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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Mardi 24 octobre 2006

Séance de 18h

Compte rendu n° 9

Présidence de M. Guy Teissier, président

 

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– Audition de M. François Lureau, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2007


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Audition de M. François Lureau, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2007

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. François Lureau, délégué général pour l’armement, sur le projet de loi de finances pour 2007 (n° 3341).

M. François Lureau, délégué général pour l’armement, a rappelé que le budget de la défense s’élevait à plus de 45 milliards d’euros. Sur les 15 milliards du périmètre de la loi de programmation militaire (LPM), les crédits relevant de l'action de la DGA se décomposent principalement et grosso modo en 10 milliards pour le programme 146, « équipement des forces » et 1 milliard pour le programme 144, « environnement et prospective de la défense ».

Le programme 144 est piloté par le directeur des affaires stratégiques (DAS). La partie intéressant la délégation générale pour l’armement (DGA) comprend principalement deux volets : la préparation de l’avenir et le soutien aux exportations. Composante majeure de la préparation de l’avenir, la recherche et technologie (R & T) voit ses crédits atteindre 1,4 milliard d’euros, dont 700 millions contractualisés dans l’industrie. Ce montant, attendu en ce qui concerne les prises de commandes de 2006, sera reconduit pour 2007. Quant au niveau des crédits de paiement (CP), il est passé de 447 millions d’euros en 2004 à 638 millions en 2007, soit une augmentation de près de moitié.

Les principaux axes d’effort en matière de R & T portent sur la dissuasion et l’espace, la protection contre les risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), le renseignement, la frappe dans la profondeur, la guerre en réseau et les systèmes aériens futurs (notamment drones et hélicoptères, avec le démonstrateur Hector).

Le niveau de la R & T est mesuré par un indicateur, le taux de progression des capacités technologiques. Il s’élèvera à 47 % en 2006, avec un objectif de 58 % pour 2008. Cette appréciation mérite d’être mieux étayée, c’est pourquoi il est prévu, en 2007, de reconfigurer les instruments de mesure et d’opérer une comparaison avec les Britanniques.

L’objectif de parvenir à terme à 1 milliard d’euros de R & T contractualisée à l’industrie semble raisonnable, avec 15 % d’études amont, 35 % pour les démonstrateurs et 50 % d’études diverses. Le montant actuel, 700 millions, est équivalent à la dotation de l’Agence nationale de la recherche, démontrant ainsi que la défense investit massivement dans la recherche.

Il a ensuite indiqué que le programme 191, consacré à la recherche duale, se chiffre à 200 millions, somme investie dans le Centre national d’études spatiales (CNES) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour respectivement 165 millions et 35 millions. La DGA a désormais acquis une influence véritable sur l’orientation de l’utilisation de ces crédits alors qu’ils correspondaient presque, il y a encore trois ans, à une cotisation.

Les exportations d’armements français, qui relèvent du programme 144, se sont nettement développées par rapport à 2005 et surtout 2004. Elles devraient, en 2006, excéder 5 milliards d’euros et, pour l’avenir, les perspectives de contrats sont nombreuses, en particulier dans le domaine aéronautique – missiles, hélicoptères, avions de combat, de transport ou ravitailleurs.

La France a ainsi réussi une percée remarquable en Australie avec ses hélicoptères, qui obtiennent aussi des succès aux États-Unis, en Corée du Sud et en Bulgarie.

M. François Lureau a fait valoir que la vente du Rafale constitue un élément clé du succès de la France à l’exportation dans la mesure où des valeurs considérables sont en jeu. Les performances à l’exportation dépendront particulièrement de l’efficacité du travail collectif des grands industriels concernés : Dassault, Safran, Thales et MBDA. En tout état de cause, le nombre de cent appareils vendus devrait être dépassé. Un soutien très efficace de l’État est nécessaire, avec des facilités pour mettre à disposition plus rapidement tel ou tel matériel, ou encore la mise en œuvre d’une organisation industrielle astucieuse, avec des cautions et des possibilités d’adaptation pour le marché export. Tout ne se résume pas au Rafale mais, dans tous les cas de figure, le secteur aéronautique représentera 50 à 70 % des exportations françaises, missiles compris

Dans le domaine naval, les frégates multimissions (FREMM) sont appelées à un grand succès, notamment dans leur future version antiaérienne. La Grèce vient ainsi de manifester son intérêt pour l’acquisition de six frégates. De même, en matière de sous-marins conventionnels, DCN propose des produits attractifs, même si le marché reste restreint.

