COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 novembre 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Michel Voisin, Vice-président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre Mutz, préfet de la zone de défense de Paris, préfet de police de Paris.

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Audition de M. Pierre Mutz, préfet de la zone de défense de Paris, préfet de police de Paris

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Pierre Mutz, préfet de la zone de défense de Paris, préfet de police de Paris.

Soulignant que la lutte contre le terrorisme était une priorité pour tous les élus, M. Michel Voisin, président, a indiqué que la réunion de la commission avait pour objet de mieux connaître les mesures prises par la préfecture de police dans ce domaine, alors qu'un projet de loi viendra prochainement en discussion à l'Assemblée nationale.

M. Pierre Mutz, préfet de police, a indiqué que la préfecture de Police prenait en compte la mission de lutte contre le terrorisme sous ses trois aspects : prévention du risque terroriste, protection active contre la menace et réponse à un acte terroriste.

La mission de prévention du risque terroriste s'appuie sur des réseaux d'information qui permettent des échanges en temps réel, non seulement entre directions de police (renseignements généraux, police judiciaire, commissariats d'arrondissement), mais aussi avec les directions administratives. Sur le plan régional, ce réseau est animé par la direction des renseignements généraux et la police judiciaire. Le pôle régional de lutte contre l'islamisme radical, de son côté, analyse et oriente des actions multiformes de surveillance des individus et des structures de financement. Ce réseau est complété par une antenne spécialisée des renseignements généraux située au sein de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.

La préfecture de police s'intègre également au réseau national d'information et d'échanges. De nombreuses enquêtes, notamment judiciaires, associent régulièrement les renseignements généraux ou la police judiciaire et la direction de la surveillance du territoire.

La prévention du risque terroriste passe aussi par des opérations de surveillance ciblées : c'est notamment le cas des mosquées d'Ile-de-France dont la teneur des prêches est suivie avec la plus grande attention. Ce travail a permis d'identifier une trentaine de mosquées contrôlées par des imams radicaux, contre sept il y a trois ans. Une surveillance similaire est exercée sur les librairies islamistes.

Observant que la jurisprudence du Conseil d'Etat ne permet pas d'engager des poursuites en cas de vente d'ouvrages interdits, M. Pierre Mutz a souhaité une évolution de la législation en ce domaine d'autant que des établissements, de plus en plus nombreux en banlieue, diffusent des ouvrages ouvertement antisémites. Ce travail de surveillance ciblée s'exerce également dans les lieux ou institutions qui regroupent des populations considérées comme les plus vulnérables : les prisons, qui constituent un vivier de recrutement pour la mouvance islamiste radicale de plus en plus préoccupant, les universités et les hôpitaux de Paris, dont certains personnels sont sensibles au prosélytisme.

La prévention du risque terroriste passe aussi par un travail de déstabilisation des mouvances les plus radicales : lorsqu'un imam est signalé pour avoir tenu des propos appelant au terrorisme ou de nature antisémite, il fait aussitôt l'objet de mesures judiciaires et administratives, en vue d'une reconduite à la frontière. Tous les islamistes présumés ou condamnés pour leur appartenance à des réseaux de soutien au terrorisme font également l'objet d'une surveillance permanente, y compris après leur sortie de prison afin de s'assurer de la bonne exécution des peines complémentaires et de prévenir toute forme de récidive.

Enfin, dans les périodes plus sensibles, telle celle que le pays connaît actuellement au regard du terrorisme, des opérations ciblées de contrôles d'identité et de régularité du séjour sont réalisées dans les lieux de forte fréquentation, comme les gares et les débits de boisson. Plusieurs dizaines de personnes en situation irrégulière sont interpellées chaque jour dans le cadre de ces opérations.

M. Pierre Mutz a ensuite indiqué que la mission de protection active de la population contre la menace terroriste passait par le renforcement des mesures de sécurité. La préfecture de police dispose de tous les moyens nécessaires pour la mise en oeuvre des différents stades du plan Vigipirate.

La mission de protection des institutions et des sites sensibles relève de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) qui dispose à cette fin de près de 300 policiers au sein de l'unité mobile d'intervention et de protection (UMIP), dont les patrouilles surveillent actuellement plus de 200 points dans la capitale.

