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COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 42

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 septembre 2006
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la situation au Liban

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Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la situation au Liban.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la situation au Liban.

Le président Guy Teissier a souligné combien les événements au Liban avaient rappelé que la paix était un acquis fragile. Les parlementaires, jusqu'ici réduits au rôle de spectateurs dans cette affaire, aspirent à en devenir davantage acteurs et souhaitent recevoir les explications nécessaires, tant du point de vue militaire que politique. Compte tenu des enjeux et des risques, l'échec n'est pas permis.

Après avoir fait part de sa volonté de continuer à entretenir des relations suivies avec le Parlement, Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que notre pays avait un rôle particulier à jouer au Liban, qui connaît actuellement une crise majeure. Du fait notamment de son implication dans la FINUL depuis 1978, la France a très rapidement compris que les événements actuels étaient d'une nature et d'une intensité différentes des crises précédentes. Aussi, deux jours après le début des événements, a-t-elle décidé la mise en place, indépendamment de la FINUL, d'un premier dispositif militaire destiné à rapatrier les ressortissants français, mais également ceux d'autres pays. Une semaine plus tard, les navires français étaient au large de Beyrouth, avant tout le monde, la presse anglo-saxonne allant jusqu'à saluer cette réactivité - une fois n'est pas coutume. Quatre bâtiments de la marine nationale et plusieurs aéronefs, soit près de 1 700 militaires, ont ainsi été déployés. Plus de 14 000 personnes souhaitant quitter le Liban - dont 11 000 Français - ont été évacués par la France et les moyens militaires de l'opération Baliste ont assuré 58 % de ces évacuations. Tous ont manifesté leur reconnaissance pour la façon dont ils ont été accueillis, entourés et accompagnés. Parallèlement ont été assurées des missions d'escorte et de surveillance, des missions logistiques au profit de la FINUL, que la France aura été la seule à avoir ravitaillée durant les combats, et, enfin, des missions humanitaires, en apportant des médicaments et des rations alimentaires, ainsi que des stations d'épuration d'eau ou des groupes électrogènes pour pallier la destruction des équipements libanais. Au total, plus de 2000 tonnes de fret humanitaire et 25 000 rations de combats ont été livrées. Les bâtiments français resteront engagés pour ces missions humanitaires, en tout cas jusqu'à ce que d'autres forces rejoignent la FINUL.

Les moyens aériens ont également été sollicités, qu'il s'agisse des hélicoptères embarqués - deux évacuations sanitaires ont ainsi été effectuées au profit de la FINUL, dans des conditions assez délicates et sans l'autorisation d'Israël - ou des avions gros porteurs utilisés pour évacuer des personnes âgées ou malades.

L'adoption de la résolution 1701 du Conseil a permis la cessation des hostilités. Il s'agit d'un grand succès de la diplomatie française, ce qui peut du reste expliquer les remarques acerbes dans les médias de certains pays qui ont pu en prendre ombrage. Cette résolution prévoit notamment la création d'une zone d'exclusion de toute force armée dans le sud, hormis l'armée libanaise et la FINUL, le retrait de Tsahal au sud de la ligne bleue, le déploiement de 15 000 hommes de l'armée libanaise et le renforcement de la FINUL.

La ministre a fait observer qu'à l'heure actuelle, le cessez-le-feu est à peu près respecté. Si des manquements sérieux ont été remarqués au début - une pénétration de chars israéliens notamment -, on ne constate plus que quelques accrocs, sous la forme d'incursions terrestres ou aériennes sans conséquences majeures, mais qui n'en soulignent pas moins la nécessité de rester vigilant.