Dans le domaine terrestre, les opportunités sont plus réduites. Au-delà du Caesar, qui est un bon produit, le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI) doit encore faire ses preuves, même s’il suscite déjà beaucoup d’attention. Les forces doivent désormais être protégées et un véhicule de transport de troupes lourd, conçu pour résister à des attaques sévères, serait porteur tant les menaces sont désormais multiformes. Le besoin accru de protection des forces sur les théâtres d’opération induit du reste des nouveaux compromis par rapport au char Leclerc, en matière de mobilité ou de puissance de feu.

Pour donner suite au rapport de M. Yves Fromion, la DGA a été chargée, au sein du ministère de la défense, des réflexions relatives au soutien aux exportations ; elle défend l’idée qu’un plan stratégique d’exportation est nécessaire. Ce plan devrait être avalisé par la plus haute autorité politique du pays. Une fois la décision prise, il resterait à la mettre en œuvre et le ministère de la défense en aurait la responsabilité. Dans cette perspective, la DGA est prête, dès le début 2007, à proposer ce plan stratégique et des plans d’action précis.

Il a observé que l’exécution de la loi de programmation militaire a été conforme aux prévisions, sans aucun à-coup pour le programme 146. Son suivi régulier est assuré notamment par deux indicateurs de la loi organique relative aux lois de finances : le respect des devis et celui des délais. Le premier est actuellement excellent, meilleur même que pour les programmes civils, mais, sur ces projets très difficiles, un problème technique majeur reste toujours possible. En ce qui concerne le second – mesuré par les jalons intermédiaires et la date de mise en service –, les résultats sont moins bons mais en amélioration. Les dérives sont pour partie imputables à des raisons financières et les retards bien connus sur certains programmes sont progressivement résorbés.

Le programme 146 peut souffrir des mesures de régulation financière, en fonction notamment des normes de dépense, c’est pourquoi une mise en réserve de 5 % du total est prévue dès le début de l’exercice. Ainsi, certains engagements ne seront pas possibles en 2006 et se verront reportés en 2007. Néanmoins, d’après les prévisions actuelles, la gestion 2006 du programme 146 est parfaitement équilibrée même si, pour des raisons techniques, il portera la grande majorité du report de charge de la mission défense.

M. François Lureau a conclu en notant les progrès dans les relations avec les industriels. Deux grandes négociations ont eu lieu en 2006 : l’une relative au programme Barracuda, dont le marché devrait être notifié d’ici la fin de l’année 2006, l’autre relative au programme de missiles de croisière navals, dont le marché devrait être notifié début 2007.

Le président Guy Teissier a insisté sur la gravité des retards accumulés pour la livraison d’équipements majeurs comme le NH 90, le Tigre ou le Rafale, programmes emblématiques et essentiels pour l’aéromobilité des forces. Comment faire en sorte de réduire ces retards ?

Par ailleurs, il s’est montré surpris de l’enthousiasme du DGA à propos du Rafale et du VBCI. Ce dernier est très concurrencé en Europe, les autres pays producteurs proposant des coûts inférieurs. Dans ces conditions, comment afficher un tel optimisme ?

M. François Lureau a répondu que les prévisions de livraisons pour 2006 seraient globalement respectées. Disposer d’hélicoptères ou d’avions de transport logistique est impératif mais ce choix capacitaire dépend des moyens financiers : à volume financier donné, il faut donc procéder à des arbitrages. En ce qui concerne le NH 90, l’échelonnement en douze commandes en 2007 et vingt-deux en 2008 a été décidé pour des strictes raisons de technique financière. Mais cela ne change rien aux conditions financières du contrat qui demeure basé sur un total de trente-quatre appareils, ni à la date de livraison, prévue pour 2011.

Le président Guy Teissier a indiqué que M. Louis Gallois, devant la commission, n’avait pas tenu exactement le même langage : d’après lui, il semblerait que les conditions financières dépendent du nombre en commandes.