Ce premier niveau de vigilance est complété par le maillage des commissariats d'arrondissement, qui engagent en permanence un véhicule de patrouille sur les sites les plus menacés de leur ressort, ainsi que par les effectifs de la compagnie de sécurisation de la préfecture de police présents sur tous les sites accueillant un public nombreux.

Par ailleurs, les forces armées viennent en soutien des patrouilles de l'UMIP et sont affectées à la surveillance de certains sites particulièrement touristiques comme la tour Eiffel, la tour Montparnasse et le Louvre, ainsi que des gares parisiennes, de la gare de Chessy-Marne-la-Vallée et d'autres points sensibles.

Enfin, les réseaux ferrés d'Ile-de-France font l'objet d'une attention toute particulière, non seulement en tant qu'objectif à protéger, mais aussi en raison de la possibilité qu'ont les terroristes de les emprunter pour se déplacer de manière rapide et anonyme. Cette surveillance est assurée par le service régional de police des transports, qui regroupe 1200 policiers et qui est actuellement renforcé par une unité de CRS et un escadron de gendarmes mobiles. Au total, environ 2 500 policiers et militaires sont donc affectés au dispositif Vigipirate à Paris et dans les réseaux ferrés d'Ile-de-France.

Par ailleurs, une réflexion stratégique est engagée avec les grands établissements recevant du public. Ainsi, aussitôt après les attentats de Madrid, ont été sensibilisés les services de l'éducation nationale, les responsables des lieux de culte, des monuments et des musées, des grands magasins et galeries commerciales, des cinémas et salles de spectacle, ainsi que des parkings souterrains. Les responsables de la RATP et de la SNCF sont reçus, quant à eux, tous les deux mois à la préfecture de police. La nécessité de procéder à des contrôles de personnes et à des fouilles sélectives aux accès des sites est désormais une évidence. Ces contrôles reçoivent l'appui des services de police et du procureur de la République à Paris.

A plus long terme, il semble nécessaire de mener une réflexion sur la prise en charge de la sécurité par des moyens modernes et des personnels qualifiés. L'utilité de la vidéosurveillance, dont les enregistrements gagneraient à être conservés pendant une période de 3 à 15 jours, est double :

- elle s'avère dissuasive pour la petite délinquance quotidienne ;

- elle permet l'élucidation des affaires en fournissant aux enquêteurs les éléments de preuve, tant dans la lutte contre cette petite délinquance qu'en cas d'attentat.

La qualité des personnels est également primordiale : la surveillance est généralement sous-traitée à des sociétés qui n'offrent pas toujours des garanties suffisantes. Il convient d'étudier les modalités d'un recrutement et d'une formation de qualité, au travers d'une filière débouchant sur un agrément, comme en matière de sécurité incendie. Certaines enseignes prestigieuses ont repris directement en charge la fonction sécurité.

M. Pierre Mutz a ensuite précisé que l'intervention des services de secours et d'enquête faisait l'objet d'une planification rigoureuse afin de permettre une réaction rapide en cas d'attentat terroriste. Cette rapidité est d'autant plus indispensable qu'il faut envisager de faire face non à un attentat isolé, mais à plusieurs actions simultanées.

Dans cette perspective, l'ensemble des moyens ne doit pas être dirigé et concentré sur le premier site d'attentat, car il faut rester capable de les déployer sur plusieurs lieux. L'hypothèse d'un attentat de nature nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) est prise en compte et, à ce jour, 78 sapeurs-pompiers de Paris disposent déjà d'une tenue de protection contre les risques nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques (NRBC). D'ici 2010, 380 sapeurs-pompiers seront équipés. Ces équipements sont en effet coûteux et leur mise en place doit être accompagnée d'un entraînement adapté. La préfecture de police travaille en étroite collaboration avec les armées et la gendarmerie, qui disposent de leurs propres équipements dans ce domaine. Le risque d'un attentat NRBC a été pris en compte au travers d'un exercice de déploiement des secours en 2004, lequel sera complété cette année par un exercice destiné à vérifier l'aptitude des cadres à coordonner leurs actions.

L'enquête criminelle devra débuter en même temps que l'engagement des moyens de secours. La direction de la police judiciaire a ainsi préparé, en collaboration très étroite avec les services territoriaux de police et de gendarmerie, des plans d'intervention permettant de regrouper le maximum de moyens humains et techniques : des personnels de tous les services seront déployés pour effectuer, sur plusieurs sites, les constatations, les auditions des témoins et blessés, l'identification des victimes et les enquêtes de voisinage.