Le déploiement de l'armée libanaise, un temps suspendu à la suite de l'arrêt du retrait israélien, se poursuit lentement. Il faut non seulement attendre qu'Israël se retire complètement, mais aussi ménager un passage à l'armée libanaise, ce qui suppose de reconstruire les routes et les ponts détruits et d'assainir les zones minées. Pour l'heure, 2 500 militaires libanais sont déployés dans le sud, soit l'équivalent de trois brigades. Deux brigades ont également pris position le long de la frontière syrienne pour empêcher la contrebande, en particulier d'armes. Le mouvement devrait s'accélérer depuis que la France a envoyé quinze ponts Bailey, en cours de déploiement. Deux cents militaires du génie sont venus renforcer la FINUL immédiatement après le cessez-le-feu pour aider à les installer et à reconstruire les voies de circulation. De son côté, le Hezbollah semble confirmer son intention de ne pas perturber le déploiement de l'armée libanaise.

L'ONU a souhaité sensiblement renforcer les moyens de la FINUL, dont les effectifs pourraient passer de 2 500 à 15 000 hommes. Si la France a su immédiatement réagir, elle a aussi posé plusieurs conditions à l'envoi de contingents supplémentaires. Les interventions de l'ONU ne se traduisent pas toujours par une mise en œuvre exacte des résolutions : trop souvent les militaires sont envoyés avec des missions floues, sans disposer des moyens nécessaires pour les remplir ni même assurer leur propre protection. La France en a trop fait l'expérience, en ex-Yougoslavie, en Ituri ou en Côte-d'Ivoire notamment, pour accepter désormais d'envoyer ses hommes dans des missions sans réel contenu et sans assurances sur leur capacité d'action et leur sécurité.

Ces conditions portent d'abord sur la chaîne de commandement pour ne plus retrouver les interférences, les contradictions, voire les discordes qui, en Yougoslavie, avaient opposé le commandement militaire et le représentant civil du Secrétaire général des Nations Unies et fini par paralyser l'action des forces. Il faut une chaîne de commandement simple, sur le terrain et spécifiquement dédiée à cette opération ; or le Département des opérations de maintien de la paix de l'ONU compte une soixantaine d'officiers, qui suivent simultanément les dix-sept opérations onusiennes. La France a donc demandé et obtenu la mise en place d'une cellule spécifique, placée auprès de ce département, pour assurer la conduite des opérations. Encore faudra-t-il s'assurer que l'engagement pris sera intégralement tenu. L'officier général français, adjoint de l'officier général italien placé à la tête de la cellule, sera directeur des opérations.

La ministre a alors souligné que la France exigeait également des consignes explicites afin de savoir dans tous les cas de figure ce que ses forces seraient en droit de faire. Or si les règles d'engagement habituelles de l'ONU reconnaissent la légitime défense, elles proscrivent l'utilisation d'armes létales... Les Libanais, et quelques autres, ne souhaitant pas une force placée sous le chapitre VII, il a été décidé, après avoir envisagé un temps un mandat chapitre « VI bis », voire « VI et demi », inacceptable, de donner aux forces les moyens d'un mandat sous chapitre VII sans pour autant y faire référence.

Il fallait enfin des règles robustes pour que la FINUL puisse se déplacer librement, quitte à passer en force et à répondre à balles réelles ou par d'autres moyens. Les discussions se poursuivent à New York pour couvrir tous les cas de figure possibles ; les diplomates français ont reçu des consignes extrêmement précises afin de rester dans la ligne des assurances demandées.

Les effectifs français seront nombreux - 2 000 hommes s'ajoutant aux 400 militaires du génie déjà présents et aux 1 700 engagés dans l'opération Baliste -, mais il était indispensable de pouvoir compter sur la participation du plus grand nombre possible de pays européens, et, en raison même de la structure de la société libanaise, non européens et surtout musulmans. Un grand nombre de partenaires de l'Union européenne se sont engagés à participer à la FINUL. Grâce aux efforts déployés par le Président de la République, plusieurs pays maintiendront leurs contingents, y compris l'Inde, contrairement à ce que certaines informations laissaient entendre. Bon nombre de pays musulmans ont proposé un volume considérable de forces.

