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COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 36

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mai 2006
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur,
président de la commission des affaires étrangères,
et de M. Guy Teissier, président de la commission de la défense

SOMMAIRE

 

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- Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la situation au Tchad


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Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la situation au Tchad.

La commission de la défense nationale et des forces armées, conjointement avec la commission des affaires étrangères, a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la situation au Tchad.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères, a remercié Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, d'avoir accepté de participer à cette audition, conjointe avec la Commission de la défense nationale et des forces armées, qui sera consacrée principalement à la situation au Tchad.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, a souhaité qu'au-delà des problèmes militaires, la ministre de la défense puisse aborder le contexte géostratégique dans lequel la France a été amenée à aider le président Idriss Deby et les évolutions possibles de l'après-crise.

Mme Michèle Alliot-Marie a observé que les élections organisées il y a une semaine auraient, à en croire des résultats non encore définitifs, donné la victoire au président sortant, M. Idriss Deby. Le calme dans lequel s'est déroulée cette consultation ne peut toutefois faire oublier une participation limitée - 50 % des électeurs - en raison des appels au boycott ; d'ores et déjà, certains opposants ont annoncé de nouvelles attaques.

Sur le plan politique, le Tchad est un pays fragile dont l'unité nationale reste difficile à construire. Depuis dix ans, et plus particulièrement depuis six mois, il est profondément déstabilisé par la situation au Darfour et ses implications interethniques, qui se sont traduites par un afflux de quelque 250 000 réfugiés.

S'étant rendue dans l'est du pays en août 2004 pour superviser l'opération humanitaire à laquelle contribuaient les forces françaises, la ministre de la défense a indiqué qu'elle avait pu mesurer les dangers économiques et sociaux, mais aussi politiques que ce drame faisait courir au Tchad. En décidant de ne pas soutenir la rébellion au Darfour, le président Idriss Deby a perdu ses soutiens traditionnels et des militaires appartenant à sa propre ethnie (Zaghawa) ont fait défection pour créer le Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie (SCUD). La situation s'est envenimée au point que certains Zaghawas ont tenté de l'éliminer physiquement en 2004 et sont à l'origine des troubles survenus dans l'est du pays depuis la fin 2005.

Pour ce qui est de la situation militaire, les différentes rébellions ont multiplié à partir d'octobre 2005, souvent depuis le Soudan, leurs attaques contre les forces nationales tchadiennes, mais aussi contre les populations civiles et les camps de réfugiés, régulièrement victimes de massacres. Les succès obtenus par les forces loyalistes en décembre 2005 puis en mars 2006 n'ont pas conduit les rebelles à renoncer à leurs actions, puisque plusieurs centaines d'entre eux ont pu arriver le 13 avril dernier aux portes de N'Djamena, certains venant du Soudan, d'autres s'infiltrant par la République centrafricaine. L'armée nationale tchadienne a finalement repris le contrôle de la capitale et de la frontière, au prix de centaines de morts et de blessés.

Mme Alliot-Marie a alors évoqué les trois raisons de la présence des forces françaises au Tchad.

- Il s'agit d'abord, comme dans plusieurs autres pays africains, d'y assurer la protection des ressortissants français, soit environ 1 400 personnes dont la moitié dans la capitale.

- Il en va ensuite du respect des engagements de la France. Notre pays a eu pendant longtemps avec le Tchad un accord de défense, remplacé en 1976 par un accord de coopération militaire, lequel dispose que la France apporte son concours en personnels pour l'organisation et l'instruction des forces armées tchadiennes. Sont également prévus la fourniture et l'entretien à titre gratuit ou onéreux de matériels et équipements militaires, ainsi qu'un soutien logistique. En revanche, et à la différence d'un accord de défense, les personnels français détachés ne peuvent en aucun cas participer directement à l'exécution d'opérations de guerre ni de maintien ou de rétablissement de l'ordre ou de la légalité.