L'exemple londonien montre le très grand intérêt pour les enquêteurs de disposer d'images vidéo des lieux des attentats et de leurs abords. En effet, les nombreux témoignages recueillis ont permis de sélectionner des images enregistrées qui ont conduit à l'identification des auteurs des attentats du mois de juillet dernier. Une réflexion d'ensemble est d'ores et déjà engagée sur les possibilités d'extension des dispositifs existants ainsi que sur les modes d'enregistrement et de récupération des images au profit des enquêteurs.

Le dispositif d'appel à témoin par la mise à disposition du public d'une ligne spécifique à la préfecture de Police, peut être activé à tout moment. Le site Internet de cette dernière permettra d'informer le public, mais aussi de constituer une base de données de témoignages.

En conclusion, bien que les autorités soient prêtes à réagir en cas d'attentats, M. Pierre Mutz a réaffirmé l'importance de la prévention. Depuis le début de l'année 2005, onze imams radicaux ont ainsi été expulsés et trois filières islamistes démantelées.

M. Michel Voisin, président, a souhaité connaître la place du plan venant d'être décrit dans le dispositif envisagé par le nouveau projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme. Il a ensuite demandé quel était le retour d'expérience des exercices importants qui ont été réalisés au cours des dernières années afin de préparer les services d'intervention et de secours au risque d'attentats. Des faiblesses ont-elles été identifiées, aussi bien en termes de moyens que de coordination des différents services concernés ? Alors que la réaction des populations lors d'attentats joue un rôle majeur sur l'efficacité des plans de secours, comme en témoignent le calme et la discipline dont les Britanniques ont fait preuve en juillet dernier, des actions de sensibilisation sont-elles menées pour préparer les populations ? Enfin, dans le cas d'attentats simultanés de grande ampleur, on ne peut exclure que les moyens nationaux mis en œuvre soient insuffisants : quelles sont les procédures de coopération prévues avec nos partenaires de l'Union européenne ?

M. René Galy-Dejean a relevé que, selon des informations divulguées par la presse, des mails interceptés laisseraient penser que des actions violentes dans Paris seraient préparées. Il s'est interrogé sur les systèmes de surveillance du réseau Internet : la préfecture de police de Paris est-elle suffisamment équipée dans ce domaine ? Il a ensuite souhaité savoir si l'islam intégriste et radical était impliqué dans les troubles survenus au cours des dernières semaines dans la région parisienne. S'agissant des moyens de lutte contre le terrorisme, notamment biologique et chimique, les propos du préfet de police laissent penser qu'ils sont de facto insuffisants, puisque leur montée en puissance est prévue au cours des cinq prochaines années. Ne serait-il pas possible d'accélérer cette mise à niveau afin que Paris soit doté des moyens suffisants pour lutter contre le bioterrorisme ?

M. Pierre Mutz a indiqué que le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme comprend des développements importants sur la vidéosurveillance, qui constitue un outil particulièrement utile. La préfecture de police de Paris dispose de caméras de surveillance, initialement installées afin d'observer la circulation routière, mais qui sont désormais largement utilisées pour obtenir des indications sur les rassemblements de personnes et connaître ainsi les lieux concernés et la physionomie des manifestations. Par ailleurs, la préfecture a la possibilité d'accéder à l'ensemble des caméras de la RATP, via la salle de commandement unique du service régional de police des transports. De même, la préfecture a accès aux images de la SNCF sur le réseau RER et trains de banlieues. Le projet de loi vise à autoriser les personnes morales de droit privé à installer des dispositifs de vidéosurveillance afin d'observer leur accès depuis la voie publique, ce qui était interdit jusqu'à présent. Cette pratique, autorisée au Royaume-Uni, a permis d'identifier les terroristes du mois de juillet alors qu'ils entraient dans le métro.

S'agissant de la lutte contre les attentats de type NRBC, la BSPP dispose d'une unité de 78 sapeurs-pompiers. Leur formation est longue et leur équipement onéreux. Un développement des moyens de lutte sur cinq ans semble donc raisonnable sachant qu'il peut être fait appel aux moyens NRBC de la gendarmerie ou des armées.

La réaction de la population en cas d'attentats est un sujet important. La préfecture s'efforce d'utiliser tous les moyens modernes disponibles pour informer la population. Elle met notamment en place un site Internet pouvant fournir des informations en temps réel. Comme l'a prouvé l'exemple de Londres, en cas d'attentats, les réseaux de téléphonie mobile sont rapidement saturés. Il faut alors pouvoir passer des messages soit par radio, soit par Internet.