La ministre a précisé que, dès l'obtention des garanties demandées, le Président de la République avait décidé de l'envoi de deux bataillons. Le premier, fort de 900 hommes, est en cours de mise en place. Un détachement précurseur de 60 hommes a été envoyé au Liban dès le 2 septembre. Ce bataillon est composé de deux compagnies d'infanterie mécanisée avec véhicules de transport de troupes, d'un escadron de 13 chars Leclerc, d'un groupement d'artillerie avec quatre canons de 155 mm, accompagnés d'un radar de trajectographie COBRA et d'une section antiaérienne dotée de missile sol-air à très courte portée Mistral. Les chars Leclerc embarquent aujourd'hui même. Ces équipements arriveront à Beyrouth les 10 et 12 septembre et les personnels entre le 11 et le 14. Ils y resteront le temps de repeindre leurs véhicules en blanc, comme le veut la règle. La zone dans lequel le premier bataillon sera déployé n'est pas encore établie. L'organisation, la date et les modalités de mise en place du deuxième bataillon dépendront de la répartition des missions au sein de la FINUL, afin de permettre la meilleure adéquation entre les missions et les qualifications.

Le président Guy Teissier a exprimé ses craintes, probablement partagées, quant au rôle et à la faiblesse des combattants de l'ONU. La valeur militaire de certains contingents de casques bleus engagés tant au Congo qu'en Haïti ou au Darfour est parfois plus que discutable, au point que l'on peut se demander si certains pays n'y envoient pas des troupes dans le seul but d'améliorer la situation matérielle de leurs soldats. On ne peut qu'approuver les conditions posées par le Président de la République à l'engagement de la France - une chaîne de commandement raccourcie, des règles robustes tranchant avec les visions humiliantes de colonnes de chars en ex-Yougoslavie bloquées par un partisan dépenaillé et piètrement armé, ou de ces jeunes soldats menottés sur des ponts. Encore faut-il espérer qu'elles seront appliquées et surtout connaître l'état d'esprit d'autres contingents, dont l'ensemble apparaît très hétéroclite, face à une mission plus énergique que par le passé. On sait que les Indiens envisageaient bel et bien de quitter le théâtre d'opération en apprenant qu'ils pourraient avoir à ouvrir le feu. Ils se sont heureusement ravisés, mais qu'en est-il d'autres pays ?

Il a par ailleurs jugé préoccupante la disparité des positions des vingt-cinq Etats membres de l'Union européenne à propos de la crise libanaise. Ne marque-t-elle pas les limites de l'Europe de la défense, tant qu'une véritable stratégie commune en la matière n'aura pas été explicitement formulée ? Chaque pays en reste à définir sa propre stratégie, sans harmonisation ni chef d'orchestre.

Mme Michèle Alliot-Marie a précisé qu'il valait évidemment mieux avoir affaire à des pays apportant des contingents correctement armés et en nombre suffisant plutôt qu'à un patchwork d'unités minuscules, et souligné l'importance de la contribution de l'Italie, de l'Espagne, de l'Allemagne, une fois réglée la question de l'autorisation parlementaire d'envoi de ses forces, de la Belgique ou de la Suède. Ces pays sont attentifs aux risques de cette mission et aux conditions dans lesquelles leurs hommes seront déployés. Tous se sont ralliés aux conditions posées par la France et ont exigé des garanties.

Pour ce qui est des autres États, dont les unités seront du reste sous commandement italien ou français, non seulement on ne peut leur reprocher un manque d'expérience militaire réelle, mais ils ont apporté des contingents assez cohérents : ainsi le Bengladesh enverra, si Israël l'accepte, deux bataillons mécanisés, soit 1 600 hommes, l'Indonésie un bataillon mécanisé, soit 900 hommes, la Malaisie un bataillon mécanisé de 1 000 hommes et le Népal un bataillon mécanisé de 850 hommes. Ils ne peuvent se prévaloir de l'expérience des armées européennes, mais il ne s'agit pas pour autant de petits groupes de cinquante ou cent hommes, incapables de travailler ensemble. Il sera possible de leur attribuer des missions proportionnées à leurs capacités. La structure même de la force ainsi déployée offrira des garanties supplémentaires.