- La présence française répond enfin à un souci de stabilisation du continent. Les forces stationnées au Tchad peuvent, au besoin, intervenir à l'extérieur. Or la menace qui pèse sur le Tchad met en danger sa stabilité et, partant, celle de toute la région, d'autant que des rivalités ethniques ressurgissent avec force depuis plusieurs années. Les ethnies étant souvent à cheval sur les frontières, toute crise interethnique dans un pays a des conséquences chez ses voisins ; et le Tchad est précisément au centre des luttes ethniques qui agitent tant le Darfour que la République centrafricaine ou la région des Grands Lacs. C'est la raison pour laquelle les Nations unies, l'Union africaine et l'Union européenne ont, avec la France, condamné toute tentative de prise du pouvoir par la force.

Ce triple souci se traduit par un soutien militaire ciblé. Durant les attaques de mars et d'avril, les forces françaises n'ont à aucun moment participé aux opérations menées par l'armée nationale tchadienne. Le tir de semonce d'un Mirage F1 le 12 avril n'avait pour but que de faire savoir aux colonnes rebelles que la France ne resterait pas indifférente au sort de ses ressortissants et qu'elle saurait au besoin les protéger. Dans ce même but, notre pays a renforcé son dispositif de deux compagnies d'infanterie et de moyens de renseignements, soit 500 hommes en complément des 1 000 habituellement présents. Une bonne partie d'entre eux est déjà repartie - vers le Gabon notamment.

Les forces françaises ont en revanche assuré plusieurs missions conformes à l'accord de coopération : évacuation de blessés tchadiens suite à l'écrasement d'un aéronef le 26 avril ; mission de transport aérien au profit du président Idriss Deby et de sa sécurité rapprochée ; soutien logistique en carburant et assistance au renseignement sous forme de photos aériennes ou d'interceptions de communications.

En conclusion, la ministre de la défense a insisté sur l'opportunité que doivent constituer les récentes élections d'engager un véritable dialogue politique avec la société civile et l'opposition légale, condition indispensable d'une réconciliation et du développement d'un pays qui en a besoin. On ne saurait oublier par ailleurs que la stabilité du Tchad est essentielle au règlement de la crise au Darfour, condition certes non suffisante, mais nécessaire. Enfin, la présence de ses unités au Tchad permettra à la France d'apporter au besoin un appui aérien aux forces appelées à restaurer la stabilité de la région, éventuellement à une future opération de l'ONU au Darfour, mais également à l'action que l'Union européenne doit mener à l'occasion des élections en République du Congo, étape majeure de la stabilisation de cette région sensible.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères, s'est interrogé sur les raisons de la perte d'influence et de l'affaiblissement de la place de la France en Afrique. Expliquant cette évolution par l'influence grandissante d'autres pays, le renforcement du sentiment nationaliste, particulièrement dans les jeunes générations, l'impossibilité pour la France à résoudre désormais seule les problèmes des pays avec lesquels elle a conservé des liens particuliers, il a demandé à la ministre si celle-ci partageait son analyse et quelles devraient être les priorités de notre politique de défense en Afrique.

Mme Michèle Alliot-Marie a estimé que l'influence d'un pays se mesurait selon plusieurs critères, à commencer par la présence économique. Or celle de la France en Afrique subsaharienne a reculé depuis une vingtaine d'années, même si elle reste importante. Il en est ainsi au Niger, mais également dans des pays africains producteurs de pétrole. On pourrait d'ailleurs se demander pourquoi notre pays s'est relativement moins préoccupé de cette ressource en Afrique qu'ailleurs. Sur le plan pétrolier, les Américains sont de fait beaucoup plus présents au Tchad que les Français.