M. Bruno Laffargue, directeur régional des renseignements généraux, a indiqué qu'aucune information tangible ne permettait de penser que des islamistes seraient impliqués dans les troubles récemment survenus en région parisienne. La direction générale des renseignements généraux ainsi que la direction de la surveillance du territoire, avec lesquelles la préfecture de police collabore étroitement, partagent cet avis. Par ailleurs, aucune des personnes interpellées n'était connue pour des activités liées à l'islam radical. En revanche, dans leurs conversations privées, les islamistes se réjouissent de ces événements : ils constatent que le fossé entre la société dans son ensemble et les quartiers difficiles se creusent, alors même qu'ils constituent leur principal vivier de recrutement.

M. Pierre Mutz a estimé que l'ampleur d'éventuels attentats ne dépasserait probablement pas un certain seuil, du fait de la surveillance exercée par la police sur les terroristes potentiels et des difficultés qu'ils peuvent rencontrer pour réunir les éléments nécessaires à la commission d'attentats. En se fondant sur certaines hypothèses, à savoir un ou plusieurs attentats survenant dans plusieurs lieux, comme à Londres ou à Madrid, les moyens dont disposent les autorités apparaissent suffisants.

M. Jean-Claude Viollet a relevé que les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) avaient également été sollicités par la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Alors que l'Assemblée nationale étudiera le projet de loi sur les réserves dans les prochains jours, la préfecture de police dispose-t-elle de données sur l'utilisation effective de la réserve opérationnelle de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, et plus généralement sur le nombre de réservistes et leurs activités ? En matière de communication, quelles dispositions sont prises en amont des crises, notamment en ce qui concerne l'information et la sensibilisation des populations, afin d'améliorer leurs réactions face à l'événement ? Par ailleurs, la surveillance des lieux sensibles inclut semble-t-il les transports, mais aussi d'autres sites, tels que ceux d'approvisionnement en eau potable, en électricité, ainsi que les relais de communication. Se pose également la question de la sécurité alimentaire. Quelle protection est assurée pour ces différents types de sites ?

M. Michel Voisin, président, a souhaité savoir si, dans le contexte des violences urbaines, il était fait appel aux réservistes de la police et, si oui, dans quelles conditions.

M. Pierre Mutz a apporté les éléments de réponse suivants :

- le ministère de l'intérieur dispose de la possibilité de recourir, comme son homologue de la défense, à des réservistes. Les services de police sont ainsi susceptibles d'être renforcés par une réserve dite statutaire qui oblige tout fonctionnaire de police à répondre à un rappel éventuel pendant les 5 années qui suivent sa mise à la retraite. Pour ce qui concerne la brigade des sapeurs pompiers de Paris (BSPP), le problème est sensiblement différent car les militaires qui la composent, une fois leur contrat opérationnel arrivé à terme, intègrent pour leur majeure partie les SDIS de province. D'un point de vue pratique, la réserve de la BSPP est donc quasiment inexistante. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il s'est avéré nécessaire de faire appel à des renforts des SDIS de province lors des récentes émeutes en banlieue parisienne. En l'espèce, leur action a parfaitement complété celle de la BSPP ;

- s'agissant de la communication de crise en direction des populations civiles lors de la survenue d'un attentat majeur, il apparaît indispensable de solliciter le civisme, la discipline et le dévouement dont tout citoyen français devrait faire preuve en pareille circonstance. D'ores et déjà, lors d'évènements graves, les personnels des services de sécurité se révèlent totalement disponibles et mobilisables, ce qui laisse augurer d'une réaction similaire de nos concitoyens en cas de sinistre majeur ;

- la plupart des lieux sensibles font l'objet d'une surveillance très attentive. Les deux bassins d'alimentation en eau potable de la capitale sont protégés et surveillés par des caméras. D'autre part, la qualité de l'eau au sein des réseaux de distribution est analysée en permanence et, selon les niveaux d'alerte du plan Vigipirate, la concentration en chlore est augmentée. De même, l'ensemble des nœuds d'interconnexion électrique et les principales infrastructures de communication, notamment l'antenne de la Tour Eiffel, sont eux aussi surveillés. En ce qui concerne la sécurité alimentaire, les services vétérinaires de la préfecture de police redoublent de vigilance sur les gros approvisionnements, en particulier au marché de Rungis. Autrement dit, toutes les vulnérabilités potentielles sont prises en compte afin d'augmenter le niveau général de vigilance face à la menace terroriste.

