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COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 mai 2006
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Présentation par IPSOS des conclusions de son étude sur l'évolution des opinions publiques européennes face aux problèmes de défense


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Présentation par IPSOS des conclusions de son étude sur l'évolution des opinions publiques européennes face aux problèmes de défense.

Le président Guy Teissier s'est félicité d'accueillir M. Edouard Lecerf, venu présenter les résultats de l'enquête d'opinion réalisée en février 2006 par IPSOS, à la demande d'EADS, dans cinq grands pays de l'Union européenne (Allemagne, Espagne, Italie, France et Grande-Bretagne) sur « l'Europe et ses moyens de défense ». Il a rappelé que le Forum du futur, présidé pendant longtemps par Jacques Baumel et aujourd'hui par le vice-amiral d'escadre Jean Bétermier, avait pris l'initiative de cette réunion. L'enquête de l'IPSOS démontre un attachement certain d'une majorité d'européens pour une Europe de la défense capable d'intervenir indépendamment des Etats-Unis, ce qui justifie bien évidemment le maintien d'un important effort en matière d'équipements militaires, et rejoint les travaux des conférences stratégiques annuelles de l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

M. Edouard Lecerf a souligné que cette étude, la cinquième effectuée par IPSOS depuis 2000 sur ce thème dans les cinq pays de l'Union européenne précités, avec dans chacun d'eux un échantillon représentatif d'environ un millier de personnes âgées de 18 ans et plus, permet de mesurer l'évolution dans le temps - ou la stabilité - de l'opinion publique européenne sur différentes questions, les unes générales, d'autres plus particulières, liées à la défense.

La première question concerne l'appréciation portée par les européens sur les menaces qui pèseraient sur la paix. Elle a été posée de façon volontairement dynamique et a permis aux personnes consultées d'exprimer un point de vue sur le niveau et l'évolution des menaces : « Selon vous, les menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité dans le monde sont-elles aujourd'hui plus importantes, moins importantes ou ni plus ni moins importantes qu'il y a un an ? » Le résultat fait état de menaces prégnantes : pour 53 % des personnes interrogées, elles se sont aggravées depuis un an, et pour 42 %, elles sont restées au même niveau. La proportion de personnes considérant qu'elles se sont aggravées varie toutefois selon les pays : elle est de 63 % en Allemagne, mais de 42 % seulement en Italie et de 47 % en France.

A la deuxième question : « Pour chacun des éléments suivants, dites-moi s'il représente selon vous une menace très importante, assez importante, peu importante ou ne représente pas une menace pour la paix et la sécurité dans le monde ? », la proportion de personnes répondant « très importante » ou « assez importante » dépasse 80 % dans chacune des cinq éventualités proposées. Il est à noter qu'elles sont plus nombreuses à répondre « très importante » que « assez importante », contrairement à ce que l'on observe habituellement dans les sondages d'opinion où les réponses s'orientent généralement sur les options peu engageantes. Le terrorisme international vient en premier, étant considéré comme une menace « très importante » par 67 % des personnes interrogées ; il est suivi par les armes nucléaires, chimiques ou bactériologiques de destruction massive (65 %) et par la montée des extrémismes (62 %). Viennent enfin les conflits pour les ressources naturelles (53 %) et les déséquilibres entre pays riches et pays pauvres (46 %). Si on considère l'évolution de la perception de chacune de ces cinq menaces depuis 2000, on peut constater que les trois premières étaient déjà, il y a six ans, jugées plus importantes que les deux autres, mais que l'avant-dernière, c'est-à-dire les conflits pour les ressources naturelles n'a cessé de progresser dans l'esprit des personnes interrogées.