Notre influence politique doit être appréciée à la façon dont notre présence est perçue par les populations, mais également à l'attitude des dirigeants. Qu'on le veuille ou non, la France demeure une référence pour les gens, en brousse comme en ville. Mais du côté des dirigeants politiques et économiques, la situation devient de plus en plus ambiguë dans la mesure où, si les anciens ont été très marqués par l'influence française, les nouvelles générations manifestent un désir croissant d'émancipation, se tournant notamment vers les Etats-Unis qui, par exemple dans le domaine universitaire, ont une politique plus dynamique que la nôtre.

Au reste, ces nouveaux dirigeants sont sans doute moins attirés par les Etats-Unis en tant que tels que par un pays susceptible, à leurs yeux, de contrarier le plus la France - on peut citer la Côte-d'Ivoire où, d'ailleurs, les Américains se sont abstenus de réagir aux sollicitations qui leur étaient adressées -, quand ils ne sont pas tentés de chercher dans leur identité nationale une raison de combattre la présence française. Certains semblent adopter des pratiques délibérément claniques et contraires à la conception française du fonctionnement d'un Etat moderne.

Un autre pays est de plus en plus présent en Afrique : la Chine. Si ses interventions restent pour l'heure d'ordre essentiellement économique - construction de barrages et d'équipements publics par exemple -, elle n'est à l'évidence pas sans visées politiques. La Chine veut trouver en Afrique des alliés qui, à terme, renforceront son poids politique international - ce qui explique qu'elle ne se tourne pas exclusivement vers les pays susceptibles de lui apporter des ressources énergétiques ou des matières premières.

Le monde bouge et il est normal que l'Afrique et les mentalités africaines évoluent. La France y a des liens très anciens, mais également des responsabilités ; elle ne saurait s'en désintéresser. Mais elle doit sans doute changer ses façons de faire et notamment ne plus agir seule. Elle a le devoir de continuer à aider l'Afrique à faire face à ses problèmes de stabilisation politique et de développement, mais elle n'en a pas seule les moyens. C'est l'Europe tout entière qui doit intervenir.

La ministre a précisé qu'elle avait en conséquence proposé à ses collègues européens en charge de la défense et des affaires étrangères d'élargir au niveau européen le concept RECAMP (Renforcement des capacités africaines au maintien de la paix), proposition acceptée et qui se concrétisera très rapidement par la présence d'officiers de plusieurs pays européens dans les états-majors afin d'accueillir dans les dépôts RECAMP les matériels que les pays européens pourraient mettre à disposition des Etats africains. L'Europe a elle-même intérêt à la stabilisation et au développement de l'Afrique. Ce continent peut lui fournir des ressources énergétiques qui s'avéreraient cruciales si une crise majeure survenait avec l'Iran par exemple. Et l'on aurait tort d'oublier, lorsque l'on débat du projet de loi sur l'immigration, que si les crises interethniques se multiplient, les populations ne se contenteront plus de migrer de quelques centaines de kilomètres : fuyant les génocides, démunies de tout, elles afflueront vers le premier continent qui leur offrira la certitude de ne pas être massacrées et de disposer d'un minimum de ressources, c'est-à-dire vers l'Europe. Il est déjà difficile de contenir quelques milliers d'immigrants clandestins ; ne pas aider l'Afrique à se stabiliser et à se développer, c'est s'exposer dans quelques années à l'immigration illégale de millions d'Africains des régions subsahéliennes.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, a indiqué qu'il avait pu constater lors de sa visite fin 2004 à un camp de réfugiés aux alentours d'Abéché, dans l'est du Tchad, la qualité du travail des ONG et surtout les excellentes relations qui, au fil du temps, s'étaient tissées entre elles et les militaires français. Il n'en reste pas moins que l'entassement de réfugiés, dans des conditions parfois très précaires, sur des terres où les ressources en eau et les pâturages sont déjà limités, crée de sérieux conflits avec les habitants, d'autant que cette semi-sédentarisation de populations autrefois nomades risque fort de les ancrer dans l'assistanat et l'inaction. Les jeunes gens qui vivent dans les camps peuvent aussi être amenés à s'enrôler dans des forces extrémistes dont la rhétorique est souvent calquée sur celle de Ben Laden : celui-ci n'a-t-il pas dernièrement parlé, à mots couverts, du Soudan et de la déstabilisation entamée de cette région ? Quelle appréciation porter sur l'action des ONG et le soutien que les militaires français doivent leur apporter ?