Observant que les terroristes financent leurs activités à partir de fonds illégaux ou criminels, M. Hugues Martin a souhaité avoir des précisions sur les résultats obtenus par la préfecture de police dans la lutte contre le financement du terrorisme. Observant que d'aucuns estiment que le calme relatif de certains quartiers lors des récents évènements témoignerait de la volonté des mouvements islamistes de démontrer leur emprise sur ces cités, il a demandé si la préfecture de police partageait cette analyse. Il s'est enfin interrogé sur l'autorité responsable, à Paris, de la mise en œuvre de la vidéosurveillance, en déclarant pour sa part se heurter, en sa qualité de maire de Bordeaux, à de sérieuses réticences de la préfecture.

M. François Jaspart, directeur régional de la police judiciaire, a indiqué que les méthodes de travail étaient identiques pour lutter contre les financements du terrorisme et des organisations criminelles. Cette mission revient, au sein du ministère de l'intérieur, à l'office central de la grande délinquance financière et, au sein de la préfecture de police, à la brigade financière qui traite aussi bien les affaires de droit commun que les dossiers de terrorisme. Depuis un an, une expérimentation est menée avec la mise en place, auprès de la section antiterroriste de la brigade criminelle, d'un groupe consacré aux problèmes de financement, composé de 8 membres de la brigade financière travaillant à l'identification des actions de blanchiment et à l'analyse des circuits financiers susceptibles d'alimenter les groupes terroristes. Le bilan de cette initiative sera établi en janvier 2006 mais, d'ores et déjà, les premiers résultats obtenus démontrent l'efficacité de cette structure nouvelle contre des sociétés pouvant servir d'appui à des actions terroristes. Plusieurs d'entre elles ainsi soupçonnées ont pu être poursuivies sur la base d'infractions de droit commun. En tout état de cause, il est intéressant d'agir sur le levier du financement, car il est au cœur de la préparation de toute action terroriste.

M. Bruno Laffargue, directeur régional des renseignements généraux, a souligné que peu de quartiers de la région parisienne avaient été épargnés par la vague d'émeutes. Tout au plus les violences ont-elles été moins fortes qu'ailleurs dans les quartiers où sévit une économie souterraine importante. A Paris, ce sont les XIème, XIIIème, XVIIIème, XIXème et XXème arrondissements, où les islamistes sont pourtant bien implantés, qui ont connu le plus de problèmes ces derniers jours. Il n'y a donc pas nécessairement de relation entre un calme relatif et une implantation islamiste.

Les émeutiers étaient jeunes et, pour 80 % d'entre eux, connus des services de police. En outre, peu de personnes avaient prise sur leur comportement, qu'il s'agisse des associations, de leurs parents, voire des délinquants locaux.

M. Michel Voisin, président, a confirmé, au vu de sa propre expérience, les propos de M. Hugues Martin sur les difficultés que rencontrent auprès des préfectures les maires qui désirent mettre en œuvre un dispositif de vidéosurveillance dans leur ville.

M. Pierre Mutz a indiqué que la mise en place du dispositif de vidéosurveillance à Paris relève d'un plan d'équipement dont le coût est réparti entre la ville, pour les voies de circulation notamment, la préfecture de police, en ce qui concerne les lieux sensibles et les abords de bâtiments officiels, et certaines sociétés ou personnes privées, comme la RATP, la SNCF, certains grands hôtels ou des banques. Des discussions sont en cours avec la ville de Paris pour accroître le nombre de caméras dans l'agglomération parisienne. Seules des considérations financières en raison du coût important des technologies associées à ces dispositifs (stockage numérique) sont contraignantes sur le plan opérationnel.

M. Joël Hart, après avoir constaté que la capacité de réponse à un attentat terroriste dépendait pour beaucoup de l'existence d'une organisation des secours de type militaire, a demandé de quels moyens de commandement la préfecture de police dispose. Il a également souhaité savoir quels sont les liens de cette dernière avec le commandement de la région militaire d'Ile-de-France.