M. François Lureau a répondu que la négociation était basée sur le prix de trente-quatre commandes et que trente-quatre appareils seraient achetés. En vertu du code des marchés publics, l’État a certes toujours le droit d’arrêter un contrat, aussi ferme soit-il, mais les négociations avec l’industriel s’en trouveraient compliquées et l’Etat se pénaliserait lui-même au plan financier.

Après avoir observé, qu’avec la LOLF et la constitution du programme 144, le suivi de l’effort d’exportation pouvait être beaucoup mieux apprécié, M. Yves Fromion a posé les questions suivantes :

- Est-il possible de mettre en cohérence les méthodes de la recherche prospective française avec la pratique de l’Agence européenne de défense (AED), particulièrement en ce qui concerne la procédure long term vision (LTV) utilisée par celle-ci ?

- Les projets de drones ne semblent pas avancer harmonieusement. Qu’en pense la DGA ?

- En projection, un risque de décalage existe entre les difficultés d’emploi du Leclerc et les besoins réels. Dans la mesure où la doctrine française consiste à escorter les transports de troupes, il sera difficile de les accompagner avec des porteurs d’armes suffisamment puissants. Par conséquent, ne conviendrait-il pas d’accélérer la recherche et la programmation sur le blindé à roue destiné à remplacer l’AMX 10 RC, aujourd’hui vétuste ?

- Maintenant que GIAT Industries s’est redressée, comment faire en sorte de conforter sa situation ? Particulièrement, au sujet de GIAT Luchaire, les commandes de munition prévues dans le plan d’entreprise seront-elles honorées ?

M. François Lureau lui a apporté les réponses suivantes :

- Les commandes de munitions seront honorées.

- L’avenir de GIAT Industries, ou, plus précisément, Nexter, se situe dans des partenariats internationaux, de préférence européens. Il revient à la direction de cette entreprise de les activer, en particulier avec les sociétés allemandes et italiennes compétentes.

- Le travail de long term vision effectué par l’AED, qui est proche du plan prospectif à 30 ans, constitue une bonne base, qui doit être développée en association avec l’état-major de l’Union européenne.

- Trois programmes de drones sont en cours. Premièrement, le système de drone tactique intérimaire (SDTI), après quelques vicissitudes, tend à s’améliorer, en dépit de la complexité des problèmes logistiques. Deuxièmement, le système intérimaire de drone MALE (SIDM) a rencontré des difficultés techniques sérieuses, désormais résolues comme en attestent les essais en vol en cours à la DGA, et doit être livré au centre d’expérimentation de l’armée de l’air de Mont-de-Marsan début 2007. Restera ensuite à construire un programme européen de drones de moyenne altitude longue endurance (MALE), avec l’Allemagne et l’Espagne. Troisièmement, le drone de renseignement au contact (DRAC), version plus légère, est en cours de développement et devrait être livré en 2007.

- Le programme de rénovation des 256 AMX 10 RC a pris du retard. Le besoin se fait sentir, en France comme en Grande-Bretagne, d’un engin blindé moyen, moins lourd que le Leclerc tout en étant doté d’une puissance de feu raisonnable. Les Britanniques ont retenu le concept de Future Rapid Effect System (FRES), combinaison de plusieurs solutions. La France devra adopter la même approche, en coopération européenne – l’Agence européenne de défense a commencé à se pencher sur le sujet, constatant que vingt-trois programmes similaires étaient conduits simultanément sur le continent.

M. Michel Voisin a déploré que les petits fabricants, dans les domaines de l’armement et de la sécurité civile, se heurtent à des difficultés considérables liées aux procédures d’autorisation d’exportation. Contraints à passer par la DAS, la DGA et la cellule entreprises du ministère de la défense, ils manquent de nombreux contrats, très souvent pour des problèmes de composants.

M. Joël Hart a fait part de son inquiétude à propos du NH 90. Comment assurer la continuité avec les Cougar et les Puma ? Sur tous les théâtres d’opération où la France intervient, l’hélicoptère est le maître du terrain. Le ministère prend-il les observations des élus à ce propos ? Les engagements relatifs au deuxième porte-avions, aux FREMM ou aux Rafale impliqueront des investissements considérables et les équipements plus classiques de l’armée de terre risquent d’en pâtir.