Mme Michèle Alliot-Marie a admis que ces camps représentaient de réels dangers pour les réfugiés eux-mêmes, la violence y prospérant du fait de la précarité, mais également le risque d'y voir s'y développer des foyers de recrutement pour les extrémistes. On l'a vu en Afghanistan où les camps pakistanais ont servi et servent encore de vivier à Al-Qaida et aux talibans. La plupart des grandes ONG ne souhaitent pas les voir se pérenniser au Tchad, particulièrement du côté d'Abéché où elles craignent la déstabilisation des populations voisines qui vivent dans des conditions encore plus difficiles que les réfugiés des camps, à tel point que bon nombre de ces derniers refusent de revenir dans leurs villages une fois la situation stabilisée.

Le soutien des forces françaises vise simplement à aider les ONG lorsque les moyens de celles-ci se révèlent insuffisants : ainsi en a-t-il été à l'été 2004, la saison des pluies empêchant leurs camions de ravitailler les camps. Au demeurant, ce soutien logistique d'urgence s'est limité à 688 tonnes de fret humanitaire, soit 90 rotations de C 160, pour l'essentiel entre le 31 juillet et le 11 septembre 2004. Les ONG savent qu'elles peuvent compter sur les forces françaises en cas de catastrophe majeure ; mais le reste du temps, c'est à elles de gérer leurs affaires.

M. Jean-Michel Boucheron s'est interrogé sur la présence notamment économique de nouveaux acteurs en Afrique, notamment de la Chine, en demandant si l'on trouvait trace de leur influence aux confins du Darfour.

Mme Michèle Alliot-Marie a confirmé que la présence de la Chine restait pour l'heure essentiellement d'ordre économique, même si elle cache sans doute d'autres ambitions. La présence américaine, veut s'inscrire - c'est sa motivation affichée - dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les Etats-Unis ont en conséquence installé une base à Djibouti, en face de la base française, mais se sont également engagés dans plusieurs autres pays au nom de la lutte contre le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) ou de la détection d'autres réseaux apparentés ou liés à Al-Qaida. Cette présence ne saurait être interprétée comme une volonté d'évincer notre pays : en témoigne d'ailleurs l'affectation d'ambassadeurs de très grande qualité, manifestant une volonté certaine de coordination avec les actions de la France, comme on a pu l'observer en Côte-d'Ivoire notamment.

Il convient aussi de mentionner la présence d'Israël, officielle ou officieuse, par le biais de certaines sociétés d'armement. En outre, les mercenaires biélorusses ou originaires d'autres Etats de l'ex-URSS sont nombreux. A défaut d'intervenir directement, ces pays ferment les yeux sur les agissements de leurs ressortissants, notamment en matière de fourniture de matériels.

M. Jacques Remiller a rappelé combien il était sensible, en sa qualité de président du groupe d'amitié France-Tchad, à l'évolution de la situation à N'Djamena, où il s'était rendu il y a quelques mois. Tout en partageant totalement l'analyse de la ministre, il a rappelé que les résultats de l'élection présidentielle du 3 mai dernier ne seraient pas connus avant quinze jours et a demandé si des observateurs internationaux y avaient participé et quel soutien la France avait pu apporter au déroulement du scrutin.

