablement progresser de près de 10 % par an et pèseront sur les nouveaux programmes.

En réponse à M. Antoine Carré, qui avait demandé si l'application du concept de plafond ministériel d'emploi autorisé induisait une réorganisation des services, le général Henri Bentégeat a noté que l'un des objectifs officieux voire officiel de la LOLF consistait à peser sur les effectifs pour favoriser les investissements et rendre la gestion plus rationnelle, mais que la défense ne saurait entrer dans ce schéma, les effectifs d'un régiment n'étant pas modulables. Les effectifs à temps plein autorisés et réalisés s'élèvent respectivement à 440 000 et 426 000 hommes, la différence, 14 000, concernant essentiellement des personnels civils. Il n'en demeure pas moins que les armées se restructurent. Ainsi, la Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI), qui regroupe désormais l'ensemble des services d'infrastructures de transmission des trois armées, doit faire gagner progressivement un nombre élevé de postes. Ce type de restructurations est envisageable dans l'administration centrale, à l'exclusion des forces, qui doivent être préservées, à moins que leurs missions ne soient révisées. Plus ponctuellement, il peut toutefois être envisagé de regrouper plusieurs unités dans une même enceinte, afin de réduire les frais d'environnement.

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