Soulignant la surprise suscitée par l'ampleur des récentes émeutes, M. Yves Fromion s'est interrogé sur les capacités de la préfecture de police en matière de coordination du renseignement. Il a également demandé dans quelle mesure le suivi des données transitant par Internet pouvait être affiné.

M. Pierre Mutz a indiqué que la préfecture de police est déjà organisée de manière très structurée. Chaque direction est dotée d'un état-major à partir duquel les renseignements sont exploités et partagés. En cas d'attentat, l'état-major de la zone de défense concernée, qui comprend des militaires, est activé. La coopération avec les forces armées est très étroite. Ainsi, lors de manifestations importantes impliquant des chefs d'Etat, la protection aérienne est assurée à partir de la préfecture de police, avec le concours d'un officier de l'armée de l'air.

M. Bruno Laffargue a noté que les renseignements généraux ont un rôle important à jouer en matière de violences urbaines. L'anticipation des émeutes est difficile en raison, d'une part, de l'inconnue que constitue l'élément déclencheur et, d'autre part, des effets de la médiatisation. Il apparaît que lors des violences récentes, les jeunes ont été motivés par la volonté d'en faire davantage que ceux du quartier voisin. On peut essayer d'anticiper mais ces évènements restent par nature imprévisibles.

En ce qui concerne la surveillance d'internet, 15 fonctionnaires suivent en permanence les sites et les blogs. 80 % des blogs qui ont été fermés par la police pendant la crise actuelle étaient hébergés par la radio Skyrock. Ces sites et blogs jouent un rôle capital dans le déroulement des émeutes en jouant un effet d'entraînement et en dressant une sorte de « hit-parade » des violences. Même s'il ne s'agit là que d'un facteur d'explication partiel : on peut simplement constater que lorsque des blogs ont été fermés, une baisse des violences a été enregistrée.

M. Yves Fromion a estimé que les émeutes actuelles ne semblaient pas fondées sur des revendications précises, donnant l'impression d'un phénomène  « hors-sol ».

M. Bruno Laffargue a considéré que l'élément moteur des violences était de l'ordre du jeu, avec un effet de surenchère, mais que cela n'excluait pas les problèmes de fond. Quelques jeunes, connus des services de police, ont initié les violences, créant aussi un effet de surexcitation, tandis que ceux qui ne participaient pas directement à celles-ci tenaient un discours plus revendicatif.

M. François Jaspart a précisé le travail de la police portant sur internet : une cellule de surveillance est active aux renseignements généraux, de même qu'au sein de la police judiciaire. Quand un site est identifié, une enquête technique est menée pour identifier l'auteur du message. Ce travail est particulièrement difficile quand le message d'origine est envoyé à partir d'un cybercafé. Dans le cas de l'affaire Richard Reid, c'est en prenant en compte l'ensemble des messages issus d'un même poste informatique et en procédant à des recoupements que certains de ses complices ont pu être identifiés. Il est donc particulièrement nécessaire que les archives des cybercafés soient bien conservées.

Evoquant la cellule NRBC du groupement blindé de la gendarmerie mobile de Satory, M. Philippe Folliot a demandé si le futur équipement du groupement en véhicules de l'avant blindés en version maintien de l'ordre, doté d'une capacité NRBC, pouvait constituer un atout pour l'intervention en milieu pollué. Après avoir fait part du bon fonctionnement des cellules de renseignement animées par la gendarmerie, constaté lors d'un déplacement au Kosovo, il s'est interrogé sur l'usage fait des renseignements collectés. En matière de surveillance d'internet, la préfecture de police entretient-elle des liens avec l'institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale (IRCGN) ? Il a par ailleurs souhaité connaître l'opinion du préfet de police sur la nature des liens existant entre la préfecture et les groupements de gendarmerie de l'Ile-de-France. L'office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) peut-il être considéré comme exemplaire ? Enfin, toute démocratie ayant besoin d'un système de police duale - nationale et régionale ou civile et militaire - le préfet voit-il un intérêt à disposer d'une force de police à statut militaire ?

M. Pierre Mutz a souligné la qualité du travail en commun mené par les deux forces. L'intégration est parfaite à Paris dans les domaines de la sécurité et de l'ordre public. Des gendarmes mobiles patrouillent sur les Champs-Elysées et sur le réseau ferré régional : les fins de lignes étant généralement situées en zones gendarmerie, les contacts sont ainsi facilités le cas échéant. Un colonel de gendarmerie occupe actuellement les fonctions d'officier de liaison au cabinet du préfet.