La ministre a par ailleurs estimé proches les positions des différents pays européens, hormis celle du Royaume-Uni qui a suivi les Etats-Unis, qui eux-mêmes suivaient Israël, qui refusait le cessez-le-feu. Le problème, connu, n'est pas tant celui des limites de l'Europe de la défense que celui des limites de l'Europe des affaires étrangères. Du côté des militaires, l'harmonisation et le travail en commun des forces ne pose aucun problème. La construction de l'Europe de la défense précède largement celle des affaires étrangères. Cela dit, par comparaison avec l'éclatement des positions constaté au début des crises yougoslaves, force est de reconnaître que l'Europe fait preuve aujourd'hui d'une réelle unité sur nombre de théâtres extérieurs et l'opération actuellement menée fait l'unanimité. Peut-être, à partir de la nécessité désormais ressentie de telles opérations, sera-t-il possible de montrer aux pays européens qu'ils ont des intérêts communs, parfois distincts de ceux de certains de leurs alliés, et du coup leur faire admettre la nécessité d'une politique des affaires étrangères commune.

Le président Guy Teissier s'est toutefois demandé si le bataillon suédois, ou plus exactement nordique, entrera dans cette logique et acceptera d'ouvrir le feu si besoin est.

Mme Michèle Alliot-Marie a assuré que la position des Suédois avait beaucoup évolué ces derniers temps et que son homologue approuvait totalement la nécessité de confier un mandat robuste aux forces engagées.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité savoir si la FINUL utiliserait vraiment la force pour s'opposer à une intervention israélienne.

Il a ensuite observé que pour trois des principaux théâtres d'opérations extérieures, l'Afghanistan, la Côte-d'Ivoire et le Liban, où sont mobilisés plusieurs milliers de soldats français, personne ne saurait affirmer que la situation politique sera réglée dans les cinq années à venir, alors qu'au Kosovo le processus politique paraît assez solide et aller dans le bon sens. Se pose dès lors la question de la durée de la présence de nos soldats dans les trois zones en question, et du coup celles des effectifs nécessaires, de l'usure des matériels et des surcoûts budgétaires. Tôt ou tard il faudra mettre au point une grille de hiérarchisation des opérations extérieures, afin de déterminer où les forces françaises doivent absolument aller et où il faut se résoudre à ne pas intervenir. Quel est l'état des réflexions sur ce sujet, à l'évidence indispensables ?

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que, si un belligérant intervenait, la FINUL, en soutien de l'armée libanaise, était autorisée à ouvrir le feu. C'est précisément le but de cette force dissuasive, assortie d'un mandat robuste, et chacun doit le savoir. Certes, il y aura des tentations et tous les cas de figure doivent être envisagés, à commencer par les violations de l'espace aérien, encore non traitées. Si l'ONUCI avait eu le droit de tirer en Côte-d'Ivoire, les avions du Président Gbagbo ne seraient pas venus bombarder Bouaké ou auraient été abattus, et neuf familles françaises auraient encore leur garçon. Il n'est pas question de répéter cette expérience.