La question suivante montre que l'opinion européenne considère que le recours aux forces armées est globalement légitime pour parer à ces menaces, l'enquête proposant sept motifs possibles d'emploi des forces. Elle est ainsi libellée : « Pour chacun des cas suivants, dites-moi si vous jugez qu'il justifie que des forces armées de votre pays interviennent ? » C'est l'intervention humanitaire en cas de catastrophe naturelle qui recueille l'assentiment le plus fort (96 %), avant même la défense du territoire national (92 %). Viennent ensuite le maintien ou le rétablissement de la paix dans le cadre des Nations unies (84 %), l'interposition pour prévenir ou stopper une guerre civile (81 %), la lutte contre le terrorisme (80 %), la protection des ressortissants à l'étranger (79 %). Enfin, un dernier cas recueille le moindre assentiment des européens (la moindre légitimité) à l'intervention des forces armées : l'agression contre un pays de l'Union européenne ou de l'OTAN (65 %). Cependant, il faut souligner que le taux d'adhésion au principe d'une intervention demeure élevé dans cette hypothèse. De façon à la fois surprenante et rassurante, on constate une grande stabilité de tous ces éléments dans l'opinion depuis 2000, à un niveau élevé, de plus de 80% sauf pour le dernier cas, et cette stabilité caractérise également la hiérarchie des cas d'intervention.

A la quatrième question, « Selon vous, l'Europe devrait-elle pouvoir décider de faire intervenir ses forces de défense sans l'appui des Etats-Unis ? », huit Européens sur dix globalement répondent oui, la proportion atteignant 87 % en France, 84 % au Royaume-Uni, 83 % en Allemagne, et 66 % encore en Italie. Ce dernier pays est d'autant plus atypique qu'on y observe une légère régression du taux de réponses positives depuis 2003, alors qu'on enregistre dans les autres pays, au contraire, une progression non négligeable, de l'ordre d'une dizaine de points depuis cinq ou six ans. Ces variations, même limitées, doivent être appréciées au regard de la stabilité globale de l'opinion européenne sur l'ensemble de l'enquête.

La question suivante : « l'Europe a-t-elle les moyens, en matière de technologie et d'équipements de défense, de décider de faire intervenir ses forces armées sans l'appui des Etats-Unis ? », est naturellement de celles auxquelles il est difficile de répondre « non ». Cependant , il est notable que seuls 31 % des Européens interrogés répondent « certainement » et 34 % « probablement », soit les deux tiers des sondés alors que 80% d'entre eux pensent que l'Europe doit pouvoir décider de faire intervenir ses forces de défense sans l'appui des Etats-Unis. On relève, une fois encore, des variations notables entre les pays : le total des « certainement » (42%, proportion notable) et des « probablement » atteint 75 % en France, mais seulement 47 % en Italie, ce qui témoigne d'une certaine cohérence avec les réponses des italiens à la question précédente. La progression du taux de réponses positives chez les autres européens (notamment en France et en Grande-Bretagne) à cette question est également en cohérence avec l'évolution des réponses à la question précédente : plus on pense que l'on devrait pouvoir intervenir, plus on pense que l'on peut intervenir.

L'existence d'une politique européenne commune de défense fait l'objet de la sixième question, elle est jugée « essentielle » par 38 % des personnes interrogées et « souhaitable » par 44 %, soit un total de réponses favorables de 82 % (90 % en Allemagne, 75 % au Royaume-Uni, 82 % en France). Comme l'a déjà montré « l'eurobaromètre » (enquêtes d'opinion publique de l'Union européenne), on observe une remarquable stabilité de l'opinion au fil des ans sur la nécessité d'une politique commune de défense.

Pour apprécier si les Européens veulent se donner les moyens d'une telle politique, la question suivante a été posée : « Selon vous, est-il essentiel, important, secondaire ou inutile que l'Europe dispose d'une industrie de la technologie et des équipements de défense performante ? » Là encore, les réponses positives (« essentiel » ou « important ») atteignent 85 %, proportion qui n'a guère varié depuis 2000, ce qui est en cohérence logique avec les réponses précédentes.

A la question : « En matière de conception et d'achat de technologies et d'équipements de défense, souhaitez-vous qu'à l'avenir, les pays européens décident d'une politique commune, ou que chaque pays conduise sa propre politique en la matière ? », la réponse est sans équivoque : 71 % des Européens privilégient la première option, 24 % la seconde. Il n'est pas étonnant que cette dernière soit choisie par 40 % des Britanniques mais ils sont 55 % à lui préférer une politique commune. En revanche, 83 % des Allemands sont favorables à une politique commune d'armement, 15 % seulement pour une politique autonome.