Il serait effectivement souhaitable que les nouveaux blindés de la gendarmerie puissent d'intervenir en ambiance polluée.

En matière de renseignement, les informations recueillies sont mises en commun au travers de l'unité de coordination de lutte antiterroriste (UCLAT), qui assure également leur exploitation au cours de sa réunion hebdomadaire.

Actuellement, la police doit procéder rapidement à de nombreuses analyses sur des personnes suspectées d'incendies volontaires : le laboratoire central de la préfecture de police et l'IRCGN travaillent de manière complémentaire à cet effet.

L'OCLDI illustre bien le fonctionnement des structures centrales nationales de mutualisation et d'exploitation des renseignements dans des domaines précis.

M. François Jaspart, directeur de la police judiciaire, a précisé qu'une structure de lutte contre les vols à main armée en Ile-de-France, associant la police et la gendarmerie, fonctionnait parfaitement et que depuis deux ans aucun problème de coordination n'y avait été relevé. En province, la symbiose entre la police et la gendarmerie est telle qu'il est courant d'entendre dire, sur le ton de la plaisanterie, que les défauts de l'une sont compensés par les qualités de l'autre.

M. Philippe Folliot, faisant état d'un déplacement à Montreuil auprès d'une unité de gendarmes mobiles à l'occasion des violences urbaines, a confirmé que les relations entre gendarmes et policiers étaient très bonnes, surtout lorsque, comme c'était le cas, des gendarmes venus de province sont affectés dans des villes qu'ils ne connaissent pas et s'appuient sur les renseignements de leurs collègues policiers.

M. François Jaspart a indiqué qu'au sein de la section antiterroriste, un groupe d'assistance et de liaison, chargé de vérifier les informations, avait procédé à 1 200 vérifications de renseignements fournis par divers services depuis sa création, en 2002. 3 % de ces renseignements ont donné lieu à une enquête judiciaire ayant abouti. En 2005, 300 dossiers ont pour l'instant été traités.

M. Dominique Caillaud a observé que les chiffres officiels du nombre de voitures brûlées et de destructions, diffusés quotidiennement ces derniers jours, avaient servi de référence, à l'instar d'une « échelle de Richter », aux émeutiers pour planifier leurs actions du lendemain. Il a donc souhaité qu'à l'avenir de telles statistiques ne soient plus données publiquement chaque jour, afin d'éviter toute surenchère.

M. Alain Moyne-Bressand a souhaité connaître l'état des réflexions de la préfecture de police sur le retour d'expérience des événements récents, notamment en vue d'adapter l'organisation de la gendarmerie et de la police nationales pour faire face à de telles émeutes.

M. Michel Voisin, président, s'est inquiété du traitement médiatique des violences urbaines des derniers jours, qui a parfois pu déboucher sur une certaine forme de psychose au sein de la population. À l'étranger également, certains de nos concitoyens expatriés n'ont pas manqué de s'interroger sur la situation intérieure française en découvrant des images laissant supposer, notamment, que les Champs-Elysées étaient en feu. Dans ces conditions, il est permis de s'interroger sur l'adéquation de notre législation à ce type de situations.

M. Pierre Mutz a souligné que la police et la gendarmerie ont combattu les violences urbaines de ces dernières semaines de façon exemplaire. A titre de comparaison, lors des émeutes survenues à Los Angeles, plus de 80 morts avaient été déplorées. On peut s'enorgueillir à juste titre du comportement de nos forces de l'ordre, qui s'appuient sur des cadres de grande qualité. Il convient donc de féliciter nos services de sécurité, qui ont agi de manière remarquable.

M. Michel Voisin, président, a remercié M. Pierre Mutz d'être venu s'exprimer devant la commission. L'audition du préfet de police constitue une nouveauté. Elle s'inscrit dans le cadre de la nouvelle nomenclature budgétaire, la mission « Sécurité » incluant à la fois la police et la gendarmerie, mais elle démontre aussi le souhait de la Commission de la défense d'aborder plus fréquemment les thèmes de sécurité. Il serait d'ailleurs intéressant de réaliser une visite de la préfecture de police. Il a conclu en rendant hommage à l'excellent travail des femmes et des hommes faisant face aux violences urbaines, qu'ils appartiennent à la police, à la gendarmerie ou aux sapeurs-pompiers.

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