S'agissant de l'offensive du Front uni pour le changement menée sur N'Djamena le 13 avril, il s'est enquis des conséquences de cette opération pour la population. Plus globalement, il s'est inquiété à l'idée que la France pourrait se retrouver piégée dans un bourbier tchadien, à moins qu'elle ne trouve un moyen d'aider à trouver une issue à la crise humanitaire au Darfour. Il a enfin demandé quelles dispositions seraient prises pour protéger les quelque 1 000 à 1 500 expatriés français au Tchad si les événements de la terrible guerre civile de 1979 venaient à se répéter.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que les résultats de l'élection présidentielle seraient connus dès le 14 mai. Cinq candidats étaient en lice et la moitié à peu près des électeurs se sont rendus aux urnes, en présence de soixante observateurs internationaux. Aucune fraude massive n'a été relevée, tout au moins à ce jour.

L'offensive rebelle sur N'Djamena s'est effectuée par petits groupes de quelques véhicules - 70 véhicules au total -, sans réelle coordination. Les tirs entendus dans les faubourgs le 13 avril étaient plutôt le fait d'éléments isolés. On a compté 40 morts et 100 blessés dans les rangs de l'armée nationale tchadienne, les rebelles ayant de leur côté perdu 300 hommes, autant de blessés, plus 150 prisonniers. Les populations civiles semblent avoir assez peu souffert de l'opération proprement dite.

Sans être partie prenante dans cette affaire, la France souhaite participer à la stabilisation du Tchad en encourageant la reprise du dialogue, en tâchant de convaincre que la voie militaire n'est pas la solution et en agissant au plan international avec l'Union africaine, l'ONU, voire des pays qui tentent de faire pression sur les parties tchadiennes et sur le Soudan. Pour l'heure, il n'y a pas de risque de se faire piéger dans un « bourbier tchadien », mais seulement de voir le pays s'installer dans l'instabilité du fait de l'incapacité des personnels politiques à rassembler l'ensemble de la population. La sécurisation des expatriés est assurée par les forces françaises sur place - un millier d'hommes - et si nécessaire par les troupes prépositionnées au Gabon ou au Sénégal, qui pourraient intervenir très rapidement. Les plans de regroupement sur des zones permettant la sécurisation et le cas échéant l'évacuation des ressortissants français sont évidemment prêts et seraient mis en œuvre sous la direction de l'ambassadeur de France.

M. Gilbert Le Bris a remarqué que le Tchad jouait un rôle majeur dans le prépositionnement des forces aériennes et terrestres françaises ; ce qui justifie un suivi attentif de l'évolution de la situation. Il s'est demandé si les assaillants connaissaient réellement le rapport de force à N'Djamena. L'offensive rebelle ne résultait-elle pas pour l'essentiel d'intérêts croisés venant du Soudan ou d'ailleurs, chacun espérant une réciprocité en cas de victoire ? Le président Idriss Deby n'a-t-il pas de son côté cherché à impliquer les forces françaises, dont on peut supposer qu'elles lui ont sauvé - discrètement - la vie durant la nuit du 14 mars ? Enfin, les forces françaises stationnées à Abéché ont-elles été placées en alerte durant ces événements ?

Mme Michèle Alliot-Marie a confirmé que l'attaque sur N'Djamena semblait très mal coordonnée et que la journée du 13 avril ne correspondait pas au scénario imaginé par ses commanditaires : alors que les 70 véhicules étaient censés faire diversion pendant qu'une autre opération se serait déroulée dans l'est, il semblerait que cette colonne ait outrepassé les ordres en allant jusqu'à N'Djamena. Des rivalités interethniques sont venues ajouter à la confusion.

Il n'existe aucune preuve d'une implication directe du Soudan, tout au moins du gouvernement soudanais. Certains des pick-up utilisés avaient été volés à des ONG basées au Soudan ; les forces rebelles ont dû plutôt bénéficier de complicités locales ou régionales. Les ethnies étant à cheval sur la frontière, il est difficile de dire quelle était la nationalité réelle des intervenants. Il y a eu incontestablement des pressions sur le président soudanais, mais il n'existe à ce jour aucune preuve d'une implication directe de sa part.