Une autre question de l'enquête a permis de tester la notoriété et l'image de l'Agence européenne de défense, dont près d'une personne interrogée sur quatre (24 %) a entendu parler - ou dit avoir entendu parler. Parmi ces 24 %, 84 % se disent, assez logiquement, « très favorables » ou « plutôt favorables » à cette agence.

Enfin, à la question : « Souhaitez-vous qu'au cours des prochaines années, les dépenses consacrées à la technologie et aux équipements militaires des forces armées de votre pays augmentent, restent les mêmes ou diminuent ? », question qui est sans doute la plus délicate de l'enquête, la moitié des personnes interrogées répondent : « qu'elles restent les mêmes » (62 % en France), 28 % souhaitant qu'elles augmentent (25 % en France) et 16 % qu'elles diminuent (11 % en France). L'évolution des réponses à cette question au fil des ans montre qu'il n'y a pas de vraie rupture, l'option moyenne étant déjà privilégiée par 47 % des Européens interrogés en 2000 (avant les évènements du 11 septembre 2001), mais il est intéressant de noter que la proportion de personnes souhaitant que les dépenses diminuent a régressé de 22 % à 16 % en six ans.

La conclusion générale qui se dégage de l'enquête est que, s'il est encore prématuré de parler d'opinion publique européenne, un consensus semble émerger pour privilégier des solutions de défense communes, jugées légitimes, dans un monde perçu comme globalement menaçant.

Le président Guy Teissier a remercié M. Edouard Lecerf pour son exposé à la fois surprenant et réconfortant. On savait déjà, par les sondages de la délégation à l'information et à la communication de la défense (DICOD), que les Français avaient, à 83 %, une bonne opinion de leur défense nationale ; il se confirme qu'ils sont également de fervents partisans d'une défense européenne. Il serait souhaitable que les résultats de l'enquête IPSOS puissent guider les choix futurs des responsables politiques. L'enquête met en évidence cependant un certain paradoxe : bien que les Français aient conscience, comme les autres Européens, de vivre dans un monde dangereux et soient demandeurs, à 82 %, d'une Europe-puissance fondée sur une défense commune, ce qui suppose aussi bien une volonté politique que des moyens budgétaires, ils ont rejeté en mai 2005 le projet de Constitution européenne, qui comportait des éléments intéressants de ce point de vue, en prévoyant notamment des mécanismes de coopération permanents et une clause de solidarité entre Etats. Comment expliquer cette contradiction ?

M. Edouard Lecerf a estimé que la contradiction n'était qu'apparente, bien d'autres facteurs expliquant le vote du 29 mai 2005. Les Français, interrogés sur les raisons de leur attachement à l'Europe, mettent largement en avant les éléments liés à la paix et à la défense, mais il existe un décalage entre leur vision d'une Europe rêvée, idéale, et l'Europe réelle, celle du quotidien, à laquelle ils ont du mal à s'identifier. Il n'y a pas de paradoxe à ce que l'opinion se cristallise négativement sur tel ou tel élément concret de la vie quotidienne en fonction du contexte politique à un moment donné, sans renier sa vision idéalisée de l'Europe. En d'autres termes, le succès du « non » ne contredit pas les espoirs européens des Français, mais ces espoirs n'ont pas suffi à leur faire voter majoritairement « oui ».

Le président Guy Teissier a observé que l'enquête porte exclusivement sur cinq pays de la « vieille Europe », tous porteurs d'un vrai projet de défense et d'une vraie politique de défense, et il a jugé hasardeux d'en tirer des conclusions à l'échelle de l'Union européenne toute entière, qui comprend notamment les pays nordiques et les pays d'Europe centrale et orientale.