M. François Lureau a répété que la commande de trente-quatre appareils NH90 serait respectée. En attendant, les Cougar seront rénovés. Sans doute serait-il préférable de produire davantage et plus tôt mais l’aspect financier doit être pris en considération, de même que la capacité de production des industriels, qui prétendent parfois pouvoir produire plus qu’ils n’en ont vraiment la capacité. Quoi qu’il en soit, les hélicoptères ne sont pas sacrifiés au profit d’autres priorités.

La DGA s’efforce de faciliter les choses pour les PME. Le portail Internet Ixarm contient ainsi des fonctionnalités spécifiques pour elles. Pour ce qui relève du contrôle des exportations, la DGA veille, lorsqu’elle a une appréciation technique à apporter, à traiter les dossiers rapidement. Mais ce n’est pas parce qu’une entreprise est petite que ses technologies sensibles peuvent échapper au contrôle du gouvernement ou à la loi. Il serait sans doute souhaitable de mettre en application les recommandations contenues dans le rapport de M. Yves Fromion, qui tendent à la simplification des procédures.

M. Jean Lemière s’est enquis des modalités du contrat relatif au programme Barracuda. Il a fait état de rumeurs, probablement infondées, circulant sur le site de production selon lesquelles six sous-marins seraient commandés pour le prix de cinq, ou encore qu’un seul serait finalement commandé.

M. Hugues Martin s’est interrogé sur les potentialités de vente à l’exportation du Leclerc, formidable char de combat, maintenant visible sur le terrain, au Liban.

M. François Lureau a indiqué que la DGA avait négocié une commande de six Barracuda avec l’industriel. Toutefois, les ressources ne permettant pas d’engager la somme nécessaire pour les six dès 2006, les commandes seront échelonnées. Elles permettront la mise en service du premier sous-marin en 2016, les livraisons suivantes devant intervenir au rythme d’un sous-marin tous les deux ans.

M. Laurent Giovachini, adjoint du délégué général, a précisé que le coût total du programme atteignait un peu moins de 8 milliards d’euros, avec une première tranche de 1,4 milliard – 1,1 milliard pour DCN et 300 millions pour Technicatome, filiale d’AREVA, correspondant au développement et à la réalisation du premier sous-marin. La décision de lancement du programme est actuellement soumise à Mme la ministre de la défense, elle constitue naturellement un préalable pour la notification du contrat d’ici la fin de l’année.

M. François Lureau a ajouté que la projection de chars Leclerc au Liban avait incontestablement impressionné. Dans les contextes menaçants actuels, existe-t-il une place pour des chars lourds ? Il faut attendre de voir ce qui se passe sur des théâtres comme le Liban, l’Afghanistan ou l’Irak pour mesurer l’intérêt respectif des différents matériels. L’orientation est cependant plutôt tournée vers les matériels de vingt à quarante tonnes, avec des configurations variées, pour le transport et la reconnaissance.

Après s’être réjoui du contrat passé pour les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), M. Jean Michel a relevé que le budget du programme 146 souffrait de la régulation financière. La LPM ne risque-t-elle pas d’être respectée formellement en ce qui concerne les inscriptions budgétaires initiales mais de prendre des années de retard compte tenu des reports de charges et de crédits ? Il a par ailleurs souhaité obtenir des éclaircissements sur le dossier du deuxième porte-avions.

M. François Lureau a garanti que la loi de programmation militaire était respectée et qu’un accord avait été trouvé sur la façon de résorber les reports de crédit jusqu’à l’horizon 2006-2007. Les reports de charges et de crédits doivent baisser et ils baisseront, atteignant probablement un peu plus d’1,2 milliard d’euros, avec une répartition par programme liée à des considérations techniques. Le programme 146 est équilibré, ce qui prouve que les ressources continuent d’être mises à disposition.

Il a précisé que la conception préliminaire du deuxième porte-avions était pratiquement acquise, tant en Grande-Bretagne qu’en France, et que le programme entrait dans une phase d’évaluations financières. Le dossier sera présenté aux ministres français et britannique fin 2006, et la décision de lancement effective de l’opération pourra être prise début 2007, 700 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) étant inscrits au projet de budget.