Le président Idriss Deby n'a pas poussé la France à intervenir. Sentant rapidement que l'opération sur N'Djamena n'était qu'une diversion, il a délibérément laissé ses troupes massées à la frontière, décision qui, au départ, paraissait incompréhensible. Il s'est probablement produit le 14 mars une tentative de coup d'Etat, voire de destruction de son avion au moment de l'atterrissage. Peut-être la présence des forces françaises l'a-t-elle empêché d'aboutir. Quant aux forces basées à Abéché - 123 hommes au total -, elles n'ont pas été mises en alerte.

M. Jacques Myard s'est étonné que les ONG surveillent si mal leurs véhicules.

Mme Michèle Alliot-Marie a précisé que tous les pick-up en question n'avaient pas été volés aux ONG.

M. Jacques Myard a estimé que le Soudan était bel et bien impliqué dans cette affaire. Si le coup de semonce tiré par un avion français était officiellement censé rappeler que la France protégerait ses ressortissants, conformément à l'accord de coopération, il n'en reste pas moins que le Tchad est un pays pivot dont il est essentiel pour la France et l'Europe de préserver la stabilité. Il n'y a pas de honte à faire preuve de fermeté, si tel est l'intérêt de la France et de la communauté internationale et si cette politique évite des catastrophes par la suite.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères, a souligné que Mme la ministre avait précisément insisté sur la nécessité de la stabilisation politique du continent et l'on ne peut que partager cet objectif. Pour autant, le risque est permanent de voir l'intervention de la France, fût-elle demandée par des gouvernements légitimes, être interprétée comme une immixtion dans les affaires intérieures d'un pays - on l'a vu en Côte-d'Ivoire. La question qui se pose est de savoir comment éviter cet écueil.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, s'est interrogé sur la solidité de l'accord conclu entre le gouvernement soudanais et la rébellion au Darfour comme sur l'efficacité d'une intervention des Nations unies, à supposer qu'elle soit vraisemblable.

Mme Michèle Alliot-Marie n'a pas contesté la réalité d'une implication soudanaise au niveau local. La rébellion a certes volé des pick-up aux ONG, mais elle a également de l'argent. En Afrique, il est malheureusement possible d'utiliser des mercenaires, de bénéficier de différents trafics, de faire même appel à des entreprises qui proposent des révolutions ou des coups d'Etat « clés en mains ». Les enjeux sont donc extrêmement complexes.

Il n'est pas question d'avoir honte de l'action de la France, mais tout simplement d'admettre qu'elle ne peut et ne doit pas être le gendarme de l'Afrique. Elle n'en a pas les moyens et un tel engagement pourrait être contre-productif : il est nécessaire que les Africains s'impliquent dans ces efforts de stabilisation, comme commencent à le faire leurs forces, sous les ordres de l'Union africaine. Malheureusement, celle-ci n'a pas pour l'heure une autorité suffisante et les forces africaines manquent de moyens et de savoir-faire. C'est la raison pour laquelle la France leur apporte son soutien, à la demande des instances internationales. L'armée française n'intervient que dans le cadre de la légalité internationale, comme cela a été le cas au Tchad, de façon à ce que l'action de notre pays ne puisse être interprétée comme une ingérence. L'objectif n'est pas de gagner une bataille, mais de gagner la paix et la stabilité, et elle peut être plus efficacement assurée par la présence d'une majorité d'Africains dans les contingents de l'ONU.

L'accord signé à Abuja le 5 mai par le gouvernement soudanais et une partie de la rébellion prévoit un partage des richesses et du pouvoir ; reste à savoir s'il sera appliqué. L'Union européenne, explicitement mentionnée, doit participer aux côtés des Etats-Unis et des Nations unies à l'observation du cessez-le-feu.