M. Edouard Lecerf lui a donné acte de cette difficulté, et fait part de son regret de n'avoir pu réaliser la même étude dans tous les pays de l'Union. Il est certain que la vision politique des citoyens des pays d'Europe du nord et de l'est aurait pu permettre de moduler les résultats, mais les cinq pays sur lesquels porte l'enquête pèsent tout de même d'un poids important en Europe. La Commission européenne procède à des enquêtes plus larges, portant sur les vingt-cinq pays membres.

M. Michel Voisin s'est étonné, pour le déplorer, que les Européens, conscients de la réalité des menaces comme de leur aggravation, soient convaincus de la nécessité de se protéger eux-mêmes, mais non de celle d'accroître leur effort financier à cet effet. Il s'est demandé comment il sera possible, dans ces conditions, d'arrêter les prochaines - et dernières - annuités de la loi de programmation militaire.

M. Edouard Lecerf a répondu que, compte tenu de l'attitude généralement hostile des opinions publiques vis-à-vis de la dépense publique, on peut considérer comme positif que les Européens souhaitent majoritairement maintenir l'effort de défense au niveau actuel et que ceux qui souhaitent l'accroître soient deux fois plus nombreux que ceux qui veulent le réduire.

Le président Guy Teissier s'est demandé si le fait que près de 30 % des citoyens des cinq grands pays d'Europe de l'Ouest souhaitaient un accroissement des budgets de la défense pourrait avoir un effet d'entraînement sur des pays où ces budgets sont plutôt déclinants.

M. Edouard Lecerf a répondu ne pas croire à une forme de « contamination » des opinions publiques d'un pays à l'autre. Cependant, lorsque les gouvernants assument et expriment clairement une volonté sur un sujet important, les citoyens sont prêts à y adhérer. On peut constater les effets de cette pédagogie en étudiant l'évolution des opinions publiques vis-à-vis des dépenses militaires, par exemple au Royaume-Uni, même si ce pays constitue un exemple un peu particulier, et même si les citoyens ne vont pas jusqu'à manifester dans la rue pour réclamer une augmentation du budget de la défense.

M. Michel Voisin s'est interrogé sur la volonté des Européens d'assumer eux-mêmes leur défense et il a estimé que les réponses ne seraient pas forcément les mêmes dans les pays de la « nouvelle Europe » et dans ceux de la « vieille Europe ».

M. Edouard Lecerf en a convenu, mais il a souligné que l'opinion était très nettement favorable à une défense indépendante dans chacun des cinq grands pays d'Europe de l'Ouest.

Le président Guy Teissier a observé que ces cinq pays avaient à la fois une politique et des moyens de défense, et que l'Europe de la défense était largement leur œuvre, ce qui n'était pas le cas des petits Etats récemment intégrés à l'Union.

M. Edouard Lecerf a reconnu qu'il serait intéressant de mener la même enquête dans chacun des vingt-cinq pays membres de l'Union.

M. Joël Hart a rappelé l'action constante de la commission de la défense pour soutenir les moyens budgétaires de la défense nationale. Il s'est déclaré heureux de constater que les Français, comme l'ensemble des Européens, sont favorables au maintien ou à l'augmentation des moyens de la défense, mais il s'est demandé quelle serait la réponse des personnes interrogées si la question était formulée ainsi : « Etes-vous prêts à payer plus d'impôts pour la défense ? », alors qu'existent d'autres priorités.

M. Edouard Lecerf a estimé que cette réponse serait naturellement différente si les personnes interrogées se voyaient demander d'arbitrer entre les dépenses d'éducation et de défense, mais une telle alternative serait largement artificielle, car ce n'est pas de cette façon que l'on prépare un budget.

M. Joël Hart a insisté sur le fait que les citoyens n'avaient aucune prévention envers la dépense publique tant que celle-ci demeurait abstraite et indolore, mais que leur opinion changeait en cas d'augmentation des impôts : les élus locaux vivent cette situation quotidiennement.