La ministre a estimé que les trois opérations citées correspondaient à des situations très différentes. Le mandat des forces stationnées en Côte-d'Ivoire a un terme : l'élection présidentielle. Le problème vient du fait que l'ONU n'a pas été en mesure de l'organiser à la date prévue, le président Gbagbo faisant tout pour qu'elle se déroule sur la base des anciennes listes électorales. Tant que l'ONU n'aura pas pris de sanction, cette situation, et du coup l'incertitude et les violences, perdureront. Pour ce qui est du Liban, la résolution est valable un an. En Afghanistan, la France agit dans le cadre d'une triple mission : une première mission de lutte contre le terrorisme, déclenchée immédiatement après le 11 septembre 2001, dans laquelle sont impliquées les forces spéciales, lesquelles ont connu des pertes sensibles au cours des derniers mois. Une opération d'envergure lancée très récemment dans le Sud a permis d'éliminer 200 talibans. Une fois qu'elle sera achevée, il conviendra de s'interroger sur la nécessité de maintenir la participation française à son niveau actuel. Vient ensuite l'intervention dans le cadre de la force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), dont la France assume le commandement de la zone de Kaboul jusqu'à mars prochain. Après cette date, la participation française devrait sensiblement diminuer. Vient enfin la mission de formation de l'armée afghane qui, si elle mobilise moins d'hommes, est particulièrement appréciée par le gouvernement afghan.

Sans doute la France pourrait-elle, en plus du Liban, assurer une ou deux petites missions en cas de besoin urgent, mais pas davantage, sous peine de devoir réduire les contingents affectés ailleurs. Plus de 14 000 hommes sont mobilisés en opérations extérieures (OPEX), hors forces prépositionnées, et leur relève est assurée, chose impossible avant la professionnalisation. La France est un des rares pays au monde à pouvoir assumer une telle présence internationale au service de la paix dans le monde. Il reste que de nombreuses crises ne sont pas résolues et ne font pas l'objet d'interventions. Il ne peut sur ce sujet y avoir de rivalité entre l'OTAN et l'Union européenne, mais seulement une complémentarité, pour une bonne et simple raison : il y a trop de conflits à régler dans le monde et ceux qui s'amorcent témoignent d'une réelle incapacité mondiale à les traiter, avec des conséquences qui seront tout à la fois locales - génocides, massacres - et mondiales - approvisionnement en matières premières ou énergétiques, afflux d'immigrants illégaux vers des zones de stabilité et de paix à terme de moins en moins nombreuses. Dès lors, il est totalement irresponsable pour certains pays européens de laisser leurs budgets de défense en dessous de 1 %. Il serait tout aussi irresponsable pour la France de ne pas maintenir l'effort engagé depuis quatre ans dans les années à venir.

M. René Galy-Dejean a souligné que le Président de la République était à l'origine de la notion d'opérations exceptionnelles, s'ajoutant aux financements eux-mêmes exceptionnels des OPEX. Il a demandé si cette notion s'était déjà appliquée aux OPEX et si l'intervention au Liban, dont tout laisse à penser qu'elle sera coûteuse, pouvait prétendre à cette qualification. Quel en sera le coût final et le mode de financement ?

Mme Michèle Alliot-Marie a souligné que, grâce au soutien des parlementaires, le financement des OPEX avait été progressivement pris en compte en loi de finances initiale, afin de ne pas obérer les investissements comme c'était le cas auparavant. Une ligne budgétaire spécifique permet d'ores et déjà un financement conséquent, repoussant d'autant le recours à un décret d'avance. C'est dans ce cadre que se déroulera l'intervention au Liban, qui devrait coûter environ 120 millions d'euros, soit 50 millions pour l'opération Baliste et 70 millions d'euros pour l'engagement dans le cadre de la FINUL, pour lequel les règles de l'ONU laissent espérer un remboursement très partiel, de l'ordre de 10 à 20 millions d'euros.

La France s'est retrouvée la première sur les lieux, les Allemands étant contraints d'attendre l'autorisation de leur Parlement. Cette contrainte fait que non seulement leurs forces n'arrivent jamais les premières, mais aussi qu'elles sont soumises à des restrictions d'emploi très strictes avec des conséquences sur l'activité opérationnelle.