La ministre de la défense a déclaré que sa position à l'égard des Nations unies était assez tranchée : les décisions de l'ONU manquent de fermeté et les mandats accordés à ses troupes sur le terrain les privent le plus souvent de toute efficacité. C'est ainsi que les événements de Bouaké en Côte-d'Ivoire s'expliquent avant tout par le fait que les militaires n'avaient pas le droit de faire feu. L'ONU devrait pouvoir adopter des résolutions suffisamment robustes, tel pourrait être d'ailleurs un des objectifs des réformes qui sont envisagées. En outre ses forces sont rarement à la hauteur de la tâche confiée : non seulement elles n'ont ni la formation ni l'équipement nécessaires, mais elles sont beaucoup trop éparpillées.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères, a parlé d'une « présence passive ».

M. Joël Hart a observé que bon nombre des accords signés par la France remontaient à fort longtemps et que l'ONU pouvait avoir des intérêts différents. Il peut donc y avoir une certaine incohérence entre les engagements auxquels notre pays a souscrit et le rôle qu'il se retrouve à jouer en Côte-d'Ivoire, par exemple, sous les auspices de l'ONU. La nouvelle donne internationale pourrait-elle amener à reconsidérer les accords signés entre la France et certains pays africains ?

Mme Michèle Alliot-Marie a fait valoir que, par l'intermédiaire de l'Union européenne, la France apporte désormais des moyens accrus, une dimension et des finalités nouvelles dans ses relations avec les pays africains, citant par exemple l'élargissement de RECAMP qui viendra soutenir l'effort de constitution d'une force de maintien de la paix en Afrique. Les pays concernés restent néanmoins attachés au lien bilatéral privilégié tissé sous forme d'accords de coopération prévoyant des actions plus précises, plus concrètes et surtout plus permanentes - comme la formation des officiers.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères, a enfin interrogé la ministre sur la situation en Afghanistan, les résultats obtenus et les perspectives futures.

Mme Michèle Alliot-Marie a précisé que la France intervenait en Afghanistan dans le cadre de trois types d'actions bien distincts. Premièrement, 650 militaires français contribuent, dans le cadre de la force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) et pour l'essentiel à Kaboul, à la consolidation des institutions et au maintien de la sécurité. Deuxièmement, des forces spéciales participent dans le sud à la lutte contre le terrorisme dans le cadre de Enduring Freedom. Troisièmement, les forces françaises participent, à côté des Américains, à la formation de l'armée nationale afghane, avec du reste d'excellents résultats. Dans le cadre de la régionalisation de la FIAS, la France en prendra, l'été prochain, le commandement dans la zone de Kaboul. Les effectifs seront à cette occasion renforcés à hauteur d'environ 350  hommes. Les Turcs prendront ensuite le relais, puis les Italiens.

La situation se caractérise par des zones où les tensions, très fortes, vont en s'accentuant, et d'autres plus calmes, mais encore très instables. Les zones de tension se retrouvent essentiellement dans le sud et l'est, où des attaques sont régulièrement menées contre les forces de la coalition avec des mines télécommandées, ou directement, notamment par les talibans, ou enfin, c'est une nouveauté, par le biais d'attentats suicides. Par ailleurs, la menace est redevenue permanente à Kaboul, où on compte aujourd'hui cinq à douze actions par semaine.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères, a souhaité des précisions sur les forces internationales présentes à Kaboul.

Mme Michèle Alliot-Marie a cité les Allemands, les Espagnols, les Turcs, les Belges, en plus des forces françaises. La sectorisation est de règle au niveau du pays ; dans Kaboul même, elle relève des décisions du commandement.

Dans toutes ces zones, les troupes sont soumises à un risque permanent. Les forces françaises ont déjà déploré plusieurs morts, tout comme les espagnoles, les italiennes, les britanniques et, tout récemment, les canadiennes.

Dans le reste du pays, la situation est plus calme, mais est marquée par le sous-développement économique, qui conduit à un accroissement notable de la culture et du trafic de drogue. Et le risque est grand d'une collusion croissante entre talibans, seigneurs de guerre et trafiquants, et donc d'un retour de l'instabilité si aucune mesure n'est prise pour assurer un réel développement économique.

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