M. Guillaume Schlumberger, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), a observé qu'au sein même de la « vieille Europe », le degré d'ambition des citoyens pour leur défense était très variable : les Britanniques sont ainsi 48 % à souhaiter une augmentation du budget de la défense, les Allemands 16 % seulement, tandis qu'Espagnols, Français et Italiens se situent dans une fourchette allant de 25 à 28 %. La France est donc dans une posture intermédiaire et le ministère de la défense s'interroge sur le niveau de dépenses souhaité par les français. Il a souligné, par ailleurs, que les Européens semblaient davantage prêts à faire intervenir leurs forces armées pour des missions « à basse intensité », tel le secours aux victimes de catastrophes naturelles ou le maintien de la paix dans le cadre de l'ONU, que contre les menaces « à haute intensité » importantes et préoccupantes. Le degré d'ambition réel en matière de défense indépendante est donc à relativiser car ce n'est pas la même chose de lutter contre le terrorisme international ou de mener des missions de maintien de la paix.

M. Edouard Lecerf a objecté que le mode d'action le plus approprié n'est pas forcément le même dans tous les cas : ainsi, certaines interventions gagnent à être menées par plusieurs pays associés, d'autres peuvent être assurées par un seul. L'enquête menée par IPSOS vise à nourrir la réflexion, non à l'épuiser.

M. Henri Froment-Meurice, ambassadeur de France, vice-président du Forum du Futur, a constaté qu'une enquête menée dans cinq pays de la « vieille Europe » ne rend pas forcément compte de l'état d'esprit de l'opinion dans l'Union européenne élargie. D'une part, en effet, il y a, parmi les Vingt-Cinq, des pays neutres qui n'ont pas forcément envie d'augmenter leur budget de la défense. D'autre part, les pays d'Europe centrale et orientale et les pays Baltes comptent bien davantage sur l'Alliance atlantique et sur les Etats-Unis que sur l'Union européenne pour les défendre.

La possibilité pour les Européens d'intervenir sans l'appui des Etats-Unis dépend beaucoup de la nature du conflit. Dans le cas d'une éventuelle opération militaire contre l'Iran, une telle intervention serait évidemment déraisonnable ; mais il serait plus facile aux européens de décider une action de maintien de la paix, par exemple dans les Balkans, sous réserve que soit résolue la question des transports de troupes.

Enfin, il est inquiétant pour le développement de la défense européenne de constater justement qu'en Allemagne, au budget de la défense déjà très bas et insuffisant, les citoyens sont les moins nombreux à vouloir augmenter les dépenses militaires, ce que la grande coalition au pouvoir s'abstiendra donc sans doute de faire. Inversement, ce sont les Britanniques qui dépensent le plus pour leur défense et qui sont les plus nombreux à vouloir dépenser davantage encore.

M. Edouard Lecerf a insisté sur le fait que les opinions font en partie écho à la position des gouvernements lorsque ceux-ci font œuvre durable de pédagogie sur la question de l'effort de défense. Tel n'a pas été forcément le cas en Allemagne, où la situation économique incite davantage à la compression des dépenses qu'à leur augmentation.

Le président Guy Teissier a indiqué que la Commission de la défense recevra prochainement une délégation de membres du Bundestag et que cette question pourrait être utilement évoquée avec elle.

M. Pierre Conessa, directeur général de la Compagnie européenne d'intelligence stratégique (CEIS), a observé que l'expression « vieille Europe » ne désignait pas tant, dans l'esprit de M. Donald Rumsfeld, Secrétaire d'Etat à la défense des Etats-Unis, les pays de l'Ouest du continent que ceux qui s'étaient opposés à l'intervention en Irak, et il a considéré qu'il valait mieux parler de l'Europe « historique » , où il semble qu'une opinion publique est en train de se constituer sur les questions de défense. Si les Européens apparaissent davantage prêts à intervenir militairement pour arrêter une guerre civile qu'en cas de menace contre un pays allié, sans doute est-ce parce que cette dernière notion est devenue, du fait des élargissements successifs de l'OTAN comme de l'Union européenne, assez floue.