M. Jean-Claude Viollet, reconnaissant la nécessité de préciser les règles d'engagement des forces françaises, s'est inquiété de l'attitude du Hezbollah. Celle de la Syrie et de l'Iran dans cette affaire étant également loin d'être neutre, et de surcroît dictée par des considérations diverses : dossier nucléaire, d'une part, enquête sur la mort de Rafik Hariri, d'autre part. Le désarmement du Hezbollah, source de troubles potentiels, n'est pas du ressort de la FINUL. Or, les incertitudes sont grandes quant à la volonté réelle du côté libanais d'assurer le désarmement de cette milice. Quel sera le comportement de la FINUL face à un Hezbollah non désarmé, autrement dit face à une résolution non appliquée ? Et comment empêcher son réarmement une fois le blocus levé ? La France pourrait participer au contrôle des eaux territoriales en cas de levée de l'embargo. Le rôle des forces engagées dans Baliste, pas forcément adaptées à une opération de ce genre, pourrait, sans doute, être redéfini.

Mme Michèle Alliot-Marie a estimé que l'attitude de l'Iran et de la Syrie dans cette affaire était dictée par des considérations autrement plus larges que les seuls problèmes du nucléaire ou de l'enquête sur l'assassinat de Rafik Hariri. Le désarmement du Hezbollah est un problème de souveraineté intérieure du Liban et la FINUL n'a en aucun cas à y participer. On ne peut parler d'un État souverain lorsqu'une milice détient le monopole de la force armée sur une partie du territoire. C'est tout l'enjeu du déploiement de l'armée libanaise dans le Sud, d'où elle était absente depuis quarante ans. Lorsque les forces de la FINUL trouvent une cache d'armes du Hezbollah, elles préviennent l'armée libanaise. Au demeurant, celui-ci fait pour l'instant preuve d'une attitude plutôt responsable vis-à-vis de la FINUL, pour des raisons d'abord liées aux prochaines élections.

Les Israéliens ont indiqué qu'ils ne lèveraient le blocus que lorsqu'une force internationale sera capable d'assurer la surveillance du trafic maritime. Conscient de la nécessité de le lever le plus rapidement possible, ne serait-ce que pour permettre au Liban de se reconstruire, le Secrétaire général des Nations Unies a demandé à l'Italie et la France de s'en charger, en attendant le déploiement des Allemands. Une des frégates de la marine nationale déjà sur place est apte à cette tâche. Le blocus devrait ainsi être levé assez rapidement.

M. Yves Fromion a estimé que l'on ne pouvait écarter le risque d'un possible débordement et l'hypothèse d'une confrontation entre Français et Israéliens. A-t-on bien pesé l'importance de ce renversement historique des relations entre les deux pays et les réactions d'une certaine partie de l'opinion ?

Mme Michèle Alliot-Marie a répondu que le risque d'une attaque israélienne face à une force aussi dissuasive était bien improbable. D'où la nécessité d'une force conséquente, lourdement armée, pourvue d'un mandat robuste et autorisée à ouvrir le feu en cas de besoin, que l'on hésitera à provoquer.