Par ailleurs, la formulation de certaines questions laisse perplexe. Ainsi, demander aux sondés si une politique de défense européenne est « souhaitable » tend à induire une réponse positive, qu'il faut considérer avec prudence. Il en est de même lorsqu'on leur demande s'ils veulent que l'industrie de défense de leur pays soit « performante » ; par contre, si on leur demandait s'ils veulent ou non que cette industrie soit « indépendante », la réponse, quelle qu'elle soit, se prêterait à des conclusions plus intéressantes sur le plan politique.

M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS), a estimé que le paradoxe soulevé par M. Michel Voisin n'était qu'apparent. On peut considérer que la menace s'accroît et ne souhaiter une augmentation des dépenses militaires que lorsque cette menace sera ressentie comme ayant franchi un certain seuil. Ce n'est pas un hasard si, à l'instar des Etats-Unis en 2001, les deux pays où un tel souhait est le plus fort sont le Royaume-Uni et l'Espagne, deux pays d'Europe ayant été victimes de graves attentats terroristes au cours des dernières années.

Sauf en Italie, le sentiment en faveur d'une dépense européenne progresse depuis six ans. Même les Britanniques sont 83 % à envisager de faire intervenir leurs forces armées sans l'appui des Etats-Unis, et il en est de même dans les pays dits de la « vieille Europe » ou de l'Europe « historique ».

Enfin, si l'on s'en tient aux réalités budgétaires objectives, on s'aperçoit que dans tous les pays de l'étude, Allemagne comprise, la défense est - parmi les quelque quinze grands ministères ou grandes missions de l'Etat - au quatrième ou au cinquième rang. Si le budget de la défense n'augmente pas en Allemagne, c'est à cause de la situation économique et budgétaire, non du fait d'une volonté délibérée.

Le général Jean Rannou, président d'Eurodéfense, a reconnu que les nouveaux Etats membres se reconnaissaient davantage dans l'OTAN que dans l'Union européenne, et en a tiré la conclusion qu'il revenait à leurs partenaires de les faire changer d'avis. Il a considéré qu'il y avait par ailleurs une sorte de cohérence à ne pas vouloir se doter de moyens de défense accrus dès lors qu'on estime ceux-ci suffisants pour permettre une intervention extérieure. Par contre, les résultats de l'enquête qui mettent en évidence l'augmentation de 2000 à 2006 des opinions favorables sur les moyens technologiques permettant à l'Europe de décider une intervention militaire sans les Etats-Unis laissent perplexe. Tous les commentaires depuis cinq ans décrivent l'augmentation de l'écart des moyens en faveur des Etats-Unis et au détriment de l'Europe. Cela étant, avoir les moyens de « décider d'intervenir » n'est pas la même chose qu'avoir les moyens d'intervenir, et peut-être aurait-il fallu formuler la question différemment.

M. Edouard Lecerf a admis que la formulation de la question pouvait poser problème, et impliquait une dimension psychologique, de nature à créer un léger biais dans les réponses. On peut estimer que l'on est capable d'intervenir sans penser disposer de moyens et d'équipements entièrement suffisants.

L'amiral Jean Bétermier, président du Forum du Futur, s'est étonné, s'agissant de la légitimité des différentes formes d'intervention, du fait que l'agression contre un pays membre de l'Union européenne ou de l'OTAN vienne en dernier parmi les motifs légitimant, aux yeux de l'opinion, une intervention armée hors des frontières. Est-ce parce que l'adhésion des nouveaux pays membres n'est pas encore bien intégrée par les opinions publiques des anciens pays ? Ou bien faut-il y lire la crainte de se laisser entraîner par les Etats-Unis dans des aventures hasardeuses au sein de l'OTAN ?

M. Edouard Lecerf a jugé les deux explications plausibles, sans que l'on puisse dire laquelle des deux est la principale. La question de la conception de la solidarité au sein de l'Europe à vingt-cinq est évidemment posée, mais il ne faut pas perdre de vue qu'un taux d'approbation de 65 %, quoique inférieur de beaucoup aux 96 % que recueille le principe d'une intervention humanitaire, reste un taux très élevé.

Le président Guy Teissier a remercié l'ensemble des participants et a estimé que l'enquête et ses commentaires fourniront une matière abondante aux travaux et à la réflexion de la Commission.

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