M. Hugues Martin s'est enquis de la composition de l'armée libanaise, de son équipement, de sa fiabilité et de sa mission.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué que l'armée libanaise, forte de près de 70 000 hommes, restait très largement sous-équipée et insuffisamment formée. Sa composition de surcroît est très hétéroclite, dans la mesure où bon nombre de ses cadres sont chrétiens ou sunnites et les hommes de troupes majoritairement chiites ; ce qui conduit à ne déployer dans le Sud que la partie « contrôlée » de l'armée et explique pour partie la lenteur de cette mise en place. Dès février, des contacts avaient été pris avec le ministre libanais de la défense, conscient de la faiblesse de ses forces et soucieux de renouer des liens historiques entre les deux armées. Plusieurs opérations avaient été envisagées afin de remettre les forces libanaises en état de répondre à leurs missions. Des missions d'audit sur le parc de véhicules de l'avant blindé, d'automitrailleuses légères et d'hélicoptères avaient permis de poser un diagnostic sur ces équipements, dont une bonne partie a été détruite cet été. Il pourrait être possible à certains pays de céder aux Libanais des matériels anciens, auxquels ils sont déjà formés. La question est étudiée par la Belgique, de même que par les Émirats arabes unis et l'Arabie Saoudite. La France a déjà cédé certains équipements, en cours d'acheminement, et proposé des équipements de transmission. Du côté des personnels, une mission de formation des personnels de maintenance avait été lancée avant la crise. Le principe d'une commission mixte destinée à réorganiser l'armée libanaise avait été envisagé : une première réunion devrait avoir lieu en octobre à Beyrouth. Enfin, un accord de coopération était en cours de discussion - interrompue cet été - sur les aspects techniques et l'entraînement de l'armée libanaise. Le fait que tout ce travail ait été commencé avant la crise devrait accélérer les choses.

M. Jean Michel, après avoir observé que la première mission de la France dans cette région du monde lui avait été confiée par la Société des Nations, a regretté que les membres de la commission de la défense soient restés depuis juillet simples spectateurs de cette affaire.

Mme Michèle Alliot-Marie a indiqué qu'elle avait été à la disposition de l'Assemblée nationale à plusieurs reprises en août.

M. Jean Michel l'en a remerciée, en observant toutefois que le Parlement allemand est autrement plus impliqué. L'action de la France pour faire aboutir la résolution 1701 a été déterminante - quand bien même le ministre des affaires étrangères a cru utile de saluer le « rôle stabilisateur » de l'Iran. Il y avait tout lieu d'être fier du succès de cette résolution, jusqu'à ce que la presse anglo-saxonne, sans doute un peu vexée, annonce, sur un ton moqueur, que la France n'enverrait pas plus de 200 soldats. Pourquoi notre pays n'a-t-il pas tenu à prendre la tête de la FINUL et à assumer une fonction qui, historiquement, lui revenait ? Depuis 1967, la France est toujours restée fidèle à une politique d'équilibre dans cette région. Entendait-elle ne pas se mettre en première ligne pour éviter les foudres tant des chiites que de forces qui se sont manifestées depuis ? Pourquoi la France n'assurera-t-elle pas le commandement de la FINUL au-delà du début de 2007 ?

Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que, dès le surlendemain du vote de la résolution de l'ONU, elle avait elle-même annoncé publiquement, d'une part, l'envoi immédiat de 200 hommes supplémentaires et, d'autre part, que la France était prête à continuer à assumer le commandement de la FINUL élargie, en assortissant sa participation d'une série de conditions. La presse anglo-saxonne s'est alors répandue en commentaires des plus désagréables, au point que la ministre elle-même a rappelé à CNN et plusieurs journaux d'outre-atlantique que les pays anglo-saxons, qui n'ont jamais envoyé pour tout contingent que cinq Irlandais et se sont refusés à mettre un soldat de plus dans la FINUL, étaient mal placés pour critiquer ceux qui en assuraient le commandement et l'avaient immédiatement renforcée - et ravitaillée durant le conflit, ce que n'ont fait ni les Américains ni les Britanniques. Cette mise au point a fait quelque bruit, mais elle s'imposait. Sans doute ces pays étaient-ils un peu vexés de ne pas jouer le premier rôle, et peut-être aussi désireux de faire oublier que leur hostilité à l'arrêt des combats avait retardé le cessez-le-feu et provoqué entre-temps des centaines de victimes.

M. Jean-Yves Hugon a tenu à assurer la ministre de la disponibilité de l'aéroport Marcel-Dassault de Chateauroux-Déols, qui assure d'ores et déjà une liaison bihebdomadaire avec l'Afghanistan et accueille les retours d'opérations extérieures à la satisfaction générale. Ses infrastructures et son savoir-faire restent à la disposition des armées.

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